Jeudi 15 avril 2021
- Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente -
La réunion est ouverte à 9 heures 30.
Audition de Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publique
Mme Françoise Gatel, présidente. - Madame la ministre, je suis très heureuse de vous souhaiter la bienvenue en tant que ministre de la Transformation. Je remercie mes collègues présents et ceux qui sont en visioconférence, en particulier mon collègue Rémy Pointereau, premier vice-président de la délégation. Votre champ d'intervention relève d'une des obsessions du Sénat, et cette obsession est celle de la norme et de l'efficacité de l'action publique.
Nous avons trop souvent l'impression, de par notre passé d'élus locaux et notre présent, que l'excès de principe de précaution conduit assez facilement à un excès de normes, qui entrave parfois l'action publique au lieu de la servir. A fortiori quand certaines normes, comme dans le domaine de l'urbanisme, deviennent sinon excessives du moins contradictoires. Nous nous tournons souvent vers Portalis. Nous nous souvenons de ce qu'il a déclaré : « Les lois sont faites pour les hommes et non pas les hommes pour les lois ». Il ne parlait même pas des normes.
Je suis heureuse que le Gouvernement soit sensible à cette discussion, et je sais l'énergie que vous déployez dans ce domaine, votre conviction pour laquelle vous ne pouvez avoir que nos encouragements, parce que je sais qu'il existe une sorte d'inertie involontaire dans ce domaine. Les élus locaux doivent être, jour après jour, des « inventeurs de possible ». Ils sont condamnés à trouver des solutions pour leurs interlocuteurs dans un cadre légal. Nous avons travaillé en ce sens et nous avons réalisé une consultation auprès des élus locaux au mois de mars. Nous en dévoilerons tous les résultats au début du mois de mai.
À la question sur la complexité et la simplification de la compréhension des normes, et notamment l'intégration dans la formation des fonctionnaires de modules de culture de la simplification, nous avons une réponse à 90 % positive. Les élus locaux sont conscients que les réponses ne sont pas binaires. Ils savent que la réalité est complexe et que des enjeux contradictoires sont à conjuguer. Mais la réussite de l'action publique doit l'emporter et trouver des réponses.
Madame la ministre, je souhaite pouvoir avancer dans ce domaine et mon collègue Rémy Pointereau a défendu, à l'issue d'un rapport établi par notre délégation, une proposition de loi de simplification en matière d'urbanisme. 80 % des propositions défendues dans ce texte ont été reprises par la suite dans des textes de loi, de même pour le Pacte national pour la revitalisation des centres-villes. Vous voyez que nous ne sommes pas au Sénat dans une posture de griefs et de complaintes, nous sommes très acteurs. Vous pouvez compter sur nous pour vous aider dans votre action et être accélérateurs dans la décision. Nous avons d'ailleurs interrogé par courrier le Premier ministre en novembre dernier sur les pouvoirs dérogatoires aux normes accordés aux préfets. Dans le contexte actuel de crise sanitaire, nous n'avons pas reçu de réponse, mais nous serons très heureux de pouvoir en obtenir une.
De nouveaux textes de loi sont en préparation, comme le projet de loi « 4D » (différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification). Sa compréhension reste difficile, et le terme « décomplexifier » pose à lui seul une difficulté. Nos propos ne véhiculent aucune démagogie et nous sommes conscients de la complexité de la réalité en matière de normes, mais plusieurs contraintes thématiques doivent pouvoir se conjuguer pour parvenir à une solution.
Je souhaite que, dans ce texte, et surtout dans l'interprétation qui en sera faite dans ses décrets d'application, le principe de simplification aille jusqu'au bout. Force est de constater que le législateur, sans être exceptionnel, a plutôt bon esprit et a pour mission de répondre à des questions et à des besoins. Mais vous le savez, Madame la ministre, il existe souvent une distorsion entre l'esprit de la loi et sa dernière circulaire d'application. Cela aboutit à un contresens dans l'interprétation de l'esprit du législateur, quand ce n'est pas un empêchement à réaliser.
Au-delà des simplifications qui peuvent être faites, le sujet est de déterminer quel esprit adopter pour éviter de fabriquer de la norme. Il faut déterminer, entre législateurs et fonctionnaires, quelles solutions apportent un nouveau dispositif réglementaire pour intégrer les contraintes de manière raisonnable. Il ne s'agit nullement de critiquer les agents de la fonction publique qui font leur travail, mais ils ne sont pas comptables du résultat et de l'efficacité de l'action publique alors que les élus locaux le sont. Au moment où le Président de la République décide de transformer voire de supprimer l'ENA, une conséquence de la crise des gilets jaunes, il faut trouver des réponses à l'incompréhension de nos citoyens, à ce sentiment exprimé très fortement à tort ou à raison de l'oubli des solutions que l'on apporte.
Nous devons donc nous interroger sur la réduction du stock de normes existantes. Nous travaillons avec Alain Lambert, président du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), qui fait un travail remarquable - tel un « moine soldat » - sur la production de la norme. Il regarde cette problématique dans une démarche que nous devrions tous avoir, qui est de connaître notre besoin, et de construire la bonne solution pour nous débarrasser de l'excès de normes. Je souhaite donc formuler une question : le CNEN pourrait-il, notamment pour le domaine réglementaire, obligé à une plus grande traçabilité du débat, suivre cette production de normes et son efficacité ? Pourrait-il connaître les motifs de refus opposés par le Gouvernement à des aménagements proposés dans le domaine de la norme ? Je pense que vous pourriez être associée à cette tâche qui serait très utile.
Je sais, Madame la ministre, que vous approuvez l'engagement du Sénat sur ce sujet qui n'a rien de démagogique, mais qui est celui de l'efficacité de l'action publique, afin d'apporter plus de solutions que de contraintes.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publique. - Merci beaucoup Madame la présidente, chère Françoise, Monsieur le premier vice-président, Mesdames et Messieurs les sénatrices et sénateurs, de me permettre de vous rencontrer sur ce sujet, qui peut devenir une obsession pour reprendre vos termes, et qui n'intéresse pas toujours ceux qu'il devrait intéresser. Il est très précieux de pouvoir vous dire notre vision, tant dans le bilan que dans les ambitions que nous nous fixons au Gouvernement suite à ma nomination à ce poste ministériel au mois de juillet 2020.
Ce sujet était déjà ma préoccupation en tant que parlementaire : j'avais beaucoup travaillé pour que la culture de l'évaluation fasse son entrée à l'Assemblée Nationale. J'ai été l'une de celle qui avait mis en place le « printemps de l'évaluation ». Une inversion du calendrier de travail de la commission des finances avait donné des résultats, tant dans le travail Gouvernemental que parlementaire.
C'est dans cet esprit de simplification et de bonne mise en oeuvre des décisions - pour répondre à la défiance démocratique à laquelle nous devons faire face - que ce ministère nouveau et inédit a été créé, et dont le Président de la République et le Premier ministre ont souhaité me donner la charge. Trois directions administratives ont été regroupées sous l'égide d'un seul ministère qui, dans le passé, n'ont soit jamais eu de ministre, soit jamais le même, soit pas le même ensemble : la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), la direction du numérique - indispensable pour la simplification à offrir aux agents publics et aux usagers au XXIème siècle - et la direction de la stratégie du service public. Nous avons un triple objectif : plus efficace, plus proche, plus simple. Plus efficace signifie plus rapide. Plus proche signifie plus accessible et plus humain et réincarné. Plus simple signifie plus lisible et prévisible et redonner la confiance dans la décision.
Cette transformation et cette simplification doivent servir à mettre en oeuvre des décisions avec un principe d'efficacité et un principe d'audace qui doivent s'imposer avec autant de poids que le principe de précaution que vous avez cité. Le changement culturel doit être un changement de ressources humaines, de recrutement - je parlerai en conclusion de la réforme de la haute fonction publique - avec comme objectif de mettre en avant l'envie de bien faire plutôt que la peur de mal faire. C'est un changement de paradigme complet qui doit redonner des marges de manoeuvre à chacun et de la responsabilité - qui doit fonctionner avec une formation rénovée - pour que l'ensemble du système travaille dans cet esprit.
Je souhaite donc vous présenter trois points :
- un bilan de ce qui a été fait depuis le début du quinquennat en 2017 ;
- un outil de pilotage public totalement nouveau mis en place au sein du Gouvernement : le « Baromètre des résultats » qui est un outil de simplification très novateur ;
- un réarmement des territoires qui doit passer par un travail beaucoup plus efficace entre les collectivités et l'Etat au niveau déconcentré.
Je ferai une conclusion rapide sur la réforme de la haute fonction publique.
Depuis quatre ans, sans s'auto-congratuler et estimer que c'est suffisant, nous avons fait, au sein du Gouvernement, un effort inédit de publication des décrets d'application des lois qui ont été votées. Fin 2019, 95 % des mesures votées depuis le début du quinquennat avaient un décret d'application. Fin 2020, nous étions à près de 90 %. C'est un chiffre qui est suivi en Conseil des ministres tous les trimestres, revu par le Président de la République, texte par texte. L'ensemble des ministres doit s'assurer du contenu des décrets d'application.
Deuxième élément, nous avons poussé les administrations à produire des études d'impact de meilleure qualité, tant dans leur aspect juridique qu'opérationnel. S'agissant du pouvoir réglementaire autonome, nous avons réussi à réduire le stock des circulaires de 30 000 à 10 000. Le Président de la République a d'ailleurs estimé lors de sa rencontre avec les hauts fonctionnaires le 8 avril dernier, qu'il existait encore une marge pour réduire davantage ce chiffre, dans un effort de rationalisation et de mise à jour.
Enfin, un certain nombre de réformes législatives a été engagé avec le droit à l'erreur, la loi ESSOC, la loi PACTE, la suppression de « comités Théodule » par voie réglementaire, la loi ASAP, qui nous ont permis de construire une vraie démarche d'amélioration continue au sein de l'État avec le programme « Service public Plus ».
Lors de mon arrivée à ce ministère, lorsque j'ai interrogé l'ensemble des administrations sur l'application de la simplification administrative, il m'a été répondu que la prochaine loi était attendue. Pourtant, l'immense majorité des simplifications demandées ne dépendent pas de la loi, mais de la capacité de l'administration à comprendre que les élus, les citoyens, les entreprises doivent faire face aux difficultés qu'elles engendrent. « Service public Plus » est donc une plate-forme ouverte pour permettre à tout citoyen, à toute entreprise, à tout élu de savoir quels sont les formulaires qui sont inapplicables, les procédures qui bloquent, les circulaires incompréhensibles. Je vous invite à en faire la promotion, car c'est un outil de simplification beaucoup plus efficace et rapide que de devoir changer la loi dans 6, 9, 12 ou 18 mois.
Nous avons réussi à passer d'un niveau de confiance dans l'administration de 69 % à 72 % pour les particuliers entre 2019 et 2020, et plus important de 66 % à 76 % pour les entreprises. La question posée était : « En tant qu'entreprise, avez-vous confiance dans le fait que si vous faites une erreur, l'Administration pourra la corriger avant de vous sanctionner ? » Avec une progression de 66 % à 76 %, nous parvenons à travailler sur des enjeux de culture, et pas seulement de textes.
Pour aller plus loin, dès ma prise de fonction, le Président de la République et le Premier ministre m'ont demandé d'être dans une logique de suivi de nos résultats. Nous suivons beaucoup nos moyens, nos lois, mais beaucoup moins nos résultats. Ainsi, le 13 janvier dernier, j'ai présenté lors du séminaire Gouvernemental de rentrée un outil appelé « Baromètre des résultats » qui est public, accessible sur le site du Gouvernement. Il permet département par département - je serai demain en Mayenne, la semaine prochaine dans le Morbihan, je continue mon tour des départements avec déjà douze visités - de savoir, sur les vingt-cinq politiques et réformes prioritaires du Gouvernement, où nous en étions en 2017, où nous en sommes aujourd'hui, et grande nouveauté, quelles sont les cibles que nous sous sommes fixées pour considérer l'objectif de résultats que nous pouvons atteindre.
Il est totalement nouveau que le Gouvernement affiche publiquement, en temps réel à l'ensemble des citoyens, élus, décideurs et entreprises, ses résultats dans chaque département. C'est une réforme importante de l'État, car beaucoup de ministères ignorent les objectifs des départements ou ceux du pilotage territorial de la réforme. Cet outil a été visité par plus de 450 000 Français avec succès, et je le mettrai à jour au mois de mai avec onze nouvelles politiques. D'ici le mois de juillet, quarante politiques publiques pourront être suivies sur différents supports numériques, département par département. Ce travail m'amène en tant que ministre de la transformation à faire ce tour de France des départements, pour que chaque vendredi, nous fassions le point avec l'ensemble des élus du territoire sur ce qui se passe.
En résumé, dans nos vingt-cinq réformes prioritaires, toutes progressent en moyenne. Quand vous passez au niveau départemental, rien n'avance au même rythme : dans chaque département, cinq à huit politiques avancent très bien, huit politiques sont dans la moyenne, et trois à cinq politiques n'avancent pas. Mais ce ne sont jamais les mêmes politiques selon les départements. Ainsi, il convient de penser l'action et la priorisation de l'État selon les caractéristiques de chaque département. C'est moins un sujet de normes que d'organisation. Pourquoi le déploiement de la fibre est difficile en Ardèche ? Pourquoi telle politique d'apprentissage et d'accès à l'emploi ne progresse pas dans les Landes ? C'est un retournement du pilotage de l'État qui ne passe plus par la norme, mais par le résultat. Ce baromètre a été construit selon deux convictions politiques : « rien en millions ou en milliards ». Le calcul n'est pas financier, mais il est établi sur les réalisations réelles et concrètes (contrats, maisons, nombre de personnes accompagnées...). Deuxième postulat : il n'est pas question de savoir à quelles entités (communes, départements, État) se rapportent les politiques publiques. Il nous faut rendre des résultats aux Français.
Troisième point, une fois ce baromètre réalisé et la décision rendue pour pousser des solutions concrètes, il faut en tirer les conséquences sur le pilotage et l'organisation de l'État, et cela en réarmant les territoires. Il n'est pas nécessaire de donner aux préfets leurs résultats département par département, car s'ils n'ont pas de marge de manoeuvre (exemple du déploiement de la fibre en Ardèche), cela n'a pas de sens.
À Mont-de-Marsan, nous avons décidé avec le Premier ministre trois actes forts.
Le premier est un débat qui dure depuis 1964 : les préfets doivent-ils être rattachés à Matignon ou au ministère de l'Intérieur ? C'est un débat qui peut encore durer 45 ans. Nous avons décidé avec le Premier ministre de le trancher très simplement : les préfets sont rattachés au ministère de l'Intérieur, mais leurs objectifs sont fixés par Matignon. Ils sont fixés de manière interministérielle. L'évaluation des préfets à compter de l'été prochain se fera sur une base interministérielle. Comme vous le disiez, Madame la Présidente, tous les objectifs sont légitimes. Mais dans un territoire donné, il faut donner la priorité à tel ou tel, parce que les territoires ne se ressemblent pas, et que la réalité des Deux-Sèvres n'est pas celle du Gard. Une fois qu'il a été acté que la réalité ne se ressemble pas, que le succès d'une politique dans les Deux-Sèvres peut ne pas se renouveler dans une autre politique, nous avons besoin de latitude pour recruter, de moyens financiers différenciés, de marges de manoeuvre au cours de l'année pour réallouer les budgets. Il faut revenir à ce qu'était l'esprit de la LOLF au départ, c'est-à-dire un outil dans une visée de production de service public et non dans une vision de micro-management budgétaire.
Le deuxième acte pour aider à ce pilotage territorial différencié est que nous allons renvoyer des compétences, c'est-à-dire des hauts fonctionnaires, sur le terrain. Si vous regardez depuis 2005, le plan « Préfecture nouvelle génération » et la RGPP (Révision générale des politiques publiques) ont pour conséquence d'avoir vidé les préfectures et les sous-préfectures. L'Etat au niveau territorial n'a plus de bras, plus de jambes, plus d'yeux et plus d'oreilles. Il n'entend plus, il ne pilote plus, il n'est plus capable d'agir. Nous avons donc décidé de renvoyer des hauts fonctionnaires dans les préfectures et les sous-préfectures. 2 500 emplois vont être redéployés depuis les ministères centraux dans les départements. J'insiste sur l'échelon départemental car le but n'est pas de recréer de grandes administrations régionales qui éloignent tout autant la prise de décisions. Les sous-préfets à la relance, beaucoup décriés, moqués (le retour de « l'Etat obèse »), ce sont des chefs de projets, des adjoints aux préfets qui ont la mission claire de déployer la relance dans nos départements. Ils ont été nommés sur la base d'un principe très simple : le besoin pour les préfets en ressources humaines à déployer dans leur département, en fonction de leur spécificité (agricole dans le Cantal, communication vers les TPE-PME en Seine-Saint-Denis, développement économique dans le Vaucluse).
Nous avons renvoyé 30 hauts fonctionnaires qui travaillent actuellement à ces déploiements, qui sinon auraient été des producteurs de normes dans les ministères centraux. Nous allons poursuivre cette démarche avec une quarantaine de chefs de projets ré-envoyés dans les départements dans les prochaines semaines. Dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique, nous allons multiplier par cinq le nombre de jeunes hauts fonctionnaires qui vont travailler en services déconcentrés. Aujourd'hui, 85 % des hauts fonctionnaires sont en Ile-de-France quand 85 % des fonctionnaires sont en dehors de l'Ile-de-France. Il y a un défaut de management, de pilotage, un manque de compétences au plus près du terrain. C'est cela que nous voulons réformer.
Troisième et dernier enjeu, ce sont les outils de différenciation. Vous m'avez interrogé, Madame la présidente, sur l'expérimentation de généralisation du pouvoir de dérogation, menée jusqu'en novembre 2019. Sur 21 départements expérimentateurs, 130 dérogations ont été accordées en 18 mois, 101 au profit de projets menés par les collectivités, 23 au bénéfice de projets d'entreprise et trois au bénéfice de projets de particuliers. Cette expérimentation a maintenant été généralisée, avec succès grâce à la position d'appui et de facilitation du Ministère de l'Intérieur. Nous avons pris la décision - qui sera actée dans la loi « 4D » - de donner une véritable pérennité à ce mécanisme, avec la création d'un pôle « France expérimentation » qui vise à créer ce qui est appelé les « bacs à sable » : quand une loi ou une norme empêche une entreprise d'innover, des moyens sont trouvés pour lui permettre de grandir. La norme qui est souvent vue comme un repoussoir peut ensuite être comprise. Le règlement et la loi pourront être parfois changés par la suite, mais nous sommes dans une logique d'amélioration continue car le projet doit être rendu possible. « France Expérimentation » pour les entreprises, ce sont 300 dossiers reçus sur 18 mois. La moitié a abouti sur une dérogation normative ou réglementaire. Le dernier exemple en date est le recyclage des masques chirurgicaux pour lequel la levée de la dérogation a permis la collecte sécurisée et le recyclage. L'entreprise concernée est devenue leader dans son secteur.
Le pouvoir réglementaire des collectivités sera également inscrit dans la loi « 4D » pour prendre en compte leur spécificité. Une nouvelle disposition, sur laquelle j'espère le soutien des Sénateurs, concerne le partage des données entre les collectivités et l'État. Aujourd'hui, nous sommes dans un régime où la CNIL empêche le partage des données, sauf si elle l'autorise explicitement, décret par décret, ligne à ligne comme pour l'accès d'une collectivité au revenu fiscal de référence de ses administrés pour le calcul des tarifs de cantine scolaire. Nous souhaitons donc aller dans un système de partage par défaut, sauf interdiction spécifique de la CNIL.
Pour terminer, ce sont des enjeux de normes mais surtout des enjeux de culture de management, de formation de nos cadres. Je vous invite à lire le discours du Président de la République du 8 avril dernier dans lequel est annoncée la réforme de la haute fonction publique. Elle est présentée de la page 15 à la page 17. Je vous invite à lire de la page 1 à 15. Elles vous révéleront, Madame la Présidente, que vos obsessions sont celles du Président de la République : comment simplifier, comment rendre un Etat efficace, humain, agile, en prise avec les réalités, capable d'apporter des solutions. Cette réforme de la haute fonction publique en est la conséquence : c'est parce que nous avons ces objectifs que nous réformons. Nous allons effectuer des recrutements plus diversifiés, pas seulement socialement et territorialement, mais aussi dans les compétences. Car si le monde est complexe et que nous ne recrutons que des juristes, nous ne voyons le monde que par des yeux de juristes. Nous avons besoin d'ingénieurs, de spécialistes des données, d'urbanisme et de développement durable dans notre prise de décision collective. C'est également une formation beaucoup plus tournée vers l'usager, vers les résultats plutôt que vers le droit, avec un tronc commun qui doit permettre à l'ensemble des acteurs publics, quels que soient leurs métiers (administrateurs territoriaux, directeurs d'hôpital, magistrats, commissaires de police) de faire concrètement vivre la norme, d'avoir une compréhension commune qui sinon crée une complexité. L'INED (Institut national d'études démographiques) sera associé à ce tronc commun.
Dernier point : l'obligation de servir sur le terrain, d'y revenir plusieurs fois dans sa carrière. En un mot, vous ne pourrez pas avancer en grade dans la fonction publique de demain et dans l'encadrement supérieur si vous ne passez pas dans des fonctions opérationnelles et de terrain. Faire toute sa carrière à Paris à faire de la norme ne sera plus possible, sous peine de ne plus progresser. C'est également un changement de paradigme très fort : nous avons besoin d'une administration plus connectée aux enjeux de la mise en oeuvre des politiques publiques et pas seulement de leur conception. Cela remplit un chemin d'actions totalement cohérent, pour lequel j'ai besoin de votre soutien, parce qu'il nous faut dans toutes les normes, toutes les lois, tous les amendements proposés et votés, nous assurer que les questions de mise en oeuvre sont toutes aussi pensées et regardées que les questions de constitutionnalité. Il y a un enjeu - j'en ai parlé avec Richard Ferrand - sur les ressources humaines qui entourent la décision législative, et notre enjeu tient en un chiffre au coeur du baromètre du CEVIPOF publié il y a quelques semaines : 74 % des Français pensent que les politiques devraient moins parler et faire davantage. Nous sommes au coeur de ce qui m'anime et me fait travailler tous les jours. J'espère être une ministre qui parle ce qu'il faut, et qui agit beaucoup. Je vous remercie.
Mme Françoise Gatel, présidente - Merci Madame la ministre. Nous aussi nous aimons la sobriété de la parole, bien que parfois il nous arrive de satisfaire à d'autres tendances. La sobriété de l'action a pour elle son efficacité. Plusieurs collègues ont souhaité prendre la parole. Je dirai quelques mots sur ce que vous disiez, Madame la ministre, car nous avons des encouragements à vous donner, et nous pouvons aussi avoir de bonnes idées pour contribuer à faire bouger les choses. Je vais passer la parole à notre premier vice-président, Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau, - Bonjour à tous, bonjour Madame la ministre, merci chère Françoise. Tout d'abord, je vous remercie pour votre présentation, Madame la ministre. Je ne vais pas revenir sur la dernière question que vous avez posée sur la formation. Je pense à ce sujet que nos fonctionnaires doivent faire des stages en entreprises et dans les collectivités avant d'exercer leurs fonctions. Ce serait une manière pragmatique de mieux connaître nos difficultés. Je souhaiterais simplement, pour revenir sur le sujet de la simplification, vous poser quatre questions.
Elles concernent pour la première l'organisation administrative mise en place dans les principaux ministères pour mettre en oeuvre l'objectif de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales. Existe-t-il dans tous les ministères des « référents simplification » et avec quel niveau hiérarchique ? Quel est le mode opératoire suivi des dossiers pour l'organisation de réunions interministérielles, leur fréquence, et pourriez-vous nous informer sur la consultation du CNEN ?
Deuxième question : le Premier ministre, dans sa circulaire du 12 janvier 2018 relative à la simplification du droit et des procédures en vigueur, avait prévu que chaque directeur d'administration centrale définirait un plan de simplification du droit et des procédures en vigueur relevant de son champ de compétences. Quels sont ces plans dans le champ des collectivités et quelles sont les principales mesures envisagées ?
Il y a un autre sujet qui me tient également à coeur, en l'occurrence les risques liés à la sur-transposition de textes européens : quelle est la politique actuelle du Gouvernement sur ce sujet pour la réduire, car cela augmente également la norme ?
Enfin, le quatrième point concerne le benchmark avec nos voisins qui ont fait de considérables efforts pour encadrer la production normative. Nous avons notamment examiné les cas allemand et britannique. Nous légiférons trop en France si nous comparons à nos partenaires européens. Nous votons deux à trois plus de textes que les deux pays précités. Nous partons avec un handicap qui multiplie les normes par deux ou trois. Globalement, l'exemple des pays européens montre qu'il existe un organe central de simplification comportant un secrétariat étoffé et de haut niveau. C'est le cas du Normenkontrollrat allemand dont le secrétariat compte seize hauts fonctionnaires qui lui sont exclusivement attachés. Si on veut réduire la norme, cela passe par du personnel qualifié qui travaille sur le sujet. En comparaison, notre commission d'évaluation, le CNEN, quelle que soit la qualité de son président Alain Lambert et de ses membres, fait pâle figure avec des personnels très réduits et relevant en fait de l'une des administrations les plus pourvoyeuses de textes qu'est la DGCL. Notre situation française n'est pas satisfaisante, et notre CNEN doit disposer de véritables moyens et d'une autonomie vis-à-vis de l'administration. Le minimum serait qu'il soit rattaché au Parlement, et peut-être plus spécialement au Sénat, car nous représentons les territoires et les collectivités. Je l'avais proposé lors d'une réunion précédente : l'idéal serait qu'il se constitue une huitième commission qui serait spécialement chargée de l'évaluation des normes et des lois. Le Gouvernement a-t-il des pistes sur ce sujet, et envisage-t-il de faire évoluer cette situation avec davantage de moyens ?
Mme Françoise Gatel, présidente - Avant de vous redonner la parole en écho aux propos de Rémy Pointereau, Madame la ministre, et avant de donner la parole à nos nombreux collègues, je souhaite revenir sur la formation.
Nous sommes tous convaincus de la nécessité d'une formation à une autre culture qui est la culture de l'obligation de résultats, plutôt que la culture de la protection et de la norme. Nous parlons d'encouragement pour les fonctionnaires à effectuer des stages dans les collectivités. J'ai été surprise dans mon département par une communauté de communes plutôt rurale qui s'est engagée dans un Plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) : un exercice de haute volée pour les élus. C'est une femme maire d'une petite commune qui a mené ce combat ô combien difficile et qui a réussi à fédérer autour d'elle les élus, mais aussi toutes les administrations. Elle a cessé ses fonctions de maire en 2020. Je lui ai indiqué que j'aimerais que des élus comme elles qui comprennent que le monde est complexe, aillent aussi dans les administrations et dans les préfectures pour interroger sur les procédures mises en place et aider à l'évaluation de manière positive. De la même manière, lorsque des normes ou des procédures sont édictées, il faudrait que l'écriture soit confrontée à celle de l'usager final, pour s'assurer de sa compréhension et de son efficacité. Il ne s'agit pas seulement d'envoyer des fonctionnaires en stage, mais de travailler de manière plus collaborative. Nous allons bientôt débattre d'un texte sur la différenciation. Vous dites avec justesse que ce qui est prioritaire et nécessaire dans un territoire ne l'est pas forcément dans un autre : il faut cesser avec cette obsession de l'uniformisation.
J'ai beaucoup apprécié le propos de mon collègue Rémy Pointereau sur le CNEN. Il a été voulu par le Sénat, et il s'agit bien d'une structure d'évaluation et d'étude d'impact du projet de loi. Nous rencontrons cependant une difficulté, Madame la ministre, car c'est l'administration du même État qui produit le projet de loi et qui effectue son étude d'impact. Nous comprenons que l'autonomie et l'indépendance ne sont pas aisées et que la neutralité n'existe pas lorsque la même culture est partagée. Nous en avons eu un exemple récemment sur le projet de loi « 4D ». Lors de son examen par le CNEN, les associations d'élus ont voté contre, et naturellement toute l'administration présente a voté pour, ne pouvant dédire une autre administration. Il existe un vrai sujet sur cette question. Nous avons, Madame la ministre, une question de culture, mais également d'organisation de l'Etat au niveau national et territorial.
Aujourd'hui, l'État fonctionne de manière thématique et en silo. Le ministère de la Santé est territorialement totalement indépendant du préfet qui devrait pourtant être l'incarnation de la parole de l'État. Chaque administration produit la norme sur sa thématique. Il n'y a pas de coordination et d'évaluation pour définir si ces normes permettent d'atteindre un objectif. Au niveau territorial, nous connaissons tous avec mes collègues des exemples en matière d'urbanisme. J'avais dans mon département une norme qui venait schéma de cohérence territoriale (SCOT) qui m'imposait des logements pour l'État. Mais une autre norme environnementale régionale venait m'empêcher de réaliser l'obligation de densification. Nous avons proposé de mettre en place une commission départementale sous l'autorité du préfet - qui doit être le chef d'orchestre des politiques de l'État - pour statuer sur ces contradictions normatives, commission qui réunirait les services de l'État et les élus. Dans sa proposition de loi sur la simplification de l'urbanisme, mon collège Rémy Pointereau avait proposé, lors d'opérations d'urbanisme ambitieuses sur un territoire, que le préfet désigne un référent unique avec pour mission et objectif d'unir la parole de l'État.
Mme Amélie de Montchalin, ministre - Je vous remercie. Les Coordinateurs de la modernisation (CORMOD) ont été mis en place comme référents en matière de simplification. Ces CORMOD sont rattachés aux Secrétaires généraux des différents ministères et sont animés par la Direction interministérielle de la transformation publique au sein de mon ministère. Ce sont de vrais chefs de projet internes de l'ensemble des sujets que je vous ai présentés. Ils ont été créés sur le modèle des « référents ruralité » prévus pour que les plus petites collectivités trouvent un point d'entrée unique dans chaque administration. Nous devons ré-internaliser notre complexité. L'Etat doit pouvoir répondre d'une seule voix à tout interlocuteur qui fait face à une difficulté. Les réformes prioritaires sont donc toutes suivies par un seul chef de projet, selon la volonté du Président de la République depuis 2017. Une seule personne doit avoir le pouvoir d'arbitrer, de pousser un projet, de changer les choses qui ne fonctionnent pas. Nous avons aujourd'hui une organisation administrative qui passe sur un modèle de « chef de projet », plutôt que dans celui de différents canaux administratifs.
La circulaire de 2018 a permis de créer ces CORMOD afin que les secrétaires généraux des ministères aient chacun une personne qui intervienne de manière transversale et cohérente. Les « plans de simplification » ont eu pour conséquence les lois ASAP, ESSOC, certains aspects de la loi « 4D », beaucoup de partages de données au sein des administrations pour le respect du principe de la « demande unique », et enfin la révision d'ici la fin du quinquennat en 2022 des 100 formulaires les plus usuels des Français. Je dispose dans mon ministère d'une équipe spécialisée dans les sciences comportementales qui s'assure de la simplification de l'écriture administrative pour la meilleure compréhension possible. Cet exercice permet également de supprimer les demandes inutiles de ces formulaires, parfois obsolètes juridiquement. Les « plans de simplification » ont également permis la numérisation des documents administratifs qui doit aboutir à un taux de satisfaction de 80 % des usagers.
Sur les textes européens, notre Gouvernement s'en tient
à la simple transposition et non à la « sur-transposition
». La loi ASAP a d'ailleurs oeuvré contre cette
«
sur-transposition ». Il nous faut sur ce sujet avoir une
responsabilité partagée. La transposition de textes
européens ne doit pas être l'occasion de rouvrir des débats
de fond qui ont déjà eu lieu. En tant que ministre des affaires
européennes dans mes précédentes fonctions, j'avais
invité les parlementaires nationaux à auditionner les
parlementaires européens pour conserver une mémoire des
débats, et ne pas défaire dans un nouveau débat national
un consensus trouvé au niveau européen.
Concernant le poids et la complexité de la production normative, nous avons trois institutions complémentaires qu'il convient de mieux coordonner :
- le secrétariat général du Gouvernement (SGG) qui effectue un suivi normatif ;
- la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) qui effectue le suivi qualité d'une norme et sa réceptivité par les usagers, et qui lutte contre toutes les complexités ;
- le CNEN dont le Sénat est le seul à décider des moyens d'intervention et des actions et sur lequel le Gouvernement n'a pas à donner d'avis.
Concernant les études d'impact, au-delà du sujet de leur indépendance, c'est davantage celui de leur mise en oeuvre qui me pose problème. Où sont les études d'impact concernant le numérique ? Concernant la formation aux compétences ? Concernant la circulation du flux des données entre les différents acteurs administratifs ? Autant de questions essentielles qui ne sont pas étudiées actuellement et aucun filtre n'existe en interne pour répondre à ces problématiques. Nous touchons le coeur du discours du Président de la République aux hauts fonctionnaires. Si les questions de mise en oeuvre ne sont pas intégrées lors de la conception, rien ne pourra aboutir. Vous allez auditionner prochainement M. Patrick Gérard concernant le nouvel enseignement des élèves du futur Institut de service public (ISP), sur la manière de séparer dans la formation ce qui relève de la conception et des objectifs d'une politique, et ce qui relève de son suivi, de sa mise en oeuvre et de son évaluation.
Concernant la différenciation, vous semblez vouloir aller plus loin et je n'y suis pas opposée.
Concernant la formation et les stages, nous souhaitons un tronc commun pour tous les cadres de l'action publique, mais aussi pour les élèves fonctionnaires qui doivent pouvoir se rencontrer alors qu'ils sont actuellement disséminés dans tous les secteurs administratifs d'un territoire.
Dernier point sur le travail de l'État qui doit s'effectuer de manière thématique et non en silo, c'est l'ambition des feuilles de route interministérielles qui prévoit que le préfet est évalué sur sa capacité à faire travailler ensemble toutes les administrations sur son territoire. Le but n'est pas de mettre les administrations sous tutelle, mais d'obliger à la coordination et à la cohérence. Le Préfet doit disposer d'un pouvoir d'arbitrage, et celui de trancher au niveau de son territoire sur l'ensemble des administrations qui peuvent défendre des objectifs qui leur sont propres. Nous ne pouvons pas ajouter la lourdeur à l'inaction. C'est pourquoi nous changeons la formation des hauts fonctionnaires pour en faire des chefs de projets plutôt que des directeurs d'administration.
M. Philippe Mouiller - Madame la ministre, j'ai beaucoup apprécié vos propos sur les objectifs que vous vous fixez et les outils pour y parvenir. Mais je suis sénateur depuis six ans et j'ai vu beaucoup de ministres de la fonction publique avec des ambitions importantes qui se heurtaient à de vraies difficultés pour les mettre en application. Je vous souhaite d'aller au bout de vos démarches et nous vous aiderons au Sénat à le faire avec nos capacités.
Le sujet est compliqué car nous légiférons trop en tant que parlementaires et si nous sommes soucieux des normes au sein de notre délégation, nous pouvons l'être moins lorsque nous déposons des amendements dans un projet de loi. Le sujet est aussi complexe car le Gouvernement a tendance à créer beaucoup d'outils, beaucoup de nouvelles agences et de comités, et que la coordination entre ces entités crée des complexités sur le principe que chacun veut défendre son pré-carré.
Le Gouvernement a souhaité donner des moyens financiers conséquents aux communes dans le cadre de son Plan de relance. En parallèle, beaucoup d'administrations sont en difficulté avec la crise sanitaire sur l'instruction des éléments. Dans la situation d'urgence actuelle, avant que des outils pérennes en matière de dérogation puissent être mis en place, nous rencontrons des difficultés dans les territoires car l'administration ne peut pas répondre. J'ai l'exemple de l'archéologie préventive pour laquelle il n'y a pas de date pour la réception d'un courrier de réponse. Et une fois ce courrier reçu, il n'y a toujours aucune date de délai indiquée pour la réalisation du projet. Vous pouvez ainsi avoir obtenu un engagement financier pour effectuer les travaux sans que l'administration ne vous indique comment procéder. C'est un problème de moyens, et peut-être également de culture. Autre exemple, dans la revitalisation des centres-bourgs, une collectivité ne peut pas reprendre un bar-tabac car elle n'y est pas autorisée juridiquement. D'un côté, il y a une aide financière, de l'autre, il y a un blocage administratif. Autre sujet, la douane, où le terme « dérogation » ne peut même pas être évoqué. Ce sont des freins car il y a un manque de recherche de solutions, malgré un important travail des préfets et des sous-préfets. Il y a un manque de concertation et un rapport de force entre les administrations. Votre initiative est bonne, Madame la ministre, mais il y a urgence dans l'application du Plan de relance.
M.
Laurent Burgoa - Comme mon collègue Philippe
Mouiller, je souhaite relever votre volonté réelle de
simplification. C'est dans la continuité de la volonté de
l'État depuis plusieurs années de vouloir simplifier les normes,
mais cette volonté ne se retrouve pas toujours localement. Nous le
voyons en tant que Sénateurs : nos maires et nos élus locaux se
heurtent parfois au refus d'un membre de l'administration pour un PLU, un PPRI
ou la GEMAPI. Dans la commune de Collias près du Pont du Gard, la DDTM
souhaite détruire des moulins à eau qu'elle juge dangereux. La
population et les élus y sont totalement opposés alors que ces
moulins font partie du patrimoine de ce site inscrit à l'UNESCO. Ma
question sera donc provocatrice : votre ministère ne pourrait-il pas
devenir celui du
« bon sens public » ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre - Je reprends votre suggestion à mon compte, Monsieur le sénateur. Je suis la ministre des résultats, et cela demande beaucoup de pragmatisme. Ce type de situation doit se régler sur le terrain avec de la bienveillance et une forme de « bon sens ». Pour prendre un peu de hauteur, il s'agit ici d'un enjeu de chaîne de management. Nous avons réuni lors du lancement de « France Expérimentation » l'ensemble des secrétaires généraux des ministères, dont celui de l'environnement. Cette initiative va permettre de former l'ensemble des agents de l'État et de leur hiérarchie, dont ceux de la DDTM, à la culture de la bienveillance des contrôles afin d'apporter des solutions. Pour exemple, le Préfet des Hautes-Pyrénées a mis en place cette nouvelle culture de management pour son administration avec pour consigne de ne jamais donner un refus sans s'être déplacé sur le terrain. C'est une manière d'humaniser, de réincarner et de remettre de la responsabilité dans la décision. Si la réponse est négative, elle ne l'est pas pour des motifs théoriques, mais suite à une enquête sur le terrain. L'objectif est de donner du sens aux décisions et non d'être arbitraire. Le Président de la République a d'ailleurs parlé de la « ré-humanisation de la décision publique » dans son discours du 8 avril. Il faut faire le pari de la responsabilité et de la confiance. Ce qui se passe sur le terrain est au coeur de notre réforme.
Ainsi, Monsieur le sénateur Philippe Mouiller, lorsque vous m'indiquez qu'il manque le facteur décisionnel aux préfets, nous sommes dans le même sujet. Pour éviter que les décisions soient renvoyées à l'échelon régional voire national, loin du terrain et de l'histoire, les préfets de département sont remis au centre de la décision, dans une culture de responsabilité et de déconcentration. La loi ASAP prévoit que 99 % des décisions soient prises à un niveau local et non centralisées à Paris. Mais cela nécessite des acteurs de terrain formés à cette prise de risque afin que l'envie de bien faire ne soit plus jamais contrainte par la peur de mal faire. C'est davantage un enjeu de culture que de capacité.
La notion d'urgence est majeure. Il faut prioriser les demandes si la situation l'exige, à l'exemple de celles du Plan de relance. Les préfets et sous-préfets sont justement en place pour hiérarchiser. Concernant l'archéologie préventive, nous sommes d'accord avec le Premier ministre pour les examiner avec une priorité calendaire spécifique. Les citoyens doivent toujours avoir l'information sur la date à laquelle ils obtiendront une réponse. Concernant les agences et les comités, le Président de la République a souhaité que nous lancions un chantier de remembrement de l'action publique. C'est aussi une réflexion sur l'exercice des tutelles : être un établissement public correspond à un statut juridique, pas forcément à une autonomie décisionnelle. Le morcellement administratif a aujourd'hui une réalité qui n'était pas présente initialement. C'est un chantier que nous allons engager, pas obligatoirement sur le sujet des structures mais davantage dans une logique de tutelle, de management et de cohérence.
Globalement, l'enjeu est de réussir la transformation interne à l'administration pour pouvoir réussir celle plus globale de notre pays. C'est un enjeu de crédibilité pour l'avenir. Ce ministère de la transformation de la fonction publique est extrêmement important car il regroupe pour la première fois les agents utilisant les outils numériques et ceux du service au public. C'est également pour la première fois un ministère de plein exercice qui a trop longtemps été rattaché à Bercy. Cette logique sous-entendait que la transformation du service public était conduite dans un but de réduction des coûts. Je suis partisane de la meilleure gestion possible de l'argent public. Mais aujourd'hui, nous avons décidé de stabiliser les emplois de l'État en réorganisant beaucoup en interne. Nous nous assurons d'avoir les bonnes compétences au bon endroit et les bons moyens selon nos priorités. La déconcentration des ressources humaines est une préoccupation majeure pour le Gouvernement. Les ministres doivent présenter en conseil des ministres leurs résultats.
M. Philippe Pemezec - Madame la ministre, vous avez des projets ambitieux et comme mes collègues avant moi, je vous souhaite la meilleure réussite possible, mais je n'y crois malheureusement pas. Vous êtes engagée dans la voie de la déconcentration alors que la vraie solution est dans la décentralisation. Je considère que vous n'êtes ni ambitieux, ni efficaces, ni agiles contrairement à vos déclarations. Ce n'est pas une attaque ad hominem, Madame la Présidente, mais la réalité est tout autre pour les élus au quotidien, car nous sommes confrontés aux conséquences de l'application du principe de précaution. Et nous sommes tous confrontés à des études d'impact qui peuvent prolonger des projets de douze à dix-huit mois. Dans ma commune, là où le maire mettait trois ans à faire bâtir une opération immobilière, le délai atteint maintenant cinq à six ans pour se terminer. Votre intention est louable mais la réalité est tout autre. Nous demandons à l'État sinon d'être facilitateur, au moins simplificateur. Arrêtez de vouloir tout faire et le faire mal, faites confiance aux élus de terrain qui sont compétents. Ils ont atteint la maturité et savent gérer les problèmes locaux. La région Ile-de-France connaît cinq strates administratives alors que la situation était déjà compliquée avec trois. Il y a vingt-neuf strates différentes dans un PLUi. Vos intentions sont louables, mais les élus locaux sont totalement bloqués. Votre réforme me donne l'impression de complexifier davantage.
Mme Catherine Di Folco - J'aborderai quatre points. Premièrement, lorsqu'une démarche a été engagée, il faut qu'elle aille à son terme. Je vous exposerai le cas très concret de la plateforme « Ma procuration » dont vous avez parlée, Madame la ministre. Elle permet de déposer une procuration en ligne, mais au final, l'usager doit se déplacer au commissariat de police ou dans une gendarmerie. Il est regrettable de ne pas aller jusqu'au bout de la démarche.
Deuxièmement, concernant la formation, comme l'a évoqué Madame la Présidente précédemment, je comprends la démarche de faire effectuer des stages sur le terrain pour toucher la réalité, mais il me semble très important de les faire également en entreprise dont le fonctionnement est totalement différent d'une collectivité. Concrètement, j'ai été maire d'une petite commune qui a la chance d'avoir un très grand laboratoire pharmaceutique sur son territoire. Il a fallu dix ans de démarches, de confrontations et d'obstacles pour obtenir son agrandissement. Ces entraves ont cessé lorsque nous avons décidé d'un pilotage unique par le préfet pour faire face aux difficultés. Il réunissait tous les trois mois un comité de pilotage et prenait les décisions finales.
Troisièmement, l'étude d'impact sur la mise en oeuvre me paraît primordiale. Mais cela implique la rédaction d'un projet de loi. Trop souvent actuellement, des propositions de loi se substituent aux projets de loi pour gagner du temps. Mais une proposition de loi ne prévoit pas d'étude d'impact. C'est un écueil qu'il faut éviter pour faire aboutir la démarche.
Quatrièmement, je souhaite une application intelligente de la loi avec du « bon sens » plutôt qu'un excès de rigueur comme l'appelait de ses voeux mon collègue Laurent Burgoa.
Mme Françoise Gatel, présidente - Madame la ministre, dans vos propos, vous avez invité le Sénat à s'investir dans le champ de l'étude d'impact. Le Gouvernement reste cependant maître du temps du calendrier parlementaire. Cela étant, nous ne manquons pas de procéder à des évaluations post-législatives. Je suis attentive sur les enjeux de la coopération interministérielle, mais il faut un pilote unique pour chaque projet. Le préfet doit incarner pleinement l'Etat dans les territoires comme nous n'imaginons pas le Président de la République et le Premier ministre ne pas imposer leurs arbitrages aux différents ministères.
Certaines agences sont également totalement autonomes, ce qui impose des contraintes dans de multiples domaines aux maires qui ont une obligation de résultats, mais qui sont bloqués dans leurs actions. Malheureusement, le préfet n'a pas autorité pour imposer son point de vue à des directeurs d'agences qui doivent répondre de leurs actions directement à leur ministère. Cela nuit à l'efficacité générale.
Concernant la formation, nous recevrons le 6 mai prochain les directeurs de l'ENA et de l'INED pour leur indiquer l'importance pour l'administration de se mettre au niveau des usagers pour un meilleur fonctionnement et une meilleure compréhension.
Mon collègue Franck Montaugé - qui a dû partir - m'a fait part de ses remarques sur le champ d'intervention du CNEN et les moyens humains des préfectures.
Mme Amélie de Montchalin, ministre - Merci Madame la présidente. Nous avons un programme de formation de nos cadres dirigeants de l'État : le cycle des hautes études du service public. Cela concerne les directeurs d'administration centrale et leurs adjoints, mais également les cadres du secteur privé qui souhaitent rejoindre la haute fonction publique, soit une soixantaine de personnes chaque année qui sont formées au numérique, au management, à la simplification. C'est une formation importante pour apprendre à mener des réformes et des transformations lourdes. J'ai décidé cette année que dix-huit administrateurs territoriaux (DGS/DGA) participent à cette formation pour faire évoluer les choses. Je ne suis pas d'accord avec l'analyse binaire de Philippe Pemezec selon laquelle l'État est responsable de tous les problèmes pour les collectivités, ou inversement du côté de l'État. Il est impératif de travailler ensemble : l'Etat a besoin des collectivités et réciproquement. Pour que la coopération fonctionne et soit efficace, il faut respecter les légitimités de chacun. L'application intelligente des lois, c'est la capacité pour chaque interlocuteur de se mettre à la place de l'autre. J'ai donc décidé de suivre attentivement la formation des administrateurs territoriaux à laquelle participeront des directeurs de la fonction publique hospitalière.
Concernant les stages en entreprise, Madame la sénatrice Di Folco, cela existe directement au sein des PME depuis 18 mois. Il existait déjà des stages au siège des grands groupes du CAC 40. Ils étaient utiles, mais pour comprendre la réalité au quotidien d'un entrepreneur sur sa trésorerie, ses recrutements, ses contrôles administratifs, des stages en petites et moyennes entreprises ont été initiés à l'occasion de la crise sanitaire et se poursuivront au-delà.
L'agrandissement des sites industriels a abouti au rapport du député M. Guillaume Kasbarian, et aux dispositions de la loi ASAP. Dorénavant, l'installation ou le développement d'un site industriel est dans le processus que vous avez décrit, Madame la sénatrice, avec le pilotage du préfet ou d'un référent unique.
Pour les propositions de loi sur les études d'impact, la députée Laure de la Rodière avait travaillé sur l'utilisation de la navette parlementaire pour les réaliser : j'ai trouvé cette démarche intéressante.
Concernant les démarches, la procuration en ligne pour 2021 nécessite moins d'informations, elle est transmise en instantané avec un temps de réponse réduit, mais avec l'obligation de s'assurer de la non-usurpation d'identité. Il faudra ensuite sécuriser numériquement cette démarche avec pour objectif d'augmenter le nombre de connexions des Français. Nous sommes passés à 20 millions d'usagers de FranceConnect contre 300 000 il y a trois ans. Nous avons toutefois estimé qu'il était un peu tôt de faire dépendre notre système d'un outil qui est actuellement en développement.
Je souhaite également répondre au sénateur Philippe Pemezec. Il ne faut pas confondre les mouvements qui peuvent être jugés trop rapides dans l'administration et la mobilité. Notre enjeu est que le temps de passage des directeurs départementaux d'administration soit plus proche de trois ans que de 18 mois, afin de bien intégrer les problématiques et la réalité d'un territoire. Les postes doivent être différents mais également les profils qui les occupent. Il faut apporter les bonnes compétences aux bons endroits. Concernant la déconcentration à laquelle le sénateur est opposé, l'objectif n'est pas que l'État s'occupe de tout et le fasse mal. Il est nécessaire que les élus aient des interlocuteurs dans leur département, et non dans les préfectures de région ou à Paris. En déconcentrant, l'État ne va pas faire plus, mais mieux et plus près. Il ne faut plus poser comme un principe la guerre entre l'État et les collectivités. La crise sanitaire a démontré l'importance d'un État efficace auquel les Français aspirent. Via la déconcentration, l'État fait ce qu'il a à faire et le fait mieux.
Au sujet de l'Ile-de-France que je connais bien car j'ai été élue moi-même députée de l'Essonne - je remercie le travail des sénateurs Philippe Dallier et Didier Rambaud pour leur rapport d'information sur la réforme de la gouvernance du Grand Paris - nous ne sommes pas responsables des cinq strates administratives qui existent et que le Gouvernement subit également. Le Président de la République est conscient du problème mais il est nécessaire d'obtenir un consensus pour le faire évoluer. Si chacun défend sa strate, il ne sera pas possible d'avancer. Chacun doit faire des concessions et avoir du courage et de l'audace, y compris du côté des élus pour accepter des renoncements. La situation institutionnelle, financière et organisationnelle de l'Ile-de-France n'est pas satisfaisante aujourd'hui.
Le changement entier et premier que nous portons est une vision départementalisée et publique sur laquelle nous rendons compte de nos résultats. Ce pilotage départementalisé n'avait jamais été fait, ni en France ni en Europe. Pour être plus efficace ensemble, il faut avoir un point de départ commun qui est une comparaison en temps réel de la situation dans chaque département. Il faut s'inspirer des solutions qui fonctionnent et initier un nouveau dialogue entre les élus et les différents acteurs de l'État. Il faut aider les services de l'État pour bien les aiguiller. Je vous invite, Mesdames et Messieurs les élus, à vous saisir des outils que nous avons mis à votre disposition, et en particulier « le Baromètre des résultats » sur le site internet du Gouvernement. C'est un outil de pilotage complet partagé totalement novateur. J'ai souhaité instaurer un dialogue avec les élus pour trouver des solutions concrètes à leurs problèmes,
Mme Françoise Gatel, présidente - Je souhaite vous remercier de votre engagement et de votre enthousiasme, Madame la ministre. L'enjeu est majeur et essentiel. Il y a actuellement dans notre pays une crise de confiance et un pessimisme ambiant selon lequel les pouvoirs publics ne seraient pas performants. La France est dans une situation de grande fragilité, et la crise sanitaire qui s'accompagne d'une crise économique et sociale encourage ce que j'appelle les « malveillants de la démocratie ». Nous sommes tous contributeurs à l'apaisement et à la réussite de notre pays. Nous ne voulons pas, ici au Sénat, alimenter le débat sur ce que seraient les responsabilités uniques de l'État. Nous sommes convaincus que notre démocratie fonctionne sur deux piliers : l'État et les collectivités territoriales. L'exemple a été donné par le Président de la République dans sa décision de réouverture des écoles au printemps 2020. Elle a été rendue possible parce que des élus locaux se sont engagés très fortement à ses côtés. Nous sommes deux socles indispensables à l'efficacité de l'action publique et nous devons travailler en confiance pour réussir. Nous avons une obligation de résultats et d'efficacité. Nous croyons beaucoup au principe de subsidiarité, qui est de faire au juste niveau ce qui doit être fait. En tant qu'élus locaux, nous avons une obligation « d'intelligence territoriale » et nous devons faire des choix pour réussir notre action publique.
Je souhaite également vous transmettre un dossier concernant l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) pour la numérisation des procédures de carte grise.
Mme Amélie de Montchalin - C'est un excellent sujet où nous essayons de trouver une solution pour les personnes qui présentent des cas particuliers, « qui ne rentrent pas dans les cases ». Nous sommes ici également dans le sujet de la « ré-humanisation », celui de remettre de l'intelligence humaine dans le traitement des dossiers. Pour environ 20 % des personnes, leur situation n'a pas été pensée, et souvent en réaction elles interpellent leurs élus. Nous sommes dans une telle situation.
Par la numérisation, nous devons simplifier la vie de 80 % des personnes qui sont un cas typique. Pour les autres, il faut inventer une voie de recours, et la crise liée à la Covid-19 a justement obligé à trouver de nouvelles solutions. Cela fait partie de mes chantiers de numérisation.
Mme Françoise Gatel, présidente, - Le cas particulier de cette personne ne concerne pas un citoyen qui ne connaît pas les sujets numériques, et il s'interroge justement sur l'utilité de ces nouvelles formalités.
Je souhaite vous remercier au nom de tous mes collègues. Nous partageons votre pugnacité sur ce sujet et vous saurez toujours nous trouver à vos côtés dans un esprit d'exigence et contributif. Nous devons répondre collectivement à l'exigence d'efficacité de nos concitoyens.
Mme Amélie de Montchalin ministre - Je souhaite vous retrouver bientôt. Je vous tiendrai informés des évolutions, et je vous demanderai aussi du soutien.
Utilisez ce « Baromètre des résultats » régulièrement mis à jour qui doit être un outil vivant.
Je vous remercie.
La séance est levée à 11 heures 15.