Mercredi 17 mars 2021
- Présidence de M. René-Paul Savary, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Situation et perspectives financières du régime d'assurance chômage - Audition de MM. Christophe Valentie, directeur général, et Rémy Mazzocchi, directeur général adjoint de l'Unédic
M. René-Paul Savary, président. - Mes chers collègues, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) a le plaisir d'accueillir MM. Christophe Valentie, directeur général et Rémy Mazzocchi, directeur général adjoint de l'Unédic.
En effet, la crise économique et sociale engendrée par l'épidémie de covid-19 a frappé de plein fouet le régime d'assurance chômage, traditionnellement très sensible à l'évolution de la conjoncture. De surcroît, cette crise intervient au moment même où le régime était censé revenir à l'équilibre de ses comptes et où il devait entamer son processus de désendettement. Nous souhaitons donc vous entendre, Messieurs, afin d'actualiser notre vision des comptes et de la dette du régime. Quelle est l'ampleur pour l'Unédic du choc conjoncturel et des mesures qu'il a fallu prendre afin d'éviter une catastrophe sociale de plus grande ampleur ? À quel rythme et selon quel moyen un retour à l'équilibre est-il envisageable ? Comment l'Unédic s'endette-t-elle sur les marchés ? Le retour de cette dette à un niveau raisonnable - sans parler de son extinction - reste-t-il une perspective crédible ?
Messieurs, je vous propose de vous céder la parole pour un exposé liminaire avant de répondre aux questions successives du rapporteur général puis des membres de la Meccs et des autres commissaires des affaires sociales qui souhaiteront vous interroger.
M. Christophe Valentie, directeur général de l'Unédic. - Le régime d'assurance chômage est, par nature, contra-cyclique. Il connaît, comme vous le savez, des difficultés financières depuis 2008, notamment du fait de l'imposition de charges nouvelles telles que le financement aux trois quarts de Pôle emploi.
Je rappelle également que les taux de cotisations sont inchangés depuis 1993.
Comme vous l'avez souligné, le retour à l'équilibre financier était prévu en 2021 avant la crise épidémique de covid-19, et ce dès l'accord trouvé en 2017 par les partenaires sociaux.
Le régime adapte ses règles tous les trois ans, ce qui est un rythme adéquat, au travers de négociations entre les partenaires sociaux, dans des conditions récemment modifiées par la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel. Depuis lors, une lettre de cadrage du Premier ministre précède ces négociations. Comme vous le savez, le contenu de cette lettre n'a pas permis aux partenaires sociaux d'aboutir à un accord en 2019, ce qui a conduit le Gouvernement à constater une carence et à procéder lui-même à une réforme au travers du décret du 26 juillet 2019. Le calendrier de mise en place de ces mesures a ensuite été percuté par la crise épidémique.
Le régime d'assurance chômage est très sollicité dans le cadre de cette crise : l'Unédic a emprunté 20 milliards d'euros pour en injecter quelque 18 milliards dans l'économie - les deux autres milliards correspondant au déficit précédent - afin d'aider plus de 8 millions de salariés, dont plus de 3 millions de demandeurs d'emploi, et 2,5 millions d'entreprises qui ont bénéficié soit du régime d'assurance-chômage soit de l'activité partielle. Je tiens à souligner la réactivité dont l'Unédic a alors su faire preuve.
Nos nouvelles prévisions, en date du mois de février, montrent un endettement accru de près de 16 milliards d'euros au titre de l'exercice 2020, alors que l'augmentation initialement prévue s'élevait à seulement 900 millions d'euros. Cet écart s'explique à 55 % par l'activité partielle, prise en charge par l'Unédic à hauteur d'un tiers.
En matière de financement, nous avons conduit un total de 17 opérations pour un montant de 20 milliards d'euros, qui se sont très bien passées. Nous empruntons dans les mêmes conditions que la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), à des taux proches de zéro. De ce fait, la charge de notre dette est restée inchangée alors même que le niveau de notre endettement a doublé. En outre, nous avons toujours pu écouler facilement nos émissions d'emprunts, à la fois parce que nous sommes bien notés par les agences spécialisées et parce que nous émettions des social bonds - ou obligations à caractère social.
Au total, selon nos nouvelles prévisions, la dette de l'Unédic devrait atteindre 70 milliards d'euros fin 2022, soit un écart de 39 milliards par rapport à nos prévisions d'avant la crise de la covid-19.
Pour autant, si le régime d'assurance-chômage est sensible à la conjoncture à la baisse, il l'est aussi à la hausse. Nos recettes, liées à l'évolution de la masse salariale, sont dynamiques et devraient rebondir dès que la conjoncture économique s'améliorera. Dès lors, notre endettement pourrait, lui aussi, diminuer rapidement.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Ma première question consiste à vous demander des précisions sur la notion de désendettement rapide dont vous venez de parler. Dans quelles proportions et dans quel délai comptez-vous faire diminuer cette dette ?
Par ailleurs, en juin 2020, devant la commission des affaires sociales, l'Unédic estimait à 63 milliards d'euros le montant de sa dette à fin 2020, une prévision qu'elle considérait comme robuste. Le document publié le 24 février dernier révise ce montant à 54,2 milliards d'euros fin 2020, tout en estimant à 64,2 milliards d'euros la dette fin 2021. Comment évaluez-vous le degré d'incertitude de cette prévision ?
D'autre part, la prévision relative aux dépenses d'assurance chômage est basée sur la réglementation actuelle. Avez-vous évalué l'impact des décisions concernant l'assurance chômage annoncées le 2 mars dernier par la ministre du travail, en particulier de la modification au 1er juillet 2021 du mode de calcul du salaire journalier de référence (SRJ) ?
L'avenant de décembre 2020 à la convention État-Unédic sur le financement de l'activité partielle fixe à 33 % la part de l'Unédic dans la prise en charge de l'activité partielle et de l'activité partielle de longue durée (APLD). Elle crée par ailleurs un comité de suivi des changements de la règlementation relative à l'activité partielle. Ce comité fonctionne-t-il et vous permet-il de mieux anticiper les décisions de l'État en la matière ?
Pour l'avenir, faut-il, selon vous, isoler la dette liée à l'épidémie de covid-19 ?
Enfin, dans un tout autre domaine, comment l'Unédic envisagerait-elle une intégration de l'assurance chômage dans le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) ?
M. Christophe Valentie. - S'agissant des prévisions, l'écart entre nos prévisions d'octobre et de février est important. De fait, le degré d'incertitude est fort et les décisions sanitaires pèsent lourd : par exemple, il va de soi qu'un reconfinement de l'Île-de-France aurait des conséquences. Mais, malgré tout, nous devons avoir un cap, même si je reconnais que le point d'accostage, et donc le rythme de notre désendettement, peut varier.
Par ailleurs, l'évolution de la règlementation a naturellement un effet sur les comptes de l'assurance chômage. Il faudra deux à trois ans pour que l'impact financier de la réforme soit pleinement visible.
Avant les aménagements finalement décidés, cet impact devait être d'environ 2,7 milliards d'euros par an au terme de sa montée en charge, dont 1 milliard d'euros l'année de l'entrée en vigueur. Les aménagements ne modifient pas les ordres de grandeur, puisqu'on évalue désormais l'effet de la réforme entre 2 et 2,3 milliards d'euros en rythme de croisière. La date d'entrée en vigueur de certaines des mesures de la réforme est encore incertaine, notamment s'agissant de la question des conditions d'ouverture et de rechargement des droits, qui devait représenter une moindre dépense de 600 millions d'euros si elle était entrée en vigueur le 1er avril.
À titre de comparaison, une évolution d'un point de PIB a un impact de l'ordre de 1,4 milliard d'euros.
Les mesures prises pour faire face à la crise sanitaire constituent un autre facteur d'incertitude. Le coût de l'activité partielle représente 55 % du déficit et même 70 % si l'on tient compte du manque à gagner en termes de contributions. Nos prévisions sont également tributaires d'éléments sur lesquels nous n'avons pas de prise, comme le rythme de la vaccination ou les éventuels rebonds épidémiques.
Tout cela explique que nos prévisions présentent un degré d'incertitude nettement plus fort que d'habitude.
M. René Mazzocchi, directeur général adjoint de l'Unédic. - Le projet de décret qui doit mettre en oeuvre la réforme de l'assurance chômage a été transmis aujourd'hui aux partenaires sociaux pour consultation, nous sommes en train de l'évaluer.
S'agissant de la l'activité partielle, l'avenant à la convention financière doit expirer le 30 juin prochain. Une nouvelle convention doit être conclue cette année. Elle pourra le cas échéant fixer à un autre niveau la participation de l'Unédic.
Jusqu'à présent, les décisions ont été prises dans une certaine urgence, et on ne peut pas réellement parler de copilotage. Le partage d'informations avec l'agence des services de paiement s'est amélioré mais reste perfectible.
L'activité partielle concerne aujourd'hui principalement les secteurs soumis à des mesures de fermeture administrative, essentiellement dans le secteur des services. L'activité partielle de longue durée, qui concerne davantage l'industrie, commence à peine à se développer.
Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur le traitement de la dette résultant de la crise sanitaire. Il est possible de l'isoler, de la cantonner, de l'étaler mais il s'agit d'une question politique plus que technique.
Nous sommes néanmoins en mesure de quantifier le poids dans l'aggravation de la dette des différents facteurs que sont l'évolution des recettes et des dépenses d'allocation, l'activité partielle ou encore les mesures de maintien des droits à l'assurance chômage.
Je note que l'augmentation d'un point de la part des ressources de l'Unédic destinée au financement de Pôle emploi, qui a été décidée unilatéralement par le Gouvernement, a un impact financier important.
Les partenaires sociaux souhaitent que la dette de l'Unédic soit remboursée, mais il faut prévoir les modalités de ce remboursement, étant entendu que ni une hausse des contributions des employeurs ni une baisse des droits des demandeurs d'emploi ne sont envisagées.
Juridiquement, nous ne sommes en capacité d'étaler la dette de l'assurance chômage que sur une durée de quinze ans. L'État, qui finance les deux tiers des dépenses d'activité partielle, pourra étaler cette dépense sur une période beaucoup plus longue.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Êtes-vous en mesure de quantifier la dette liée à la covid-19 ?
M. Christophe Valentie. - Vous trouverez des chiffres détaillés dans nos prévisions financières. Il est difficile de définir ce qu'est la dette « covid » car, au-delà du coût de l'activité partielle et des mesures prises pour faire face à la crise sanitaire, une partie du déficit s'explique par la dégradation de la conjoncture, qui est liée à l'épidémie.
L'écart par rapport à nos prévisions antérieures devrait atteindre 39 milliards d'euros pour la période 2020-2022.
La question de l'intégration dans le PLFSS ne relève pas de notre compétence de techniciens mais constitue également un choix politique.
Une partie de la dette de l'Unédic est garantie par l'État et une part importante de nos ressources provient de la CSG. Les partenaires sociaux sont donc conscients de la nécessité de rendre compte de leur gestion.
Actuellement, il appartient aux partenaires sociaux de définir les règles de l'assurance chômage, dans le respect d'une lettre de cadrage fixée par le Gouvernement. Faire intervenir le Parlement supposerait de définir un nouveau cadre de gouvernance.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Loin de nous l'idée de régenter l'assurance chômage, mais l'exécutif ne s'en prive pas, au travers de la lettre de cadrage et de la fiscalisation des ressources de l'assurance chômage.
Nous pourrions envisager un système tripartite dans lequel le Parlement jouerait pleinement son rôle. Aujourd'hui le Parlement n'a pas son mot à dire.
M. René-Paul Savary. - Il est vrai que l'État mobilise régulièrement votre caisse sans se soucier des prérogatives des partenaires sociaux. Le Parlement y est attentif et pourrait jouer le rôle de garant des compétences qui leur sont dévolues.
Mme Monique Lubin. - Personne ne sait comment les entreprises vont réagir à la reprise de la croissance et quelle sera l'ampleur de la montée du chômage ; on peut néanmoins s'attendre à une hausse importante dans les années à venir. Dans cette perspective, l'Unédic a-t-elle les reins assez solide pour faire face ? L'inflation repart et notre dette repose en grande partie sur des financements extérieurs ; cela n'est-il pas inquiétant ?
Une motivation de la réforme de l'indemnisation du chômage est de faire en sorte que les demandeurs d'emploi soient incités à retourner plus vite au travail. Y a-t-il des chiffres qui démontrent que certaines personnes restent volontairement au chômage ?
Vous avez dit que pour rembourser la dette, la hausse des cotisations n'était pas une option. Mon avis personnel est qu'il n'est pas question d'envisager une baisse de l'indemnisation : je trouverais incroyable que l'on fasse financer le coût de la crise par des personnes qui vont perdre leur emploi et auront du mal à en retrouver à cause de la covid-19.
Mme Pascale Gruny. - J'estime que la dette liée à la covid-19 doit être portée par l'État. La même question se pose d'ailleurs au niveau du conseil départemental.
Concernant la fraude à l'activité partielle, comment réalisez-vous les contrôles ? Relevez-vous beaucoup de cas de fraude ? Quelles sont les infractions les plus importantes ?
Mme Raymonde Poncet Monge. - Il existe bien deux leviers pour assurer le remboursement de la dette : diminuer les droits ou augmenter les cotisations. Vous êtes en capacité de décomposer le déséquilibre par causes. Avant même de parler de hausse de cotisations, pouvez-vous nous indiquer combien a coûté, en termes de perte de recettes, la dernière baisse des taux ? Combien de ressources supplémentaires le rétablissement de la situation antérieure pourrait-il apporter au régime ?
M. Christophe Valentie. - Le régime a les reins solides. Nous nous attendons à un déficit plus fort en 2021 qu'en 2020, puis à un déficit encore important en 2022, mais le régime a été conçu pour le supporter.
Les taux de cotisation sont restés les mêmes, il n'y a jamais eu de baisse. Néanmoins, les cotisations ont baissé en volume en 2020.
J'ai été trop rapide en évoquant l'existence d'un seul levier pour rembourser la dette : ce n'était pas une appréciation personnelle. Il existe évidemment deux leviers.
Nul ne sait comment l'économie va réagir au contre-choc et aux mesures de soutien. On sait en revanche que certaines industries, telle l'aéronautique, sont durablement touchées et vont mettre plusieurs années à s'en remettre. Personne ne peut savoir si le tourisme international va reprendre rapidement. Nous espérons tous que le rebond sera tel qu'il effacera la perte historique de PIB.
S'agissant des fraudes, nous ne sommes que financeurs de l'activité partielle. L'opérateur de l'activité partielle est l'Agence de services et de paiement (ASP), qui avait été créée pour distribuer les subventions européennes à l'agriculture. Nous avons eu du mal à obtenir des éléments de vérification jusqu'à l'automne dernier mais nous avons fini par mettre en place avec l'ASP des échanges sur les contrôles qu'elle réalise. Nous prenons ainsi connaissance des informations sur les fraudes sur lesquels nous étions aveugles jusqu'à cet automne.
Mme Pascale Gruny. - En cas de fraude, c'est bien vous qui versez des sommes d'argent à tort. Ne pouvez-vous pas les récupérer ?
M. Christophe Valentie. - Il y a eu un débat sur ce point. C'est l'ASP, via les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), qui agit en justice pour récupérer les sommes.
Mme Pascale Gruny. - Je ne serais pas opposée à une suppression de l'ASP... J'ai moi-même monté des dossiers d'activité partielle. J'ai constaté qu'il n'y avait pas d'interlocuteur en cas de problème, nous sommes dans l'opacité totale.
M. René-Paul Savary. - Il serait intéressant que le Parlement ait un regard sur cette gestion.
M. Christophe Valentie. - Comme je le disais, il n'y a pas eu de baisse du taux de la cotisation patronale. Du fait de la baisse d'activité en 2020, nous avons enregistré une baisse des recettes de 5 milliards d'euros. Nous attendons le retour de recettes normales dès 2022. Une dynamique favorable au désendettement pourra ainsi s'installer petit à petit.
Avant la crise, le déficit total de l'Unédic était d'un peu plus de 30 milliards d'euros et résultait de la subvention à Pôle emploi et de la différence d'indemnisation des allocataires frontaliers.
Mme Monique Lubin. - Vous n'avez pas répondu à ma question sur le comportement des demandeurs d'emploi : certaines personnes s'accrochent-elles vraiment à ce statut ?
M. Christophe Valentie. - Il y a en effet un débat de fond sur ce sujet. L'Unédic a publié en 2018 un dossier de référence sur les effets de comportement de la baisse des allocations chômage. Il en ressort que l'effet de la réforme sur les comportements n'est pas démontré ; la littérature économique n'établit pas clairement qu'il y aura un effet d'adaptation ou de suradaptation des comportements.
M. René-Paul Savary. - Je vous remercie pour cette audition intéressante, qui ne sera sans doute pas la dernière...
La réunion est close à 14 heures 55.