- Jeudi 11 mars 2021
- Politique étrangère et de défense - Bilan annuel 2020 de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) : audition de MM. Arnaud Danjean et Mounir Satouri, députés européens français
- Budget de l'Union européenne - Réserve d'ajustement au Brexit : examen du rapport de M. Jean-François Rapin sur la proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil COM (2020) 854 final du 25 décembre 2020
Jeudi 11 mars 2021
- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -
La réunion est ouverte à 8 h 30.
Politique étrangère et de défense - Bilan annuel 2020 de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) : audition de MM. Arnaud Danjean et Mounir Satouri, députés européens français
M. Jean-François Rapin, président. - Nous accueillons ce matin, en visioconférence, nos collègues députés européens Arnaud Danjean et Mounir Satouri pour évoquer la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). J'ai convié à cette réunion nos collègues Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret, auteurs d'un rapport sur la défense européenne pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le contexte géopolitique et géostratégique dans lequel évolue l'Union européenne s'est largement dégradé au cours des dernières années : logique d'affirmation de puissance de certains États, instabilité et imprévisibilité aux frontières de l'Union et dans son voisinage proche, déplacements de populations liés à des conflits, terrorisme, cyberattaques, menaces et guerres hybrides, fléchissement des efforts de désarmement et affaiblissement des régimes internationaux de contrôle des armes, impact des dérèglements climatiques, pandémie de covid-19 enfin, qui révèle certaines fragilités... Autant d'éléments qui conduisent à réévaluer les enjeux de sécurité en Europe et à enclencher une nouvelle dynamique de défense européenne.
Les instruments prévus par le traité de Lisbonne pour la PSDC ont été progressivement mis en place et une stratégie d'ensemble de l'Union a été affirmée. Les étapes marquantes furent la présentation, en juin 2016, d'une Stratégie globale de l'Union européenne en matière de politique étrangère et de sécurité (la SGUE) ; le lancement de la coopération structurée permanente en décembre 2017 ; la réalisation du premier examen annuel coordonné en matière de défense, approuvé par le Conseil en novembre 2020 ; la révision, en 2018, du plan de développement des capacités pour l'adapter aux nouvelles ambitions de l'Union ; et enfin, la mise en place, cette année, du Fonds européen de la défense (Fedef), destiné à renforcer la base industrielle et technologique de la défense européenne.
Nous regrettons que les négociations sur le cadre financier pluriannuel (CFP) n'aient pas permis de doter ce fonds à la hauteur des enjeux. Nous en avons encore débattu récemment avec le secrétaire d'État aux affaires européennes : nos rapporteurs, Gisèle Jourda et Dominique de Legge, l'ont interrogé de manière très précise sur les conditions de mise en oeuvre du fonds. Sa création marque en tout cas une rupture, puisque des crédits communautaires viendront désormais directement financer une politique de défense, en l'occurrence dans le domaine capacitaire.
À ce paysage s'ajoute, bien qu'elle ne relève pas du cadre institutionnel de la PSDC, l'initiative européenne d'intervention lancée en 2018 à l'initiative de la France.
Le 26 février dernier, à l'issue de la réunion par visioconférence du Conseil européen, les chefs d'État ou de gouvernement ont réaffirmé que, face à une instabilité accrue dans le monde, l'Union européenne devait assumer une plus grande responsabilité pour ce qui est de sa sécurité. L'affirmation de l'autonomie stratégique de l'Union est un enjeu majeur. Le Haut Représentant, Josep Borrell, prépare une boussole stratégique, qui fixera, au plus tard en 2022, le cap futur de l'Union. Elle devrait notamment préciser les objectifs que l'Union se fixe dans quatre domaines clés : la gestion des crises, la résilience, les capacités et les partenariats.
Le 20 janvier dernier, le Parlement européen a adopté une résolution sur la mise en oeuvre de la PSDC qui aborde de nombreux points. Elle rappelle que l'Union déploie actuellement onze missions et opérations civiles et six missions et opérations militaires, dont trois exécutives. Mais elle souligne l'une des principales limites auxquelles l'Union est confrontée, comme on l'a bien vu au moment des négociations sur le CFP : certains États membres n'ont toujours pas la volonté politique de participer de manière significative et crédible aux missions et opérations de la PSDC.
Je souhaite que cette réunion nous permette d'échanger en toute franchise avec nos collègues députés européens, afin de mieux percevoir les équilibres au sein du Parlement européen et entre les États membres. Tous deux sont membres de la sous-commission « sécurité et défense ». Arnaud Danjean est coordinateur pour le groupe PPE sur les questions de sécurité et de défense et rapporteur fictif du bilan 2020 de la PSDC. Mounir Satouri est le chef de file de la délégation française du groupe des Groupe des Verts/Alliance libre européenne (ALE) sur les questions de défense.
M. Arnaud Danjean, député européen. - Après cet excellent état des lieux, je serai franc et direct, et m'en tiendrai à quelques considérations précises.
La situation actuelle de la PSDC est un peu paradoxale. Depuis 2016, beaucoup d'initiatives ont été prises - coopération structurée permanente, revue annuelle des capacités, stratégie globale - qui allaient dans le bon sens du point de vue de la France, c'est-à-dire dans celui d'un accroissement de l'autonomie stratégique. Les Européens ont pris conscience qu'ils devaient faire plus en matière de sécurité, être davantage responsables pour eux-mêmes, et moins s'en remettre à des pays tiers ou à des organisations tierces. Toutes ces initiatives semblaient inaugurer, sinon un âge d'or, en tout cas une espèce de relance de la PSDC.
Ces initiatives arrivent aujourd'hui à une forme de maturité, avec la première restitution de la révision annuelle coordonnée, les premiers examens des projets de la coopération structurée permanente ou le lancement définitif du Fedef. Cela devrait confirmer l'élan donné ces dernières années. Pourtant, nous éprouvons des déceptions en voyant les limites évidentes qui sont mises à ces avancées.
Le cas le plus emblématique est le Fedef - et vous avez exprimé la déception française à cet égard. Faut-il voir le verre à moitié plein ? Pour la première fois, de l'argent communautaire sera mis dans l'industrie de défense. Ou le verre à moitié vide ? On a divisé par deux les ambitions initiales en termes de budget... Pour ma part, je vois surtout le verre à moitié vide : 8 milliards d'euros sur sept ans pour les capacités de défense, c'est tout de même faible, au vu des enjeux technologiques qui sont devant nous et du fossé qui est en train de se creuser avec certaines autres puissances dans des domaines clés comme l'espace, les missiles ou les capacités en matière de renseignement. Nous avons besoin de ces investissements, mais un milliard d'euros par an, à l'échelle communautaire, c'est modeste ! Ce n'est donc pas le Fedef qui va révolutionner profondément les capacités de défense européennes.
Encore faudra-t-il être extrêmement prudent sur la manière dont ce fonds sera mis en oeuvre. Je ne cesse d'alerter sur le fait qu'il existe des perceptions très différentes en Europe de ce que doit être le Fedef. Nous, Français, voulons un fonds très sélectif, dont l'argent financerait en priorité quelques projets structurants pour faire la différence : drones, futur système d'aviation de combat ou technologies dont nous avons vraiment besoin pour marquer notre autonomie. Mais beaucoup de pays et de forces politiques en Europe ne partagent pas du tout cette philosophie et considèrent que le Fedef ne doit être qu'un nouveau fonds de redistribution, un peu comme les fonds structurels à l'échelle régionale : tout le monde devrait en profiter un peu, et certains pays comptent même sur lui pour remettre à niveau leur industrie d'armement, et non pour se positionner sur les défis technologiques du futur. En somme, ce dossier est représentatif de ce qui se passe souvent avec la PSDC : un pas en avant, deux pas en arrière, ou un pas en avant, un pas de côté...
Le rapport de Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret « Défense européenne : le défi de l'autonomie stratégique » explorait toutes les significations de ce concept, très français. Nous n'avons aucun mal à nous l'approprier depuis le général de Gaulle. Mais pour d'autres pays, c'est une révolution copernicienne ! Que l'Europe arrive à s'assumer en matière de défense va contre tous les paradigmes des politiques de défense d'un certain nombre de nos partenaires européens, pour lesquels le seul horizon de la sécurité collective en Europe est l'appartenance à l'OTAN.
Néanmoins, la notion d'autonomie stratégique a pu être inscrite dans un certain nombre de textes depuis 2016, et nous avions bon espoir de la voir prospérer. Mais nous avons reculé : l'inscrire dans les conclusions d'un Conseil européen, il y a quelques jours, suscitait une véritable bagarre ! Je dirais même qu'il est plus facile aujourd'hui, en Europe, de parler d'autonomie stratégique dans d'autres domaines que la défense - alors que c'est là qu'on en a le plus besoin, et qu'il s'impose de la façon la plus naturelle. Il n'est que de voir les communications des commissaires Vestager et Breton, il y a quelques jours, sur le numérique, ou la communication sur la politique commerciale parlant d'autonomie stratégique ouverte. Dans le même temps, on en parle de moins en moins en matière de défense et cela fait de plus en plus débat : la ministre allemande de la défense a semblé remettre profondément en cause le concept même d'autonomie stratégique.
En témoignent deux tests récents. D'abord, en Méditerranée orientale, avec les provocations turques contre nos voisins grec et chypriote. Il n'y a eu aucun consensus en Europe sur ce test de sécurité majeur : deux pays membres de l'Union provoqués par un pays tiers. L'Union européenne a été incapable d'offrir une réponse diplomatique et, le cas échéant, militaire, unie. La France a été particulièrement robuste dans la réponse qui a été apportée à la Turquie et je pense que c'était bienvenu. Mais certains autres pays ont privilégié d'autres approches, dites de médiation, ce que je trouve pour ma part totalement aberrant : on ne saurait proposer une médiation quand on est membre d'un club et que d'autres membres du club sont agressés par un élément extérieur ! L'Union européenne ne peut pas être neutre quand certains de ses membres sont provoqués par des puissances extérieures !
Deuxième test : l'Afrique, où il y a certes davantage d'engagement européen, notamment au Sahel. Mais l'engagement au Sahel des Européens ne se fait pas dans des structures européennes ou via des mandats européens. Il se fait par des coopérations bilatérales ou multilatérales, comme la force Takuba, au sein de laquelle les forces spéciales s'agrègent autour des nôtres, ou la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali), mais très peu à travers des structures européennes. Il faudra donc s'interroger sur le mandat des missions européennes.
Un certain nombre de nos partenaires ne considèrent toujours pas le théâtre africain comme prioritaire en matière de sécurité. Nous devons faire attention à la façon dont nous-mêmes faisons la promotion des engagements en Afrique. Évidemment, il y a débat sur le Sahel. Un autre théâtre africain très problématique est la Centrafrique, qui suscite beaucoup de circonspection, pour employer un euphémisme, chez nos partenaires européens, qui s'interrogent sur les enjeux de sécurité européenne dans ce pays... Bien sûr, la situation y est préoccupante, mais quel rapport avec la sécurité européenne ? Quand nous faisons la promotion de ces opérations, il ne faut pas s'étonner de ressentir chez nos partenaires européens un certain manque d'appétence.
Les progrès que nous avons pu enregistrer récemment apparaissent à bien des égards en trompe-l'oeil et il reste beaucoup de chemin à parcourir. La défense européenne a été très à la mode entre 2016 et 2019. Aujourd'hui, on voit bien que le débat se déplace à l'Est, en particulier vers la zone indopacifique : tout le monde est obnubilé par la montée en puissance de la Chine, dont on voit bien qu'elle constitue la priorité de la nouvelle Administration américaine. Les relations américano-chinoises sont désormais au centre du débat stratégique, bien davantage que les maigres avancées que nous pouvons faire en matière de PSDC en Europe.
En somme, la situation est paradoxale, parce que les progrès enregistrés restent à mon avis largement insuffisants, voire malheureusement, réversibles.
Vous m'avez demandé aussi mon avis sur les opérations et les missions de l'Union européenne. C'est un domaine auquel je suis très attaché et que je suis depuis plus de dix ans. Je pense en effet que la finalité opérationnelle, qu'elle soit civile ou militaire, est le vrai moteur de la politique de sécurité. Il en est l'aboutissement : si vous n'êtes pas capable de mettre en place des opérations, ce n'est pas la peine... Or je constate que ce moteur s'essouffle, sous l'effet d'une remise en cause générale du bien-fondé et de la valeur ajoutée d'un certain nombre de missions et d'opérations. Les opérations militaires sont quasi- exclusivement des opérations d'entraînement et de formation. Cela a beaucoup de mérite et d'intérêt, mais ces missions restent globalement sous-dotées. Peu de pays y participent et ce sont un peu toujours les mêmes. La France n'est pas toujours exemplaire en la matière, d'ailleurs, ce qui fait mauvais genre pour un pays qui revendique le leadership de la politique européenne dans ce domaine ! Il est vrai que nous sommes très engagés par ailleurs.
Il y a aussi un problème d'inadaptation des mandats. Les missions d'entraînement et de formation doivent être profondément revues. Un certain nombre de tâches ne sont pas effectuées : on peut s'interroger sur l'efficacité de la mission d'entraînement et de formation au Mali, lancée en avril 2013 sous le commandement du général Lecointre. Elle était partie sur de très bonnes bases mais, depuis, elle a évolué vers un format qui n'est plus du tout adapté aux besoins des forces armées maliennes.
Nous sommes de plus en plus concurrencés par d'autres acteurs qui ont beaucoup moins de contraintes que nous sur le plan juridique, moral ou institutionnel : mercenaires russes, troupes turques... Ces acteurs sont de plus en plus présents en Afrique : il y a des Turcs en Somalie, des Russes en Centrafrique et au Mali. Ils proposent non seulement de la formation, mais aussi de l'accompagnement au combat et du matériel - létal.
Nos préventions sont excessives en la matière. Nous formons des soldats dans des camps d'entraînement, nous leur apprenons à travailler avec des fusils en bois et, quand ils partent au combat, on ne sait pas ce qu'ils deviennent. Nous savons bien, pourtant, que les opérations de formation doivent être accompagnées d'une forme de tutorat, qui ne nous amène pas à combattre mais nous conduit aux portes du combat, c'est-à-dire au moment où les forces sont déployées sur le terrain, pour voir comment elles réagissent, comment elles combattent, comment elles se coordonnent, comment elles obéissent aux ordres... C'est ce point qui est refusé dans les mandats européens, parce qu'il est perçu par un certain nombre de pays comme trop robuste.
Si nous n'adaptons pas la robustesse des mandats des missions de formation de l'Union européenne, ces missions ne vont servir à rien. Les dirigeants africains feront appel, sans scrupule, à des mercenaires russes, turcs ou demain chinois, et nous serons rayés de la carte. Ceux qui planifient ces missions sont, pour beaucoup, des militaires français et ils font un travail remarquable. Le problème est posé par les États membres. Le comité politique et de sécurité, à Bruxelles, a beaucoup de difficultés pour obtenir un consensus et donner un mandat robuste à nos opérations. Il y a toujours un pays - généralement un pays qui ne participe pas aux opérations - pour insister sur la prudence, l'importance de la protection de nos forces, etc. On met donc ceinture et bretelles, au point de faire perdre leur intérêt et leur valeur à ces missions. Voilà plusieurs années que j'attire l'attention sur leur dévitalisation. Veillons à ce qu'elles ne deviennent pas ce que j'appelle des missions-alibi : on reconduit la mission pour que le drapeau européen flotte sur les zones de crise, sans évaluer si elles ont une vraie valeur ajoutée. Pourtant, elles ont toujours été le moteur opérationnel de la PSDC. Aujourd'hui, ce moteur s'essouffle complètement et c'est le moteur capacitaire qui prend le relais.
Le panorama stratégique global dans lequel s'inscrit la PSDC explique aussi largement son essoufflement et ses hésitations. C'est en particulier le changement d'Administration américaine qui pèse sur ces infléchissements. Ce qui avait tétanisé un certain nombre de nos partenaires européens, ce qui les avait fait réfléchir au renforcement de la défense européenne, c'est l'élection de M. Trump, l'imprévisibilité de ce dernier, le fait qu'il remette en cause les accords de sécurité au sein de l'OTAN, les doutes exprimés sur l'activation de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord... Désormais, nous avons une Administration très transatlantique, bien connue en Europe, avec des interlocuteurs très familiers. Évidemment, la tentation est forte - et c'est même un réflexe pour la plupart de nos partenaires européens - de retrouver ce cocon transatlantique extrêmement confortable, qui nous épargne certains efforts budgétaires et opérationnels, et de chercher à retrouver une espèce d'âge d'or, sans doute très fantasmé, de la relation transatlantique. D'un certain point de vue, cet effet de balancier vient complètement freiner les efforts de défense européenne. En Europe, aujourd'hui, l'immense majorité de nos partenaires a envie de retrouver ce confort transatlantique d'abord ; la défense européenne n'intervient que de façon optionnelle.
Il y a, enfin, une singularité stratégique française. Nous sommes la seule puissance nucléaire en Europe depuis que les Britanniques sont partis, et la seule puissance vraiment opérationnelle militairement : nous avons des capacités sur à peu près l'ensemble du spectre, complétées par notre réseau diplomatique. Cette singularité stratégique, nous devons la valoriser, mais en veillant à ce qu'elle ne devienne pas une solitude stratégique en Europe. Nous devons donc prendre pleinement conscience des réserves, des critiques, des hésitations de nos partenaires, sans les traiter avec condescendance. Il ne faut pas considérer que, parce que les autres n'embrayent pas sur nos priorités, notamment africaines, ou nos priorités capacitaires, ils n'ont rien compris ou sont à la traîne. Nous avons une oeuvre de conviction et de persuasion à mener, qui n'est parfois pas à la hauteur des ambitions que nous avons. Par exemple, à Bruxelles, au Parlement européen, quasiment personne ne sait ce qu'est l'initiative européenne d'intervention. Les discussions ont été menées entre états-majors et entre chancelleries et ne sont pas arrivées dans le débat public. Sachons nous remettre en cause et tendre la main à nos partenaires, sans condescendance.
Notre singularité stratégique est tout à fait pertinente dans le monde multipolaire où nous vivons. Le changement d'Administration américaine suscite un certain nombre d'hésitations chez nos partenaires et la crise économique leur fait revisiter leurs priorités. Tout cela ralentit l'effort de défense européenne aujourd'hui - et peut même le renverser. Nous devons être lucides sur cela.
M. Mounir Satouri, député européen. - Merci pour cette invitation. Je vais vous donner le point de vue du groupe des Verts/ALE du Parlement européen sur ces questions. Je commencerai par commenter les conclusions de Charles Michel au dernier Conseil. Nous aussi, nous voulons une OTAN forte et en partenariat solide avec l'Union européenne. Nous sommes d'accord, l'élection de Joe Biden fait souffler un vent frais sur la sincérité des alliances au sein de l'OTAN. Mais nous sommes contre la volonté de fixer des objectifs numériques à 2 % des budgets nationaux pour la défense. C'était l'objectif controversé du sommet de l'OTAN au Pays de Galles. Il ne correspond pas, de mon point de vue, aux réalités des besoins des Européens. Le point de vue des Verts/ALE est que la sécurité européenne reste une priorité éloignée pour la présidence américaine, même si le changement de style, avec le départ de M. Trump, est important. Nous pensons qu'il faut continuer à progresser vers une sécurité avant tout européenne. Le développement de la boussole stratégique européenne, la réduction de la fragmentation et la duplication des capacités militaires en Europe sont des voies de progrès évident que nous souhaitons suivre. Bien sûr, il faut renforcer l'intégration européenne en matière de sécurité. Cela ne nuirait aucunement à l'OTAN. Et il est inutile de dupliquer les investissements.
L'Union européenne et les États-Unis doivent contribuer ensemble au désarmement nucléaire. À cet égard, le départ de M. Trump nous permet d'envisager un meilleur dialogue avec nos alliés américains. La semaine même de l'entrée en vigueur du traité sur l'interdiction des armes nucléaires, le président Biden a proposé le prolongement di traité New Start, un engagement qui était très attendu pour la sécurité des Européens. L'Union européenne et les États-Unis doivent parvenir ensemble à avoir un impact sur la stabilité internationale et le changement climatique. Bruxelles a aussi besoin que Washington s'engage davantage dans la réflexion sur l'impact qu'a le changement climatique sur la sécurité et la stabilité internationale. Ce dialogue, toutefois, nécessitera une plus grande attention sur ce sujet de la part des Européens eux-mêmes.
Les Verts/ALE au Parlement européen pensent que notre objectif stratégique n'est pas l'action autonome en soi, avec un but militaire et sécuritaire non défini : la paix et la sécurité devraient être nos objectifs, ce qui requiert une meilleure coopération internationale, des alliances et des partenariats. L'autonomie stratégique n'est pas notre objectif principal. Nous devons garantir un degré d'autonomie satisfaisant, mais nous ne devons pas systématiquement chercher à analyser les situations seuls : nous ne pesons pas suffisamment dans le monde pour cela. Si nous n'avons pas besoin d'être entièrement autonomes, nous avons besoin de nous fixer des caps et de tenir des objectifs cohérents entre Européens. Les procédures doivent être claires pour orienter des pistes de décisions géostratégiques.
Comment approfondir la coopération en matière de sécurité, de défense et sur le plan des capacités européennes ? Le premier objectif des initiatives industrielles de défense devrait être de réduire la fragmentation, les doubles emplois, et les surcapacités industrielles, qui sont énormes en Europe, et d'économiser de l'argent grâce à une coopération approfondie et systématique. Les Européens produisent 178 systèmes d'armement alors que les États-Unis n'en ont que 30. Nous avons au moins trois avions de chasse similaires en Europe et une vingtaine de projets sur un véhicule blindé. Le coût de cette inefficacité est énorme. La Commission estime d'ailleurs que nous pouvons économiser entre 25 et 100 milliards d'euros par an, qu'il faudra réinvestir dans d'autres politiques publiques, pour que les États membres coopèrent beaucoup plus efficacement. Pour les Verts/ALE, la fragmentation des instruments européens de défense est un véritable problème, beaucoup plus que la question du financement.
En termes de capacités militaires, la plupart des missions et des opérations sont très petites et peu efficaces. L'un des plus grands défis est que tous les États membres en appellent toujours à davantage d'initiatives et font de nombreuses déclarations sur la défense européenne mais, en réalité, la volonté de déployer du personnel militaire et civil pour de telles missions diminue. Sur ce point, mon groupe politique a introduit dans le rapport annuel sur la PSDC une alternative significative et réaliste à la création d'une armée européenne, qui est celle de constituer des unités multinationales permanentes consacrées à l'accomplissement de tâches militaires telles que spécifiées dans l'article 43 du traité de l'Union, pour renforcer la capacité de l'Union européenne à mener des opérations de gestion de crise robustes. Le rapport annuel est beaucoup trop positif sur l'opération navale au large des côtes libyennes et ne reflète pas le fait qu'elle est conçue d'une manière qui ne puisse jamais arrêter le trafic d'armes, ni même les migrants en détresse en mer, tout en soutenant les garde-côtes libyens. Sur le contrôle de la future Facilité européenne pour la paix, nous avons insisté pour faire référence à la nécessité d'une évaluation adéquate des risques et d'une surveillance très étroite afin d'éviter toute utilisation abusive, notamment dans la fourniture d'équipements militaires.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci. Voilà deux visions très différentes de ce qui peut être construit au Parlement européen ! Je donne dans un premier temps la parole à Gisèle Jourda et à Dominique de Legge, qui sont nos rapporteurs sur ces questions.
Mme Gisèle Jourda. - Je ne peux que faire écho aux inquiétudes développées par M. Danjean, et j'en suis meurtrie. Notre commission, par une proposition de résolution européenne que j'avais préparée avec Yves Pozzo di Borgo, avait préconisé la création du Fedef, face aux menaces apparues en Méditerranée, avec ces flots de migrants, et à d'autres périls. Il est évident qu'avec un milliard d'euros par an, on ne voit pas bien que faire, ni comment le faire... Nous avons l'outil, mais nous ne nous donnons pas la capacité de le faire fonctionner ! Déjà, à ce moment-là, il y avait eu des réticences. Nous avions été taxés d'angélisme : inviter les sujets de défense à la table européenne paraissait incongru. Pourtant, ce n'était pas déplacé, puisque la création du Fedef a été proposée et soutenue ensuite par Mme Mogherini. Ce fonds entre à présent dans la phase d'application, d'où mon angoisse. Nous resterons vigilants.
Vous avez parlé du partenariat avec la Méditerranée. Pourriez-vous nous donner votre éclairage sur le Partenariat oriental ? Les items 10 et 12 du texte qui nous occupe ce matin sont autant de points de situation par rapport à ce qu'on appelle habituellement les conflits gelés. En Géorgie, une mission européenne surveille les deux lignes de démarcation. Quid de la Moldavie ? L'Azerbaïdjan et l'Arménie sont concernés par le Partenariat oriental, ce qui nous invite à évoquer aussi le Haut-Karabakh. Une défense européenne met en jeu les souverainetés nationales...
M. Dominique de Legge. - Je ne suis pas très habitué aux questions européennes, puisque je viens d'intégrer cette vénérable commission ! En prenant connaissance de la résolution du Parlement européen, je me suis un peu étonné de voir qu'elle ne comportait pas moins de 95 items. Quelle est sa ligne directrice ? Arnaud Danjean m'a rassuré sur ma compréhension des choses et je partage très largement ses inquiétudes. Ainsi, à l'item 3, on « note la dégradation durable de l'environnement stratégique de l'Union » ; à l'item 4, on « prend acte de l'objectif de l'Union de se doter d'une autonomie stratégique » et, à l'item 18, on « constate malheureusement que certains États membres n'ont toujours pas la volonté politique de participer »... Un document n'est quelquefois aussi long que pour diluer la matière, de telle sorte que chacun y retrouve un petit bout de ce qu'il souhaite voir ! Mais on ne comprend pas véritablement quel est l'axe stratégique.
Il y a quelques mois, le Président de la République a eu une formule sans doute maladroite lorsqu'il a parlé de « mort cérébrale » de l'OTAN. Arnaud Danjean a raison lorsqu'il dit qu'il faut que nous soyons très prudents dans notre manière de nous exprimer, pour ne pas donner le sentiment que nous aurions raison tous seuls. Pour autant, il me semble qu'on vit toujours sur une OTAN qui a été créée il y a 70 ans, avec des objectifs qui, à l'époque, étaient tout à fait clairs. Mais la situation a totalement changé. À l'intérieur même du partenariat, on peut se poser la question de la Turquie. L'Union européenne est-elle consciente du besoin de repenser la finalité de l'OTAN et nos relations avec cette organisation ?
Quelle est votre lecture de la relation franco-allemande sur l'avion du futur et le char ? Nous sommes en train de patiner. Cela illustre bien le fait que nos visions, nos stratégies, nos conceptions ne sont peut-être pas tout à fait identiques. Quid, enfin, des conséquences de la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne et de la coopération en matière de défense avec ce pays dont nous sommes proches et qui a une vision de la défense plus proche de la nôtre que d'autres pays de l'Union européenne ?
M. Arnaud Danjean. - Le Partenariat oriental est un sujet en soi, qui relève de la politique étrangère - même si nous avons en effet une mission en Géorgie. En Moldavie, il y a des développements intéressants, mais cela nous emmènerait assez loin. Si ces pays - Géorgie, Moldavie, Azerbaïdjan - ne sont pas vraiment prioritaires pour les Français, ils constituent une priorité absolue en matière de politique étrangère pour au moins la moitié des pays européens, notamment en Europe centrale, orientale et du Nord. Il faut être conscient des développements qui se produisent dans le Caucase et sur la frange orientale de l'Europe. Certains sont très inquiétants, non seulement avec la guerre en Arménie, mais aussi en Géorgie. Je connais assez bien la Géorgie et je ne suis pas surpris de ce qui s'y passe : on s'était beaucoup illusionné sur le changement de régime en 2012. M. Saakachvili était loin de n'avoir que des avantages, mais ceux qui ont pris le pouvoir après lui avaient des intentions qui n'étaient pas exactement celles qu'ils affichaient, à savoir le rapprochement européen et atlantique. Nous voyons aujourd'hui le retour de bâton et la situation est durablement instable en Géorgie.
Sur la formule concernant la mort cérébrale de l'OTAN, il y a eu un vaste débat. En entendant ces déclarations, à l'époque, j'ai pensé que tout le raisonnement était juste et pertinent, sur le besoin pour les Européens de développer leur autonomie, sur le fait que l'OTAN ne peut pas tout faire, que les Américains n'ont pas forcément les mêmes priorités que nous ou que nous ne sommes pas à l'abri d'un revirement de leur part, et qu'il faut que les Européens se prennent en mains. Mais la conclusion était malheureuse : quand vous êtes Président de la République française, vous n'êtes pas un chercheur à la tête d'un think tank qui peut se permettre de telles formules. Il faut avoir conscience que ce que vous dites a des répercussions politiques chez nos partenaires. En fait, ceux-ci n'ont retenu que la fin !
Du coup, ils ont décroché par rapport au raisonnement. En somme, la forme a submergé le fond. Du coup, nous avons dû rétropédaler pour expliquer que nous n'étions pas anti-atlantiques ou anti-américains... Par cette formule malheureuse, le Président a réactivé toutes les craintes que les autres pays européens ont vis-à-vis du projet français : ils nous soupçonnent de vouloir développer la défense européenne pour concurrencer l'OTAN, voire pour s'y substituer. Mais le projet européen, aujourd'hui, n'est aucunement en mesure de se substituer à l'OTAN. À la limite, il peut s'immiscer dans quelques interstices, notamment sur le flanc sud ou en matière de gestion de crise. Il doit prendre plus d'ampleur sur le plan capacitaire mais il n'est pas en mesure d'offrir une garantie de sécurité, notamment aux pays d'Europe centrale et orientale qui ne voient que cette dimension. Bref, cette formule était assez inappropriée. Insister sur ce qui fait la singularité française et tenter de convaincre nos partenaires, c'est une chose ; les heurter avec condescendance et des formules à l'emporte-pièce, c'est contre-productif.
Je crois que l'OTAN conserve une certaine cohérence pour tout ce qui concerne l'interopérabilité des forces européennes. Si nous devions un jour développer une force strictement européenne, il faut bien admettre que c'est au sein de l'OTAN qu'on aura développé l'interopérabilité capacitaire et opérationnelle. D'autre part, il ne faut pas négliger le rôle de dissuasion de l'OTAN par rapport à une menace toujours perçue comme très réelle par un certain nombre de pays d'Europe centrale et orientale. Je connais les réticences traditionnelles de la France par rapport à la perception de cette menace mais nous devons admettre qu'elle est prioritaire pour un certain nombre de nos partenaires européens - et que l'OTAN est le seul forum adéquat pour y faire face.
Cela dit, une réflexion doit être menée sur le rôle de l'OTAN au XXIe siècle. Elle est engagée. Déjà, nous savons qu'il y a des choses que l'OTAN ne sera jamais en mesure de faire, soit parce qu'elle ne le veut pas, soit parce qu'elle ne le peut pas. En particulier, sur le flanc sud, l'OTAN n'est pas la structure idoine pour faire valoir nos intérêts.
Vous avez raison, la Turquie pose un vrai problème. On voit le secrétaire général de l'OTAN dire partout que l'OTAN est aussi une communauté de valeurs. Or, la Turquie de M. Erdogan, ce ne sont pas nos valeurs ! Et, sur le plan opérationnel, il peut y avoir des complications extrêmement négatives. C'est un débat que tout le monde met sous le tapis. Les Européens de l'Est ont tellement peur que le débat sur la Turquie pollue et paralyse le fonctionnement de l'OTAN, dont ils ont besoin, qu'ils n'osent pas aborder ce sujet ou l'abordent avec beaucoup de précautions.
Les projets franco-allemands de défense patinent. Ce n'est pas une surprise. Il faut d'autant plus de volontarisme dans le franco-allemand en matière de défense que cela ne va pas de soi, au vu de l'Histoire, de nos cultures, de nos institutions. Nous avons deux modèles très différents, y compris sur le plan industriel. Quand on pense « industrie de défense », nous pensons « défense » d'abord ; les Allemands pensent « industrie » d'abord. Nous pensons stratégie, autonomie, opérations. Les Allemands pensent business, répartition des charges, compétitivité... Bref, nous avons de vraies incompréhensions. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas essayer, mais qu'il faut avancer de façon lucide. Or, on est souvent dans l'incantatoire, en pensant que la volonté suffira. Pourtant, les réalités de management industriel sont des réalités lourdes, qui pèsent sur l'avancée de ces programmes. Je suis en faveur du franco-allemand : c'est un moteur important qu'il faut alimenter. Mais si certaines choses n'avancent pas, il ne faut pas hésiter à faire autrement. Le retard pris sur le système de combat aérien du futur, en particulier, m'inquiète beaucoup.
En termes de culture stratégique, nous sommes beaucoup plus proches des Britanniques. J'aime beaucoup le partenariat franco-britannique, mais il ne faut pas non plus le mythifier, ce qu'on a tendance à faire par compensation aux difficultés que nous rencontrons avec le partenaire allemand. Les Anglais mettent trois Chinooks dans Barkhane, tant mieux ! Mais si c'était la grande puissance combattante européenne que nous louons en permanence, ils seraient peut-être capables de faire un peu plus... Il est vrai qu'ils participent à la Minusma et qu'ils sont très présents en Afrique orientale. Nous n'avons pas forcément les mêmes priorités géographiques et capacitaires qu'eux. Bref, le partenariat franco-britannique doit être entretenu et il est important, d'autant plus que les Britanniques ne sont plus dans l'Union européenne, mais il ne faut pas le mythifier, ni se faire trop d'illusions sur ce que nous pouvons faire avec les Britanniques. D'ailleurs, ceux-ci vont réinvestir massivement l'OTAN, ce qui va contre nos propres intérêts. La structure multilatérale européenne dans laquelle les Britanniques veulent jouer un rôle de leader, c'est l'OTAN.
M. Mounir Satouri. - Sur la Géorgie, je crois qu'on peut se dire les choses de manière claire : la mission de l'Union européenne est uniquement une mission d'observation, en appui politique face à la posture russe, mais sans être vraiment sur le terrain.
Vous parlez de la Turquie dans l'OTAN. Il faut évidemment se poser la question des relations avec la Turquie de M. Erdogan, mais nous avons besoin de collaborer avec ce pays. Il y un véritable problème avec le régime turc d'aujourd'hui. Si l'on pouvait avoir une unité européenne, ce serait une bonne chose. Nous avons besoin, stratégiquement, de la Turquie. Son attitude envers les Kurdes est particulièrement violente. Nous, Européens, devons soutenir davantage les Kurdes, dont la présence sur le terrain a été précieuse face à Daech. Critiquer la position de M. Erdogan en Libye me choque, en revanche, alors que la France s'est elle-même immiscée dans le conflit, sans vraiment l'assumer et en désaccord avec les Italiens...
Je suis d'accord avec M. Danjean sur l'OTAN. Nous avons besoin de cet outil multilatéral. Le niveau d'élaboration et d'avancée de la défense européenne ne nous permet pas de sortir de l'OTAN.
M. Jean-François Rapin, président. - Merci. Je donne à présent la parole aux deux auteurs du rapport que j'ai mentionné en introduction, Ronan Le Gleut et Hélène Conway-Mouret.
M. Ronan Le Gleut. - Merci pour votre invitation à venir m'exprimer devant la commission des affaires européennes. Ma question sera relative à la boussole stratégique de l'Union européenne. L'un des préconisations principales de notre rapport était l'analyse des menaces, avec l'idée d'un livre blanc européen. Nous avions constaté que cette analyse était fondamentalement différente entre certains pays de l'Union européenne. Certains se focalisaient sur la protection contre le terrorisme islamiste, d'autres contre le grand voisin oriental, et un troisième groupe ne se sentait menacé par personne, ce qui nous avait surpris ! Nous avions donc préconisé un livre blanc européen. La boussole stratégique de l'Union européenne semble aller dans cette direction. Elle a vocation à être adoptée avant le concept stratégique de l'OTAN. Pourrait-elle être présentée comme une contribution européenne à la sécurité euroatlantique ? En d'autres mots, passons-nous de l'autonomie stratégique au retour du concept de pilier européen de l'OTAN ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Nous commencerons à travailler la semaine prochaine sur la boussole stratégique, dans le cadre d'un rapport qui s'inscrit dans le fil de celui que nous avions présenté sur l'autonomie stratégique. C'était la première proposition que nous avions faite, en effet. Enfin, les pays européens vont travailler et réfléchir ensemble sur ces questions ! Avant de parler d'armée européenne ou de grands projets, il faut se mettre d'accord sur l'analyse des menaces... Les propos d'Arnaud Danjean m'ont un peu inquiétée, car nous pensions que l'ère de M. Trump aurait bousculé suffisamment les pays européens pour qu'ils aient envie d'avancer ensemble et d'assumer une certaine autonomie.
Il semblerait que les travaux sur la boussole stratégique au niveau européen aient pris du retard. Quel est votre calendrier ? Sentez-vous une appétence chez vos collègues européens pour avancer sur le sujet ? N'allons-nous pas revivre ce qu'on a connu avec le Fedef, c'est-à-dire de grandes ambitions, un grand espoir et, finalement, une douche froide ? J'ai l'impression qu'on n'a pas beaucoup avancé sous la présidence allemande, qui a lancé cette boussole stratégique. Nous verrons ce que feront la présidence portugaise et la présidence slovène...
M. Mounir Satouri. - Sans une boussole stratégique, et sans l'unité des États membres de l'Union européenne autour de cette boussole, nous aurons du mal à exister dans le dialogue international. Beaucoup d'observateurs ont commenté le fiasco du déplacement en Russie du chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. De mon point de vue, le manque d'unité européenne, notre incapacité à parler d'une seule voix et à développer une boussole stratégique sont responsables de la manière dont a été traité ce haut représentant en Russie. Et pour favoriser cette unité des États membres, il faut une véritable volonté politique.
Une précision : je n'ai pas parlé d'armée européenne. Les écologistes portent une alternative réaliste, avec la création d'unités multinationales permanentes dédiées à l'accomplissement des tâches militaires. Sous réserve d'une volonté politique, cette création est tout à fait envisageable. L'article 43 du traité de l'Union nous permet d'avancer de manière pragmatique en ce sens et de ne pas attendre un hypothétique nouveau traité installant l'idée d'une armée européenne pour disposer d'une capacité d'intervention.
Sur cette idée de boussole stratégique, la présidence allemande a lancé les travaux dans l'idée qu'ils se finalisent sous la présidence française. Les travaux ne doivent pas cesser entre les deux présidences. Cet outil dont l'Europe a tellement besoin sur le terrain pourrait être un symbole, un signal politique intéressant.
Mme Marta de Cidrac. - En tant que présidente du groupe d'amitié France- Balkans occidentaux du Sénat, je souhaite vous interroger sur la politique de l'Union européenne en matière de sécurité et de défense dans la région des Balkans occidentaux. Cette région présente une importance stratégique pour l'Union européenne et pour la France, avec des enjeux politiques et économiques, mais aussi de sécurité et de défense - je pense à la persistance de tensions au Kosovo et en Bosnie-Herzégovine, à la lutte contre le terrorisme, aux migrations ou encore aux trafics d'armes, de drogues ou de personnes.
Or, nous constatons aujourd'hui dans cette région un affaiblissement de l'Europe et un renforcement de l'influence de la Russie, de la Chine et de la Turquie. En outre, alors que la France s'était fortement investie dans cette région lors des conflits nés de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, l'influence globale de notre pays s'est réduite ces dernières années, notamment en matière économique par rapport à l'Allemagne. En Bosnie-Herzégovine, il n'y a eu aucune visite officielle d'un ministre français depuis 5 ans.
Quelle est donc la stratégie de l'Union européenne en matière de sécurité et de défense dans cette région des Balkans qui, à mes yeux, constitue un test de crédibilité pour l'Union européenne sur ces questions ?
M. André Reichardt. - Je crains que, pour nos concitoyens, la politique européenne de sécurité et de défense commune se traduise essentiellement par une incapacité à tenir une position claire, en particulier face à la Turquie en Grèce et à Chypre. À cela s'ajoute l'absence de l'Europe aux côtés de la France en Afrique, au Mali et au Niger notamment.
Je suis intéressé par l'avenir de l'Eurocorps, dont le siège est à Strasbourg. Ce corps de réaction rapide européen qui, à l'heure actuelle, ne brille pas par ses actions ni par sa réputation, est-il encore légitime ? Comment est-il considéré au sein de l'Union européenne ? A-t-il des perspectives d'évolution ?
M. Mounir Satouri. - L'objectif était de vous éclairer sur la position du groupe écologiste et sur les rapports de force au sein du Parlement européen.
Concernant les Balkans, les écologistes demandent que l'Union européenne reste attentive et impliquée dans la région. Chose étrange, l'intervention économique de l'Europe se fait souvent sans influence politique. Nous sommes une puissance économique, mais notre manque d'unité et d'ambition diplomatique, nos difficultés d'unité sur les questions militaires restent des faiblesses. Dans un certain nombre de régions, nous intervenons beaucoup en soutien à la société civile, en aide économique, mais nous n'arrivons pas à faire entendre notre voix. Dans cette perspective, je le redis : mettre en place des unités d'intervention serait une bonne chose.
Sur le sujet de l'Eurocorps et de sa perception au sein de l'Union européenne, je m'engage à me renseigner pour obtenir des réponses.
M. Jean-François Rapin, président. - Je souscris pleinement aux propos d'André Reichardt sur l'Eurocorps. Nous avions auditionné, lors d'un déplacement d'une association sénatoriale bien connue, le patron de l'Eurocorps. Et alors que celui-ci nous exposait des missions pourtant intéressantes, le rayonnement de cet outil laissait clairement à désirer. Les parlementaires européens sont d'ailleurs peu informés sur ses missions.
Merci de votre participation, avec des points de vue très différents. Il était important, je crois, d'avoir cette vision élargie.
Enfin, je vous rappelle que nous célébrons aujourd'hui la seizième journée européenne de commémoration des victimes du terrorisme, institué à la suite de l'attentat de Madrid en 2004. Le sujet devait être évoqué dans cette commission.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Budget de l'Union européenne - Réserve d'ajustement au Brexit : examen du rapport de M. Jean-François Rapin sur la proposition de résolution européenne sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil COM (2020) 854 final du 25 décembre 2020
M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Notre réunion se poursuit avec l'examen du rapport consacré à la proposition de résolution européenne (PPRE) sur la réserve d'ajustement au Brexit. Une réunion du groupe de suivi sur la relation euro-britannique (nouvelle dénomination du groupe de suivi Brexit) s'est tenue il y a deux jours, à l'issue de laquelle notre collègue Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et moi-même, qui en sommes co-présidents, avons décidé de déposer une proposition de résolution européenne n° 431 (2020-2021) qui est aujourd'hui soumise à l'examen de notre commission.
Depuis le 1er janvier 2021, l'Union européenne et le Royaume-Uni constituent désormais deux marchés et espaces juridiques distincts. Des obstacles inédits freinent les échanges de biens et services, ainsi que la mobilité et les échanges transfrontaliers de personnes. Afin de se préparer en amont à ce changement, les États membres - au premier rang desquels la France - ont dû engager un certain nombre de dépenses, avec le double objectif d'assurer les nouveaux contrôles requis, notamment au plan sanitaire, et de soutenir les secteurs les plus touchés par le Brexit.
Dès 2019, la France a ainsi effectué des investissements en matière d'infrastructures douanières et sanitaires, et engagé des dépenses de personnels, pour que la nouvelle frontière entre l'Union européenne et le Royaume-Uni soit opérationnelle en temps voulu. Notre pays a rapidement défendu l'idée d'un fonds budgétaire européen pour compenser les dépenses des États membres liées au retrait du Royaume-Uni et manifester la cohésion européenne face à ce choc.
En juillet 2020, le Conseil européen extraordinaire a ainsi annoncé la mise en place d'une ligne budgétaire dédiée à cet effet. Il a invité la Commission européenne à établir un règlement en ce sens, qui a été publié fin décembre 2020. Avec mon collègue Christian Cambon, nous avons tenu à attirer l'attention sur ce texte dont la négociation est en cours, en déposant une proposition de résolution européenne.
En effet, la proposition de règlement publiée par la Commission établit une réserve d'ajustement au Brexit, dont nous approuvons le principe mais pas les modalités. Aussi, au nom du groupe de suivi qui s'est réuni mardi, Christian Cambon et moi-même avons déposé la proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd'hui. Étant déjà au fait du dossier, je me propose, si vous le voulez bien, d'en être le rapporteur.
Cette réserve figure parmi les instruments spéciaux en dehors des plafonds budgétaires de l'Union européenne fixés par le cadre financier pluriannuel (CFP). Elle est dotée d'un montant maximal de 5,4 milliards d'euros et répartie en deux enveloppes.
Un montant de préfinancement de 4,2 milliards d'euros est mis à disposition en 2021. La part de préfinancement de chaque État est déterminée en fonction de deux facteurs : les poissons capturés dans la zone économique exclusive du Royaume-Uni - à hauteur de 15 % de l'enveloppe, soit 600 millions d'euros - et les échanges entre chaque État membre et le Royaume-Uni - à hauteur des 85 % restants, soit 3,4 milliards d'euros.
Une enveloppe supplémentaire à hauteur de 1,1 milliard d'euros doit être versée en 2024 aux États membres, si les dépenses acceptées par la Commission dépassent le montant payé en préfinancement et 0,06 % du revenu national brut (RNB) nominal de 2021 de l'État membre concerné.
L'objectif de cette réserve, mentionné à l'article 3 de la proposition de règlement, est ainsi d'apporter « un soutien pour pallier les conséquences négatives du retrait du Royaume-Uni de l'Union dans les États membres, les régions et les secteurs, en particulier les plus touchés par le retrait, et en atténuer l'incidence sur la cohésion économique, sociale et territoriale ».
L'objectif et le principe de cette réserve nous apparaissent donc louables, évidemment. Mais son fonctionnement et ses modalités de répartition nous semblent critiquables.
En effet, le Brexit entraîne des conséquences particulièrement négatives pour notre pays, qui présente une proximité géographique et historique avec le Royaume-Uni. Or, les montants que la réserve prévoit d'allouer à la France ne suffisent pas à couvrir cet impact. La secrétaire générale aux affaires européennes (SGAE) nous a d'ailleurs fait part de la déception des autorités françaises qui avaient largement collaboré avec la Commission en amont de cette proposition. Selon la projection réalisée par la Cour des comptes européenne, qui vient de rendre un avis sur le sujet, la France serait le quatrième bénéficiaire de ce fonds, dont elle percevrait environ 10 %, soit 396,5 millions d'euros, derrière l'Irlande - 991,2 millions d'euros -, les Pays-Bas - 713,7 millions d'euros - et l'Allemagne - 429,1 millions d'euros (en prix 2018).
Cette enveloppe n'est clairement pas à la hauteur des dépenses qui ont été ou seront effectuées par l'État français et les collectivités territoriales pour faire face au retrait du Royaume-Uni.
Le SGAE nous a communiqué une estimation de la direction du budget du ministère de l'économie et des finances : environ 405 millions d'euros de dépenses de l'État seraient éligibles sur la période 2020-2023. À cela il faut ajouter les dépenses des territoires. Certaines régions sont bien sûr particulièrement touchées - je pense aux Hauts-de-France, à la Normandie et à la Bretagne -, soit parce qu'elles sont désormais des points de passage de la frontière externe de l'Union, soit du fait de leur spécialisation économique, notamment sur la filière pêche. La région Bretagne, à elle seule, a estimé ses dépenses à 368 millions d'euros.
D'autres secteurs - transports, agroalimentaire, tourisme, import/export - pourraient également être affectés, dans d'autres régions, comme l'Île-de-France ou le Grand Est. Un recensement des dépenses effectuées par les régions est actuellement en cours. Il est coordonné par l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT).
L'enveloppe prévue pour la France, dans le cadre de cette réserve, est donc loin de couvrir la totalité des dépenses engagées. Pour remédier à cette injustice, notre proposition de résolution appelle à plusieurs modifications.
D'abord, la méthode de répartition de la réserve ne paraît pas satisfaisante : le poids et le calcul du facteur lié aux échanges conduisent notamment à une surévaluation des transferts de services financiers par rapport aux échanges de marchandises, pénalisant ainsi des pays comme la France et favorisant, au contraire, le Luxembourg, les Pays-Bas ou l'Irlande.
Les spécificités des États membres mériteraient donc d'être mieux appréhendées dans la répartition de la réserve. Certains secteurs devraient être mieux pris en compte, au premier rang desquels la pêche. La France est l'État membre qui pêche le plus en valeur absolue dans les eaux britanniques - 650 millions de produits pêchés au total. Elle se trouve pourtant, au vu des méthodes de calculs, reléguée en sixième position des pays considérés comme les plus affectés en termes de pêche par le Brexit.
Il est de même du point de vue de la prise en compte de l'interdépendance commerciale. La France est le deuxième État membre à commercer le plus avec le Royaume-Uni. Or, elle se trouverait moins compensée des effets du Brexit que la moyenne des 27 pays, en raison des indicateurs pris en compte.
Outre la méthode de répartition, la période d'admissibilité des dépenses, actuellement fixée du 1er juillet 2020 au 31 décembre 2022, mériterait d'être étendue. Il faut absolument prendre en compte l'ensemble des dépenses impliquées par le Brexit. Les préparatifs ont débuté il y a plusieurs années, bien avant juillet 2020. Nous demandons aussi, pour assouplir un peu la période de référence, que soit admissible à la réserve toute dépense publique liée au retrait du Royaume-Uni, qu'elle ait été engagée ou payée au cours de cette période de référence.
Enfin, il faut clarifier l'articulation des dépenses admissibles à la réserve avec le régime des aides d'État. C'est particulièrement nécessaire pour le secteur de la pêche. L'État doit pouvoir octroyer sans risque, grâce à la réserve, des financements aux entreprises de pêche ou de mareyage qui sont réduites à l'arrêt ou ont subi une perte de chiffre d'affaires.
J'espère vous avoir convaincu de l'importance de ces différents points. Je vous invite donc à adopter cette proposition de résolution européenne pour conforter les positions françaises dans la négociation en cours à Bruxelles, à la fois au Conseil de l'Union européenne et au Parlement européen. La commission des budgets du Parlement européen, saisie pour avis, envisage déjà des amendements permettant de rééquilibrer l'enveloppe, notamment au profit de la France. Sa commission de la pêche, également saisie pour avis, se prononcera en avril et la commission du développement régional (REGI), saisie au fond, tranchera fin mai.
Cette résolution a vocation à parvenir au Gouvernement, mais nous l'adresserons aussi aux parlementaires européens. Nous espérons ainsi peser sur les négociations qui sont particulièrement difficiles, dans la mesure où la taille du gâteau est fixée ; si nous augmentons la part française, d'autres États membres y perdent.
La procédure d'adoption des résolutions européennes par le Sénat prévoit que le texte qui sortira de notre commission soit transmis à la commission compétente au fond, en l'occurrence celle des finances. J'ai pu consulter son président qui ne voit pas d'inconvénient à ce que notre PPRE ne soit pas rapportée en commission des finances, au vu de son objet et de l'urgence de la situation.
Le texte que nous arrêterons aujourd'hui devrait donc, de fait, être définitif. Nous pourrons ainsi gagner du temps et le diffuser sans délai pour pouvoir utilement peser sur les négociations en cours au Conseil, où nous apprenons que la présidence portugaise semble pressée de conclure avant Pâques, et au Parlement européen, dont les trois commissions saisies vont se prononcer dès avril.
Vous comprenez la raison pour laquelle nous avons accéléré la procédure. Cette PPRE est naturellement amendable, si vous y voyez des lacunes ou des oublis.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Merci pour ce projet de résolution. Faisant partie du groupe de suivi post-Brexit, j'y suis particulièrement sensible. J'étais ressortie frustrée du débat en séance publique portant sur l'accord de commerce et de coopération euro-britannique, la semaine dernière, en présence du secrétaire d'État chargé des affaires européennes, et je me félicite de retrouver, dans la PPRE, une évocation des problématiques des régions, certaines plus touchées que d'autres en Europe, et des difficultés pour les acteurs et les opérateurs portuaires, ainsi que pour le secteur trans-Manche.
Parmi ces difficultés, il convient d'identifier celles qui relèvent de la crise économique liée au Covid, mais le Brexit n'a rien arrangé. Un troisième élément se profile avec la mise en application du règlement Entry-Exit System qui va imposer des contraintes supplémentaires à tous ces opérateurs.
Le contenu de la résolution me convient. Celle-ci a pour objectif de peser sur les négociations, de repréciser le fonctionnement, les modalités et le calendrier. J'ai noté que cette PPRE faisait référence à des dépenses engagées avant même la constitution de cette réserve d'ajustement. En effet, nous n'avons pas attendu l'été dernier pour commencer les travaux d'adaptation des terminaux et des douanes ; ces dépenses seront-elles éligibles à la réserve ? Il faut se battre pour qu'elles le soient. En région Normandie, 8 millions d'euros ont, par exemple, déjà été engagés.
La pêche est très largement évoquée dans la PPRE. Il reste des inquiétudes sur ce sujet ; il s'agit d'accompagner tous les secteurs qui en dépendent.
M. André Gattolin. - Nous approuvons cette proposition de résolution. Dans le débat qui doit se tenir - je dirais même, le bras de fer - entre la France et la Commission européenne, le soutien du Parlement est essentiel.
Les critères d'éligibilité manquent d'une cohérence globale. Ainsi, la France toucherait 396 millions d'euros sur la période, alors qu'elle contribue au moins à hauteur de 760 millions d'euros, c'est-à-dire le double aux adaptations requises par le Brexit. Il y a un décalage entre ce que l'on demande à la France dans cet effort lié au Brexit, et ce qu'elle reçoit en retour.
Beaucoup d'argent a déjà été investi. On nous disait, à l'époque où nous débattions sur les fameuses ordonnances liées au Brexit, que nous allions trop vite... Mais nous sommes la frontière principale et directe avec le Royaume-Uni. 70 % des échanges entre le Royaume-Uni et l'Union européenne transitent par le territoire français. Cela mériterait d'être souligné et justifie une attention particulière à notre pays. Et au-delà du Parlement européen, il serait temps d'inciter nos collègues de l'Assemblée nationale à prendre position plus fermement sur ce sujet.
M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - En effet, nous pourrions ajouter un considérant, par exemple après l'alinéa 16, pour faire valoir cette position particulière qu'occupe la France, point de passage pour le commerce entre le Royaume-Uni et tout le continent européen. Nous allons adresser cette PPRE au Parlement européen, mais elle doit également être relayée dans nos territoires. Je pense, par exemple, aux présidents d'intercommunalité qui ont pu dépenser des millions d'euros pour installer un terminal ou un outil de contrôle douanier...
Je me souviens d'une audition de Gérald Darmanin, il y a trois ans de cela, alors qu'il était ministre du budget. À l'époque, il nous avait bien précisé que l'on allait se débrouiller avec le budget national et celui des intercommunalités ; un fonds européen n'était absolument pas à l'ordre du jour. La situation a évolué depuis. Au regard du montant des dépenses, nous sommes très loin du compte, et la France doit se battre pour récupérer des moyens ; car, ces dépenses engagées - rappelons-le - ne proviennent pas du budget de l'État mais des territoires, des régions, des intercommunalités.
M. André Gattolin. - Il faut accompagner la démarche d'un discours médiatique fort, avec des conférences de presse. Les régions et, accessoirement, l'État ont beaucoup agi en amont ; au lieu de bénéficier d'une prime à l'anticipation, ils s'en trouvent aujourd'hui pénalisés. Le Comité européen des régions (CdR), acteur essentiel, devrait bien identifier les trois régions les plus concernées : la Bretagne, la Normandie et les Hauts-de-France.
M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Nous avons eu tort, en effet, d'avoir raison trop tôt. Les dépenses prises en compte concernent les retardataires. Nous sommes obligés de jouer à la fois sur les montants et aussi sur la prise en compte des dépenses. Dans la PPRE, nous avons envisagé de remonter encore six mois plus tôt, à juillet 2019, mais nous avons compris. Nous avons agi rapidement dans le souci de l'intérêt général, au côté de l'exécutif, pour avoir gain de cause. Je suis assez fier du travail accompli.
Après réflexion, je vous propose une précision à l'alinéa 26 de la PPRE. Nous demandons que la réserve puisse financer des dépenses engagées ou payées pendant la période de référence. Toutefois, il ne faudrait pas que l'on se retrouve à financer des dépenses engagées mais jamais payées. Pour prévenir ce risque, je vous propose cette formulation : « [...] que toute dépense publique effectuée en lien avec le retrait du Royaume-Uni, qu'elle ait été engagée ou payée au cours de la période de référence, soit admissible au financement par la réserve ».
M. André Gattolin. - Je crains que cela incite certains pays à engager beaucoup ! Je préférerais « payées » tout court, puisque nous avons déjà beaucoup payé...
M. Jean-François Rapin, président, rapporteur. - Dans son rôle de contrôle, la Commission devra vérifier que les dépenses sont en lien avec le Brexit. Les dépenses engagées à partir de maintenant seront très contrôlées.
M. Daniel Gremillet. - Je soutiens complètement cette PPRE et les propositions d'amendement.
Les amendements sont adoptés.
La commission autorise la publication du rapport et adopte la proposition de résolution européenne dans la rédaction issue de ses travaux.
La réunion est close à 10 h 10