Mardi 6 avril 2021
- Présidence de M. Pierre Cuypers, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Table ronde avec les professionnels de la recherche agronomique
M. Pierre Cuypers, président. - Mes chers collègues, merci de votre présence. Notre mission d'information poursuit aujourd'hui son cycle de réunions plénières, avec une nouvelle table ronde, réunissant cette fois plusieurs experts et scientifiques reconnus en matière de recherche agronomique. Il s'agit pour nous d'aborder un nouveau volet, absolument capital, de la problématique de la méthanisation. Nous compléterons ainsi très utilement les premiers enseignements que nous serons amenés à tirer, d'une part, des nombreuses auditions organisées avec le rapporteur et, d'autre part, de nos trois précédentes tables rondes en format plénier. Nous avons, vous vous en souvenez, déjà mené à bien des échanges de vues approfondis avec les professionnels des énergies renouvelables, avec les industriels du secteur gazier, ainsi qu'avec les syndicats agricoles.
Permettez-moi également, avant d'accueillir nos hôtes, d'aborder quelques instants l'organisation de nos travaux à venir. Nous avons programmé, pour le 12 mai prochain, une audition conjointe des ministres de la transition énergétique et de l'agriculture. En accord avec notre rapporteur Daniel Salmon, nous ajouterons une seconde réunion plénière dans le courant du mois de mai, à une date que nous vous communiquerons très prochainement. Nous souhaitons, en effet, prendre le temps d'un long échange de vues entre nous, mes chers collègues, pour faire un premier point sur nos travaux et connaître vos observations.
J'en viens désormais à notre table ronde de ce jour. En votre nom, j'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue au Sénat à M. Nicolas Bernet, directeur de recherche et directeur du laboratoire de biotechnologie de l'environnement (LBE) et Mme Sabine Houot, directrice de recherche à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), à M. Marc Dufumier, agronome, à M. Philippe Pointereau, directeur du pôle environnement de Solagro, à M. Jean-Pierre Jouany, ancien directeur de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique et à M. Pierre Aurousseau, professeur de sciences de l'environnement à Agrocampus Ouest.
La durée prévisionnelle de nos échanges serait d'environ deux heures. Notre réunion va être captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande. Je cède désormais la parole à notre rapporteur Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon, rapporteur. - Merci Monsieur le Président. Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, en accord avec le président Cuypers, je vous propose, comme nous l'avons déjà fait précédemment, d'organiser notre réunion d'aujourd'hui, d'une durée de deux heures maximum, en trois séquences selon le schéma suivant : d'abord environ 40 minutes de libre avant-propos pour tous nos interlocuteurs, puis 40 autres minutes pour les réponses aux questions du président et du rapporteur, et enfin 40 dernières minutes pour les questions des autres sénateurs et sénatrices, de façon à ce que chacun puisse s'exprimer.
Plus précisément, nous souhaiterions que nos échanges de vues s'articulent, autant que possible, autour des trois grands thèmes suivants : premièrement, que pensez-vous de la valeur agronomique du digestat ? Deuxièmement, quelle est votre opinion sur les conséquences des différents modes de méthanisation quant à l'évolution des sols ? Troisièmement, que pensez-vous de l'impact des modes de méthanisation, en termes de rotation des cultures et d'évolution des pratiques agricoles ?
Je rebondirai librement sur vos propos, Mesdames et Messieurs, par un jeu de questions spontanées, à l'instar du président Cuypers et de mes collègues sénateurs qui se livreront, eux aussi, à ce dialogue dynamique.
Pour ne pas dépasser, au total, 40 minutes de propos introductifs, M. Nicolas Bernet et Mme Sabine Houot pourraient se partager 10 minutes pour le compte de l'INRAE, puis nos quatre interlocuteurs suivants disposeraient de 7 minutes chacun.
J'ajoute que nous avons adressé à chacun d'entre vous, au préalable, un questionnaire écrit détaillé. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous le retourner, d'ici une quinzaine de jours, en ayant complété avec les éléments écrits que vous jugerez utiles. Le questionnaire est très large : vous ne répondrez peut-être pas à toutes les questions, mais au moins à celles qui concernent plus particulièrement votre partie. Pour compléter notre information, à la suite de notre échange de vues de cet après-midi, nous examinerons attentivement vos réponses écrites.
Pour conclure ce bref propos introductif, permettez-moi d'attirer votre attention sur quelques questions précises : quels sont les impacts du réchauffement climatique sur les cultures et les pratiques agricoles que vous pouvez noter dès aujourd'hui et comment les voyez-vous pour demain ? Qu'en est-il du bilan énergétique du processus de méthanisation ?
Avec mes 21 collègues de la mission d'information, nous cherchons collectivement à établir un travail solide, étayé sur des éléments rationnels et scientifiques. Nous avons également pu mesurer, dès nos premières auditions, le défi de l'acceptabilité sociale. S'y ajoute une opposition tranchée entre les tenants d'une méthanisation espérée comme « idéale », et les opposants à une méthanisation perçue comme « cauchemardesque ».
Mesdames et Messieurs, voici nos principales attentes : la rationalité et les approches scientifiques !
M. Nicolas Bernet, directeur de recherche à l'INRAE et directeur du laboratoire de biotechnologie de l'environnement (LBE). - Je vous remercie de nous donner l'occasion de participer à cette table ronde. Je précise tout d'abord que l'INRAE résulte de la fusion, en 2020, de deux instituts de recherche : l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA). Cette fusion nous a permis de renforcer la recherche sur la thématique de la méthanisation, sur laquelle travaillaient déjà des laboratoires dans les deux anciens instituts.
Le document « INRAE 2030 », fournissant les perspectives de recherche et les orientations scientifiques du nouvel Institut à dix ans, en constitue une illustration. Parmi ces cinq orientations, l'une est intitulée « une bioéconomie basée sur une utilisation sobre et circulaire des ressources », dans laquelle la méthanisation rentre pleinement, avec notamment des approches des problématiques sur les cycles du carbone, de l'azote et du phosphore dans les écosystèmes terrestres. S'y ajoute la question du traitement et des usages des biomasses, co-produits, eaux usées et résidus organiques. Cela témoigne de notre fort intérêt pour le sujet. Je commencerai par vous présenter la partie « amont » qui concerne les procédés, et ma collègue Sabine Houot poursuivra avec la valorisation agronomique des digestats.
Je suis directeur d'un laboratoire qui travaille sur la méthanisation, et plus généralement, sur la valorisation des déchets et des résidus organiques, également appelée « bio-raffinerie environnementale ». La méthanisation est intégrée à cette approche. L'idée consiste à donner de la valeur aux déchets, que l'on veut désormais considérer comme des ressources. Ainsi, la fermentation de ces ressources pour produire, non pas du méthane mais de l'hydrogène, représente un exemple de procédé intéressant pour l'avenir. Si ce sujet n'est pas aussi mûr que la méthanisation, nous y travaillons.
Même si la thématique de la méthanisation est considérée comme « mature », des sujets de recherche, en particulier sur l'amélioration des procédés, demeurent. La méthanisation a beaucoup évolué depuis vingt-cinq ans. Elle était à l'époque principalement utilisée pour traiter des effluents agroalimentaires et les boues de stations d'épuration, mais on se pose désormais des questions de valorisation énergétique, de conversion de biomasse pour faire de l'énergie.
Les procédés et les recherches évoluent. On travaille ainsi sur la méthanisation en voie sèche, ou voie solide. Elle se distingue de celle qui est la plus utilisée aujourd'hui : la méthanisation en voie humide, c'est-à-dire en milieu liquide. L'intérêt de la méthanisation en voie sèche repose sur le fait que, lorsque l'on doit méthaniser des biomasses et qu'on n'a pas d'effluents liquides en guise de co-produits, on peut le faire sans avoir à ajouter d'eau. La technique est proche du compostage, mais en conditions anaérobies et en milieu fermé.
La question des digestats représente également un sujet très important, à l'interface des procédés et de l'agronomie. Jusqu'à ces dernières années, on travaillait la méthanisation essentiellement pour valoriser les biomasses sous forme de biogaz. La question des digestats est désormais centrale, car le digestat est le produit principal de la méthanisation. Si on raisonne en termes de masse, l'essentiel de ce qui rentre dans un méthaniseur ne ressort pas sous la forme de biogaz, mais sous celle d'un digestat. Il y a quelques années, nous avons recruté une chercheuse pour travailler sur cette thématique et faire le lien entre le procédé, le digestat et sa valorisation. On se penche sur le procédé et les intrants - qu'on rentre dans le méthaniseur - pour jouer sur la qualité de ce digestat. Ce dernier reflète la qualité de ce qu'on met dans le méthaniseur.
Je voulais également aborder un dernier point préliminaire : la méthanisation est l'un des trois procédés destinés à produire du « gaz vert », en remplacement du gaz fossile.
La méthanisation à l'horizon 2050 pourrait ainsi produire environ 30 % de ce gaz vert, les 70 % restant étant produits par pyrogazéification - procédé thermochimique qui utilise plutôt des biomasses sèches comme le bois - et par méthanation - le power-to-gas, qui vise à transformer l'hydrogène et le CO2 en méthane. On travaille également sur ces procédés et sur leur couplage avec la méthanisation.
Ma collègue Sabine Houot peut désormais compléter mon intervention, par un éclairage sur le digestat et sur la valorisation agronomique.
Mme Sabine Houot, directrice de recherche à l'INRAE. - Merci de nous proposer d'intervenir pour présenter nos travaux sur la méthanisation. Je suis directrice de recherche à l'INRAE dans l'UMR (unité mixte de recherche) ÉcoSys. Nous travaillons sur le fonctionnement des agrosystèmes en interaction avec leur environnement, qu'il soit biotique ou abiotique, en utilisant les leviers de l'agroécologie. Ces leviers visent à optimiser le fonctionnement des agrosystèmes, à maximiser leurs services rendus et à minimiser les impacts, tels que les émissions de gaz à effet de serre (GES), la volatilisation d'ammoniac, la contamination des sols, etc.
Nous avons quatre grands thèmes structurants d'étude. L'un est le recyclage des biomasses en agriculture. Le deuxième porte sur l'atténuation et l'adaptation au changement climatique via le stockage de carbone ou la limitation des émissions de GES. Le troisième thème relevant de notre unité porte sur le flux et le devenir des contaminants dans l'environnement, qu'il s'agisse de contaminants gazeux ou chimiques. Nous travaillons ainsi beaucoup sur les pesticides et les résidus pharmaceutiques qui peuvent exister dans les biomasses recyclées. Notre quatrième thème d'étude est constitué par la biodiversité et son intérêt, pour oeuvrer à la résilience des agrosystèmes.
Nous travaillons depuis de très nombreuses années sur le recyclage de biomasse en agriculture, qui fait partie de l'économie circulaire. Cela permet de « boucler » les cycles entre le fonctionnement anthropique et l'agriculture, mais aussi dans l'agriculture elle-même avec le recyclage des effluents d'élevage. Depuis une dizaine d'années, on travaille sur les digestats, qui suscitent un intérêt croissant. On s'intéressait auparavant surtout à la production de biogaz. On se penche désormais de plus en plus sur le digestat, de même que sur la maîtrise de ses effets sur l'environnement.
La méthanisation se développe très fortement dans le milieu agricole, avec des intrants de nature diverse. Un de nos principes, dans les études des effets du recyclage de biomasse en agriculture, consiste à relier tout ce que l'on peut observer au sein des agrosystèmes au contenu et à la qualité de ce que l'on y apporte. Pour cela, il est important de relier les caractéristiques des matières qu'on épand - ici les digestats - aux intrants en amont et à l'origine des produits : d'où viennent ces matières recyclées et quel procédé leur est appliqué avant leur recyclage ?
Avec le soutien de ma collègue Julie Jimenez, nous avons énormément travaillé avec les agriculteurs sur la qualification de leurs digestats. Pour cela, on a cherché, avec eux, à faire le lien entre les intrants dans leurs méthaniseurs et leurs caractéristiques. On a construit une typologie de ces digestats pour relier leur intérêt agronomique avec les intrants. On voit bien le poids que peut avoir la nature de l'effluent d'élevage rentrant dans le méthaniseur sur la qualité du digestat qui en sort. Sont à cet égard importants non seulement les intrants, mais aussi les post-traitements à l'issue de la méthanisation, en particulier la séparation des phases. Celle-ci consiste, lorsqu'il s'agit d'un procédé en voie humide, à séparer la phase liquide de la phase solide. On obtient deux produits issus du méthaniseur.
Au cours de la méthanisation, toute la matière organique est transformée en biogaz : le carbone devient du biogaz, et il reste une partie de ce carbone dans le digestat. En revanche, l'azote est transformé et minéralisé au cours de la méthanisation. Cet azote passe sous forme minérale, et est directement assimilable par les végétaux. La matière organique se transforme donc en un mélange très riche en éléments fertilisants directement assimilables par les végétaux, en particulier l'azote. La matière organique résiduelle se stabilise au cours de la méthanisation. Le second intérêt agronomique des digestats est de contribuer à entretenir les stocks de matière organique dans les sols.
Les digestats présentent donc un double intérêt : un effet fertilisant direct, associé à cet azote minéral présent en grande quantité, et un intérêt amendant, c'est-à-dire lié à l'entretien des stocks de matière organique dans les sols.
Cet azote se présente malheureusement sous forme ammoniacale. C'est un élément très réactif, très mobile, et qui peut se volatiliser. L'enjeu consiste à ne pas perdre cet azote par volatilisation et à le maintenir dans le sol, pour que les cultures puissent effectivement être valorisée de la sorte. Il s'agit de bien recycler ces digestats sur les sols agricoles, pour limiter le plus possible les risques de volatilisation. Des techniques d'enfouissement des digestats dans les sols et d'apport, directement en enfouissement, permettent de garder cet azote et de le valoriser dans les cultures.
S'y ajoute un élément important. En effet, la méthanisation a commencé par se développer chez les agriculteurs éleveurs. Les effluents d'élevage à leur disposition avaient un nouvel intérêt économique : ils permettaient de produire du biogaz par la méthanisation, avant d'être restitués au sol pour la fertilisation.
La méthanisation se développe désormais également chez les agriculteurs qui n'ont pas d'élevage et qui valorisent, dans leur méthaniseur, des cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE). Dans ces méthaniseurs, l'utilisation des cultures principales est interdite, mais celle des cultures intermédiaires, qu'on appelle « multiservices », est autorisée. Le fait qu'elles soient implantées entre deux cultures principales permet d'optimiser leur exploitation, à travers le stockage de l'azote minéral dans le sol sous forme de culture et la valorisation de cet azote minéral résiduel. Cela va permettre d'introduire du carbone dans les sols via ces cultures intermédiaires et de produire de la biomasse pour aller vers les méthaniseurs. L'enjeu ici consiste à bien maîtriser les pratiques des cultures intermédiaires, pour s'assurer de leur intérêt en termes de production de biomasse, tout en limitant les risques qui pourraient être associés à leur intensification et à leur impact sur le rendement des cultures principales.
M. Marc Dufumier, agronome, professeur émérite à AgroParisTech. - Je suis agronome et retraité depuis dix ans. J'étais auparavant professeur à AgroParisTech et je continue d'enseigner un peu aujourd'hui. Ma chaire s'intitulait « Agriculture comparée » : on y étudie les systèmes de production davantage que la valorisation de leurs produits.
Sur la question du méthane et des digestats, je m'intéresse à certaines publications depuis les dix dernières années, y compris celles des collègues de l'INRAE, qui recouvrent des analyses de cycle de vie, ainsi que des évaluations faites suivant différents critères. Ces critères sont, tout d'abord, monétaires - le biogaz peut induire une baisse du gaz naturel importé et contribuer au revenu national net -, énergétiques, ensuite - combien d'énergie notamment fossile cela consomme et économise en joules ou en calories - et, enfin, en termes de contribution au réchauffement climatique équivalent carbone - c'est-à-dire en quoi la méthanisation et l'utilisation des digestats contribuent à atténuer, ou au contraire éventuellement, à renforcer le réchauffement climatique.
J'observe dans mes lectures que les évaluations sont souvent des analyses de cycle de vie par filière : on regarde depuis très loin en amont combien ça a coûté en valeur monétaire, en énergie fossile, ou en contribution au réchauffement climatique, jusqu'au produit fini en aval - ici le méthane et le digestat - et on en fait l'addition tout au long de la filière.
Toutefois, selon moi, on oublie souvent les effets collatéraux en agriculture. Imaginez une CIVE de type légumineuse. Elle peut rendre des services écosystémiques : c'est le côté positif qu'on peut évaluer. Mais l'autre question consiste à se demander à quoi auraient pu être utilisés ces « engrais verts ». N'y a-t-il pas au fond un coût à les employer à faire du méthane et non pas à les enfouir comme un engrais vert ? On me dit que le digestat contribue à la formation de matière organique. C'est très juste : des éléments de lignine restent dans la partie solide du digestat et peuvent contribuer à accroître la matière organique. Mais n'y aurait-il pas eu plus de matière organique qui aurait contribué davantage aux taux d'humus dans les sols avec les produits en question ? Cela peut être les cultures à haute valeur énergétique. La réponse serait plutôt non. Quand on utilise l'épaille d'un effluent d'élevage, il apparaît que le carbone d'épaille contribue considérablement à entretenir le taux de matière organique.
Je réfléchis donc sur les coûts d'opportunité. D'abord le coût d'opportunité de terrain : ne risque-t-on pas d'avoir un jour du méthane et des digestats produits avec de l'agriculture principale, ou même des cultures alimentaires ? Ne serait-ce pas un manque ? Il y a aussi un coût d'opportunité du carbone, CO2 et CH4, du biogaz. De même pour l'azote : une légumineuse d'un méteil peut contribuer à fertiliser le sol en azote, y compris dans un premier temps par la voie organique avec une redistribution par la pente un peu plus lente que le digestat. Mais il s'agit d'un coût. Je lis peut-être mal les revues scientifiques, mais je regrette, dans l'analyse, cette absence de la prise en compte du coût d'opportunité des terrains, du carbone et de l'azote.
Ce dont on parle, depuis l'agriculture jusqu'aux processus de valorisation des produits et des co-produits, c'est de la gestion d'un rapport « carbone sur azote » (C/N). Quand on mélange du carbone et de l'azote sous différentes formes, comment l'un et l'autre vont-ils se décomposer, et cela entraînera-t-il pas une augmentation du taux d'humus des sols ? Cette dernière question est très préoccupante en Bretagne. Autrefois, avec les prairies permanentes, le taux d'humus était considérable, car le mélange du ray-grass, plutôt carboné, et du trèfle blanc, plutôt azoté, contribuait à l'accroître. Aujourd'hui, entre les modalités d'élevage avec des tourteaux de soja importé et du maïs ensilage, et la valorisation du coût des effluents sous d'autres formes que réintégrés directement dans le sol, je ne m'y retrouve pas : il y a beaucoup d'oublis.
J'ai parlé des effets collatéraux. Je souhaite maintenant élargir le sujet. En effet, quand on parle de biogaz, on parle d'énergie. Tout nous vient de l'énergie solaire. La nation française doit se poser la question de son meilleur usage. On peut faire du bois, de l'énergie alimentaire, des agrocarburants, de l'éthanol, de l'agrodiesel, ou encore du méthane. Imaginez une prairie temporaire riche en plantes légumineuses, composée de microbes qui aident à intercepter l'azote de l'air et à fabriquer des protéines, avant que cela se décompose. Imaginez qu'on remette de l'élevage dans le bassin parisien. Cette prairie temporaire va fixer du carbone dans les sols, servir à l'élevage, peut-être qu'une partie de cet azote sera l'urine des vaches qui servira ultérieurement à du digestat. Mais cet azote n'aurait-il pas été plus utile à fertiliser la betterave qui viendra ensuite dans la rotation ? On doit apprécier les rotations de culture, les assolements dans l'espace, la répartition territoriale des différentes cultures. C'est à cette échelle-là qu'on peut savoir quel est le meilleur usage qu'on peut faire de l'énergie solaire en France.
Je ne sais pas si l'INRAE va répondre, mais ma thèse, inaudible il y a dix ans, est la suivante : je pense que retrouver notre souveraineté protéinique - fabriquer en France des protéines françaises, avec des légumineuses françaises, sur le territoire français, pour nourrir des animaux français qui ne le soient plus avec du tourteau de soja importé - passe par l'utilisation d'une betterave fertilisée avec de l'azote dans la rotation et non avec des engrais de synthèse azotés très coûteux en énergie fossile. Je pense que c'est le premier usage, le plus urgent, en termes de souveraineté énergétique de la France, avant le méthane, l'agrodiesel et l'éthanol. Il faudrait ainsi réintégrer les légumineuses dans nos rotations à échelle de 1,8 million d'hectares. C'est indispensable pour être moins dépendants des énergies fossiles importées de l'étranger.
M. Philippe Pointereau, directeur du pôle environnement de Solagro. - Je vous remercie pour cette invitation. Je suis agronome, cofondateur de l'association Solagro depuis 1981. Cela fait quarante ans que je m'intéresse aux énergies renouvelables, et notamment au méthane. J'ai été également pendant dix-sept ans administrateur à France Nature Environnement (FNE) : c'est vous dire l'intérêt que je porte aux questions environnementales. D'ailleurs, je suis intervenu au Sénat il y a déjà trente-cinq ans, sur les questions de forêt, dont j'avais la charge à FNE.
Au préalable, je vous présenterai, en quelques mots, ma perception de la question de la méthanisation. Elle est liée, d'une part, à ce que j'ai pu en voir en Chine, d'autre part, à un agriculteur qui s'appelait Maurice François et qui habitait en face de la centrale de Creys-Malville, ce fameux surgénérateur très coûteux qui n'a jamais fonctionné. Pour montrer qu'on pouvait faire autre chose que du nucléaire, il avait installé une installation de biogaz. À Solagro, nous situons clairement la méthanisation dans une stratégie à long terme de sortie des énergies fossiles et du nucléaire d'ici 2050. La méthanisation n'est pas, pour nous, la « ferme des mille vaches », bien au contraire.
Nous avons une vision globale de la transition agroécologique. Elle suppose de sortir le plus rapidement possible des pesticides, et d'aller vers une agriculture biologique à bas niveau d'intrants qui s'adapte au changement climatique et restaure la biodiversité. C'est notre scénario « After 2050 », couplé au scénario Négawatt, qui propose une transition alimentaire vers un régime plus végétal et plus biologique, une réduction des cheptels de 30 à 50 % pour atteindre l'objectif de réduction par deux des GES en agriculture, ainsi qu'une diminution des élevages les plus intensifs.
Nous recherchons donc une approche globale et systémique. Nous ne sommes pas intéressés par le biogaz pour lui-même, mais en tant que composante insérée dans une stratégie globale de transition énergétique, nutritionnelle et agroécologique. Nous recherchons des solutions à bénéfices multiples, et on pense que le biogaz y a totalement sa place.
Notre modèle est la méthanisation collective, ce qui n'empêche pas la méthanisation individuelle. Sur la base d'un méthaniseur pour 3 ou 4 communes en France, on prévoit environ 9 000 méthaniseurs, qui permettraient de mieux gérer tous les co-produits de l'agriculture, donc toutes les déjections d'élevage. Je note d'ailleurs ici que notre scénario prévoit une diminution de l'élevage, dont on souhaite qu'il utilise, pour les ruminants, beaucoup plus de pâturages, ce qui générerait une baisse des déjections dans les étables.
Le but consiste aussi à diversifier les rotations et à couvrir les sols. En cela, la méthanisation est intéressante dans l'appui qu'elle peut apporter à la généralisation des cultures intermédiaires à vocation énergétique CIVE et des couverts. Selon les dispositions de la directive « nitrates » (91/676/CEE) du 12 décembre 1991, ceux-ci devraient être obligatoires dans toutes les zones vulnérables depuis longtemps. Or des dérogations sont malheureusement fort nombreuses. Alors que le septième plan de mise en oeuvre de la directive nitrates va intervenir, on est donc toujours incapables de bien gérer l'azote.
Nous proposons une meilleure gestion de la matière organique, voire le recyclage d'une partie de la matière organique dans l'agriculture, avec les déchets organiques. Le but recherché ici consiste également à mieux gérer collectivement l'épandage des digestats. Cette gestion collective permet d'organiser une compensation entre des fermes qui auraient plus besoin d'azote et d'autres qui en auraient trop. Nous travaillons sur cette solution avec des syndicats d'eau potable, notamment celui de Charente-Maritime. Aujourd'hui, dans plusieurs projets, la méthanisation apparaît comme l'une des réponses possibles au problème de pollution par les nitrates et les pesticides. Je citerai, à ce titre, un gros projet qui fonctionne à Évian, et un autre en construction sur Cholet visant à améliorer la qualité des eaux.
Un projet collectif permet d'intégrer les petites exploitations, de sorte que la méthanisation ne soit pas réservée exclusivement aux grosses installations. Cela doit permettre de gérer la sur-fertilisation. Dans le programme de recherche MéthaLAE, financé dans le cadre du compte d'affectation spécial au développement agricole et rural, les résultats d'un suivi d'une quarantaine d'exploitations témoignent ainsi d'une économie de 20 % d'azote et une diminution des surplus azotés.
La méthanisation collective permet enfin de partager les compétences techniques nécessaires à la gestion de la fermentation et de certaines machines.
Au total, les atouts sont nombreux. Les couverts protègent les sols, évitent la perte de phosphore et permettent de mieux gérer l'azote. Cela signifie qu'il faut bien épandre les digestats, c'est-à-dire les enfouir pour éviter toute perte d'azote. Comme l'a dit Marc Dufumier, l'objectif pour nous est de largement développer les légumineuses. Mais la méthanisation ne détruit pas l'azote : au contraire, elle le stocke et permet de le réutiliser comme fertilisant. Cela peut aussi être une source de diversification des exploitations agricoles et de création de revenus. La perte d'environ 9 000 exploitations par an n'est pas tenable. Le développement des énergies renouvelables dans l'agriculture, comme d'autres formes de valorisation - comme la transformation, ou les produits de qualité - est susceptible de créer beaucoup d'emplois. L'estimation est de 50 000 pour la filière biogaz.
Je finis mon propos par la question des cultures dédiées. Leur utilisation est autorisée à hauteur de 15 % du tonnage du digesteur. L'objectif dans notre scénario n'est pas de les utiliser pour la méthanisation, mais de se servir de tous les co-produits ou sous-produits de l'agriculture, comme les déjections et les couverts. Les cultures dédiées pourraient participer à hauteur d'un pourcentage minime, pour éventuellement former des stocks. Avec l'impact du réchauffement climatique, on imagine que l'on pourrait utiliser de l'herbe pour la méthanisation, les années où sa production est forte, afin d'assurer, dans les exploitations d'élevages, des stocks importants pour des années de sécheresse.
Voilà pourquoi nous travaillons depuis une quarantaine d'années sur ce sujet, qui progresse désormais rapidement. L'objectif consiste à « tenir » l'objectif de l'Accord de Paris sur le climat adopté le 12 décembre 2015, à savoir de sortir rapidement des énergies fossiles et de rester sous la barre des 1,5°C en termes de réchauffement climatique. L'enjeu apparaît considérable, si l'on considère les niveaux actuels des émissions et de la consommation d'énergie fossile. Nous visons aussi la sortie du nucléaire, qui est un désastre dans certains pays comme le Japon ou l'Ukraine, et où on ne voit pas vraiment de solution à long terme. En revanche, avec la méthanisation, on peut avoir une énergie parfaitement renouvelable, qui, couplée aux autres énergies comme le photovoltaïque ou l'éolien, pourrait nous mener vers un scénario totalement renouvelable. Pour nous, l'utilisation du biogaz serait tournée avant tout vers les carburants : cela consisterait notamment à utiliser le biogaz carburant (bioGNV) pour les bus et les camions. Et l'atout du biométhane réside dans la possibilité d'assurer le stockage sous-terrain d'une année de production.
Voilà en résumé l'intérêt que nous portons au biogaz et à la méthanisation en France, dans une perspective agroécologique.
M. Jean-Pierre Jouany, ancien directeur de recherche à l'INRA. -Je remercie la mission d'information du Sénat de m'avoir invité à participer à cette table ronde. J'ai un profil distinct par rapport à celui de mes collègues. Je ne suis pas agronome : je ne vous apporterai donc que peu de choses sur les aspects sols et digestats. Je suis ingénieur chimiste et maître ès sciences physiques et titulaire d'une thèse d'État en biologie.
J'ai fait ma carrière de chercheur à l'INRA de 1968 à 2008, date à laquelle je suis parti à la retraite. Je souhaite également préciser que je n'ai aucun conflit d'intérêts avec le sujet de la méthanisation. Pourquoi m'y suis-je intéressé une fois à la retraite ? L'essentiel de mon activité à l'INRA portait sur l'étude des fermentations digestives chez les ruminants. Les vaches polluent, car elles émettent du méthane. J'ai beaucoup travaillé sur la production de méthane chez les ruminants et l'objectif qui m'était assigné à l'époque consistait à en réduire le niveau, car elle était considérée comme une perte pour le rendement énergétique des animaux. Au cours de ces années de travail, j'ai réalisé des mini fermenteurs qui simulaient le fonctionnement du rumen des vaches, à l'aide desquels on pouvait faire des bilans précis des quantités de carbone, d'azote et autres, qui rentraient dans le système et en sortaient. On a ainsi établi des équations de fermentation, des équations quantitatives, avec telle quantité de matière organique qui rentrait dans le système rumen, et telle quantité qui en sortait sous forme de gaz, d'acides gras volatils et de protéine microbienne.
Une fois à la retraite, la méthanisation m'a tout de suite intéressé. Je travaille à titre personnel et seul sur ce sujet. J'ai ensuite rencontré d'autres collègues dans une situation similaire à la mienne, avec qui nous avons formé un groupe informel.
Avec le recul dont je dispose, je me pose de nombreuses questions sur les allégations avancées par les promoteurs de la méthanisation. Je vais sans doute être le « vilain petit canard » de votre table ronde : en effet, au regard de certains propos que j'ai entendus, je vais vraisemblablement contrarier certains collègues !
Moi qui suis chimiste et physicien, je considère que produire de l'énergie à partir de déchets est une gageure. On peut difficilement produire de l'énergie à partir des produits dont l'énergie interne est très faible. C'est le cas d'un déchet, qui n'a, par définition, pas d'utilisation. Or pour produire du méthane, deux conditions essentielles doivent être réunies : il faut qu'il y ait beaucoup de carbone - qui est la « charpente » du méthane - et qu'il soit facilement accessible et utilisable par les micro-organismes qui l'utilisent. Mais dans le lisier d'animaux, l'essentiel du carbone utilisable a été digéré dans le tractus digestif des animaux : ce qui en ressort n'est pas du carbone réellement disponible pour les micro-organismes. Le pouvoir méthanogène du lisier de porc est de 4 m3 par tonne de matière, alors que le chiffre pour l'ensilage de maïs atteint au moins 200 m3 par tonne. On voit bien une différence entre un intrant riche en carbone et en énergie et un déchet.
Je m'intéresse aussi aux émissions de gaz à effet de serre (GES). J'observe souvent que leur réduction figure parmi les avantages attribués à la méthanisation. Nous avons fait des calculs relativement précis sur le sujet : je ne veux pas vous « abreuver » de chiffres, mais c'est une allégation fortement discutable. Si on compare uniquement l'étape de la combustion du biogaz avec celle du gaz naturel, étant donné que le biogaz, en plus du méthane, comprend, à la différence du gaz naturel, 40 % de CO2, le bilan est plus défavorable pour le premier que pour le second. Si vous y ajoutez à ce bilan toutes les étapes de culture, de culture dédiée, de collecte, de transport, de stockage, d'introduction dans les digesteurs, le coût énergétique du fonctionnement des digesteurs, la collecte des gaz, leur traitement, leur odorisation, leur compression et la cogénération, alors vous atteignez un coût énergétique très important. Au total, il est plus intéressant d'utiliser du gaz naturel que du biogaz.
Par ailleurs, le terme de « renouvelable » signifie pour moi : « inépuisable à l'échelle humaine ». Soutenir que le biogaz ou la méthanisation est une source d'énergie renouvelable ne correspond donc pas tout à fait à la réalité, à cause de la compétition qui existe pour l'utilisation des terres entre, d'une part, la production d'aliments pour l'homme et l'animal, et, d'autre part, la production de cultures pour la méthanisation. J'espère que la sagesse conduira à privilégier la mission première de l'agriculture, qui est de nourrir la population. Cela devrait donc se faire aux dépens des cultures dédiées à la méthanisation. Le jour où une concurrence vraiment très sévère aura lieu entre les deux, c'est normalement la production d'alimentation pour l'homme qui l'emportera sur la production d'énergie. Ce n'est donc pas vraiment durable.
Je suis également intéressé par la neutralité carbone du biométhane. Je voudrais citer ici une publication, faite en 2019, par le professeur Pierre Friedlingstein, à laquelle se sont associés quatre-vingts auteurs internationaux. Cette publication souligne que, lorsqu'on émet 100 unités de CO2 dans l'atmosphère - imaginons qu'il provienne de la combustion du biométhane et du CO2 qui se trouve dans le biogaz -, 45 unités restent définitivement dans l'atmosphère, 30 reviennent sur la Terre, et sur ces 30, un cinquième est fixé par la biomasse. Par conséquent, seulement 6 % du CO2 envoyé dans l'atmosphère est recyclé via la croissance végétale par la photosynthèse. Ce n'est donc pas vraiment neutre sur le plan du carbone. La neutralité signifierait qu'il y ait autant de CO2 fixé par la biomasse végétale que de CO2 envoyé dans le ciel par le processus de méthanisation.
On peut aussi discuter du taux de retour énergétique. Je n'ai pas trouvé de valeur, et je n'ai pu la calculer, car c'est trop complexe. Je me suis appuyé sur celui qui existe pour les biocarburants. La comparaison a été faite par M. Pointereau : le biogaz et les biocarburants sont fortement similaires. Le taux de retour énergétique, pour les biocarburants, est de l'ordre de 0,8 à 1,8. Cela signifie que pour produire 100 d'énergie, il faut dépenser presque 100 d'énergie. Le bilan énergétique est donc quasiment nul. Or l'énergie qu'on dépense pour produire cette énergie est fossile. Des questions très importantes doivent vraiment se poser à cet égard.
Un dernier point me préoccupe beaucoup. Quel est l'intérêt des agriculteurs dans cette affaire ? On est confronté à une forte technicité des installations, liée à la complexité biologique d'une aérobiose - les archées sont des micro-organismes relativement fragiles - et à la biotechnologie mise en place avec des systèmes de capteur. Je ne pense pas que ce soit facilement utilisable par les agriculteurs. Malheureusement, dans ces gros méthaniseurs destinés à produire de l'énergie, ce seront les énergéticiens et les biotechnologues qui « auront la main », et les agriculteurs seront des fournisseurs de matières premières pour alimenter ces méthaniseurs. Je vois même ces énergéticiens et biotechnologues essayer d'acquérir les terres pour maîtriser toute la chaîne, qui ira du champ jusqu'au méthane livré au consommateur. Je ne vois pas l'intérêt de l'agriculteur dans cette affaire, et je crains même qu'ils n'y perdent beaucoup.
M. Pierre Cuypers, président. - Merci. M. Aurousseau ne nous a pas encore rejoints, donc je vais tout de suite passer la parole à notre rapporteur. Les membres de notre mission auront ensuite tout le loisir de poser les questions qu'ils souhaitent.
M. Daniel Salmon, rapporteur. - Merci Monsieur le Président. Merci à tous les intervenants pour leurs explications. J'aimerais bien tirer au clair des questions qui nous animent depuis un moment. Vous y avez déjà partiellement répondu, mais il y a vraiment débat sur la valeur agronomique des digestats, puisqu'on entend tout et son contraire. Certains affirment qu'il n'y a pas de problème sur le rapport azote-carbone, que les sols se portent bien. On entend aussi dire exactement le contraire. On a du mal à se faire une idée sur le sujet. Quels sont ses apports ?
Vous avez parlé de l'azote sous forme ammoniacale. Quelle part reste vraiment dans le sol ? Les externalités positives et négatives du digestat sont en question.
Vous avez également abordé la question de l'opportunité de la méthanisation et de l'occupation des sols. La méthanisation correspond-elle à l'utilisation optimale du sol ? Je sais également que cette utilisation peut varier dans le temps. Je parle donc plutôt d'aujourd'hui, mais on peut se projeter dans dix à quinze ans. Quelle est vraiment la meilleure utilisation ?
La question de l'apport net en énergie a été évoquée. Là aussi, les avis divergent. En comptabilisant l'énergie nécessaire à tous les intrants et à toutes les cultures, et l'énergie que l'on récupère en bout de course, quel est le bénéfice net ? En définitive, c'est cela qui est intéressant dans notre stratégie nationale bas carbone.
Dernière question : celle des CIVE. L'effet méthanogène du lisier est très faible, donc on incorpore des cultures dédiées à hauteur de 15 % au maximum ainsi que des CIVE. Est-ce que le fait d'introduire des CIVE dans le méthaniseur correspond à leur rôle, qui était de couvrir le sol, d'éviter l'érosion du sol et surtout de capter l'azote du sol et éviter qu'il ne ruisselle jusqu'à la mer ? Je pense ici naturellement au cas de la Bretagne. La méthanisation ne va-t-elle pas entraîner une certaine dérive des CIVE avec la nécessité de les intensifier ? La question se pose aussi de leurs apports dans les rotations agricoles : ne va-t-on pas « percuter » un certain rythme de rotation ?
M. Pierre Cuypers, président. - On va rester neutre géographiquement, et on va passer la parole à l'INRAE.
Mme Sabine Houot. - Je me propose de vous répondre sur l'intérêt agronomique des digestats. La transformation des matières organiques dans les méthaniseurs conduit à la stabilisation d'une matière organique résiduelle et à une transformation de l'azote, sous forme largement minérale, dans le digesteur à la « sortie » de la méthanisation. Cette forme minérale est directement assimilable par les cultures. On peut calculer des coefficients « équivalent-engrais » et faire la correspondance entre un engrais minéral classique et l'azote, contenu dans une matière organique qu'on veut recycler. Pour les digestats, ces coefficients équivalent-engrais vont de 60 à 80 %, à peu près. Ainsi, 100 kg d'azote d'un digestat sont équivalents à 60 à 80 kg d'azote d'un engrais minéral. La valeur fertilisante azotée est donc très élevée. On peut substituer une grande quantité des engrais minéraux par cet azote des digestats.
Le risque à maîtriser dans la fertilisation avec ces digestats est celui de la volatilisation. Cet azote est largement sous forme ammoniacale. La volatilisation de l'ammoniac est un phénomène physico-chimique qui se passe à l'interface entre le sol et l'atmosphère. Si le digestat reste en surface du sol, le risque de volatilisation de l'ammoniac est élevé. Ce risque existe aussi pour les engrais minéraux.
L'agriculteur sait qu'il doit enfouir son digestat, ne pas l'apporter en cas de chaleur et de vent en raison de ces risques de volatilisation. Il peut choisir une période où il ne fait pas trop chaud, où l'on sait qu'il va pleuvoir dans les heures qui suivent, ce qui va permettre la pénétration du digestat à l'intérieur du sol.
La technicité de l'apport des digestats se développe et fait l'objet de recherches, en particulier avec les collègues de l'ex-IRSTEA. Des techniques permettent d'apporter le digestat en enfouissant dans le sol le liquide, ce qui limite les risques de volatilisation. D'autres recherches portent sur le « post-traitement » du digestat - on peut vouloir l'acidifier ou le nitrifier - ou sur la conversion de la forme d'azote vers une forme où la perte serait minimisée.
En ce qui concerne le carbone dans les digestats, ainsi que le bilan carbone évoqué Marc Dufumier se pose la la question du carbone mis dans le méthaniseur : est-ce autant de carbone qui ne retourne pas au sol ? Des travaux ont montré que, quand une biomasse végétale est enfouie directement, une certaine quantité de carbone reste dans le sol. Quand cette biomasse végétale est méthanisée avant de l'apporter au sol, ou qu'un fourrage est donné à des animaux et qu'ensuite le fumier ou les effluents d'élevage sont recyclés, le bilan carbone ou la quantité de carbone qui restent dans le sol sont exactement les mêmes. Le carbone rapidement biodégradable part sous forme de biogaz dans le méthaniseur, ou sous forme de CO2 quand le carbone est enfoui dans le sol. Au total, la quantité de carbone est la même, qu'il y ait méthanisation ou pas.
De nombreux chercheurs travaillent sur la question demeurée en suspens : ce carbone, s'il est déjà transformé et stabilisé par une activité biologique qui a eu lieu dans le méthaniseur, permettra-t-il, une fois apporté dans le sol, de maintenir sa bonne incorporation à la matière organique du sol ? Restera-t-il le « moteur » de la biologie du sol ? Divers travaux se proposent d'approfondir cette question. Ils portent davantage sur l'effet sur la biologie du sol que sur l'effet du carbone dans le sol.
M. Philippe Pointereau. - Tout d'abord, il convient de rappeler que l'enfouissement des digestats est obligatoire : il s'agit d'une obligation réglementaire, limitant la volatilisation. Dans le programme de recherche MéthaLAE, une économie d'environ 20 % d'azote chimique a été constatée dans les 40 exploitations agricoles suivies. La gestion des matières organiques via la méthanisation contribue à mieux gérer l'azote organique et a pour effet de diminuer l'azote chimique et les surplus. La question des surplus d'azote, très présents en Bretagne et ailleurs, se pose depuis 1991. Elle n'a rien à voir avec la présence, ou l'absence de biogaz. On constate toujours une sur-fertilisation et une mauvaise gestion de l'azote, et notamment des couverts qui, certainement, ne sont pas pris en compte car ils sont en quasi-totalité obligatoires. Pourtant, le sixième programme de mise en oeuvre de la directive « nitrates » vient de prendre fin et un septième va débuter. On peut d'ailleurs même se demander si on ne va pas arriver, de la sorte, au quarantième programme dans les années 2050 !
D'une façon générale, régler le problème de l'azote apparaît impossible, faute de faire un bilan consolidé. La directive « nitrates » n'a jamais réussi à l'imposer aux agriculteurs, pour permettre d'apprécier si l'azote retenu par les couverts a vraiment été pris en compte dans les bilans azotés - ce qui a priori n'est pas le cas. Je pense que les sénateurs ont dû avoir des échanges avec quelques agriculteurs méthaniseurs. La question du sol doit leur être directement posée. On en connaît quelques-uns, et ils ne voient pas de dégradation de la matière organique dans leur sol, voire même une amélioration.
La plupart des projets de méthanisation sont gérés directement par les agriculteurs. C'est une bonne chose, car il s'agit pour eux de « prendre la main » sur une ressource qui fait partie de leur exploitation. Il ne s'agit pas forcément de la laisser gérer par d'autres. Le monde agricole et les agriculteurs sont là pour devenir non seulement des producteurs d'alimentation mais également d'énergie, car nous en aurons besoin pour sortir des énergies fossiles.
Je voudrais apporter un complément sur la question des CIVE. La généralisation des couverts apparaît pour nous une solution agroécologique très pertinente qu'il faut généraliser. La question consiste à savoir ce qu'on fait des CIVE. On peut les enfouir. Si on a des animaux, des ruminants, on peut les faire pâturer, voire les récolter s'il y a assez de biomasse. Dans certaines régions, où il n'y a pas d'élevage, l'intérêt de la méthanisation est de valoriser ce qu'on produit : cela n'engendre pas de coût énergétique. Justement, cela permet de valoriser économiquement quelque chose qui avait un intérêt agroécologique.
Bien entendu, le bilan est positif. Les travaux menés, notamment par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) montrent qu'avec le biométhane, les émissions de CO2 sont au minimum cinq fois inférieures à celles du gaz fossile, et huit fois moindres que le pétrole. Ce sont des données chiffrées connues. Le biogaz permet de réduire les émissions de CO2 par rapport aux énergies fossiles. C'est bien l'intérêt majeur que l'on reconnaît aujourd'hui.
M. Marc Dufumier. - Je souhaiterais réagir, en présentant une autre façon de poser la question. Quand Philippe Pointereau met en avant une économie de 20 % d'azote, quelle est l'origine de l'azote qu'on trouve dans le digestat ? Au départ, pour parler de la Bretagne, en résumé c'était « moins d'azote pour les algues vertes ». Ce qu'on désigne sous les termes de culture dédiée faisait plutôt référence à la notion de Culture intérmédiaire piège à nitrate (Cipan). C'était le résultat d'une spécialisation en élevage en Bretagne sans doute exagérée, et d'animaux élevés sur caillebotis et non sur la paille. Il y avait donc un problème de lisier et non pas de fumier.
Quand on parle de bilans carbone et azote, la question primordiale consiste à savoir si on ne pourrait pas mettre des légumineuses dans nos rotations pour les animaux en élevage, qui seraient élevés sur la paille et produiraient du fumier. C'est un tout autre cycle de l'azote et du carbone !
Dans les évaluations qu'on me présente toujours avec des « bilans géniaux », je n'ai pas de réponse à ces vraies questions. On comprenait pour les Cipan, mais maintenant, il existe des cultures dédiées situées dans des régions de non-élevage qui pourraient être des plantes pièges à nitrate. Or après récolte de ces cultures intermédiaires, on constate souvent un manque de nitrate, voire une fin d'azote. Je voudrais donc avoir la certitude qu'on n'apporte pas un engrais azoté de synthèse, qui aurait été coûteux en énergie fossile, pour fertiliser une culture intercalaire, et pour que les nitrates se retrouvent dans les nitrates ! En ce qui concerne tout cet aspect « amont » et les coûts d'opportunité, c'est-à-dire l'autre usage qu'on aurait pu faire de l'azote, je n'ai pas toujours les réponses.
M. Pierre Cuypers, président. - Merci. Je crois qu'il faut bien faire la distinction entre les différents méthaniseurs et les différentes régions. Vous avez les effluents d'élevage, le collectif avec les boues de stations d'épuration, et la méthanisation complètement végétale avec des cultures dédiées et des rotations. Je crois qu'on ne peut pas établir un critère précis qui englobe tout le monde.
M. Marc Dufumier. - Absolument. Je ne me prononce pas sur les boues d'épuration.
M. Nicolas Bernet. - Je souhaite à mon tour apporter un complément sur la question de l'équilibre carbone-azote. M. Jouany faisait valoir que les substrats de la méthanisation étaient pauvres en énergie et qu'on ne pouvait pas produire de méthane en les utilisant. C'est le cas effectivement des effluents d'élevage et du lisier, je suis d'accord. C'est pourquoi on utilise des co-produits et l'on fait de la co-digestion, laquelle présente l'intérêt de compléter et d'équilibrer la « ration » du digesteur. Les effluents d'élevage sont pauvres en carbone mais très riches en azote, et si on essaie de les méthaniser tout seuls, on va produire peu de méthane, et on aura des difficultés, car l'azote va inhiber le processus. On utilise donc des co-produits riches, avec un rapport carbone sur azote (C/N) beaucoup plus élevé. Cela rend les conditions de méthanisation plus favorables.
Le digestat est le résultat de ce qu'on a mis dans le méthaniseur. Si vous avez, « en entrée », une ration équilibrée en carbone et azote, vous aurez aussi « en sortie » un digestat équilibré. Tel est l'intérêt de faire de la méthanisation collective avec différentes exploitations agricoles. Ces dernières ont, potentiellement, des propriétés différentes et peuvent donc produire un digestat retournant sur leur sol, en répartissant de façon équilibrée le flux d'azote et de carbone.
M. Jean-Pierre Jouany. - Je suis tout à fait d'accord avec ce que vient de dire Nicolas Bernet. Pour valoriser des déchets, on est obligé d'y adjoindre des cultures dédiées riches en énergie et en carbone. Donc la méthanisation n'est pas une méthode qui permet d'éliminer les déchets. Cela ne peut se faire que si on la complète, comme la ration d'un animal, en apportant de l'énergie par ailleurs avec des cultures riches.
Je voulais soulever un deuxième point et répondre à la remarque de M. Pointereau sur les problèmes de CO2. Effectivement, l'Ademe a fait valoir que le biométhane entraîne moins de production de CO2 que le gaz naturel. Or nous avons regardé ce point de manière très précise et nous arrivons à un résultat inverse. Rappelons que l'on va chercher le gaz naturel tel qu'il existe. 100 millions d'années ont été nécessaires pour le fabriquer. On fait un trou, on remonte le gaz, il part dans les canalisations et il est distribué jusqu'à votre domicile. Dans la méthanisation, il faut fabriquer le gaz. Tout ce qui se trouve en amont du méthaniseur consomme de l'énergie, émet du CO2, cette énergie étant souvent d'origine fossile. Ensuite, ce méthane n'est pas pur : il faut le purifier. Pour les gens qui connaissent bien le processus de méthanisation, jusqu'au moment où on utilise le produit final comme source d'énergie, une multitude d'étapes consomment de l'énergie.
Pour notre part, nous avons simplement comparé le biogaz au gaz naturel, sans nous préoccuper de ce qui se passe en amont et en aval. Si on observe la combustion de ces deux gaz, l'émission est de 300 kg par mégawatt-heure (MWh) pour le biogaz contre 223 ou 224 pour le gaz naturel. Si on rajoute toutes les étapes en amont et en aval du méthaniseur, on arrive à des résultats significatifs qui désavantagent fortement le biométhane. Il semble évident que ce dernier, que l'on doit fabriquer, purifier et pour lequel il faut éliminer le sulfure d'hydrogène (H2S) par des méthodes d'ultra-filtration, consomme énormément d'énergie.
En outre, je ne vois pas l'avantage que l'agriculteur peut tirer de cette affaire. Si le digestat est un bon engrais, je comprends certes qu'il n'a plus à dépenser de l'argent pour acquérir des engrais de synthèse. Mais il faut procéder à un bilan énergétique du méthaniseur. Au total, je ne vois pas comment des agriculteurs peuvent faire fonctionner des méthaniseurs de plus de 500 kW avec tout le système qu'il y a autour.
Et nous n'avons pas parlé des risques : on stocke dans des méthaniseurs plus de 1000 m3 de méthane. Cela peut conduire à des accidents. En août 2020, dans le Finistère, 300 m3 de lisier est « sorti » des silos et s'est épandu. La semaine dernière, un gros accident est survenu dans l'Orne, a conduit à ce que 3000 m3 de contenu liquide d'un méthaniseur soit répandu dans la nature.
Mme Vanina Paoli-Gagin, sénateur. - Je ne comprends pas pourquoi, dans l'appréhension du coût du carbone, on ne tient pas compte du volet de gestion des biodéchets qui, lui aussi, a un coût qui peut être très élevé. Il en va ainsi par exemple du transport des biodéchets français vers la Belgique.
Par ailleurs, l'argument de la culture énergétique est systématiquement évoqué dans le débat public. Or si les CIVE en rotation ont leur utilité, il ne paraît pas que le maïs d'ensilage aille dans le sens de l'histoire. Nos voisins allemands ont d'ailleurs modifié leur réglementation, avec un plan de réduction en pourcentage des cultures énergétiques alimentant les méthaniseurs.
M. Philippe Pointereau. - Si vous le permettez, je me propose, tout d'abord, de commencer par répondre à Marc Dufumier. La fertilisation des couverts dans les zones vulnérables, qui représentent l'essentiel des surfaces labourables en France, est strictement interdite. On ne fertilise pas les cultures intermédiaires et donc les CIVE. Après, l'intérêt d'un réseau de méthaniseurs couvrant le territoire français consiste à limiter les coûts de transport, que ce soit de l'épandage du digestat ou des matières organiques. Et dans la mesure où l'on privilégie l'ingestion dans le réseau, il n'y a pas non plus de coût de transport du méthane.
Pour revenir sur le volet énergétique, il suffit d'aller dans une installation de biogaz. Il ne faut pas confondre le méthane fossile qui lui libère tout son stock de CO2 quand on le brûle, avec une installation de méthanisation, qui utilise du carbone d'origine végétale. Il est bien évident qu'une installation de biogaz produit plus d'énergie qu'elle n'en consomme, sinon elle n'aurait aucune rentabilité. Les calculs correspondants ont été faits : vous allez dans une installation de biogaz et vous regardez exactement toutes les consommations énergétiques extérieures, lesquelles sont essentiellement électriques puisque le chauffage est assuré généralement directement par la valorisation de la chaleur du méthaniseur, la co-génération par exemple. À part ces consommations électriques, il n'y a pas de consommation d'énergie fossile. On examine aussi l'origine des produits. Les CIVE n'induisent pas de coût supplémentaire, dans la mesure où certaines sont obligatoires. Pour les déchets organiques, c'est une valorisation. Bien entendu, si l'on fait de l'injection dans le réseau, un travail d'épuration du gaz doit être fait : il faut enlever le H2S et le CO2. Mais, en définitive, on produit plus d'énergie que l'on en consomme.
Mme Sabine Houot. - Je voulais répondre à la question sur le maïs comme culture dédiée. En France, la réglementation fixe à 15 % maximum le niveau maximum des cultures dédiées dans les méthaniseurs. Le maïs qui peut rentrer dans les méthaniseurs est une CIVE. Dans la succession de cultures au fil du temps, il y a bien des cultures principales qui sont implantées, récoltées, valorisées et vendues. Et entre elles, du maïs ou du sorgho peut être implanté et récolté pour aller vers le méthaniseur, cependant, la culture principale est toujours valorisée.
Pour ce qui est de la fertilisation de ces cultures intermédiaires, elles bénéficient souvent d'un apport de digestat, afin d'assurer leur bonne implantation ainsi que leur production de biomasse. Il convient de contrôler la juste dose de digestat, pour ne pas aboutir à trop d'azote dans ces cultures intermédiaires d'hiver.
M. Nicolas Bernet. - Sur l'énergie, je rejoins M. Pointereau. J'ai récemment lu un papier relatif à des études menées en Italie, où des bilans énergétiques très précis ont été faits. Le seul cas où l'on aurait du mal à être bénéficiaire en termes d'énergie est celui d'installations où l'on devrait aller chercher des substrats à des distances très éloignées du méthaniseur, et où l'énergie liée au transport de ces ressources serait alors supérieure à celle générée par la méthanisation. Mais on raisonne ici sur plusieurs centaines de kilomètres.
Je souhaite aussi compléter mon propos sur la co-digestion. Quand je parlais précédemment de compléter et de mettre du lisier avec des co-substrats, il n'est évidemment pas question à mes yeux de mettre des cultures énergétiques, mais des résidus agricoles et de la biomasse végétale. Il s'agit donc des résidus et non des cultures dédiées, car leur composition est plus favorable à la formation de méthane.
M. Pierre Cuypers, président. - Ce qui compte, c'est de faire les mêmes calculs, et qu'on passe bien du puits au réservoir, dans tous les sens du terme.
Monsieur le rapporteur, vous aviez des questions à poser.
M. Daniel Salmon, rapporteur. - J'en arrive à ma question favorite. En effet, l'objectif de la mission d'information consiste à nous éclairer sur les différents types de méthanisation, car il en existe plusieurs : la méthanisation des boues d'épuration, des biodéchets ménagers, et la méthanisation agricole. Même dans la méthanisation agricole, les choses varient suivant les régions.
Notre recherche d'une « méthanisation idéale » se poursuit. Pourriez-vous nous indiquer celle qui n'entraînerait que très peu d'externalités négatives ? Quels sont les écueils à éviter pour qu'on ne sombre pas vers des externalités négatives supérieures ? En corollaire, quelle est la méthanisation qui présenterait l'acceptabilité sociale la plus forte ?
M. Philippe Pointereau. - Il faudrait une méthanisation collective et territorialisée, avec des méthaniseurs répartis sur le territoire pour limiter tout transport des matières organiques venant des fermes, ou des matières organiques recyclées vers l'agriculture. La maîtrise des projets par les agriculteurs permettrait de créer de l'emploi rural. La limitation des cultures dédiées devrait quant à elle être maximale. Le plafond fixé par la réglementation est à 15 %, mais aujourd'hui en pratique on est plutôt proche de 5 % en France. Ce niveau maximum peut donc être limité davantage.
Après, les cultures intermédiaires font débat. La question consiste au demeurant de savoir ce qu'on appelle culture principale dans la politique agricole commune (PAC). On peut récolter une orge très tôt et transformer le maïs qui suit derrière en culture secondaire. Il est important de faire appliquer les réglementations qui existent. Si des pratiques dérogent à la réglementation, il faut les sanctionner.
Je précise, par ailleurs, que l'exemple donné par Jean-Pierre Jouany concerne une exploitation industrielle et non un site agricole. À Toulouse, on a connu la catastrophe de l'usine AZF pour l'azote chimique : les problèmes d'explosion et les erreurs existent dans tous les domaines. Il y en aura dans le biogaz, comme ailleurs. Et certains domaines, comme la production d'azote chimique, ont plus d'effets négatifs que d'autres.
Je pense que la méthanisation collective et territorialisée, maîtrisée par les acteurs locaux, où les collectivités locales, voire les habitants, prendraient part à ces structures sous forme de sociétés coopératives d'intérêt collectif (Scic) ou de coopératives, serait la meilleure façon pour assurer l'autonomie énergétique. On a beaucoup parlé d'azote et de carbone, mais si on veut tenir l'objectif de l'Accord de Paris - l'État vient d'ailleurs d'être condamné pour non-atteinte de ces objectifs par le tribunal administratif de Paris - il y a urgence à sortir des énergies fossiles et à développer la sobriété, l'efficacité, mais aussi les énergies renouvelables. Le biogaz y a vraiment sa place, comme d'autres énergies. Après, il faut faire connaître la méthanisation à nos concitoyens et faire en sorte que les gens visitent des exploitations. Un site de Solagro, nommé Osaé, a été organisé à cette fin : il s'agit d'une exploitation de méthanisation collective en Dordogne conduite par un agriculteur biologique, et vous verrez tout l'intérêt qu'il porte à la méthanisation.
Mme Sabine Houot. - Je suis complètement d'accord avec ce que vient de dire Philippe Pointereau. Il n'y a pas un modèle de méthanisation parfait, et d'autres à rejeter, mais plusieurs, qui doivent être développés de manière concertée au niveau territorial, en laissant le plus de place possible aux agriculteurs. Je pense que la méthanisation, en lien avec l'agriculture, est un bon moyen pour eux de se développer, de diversifier les exploitations agricoles et de créer de l'emploi dans les territoires. L'important consiste à avoir des méthaniseurs pour lesquels on fait un bilan des intrants, des sortants, en particulier de l'azote. Il s'agit de bien prendre en compte tous les intrants azotés complémentaires aux effluents d'élevage ou aux cultures intermédiaires, pour être sûr d'avoir un bilan équilibré de la fertilisation à partir des digestats, complémentés ou non par des engrais minéraux.
Il y a effectivement de très beaux modèles de méthanisation collective agricole, très intéressants, et qui constituent des modèles de développement de l'agroécologie.
M. Jean-Pierre Jouany. - Ma vision est assez différente de celle de mes collègues. Pour moi, l'intérêt de la méthanisation ne consiste pas à produire de l'énergie, mais à éliminer des déchets dont on ne sait que faire et qui gênent l'environnement. Le but est que le peu de méthane produit à partir de ces déchets polluants soit utilisé sur place dans un circuit très court. De même, quand des agro-industriels de conservation ou des fromageries qui produisent de grandes quantités de lactosérum dont elles ne savent que faire, cela peut être utilisé pour produire du méthane plutôt que de polluer l'environnement.
Mais l'objectif affiché de développer de la méthanisation dans le but de produire du méthane - qui est une énergie carbonée - en relation avec les GES, n'a pas d'intérêt pour moi. Je suis très largement minoritaire dans cette assemblée. J'accepte la discussion, mais j'aimerais que certains de mes collègues et les membres de la mission sénatoriale réfléchissent à certains points qui paraissent acquis, mais méritent en fait d'être discutés.
Je voulais aussi soulever un dernier point : le coût du méthaniseur, des subventions et, in fine, celui du biogaz qui sera distribué aux citoyens, de même que la façon dont cela pèsera sur nos impôts. Ce serait intéressant à regarder.
M. Pierre Cuypers, président. - Il y a plusieurs gammes de prix : cela dépend des situations.
Je tiens toutefois à vous assurer qu'au Sénat, on a la liberté de penser et de s'exprimer. Toutes les opinions sont bonnes à entendre, puis chacun fait sa propre réflexion. C'est dans ce sens que nous élaborerons, avec le rapporteur et les membres de la mission d'information, notre rapport d'ici au mois de septembre.
M. Marc Dufumier. - Nous n'avons pas répondu à la question de Mme Paoli-Gagin sur les biodéchets. On pourrait formuler la réponse suivante : entre un lombricompost et l'utilisation de biodéchets pour la méthanisation, compare-t-on les bilans carbone ? L'autre usage qu'on peut faire de ces biodéchets - par exemple, pour l'agriculture, la séquestration du carbone dans les sols - a-t-il été pris en compte dans les bilans carbone et les bilans azote de nos collègues ?
Mme Sabine Houot. - Je ne vais pas pouvoir répondre complètement, car je ne sais pas si un bilan carbone a été fait. Je suis toutefois en mesure de préciser que le carbone des digestats des biodéchets va contribuer à l'alimentation du carbone des sols. Il sera suffisamment stabilisé pendant la méthanisation à cet effet. Une unité de carbone de digestat est très efficace pour stocker du carbone. Cependant, le problème réside dans le fait que les digestats sont très souvent liquides. Donc, il faut faire une séparation, pour aboutir à cette phase solide des digestats qui va ressembler au carbone d'un compost. Le carbone d'un digestat solide et celui d'un compost sont aussi efficaces pour alimenter les sols en matière organique.
M. Thierry Cozic, sénateur. - Je souhaitais revenir quelques instants sur les observations de M. Pointereau, tendant à envisager une taille minimale pour les méthaniseurs. J'ai cru comprendre que vous parliez d'une installation pour trois à quatre communes. Y a-t-il des modèles qui permettent de se projeter sur une taille minimale de méthaniseur ?
M. Pointereau a également émis l'hypothèse que le métier de méthaniseur serait un métier de spécialiste, plutôt porté par des énergéticiens. Pour un agriculteur, le fait de mettre en place la méthanisation ne constitue-t-il pas un nouveau métier, un nouveau modèle dans lequel il doit s'inscrire ?
Enfin, que vont devenir, par la suite, les méthaniseurs dans les exploitations agricoles, quand il s'agira de transmettre les exploitations ?
M. Pierre Cuypers, président. - Selon moi, c'est bien un nouveau métier, et même un métier nécessitant une présence 24 heures sur 24 !
M. Philippe Pointereau. - Sur la base de l'objectif de 9 000 méthaniseurs en France, la taille moyenne que nous imaginons correspondrait à un volume de traitement situé entre 20 000 et 50 000 tonnes de matière, pour une production de 14 000 MWh. Aujourd'hui, de nombreuses expériences existent : 1 000 méthaniseurs fonctionnent. On a déjà beaucoup de recul.
C'est en effet un métier, qui requiert un savoir-faire et des compétences : il faut alimenter le digesteur, mélanger les matières, gérer la fermentation, épurer le gaz... Mais il y a des formations pour cela. Dans un projet collectif, on peut répartir les compétences entre les différentes personnes.
Le méthaniseur nécessite un investissement. Le problème de l'agriculture de demain sera la transmission de ces exploitations. Avec ou sans méthanisation, les fermes - et notamment les fermes d'élevage - représentent actuellement un capital qui dépasse plusieurs millions d'euros. Le véritable défi à venir résidera dans la transmission de fermes de plus en plus capitalistiques, que ce soient les bâtiments, le matériel, les terres ou les machines. La méthanisation ajoute un élément à cette problématique. Il va falloir trouver un moyen de résoudre ce problème. Il serait judicieux que les collectivités locales puissent prendre part au capital, en créant notamment des Scic, comme cela peut se faire, par exemple, pour les chaufferies à bois-plaquette, où tout le monde a intérêt à bien faire fonctionner le système.
M. Jean-Pierre Jouany. - La loi de l'offre et de la demande, due à la compétition pour l'utilisation des terres agricoles, d'une part, pour l'alimentation, d'autre part, pour la méthanisation, conduira probablement le prix du foncier agricole à augmenter. On peut effectivement se poser la question des enfants d'agriculteurs : auront-ils les moyens financiers d'acquérir ces terres ? Il est à craindre que les industriels de la méthanisation, dont les moyens sont plus importants, s'en chargent. Les agriculteurs risquent de voir échapper une partie de leur capital acquis sur plusieurs générations. Je soulève la question, mais je n'ai pas forcément la réponse.
M. Pierre Cuypers, président. - Merci. Nous saluons l'arrivée de monsieur Aurousseau. Je vais vous donner la parole pour vous présenter, mais nous n'allons pas refaire le débat depuis le début. Vous pourrez également répondre par écrit au questionnaire que vous avez reçu, pour qu'on puisse en retenir la substance dans notre rapport.
M. Pierre Aurousseau, professeur de sciences de l'environnement à Agrocampus Ouest. - Je suis professeur honoraire de sciences de l'environnement et j'ai été président du conseil scientifique de l'environnement de Bretagne pendant douze ans. J'ai principalement été confronté au problème de qualité des eaux et de ses conséquences sur les eaux douces et les eaux marines côtières.
Je ne suis pas « tombé dans la méthanisation étant petit ». Je m'y suis intéressé car, dans le cadre du plan de lutte contre les « marées vertes » en Bretagne, l'idée de l'utiliser avait été avancée. Je me suis alors penché d'un peu plus près sur la technique de méthanisation, pour voir si elle pourrait concrètement représenter une solution pour la réduction de la pollution des eaux en Bretagne par les nitrates. Et je suis arrivé in fine à une conclusion négative.
Dans le questionnaire que vous nous m'avez adressé, vous posez explicitement la question du traitement des algues vertes : peuvent-elles être traitées par méthanisation ? C'est très difficile. Au-delà de petites quantités d'algues vertes qu'on peut mettre dans un méthaniseur, on ne peut retenir cette solution pour plusieurs raisons. Premièrement, les algues vertes sont souvent ramassées avec de grandes quantités de sable. Deuxièmement, elles sont chargées de chlorure de sodium, de sel : pour bien faire, elles devraient être rincées avant d'être introduites dans le méthaniseur. Troisièmement, les algues vertes sont riches en azote, mais surtout riches en soufre. En plus du sel qui s'y trouve en grande quantité, les océans constituent la zone de concentration la plus élevée en soufre sur la Terre, à cause du sulfate qui s'est concentré dans la mer au fil des temps géologiques. En conséquence, les algues vertes en sont particulièrement chargées, et quand elles se décomposent en anaérobies - ce qui se produit dans un méthaniseur mais aussi quand elles se trouvent rassemblées en tas épais sur les plages - ce soufre se transforme en sulfure d'hydrogène. Celui-ci est toxique pour tous les êtres vivants : pour les humains, les mammifères, mais aussi pour les bactéries méthanisantes.
Ainsi, quand une grande quantité de sulfure d'hydrogène est produite dans un méthaniseur, un effet dépressif très important advient, d'un facteur 20 à 25 selon la concentration en sulfure d'hydrogène. L'ammoniac entraîne également un effet dépressif, dû à la réduction de l'azote dans les méthaniseurs. En définitive, l'effet combiné de l'ammoniac et du sulfure d'hydrogène peut conduire à un effet dépressif massif : des expérimentations ont montré qu'il pouvait atteindre un facteur 50.
Pour toutes ces raisons, la méthanisation des algues vertes ne représente pas une solution. On peut seulement en mettre en petite quantité, mettons 5 %. D'ailleurs, c'est une technique qui ne se développe pas.
Je suis membre du collectif scientifique national méthanisation raisonnée (CSNM) depuis plus de deux ans. Je suis l'un des deux principaux auteurs des fiches du CSNM. Je crois que onze de ces fiches sont accessibles sur Internet. Certaines autres ne sont pas encore mises en forme, mais je les ai transmises au rapporteur Daniel Salmon sous format papier et numérique. Celles qui ne sont pas mises en ligne sur Internet abordent des sujets complémentaires, en particulier celui de la concurrence pour les terres et pour les fourrages entre l'agriculture alimentaire et la méthanisation.
M. Pierre Cuypers, président. - Les intervenants ou les sénateurs ont-ils des observations à formuler ?
M. Jean Bacci, sénateur. - J'aurais aimé disposer d'un complément d'information par rapport à la réponse faite à Thierry Cozic. On a dit que pour envisager un méthaniseur, il fallait traiter a minima 50 000 tonnes de matière. J'ai entendu dire aussi que les collectivités devraient peut-être se mobiliser. J'aimerais donc savoir ce que coûte un méthaniseur de ce type.
M. Philippe Pointereau. - Cela coûte plusieurs millions d'euros, mais je ne dispose pas à l'instant d'un prix précis. Dans notre réponse à venir au questionnaire que vous nous avez envoyé, nous pourrons vous donner quelques exemples précis : y figureront des indications sur les coûts. Il est clair que c'est un investissement significatif.
En outre, je suis assez d'accord avec ce que vient de dire M. Aurousseau : la méthanisation n'est pas là pour régler le problème des algues vertes en Bretagne, dû à des conditions d'élevage inadaptées. Le méthane n'est pas là pour régler un problème qui doit se régler ailleurs. On a affaire aujourd'hui à une industrialisation de l'élevage en Bretagne, qui a généré ce phénomène et qui coûte beaucoup d'argent à la collectivité. Le biogaz n'est pas là pour régler les problèmes de sur-fertilisation en France ni ceux qui sont liés à l'élevage intensif en Bretagne.
Une des solutions globales envisageables consisterait à taxer l'azote chimique. C'est l'une des seules actions qu'il est possible de mener au niveau agricole pour réduire les émissions de GES. Cela permettrait de développer les légumineuses chères à Marc Dufumier. Cela limiterait également les surplus d'azote et favoriserait une meilleure gestion de l'azote organique. On a là une solution systémique : taxer l'azote chimique fortement, comme demain on devra taxer le CO2 si on veut sortir des énergies fossiles et les laisser dans le sol.
M. Pierre Cuypers, président. - Il faut savoir que le prix des engrais minéraux a augmenté de plus 20 % ces dernières semaines.
M. Marc Dufumier. - Il ne faut pas confondre les azotes de synthèse et les azotes minéraux (phosphate et autres) : les évolutions de prix ne vont pas forcément toujours dans le même sens. L'azote de synthèse, coûteux en énergie fossile, est fonction du prix du pétrole. En revanche, pour les phosphores, se posent de vraies questions : il y en a aussi trop dans la mer.
Il existe également de toutes petites unités de méthanisation dans d'autres pays que le nôtre, à l'échelle d'une ferme, pour le séchage en grange notamment. Il peut y avoir d'autres usages. C'est très peu coûteux. On a d'emblée « évacué » cela en France : c'est peut-être une erreur. Je serais d'avis qu'on étudie cette question-là.
En prolongement des observations formulées par Philippe Pointereau, il a été dit que la méthanisation n'est pas faite pour résoudre le problème des algues vertes. Il n'en reste pas moins que lorsque l'ancien ministre de l'agriculture, M. Stéphane Le Foll, avait avancé cette idée, c'était bien pour régler cette question, à travers les cultures intermédiaires pièges à nitrates (Cipan). Il faut quand même résoudre le « divorce » carbone-azote, où les céréales sont dans un endroit, l'élevage dans un autre, et où les animaux ne sont pas sur la paille. La méthanisation, présentée comme résolution de certaines questions, à l'instar de l'azote, évacue d'autres questions. Et à chaque fois, on ne dit jamais le coût du renoncement à l'alternative. Je suis désolé de revenir là-dessus, mais tant qu'on ne répond pas à cela, je resterai dubitatif - sans être pour autant contre la méthanisation !
M. Nicolas Bernet. - Je suis d'accord avec ce qui a été dit sur le problème des algues vertes.
En ce qui concerne la méthanisation pour traiter l'azote, j'ai été recruté à l'INRA en 1992, pour étudier le problème du traitement azoté des effluents méthanisés : on sait depuis toujours que la méthanisation ne traite pas l'azote. C'est aujourd'hui perçu comme un avantage puisque, au contraire, la méthanisation conserve l'azote dans le digestat. Par définition, la méthanisation ne peut pas résoudre les problèmes d'azote.
S'agissant du débat sur les sols et les cultures, il convient de rappeler qu'en France, nous avons renoncé au modèle allemand. En Allemagne, on faisait des cultures énergétiques destinées à la méthanisation - des hectares de maïs pour les méthaniser. Le modèle français refuse a contrario de consacrer des terres agricoles à des cultures énergétiques, car c'est plafonné en France à 15 %, et dans la pratique on est autour de 7 à 8 %.
Mme Sabine Houot. - Je voudrais répondre à Marc Dufumier. Il ne faut pas faire porter à la méthanisation la responsabilité du déséquilibre de l'agriculture en France.
M. Marc Dufumier. - On est d'accord !
Mme Sabine Houot. - Il faut changer le modèle très spécialisé de l'agriculture dans certaines régions et le faire évoluer, et voir si la méthanisation ne peut pas contribuer à améliorer le fonctionnement de l'agriculture. Je pense que les deux ne sont pas antinomiques et doivent être abordés de front, de concert, en tout cas.
M. Marc Dufumier. - Les deux, en effet !
Mme Sabine Houot. - Je signale également l'existence d'un Centre Technique national du Biogaz et de la Méthanisation (CTBM) regroupant toutes les structures de recherche qui travaillent sur la méthanisation et sur l'utilisation de la production de biogaz et de digestat. Cette structure peut être consultée dans le cadre de votre mission d'information. Des fiches intitulées « info métha » sont issues du travail du CTBM : elles proposent des synthèses sur la méthanisation et les digestats qu'il serait intéressant de consulter. On pourra vous transmettre les liens.
M. Pierre Aurousseau. - Pour poursuivre sur le sujet des algues vertes, je voulais insister sur le fait que, à l'heure actuelle, dans le cadre du plan de lutte contre les algues vertes n° 2 (PLAV 2), la méthanisation figure toujours comme un outil.
Je voudrais parler des autres formes de techniques de méthanisation. Les lisiers, lorsqu'ils sont dans leurs fosses, génèrent du méthane : des installations très légères pourraient simplement récupérer le méthane qui y est produit.
Je voudrais également revenir sur le problème de l'azote. Quand on méthanise des lisiers, lorsqu'on épand du digestat, in fine on épand plus d'azote que ce qu'on épandait sous forme de lisier sans méthanisation ! On ne peut pas faire fonctionner un méthaniseur avec 100 % de lisier, donc on introduit forcément d'autres cultures - de l'ensilage de maïs, de l'herbe, des CIVE - qui elles-mêmes contiennent de l'azote. On se retrouve, « à la sortie » du processus de méthanisation, avec l'azote qui se trouvait dans les lisiers, plus celle issue du maïs, éventuellement des ensilages d'herbe et dans les CIVE, etc. C'est un point très important.
Le problème de la maîtrise de cet azote se pose également, en des termes particulièrement difficiles au demeurant pour le digestat : compte tenu de son pH élevé, une part importante de cet azote va se volatiliser. Finalement, les agriculteurs ne connaissent pas la vraie valeur fertilisante du digestat. Un digestat est plus difficile à gérer qu'un engrais de type ammonitrate, ou même qu'un lisier. En effet, la teneur en azote que le digestat a rendue au sol est inconnue, car le taux de volatilisation de l'azote sous forme ammoniacale est très variable. Il dépend de nombreux paramètres : du pH du digestat, des engins d'épandage utilisés, etc.
Finalement, il est extrêmement complexe et difficile de faire de la fertilisation raisonnée avec un digestat. On a des témoignages de sous-fertilisation et de baisse de rendement avec les digestats, car les exploitants n'ont pas pris en compte la part qui se volatilise. Le risque auquel ces derniers s'exposent également est d'être confrontés, pour ainsi dire, à une « sur-fertilisation d'assurance » : les agriculteurs, pour être certains d'atteindre de bons rendements, vont sur-fertiliser avec le digestat pour se garantir de tout ce qui va partir sous forme de volatilisation ammoniacale.
Mme Sabine Houot. - Je souhaite répondre à monsieur Aurousseau. On avait évoqué les problèmes de volatilisation précédemment. On ne peut pas dire qu'on ne connaît pas la quantité d'azote présente dans un digestat. On peut très bien analyser celui-ci et d'ailleurs les agriculteurs y sont tenus ! Il ne faut pas dire que c'est impossible, mais accompagner les agriculteurs pour mettre en place les bonnes pratiques susceptibles de limiter et d'annuler ces risques de volatilisation. Un programme de recherche en cours (appelé « ferti-dige »), a pour objectif de rédiger un guide de ces bonnes pratiques d'utilisation des digestats à des fins de fertilisation, qui complète la typologie des digestats déjà initiée. Ce n'est pas parce que c'est difficile qu'il faut, pour ainsi dire, « supprimer complètement » l'avenir de la méthanisation et de l'utilisation des digestats.
M. Pierre Cuypers, président. - Merci à tous nos intervenants pour ces deux heures d'échanges de vues ! Merci Madame, merci Messieurs, d'avoir consacré une part de votre temps à la mission d'information du Sénat. Nous tiendrons compte des éléments que vous avez apportés. Pour conclure, je voudrais rappeler que notre monde est de plus en plus gourmand en énergie, même si nous faisons beaucoup d'efforts pour les économiser. Nous avons besoin d'un bouquet d'énergie, car nous sommes vulnérables et dépendants de l'extérieur. Cela a un coût et il faut pouvoir l'intégrer dans le développement de ces énergies nouvelles.
Merci à vous tous. Renvoyez-nous, si vous le pouvez, les questionnaires qui vous ont été adressés. Je remercie notre équipe de sénateurs qui travaille dans un excellent esprit !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 30.