- Mercredi 17 mars 2021
- Audition de MM. Dominique Ravon, président de l'Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation (UNMFREO), et Roland Grimault, directeur
- Audition de MM. Jean Salmon, président du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP), Philippe Poussin, secrétaire général du CNEAP, et Marc Janvier, président de l'Union nationale de l'enseignement agricole privé (UNEAP)
Mercredi 17 mars 2021
- Présidence de M. Jean-Marc Boyer, président -
La réunion est ouverte à 16 h 35.
Audition de MM. Dominique Ravon, président de l'Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation (UNMFREO), et Roland Grimault, directeur
M. Jean-Marc Boyer, président. - Notre mission d'information sur l'enseignement agricole, outil indispensable au coeur des enjeux de nos filières agricoles et alimentaires, entame aujourd'hui un cycle d'auditions qui va nous conduire à entendre les têtes de réseaux de l'enseignement agricole.
Nous accueillons tout d'abord le président de l'Union nationale des Maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation, Monsieur Dominique Ravon, et son directeur, Monsieur Roland Grimault.
Je vous rappelle que cette réunion est captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat, sur lequel elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande.
Avec mes 22 collègues membres de la mission d'information, nous sommes convaincus que l'enseignement agricole constitue une chance pour de nombreux jeunes et un outil indispensable pour l'avenir de nos filières agricoles et alimentaires. Il représente un atout indispensable pour relever le défi du renouvellement des générations en agriculture et permettre à l'agriculture française de répondre aux défis de demain. Il s'agit plus largement d'un outil indispensable pour les territoires ruraux. Nous n'ignorons pas que l'animation et le développement des territoires est l'une des missions de l'enseignement agricole.
Les quelque 368 Maisons familiales rurales (MFR), par leur modèle pédagogique particulier reposant sur l'alternance, sont un des piliers importants de cet enseignement agricole.
Monsieur Ravon, vous avez vous-même été formé en MFR avant de vous installer comme agriculteur en Vendée. Il me semble que vos enfants ont également suivi au moins une part de leur cursus en MFR. Votre exploitation a adhéré au réseau « Bienvenue à la ferme » et vous avez développé, avec vos associés et votre famille, des activités de transformation et de vente directe. Votre engagement en faveur de l'alternance n'est pas que théorique : vous accueillez vous-même des jeunes dans votre entreprise en tant que maître de stage et d'apprentissage.
Au cours de nos travaux, nous souhaitons analyser comment l'enseignement agricole, technique et supérieur, devrait répondre aux besoins des filières agricoles et alimentaires, afin de leur permettre de relever les défis auxquels elles sont confrontées. Pas uniquement pour produire, mais aussi pour transformer et pour vendre. Nous souhaitons évaluer la capacité de l'enseignement agricole à remplir cette mission aujourd'hui, notamment au regard des contraintes qui pèsent sur lui.
La première des contraintes est probablement la contrainte budgétaire. Pour pouvoir pleinement remplir son rôle, l'enseignement agricole, dans sa diversité, doit avoir les moyens de fonctionner correctement. Notre rapporteure, Nathalie Delattre, avait tiré la sonnette d'alarme lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021. Et elle avait à l'époque particulièrement insisté sur la situation des MFR, qui préoccupe de nombreux collègues.
Je propose donc que vous nous présentiez votre vision des enjeux, à partir du questionnaire qui vous a été adressé par notre rapporteure, pendant 10 à 15 minutes. Je passerai ensuite la parole à Nathalie Delattre afin qu'elle puisse vous poser un certain nombre de questions, puis à mes collègues qui le souhaitent.
M. Dominique Ravon, président de l'Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation (UNMFREO). - Nous sommes très heureux d'intervenir auprès de cette mission d'information. Les MFR sont actrices dans la formation professionnelle agricole depuis un peu plus de 80 ans. A l'origine, quelques agriculteurs se sont associés pour que leurs jeunes continuent à étudier tout en travaillant sur l'exploitation agricole. Ils ont mis en place cette pédagogie de l'alternance qui a permis de créer la première Maison familiale. Très vite, les MFR se sont étendues sur l'ensemble du territoire métropolitain et en outre-mer. Aujourd'hui, nous comptons 430 MFR dont 360 sous contrat avec le ministère de l'Agriculture.
Ce choix de l'alternance était clair : il fallait un temps théorique de formation parallèlement au temps de stage sur une exploitation agricole. Nous revendiquons toujours cette pédagogie qui allie la pratique à la théorie et qui permet beaucoup de rencontres. L'accueil des classes de quatrième et de troisième est important car les jeunes, en se rendant dans une exploitation dès l'âge de 14 ans, découvrent les métiers de l'agriculture qu'ils ne découvriraient pas autrement.
En 1937, 100 % des jeunes dans nos formations étaient issus du monde agricole. Aujourd'hui, ils ne sont plus que 10 %. Ce changement permet d'attirer un nouveau public. Cependant, pour que ce public s'engage dans la filière agricole, il doit la découvrir. La pédagogie de l'alternance est la mieux adaptée pour cela.
Il s'agit d'un choix éducatif de former en milieu professionnel. Nos équipes sont formées pour accompagner les jeunes et les moniteurs les suivent du matin au soir. Nos élèves sont internes et la vie résidentielle dans la Maison familiale pendant la semaine de formation leur permet une expérience et une ouverture. Par ailleurs, les Maisons familiales sont ouvertes sur le monde. Nous sommes partenaires avec une vingtaine de pays qui ont adopté la pédagogie MFR. Cela permet à nos jeunes des échanges avec ces pays et au-delà. En formation supérieure, ils ont en général une période de stage ou d'immersion à l'étranger. En BTS, cette période à l'étranger concerne 100 % des élèves.
Aujourd'hui, nous comptons 430 MFR, dont 360 sous contrat avec le ministère de l'Agriculture. Nos Maisons délivrent des formations agricoles de production, mais aussi des formations aux métiers de services à la personne. Je reprends l'expression de l'ancien ministre de l'agriculture, Didier Guillaume, qui se disait aussi le ministre de la ruralité. Nous nous intégrons dans cette perspective car nous sommes présents dans les zones les moins denses. Qui, mieux que des jeunes formés sur un territoire, peut l'adopter et s'y engager ? Nous formons aussi aux métiers parallèles à la production. Nous sommes présents dans les métiers agroalimentaires qui ont besoin de main d'oeuvre et nous sommes immergés dans les territoires.
Personnellement, je ne viens pas d'un territoire très rural. Aux Sables-d'Olonne, nous avons développé une production avec des circuits courts. Cependant, il est nécessaire de former des fromagers, des bouchers, des charcutiers pour transformer la production de l'exploitation. Parfois, un jeune vient chez nous avec l'intention d'apprendre un métier puis il se trouve une nouvelle passion et change d'avis. Il faut permettre aux jeunes de découvrir de nombreux métiers. L'agriculture en a besoin. Nous avons aussi besoin d'accompagner les jeunes dans la dimension environnementale et dans celle de la proximité avec le consommateur, en dehors des intermédiaires.
M. Roland Grimault, directeur de l'Union nationale des maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation (UNMFREO). - Je me propose de vous présenter quelques chiffres en réponse à vos questions. Nous avons une particularité dans le paysage éducatif, grâce à l'enseignement agricole : nos classes de quatrième et troisième permettent d'accueillir des jeunes à partir de 14 ans pour leur faire découvrir un certain nombre de métiers, notamment agricoles et ruraux. Nous accueillons chaque année environ 4 500 jeunes en classe de quatrième et 10 000 en classe de troisième. Certains d'entre eux arrivent en troisième avec un choix de métier affirmé, tandis que d'autres ont décroché au collège et cherchent une solution de rechange. Les MFR proposent une méthode originale avec l'alternance, en travaillant avec les jeunes sur leur confiance en eux, ce qui leur permet de reprendre pied dans les études. A l'issue de la classe de troisième, les jeunes restent pour moitié dans les MFR. Les autres changent d'orientation et se dirigent, en particulier, vers l'apprentissage hors du champ agricole. Cependant, ils partent en connaissance de cause. Leur maître de stage devient souvent leur maître d'apprentissage.
Nous recevons également des certificats d'aptitude professionnelle (CAP) du ministère de l'agriculture, soit 5 500 scolaires hors alternance et 850 apprentis. Nous accueillons 23 000 baccalauréats, en majorité de baccalauréats professionnels et 3 000 apprentis. En brevet de technicien supérieur (BTS), nous comptons 1 500 scolaires et 1 700 apprentis. Nos effectifs représentent chaque année 30 % des effectifs de l'enseignement agricole. Nos apprentis totalisent environ 15 % des effectifs des apprentis en formation agricole, sachant qu'une partie importante des MFR est sous contrat avec le ministère de l'agriculture mais que certaines n'accueillent que de l'apprentissage qui n'est pas sous contrat avec ce ministère, dans les métiers de l'artisanat, les métiers de bouche, la mécanique générale, etc. L'apprentissage agricole représente un tiers de nos apprentis.
Nous accueillons également 35 000 adultes par an en formation dans le réseau, dont à peine 10 % dans le milieu agricole, en reconversion ou en élévation de niveau en formation continue.
Concernant l'évolution des effectifs, une baisse a été enregistrée lors de la dernière rentrée. Mais l'évolution constatée ces dernières années résulte en partie d'une décision de réorganisation de la filière professionnelle. La réforme menée en 2009 pour le baccalauréat professionnel agricole puis en 2011 pour le secteur des services a fait passer le baccalauréat professionnel de quatre ans à trois ans, avec des incidences sur les effectifs.
Avant la réforme, nous avions beaucoup de brevets d'études professionnelles (BEP), dont 40 % à 60 % passaient en baccalauréat. L'ambition de la réforme était d'emmener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat, mais il y avait aussi un argument économique - pourquoi faire en quatre ans ce que l'on peut faire en trois ? En passant du baccalauréat en quatre ans au baccalauréat en trois ans, nous avons perdu une promotion par année, soit 5 000 à 6 000 élèves en moins dans les MFR. La baisse des effectifs constatée dans les MFR résulte d'abord de cette réforme. Nous nous y sommes désormais adaptés. Nous accueillons essentiellement des baccalauréats, où arrivent les mêmes élèves qu'en BEP il y a dix ans. En classe de seconde, nous constatons des différences de niveaux plus importantes qu'avant. Il est toujours possible de préparer le baccalauréat en quatre ans, en passant d'abord le CAP. Mais au niveau de l'enseignement agricole, les parents affichent une grande réticence face au CAP agricole. Nous constatons une vraie différence avec d'autres secteurs d'activité, comme le bâtiment, la restauration ou les métiers de bouche. Le CAP est mal valorisé en agriculture, contrairement à ce que l'on observe dans d'autres professions.
M. Dominique Ravon. - J'accueille des jeunes en CAP boucherie pour la transformation. Leur parcours est reconnu par les professionnels. Il faut reconsidérer le CAP agricole (CAPA), très adapté pour former des futurs salariés sur une exploitation, même avec certaines responsabilités.
M. Roland Grimault. - En termes d'effectifs, 20 % de nos formations dépendant du ministère de l'agriculture concernent la production animale, végétale, horticole, aquacole ou forestière. 28 % des formations touchent les métiers des services aux personnes. Entre les deux, nous avons l'éventail des formations proposées par le ministère de l'agriculture en travaux paysagers, élevage canin, équitation, etc.
Nous avions vu repartir les effectifs à la hausse à la rentrée 2019 mais la rentrée 2020 a été plus difficile. Nous y voyons plusieurs raisons : l'effet covid est très net, avec la crainte des transports, puisque les MFR sont implantées en milieu rural et qu'il faut aussi se déplacer pour se rendre en stage. La covid-19 a suscité aussi des inquiétudes vis-à-vis de l'internat, qui est une force pédagogique pour nous et une nécessité pour accueillir de jeunes urbains. Les parents se sont montrés inquiets sur les lieux de stages possibles, en particulier dans la filière services et l'aide aux personnes âgées. Quelques parents nous ont par ailleurs signalé que, même si nous faisons tout en tant qu'association pour le réduire, le coût de la scolarité était difficile à assumer en raison du chômage partiel et de l'incertitude pesant sur l'emploi.
L'impact a été plus faible sur les CAP, les Bac et les BTS, mais nous avons enregistré une baisse de 30 % des effectifs pour les classes de quatrième et troisième ainsi que sur la filière services. L'effet est variable en fonction des MFR, selon les secteurs d'activité auxquels elles forment et leur implantation géographique.
M. Dominique Ravon. - Je précise que les MFR sont sous contrat avec l'État, dans le cadre de la loi Rocard de 1984. Nous sommes donc financés à l'élève. L'association est gérée par le conseil d'administration, en binôme avec le directeur de chaque établissement. L'association embauche son équipe. Tous les salariés de MFR sont payés par l'association, avec un financement à l'élève. Je tiens à dire que nous sommes les moins financés parmi les établissements d'enseignement agricole. Nous entendons l'argument selon lequel les parents ont du mal à payer les frais mais l'association doit équilibrer ses comptes. Dans les statistiques, nous faisons baisser la moyenne du financement global de la formation agricole.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Je vous remercie pour ces premiers éléments de réponse. Je rappelle que vous avez déjà été auditionnés dans le cadre du rapport sur le budget du projet de loi de finances sur l'enseignement agricole et que vous avez été unanimement soutenus ici au Sénat vis-à-vis des problématiques que vous aviez soulevées.
Pourriez-vous dresser un bilan de vos difficultés financières résultant de la covid-19, au regard des aides exceptionnelles accordées en fonction des classifications P1, P2 et P3 ? Vos établissements P1 ont-ils reçu les aides ? Avez-vous la possibilité de présenter de nouveaux dossiers P2, P3 ou bien P1 complémentaires ?
Je rappelle que la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) regrettait d'avoir à négocier avec 360 MFR et souhaitait avoir un seul interlocuteur. Nous leur avons rappelé votre spécificité, votre histoire et votre ancrage dans les territoires. La ruralité et la territorialité sont un véritable atout. Face à cette tentation jacobine du ministère de l'agriculture de vouloir vous réunir en une seule et unique entité, comment abordez-vous la négociation de votre convention avec le ministère ?
Vous nous avez parlé des difficultés rencontrées par les familles et leurs craintes en matière de mobilité et d'internat. Je pense qu'il ne s'agit pas d'un problème ponctuel car les habitudes de vie sont aujourd'hui différentes et il est plus difficile pour les familles et les jeunes d'envisager l'internat. Cependant, vous ne nous avez pas parlé de la concurrence. Le ministère de l'agriculture considère que vous êtes complémentaires de l'Éducation nationale. Cependant, nous avons acquis la conviction, lors du débat sur le budget du projet de loi de finances, que la concurrence existe. Certains élèves se dirigent vers le secteur public pour des raisons budgétaires et les formations proposées par l'Éducation nationale vous font directement concurrence.
Je souhaiterais vous entendre sur ces sujets.
M. Roland Grimault. - Concernant l'aide covid, au sein de l'enveloppe de 10,2 millions d'euros dégagée par le ministère de l'agriculture, nous avons reçu 1,7 million d'euros pour soutenir 47 MFR. Le choix a été fait par le ministère à partir des données dont il disposait.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Les aides étaient destinées aux MFR en grande difficulté, mais toutes les MFR en grande difficulté n'ont pas immédiatement déposé un dossier en P1. Les P2 et P3 doivent être traités ultérieurement. Recevrez-vous une enveloppe complémentaire à ce 1,7 million d'euros ?
M. Roland Grimault. - Aucun complément n'est annoncé. Il faut savoir que les pertes estimées étaient évaluées autour de 4 millions d'euros.
Pour bien comprendre les critères, au départ l'aide Covid était destinée à limiter les pertes Covid pour tous les établissements, puis elle a été limitée aux établissements en difficulté. Les aides dépendent de la définition des difficultés financières et de leur origine.
Nous avions dans un premier temps demandé plus de 4 millions d'euros, mais pas seulement pour les MFR en grande difficulté. En tant qu'association à but non lucratif, nous avons une impérieuse obligation d'équilibrer les comptes chaque année. Nous sommes une branche professionnelle avec 9 500 salariés et notre service juridique accompagne les MFR pour des embauches mais aussi parfois pour des licenciements, ce qui n'est pas forcément visible. Notre principale difficulté consiste à disposer des moyens suffisants au quotidien et au long cours pour assurer les budgets. Il est très appréciable d'avoir une aide exceptionnelle mais nous devons assurer les budgets sur la durée.
M. Dominique Ravon. - Nous avons voulu nous expliquer avec la DGER sur cette aide car les MFR ne correspondaient pas à tous les critères. Nous avons reçu 1,7 million d'euros pour 47 établissements. Quand le plafond de l'aide a été augmenté à 10 millions d'euros, nous avons compris que la rallonge était ciblée sur les établissements publics. La méthodologie de sélection aurait pu être différente. Nous allons maintenant discuter d'un protocole pour les trois ans à venir. Il faudra insister pour prendre en compte dans les critères d'attribution notre travail sur le terrain, l'insertion des jeunes et la satisfaction des familles.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Le coût unitaire de formation par élève (CUFE) va du simple au double entre le privé et le public. Je suppose que vous allez essayer de négocier le relèvement à l'élève de la participation.
M. Roland Grimault. - On nous oppose parfois l'argument selon lequel le fait que nous soyons en alternance justifierait une aide inférieure. Nous sommes cependant très présents en apprentissage et nous voyons tous les coûts de la formation en apprentissage qui ont été donnés par les branches professionnelles à France Compétences. À chaque fois qu'un contrat d'apprentissage est signé, une somme vous est attribuée. Or force est de constater aujourd'hui que l'apprentissage est une formation par alternance. Pour un baccalauréat, nous sommes souvent plus proches de 8 000 euros que de 4 500 euros. En effet, l'apprentissage a démontré que l'alternance doit supporter des coûts d'utilisation des salles de cours mais aussi des coûts liés au suivi des entreprises.
En ce qui concerne la concurrence dans l'enseignement agricole, il est indéniable que la présence d'établissements proposant les mêmes formations sur un territoire entraîne une forme de concurrence. Cependant, nous entretenons des échanges et une complémentarité s'est mise en place au fil des années avec des spécialités différentes. Un lycée agricole peut ainsi être spécialisé dans un domaine tandis que la MFR sera plus présente dans un autre. À travers l'alternance, nous proposons une autre formule pédagogique, qui me semble plus complémentaire que concurrentielle.
Nous ne sommes pas concurrents de l'Éducation nationale, d'où sont d'ailleurs issus nos élèves. Nous avons eu quelques craintes concernant la réforme du baccalauréat professionnel services aux personnes, dans laquelle plusieurs ministères sont impliqués : celui de l'agriculture, celui de l'éducation nationale et celui des affaires sociales. Nous craignions que le ministère de l'éducation nationale et celui des affaires sociales considèrent que l'enseignement agricole n'avait pas sa place dans l'aide aux personnes. Cependant, nous sommes rassurés après le travail effectué avec les services de la DGER. Nous avançons ensemble pour faire reconnaître notre spécificité.
Finalement, lorsque vous formez une aide-soignante, un boucher ou un élagueur, les mêmes compétences sont nécessaires, que le métier soit exercé en milieu rural ou en ville. La différence fondamentale se trouve dans le choix de travailler en milieu rural. Nous attirons quelques jeunes issus du milieu urbain mais ils restent minoritaires. Nous devons offrir des formations aux jeunes ruraux pour qu'ils y restent, mais nous devons aussi attirer une population urbaine. Nous avons travaillé avec un géographe de l'Université de Montpellier qui étudie les déplacements de population vers le milieu rural. Il nous a expliqué que, parmi les personnes venant s'installer en milieu rural pour un changement de vie, certaines réussissent très bien mais d'autres doivent parfois abandonner leur projet car il ne correspond pas aux attentes locales. Nous devons alors les former à d'autres métiers, dans les services aux personnes ou l'industrie.
Mme Marie-Pierre Monier. - Vous représentez un acteur clé dans le segment agricole. Vos dimensions de préprofessionnalisation et de pratique sont très importantes. Vous ne vous situez pas dans un circuit scolaire classique, vous avez une dimension de proximité et vous aidez les élèves à se sortir de leurs difficultés par votre approche pédagogique. Il n'existe aucune offre équivalente dans le public.
Vous avez dit qu'il était compliqué pour vous de répondre aux critères pour les aides Covid. Avez-vous des statistiques sur le nombre d'internats dans vos établissements ? Ceux qui possèdent des internats sont davantage impactés par la crise. Il me semble que votre place dans les territoires, parfois loin des centres, justifierait une aide spécifique.
La rapporteure a évoqué la concurrence avec l'Éducation nationale. Je souhaite pour ma part vous interroger sur votre lien avec le territoire, avec les collectivités territoriales et avec les acteurs locaux de l'Éducation nationale ? L'offre de formation des MFR a-t-elle évolué depuis les dernières années ?
Enfin, le manque d'attractivité de l'enseignement agricole et le manque de moyens cette année ont beaucoup été évoqués depuis le début de nos auditions. Avez-vous des idées pour rendre les MFR plus attractives ?
Mme Pascale Gruny. - La première fois que j'ai visité une MFR, j'ai été frappée par l'accompagnement très personnel que vous proposez et par la transmission d'un savoir-être, qui est un élément essentiel pour l'insertion. Vous n'avez pas beaucoup parlé de cet aspect qui me semble constituer, avec la territorialité, votre marque de fabrique.
Vous accueillez des élèves sous statut du ministère de l'agriculture, de l'éducation nationale et de la formation professionnelle continue : quelles difficultés rencontrez-vous de ce fait ? Nous sommes là pour connaître vos difficultés et pour vous aider. Vous devez tout nous dire car nous pouvons relayer vos besoins.
Concernant le baccalauréat professionnel en trois ans, je comprends que vous observiez des écarts entre les élèves. Avez-vous constaté des échecs plus importants au niveau du baccalauréat depuis cette réforme ?
Par ailleurs, constatez-vous des difficultés, en dehors de la covid-19, pour recruter des jeunes ? Certains lycées m'ont fait part de difficultés à recruter des jeunes en apprentissage, alors même que des agriculteurs souhaitaient les accueillir.
Vous avez parlé des métiers d'apprentis bouchers. Certains bouchers disent ne plus prendre d'apprentis parce qu'ils sont incapables de porter 10 kilos. Connaissez-vous ces mêmes difficultés ?
Quand vous devez investir, où vous procurez-vous les financements et quelles difficultés affrontez-vous ?
Enfin, avec la loi sur la formation tout au long de la vie, nous constatons la disparition des petits CFA au profit des plus grands. Pourtant, il est très important d'être ancré dans un territoire pour les métiers de la terre. En Italie, j'ai visité un centre qui accueille 1 600 toxicomanes qui travaillent pendant quatre ans sur des métiers agricoles. Il enregistre 70 % de sorties positives. Nous ne disposons pas de ce type de structure en France.
Mme Annick Billon. - Je salue Dominique Ravon, qui met ses convictions en pratique dans son exploitation familiale. Vous nous avez informés qu'il avait été difficile de recruter pour la rentrée 2020. Que mettez-vous en place pour 2021 ? La rentrée ne sera pas beaucoup plus facile. Cette baisse d'effectifs remet-elle en question la pérennité de certaines MFR et, si c'est le cas, combien de MFR sont concernées ?
Vous avez parlé du coût de la scolarité des MFR où l'internat occupe une place importante. L'internat est-il un frein au recrutement et en matière de coût de scolarité ? Pour une famille, quelle est la part de l'internat sur le coût total de la scolarité ? Avez-vous davantage d'élèves boursiers dans les MFR que dans les autres filières d'enseignement agricole ?
Vous avez évoqué vos 9 500 salariés. Expriment-ils des demandes particulières par rapport aux autres salariés de l'enseignement technique agricole ? Quelles sont leurs revendications ?
Vous avez parlé du volet international et du partenariat que vous entretenez avec 20 pays. Après une année sans déplacements, comment réussissez-vous à maintenir ce partenariat et comment l'envisagez-vous pour l'année prochaine ?
Enfin, vous évoquez 35 000 adultes en formation. À quelle hauteur participent-ils à l'équilibre des comptes des MFR ? Leur recrutement est-il aussi difficile en période covid que celui des jeunes ?
M. Vincent Segouin. - Nous avons pour objectif dans cette mission d'information de susciter des changements et d'assurer un avenir à l'enseignement agricole. Je voulais revenir sur une réflexion selon laquelle les MFR seraient la solution pour les élèves en difficulté. J'ai été choqué par cette affirmation car je trouve que les MFR sont très adaptées aux territoires. Elles accueillent des élèves en difficulté mais pas uniquement, et leur relation avec le travail leur assure un avenir.
Depuis plusieurs années, l'Éducation nationale a cessé toute orientation vers l'apprentissage et les travaux manuels. Nous en payons le prix aujourd'hui. Dans de nombreux territoires, nous n'avons plus de bouchers, de reprises de commerces ou d'exploitations. Nous avons remis l'alternance et l'apprentissage au goût du jour, en en faisant une filière d'excellence. Les MFR sont adaptées à cette voie et je compte sur vous pour que vous nous indiquiez ce qui pourrait en améliorer le fonctionnement.
Mme Céline Brulin. - Au-delà des financements du ministère, quels financements recevez-vous des régions ? Constatez-vous des différences entre les régions ?
Avez-vous des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et comment cela se passe-t-il ? Il s'agit d'un sujet important dans l'enseignement agricole public.
M. Pierre Louault. - Je connais les MFR depuis 55 ans et elles demeurent un exemple de la pratique à conduire pour les enfants en marge de l'école afin de les porter vers la réussite. En outre, les MFR ont eu le mérite de résister au moment où personne ne voulait de l'apprentissage.
Je vous demande de nous faire part clairement des besoins des MFR pour savoir comment les accompagner. Beaucoup d'enfants abandonnent l'école à 15 ans parce qu'ils ne sont pas faits pour cela et ils découvrent l'envie d'apprendre en travaillant. C'est le secret des MFR. Notre devoir est de dire au ministère de l'agriculture et aux régions qu'il faut vous donner des moyens. Les MFR sont respectées mais elles ne disposent pas toujours des moyens dont elles ont besoin.
M. Gilbert Favreau. - Dans les Deux-Sèvres, le département est un partenaire très actif des MFR. Cela mérite d'être souligné car ce n'est pas le cas partout. En ce qui concerne les opérateurs de compétences (Opco), nous savons que la réforme de la formation et de l'apprentissage a quelques difficultés à se mettre en place. Comment cela se passe-t-il pour vous avec les Opco ?
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Quelle est votre relation avec la filière agricole ? Comment arrivez-vous à vous adapter à ses besoins alors que vous accueillez de moins en moins d'enfants d'agriculteurs ? Avez-vous le sentiment d'être en phase avec ce que recherchent les agriculteurs ? Expriment-ils leurs besoins et arrivez-vous à y répondre ?
Vous êtes exemplaires en ce qui concerne le taux d'insertion. Votre grande force réside dans cette réussite. Vous ne recevez pas que des enfants en marge de la scolarité et l'alternance est une chance, y compris dans l'enseignement supérieur. Les jeunes vont dans les MFR pour leur excellence et leur taux d'insertion.
M. Dominique Ravon. - Merci pour ces questions qui montrent votre intérêt pour notre réseau. Nous pourrons compléter nos réponses par écrit.
Je voudrais en préambule mieux présenter les jeunes qui viennent en MFR. Ils sont souvent considérés comme des jeunes en difficulté, mais c'est davantage le système conventionnel qui est en difficulté avec eux. Un jeune est dit brillant s'il a de bonnes notes, sinon on le dit en difficulté. Or, en MFR, les élèves ont un vrai projet de vie professionnelle et acquièrent une vraie maturité pour entrer dans le monde du travail. Avec la pédagogie de l'alternance, ils deviennent brillants. Ils sont au centre d'un trépied constitué des parents, du monde professionnel et de la MFR. Ce système fonctionne bien car les élèves sont très encadrés et suivis. Les MFR accompagnent également les parents.
Pendant qu'il est en entreprise, le jeune a toujours du travail à faire à la maison. Nous lui donnons la chance d'aller en stage dans plusieurs exploitations, dans plusieurs pays, de vivre dans des familles et de rencontrer de nombreuses personnes. La pédagogie de la rencontre est la pédagogie des MFR. Cela peut fonctionner avec tous les jeunes et certains qui sont brillants au sein de l'Éducation nationale viennent aussi en MFR. Nous développons même des Maisons familiales semi-urbaines. La réponse se trouve dans les territoires et les MFR répondent à leurs demandes. Nous avons de bonnes relations avec les territoires, les mairies, les conseils départementaux et régionaux. Les MFR ne peuvent pas exister sans se faire connaître. S'agissant des financements, l'association finance ses murs mais elle bénéficie pour ses investissements de l'aide des départements, qui continuent à intervenir, et des régions au titre des lycées, avec des variations suivant les régions.
Vous m'avez interrogé sur l'internat. Chez nous, l'internat est très pédagogique. Les jeunes aiment être en internat, ils y ont une vie après la classe, aident dans le service mais développent aussi les contacts avec les intervenants et les moniteurs. La vie de groupe se construit à ce moment-là. Les parents interviennent parfois dans certaines veillées, de même que l'UDAF (union départementale des associations familiales), le pompier ou le maire. L'internat est nécessaire mais la covid-19 nous met en difficulté.
Pour le recrutement de 2021, les MFR organisent leurs portes ouvertes en individuel. Le jeune vient avec ses parents, ils échangent avec les équipes. Nous espérons que cette situation sanitaire ne va pas durer trop longtemps.
Le savoir-être fait partie de notre intitulé : Maison familiale rurale d'éducation et d'orientation. Nous construisons le professionnel mais aussi la personne dans la société. La vie de groupe permet de grandir en maturité. La posture se construit dans l'engagement, dans ce que nous appelons l'éducation au monde et aux autres.
M. Roland Grimault. - L'idée véhiculée des élèves en difficulté est le mal de l'enseignement professionnel et de l'orientation. Je suis ingénieur agronome et j'ai commencé ma formation en MFR. À l'époque, mes parents avaient été convoqués par un professeur pour que je n'y aille pas... Nous avons réalisé un recueil des parcours des anciens élèves et certains ont suivi des masters. Notre formation n'est pas verticale, les jeunes font des détours. Par respect pour les élèves en formation professionnelle, il faut que ce discours change.
J'en viens à l'orientation. Nous sommes présents dans l'apprentissage en dehors du secteur agricole. Nous avons été associés à la réforme de l'apprentissage de 2018, car nous sommes reconnus comme des acteurs clés. Nous avons été associés à des réflexions sur Parcoursup, sur Affelnet et sur les dispositifs d'orientation. Grâce à cet effort mené sur l'apprentissage, les MFR sont référencées dans tous les dispositifs d'orientation. Il s'agit d'un combat à mener pour l'ensemble de l'enseignement professionnel.
Pour le recrutement 2021, nous constatons que les effectifs ont baissé dans l'enseignement agricole, pour les raisons que nous avons évoquées, mais nous avons gagné 4 000 apprentis hors du champ agricole. Une MFR a la particularité d'être située en milieu rural et de posséder, pour la plupart d'entre elles, un contrat avec le ministère de l'agriculture. Pour maintenir ce réseau, les difficultés de financement du ministère de l'agriculture ont obligé les MFR à diversifier leur activité sur l'apprentissage, la formation continue, la location de locaux, les repas de la cantine de l'école communale, etc. Dans son territoire, la MFR est un lieu de formation qui capte différents financements, au titre de différentes actions. C'est ce qui a permis de conserver ce maillage. Si nous avions bénéficié de la seule intervention du ministère de l'agriculture, nous aurions moitié moins de MFR aujourd'hui. Pour maintenir notre action en milieu rural, il nous faut une palette de financeurs et d'actions.
Concernant les salariés, nos équipes sont très investies. Leurs revendications portent sur les conditions de travail et la rémunération, comme tout salarié, mais il y a surtout une demande pour compléter les équipes car nous travaillons souvent à flux tendu. Les améliorations de budget espérées nous permettront d'embaucher pour desserrer l'étau.
Concernant les AESH, nous faisons tout pour qu'ils soient intégrés dans nos équipes pédagogiques, qu'ils ne soient pas nommés sur plusieurs établissements. Nous avons des discussions avec le ministère pour conserver la dotation pour les AESH et éviter la mise à disposition de postes partagés.
M. Jean-Marc Boyer, président. - Merci pour votre contribution qui nous servira beaucoup dans le cadre de notre mission. Dans le débat que nous avons mené hier sur la sécurité globale, il a été question de la démission des parents et de jeunes en déshérence. Le témoignage des actions des MFR aurait permis d'éclairer notre discussion à certains moments.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 56.
Audition de MM. Jean Salmon, président du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP), Philippe Poussin, secrétaire général du CNEAP, et Marc Janvier, président de l'Union nationale de l'enseignement agricole privé (UNEAP)
- Présidence de M. Jean-Marc Boyer, président -
La réunion est ouverte à 17 h 59.
M. Jean-Marc Boyer, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux en accueillant M. Jean Salmon, président du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP), et M. Philippe Poussin, secrétaire général du CNEAP.
Je vous rappelle que cette réunion est captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat, sur lequel elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande.
Messieurs, je vous remercie d'avoir accepté de participer à nos travaux. Avec mes 22 collègues membres de la mission d'information, nous sommes convaincus que l'enseignement agricole est une chance pour de nombreux jeunes et un outil indispensable pour l'avenir de nos filières agricoles et alimentaires. Il représente un atout indispensable pour relever le défi du renouvellement des générations en agriculture et permettre à l'agriculture française de répondre aux défis de demain. Nous n'oublions pas que l'animation et le développement des territoires est l'une des missions de l'enseignement agricole.
M. le Président Salmon, vous avez présidé la chambre d'agriculture de Bretagne. Vous avez été à la fois vice-président de la FNSEA et de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture et vous avez alors mené une réflexion particulière sur le rapport entre agriculture et environnement. Avant de prendre la tête du CNEAP en décembre 2020, vous avez également présidé la Fédération familiale nationale pour l'enseignement agricole privé. Cette expérience est certainement très précieuse pour analyser les enjeux auxquels l'enseignement agricole est aujourd'hui confronté et pour lui permettre d'innover.
Au cours de nos travaux, nous souhaitons analyser comment l'enseignement agricole, technique et supérieur, devrait répondre aux besoins des filières agricoles et alimentaires afin de leur permettre de relever les défis auxquels elles sont confrontées. Pas uniquement pour produire, mais aussi pour transformer et pour vendre. Nous souhaitons évaluer la capacité de l'enseignement agricole à remplir cette mission aujourd'hui, notamment au regard des contraintes qui pèsent sur lui.
La première des contraintes, c'est probablement la contrainte budgétaire. Pour pouvoir pleinement remplir son rôle, l'enseignement agricole, dans sa diversité, doit avoir les moyens de fonctionner correctement. Notre rapporteure, Nathalie Delattre, avait tiré la sonnette d'alarme lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021.
Je propose donc que vous puissiez nous présenter votre vision des enjeux, à partir du questionnaire qui vous a été adressé par notre rapporteure, pendant 10 à 15 minutes. Je passerai ensuite la parole à Nathalie Delattre afin qu'elle puisse vous poser un certain nombre de questions, puis à mes collègues qui le souhaitent.
M. Jean Salmon, président du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP). - Je vous remercie pour l'initiative de cette mission d'information. L'enseignement agricole a besoin d'être accompagné. Je vous propose de répondre rapidement aux questions que vous nous avez adressées. Je vous remettrai en outre un document plus complet avant le 15 avril.
L'enseignement agricole est important et votre analyse de ses enjeux nous intéresse fortement. Nous parlons d'un enseignement professionnel qui se trouve au coeur des préoccupations de la société. Nous formons des jeunes qui seront demain chargés d'assurer la sécurité et l'autonomie alimentaires du pays, y compris dans son volet de transformation. Nous formons, dans les filières services, des jeunes qui auront en charge les personnes vulnérables. Nous formons des jeunes qui auront en charge la gestion du milieu naturel.
L'enseignement agricole est au coeur de nos préoccupations alimentaires mais aussi de nos préoccupations à caractère transversal. Tout le monde parle du climat. Comment les agriculteurs pourront-ils prendre cet aspect-là en compte ? Comment pourront-ils assurer la gestion des sols, la gestion de l'eau, tenir compte des problèmes de pollution ? L'environnement ne doit pas nier le développement économique, il doit au contraire en être une composante. Il est important de l'inculquer aux jeunes tout en sachant qu'ils feront ensuite leurs propres choix. Nous préparons les agriculteurs à des approches systémiques. Pour y parvenir, nous nous appuyons sur les cinq missions de l'enseignement agricole, déterminées par la loi de 1984 dont je salue le caractère prophétique.
L'enseignement agricole représente 160 000 élèves, dont à peu près un tiers pour le CNEAP. Les situations varient selon les régions. Le CNEAP totalise 180 établissements et 50 000 apprenants, dont 35 % internes. L'internat est un atout pour la formation car il représente souvent la première expérimentation du vivre ensemble.
Nous souffrons cependant de fragilités importantes. D'abord, nous sommes petits : nous accueillons 160 000 élèves tandis que chaque rectorat en totalise environ un million. Nous sommes néanmoins pertinents dans nos missions. Nous sommes dispersés au niveau des familles d'enseignement agricole et au niveau des territoires, ceux-ci n'ayant pas tous les mêmes finalités. Nous avons besoin que le monde politique nous accompagne d'autant plus que nous avons du mal à nous faire entendre. En tant que représentants du CNEAP, nous n'avons jamais été reçus par le ministre de l'agriculture, Monsieur Denormandie. Je trouve cela désolant, alors que nous sommes chargés de former des acteurs fondamentaux de la société de demain.
Notre recrutement est un peu difficile mais il se déroule plutôt bien, malgré une légère baisse. Un travail important doit être accompli pour mieux faire connaître l'enseignement agricole. Près de 40 % de nos élèves arrivent par le bouche à oreille, un certain nombre par Internet ou par les lycées. Notre challenge consiste à renouveler les 40 % d'agriculteurs qui vont quitter le secteur dans les années qui viennent. En Bretagne, nous avons aujourd'hui 600 emplois non satisfaits.
Comment combler cet écart entre la forte demande en termes d'emplois et les difficultés de recrutement de l'enseignement agricole ? Nous avons lancé un projet pour le CNEAP visant à progresser et à relever ce défi. Nous avons la volonté d'être acteurs et d'initier de nouvelles dynamiques dans nos établissements. Le CNEAP s'est donc donné pour objectif d'essayer de combiner des activités de formation sous contrat avec l'État à des activités au service du territoire. Nous pourrions initier des activités qui seraient des supports pédagogiques à la formation dispensée. Nous le faisons déjà en matière de production avec les plateaux techniques que sont les exploitations agricoles. Dans le même esprit, nous pouvons imaginer des ateliers et des activités de commerce ou de services au territoire, en partenariat avec les collectivités territoriales, qui seraient parallèlement des outils pour les activités de formation.
Cela se traduit par cinq axes de progrès que vous pourrez découvrir dans un document que nous vous transmettrons. Avant tout, il faut rénover l'activité de formation, entamer une révolution au niveau de l'enseignement agricole. Les modèles économiques standards changent. La formation initiale sous contrat avec l'État doit être complétée par la formation en apprentissage et la formation continue. Cette évolution entraîne une autre approche en matière de relations avec les acteurs de la formation et du territoire. L'initiative « The Land » en Bretagne et le lycée Les Buissonnets à Avrillé, que vous évoquez dans votre questionnaire, mettent en oeuvre ce projet du CNEAP, de manière adaptée aux territoires. Parmi les autres axes, j'insiste sur la volonté d'une gouvernance associative redynamisée. Nos conseils d'administration accueillent des administrateurs qui sont souvent des anciens du monde agricole ou d'autres métiers auxquels nos établissements forment des jeunes, ce qui me semble essentiel. La coopération internationale constitue aussi un moyen d'ouverture pour les jeunes.
Ce projet a été lancé quelques mois avant la loi Pénicaud qui a conforté nos orientations. Un point d'étape était prévu à l'automne dernier, mais il n'a pas pu avoir lieu. Cependant, la situation évolue. Dans la région Nouvelle-Aquitaine, trois lycées du CNEAP proposaient de l'apprentissage deux ans auparavant. Nous en comptons 9 ou 10 aujourd'hui. En Bretagne, nous sommes passés de 8 établissements à 19. Le mouvement est analogue partout en France.
Jusqu'à récemment, les relations privilégiées avec le ministère de l'agriculture faisaient que la dimension concurrentielle entre les différentes familles de l'enseignement agricole était contenue. Demain, avec la multiplication de ces différentes voies de formation, cela sera plus compliqué, ce qui nous a amenés à remettre en cause notre convention collective. Jusqu'à présent, nous avons constaté davantage de coopération que de concurrence, bien que celle-ci existe. Concernant les relations avec l'Éducation nationale, nous sommes tout petits et nous avons parfois des difficultés à nous faire entendre dans les territoires.
L'enseignement agricole dépend surtout de la volonté des hommes qui le portent. Il représente une chance formidable à condition que la collectivité y investisse les moyens suffisants. Je salue à ce propos la prise de position de Nathalie Delattre lors de l'examen du projet de loi de finances. Lorsque nous voyons la différence de coût unitaire de formation par élève pour l'État (CUFE) entre le public et le privé ainsi que la part de l'éducation professionnelle dans le budget de l'Éducation nationale, nous avons le sentiment que nous sommes les parents pauvres, alors que notre mission est fondamentale. L'enseignement agricole est moderne car il appréhende les questions actuelles de société : l'alimentation, la gestion des ressources, la transition écologique, la recherche d'équilibre entre les territoires et les défis d'allongement de la durée de vie.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Je vous remercie de vos mots mais je précise que je n'ai fait que porter la voix de l'unanimité des sénateurs et sénatrices et qu'un collectif très fort nous a poussés à mettre en place cette mission.
J'aimerais que vous fassiez un bilan de l'impact de la crise de la covid-19 sur l'état de vos finances. Sur les 10 millions d'euros d'enveloppe d'urgence, combien avez-vous touché ?
Je prends acte de ce que vous avez dit sur la complémentarité et la concurrence de l'Éducation nationale. Je note surtout que le ministre de l'agriculture ne vous a pas encore reçus et qu'il n'a visité aucun de vos établissements. Pensez-vous que c'est parce que vous êtes un organisme privé ? Pensez-vous que cette question pose un problème dans le futur de l'enseignement agricole ? Existe-t-il d'après vous une volonté de diminuer la part du privé dans cet enseignement, au profit du public ?
Comment travaillez-vous sur la carte scolaire en partenariat avec les filières et avec les acteurs locaux ? Pouvez-vous nous parler des initiatives « The land » en Bretagne et du lycée du futur Les Buissonnets à Avrillé ?
Enfin, qu'évoque pour vous le projet Hectar, lancé par Xavier Niel avec Audrey Bourolleau ?
M. Jean Salmon. - Dans le cadre de la crise sanitaire, nous avons touché 1,2 million d'euros, ciblés sur les établissements les plus en difficulté pour éviter le phénomène saupoudrage qui se serait révélé inefficace. Nous nous sommes efforcés de flécher l'argent qui nous a été alloué vers ceux qui en avaient le plus besoin. Nous avons donc reçu 10 % de l'enveloppe de 10 millions d'euros, alors que nous représentons 30 % des effectifs.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - En additionnant le 1,2 million d'euros pour le CNEAP au 1,7 million pour les MFR, cela signifie qu'environ 7 millions d'euros ont été attribués au public et 3 millions d'euros au privé.
M. Jean Salmon. - Avec les MFR, nous représentons 60 % de l'activité de l'enseignement agricole.
Je précise qu'en termes de mouvements de l'emploi, il nous est demandé des rendus de postes qui dépassent notre quote-part. Je laisse Philippe Poussin l'expliciter, mais nous avons le sentiment de ne pas être les mieux traités.
En ce qui concerne la position du ministre, je ne veux pas croire qu'elle soit due au fait que nous soyons des établissements privés. Je ne veux pas le croire mais je comprends votre question.
M. Philippe Poussin, secrétaire général du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP). - Nous avons été étonnés de constater que sur l'enveloppe de 10,2 millions d'euros, le ministère ne nous ait affecté que 1,2 million d'euros. Il s'agit d'un phénomène d'inversion des pourcentages. Nous représentons, avec les MFR, 30 % de la dotation d'aide pour 60 % du nombre d'élèves accueillis. Nous savons qu'une deuxième enveloppe est en cours de négociation. Nous espérons qu'elle sera au moins égale, voire plus importante. Nous souhaiterions donc que les établissements de notre secteur qui rencontrent des difficultés soient aidés à la hauteur de ce que nous représentons.
Pour la première enveloppe, nous avons rencontré une difficulté technique. Au départ, l'aide était octroyée pour combler les pertes d'activité liées à la crise sanitaire du printemps dernier. Cependant, l'aide a finalement été accordée dans l'hypothèse d'investissements futurs sur l'année 2021, et non plus sur la base des pertes occasionnées par la crise. Les deux critères sont recevables mais ont changé en cours de route. C'est pourquoi nous souhaitons savoir le plus rapidement possible sur quoi porte la nouvelle enveloppe, car les critères d'éligibilité des établissements ne sont pas les mêmes.
Il nous avait été demandé de distinguer une vingtaine d'établissements particulièrement touchés par la crise en nous basant sur trois ratios financiers. Mais les critères ayant changé, les établissements sélectionnés n'étaient plus nécessairement éligibles. La DGER était étonnée que nous n'ayons sélectionné que 20 établissements alors que la totalité des établissements publics s'étaient reconnus en difficulté. C'est peut-être la raison pour laquelle les établissements publics ont reçu davantage. La règle du jeu n'a pas été clairement définie. Dans l'hypothèse d'une deuxième enveloppe, nous avons signifié à la DGER qu'il fallait que la règle soit connue avant.
Concernant le rendu d'emplois et le schéma d'emplois négatif, les emplois financés par l'État concernent uniquement des enseignants. Dans la mesure où nous représentons environ 30 % du nombre d'enseignants, la DGER considère que nous devons représenter 30 % du rendu d'emplois, en y intégrant, comme dans le secteur public, des emplois administratifs ou techniques. Cela crée un déséquilibre. On peut d'ailleurs remarquer que lorsque des créations d'emploi sont décidées, seuls les enseignants sont concernés.
M. Marc Janvier, président de l'Union nationale de l'enseignement agricole privé (UNEAP). - En ce qui concerne Hectar, nous nous contentons pour l'instant d'observer le projet. Il s'agirait d'une école gratuite mais je rappelle que la gratuité n'existe pas. Nous devons surtout être vigilants à ce que ce projet ne soit pas un véhicule destiné à diffuser des idéologies, portant des messages de manière déséquilibrée en faveur du végétalisme, du naturalisme ou du véganisme, qui desservent une grande partie de l'agriculture.
M. Vincent Segouin. - Je souhaiterais connaître la différence entre l'enseignement privé et l'enseignement public agricole. Pourquoi un élève s'oriente-t-il vers l'un ou l'autre ?
Par ailleurs, dans votre enseignement, faites-vous la différence entre l'agriculture conventionnelle, l'agriculture biologique et l'agriculture de conservation ? Et si vous enseignez cela, enseignez-vous aussi le calcul de rentabilité pour que le jeune puisse faire ses choix et fixer ses orientations ?
Mme Marie-Pierre Monier. - J'ai compris que l'État finance les enseignants mais comment financez-vous le reste ? Avez-vous reçu d'autres aides du fait de la covid ?
Par ailleurs, est-ce que les formations ont changé avec les nouveaux enjeux écologiques, l'alimentation, la gestion des ressources ? Avez-vous constaté de nouvelles demandes chez les jeunes ?
Enfin, je ne connais pas d'équivalent des MFR dans le public. Avez-vous connaissance d'autres types d'enseignements qui n'existent que dans le privé ?
Mme Pascale Gruny. - Je voudrais savoir à quoi vous attribuez les difficultés de recrutement et comment les corriger. Pouvez-vous nous donner les taux de réussite aux examens en comparaison avec les autres formations, ainsi que le taux d'insertion professionnelle ?
En ce qui concerne le renouvellement générationnel, j'ai été étonnée de constater que beaucoup de jeunes voulaient s'occuper d'animaux et aucun ne voulait être chef d'exploitation. Cela conduit à s'interroger sur la direction des exploitations dans l'avenir. Dressez-vous le même constat ? Il semble de plus en plus difficile d'atteindre la rentabilité des exploitations, ce qui ne donne pas envie aux agriculteurs de poursuivre leur activité et conduit à des exploitations de plus en plus grandes.
Enfin, qui vous accompagne sur vos investissements ?
M. Jean Salmon. - Nous tentons de donner aux jeunes le maximum d'éléments pour qu'ils puissent choisir leur avenir. Il ne nous appartient pas de décider à leur place. Je suis un agriculteur de la génération des années 1970 où un seul modèle dominant prévalait. Nous nous sommes tous inscrits dans cette démarche car le discours de la collectivité à l'époque insistait sur les nécessités de production. Nous sommes passés d'un modèle agricole unique à des modèles éclatés, avec notamment l'agriculture bio ou les circuits courts. Or comment fonctionnent les circuits courts quand on se trouve au centre de Paris ? Nous sommes en relation avec le monde agricole et les jeunes sont aujourd'hui formés pour raisonner et gérer. Nous leur apprenons les différentes facettes des métiers d'agriculture. Ce sont eux qui choisiront le modèle qui leur convient, en fonction de leur marché ou de leur situation géographique.
Concernant le financement des enseignants, j'aimerais demander à un directeur d'établissement comment il procède.
M. Marc Janvier. - Je confirme que nous soutenons l'agriculture plurielle, avec la dynamique des transitions que les politiques publiques nous appellent à conduire aujourd'hui. Au ministère de l'agriculture, le programme « Enseigner à produire autrement », lancé il y a 5 ans, est désormais dans sa deuxième phase qui se veut plus ambitieuse et plus transversale. En effet, nous parlons bien des transitions agro-écologiques mais aussi énergétiques, à travers les sujets relatifs à la mobilité. Notre fédération travaille à ce que tous les établissements y prennent leur part, en fonction de leur champ professionnel. Nous sommes ouverts à toutes ces agricultures et il nous incombe d'outiller nos élèves pour leur offrir la capacité de discernement nécessaire pour opérer des choix éclairés.
Les référentiels de gestion, de rénovation en rénovation, sont renforcés en particulier au niveau des BTS, où ils deviennent la partie la majeure de l'enseignement avec l'économie, les politiques agricoles, la gestion des outils et la stratégie.
En ce qui concerne les difficultés de recrutement, les raisons en sont multifactorielles et variables selon les territoires. La question géographique est effectivement une cause de difficulté de recrutement dans certaines zones, mais le point commun, c'est le problème de l'attractivité des métiers.
L'enseignement agricole couvre une diversité de champs professionnels. Dans les filières de production agricole, il faut avant tout que les agriculteurs vivent bien leur métier car ils en sont les premiers ambassadeurs. Nous devons trouver les solutions pour que notre population agricole vive mieux sa situation.
Ce déficit d'attractivité touche aussi la transformation alimentaire qui souffre de la représentation de l'industrie dans l'imaginaire collectif. On fait d'ailleurs parfois le procès de certaines formes d'agro-industrie. Nous touchons à une dimension culturelle sur laquelle nous devons travailler. Nous avons des filières de formation qui préparent des jeunes pour travailler dans cet univers de la transformation et la valorisation des produits agricoles vers l'alimentaire. C'est une force incroyable, mais il est difficile de motiver un collégien pour s'orienter vers ces métiers. Il serait nécessaire d'y associer tous les partenaires des entreprises car nous avons besoin de relais pour faire entendre ces messages.
Le troisième champ professionnel qui souffre est celui des services aux personnes. Nous avons entendu pendant la crise beaucoup d'expressions de souffrance au travail, ce qui agit comme un épouvantail auprès des jeunes qui essaient de se projeter dans leur avenir.
L'addition de ces éléments explique en partie les difficultés de recrutement de nos établissements. Si la démographie elle-même est une donnée incontournable dans les difficultés de recrutement, je souligne aussi le manque de visibilité de l'enseignement agricole au moment de l'orientation des jeunes. Nous ne sommes pas assez identifiés. Dans l'immensité des propositions de l'Éducation nationale, notre îlot d'enseignement agricole n'est pas suffisamment visible, connu et promu en comparaison avec l'intérêt qu'il représente en tant que projet pour les jeunes.
M. Jean Salmon. - Je signale que l'enseignement agricole est très peu visible dans les salons organisés par l'Éducation nationale. Nous portons bien entendu notre part de responsabilité dans ce constat. L'enseignement est présent dans les évènements agricoles, mais très peu dans les évènements concernant l'éducation, alors que 100 % de nos élèves viennent de l'Éducation nationale.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - La France compte 163 diplômes ou formations dans l'enseignement agricole. Combien en représentez-vous ? Les syndicats agricoles ont mis en exergue l'intérêt de définir un tronc commun éventuel pour développer ensuite des spécialisations. Qu'en pensez-vous ?
M. Philippe Poussin. -Le réseau CNEAP propose aux jeunes l'ensemble du spectre des formations proposées par le ministère de l'agriculture. De légères différences peuvent être constatées entre le public et le privé. Par exemple, on constate davantage de formations qui relèvent de la production agricole dans le public alors que celles qui concernent les services à la personne ou la commercialisation sont plus importantes dans le privé. Mais globalement, nous proposons toutes les formations.
En matière de financement, vous indiquez dans votre rapport que le CUFE s'élève à 9 970 euros pour l'enseignement public et 7 600 euros pour le privé, soit un taux de couverture de 70 % dans le privé. Partant du principe que les coûts sont identiques pour couvrir les besoins de fonctionnement, les familles dans le privé sont amenées à contribuer à l'équilibre de nos besoins à hauteur de 30 %. C'est la raison pour laquelle nous sommes payants. Comme le précise la loi Rocard, la gratuité de la scolarité ne peut être assurée que si le niveau de subventions est identique pour les secteurs public et privé.
En matière d'investissement, la contribution des familles finance le différentiel des charges entre l'aide publique et nos dépenses de fonctionnement mais aussi nos investissements. En effet, la loi Rocard ne prévoit pas la participation de l'État à ces investissements. En revanche, les régions peuvent aider à la construction et à l'entretien des lycées, mais elles accompagnent de façon très inégale l'investissement. Nos établissements sont des structures associatives et, pour investir, nous avons recours aux banques. L'État finance l'ensemble du coût des enseignants et nous verse une subvention de fonctionnement calculée en rapport avec le coût d'un élève dans le public. D'où l'intérêt du rapport de Madame Delattre qui souligne l'écart entre le CUFE d'une part, qui calcule le coût dans le public, et ce que nous percevons dans nos structures d'autre part.
- Présidence de Mme Marie-Pierre Monier, vice-présidente -
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Sollicitez-vous une évolution de la loi Rocard ?
M. Jean Salmon. - Nous ne demandons que son application.
M. Philippe Poussin. - La cherté de l'enseignement agricole est souvent évoquée. Cependant, en observant le calcul de l'équivalent d'un CUFE par grand régime (premier degré, collège, lycée, enseignement général, etc.) sur le site du ministère de l'Éducation nationale, le coût d'un élève dans un lycée professionnel agricole représente 9 970 euros dans le secteur public et 7 600 euros dans le secteur privé, tandis que le ministère de l'Éducation nationale affiche pour l'enseignement professionnel un coût de 12 730 euros. Qu'on démontre la cherté de l'enseignement agricole. Les plateaux techniques sont utilisés comme argument, mais une exploitation agricole coûte cher, de même que le machinisme agricole et la transformation alimentaire. Nous pouvons dire que ces équipements sont comparables à ceux de l'enseignement professionnel industriel. Nous constatons un véritable problème de visibilité de l'enseignement agricole. La cherté évoquée sans cesse ne nous concerne pas. Il faudrait faire une expertise sur le coût de l'enseignement professionnel dans l'Éducation nationale.
M. Jean Salmon. - Je rappelle que le taux d'insertion dans l'enseignement agricole est au-delà de 90 %, il ne génère pas de chômage. Quant aux réussites aux examens, nous sommes à peu près deux points au-dessus de la moyenne nationale, au-delà de 90 %.
M. Gilbert Favreau. - Vos établissements sont peu représentés dans l'ouest de la France. Dans les Deux-Sèvres, nous avons un lien avec les diocèses pour les collèges dans l'enseignement catholique. Or vous êtes considérés comme étant des établissements catholiques. Avez-vous une organisation qui s'occupe du lien avec les diocèses et du soutien des collectivités ?
M. Philippe Poussin. - Le CNEAP représente la partie agricole de l'enseignement catholique. Le type de relations que vous connaissez dans votre département avec les diocèses et l'enseignement catholique nous concerne également. Cependant, il existe une différence interne à l'enseignement catholique liée au fait que notre ministère de tutelle est le ministère de l'agriculture. De ce fait, l'enseignement catholique s'occupe plutôt de la relation avec les rectorats et le ministère de l'Éducation nationale. En interne, le CNEAP, en tant que fédération professionnelle et organisme d'enseignement catholique, a reçu pour mission de s'occuper de l'interface avec le ministère de l'agriculture, avec les conseils régionaux et les élus. C'est pourquoi, aujourd'hui, ce n'est pas le secrétaire général de l'enseignement catholique qui vient vous exposer notre situation, mais bien le président du CNEAP. Nous sommes une composante de l'enseignement catholique mais avec une large délégation pour représenter les intérêts que nous représentons. Tous les établissements du CNEAP sont sous contrat d'association avec l'État et nos enseignants sont pris en charge par l'État. Il n'existe pas de différence entre la loi Rocard et la loi Debré de 1959. La seule différence réside dans la tutelle du ministère de l'Agriculture.
M. Jean Salmon. - Nous sommes dans une situation hybride. Concernant la relation avec l'État, c'est le président de l'association qui signe le contrat avec lui. Cependant, nous vivons au rythme de l'enseignement catholique et nous référons aux tutelles diocésaines ou congrégationnistes. Il n'est d'ailleurs pas toujours évident d'être à la croisée de ces deux mondes.
M. Gilbert Favreau. - Nous avons écouté les représentants des MFR, pour lesquelles chaque association traite directement avec l'État. Pour les collèges d'enseignement catholique, le représentant diocésain est en lien avec les départements et gère la contractualisation et les aides. Avez-vous une organisation similaire ? Les MFR souffrent apparemment d'un déficit de représentation globale pour la mise en place des financements. Comment cela se passe-t-il pour vous ?
M. Philippe Poussin. - La contractualisation passe par deux niveaux. Un contrat est signé par chaque association, mais c'est une organisation interne à l'enseignement catholique, de structure départementale (le diocèse) ou régionale, qui représente l'interface avec les parties prenantes du département ou de la région. Concernant le CNEAP, nous sommes organisés en régions, avec huit délégués régionaux de l'enseignement agricole privé (DREAP) qui servent d'intermédiaires, d'interfaces et d'instruction des dossiers avec les élus des régions de nos établissements. Les discussions se déroulent essentiellement avec le Conseil régional puisque les départements ne sont pas concernés par le financement des établissements agricoles.
Selon la manière dont les régions envisagent le travail avec l'enseignement privé, elles peuvent dédier une ligne budgétaire distincte pour l'enseignement agricole. Nous nous trouvons alors associés avec les MFR et l'enseignement qui relève de l'Éducation nationale. Elles peuvent aussi opter pour une ligne budgétaire commune et nous nous trouvons alors associés avec les démarches faites entreprises par l'enseignement catholique, l'Éducation nationale et l'enseignement agricole. Par exemple, la Nouvelle Aquitaine fonctionne avec deux lignes distinctes et deux interlocuteurs : l'enseignement catholique Éducation nationale et le CNEAP. Dans d'autres régions, nous avons un seul interlocuteur. Nous nous adaptons aux besoins des collectivités territoriales.
Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Je vous remercie pour vos interventions, pour votre franc-parler et vos explications qui nous permettent d'approfondir la question et de disposer d'arguments pour mieux vous aider. N'hésitez pas à nous adresser des précisions par écrit.
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Un rapport se déroule en deux temps. Il dresse d'abord un état des lieux puis tente de formuler des propositions, ce qui implique de bien appréhender les enjeux et les problématiques.
M. Philippe Poussin. - Avant le 15 avril, nous vous donnerons des réponses écrites plus détaillées et quelques pistes de propositions.
Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Je vous remercie, ainsi que l'ensemble de nos collègues.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 5.