- Mercredi 31 mars 2021
- Proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique - Examen du rapport pour avis
- Proposition de loi visant à orienter l'épargne des Français vers des fonds souverains régionaux - Examen du rapport et élaboration du texte de la commission
Mercredi 31 mars 2021
- Présidence de M. Claude Raynal, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique - Examen du rapport pour avis
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons le rapport pour avis de Mme Christine Lavarde sur la proposition tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique. La commission des affaires économiques a souhaité nous déléguer l'examen au fond du volet fiscal de cette proposition de loi, composé des articles 12 à 16. Je salue la présence parmi nous du rapporteur de la commission des affaires économiques Patrick Chauvet.
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - Je vais rappeler quelques chiffres sur la filière hydroélectrique, première source d'énergie renouvelable, comprenant l'énergie des lacs, des cours d'eau et des marais, sachant que seuls les cours d'eau nous intéressent ce matin.
La filière hydroélectrique représente 13,5 % de la consommation électrique française. Cette source présente la spécificité d'être très dépendante, comme l'éolien et le photovoltaïque, des conditions météorologiques.
Le parc français est composé de 2 500 installations, dont 400 sous le régime de la concession. Ces concessions, propriété de l'État, mais gérées par un partenaire privé, concernent les installations de plus de 4,5 mégawatts . Elles représentent 90 % de la puissance totale du parc ; il n'en sera pas question dans le texte ce matin.
Les 2 100 installations plus particulièrement visées par la proposition de loi dépendent du régime de l'autorisation environnementale. D'une puissance installée inférieure à 4,5 mégawatts, elles reçoivent une autorisation d'exploitation délivrée par le préfet pour une durée limitée.
La commission de régulation de l'énergie (CRE) a publié, en janvier 2020, une étude économique du secteur, permettant de comprendre l'hétérogénéité de la filière à la fois dans ses coûts et sa rentabilité.
Les coûts d'investissements varient entre 2 100 et 5 600 euros par kilowatt pour 75 % des installations neuves ; les coûts de fonctionnement, quant à eux, varient entre 50 et 180 euros par kilowatt, et le productible annuel va de 2 000 à 4 300 heures « équivalent pleine puissance ». Cela donne des coûts de production fluctuant entre 37 et 200 euros par mégawattheure (MWh) pour les installations neuves, et toujours inférieurs à 100 euros par MWh pour les installations rénovées.
Dans les conclusions établies par la CRE, 50 % des installations hydrauliques ont un taux de rentabilité avant impôt insuffisant, voire négatif. Dans le même temps, 35 % de ces installations ont des rentabilités jugées excessives. On comprend, après ce panorama de la filière, qu'il sera difficile de pouvoir adopter des mesures homogènes.
Autre point important à prendre en compte : les contraintes environnementales pesant sur ces installations, comme le classement des cours d'eau instauré par la loi de décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema). Les cours d'eau sont classés en deux catégories. Les exploitants, s'ils veulent continuer à pouvoir utiliser le productible hydroélectrique, doivent réaliser des dispositifs permettant la dévalaison et la montaison, facilitant le passage des poissons et des sédiments dans les deux sens.
Ces contraintes génèrent des coûts importants pour les producteurs. Ainsi, pour une petite installation de 1 mégawatt, le coût d'investissement total varie entre 2 et 5 millions d'euros ; et le coût d'une simple passe à poissons s'élève à plusieurs centaines de milliers d'euros. Les installations faisant l'objet d'une rénovation, pour avoir de nouveau l'autorisation d'exploiter, doivent se conformer à la règlementation environnementale.
Ces installations, comme vous l'avez compris, ne sont pas rentables en elles-mêmes ; elles bénéficient de dispositifs de soutien.
Les plus grandes - celles sous le régime de la concession - vendent leur électricité au prix du marché. Pour les moins rentables, on a créé un dispositif de complément de rémunération ; je ne m'y attarde pas, ces installations ne sont pas concernées par la proposition de loi.
Les plus petites - moins de 1 mégawatt - se tournent vers un « guichet ouvert ». Dès qu'elles obtiennent leur autorisation d'exploiter, elles peuvent bénéficier d'un dispositif de soutien qui peut prendre deux formes, suivant la puissance de l'installation et son statut (neuf ou rénové) : soit une obligation d'achat, soit un contrat de complément de rémunération.
Les nouvelles installations comprises entre 1 et 4,5 mégawatts peuvent bénéficier d'un dispositif de soutien, via un appel d'offres : le prix proposé par les candidats doit tenir compte des coûts d'investissement dans les dispositifs de continuité écologique. Les installations rénovées, en revanche, ne bénéficient d'aucun dispositif de soutien.
J'évoquerai ensemble les articles 12, 15 et 16 de la proposition de loi, car ils proposent un même outil de soutien : la révision de la fiscalité des collectivités locales.
L'article 12 transforme une exonération facultative de taxe foncière sur les propriétés bâties, qui existe déjà dans le code général des impôts, en une exonération obligatoire, sauf délibération contraire des collectivités locales. Cela va à l'encontre de tous les travaux de notre commission. De plus, selon nos informations, seulement deux installations ont bénéficié de cette délibération facultative introduite dans la loi de finances pour 2019. On ne peut que constater le manque d'appétence des collectivités pour cette exonération facultative ; c'est la raison pour laquelle je propose un amendement de suppression de l'article 12.
Les articles 15 et 16 visent à introduire des exonérations facultatives. À l'article 15, une exonération de cotisation foncière des entreprises (CFE) est notamment prévue jusqu'à deux ans après la mise en service de nouvelles installations. Pour rappel, dans la loi de finances pour 2021, a été voté un dispositif exonérant de CFE pour trois ans les créations d'entreprises ou les extensions d'établissements. Ce dispositif est mal adapté à la filière hydroélectrique ; il faudrait en créer un plus spécifique, afin de soutenir la filière. Toutefois, nous risquons de complexifier notre législation fiscale.
Par ailleurs, ces installations bénéficieront des dispositifs de réduction des impôts de production également votés dans la loi de finances pour 2021.
L'article 16 propose une exonération facultative d'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER) pour les stations de transfert d'électricité par pompage (Step). Celles-ci connaissent un vrai problème de rentabilité. En France, sous ce régime, on recense six installations représentant 5 gigawatts installés. Dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), on envisage 1,5 gigawatt supplémentaire à l'horizon 2030 ; le potentiel de développement est donc limité. Les charges d'IFER, pour ces six installations, représentent quand même 16 millions d'euros.
L'article 13 concerne une réduction d'impôt pour les moulins à eau. La loi de février 2017 relative à l'autoconsommation d'électricité a déjà assoupli les règles de continuité écologique pour les moulins. Pour autant, d'autres contraintes administratives leur sont imposées. La mise aux normes de ces moulins, détenus le plus souvent par des particuliers, nécessite souvent d'importantes dépenses. Le coût des travaux d'adaptation s'élève en moyenne à 50 000 euros.
L'article 13 prévoyait une réduction d'impôt sur le revenu pour les dépenses réalisées entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, avec un plafond de 20 000 euros. Nous proposons un dispositif s'appliquant aux dépenses réalisées dès l'année 2021, pour une période de trois ans, en abaissant le montant du plafond de 20 000 à 10 000 euros et, dans le même temps, en permettant un report de la réduction non consommée pendant cinq ans. Ainsi, le dispositif pourra profiter au plus grand nombre de contribuables, y compris à ceux acquittant un montant plus faible d'impôt sur le revenu.
Enfin, l'article 14 consiste en un suramortissement pour les installations de moins de 4,5 mégawatts, s'appliquant également aux équipements de continuité écologique. La rédaction de l'article s'indexe sur le suramortissement pour les investissements numériques dans les entreprises. La mesure paraît difficile à chiffrer, car le coût pour l'État s'étale sur une longue période. La doctrine européenne concernant les aides d'État est très précise : en matière environnementale, les aides doivent porter uniquement sur les dispositifs permettant d'aller au-delà de la norme fixée par une règlementation nationale ou européenne ; mais l'État ne peut pas venir en aide pour remplir une obligation légale.
Sachant, en outre, que ces installations sont déjà soutenues et que les coûts des travaux sont déjà pris en compte par ailleurs, il ne m'apparaît pas raisonnable de créer un dispositif de soutien complémentaire. Le suramortissement a du sens sur le long terme ; or, les producteurs doivent faire face à des difficultés de financement à court terme.
Il faudrait réfléchir à des dispositifs d'aide directe pour les installations qui ne sont pas aidées par les dispositifs d'État. Elles peuvent compter sur une aide des agences de l'eau, mais celle-ci n'excède pas 40 % du montant de l'investissement ; on pourrait envisager une aide plus conséquente, ou alors permettre à ces installations de bénéficier de taux réduits sur le montant de leurs emprunts.
Aussi, je propose de restreindre le champ d'application de cet article uniquement aux installations ne bénéficiant pas d'un dispositif de soutien, à savoir celles qui sont rénovées et d'une puissance comprise entre 1 et 4,5 mégawatts, et les installations neuves ne bénéficiant pas de soutien public.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Il s'agit d'une proposition de loi à l'esprit consensuel, qui a la volonté de rapprocher l'économie et l'environnement. Durant les auditions, nous avons pu mesurer le fossé séparant les services de l'État des acteurs économiques de l'hydroélectricité. Cet écart d'expression et de point de vue justifie pleinement l'attention du Sénat.
Avec cette proposition de loi, nous reconnaissons un mode de production d'énergie qui n'est sans doute pas assez valorisé. Énergie renouvelable avec très peu d'émissions, l'hydroélectricité a un potentiel de développement autour de deux axes : la rénovation de l'existant et, avec plus d'ambition, la création de nouvelles unités.
Cette reconnaissance de l'hydroélectricité est aussi importante pour les territoires ruraux et de montagne, qui sont principalement concernés.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - La présentation de Mme Lavarde a bien fixé le cadre et les limites de notre réflexion. L'important dans cette proposition de loi, c'est la conjugaison des enjeux écologiques et financiers. Nous devons veiller, comme le Sénat l'a toujours fait, à ne pas dévier d'une certaine ligne de conduite, notamment en permettant aux collectivités locales de garder la main sur les dispositifs financiers. Il s'agit de ne pas être en décalage avec la position que nous tenons dans le cadre des projets de loi de finances ; c'est la voie de la sagesse autant que de la raison. Dans l'intérêt des collectivités et des opérateurs privés, il convient d'éviter les débordements intempestifs et qui peuvent s'avérer contreproductifs.
M. Jérôme Bascher. - J'avais cru comprendre que la France était le premier pays en Europe concernant l'utilisation de l'hydroélectricité et qu'il était difficile d'augmenter notre part dans ce domaine. À combien estime-t-on le surcoût ? Quel est le potentiel véritable de croissance de cette source d'énergie ? Faut-il améliorer les capacités de l'existant ? Ou bien, l'objectif est-il de trouver d'autres systèmes qui ne nuisent pas à l'environnement ?
M. Arnaud Bazin. - Je souhaite exposer un paradoxe au rapporteur de la commission des affaires économiques. Dans une commune de montagne où la ressource hydraulique est importante, celle-ci n'est pas considérée comme une énergie renouvelable pour la rénovation thermique des logements. Ce paradoxe est-il pris en compte dans la proposition de loi ?
Mme Isabelle Briquet. - La suppression de l'article 12, comme le propose Mme Lavarde, me semble inévitable. La niche fiscale ainsi créée n'aurait aucun sens, même si l'on souhaite inciter le développement de l'hydroélectricité.
J'insiste également sur le fait que la baisse de la fiscalité ne doit pas être le seul moyen incitatif. On pourrait aller plus loin dans l'atténuation des dispositifs mis en place, car ils risquent d'accentuer les différences entre les collectivités riches et les plus modestes ; certaines pourront accorder ces exonérations, d'autres ne le pourront pas.
M. Christian Bilhac. - Nous sommes tous, je crois, favorables à cette proposition de loi. Pour nos territoires ruraux, souvent les plus déshérités, l'hydroélectricité est un complément de revenus très intéressant. Mais je m'interroge, comme mon collègue Jérôme Bascher, sur la marge de progression de la production hydroélectrectrique. Nous avons vu, notamment, ce qui s'est passé en région Occitanie, à Sivens... Il sera très difficile de réaliser des ouvrages comme ceux qui ont été réalisés au milieu du XXe siècle.
M. Patrick Chauvet, rapporteur. - Pour répondre à Arnaud Bazin, la proposition de loi concerne l'hydroélectricité - et non le logement. Le paradoxe soulevé est naturellement à étudier. Dans les auditions, j'ai relevé de nombreux paradoxes. Par exemple, l'agence de l'eau finance plus fortement l'arasement des seuils que les passes à poissons ; or, cet arasement compromet le développement de la petite hydroélectricité...
M. Jean-Michel Arnaud. - Je suis surpris de constater le décalage entre la volonté de progresser sur le développement de l'hydroélectricité et la réalité sur le terrain. Je lis, dans l'exposé des motifs de la proposition de loi, que les porteurs de projets peuvent bénéficier de la souplesse des services de l'État. Or, cela fait maintenant quatre ans que les propriétaires et les différents opérateurs d'un réseau de refuges dans les Alpes du Sud attendent une coordination des services de l'État pour obtenir une autorisation opérationnelle. L'important, au-delà de l'accompagnement financier, est de progresser sur le processus d'autorisation.
M. Jean-François Rapin. - Au-delà de l'aspect fiscal, nous avons une réflexion forte à mener sur le financement des agences de l'eau et sur la capacité de ces agences à pouvoir financer des ouvrages d'un coût parfois exceptionnel ; je pense, par exemple, aux passes à poissons, avec des montants qui peuvent s'élever à 1 million d'euros. Cela fait beaucoup d'argent, il faut en voir l'utilité.
M. Claude Raynal, président. - Le rapport qui vient de nous être présenté correspond à ce que l'on peut en attendre à la commission des finances ; il encadre les dispositifs pour leur permettre de bien fonctionner.
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - En 2020, la puissance installée du parc hydraulique s'élevait à 25,6 gigawatts. L'objectif fixé est d'augmenter la capacité de production de 900 à 1 200 mégawatts d'ici 2028.
En 2018, le coût du MWh s'élevait à 65 euros pour une installation neuve et à 97 euros pour une installation rénovée.
Il s'agit, comme pour le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets que nous aurons prochainement à examiner, de trouver un juste milieu entre les enjeux économiques et écologiques. Jean-François Rapin a mis en exergue le coût exorbitant de certaines passes à poissons. Lors des auditions, il m'a été confié que, pour une identique qualité de service écologique, nous pourrions réaliser des ouvrages coûtant deux, trois, voire cinq fois moins cher. On se heurte à des problèmes de normes. Avant de se demander si nous pouvons venir en aide aux producteurs d'hydroélectricité, peut-être faut-il s'interroger sur la manière dont sont définis les ouvrages...
EXAMEN DES ARTICLES
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-23 vise à supprimer cet article.
L'amendement COM-23 est adopté.
La commission proposera à la commission des affaires économiques de supprimer l'article 12.
Article 13 (délégué)
L'amendement rédactionnel COM-24 est adopté.
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-25 prévoit d'avancer du 1er janvier 2022 au 1er janvier 2021 la date d'éligibilité à la réduction d'impôt des dépenses engagées pour la mise aux normes des moulins.
L'amendement COM-25 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-26 est adopté.
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-27 rend plus efficiente la réduction d'impôt en l'étalant sur cinq ans et en en abaissant le plafond.
L'amendement COM-27 est adopté.
La commission proposera à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 13 ainsi modifié.
Article 14 (délégué)
L'amendement rédactionnel COM-28 est adopté.
Mme Christine Lavarde, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-29 encadre le dispositif de suramortissement en le limitant aux seules installations qui ne bénéficient pas d'un dispositif de soutien public.
L'amendement COM-29 est adopté.
La commission proposera à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 14 ainsi modifié.
Article 15 (délégué)
La commission proposera à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 15 sans modification.
Article 16 (délégué)
La commission proposera à la commission des affaires économiques d'adopter l'article 16 sans modification.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
Proposition de loi visant à orienter l'épargne des Français vers des fonds souverains régionaux - Examen du rapport et élaboration du texte de la commission
M. Claude Raynal, président. - Nous examinons maintenant la proposition de loi visant à orienter l'épargne des Français vers des fonds souverains régionaux, présentée par Mme Vanina Paoli-Gagin et plusieurs de ses collègues, sur le rapport de M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - La proposition de loi prend appui sur deux constats. Le premier tient à la forte croissance de l'épargne des Français sous l'effet des mesures de restriction. Rien que pour 2020, la Banque de France estime le surcroît d'épargne à 110 milliards d'euros, dont plus de 42 milliards sont venus gonfler l'encours du livret A et du livret de développement durable et solidaire (LDDS). Le second constat concerne le besoin de notre pays, par l'État, nos collectivités locales et nos entreprises d'investir massivement pour faire face aux enjeux du monde à venir.
Nous avons eu l'occasion d'en discuter lors de la table ronde organisée par la commission sur ce sujet, le 17 février dernier. À mon sens, nous devons garder en tête deux éléments. D'une part, ce surplus d'épargne n'a pas vocation à être sanctuarisé ; il correspond à une consommation différée, et nous devons souhaiter une forte décollecte de cette épargne en sortie de crise. D'autre part, les ressources collectées sur les livrets d'épargne réglementée ne « dorment » pas, mais sont déjà mobilisées pour soutenir des politiques publiques essentielles - pour le livret A, comme vous le savez, il s'agit notamment du financement du logement social - et accompagner le financement des investissements publics locaux.
À la lecture du titre de la proposition de loi, j'y ai vu une initiative intéressante à deux points de vue. D'abord, l'objectif de permettre aux Français de donner du sens à leur épargne me semble correspondre à une aspiration forte de nos concitoyens, comme en témoigne le développement de nombreux labels d'investissement responsable. Ensuite, le soutien aux fonds propres des entreprises constitue le principal cheval de bataille pour les accompagner dans la sortie de crise. Nous serons d'accord sur ce point : pour les petites et moyennes entreprises (PME) en particulier, un appui au niveau régional peut constituer un élément de réponse utile.
Toutefois, l'analyse du dispositif proposé a sensiblement modifié mon appréciation : le fonds souverain régional envisagé s'apparente à un simple mécanisme d'emprunt bancaire par les régions, tandis que la lisibilité de l'utilisation de l'épargne n'est pas plus évidente que pour l'actuel livret A. Cette épargne serait collectée par le réseau bancaire, puis redistribuée sous forme de prêt, non pas en fonction des montants déposés sur ces livrets dans chacune de nos régions, mais en fonction d'une clé de répartition définie à partir du potentiel financier de chaque région.
Si la proposition de loi comprend six articles, le dispositif s'articule essentiellement autour de deux axes. Le premier, que je vais qualifier de « partie haute », comprend la création d'un nouveau livret d'épargne réglementée. Le second, concernant l'utilisation de la ressource collectée par les régions, correspond à la « partie basse » du dispositif.
Sur la « partie haute », l'article 1er introduit un nouveau produit d'épargne réglementée - le livret de développement des territoires (LDT) -, dont les caractéristiques reprennent en partie celles du livret A : une liquidité permanente, une exonération fiscale et sociale des intérêts perçus et un fléchage de la ressource.
Trois différences significatives doivent être signalées. La première concerne les conditions d'ouverture et de détention : aucun plafonnement de l'encours du livret n'est prévu et la pluri-détention n'est pas interdite.
La deuxième différence porte sur la rémunération proposée. Calée sur celle du livret A pour les cinq premières années, elle est ensuite majorée à hauteur de 1,25 fois à partir de six ans et de 1,5 fois au-delà de dix ans. Dans le contexte actuel, c'est viser une rémunération attractive pour l'épargnant, mais surtout s'exposer à une ressource chère pour l'emprunteur. En effet, l'idée étant d'adosser des prêts à cette épargne, à partir du moment où l'épargne est rémunérée à des taux supérieurs à ceux du marché, les prêts adossés seront nécessairement plus chers.
La troisième différence concerne la garantie des sommes déposées. Contrairement aux autres livrets d'épargne réglementée, aucune garantie de l'État n'est prévue dans le dispositif. Il en résulte deux conséquences : les dépôts sont pris en compte dans l'encours maximal de 100 000 euros garantis par épargnant et, surtout, la banque doit contribuer au Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) au titre des sommes collectées, ce qui va renchérir encore le coût de la ressource.
La proposition de loi dispose ensuite qu'un ratio de 90 % de l'encours ainsi collecté devrait être prêté aux régions volontaires, en fonction d'une clé de répartition fondée sur leur potentiel financier. Ce mécanisme appelle de ma part deux observations relatives à son coût et à son fonctionnement.
Concernant son coût, il est, pour reprendre l'expression de la direction générale du Trésor, prohibitif pour les finances publiques. D'une part, de façon ponctuelle, l'exonération fiscale et sociale intègre des retraits opérés en 2022 sur d'autres produits d'épargne pour abonder le nouveau livret ; toute somme placée en 2022 sur ce LDT sera exonérée. Concrètement, cela signifie qu'un rachat d'assurance-vie en 2022 destiné à alimenter un LDT ne serait soumis à aucun prélèvement dès lors que les sommes correspondantes y sont maintenues cinq ans. D'autre part, de façon structurelle, la rémunération majorée par rapport au livret A viendra renchérir le coût de la dépense fiscale associée. Pour un encours de 80 milliards d'euros, cela représente tout de même une centaine de millions d'euros par an.
La seconde observation concerne le fonctionnement du dispositif. En l'état, il aurait du mal à fonctionner. La promesse faite à l'épargnant en termes de liquidité permanente et de rémunération n'est guère compatible avec l'emploi imposé de la ressource.
Deux problèmes se posent. Premièrement, l'encours du LDT, dont l'emploi est fléché, ne fait l'objet d'aucune centralisation auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), ce qui aurait permis de mutualiser les risques et d'optimiser l'usage de la ressource, comme c'est le cas pour le livret A. Deuxièmement, les banques assureraient seules l'allocation de l'encours, mais, surtout, devraient garantir la liquidité permanente du produit pour l'épargnant, avec toutes les contraintes que cela implique.
Sur la « partie basse », qui concerne la création de fonds souverains régionaux, l'article 4 de la proposition de loi introduit une nouvelle section au sein du code général des collectivités territoriales (CGCT), afin de créer, dans chaque région et collectivité à statut particulier, un fonds souverain régional.
Il convient de lever une confusion pour assurer la clarté des débats : la proposition de loi ne conduit pas à créer, dans les régions, des fonds souverains au sens où on l'entend généralement, c'est-à-dire des structures ad hoc ayant pour objet d'investir dans des actifs. En premier lieu, ces fonds souverains régionaux ne seraient pas dotés d'une personnalité morale, ce qui les rendrait indistincts des régions au plan juridique et comptable. En second lieu, plutôt que d'investir dans des actifs, ils auraient pour fonction de financer les dépenses d'équipements des régions lorsque celles-ci sont compatibles avec les objectifs des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet).
Afin d'alimenter ces fonds, qui ne sont en réalité qu'une nouvelle ligne à leur budget, les régions pourraient mobiliser deux types de financement : d'abord, les ressources versées par les autres collectivités locales qui cofinancent les projets sur lesquels la région intervient ; ensuite, et principalement, une fraction de l'encours du LDT qui serait prêtée par les banques à un taux ne pouvant excéder le double de celui du livret A.
Dans la situation actuelle, le livret A servant un intérêt à 0,5 %, la banque ne pourrait prêter aux régions qu'à un taux de 1 %. Sachant le taux de rémunération de l'épargne, et en tenant compte des frais de gestion du système, le taux de sortie du prêt ne peut guère être inférieur à 1 %. Structurellement, cela ne peut pas fonctionner.
En résumé, ce ne sont pas des fonds souverains qui sont ici créés, mais bien un nouveau mécanisme d'emprunt bancaire au profit des régions, afin de financer leurs dépenses d'équipement.
Cela étant posé, le dispositif proposé me semble présenter des difficultés. Premièrement, il introduit un nouveau produit d'emprunt bancaire pour les régions, alors que ces dernières ne connaissent et ne témoignent d'aucune carence dans leur accès au crédit.
Deuxièmement, compte tenu des conditions de rémunération du LDT proposées à l'article 1er, le taux d'emprunt servi aux régions serait proche de 1 %, alors même qu'elles s'endettent actuellement à 0,58 % en moyenne. En conséquence, l'utilisation de ce dispositif coûterait cher aux régions, et il y a donc un risque évident qu'elles n'aient pas recours à cette ressource. Pour les banques qui collecteraient cette ressource, le risque serait de devoir rémunérer ces LDT sans trouver preneur et sans centralisation d'une partie des fonds, comme c'est le cas pour le livret A.
Troisièmement, la nomenclature comptable ne serait actuellement pas en mesure de rendre compte des ressources et des emplois de ces fonds. Or, l'un des intérêts du LDT pour l'épargnant devrait être, notamment, de pouvoir constater concrètement l'impact de son placement sur le développement régional ; ce ne serait pas possible en l'état.
Quatrièmement, enfin, les modalités d'engagement des dépenses d'équipement de droit commun semblent peu adaptées, tandis que celles prévues à titre dérogatoire sont excessivement lourdes. En effet, les dépenses compatibles avec les objectifs inscrits aux Sraddet pourraient, de droit, être financées par le fonds. Toutefois, ces schémas n'existent pas dans toutes les régions ou collectivités à statut particulier et, en tout état de cause, ne présentent pas un niveau de détail suffisant pour servir de base de référence à l'engagement d'une dépense d'investissement.
Lorsqu'il n'y a pas de Sraddet ou que les dépenses ne sont pas compatibles avec l'un de ses objectifs, la région pourrait prendre une délibération après concertation de l'ensemble des collectivités locales et association du préfet, afin d'autoriser leur financement par le fonds. On rentrerait là dans une démarche très lourde pour simplement demander un prêt et financer un investissement.
Si je n'ai pas été convaincu par le dispositif proposé, j'ai toutefois cherché des pistes d'amélioration. L'une d'elles aurait été, à mon sens, de constituer de véritables fonds souverains régionaux chargés de mobiliser l'encours du LDT localement, en octroyant des prêts ou en prenant des participations au capital des entreprises.
Outre le fait que les règles de recevabilité financière ne le permettaient pas, la faisabilité et l'opportunité d'un tel dispositif faisaient également défaut. Concernant la faisabilité, il aurait fallu doter ces fonds souverains de capitaux propres leur permettant d'assumer leurs missions. D'après la direction générale du Trésor, les régions auraient dû mobiliser 3 milliards d'euros rien que pour doter ces fonds propres au moment de leur création.
Concernant l'opportunité, le droit permet déjà aux régions, en partenariat avec le secteur privé et dans le respect du droit de l'Union européenne, de constituer et de doter des fonds d'investissement ; des dispositifs existent. De même, les régions peuvent déjà prendre des participations au sein des sociétés commerciales et accorder des prêts ou des avances remboursables.
J'ai pu échanger avec les principaux acteurs concernés. À chaque fois, le même constat s'est imposé : le dispositif, tel qu'il est imaginé, ne fonctionne malheureusement pas et, surtout, l'objectif poursuivi ne semble répondre à aucune carence identifiée ni même à aucune demande particulière des régions. C'est pourquoi, comme j'ai eu l'occasion d'en discuter avec l'auteure de la proposition de loi à différentes reprises, il ne me semble pas opportun d'adopter cette proposition de loi.
Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. - Au lieu de sortir de l'eau, j'ai plutôt l'impression d'avoir été happée à 20 000 lieues sous les mers... Je suis consciente des imperfections de cette proposition de loi - c'est mon baptême du feu -, mais votre vision parfaitement orthodoxe ne m'a pas complètement convaincue. Comme le dit Corine Pelluchon, il va falloir réparer le monde, et pour ce faire, donner des moyens et des marges de manoeuvre très importants aux collectivités pour mettre en place des politiques de terrain à la fois exigeantes et, j'insiste, innovantes. Il faut aborder ces situations autrement que sous un angle purement comptable, et la Haute Assemblée est la chambre pour faire en sorte que notre pays prospère.
La crise sanitaire nous place devant un paradoxe : le déficit et la dette explosent, tandis que les Français ont constitué une « sur-épargne » très abondante, qui est estimée à hauteur de plus de 200 milliards d'euros d'ici à la fin de 2021. Le défi que nous essayons de relever au travers de ce texte est d'investir dans la transition écologique et les innovations de rupture bien au-delà du plan de relance, qui sera très insuffisant, sachant que les possibilités d'investissements publics au regard des indicateurs que vous avez détaillés vont être considérablement réduites. Nous voulons par ce texte nous projeter dans l'après.
Monsieur le rapporteur, vous avez une vision assez statique du texte qui viserait seulement à investir dans des équipements. Ma perception est plus dynamique et repose sur la décentralisation et l'hybridation des financements. Je fais confiance aux élus locaux dans les territoires pour réaliser des investissements productifs - les actifs de production d'énergie, par exemple, peuvent être rentables à long terme. Beaucoup de solutions restent à imaginer, en liaison avec les partenaires privés et les citoyens, qui pourront décider d'investir eux-mêmes par le biais de financements participatifs, par exemple.
Les Français n'auraient pas d'appétence pour un livret de développement des territoires. Je n'en suis pas si sûre, car une partie d'entre eux souhaite améliorer le sort des générations futures dans un monde reçu en héritage assez peu brillant.
Autre talon d'Achille que décèlerait cette proposition de loi : l'absence de traçabilité de l'euro collecté. Or, avec une collecte nationale et l'application de la péréquation, la redistribution redeviendrait territoriale. Il suffirait que le marketing bancaire et les régions mettent en avant les effets positifs du LDT pour les investissements et la transition écologique régionale.
Concernant le défaut d'attractivité pour les régions, que vous invoquez, il s'agit d'un argument conjoncturel, dans un contexte anormal de taux d'intérêt très bas. La solution que je vous propose est structurelle et s'appliquera dès la remontée des taux, qui est prévisible à moyen terme. Par ailleurs, l'argument du lien entre le taux du livret A et les taux du marché est tronqué, car la fixation du premier résulte d'un choix du Gouvernement de ne pas appliquer la règle de calcul officielle résultant du taux Eonia - le taux des dépôts interbancaires - et de l'inflation. En effet, le niveau des taux et une inflation quasi nulle auraient normalement conduit à un taux de livret A négatif. Le désintérêt des régions reposerait donc sur une réalité erronée, car le taux du livret A est bien supérieur à ce qu'il devrait être. Mais lorsque les taux remonteront, la règle de calcul normale s'appliquera au taux du livret A, qui redeviendra nettement inférieur au taux du marché. Les régions pourront alors trouver un réel intérêt au dispositif, puisque le coût de leurs emprunts - taux du livret A multiplié par deux au maximum - sera lui-même inférieur aux taux du marché. Je vous rappelle qu'en 2015 le taux du livret A était de 0,75 % et que les taux immobiliers avoisinaient les 2 %.
Je suis également surprise de l'absence de contre-propositions par le biais d'amendements. Nous avions pourtant ouvert des pistes en suggérant notamment de bloquer une partie de cette épargne ou de prévoir l'investissement en fonds propres dans les entreprises. Mon objectif était de saisir ce moment historique très décisif pour la pérennisation de l'investissement public dans les territoires et d'introduire une sorte de « Small Business Act » (SBA) à la française, dans l'esprit de la loi adoptée par les États-Unis à l'issue de la Seconde Guerre mondiale pour aider les entreprises. Ce système de financement a entraîné la création d'acteurs mondiaux majeurs dans un certain nombre de domaines d'innovations de rupture. Mon pari, en dépit de la réduction à venir des marges de manoeuvre des collectivités, est de donner aux entreprises un carnet de commandes et de leur permettre de faire du chiffre d'affaires. Il ne s'agit pas de les empêcher de renforcer leurs fonds propres, mais il faudra utiliser ces deux mécanismes pour tirer les écosystèmes locaux, favoriser l'émergence de filières industrielles, notamment concernant l'hydrogène, et dynamiser la recherche.
Toutes les propositions sont les bienvenues, et le Sénat devrait se saisir de toutes ces questions importantes, à commencer par la mobilisation de l'épargne des Français, qui est au coeur de l'actualité, l'investissement dans la transition écologique ou encore le besoin de décentralisation, indispensable pour pérenniser notre fragile pacte républicain.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je renouvelle mes remerciements à Vanina Paoli-Gagin et au rapporteur. Quand j'ai proposé à Philippe Dallier de se saisir d'un dossier aussi complexe, j'ai souhaité m'appuyer sur son expérience. Cela m'a semblé utile pour prendre du recul et croiser les regards. Je comprends l'intention qui sous-tend le texte, mais je souscris aux réserves objectives exprimées par le rapporteur en un moment difficile où émergent des paradoxes nouveaux comme l'apparition d'une épargne très importante associée à une dette en forte augmentation qu'aucune « ardoise magique » n'effacera.
Toutes les propositions sont bienvenues, mais il faut aussi voir la façon de les mener à bon port. Je pense ainsi à la proposition que le Sénat a portée concernant l'assurance des pertes d'exploitation. Agnès Pannier-Runacher et Bruno Le Maire étaient très enthousiastes au début, avant de finalement changer d'avis, alors que le dispositif méritait à mon avis que l'on aille plus loin. Il est pour moi hors de question de renoncer sur ce sujet, et je rejoins sur ce point ma collègue Vanina Paoli-Gagin.
Néanmoins, comme l'a démontré notre rapporteur, le dispositif tel qu'il est envisagé risque de ne pas conduire à ce qui est attendu. Si les intentions de Vanina Paoli-Gagin sont tout à fait louables, je partage l'analyse du rapporteur, étayée par les nombreuses auditions qu'il a réalisées : le dispositif n'est pas pleinement abouti et mériterait d'être retravaillé. J'en appelle à la persévérance de l'auteur de ce texte pour oeuvrer en ce sens. Nous devrions commencer par nous mettre d'accord sur les fondamentaux avant de décider éventuellement de les intégrer aux propositions du Sénat.
M. Claude Raynal, président. - Les questions de nos collègues sont nombreuses, ce qui témoigne de l'intérêt que nous portons à ce sujet.
M. Pascal Savoldelli. - Les élus joueraient un rôle pour orienter cette nouvelle épargne, ce qui est une bonne chose. Et les collectivités territoriales auront effectivement besoin de nouveaux outils d'investissement. Selon l'exposé des motifs, la souveraineté de la France dépend de son appareil productif. Or vous nous proposez des fonds souverains régionaux, réponse éminemment politique, argumentée et déjà débattue en partie par nos concitoyens. C'est un choix tout à fait respectable qui a déjà été opéré dans d'autres pays européens. Nous pourrions trouver un consensus en réfléchissant à un véritable outil d'investissement des trois niveaux de collectivités. Il y va de notre esprit de responsabilité et de nos projets de société. Nous hésitions à déposer des amendements, car notre ambition n'était pas de déconstruire le travail de notre collègue.
Cela étant, le texte reste très imprécis sur les conditionnalités, les modalités de financement des projets, les plafonds ; le dispositif se superpose avec celui que la Banque des territoires et la Caisse des dépôts et consignations aide actuellement les trois niveaux de collectivités. J'approuve la création d'un nouveau support à condition qu'il ne concurrence pas les dispositifs existants comme le financement du logement social, auquel je suis très attaché. Un débat apaisé dans lequel nos concitoyens auront toute leur place s'impose sur la question de l'épargne.
M. Jérôme Bascher. - Je souscris à une large partie des propos de Pascal Savoldelli : le débat que soulève Vanina Paoli-Gagin est le bon, mais le dispositif n'est pas abouti. Constate-t-on une carence du marché ? Hélas non. Est-ce conjoncturel ? Hélas non, cela fait huit ans que les taux bancaires, y compris ceux de la Caisse des dépôts et consignations, sont non compétitifs et que les collectivités locales se sont lancées dans l'émission obligataire. Or l'aide à la relance est tout à fait conjoncturelle. Il me paraît bien délicat de s'arranger ainsi avec l'économie. Je suis absolument d'accord avec la mise en oeuvre de fonds souverains régionaux ; mais en l'espèce, il s'agit de créer un nouvel instrument de la dette publique. Nous manquons de vrais investissements par l'utilisation de l'épargne. C'est du capital, et ce n'est pas de la dette ! C'est le vrai débat. Mais cette proposition de loi n'est vraiment pas le bon moyen d'atteindre nos objectifs.
M. Marc Laménie. - Je remercie Vanina Paoli-Gagin ainsi que notre rapporteur. On peut comprendre l'objet de la proposition de loi, qui met en exergue une crise particulièrement difficile et l'apparition d'initiatives locales bienvenues. Mais nous sommes confrontés à un paradoxe : une forte hausse de l'endettement et, dans le même temps, l'augmentation de l'épargne des Français dont l'utilisation serait judicieuse pour financer la relance et répondre aux besoins croissants, qu'il s'agisse de la santé, des infrastructures, du développement durable ou du logement social. En réalité, l'initiative parlementaire se transforme souvent en un parcours du combattant parsemé d'embuches, au premier rang desquelles figurent les normes juridiques européennes.
Se pose également la question de l'autonomie des collectivités territoriales. Les régions voient leurs compétences principales s'accroître, notamment en matière de développement économique, d'aménagement du territoire et de transport. Peuvent-elles prêter à d'autres collectivités locales, par exemple aux communes, comme le prévoit la proposition de loi ? Cette pratique, à laquelle s'est livrée à un moment le conseil général des Ardennes, ne revient-elle pas plutôt aux banques ?
M. Emmanuel Capus. - Je suis un peu déçu par la position de M. le rapporteur. Il ne faut pas que l'expérience, chère à M. le rapporteur général, soit la justification de l'immobilisme...
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Emmanuel Capus. - Je salue le travail de Mme Paoli-Gagin à l'initiative de cette proposition de loi que j'ai cosignée avec nombre de mes collègues.
Nous sommes tous d'accord pour orienter l'épargne des Français, qui est exceptionnelle, vers les territoires. Dans la mesure où, comme vient de le dire le rapporteur général, le dispositif n'est pas pleinement abouti, je ne comprends pas pourquoi la commission ne dépose pas d'amendements. Et, pour reprendre les propos de Jérôme Bascher, on ne peut pas se contenter d'être dans le débat. Lorsqu'on constate un problème, il faut trouver des solutions et les proposer. Pour répondre à Pascal Savoldelli, il n'est nullement question de s'attaquer au logement social ! Si l'on craint que ce texte ne crée une concurrence déloyale à l'égard du secteur privé et du livret A, pourquoi ne propose-t-on pas de modifier les taux du futur livret de développement des territoires ? Pourquoi ne prévoit-on pas une durée minimale de détention pour les nouveaux placements ? En quoi le risque de non-utilisation des fonds souverains régionaux serait-il dramatique ? Enfin, si l'on craint que l'investissement dans les infrastructures ne présente aucun intérêt, pourquoi ne pas ouvrir le principe aux fonds propres des entreprises ? Que propose le rapporteur pour favoriser la relance de nos territoires ?
M. Claude Raynal, président. - Les règles de recevabilité financière ne s'appliquent pas avec la même rigueur sur la proposition de loi initiale, qui s'en affranchit fréquemment, et sur les amendements déposés. Donc, si l'on voulait modifier sur le fond le texte, il conviendrait de le retirer et de le redéposer.
M. Vincent Segouin. - Comme mon collègue Jérôme Bascher, je suis totalement défavorable à la création d'une dette supplémentaire. Au demeurant, et pour répondre au rapporteur, je suis convaincu que nos concitoyens peuvent délaisser des taux ultra-compétitifs et rechercher la proximité et l'économie des territoires. Cette piste qui est dans l'air du temps me paraît bonne, à condition de garantir la transparence des investissements, la proximité et le suivi. J'espère que cette proposition de loi ne restera pas sans suite. Il vaudrait mieux y retravailler pour trouver des solutions.
M. Patrice Joly. - Je remercie Vanina Paoli-Gagin de cette proposition de loi qui suscite un véritable intérêt, ainsi que le rapporteur pour cette présentation technique précise. L'épargne s'accroît de manière sensible, mais seulement chez les catégories socioprofessionnelles supérieures, tandis que celle des plus modestes diminue. Cette fracture sociale est renforcée par une fracture générationnelle. La proposition de loi n'apporte pas de réponse à l'exigence de solidarité et de cohésion nationale, et si ce sujet ne fait pas partie de ses objectifs, il participe néanmoins de la dilution de la société française à laquelle nous devrons remédier. Les socialistes ont d'ailleurs fait récemment des propositions en ce sens, de manière que chacun participe à hauteur de ses capacités contributives à la refondation de notre République, dans ses grands enjeux sociaux, économiques et de transition environnementale.
Créer un nouveau produit d'épargne renvoie à la concurrence entre les produits, avec un risque pour le financement de divers projets tels les investissements dans le logement social. S'il est fondamental de donner du sens à son épargne, la mise en oeuvre du dispositif, notamment sa répartition régionale, n'est pas satisfaisante.
L'un des grands enjeux actuels est la question du financement de l'économie. Il serait utile d'obliger les banques à réinvestir les sommes collectées dans les territoires : or, on observe surtout que les pauvres prêtent aux riches... Certaines banques américaines doivent réinvestir une partie de leurs crédits là où ils ont été collectés. Cet exemple pourrait nous inspirer, car une véritable réflexion doit être menée sur tous les aspects de la question, y compris techniques. Toutes ces lacunes justifient une abstention de notre part : c'est bien, mais peut mieux faire - collectivement !
M. Michel Canevet. - J'ai cosigné cette proposition de loi et ai même tenté de la compléter par trois amendements, car j'ai une double conviction. D'une part, il faut trouver des financements pour des projets d'intérêt collectif sur les territoires, et les fonds souverains régionaux me semblent le bon moyen d'y parvenir. D'autre part, il convient de mobiliser l'épargne de nos concitoyens vers des projets locaux, a fortiori dans un moment où les livrets de toutes couleurs sont largement garnis et que l'économie, souffrant de la pandémie, doit être relancée. La notion de livret de développement des territoires me paraît pertinente et sécurisante. Pour l'hydroélectricité par exemple, on pourrait envisager de remplacer les subventions par des appels publics à l'épargne pour mobiliser tous les Français. Nous devrons débattre de ces sujets. Enfin, je m'interroge sur les raisons pour lesquelles aucune garantie publique ne serait octroyée au livret de développement des territoires, contrairement aux autres livrets réglementés. Qu'en est-il de la garantie de 100 000 euros ?
M. Christian Bilhac. - Monsieur le rapporteur général, vous avez souligné que vous aviez fait le choix de l'expérience en la personne du rapporteur. C'est le cas de la plupart d'entre nous. Toutefois, comme le disait Confucius, l'expérience est une lanterne accrochée dans le dos, qui n'éclaire que le chemin parcouru. Notre collègue Vanina Paoli-Gagin prend quant à elle la lampe torche qui éclaire l'avenir. C'est pourquoi il faut regarder avec intérêt cette proposition.
Certes, les taux bas peuvent nous conduire à nous interroger sur son utilité, mais il s'agit d'une situation conjoncturelle. De plus, je vous rejoins, le texte comporte des imperfections et mérite des améliorations. Il faut par exemple préserver le livret A et, par là même, le financement du logement social. C'est pourquoi je vous suggère plutôt d'améliorer le texte ou, pour éviter l'écueil de l'article 40, de le rejeter provisoirement pour mieux le faire revenir !
M. Paul Toussaint Parigi. - Cette proposition est pertinente, mais soulève deux interrogations. En premier lieu, quelle sera la gouvernance de ces fonds au-delà de la seule assemblée régionale ? Pourrait-on associer la société civile pour siéger au Conseil économique, social et environnemental (CESE) au titre de la protection de la nature et de l'environnement ? En second lieu, comment mettre en place un fléchage efficace vers la transition écologique ? Les Sraddet sont l'instrument le plus avancé à l'échelon régional pour conditionner les prêts ; néanmoins, leur champ d'application est large et ne se limite pas à la transition écologique.
M. Victorin Lurel. - Je suis plutôt favorable à cette proposition de loi, et son rejet par la commission me désole. Qu'elle comporte des imperfections, je peux l'entendre, mais cela participe des initiatives locales à l'instar des monnaies locales, de l'appel public à l'épargne, etc. Au lieu de rejeter totalement ce texte, nous devrions trouver un moyen de le faire revenir. Nombre d'élus s'en satisferaient. La région Auvergne-Rhône-Alpes vient de lancer une telle initiative pour 100 millions d'euros, dont 70 millions d'euros dans un premier temps, à raison de 35 millions par Bpifrance et la région et 35 millions qui seraient apportés par d'autres partenaires financiers, particuliers et banques. En quoi cette expérience serait-elle vouée à l'échec, d'autant qu'elle devrait soutenir les fonds propres des entreprises ? Nous avions d'ailleurs déjà fait appel public à l'épargne en Guadeloupe il y a une vingtaine d'années.
M. Claude Raynal, président. - Il n'y a pas de sujet sur l'exposé des motifs de cette proposition de loi. Les propositions, aujourd'hui, ne répondent peut-être pas à une demande. Mais les choses peuvent changer, il n'est jamais inutile de se préparer. Je vous rappelle que, lors de la crise de 2008, les collectivités locales n'arrivaient plus à se faire prêter ; il avait fallu trouver un système permettant d'aller directement sur les marchés financiers.
Par ailleurs, l'idée d'une proximité entre le placement financier et l'utilisation locale est toujours favorablement accueillie.
Il faudra revenir avec un nouveau texte préparé collectivement et en amont.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Je veux bien être taxé d'orthodoxe en matière de finances... Mon rôle, en tant que rapporteur, est de me prononcer sur les dispositions contenues dans la proposition de loi et non sur son exposé des motifs - et c'est ce qui soulève une difficulté. Entre les conditions de collecte de l'épargne, le fait de ne pas s'adosser à la CDC, de demander aux banques de distribuer ce livret et d'en assumer le coût, sans centralisation, ce texte pose beaucoup de problèmes.
Je ne peux pas réécrire la proposition de loi en raison des contraintes posées par l'article 40 de la Constitution. Pour répondre à l'intention de notre collègue, le mieux aurait été de retirer la proposition de loi et d'y revenir, comme je lui ai proposé lors de nos échanges en amont de l'examen du texte. Je ne peux pas, dans mon rôle, la transformer complètement pour répondre aux attentes exprimées.
En réponse à Michel Canevet, les régions n'ont aujourd'hui aucun problème de financement. Cela ne les intéressera pas qu'on leur apporte une nouvelle source de financement plus chère.
Il existe deux types de garanties : d'une part, une garantie intégrale assurée directement par l'État pour les livrets d'épargne réglementée faisant l'objet d'une centralisation à la CDC ; d'autre part, pour tout le reste, chaque épargnant est garanti à hauteur de 100 000 euros par le biais du FGDR, financé par des contributions bancaires. Ce nouveau livret bénéficierait de cette garantie à hauteur de 100 000 euros.
Ce qui se passe en région Auvergne-Rhône-Alpes est la preuve que les régions participent déjà à ce que l'on pourrait qualifier de fonds souverain, en intervenant au capital des entreprises. Mais elles interviennent dans un cadre précis, avec des partenaires privés, selon des règles fixées par le droit de l'Union européenne. On peut sans doute améliorer les choses, mais des possibilités existent déjà.
Pour répondre à Marc Laménie, le code monétaire et financier (CMF) précise qu'il est « interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel ».
Nous ferons vivre le débat en séance, mais le mieux sera, en effet, de revenir avec une autre proposition de loi, différemment orientée.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Je vous propose, pour l'application de l'article 45 de la Constitution, de considérer que le périmètre de la proposition de loi comprend les conditions de détention, de rémunération et d'utilisation de l'encours d'un nouveau livret d'épargne réglementée - dénommé LDT -, ainsi que les modalités d'utilisation par les régions du financement résultant du fléchage de l'épargne collectée sur ce nouveau livret d'épargne réglementée.
Le périmètre de la proposition de loi est adopté.
M. Claude Raynal, président. - Monsieur le rapporteur, trois amendements COM-2, COM-3 et COM-1 portant articles additionnels après l'article 4 ont été déposés. Au regard du périmètre que la commission vient d'adopter, sont-ils recevables ?
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Je crains que non, même si M. Canevet a exprimé un regret au sujet de l'amendement traitant du mécénat...
M. Michel Canevet. - Deux amendements ne sont manifestement pas dans le périmètre. Il y en a un, cependant, que je considère dans le périmètre, celui qui porte sur la capacité à alimenter le fonds souverain par le mécénat.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Le problème est que ce fonds souverain régional n'existe pas. C'est l'ambiguïté de ce texte depuis le début : on ne parle que du budget de la région. Sous quelle forme cela peut-il fonctionner ? Si l'on parlait d'un véritable fonds souverain avec une personnalité morale, l'idée serait recevable.
Les amendements COM-2, COM-3 et COM-1 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Claude Raynal, président. - Dans la mesure où il n'y a pas d'autres amendements déposés en vue de l'élaboration du texte de commission, je vais mettre aux voix l'ensemble des articles et de la proposition de loi.
Les articles 1er à 6 ne sont pas adoptés.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposé sur le Bureau du Sénat.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
TABLEAU DES SORTS
La réunion est close à 11 h 30.