Mercredi 10 février 2021
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Audition de M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF, pour nous entretenir avec lui des défis auxquels est confronté ce grand groupe public auquel nous tenons tant, à commencer par le projet de réforme Hercule. Depuis fin 2018, notre commission a interrogé à six reprises les ministres de l'énergie et de l'économie sur ce sujet. Nos commissaires ont participé à deux débats en séance publique. Vous-même, monsieur le président-directeur général, intervenez devant notre commission pour la troisième fois. Or, ces échanges, toujours de très grande qualité, n'ont pas permis aux Parlementaires que nous sommes de connaître précisément les tenants et aboutissants de ce projet de réforme.
C'est pourquoi, dès le 7 juin dernier, notre commission a demandé au Gouvernement, dans le cadre sa « Feuille de route pour une relance bas-carbone », d'être associée aux travaux préalables à toute réorganisation. Faute de réponse satisfaisante de la part du Gouvernement - ou plutôt, faute de réponse tout court ! - notre commission a constitué un groupe de travail sur les réformes du marché de l'électricité, confié à nos collègues Daniel Gremillet, Patrick Chauvet et Jean-Claude Tissot, qui ne manqueront pas de vous interroger.
Monsieur le président-directeur général, pardonnez ces critiques préalables, qui ne vous sont pas adressées et - vous l'aurez compris - s'adressent au Gouvernement. Il devient crucial de démêler les enjeux en présence devant la représentation nationale : nous voulons sortir de cette audition en en sachant un peu plus sur les contours et le calendrier de la réforme, ainsi que sur son impact pour les salariés du groupe et les collectivités territoriales.
Dans ce contexte, incertain et même anxiogène, je souhaiterais vous poser trois séries de questions. En premier lieu, pouvez-vous nous préciser l'état d'avancement du projet Hercule ? Selon la presse, il pourrait conduire à un partage des activités du groupe - les salariés évoquent son « démantèlement » ! - et plusieurs filiales : EDF bleu, à capitaux publics, pour les activités nucléaires et de transport ; EDF vert, ouverte aux capitaux privés, pour les activités renouvelables, de distribution et de services ; et « EDF azur », quasi-régie consacrée aux activités hydroélectriques.
Est-ce bien ce schéma qui tient la corde ? Si oui, comment garantir le « caractère intégré du groupe », que vous aviez vous-même qualifié de fondamental lors de votre dernière audition ? Quelles seraient les activités ouvertes aux capitaux privés, à quelle hauteur et avec quels acteurs ? Que répondez-vous à ceux d'entre nous qui considèrent que cette réorganisation conduirait à nationaliser les pertes et à privatiser les profits du groupe ?
Par ailleurs, quel est le calendrier de cette réforme ? Notre rapporteur pour avis sur les crédits de l'énergie, Daniel Gremillet, a obtenu de la ministre de la transition écologique, devant le Sénat, le 13 janvier dernier, l'engagement public que le projet, s'il aboutit, fasse l'objet d'un véhicule juridique spécifique : c'est la moindre des choses ! Pensez-vous qu'un texte puisse être examiné avant la fin de ce quinquennat ?
Enfin, quelles sont les alternatives au projet Hercule ? La ministre de la transition écologique a souligné devant l'Assemblée nationale, le 3 février dernier, la nécessité d'envisager « un plan B » en cas d'échec des négociations. Réfléchissez-vous à d'autres types de réorganisation ? Pour reprendre la formule de la ministre, existe-t-il un projet « Hector » en lieu et place du projet Hercule ?
En deuxième lieu, le projet Hercule est-il à la hauteur des difficultés financières d'EDF ? Selon la presse, il aurait pour préalable une réforme de l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (Arenh), dispositif de régulation par lequel EDF vend, au prix de 42 euros par mégawattheure, un quart de sa production à ses concurrents. Ce dispositif serait remplacé par un corridor de prix, qui concernerait la totalité de la production d'EDF ; dans cette perspective, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) aurait évalué à 48 euros le coût de production de l'énergie nucléaire ... alors que vos services l'estimeraient à 53 euros !
Ce montant suffira-t-il ? Le groupe fait face à un « mur d'investissements » : je rappelle qu'il est grevé d'une dette de 42 milliards d'euros, alors qu'il doit financer le Grand carénage, les chantiers des EPR et des investissements en matière d'énergie renouvelable. Par ailleurs, ces dépenses ont été renchéries par deux récentes déconvenues. La première a trait aux difficultés des chantiers des EPR, et la seconde, aux répercussions de la crise de la covid-19.
En dernier lieu, le projet Hercule est-il de nature à renforcer la compétitivité de l'énergie nucléaire par rapport aux énergies renouvelables ?
M. Jean-Bernard Lévy, président-directeur général d'EDF. - J'ai bien compris que vous souhaitiez que je vous parle d'Hercule et je vais le faire mais, dans un premier temps, permettez-moi d'évoquer aussi le contexte pour EDF et le déploiement de notre stratégie, comme vous l'avez du reste fait vous-même, madame la présidente.
La dernière fois que je suis venu au Sénat, c'était en novembre 2019, dans des conditions sanitaires évidemment différentes. Tous nos salariés ont dû faire face au choc absolument inimaginable de la crise sanitaire et des confinements. Je voudrais d'abord vous dire que l'entreprise EDF a fait preuve d'une mobilisation extraordinaire, et je voudrais rendre hommage devant vous à nos salariés. Au plus fort de la crise, notamment au début du premier confinement, il a fallu que ceux qui produisent l'électricité soient présents chaque jour dans les usines du parc nucléaire, du parc hydraulique, du parc thermique, du parc renouvelable. Ces salariés ont assuré leur mission, et les ménages, les services publics - et en particulier les hôpitaux -, les collectivités territoriales, les entreprises n'ont jamais manqué d'électricité. Je voudrais le souligner, et saluer aussi la mobilisation des salariés de notre filiale indépendante Enedis, qui étaient présents sur le terrain pour assurer en permanence la continuité du service public et le bon fonctionnement des réseaux.
Les salariés d'EDF qui sont au contact des clients, pendant toute cette période, ne pouvaient plus aller sur leur lieu de travail. Ils ne le peuvent d'ailleurs toujours pas. Nous avons installé des postes informatiques chez eux : en deux jours, nous avons installé 5 000 ordinateurs personnels pour que les conseillers de clientèle puissent répondre depuis chez eux aux clients qui les appellent. Or, contrairement à ce qui prévaut chez nos concurrents, tous nos salariés qui sont au contact des clients sont installés en France, et non pas externalisés dans des pays à bas salaires. Du coup, ils vivaient la même période, la même vie que nos clients et, connaissant bien la situation, pouvaient leur répondre de façon appropriée. Nos clients, à cette époque et encore aujourd'hui, ont exprimé une grande satisfaction sur la manière dont le service d'EDF leur a été fourni. Malgré le confinement général, la fermeture des frontières, les perturbations du transport de pièces détachées, EDF a fait preuve de résilience, ses salariés ont répondu présent et personne n'a manqué d'électricité. Nous en sommes très fiers. La crise a rappelé combien l'électricité fait partie de nos services essentiels.
Elle a aussi, bien sûr, eu des conséquences économiques, et un coût pour le groupe EDF, dont le manque à gagner est estimé à environ 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Notre planning de maintenance du parc de production, hydraulique et surtout nucléaire, a dû être adapté aux circonstances. En 2020, nous avons produit un peu plus de 335 térawattheures (TWh) d'énergie nucléaire alors que nous craignions de ne pouvoir produire que 300 TWh. Ce chiffre de 335 TWh est néanmoins inférieur d'environ 12 % à notre objectif initial à cause de cette très profonde désorganisation. Elle a nécessité des arrêts de chantiers, de maintenance lourde ou de changement de combustible.
Les conséquences de cette désorganisation sur le parc nucléaire se prolongeront sur les deux prochaines années. Néanmoins, le passage de l'hiver, qui suscite toujours une attention particulière, se passe bien. Nous vivons actuellement une période de froid, qui est la deuxième de l'année. La consommation d'électricité est pratiquement revenue à son niveau normal, ce qui est une bonne nouvelle. Nous avons confiance en le fait que, même dans les quelques jours de grand froid que nous vivons, nous serons en mesure de fournir à nos clients toute l'électricité dont ils ont besoin. Réseau de transport d'électricité (RTE) a d'ailleurs indiqué il y a deux jours que cette période de grand froid ne devrait pas inquiéter les Français quant à la disponibilité de l'électricité.
L'année qui vient de se passer nous rappelle les valeurs de l'entreprise EDF et notre capacité de mobilisation au service des besoins essentiels du pays, sur tout le territoire de la République, en métropole comme en outre-mer.
À mon arrivée, il y a six ans, j'ai fixé une stratégie, et je la mets en oeuvre depuis. Cette stratégie, intitulée « Cap 2030 », consiste à faire d'EDF le champion français et européen de la neutralité carbone - ce qui est d'actualité, puisqu'un projet de loi sur la question a été présenté hier en Conseil des ministres.
C'est en mai dernier que notre assemblée générale a fixé notre mission pérenne. En application de la loi Pacte, le groupe a adopté une raison d'être, désormais inscrite dans ses statuts. Il s'agit d'un engagement : nous nous sommes engagés à construire un avenir énergétique neutre en CO2, en conciliant préservation de la planète, bien-être et développement grâce à l'électricité et à des solutions et services innovants.
Mon rôle est de faire en sorte que cette stratégie se déploie au quotidien. Nous multiplions les offres innovantes à nos clients. Ainsi, des offres de rénovation des logements, qui sont d'actualité. Nous proposons par exemple aux Français, via l'offre IZI, de remplacer leurs chaudières polluantes au fioul ou au gaz par des pompes à chaleur, qui consomment trois fois moins d'énergie et n'émettent presque plus de CO2. Nous formulons aussi des offres pour optimiser la consommation des Français, puisque la sobriété est un aspect essentiel, notamment grâce au compteur Linky. Nous avons développé des applications gratuites permettant aux Français, qui s'en servent régulièrement, d'optimiser, d'après des calculs que nous tenons à la disposition des experts, jusqu'à 12 % de leur consommation. Nous avons lancé des offres pour décarboner les sites industriels en électrifiant les processus, en particulier dans les usines ou les bâtiments, et en valorisant la chaleur fatale. C'est la spécialité de Dalkia. Nous travaillons à produire sur place de l'hydrogène bas-carbone, grâce à des investissements dans une société de la Drôme qui s'appelle McPhy, et dans une nouvelle filiale d'EDF, que j'ai créée il y a un peu plus d'un an, qui s'appelle Hynamics. Un sujet majeur dans l'évolution du mix énergétique du pays est l'arrivée en masse de la mobilité électrique. Avec notre société IZIVIA, nous jouons un rôle important pour équiper en bornes de recharge les collectivités territoriales, les parkings de bureaux, les parkings d'immeubles, les usines et les centres commerciaux.
Avec toutes ces offres, nous sommes l'acteur de référence des deux grands vecteurs de la lutte contre le réchauffement de la planète que sont d'une part l'électricité décarbonée, qui se substitue au gaz, au charbon et au pétrole, et d'autre part la sobriété dans la consommation.
Côté production, on parle beaucoup de nucléaire, mais nous avons acquis une position de leader dans la filière naissante de l'éolien en mer. Nous soutenons le développement d'une capacité manufacturière nouvelle sur le territoire français, qui se traduit notamment par la construction d'usines à Saint-Nazaire, à Cherbourg et au Havre. Nous avons aussi rénové récemment plusieurs installations hydroélectriques, notamment sur la Dordogne, mais le plus grand de nos chantiers actuels, qui s'est terminé l'an dernier en Isère, est situé sur la commune de Gavet. Nous venons d'annoncer que nous lançons, dans les Hautes-Alpes, une grande ferme solaire flottante sur une retenue d'eau, qui produira 20 mégawatts.
Dans la production nucléaire, nous observons l'intérêt de nouveaux pays pour la technologie française. Je pense notamment à l'Inde, à la République tchèque ou à la Pologne, où je me suis rendu la semaine dernière. Le Royaume-Uni a renouvelé sa confiance à l'égard du groupe EDF. Tout cela nous conforte dans notre ambition de leadership au sein des pays occidentaux alors que, à la suite des travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), le nucléaire bénéficie indiscutablement d'un regain d'intérêt dans de nombreuses régions du monde.
Pour préparer notre participation à ces futurs programmes, nous mettons en oeuvre le programme « Excell » de redressement des compétences dans la filière nucléaire française pour que celle-ci soit prête. Pour l'instant, les pouvoirs publics n'ont pas décidé d'engager la construction de nouveaux réacteurs EPR en France. À l'étranger, nous remportons de nombreux appels d'offres, sur des marchés très concurrentiels, par exemple dans le domaine des services. Nous allons exploiter la centrale de rafraîchissement de la Kingdom Tower à Ryad, qui doit faire quelques centaines de mètres de haut, ce qui n'est pas rien ! Nous fournissons Microsoft, Google et bien d'autres en énergies renouvelables, grâce à des projets éoliens et photovoltaïques aux États-Unis et dans d'autres régions du monde, ce qui nous permet de nous habituer au mode de fonctionnement des entreprises sur le marché de l'énergie, qui arrivera inéluctablement aussi en Europe. Nous sommes l'acteur occidental retenu par nos partenaires émiratis pour développer la plus grande centrale solaire au monde, qui produira 2 000 mégawatts. Dans le nucléaire, le Royaume-Uni nous a fait confiance sur Hinkley Point et le gouvernement du Premier ministre Boris Johnson a annoncé en décembre qu'il entrait en discussions avec EDF pour que nous construisions dans la foulée de nouveaux réacteurs de niveau EPR sur le site de Sizewell. Dans le domaine des compteurs numériques, le programme Linky fait école, et nous allons contribuer à installer plusieurs millions de compteurs communicants en Inde.
Ainsi, nous sommes une entreprise en mouvement, et nous déployons notre stratégie dans de nombreux domaines. Ma conviction est que cette stratégie, centrée sur la neutralité carbone, est la bonne. On voit bien, d'ailleurs, que ce sont les autres groupes, issus d'autres domaines du secteur énergétique - et en particulier les majors du pétrole - qui viennent sur notre terrain - je vous rassure, nous n'avons pas l'intention d'aller sur le leur !
Dès lors, pourquoi la réforme Hercule ? Elle est nécessaire parce que notre développement, notre croissance et nos investissements sont gravement entravés par le niveau de la dette que nous avons accumulée depuis des années du fait de la régulation qu'on appelle l'Arenh. Si nous voulons rester un champion français, européen et mondial - et c'est bien mon ambition - nous avons besoin d'investir ; ma conviction, c'est que nous pouvons faire cette réforme en conservant un groupe intégré. C'est un point essentiel, incontournable. Et nous devons demeurer un groupe ambitieux, et non pas un groupe en risque de déclassement, comme la situation actuelle nous en menace.
Quels sont les principaux objectifs de la réforme ? Le principal enjeu, le point de départ de la réforme, c'est de mettre fin à l'Arenh. Je comparerais l'Arenh à un poison qui, en dix ans, a directement contribué à faire d'EDF un acteur surendetté ; à cinq reprises, le groupe a été dégradé par les agences de notation de la dette. Pour ne pas arrêter nos investissements, nous avons cédé ces dernières années pour plus de 10 milliards d'euros d'actifs, et nous avons été recapitalisés à hauteur de 4 milliards d'euros, dont 3 milliards d'euros par l'État. Alors que nous sommes déjà l'un des plus gros emprunteurs parmi toutes les entreprises de la zone euro - premier ou deuxième selon les années - nous savons que, sans la présence de l'État au capital, nous devrions interrompre notre programme d'investissements car nous ne pourrions plus le mettre en oeuvre.
Or, l'Arenh est fondée sur une injustice évidente, puisqu'il revient à subventionner nos concurrents. Il nous expose sans aucune limite, sans plancher, aux prix de vente les plus bas, et nous impose, en cas de prix de marché élevé, de vendre notre production nucléaire à un prix plafonné, qui ne couvre pas les coûts du parc de production et qui n'a même pas été réévalué avec l'inflation depuis dix ans.
Comme je le répète depuis mon arrivée, il est de la plus haute importance que nous puissions dès que possible mettre fin à l'Arenh. Notre objectif est de lui substituer un nouveau mécanisme de régulation du nucléaire existant pour apporter de la stabilité à nos clients. Il faut donc que ce mécanisme soit stable, clair, compréhensible, symétrique, qu'il ne traite pas automatiquement EDF moins bien que ses concurrents, et il faut qu'il soit pérenne, car nous travaillons dans la durée, nous sommes l'industrie du temps long. Il convient que le niveau fixé pour le nouveau prix de vente permette de rémunérer le parc nucléaire à sa juste valeur.
La réforme de l'Arenh est l'objectif premier de la réforme, et je crois pouvoir dire que cet objectif est partagé par le Gouvernement, qui négocie avec la Commission européenne les modalités de cette nouvelle régulation. J'ajouterai que cette nouvelle régulation est nécessaire à la préservation de la filière nucléaire française, qui est elle-même une pièce essentielle de la stratégie bas-carbone de notre pays.
Le deuxième objectif de la réforme est de donner au groupe EDF les moyens de se développer dans la transition énergétique. Pendant encore longtemps, le nucléaire et l'hydraulique vont rester les fondements essentiels de notre mix électrique décarbonné. Mais nous savons tous que la croissance s'effectue d'abord par les infrastructures d'énergies renouvelables : éolien à terre, éolien en mer, solaire dans de grandes fermes au sol, solaire en toiture, sans oublier les réseaux de chaleur dans les villes qui recyclent des déchets industriels ou ménagers pour produire de l'énergie. La croissance concerne aussi le réseau de distribution Enedis, qui doit acheminer l'énergie créée par des centaines de milliers d'installations très décentralisées, intermittentes. Enedis doit aussi accompagner l'électrification des usages. Par exemple, quand un dépôt de bus passe à l'électrique, il faut y apporter beaucoup plus d'électricité que précédemment. Je signale à cet égard que les investissements d'Enedis sont en hausse : depuis 2015, ils ont augmenté de 30 %.
Les caractéristiques de la transition énergétique nous amènent aussi à nous préoccuper de la gestion de l'intermittence. Le développement du stockage, le développement progressif de la production d'hydrogène bas-carbone pour l'industrie et pour les transports lourds font partie de nos projets. Pour accompagner la décarbonation de notre pays, nous avons besoin d'investissements ! Nous avons l'ambition d'être un acteur de premier plan dans tous ces domaines. Ces investissements sont significatifs, et nous devons investir directement dans des moyens de production, dans des réseaux, mais aussi dans des innovations qui nous permettront d'être à l'affût de ce qui se passe partout dans le monde et d'opérer un système électrique qui, comme aujourd'hui, donnera aux Français un avantage compétitif en termes de pouvoir d'achat - ce que personne ne conteste.
Sans réforme, comment allons-nous éviter le déclassement d'EDF par rapport aux grands groupes européens, qui ne sont pas soumis à l'Arenh ? Ceux-ci ont désormais des moyens, et donc des rythmes de développement, très supérieurs aux nôtres. Plusieurs grands groupes européens ont déjà pris une réelle avance, et annoncent publiquement des objectifs, à l'horizon 2030, très supérieurs à ce que peut envisager EDF, dans sa configuration actuelle.
Le troisième objectif stratégique de la réforme est de sécuriser nos concessions hydroélectriques. Nous vivons depuis vingt ans sous la menace d'une profonde remise en cause du modèle d'exploitation des barrages hydroélectriques en France. La mise en concurrence des concessions lorsqu'elles expirent pourrait progressivement démanteler la cohérence du parc hydraulique qui a été construit depuis un siècle, et même un peu plus. Notre perception, qui est, je crois, largement partagée par les très nombreux utilisateurs de l'eau et par les collectivités territoriales, est que la traduction de la directive européenne de 1998 sur les concessions porte en germe une désoptimisation du productible hydraulique et un appauvrissement des vallées concernées. Dans le contexte du changement climatique, dont les effets sont de plus en plus visibles, l'enjeu de la gestion de l'eau accroît cette préoccupation. Nous voulons donc préserver et développer l'hydraulique, qui est une énergie pilotable et verte, riche en emplois qualifiés et entraînant derrière elle l'activité économique dans les zones montagneuses.
Comment atteindre, dans notre projet, ces trois objectifs stratégiques ? Où en est la négociation ? C'est l'État, bien évidemment, qui mène les négociations avec la Commission européenne. EDF est amené à se coordonner régulièrement avec l'État, de manière quotidienne même, et je vous dirais bien volontiers que je me réjouis de l'excellent alignement entre l'État et l'entreprise que je dirige : nous avons déterminé ensemble des lignes rouges, énoncées la semaine dernière par la ministre Mme Barbara Pompili devant l'Assemblée nationale, et nous les faisons nôtres.
Il y a des interrogations sur le groupe intégré. Je le dis très fortement devant la représentation nationale : le groupe EDF doit rester un groupe public intégré, dans lequel d'abord il n'existe qu'une seule stratégie, les différentes entités au sein du groupe ne se faisant pas concurrence entre elles, mais coopérant ; dans lequel les salariés peuvent circuler d'une entité à l'autre pour développer leur potentiel et progresser ; dans lequel des fonctions ont été mises en commun, mutualisées, ce qui apporte une meilleure efficacité, une meilleure créativité et génère des économies d'échelle. EDF doit aussi rester un groupe qui conserve sa marque, car la marque EDF est une marque magnifique, très appréciée des Français, et il n'est pas question d'en changer. Le statut des industries électriques et gazières (IEG), auquel sont attachés les salariés, très nombreux, qui en bénéficient dans l'entreprise, ne doit pas être remis en cause, et il ne le sera pas.
Le caractère intégré du groupe EDF est l'une des clés du succès du modèle énergétique français depuis des décennies. Notre modèle se traduit par un positionnement qui englobe tous les maillons de la chaîne de valeur de l'électricité, qui couvre toutes les filières de production et tous les services, y compris les plus innovants. C'est un ensemble homogène, un atout pour la France : il doit être conservé.
Sur le plan économique, la réforme doit bien sûr garantir que le prix de la future régulation nucléaire couvre les coûts et rémunère les investissements du parc existant, ce qui n'est pas le cas avec les 42 euros au mégawattheure non indexés sur l'inflation.
Enfin, dans la réforme, le groupe EDF doit disposer des moyens de se développer dans tous les métiers de la transition énergétique, et notamment dans les énergies renouvelables, pour que nous restions un acteur de premier plan.
Comme l'a déclaré la ministre, un accord qui ne répondrait pas à ces objectifs ne serait pas acceptable. La négociation est actuellement toujours en cours.
J'avais décrit devant vous, lorsque j'étais venu fin 2019, les grandes lignes du projet. Je vais les rappeler brièvement. Il repose sur une réorganisation du groupe intégré EDF en deux parties, complémentaires et jamais concurrentes, chacune de ces parties disposant d'actifs homogènes et d'objectifs stratégiques clairs. La première entité serait un ensemble, que l'on appelle EDF bleu, regroupant la production nucléaire et la production thermique - la production hydraulique étant transférée à une quasi-régie, détenue à 100 % par EDF bleu. Un deuxième ensemble, que l'on appelle EDF vert, regrouperait la distribution, les services, les activités commerciales, la construction et l'exploitation des énergies renouvelables et nos activités à l'international. Le premier, c'est le monde de la production centralisée. Le deuxième, celui du monde décentralisé.
Pour le nucléaire, l'enjeu essentiel est la nouvelle régulation pour le parc nucléaire existant. Le mécanisme doit être symétrique, contrairement à l'Arenh. On a parlé un moment d'un corridor. Aujourd'hui on parle d'un prix fixe. Peu importe : ce qui compte, c'est le niveau du prix, ou celui de la médiane du corridor. Cette électricité nucléaire à prix fixe serait accessible à tous les commercialisateurs dans les mêmes conditions, sans pénaliser EDF au bénéfice de ses concurrents. Le niveau de prix, en négociation, devra couvrir effectivement les coûts du parc nucléaire existant et les investissements passés et futurs de ce parc nucléaire. Nous savons que ce n'est pas le cas actuellement de l'Arenh.
Pour l'hydraulique, l'État et EDF ont conçu un moyen pour protéger notre patrimoine hydraulique : la quasi-régie. Il s'agit d'une forme de société détenue à 100 % par le secteur public, très proche de l'État dans sa gouvernance, et qui permet une exception au droit européen des concessions. Ce modèle juridique n'est pas pratiqué très fréquemment. Il comporte de nombreuses spécificités, notamment de gouvernance, et permet la détention totale et pérenne de notre patrimoine hydraulique par le groupe EDF.
En ce qui concerne les autres activités, en particulier les activités de transition énergétique, la nouvelle organisation donnerait bien plus de moyens au groupe EDF pour investir et accompagner ses clients à travers sa filiale contrôlée EDF vert. Cette société bénéficiera de financements propres et pourra se développer beaucoup plus rapidement pour faire du groupe intégré EDF un acteur de premier plan de la transition énergétique. La croissance de nos activités dans la transition énergétique serait très supérieure à la situation actuelle et devrait nous permettre de rattraper le retard indiscutable et croissant que nous prenons sur plusieurs grands groupes européens. Bien évidemment, EDF vert serait détenu très majoritairement par EDF bleu et resterait dans le secteur public. Il inclura Enedis, ce qui lui permettra d'avoir, d'un côté, un distributeur puissant et régulé, et, de l'autre, des activités renouvelables, commerciales et de services. Ce modèle n'est pas nouveau : c'est celui retenu par nos grands concurrents européens, et notamment Iberdrola, société espagnole et Enel, société italienne. Ce sont eux qui nous sont passés devant ces dernières années.
Le réseau de distribution est en effet un vecteur essentiel de la transition énergétique et, pour Enedis, le rattachement à EDF vert, centré sur la mise en oeuvre d'une transition par nature décentralisée, en lien étroit avec les territoires, confortera ses missions de service public. Enedis serait tout simplement la filiale à 100 % de EDF vert, comme elle l'est aujourd'hui à 100 % d'EDF. Elle remplirait les mêmes missions de service public garanties par la loi, mais avec la même indépendance de gestion, sous le contrôle de notre régulateur sectoriel, la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Bien entendu, la péréquation tarifaire sera maintenue.
Ma conviction, c'est que cette réforme est une vraie opportunité de développement pour le groupe EDF, au service de la neutralité carbone et de la transition énergétique. Pour conclure, je souhaite vous donner un chiffre : nous visons aujourd'hui 50 gigawatts de capacités renouvelables à l'horizon 2030, soit dans dix ans. Nos calculs nous montrent qu'avec la réforme, nous pouvons doubler cet objectif, et porter notre capacité renouvelable à 100 gigawatts. Cela nous donnerait un rôle deux fois plus important qu'actuellement dans la transition énergétique. Nous devons sortir de l'impasse.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci. Je donne d'abord la parole aux sénateurs membres du groupe de travail sur les réformes du marché de l'électricité : nos collègues Daniel Gremillet et Patrick Chauvet.
M. Daniel Gremillet. - Solennellement, aujourd'hui, devant la commission des affaires économiques du Sénat, vous confirmez bien qu'en France, nous serons en capacité de produire l'énergie électrique nécessaire à nos concitoyens et à notre économie, y compris dans des situations de froid telles que celle que nous vivons aujourd'hui. Un doute s'était installé...
M. Jean-Bernard Lévy. - Je n'ai pas parlé du très long terme, monsieur le sénateur ! Je dis simplement que, dans les jours qui viennent, il n'y aura pas de problème. Dans les années qui viennent non plus, j'espère. Mais, s'il y a de très longues vagues de froid, encore plus intenses qu'aujourd'hui, à un moment donné, les experts vous diront qu'il y a un petit risque... En tous cas, à court terme, les choses sont entre de bonnes mains.
M. Daniel Gremillet. - Justement, laissez-moi aller au bout de ma question. Vous avez dit, et RTE l'a indiqué également, qu'avant 2023 nous ne pourrons guère augmenter la production d'énergie électrique. Le risque existe, donc. Certes, la situation de pandémie ralentit quelque peu - hélas ! - notre activité, qu'il s'agisse d'industrie, des restaurateurs, ou de toutes les activités consommatrices d'énergie, souvent électrique. Mais nous espérons tous en sortir avant 2023. Et, pour développer l'emploi, la France veut relocaliser des activités industrielles de production. Cela accroîtra les besoins énergétiques. Or, dans plusieurs territoires, ce sera chose faite avant 2023. Certaines entreprises sont déjà lauréates de concours financiers du plan de relance et des régions : c'est en cours. Serons-nous prêts ?
Sur les concessions hydrauliques, j'avais pensé que la France pouvait dire à la Commission européenne, comme l'Allemagne : c'est comme cela ! Apparemment, ce n'est pas possible. Nous allons donc vers une adaptation, qui n'est pas sans susciter d'inquiétudes. Vous avez rappelé l'importance du sujet pour les territoires. Au Sénat, nous sommes très attachés à la souveraineté de notre production énergétique. Pourrez-vous nous donner la liste des concessions concernées ?
J'en viens à l'impact de la loi « Énergie-Climat » sur les activités d'EDF. En application de cette loi, quatre centrales à charbon fermeront d'ici 2022, et quatorze réacteurs nucléaires seront arrêtés d'ici 2035. Le projet de reconversion Ecocombust, qui vise à faire passer la centrale de Cordemais du charbon à la biomasse, a-t-il progressé ? Comment se prépare le démantèlement des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim, arrêtés en mars et juin 2020 ?
À l'inverse, comment EDF entend-elle tirer profit des incitations en faveur des énergies renouvelables prévues par la loi « Énergie-Climat », en particulier en matière d'hydroélectricité, d'éolien en mer et d'hydrogène bas-carbone ? Ses investissements dans ce domaine ont-ils été affectés par la crise de la Covid-19 ?
Que pensez-vous de la révision des contrats d'achat des installations photovoltaïques de plus de 250 kilowatts adoptée par le Gouvernement dans le cadre de la loi de finances pour 2021 ? Les projets d'éolien en mer sont-ils confrontés à des difficultés de mise en oeuvre, à l'instar de celui de Dunkerque, qui fait l'objet d'un conflit avec la Belgique ? Avez-vous un avis sur l'ordonnance, en cours d'élaboration, relative à l'hydrogène ? La CRE a invité à ne pas distinguer entre hydrogène nucléaire et hydrogène renouvelable dans le soutien apporté par la filière. Enfin, quid de la « taxonomie verte » en cours de négociation, qui semble favoriser l'éolien et le solaire par rapport à l'hydroélectricité et au nucléaire ?
M. Patrick Chauvet. - Merci de votre présence parmi nous, monsieur le président-directeur général : le projet Hercule a suscité, et suscite encore, beaucoup de questions, voire des inquiétudes, y compris en interne, parmi les équipes d'EDF. La ministre elle-même s'est étonnée, devant le Sénat, le 13 janvier dernier, du nombre de questions, ou de contre-vérités, auxquelles il donnait lieu. Je pense qu'il y a un manque de communication depuis le début de ce projet. Mais j'y vois un attachement historique à cette belle entreprise française qu'est EDF.
Mon interrogation est double.
En premier lieu, quelle est l'incidence du projet Hercule sur les filiales d'EDF que sont Enedis, qui assure la distribution d'électricité, et RTE, en charge de son transport ? La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) est très inquiète de l'ouverture aux capitaux privés d'EDF vert, dans lequel serait localisé Enedis. Selon elle, cette évolution pèserait sur l'indépendance financière d'Enedis et, à terme, sur la dynamique d'investissement, la qualité du service et le prix pour les usagers. Quel est votre point de vue sur cette inquiétude ? Comment garantir que le projet Hercule n'ait pas d'impact sur l'indépendance financière d'Enedis, les missions du service public de la distribution, les contrats de concession des collectivités territoriales, les tarifs d'utilisation du réseau public de distribution d'électricité (Turpe) ou encore le principe de la péréquation tarifaire ? Pourquoi les autorités organisatrices de la distribution d'électricité (AODE) ne sont-elles pas associées au projet de réforme, alors qu'elles sont concernées au premier chef ? S'agissant de RTE, le président de la CRE a indiqué, le 15 juillet dernier, que la perspective d'une fusion de RTE, détenu par EDF, et de GRT gaz, détenu par Engie, au sein d'un grand ensemble n'était « ni mûr, ni mort ». Que pensez-vous de cette éventualité ?
En second lieu, je voudrais vous interroger sur les répercussions des réformes du marché de l'électricité sur les salariés du groupe et les entreprises électro-intensives. Pour ce qui concerne les salariés du groupe, vous avez indiqué, lors de votre dernière audition, que le projet Hercule devrait respecter « le statut des salariés », qui « pourront continuer de passer d'une entité à l'autre ». Dont acte ! Au-delà de la question du statut, pouvez-vous nous assurer que ce projet ne conduira pas à des cessions d'activités et à des suppressions d'emplois, à l'image de la restructuration actuelle d'Engie ? Quant aux entreprises électro-intensives, elles, sont très préoccupées de leur éventuelle exclusion du dispositif de régulation qui pourrait remplacer l'Arenh. Partagez-vous leur préoccupation ?
M. Jean-Bernard Lévy. - Le sénateur Daniel Gremillet s'inquiète de la continuité de la fourniture d'électricité. Je me suis permis de l'interrompre pour vous dire que nous n'avons pas de souci de court terme : EDF n'en a pas, RTE non plus. D'ailleurs, si EDF est le principal producteur, et voit bien à ce titre quel niveau de production il peut atteindre, c'est RTE qui s'exprime sur le sujet, puisqu'il fait la synthèse entre l'offre et la demande d'électricité ; il réalise des prévisions de consommation, qui dépendent du jour de la semaine, du temps qu'il fait, de la température réelle, de la température ressentie... Il connaît aussi les productions qui ne sont pas faites par EDF, et en particulier la production intermittente d'énergie éolienne qui, certains jours de froid, est très faible - actuellement, elle est plutôt meilleure que ce que nous avons connu au mois de janvier, et qui avait amené RTE à émettre un message de vigilance auprès des Français. Je ne crois pas que RTE ait émis un tel message pour la phase de froid que nous connaissons actuellement.
Sur la continuité de la fourniture à court terme, nous n'avons donc pas d'angoisses. À moyen terme, je ne saurais vraiment vous donner d'indications, mais je ne serais pas très crédible si je vous disais de dormir sur vos deux oreilles, quoi qu'il arrive, pendant dix ou vingt ans. Le rôle d'un dirigeant qui, comme moi, est amené à prendre des décisions de long terme, c'est d'essayer de les inscrire dans une perspective au moins décennale : nous investissons dans des infrastructures qui vont durer des dizaines d'années. Ces infrastructures ont vocation à fournir du courant électrique à un pays dont on ne sait pas très bien où il en sera, sur le plan démographique, économique, ou du point de vue du comportement des consommateurs en matière de sobriété, sans parler de la grande transition vers l'électricité : nous allons de plus en plus nous chauffer avec des pompes à chaleur, donc avec du courant électrique, et nous transporter avec des batteries chimiques qui auront été rechargées au courant électrique. Même l'hydrogène aura été fabriqué en cassant les molécules d'eau avec du courant électrique. Et, dans les processus industriels, peut-être dans des processus agricoles, l'utilisation de l'électricité va s'accroître. Bref, la visibilité sur l'équilibre du système électrique est moins forte à 20 ou 30 ans qu'à l'horizon de quelques jours.
Dans ce cadre, le Gouvernement a demandé à RTE et à l'AIE de fournir des scénarios à l'horizon 2050. Une première étude a été rendue publique il y a quelques jours, et l'on nous annonce à l'automne une étude plus complète, fondée sur des calculs économiques. Nous pensons qu'il serait extrêmement dangereux, pour assurer la continuité de la fourniture de l'électricité aux Français à un horizon de vingt ans ou davantage, de se priver d'électricité nucléaire - je l'affirme volontiers en amont de la consultation que nous nous apprêtons à recevoir. On peut imaginer, dans un monde magique, qu'on puisse se passer d'électricité nucléaire en France. Mais personne ne peut vraiment dire quelles seraient les conséquences d'un tel choix, en termes de coûts pour la collectivité, d'artificialisation des sols, de perte d'indépendance nationale - puisque beaucoup de biens sont importés -, de coût économique. Il aurait un impact sur le pouvoir d'achat des Français, qui bénéficient actuellement d'une électricité nettement moins chère que leurs voisins, et il ferait courir un risque de discontinuité : certains pays très avancés ont du mal à équilibrer leurs systèmes électriques et subissent, rarement certes, des coupures de courant. Il n'y en a pas en France.
Nous allons donc répondre que la continuité de la fourniture d'électricité dans le très long terme dépend de choix d'investissements qui doivent être faits dans le très court terme et qui doivent intégrer de l'électricité nucléaire et de nouveaux réacteurs nucléaires. Comme EDF le dit depuis longtemps, nous devons le plus vite possible être autorisés à construire six nouveaux EPR. Sinon, nous prendrons des risques et nous affaiblirons une filière nucléaire dont on a bien vu, au moment du démarrage de Flamanville, la difficulté qu'elle avait à reprendre des chantiers après une longue interruption. Nous allons militer en ce sens. J'espère que nous arriverons à convaincre que, sans le nucléaire, nous ferions prendre des risques considérables à notre pays sur beaucoup de sujets majeurs. Bien évidemment, c'est l'État qui décidera le moment venu.
La liste des concessions qui ont expiré augmente chaque année. Nous vous la transmettrons volontiers. La Commission nous demande, en application d'une directive qui a été approuvée par la France il y a une vingtaine d'années et transposée en droit français, de mettre ces concessions en concurrence. Elle demande à l'État français d'organiser des appels d'offres, et elle voudrait même qu'EDF, dans certains cas, ne puisse pas répondre - vous savez que la Commission ne nous aime pas beaucoup, et qu'elle ne voudrait pas que nous soyons trop forts.
La quasi-régie est un régime qui existe dans le droit européen. Des discussions ont eu lieu entre la Gouvernement et la Commission européenne. Les services de l'État nous expliquent que cela serait un moyen de faire échapper les concessions qui expirent à un régime de mise en concurrence. Nous pensons que le projet Hercule doit inclure, dans l'un de ses trois volets, le passage de nos activités hydrauliques sous le régime de la quasi-régie, pour leur donner pérennité et efficacité. La mise en concurrence serait source d'inefficacité, en démembrant les vallées, au sein desquelles plusieurs opérateurs pourraient intervenir indépendamment les uns des autres.
Nous souhaitons aussi que nos activités hydrauliques puissent à nouveau recommencer à construire. Le potentiel hydraulique de la France est assez bien couvert, mais il y a quand même des choses à faire pour améliorer encore le productible. Avec les incertitudes juridiques autour de la mise en concurrence, et les deux mises en demeure qu'a reçues la France, tout est à l'arrêt, et nous perdons l'opportunité de mieux utiliser l'eau qui tombe du ciel pour produire de l'électricité.
À Fessenheim, comme vous le savez, à notre grand regret, les deux réacteurs sont définitivement arrêtés : depuis le milieu de l'année dernière, le deuxième réacteur a fermé. Nous appliquons les réglementations et, pendant quelques années, nous allons libérer le site des activités industrielles qui étaient les siennes et préparer le chantier de déconstruction. Nous donnons à l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) les informations nécessaires. Il faut en principe cinq ans entre l'arrêt de la centrale et le démarrage actif de l'activité de démantèlement.
Le Gouvernement a prévu que les centrales à charbon s'arrêtent. Nous avons deux unités sur le site de Cordemais qui, je crois, ce matin, fonctionnent bien, ce qui est bien utile puisqu'il fait froid - tout comme notre unité sur le site du Havre, qui vit ses derniers jours de fonctionnement, puisqu'elle s'arrêtera définitivement de fonctionner à la fin du mois de mars, comme avant elles de très nombreuses centrales à charbon, qui avaient fait partie des équipements principaux du pays dans les années 50 ou 60. Un projet Ecocombust de reconversion de la centrale de Cordemais est à l'étude. Ses aspects environnementaux, logistiques et économiques sont complexes. Nous travaillons étroitement avec les services du ministère de la transition écologique pour examiner sa viabilité. La décision n'est pas encore prise.
Avec la Covid-19, nous avons pu nous organiser pour faire passer en priorité, notamment pendant le premier confinement, le chantier le plus important pour nous, qui est celui de Flamanville 3. Nous n'avons pas observé de retard lié à cette période, même si le calendrier reste très tendu. Nous commençons à réparer des soudures, très sophistiquées. Je maintiens que le chantier devrait se terminer à la fin de l'année prochaine et le chargement du combustible devrait intervenir dans les dernières semaines de l'année 2022.
Nous avions, au moment du premier confinement, commencé la construction du chantier d'éolien en mer de Saint-Nazaire. Nous avons depuis décidé la construction du chantier d'éolien en mer de Fécamp. À ma connaissance, aucun de ces deux chantiers ne souffre d'un retard lié à la Covid-19. En ce qui concerne le chantier de Dunkerque, nous sommes dans les premières années. L'attribution est encore récente. Nous avons gagné l'appel d'offres contre sept autres concurrents. Nous sommes très fiers d'avoir fait la meilleure offre. Il est exact que des discussions ont lieu avec la Belgique, qui conteste le droit de la France à opérer à Dunkerque. Nous espérons qu'elles aboutiront à une solution paisible.
Vous m'avez interrogé sur la révision des contrats d'achat de photovoltaïque sur une certaine période. L'État, avec le concours du Parlement - mais pas vous, et cela a été validé par le Conseil constitutionnel - n'a pas honoré ses engagements économiques à l'égard de ceux qui ont construit ces installations. Nous sommes donc perplexes sur la gestion de projets qui, pour beaucoup, ont été mis au moins partiellement entre les mains d'acteurs financiers - de gens qui gèrent notre épargne. Cela peut mettre en péril l'argent mis de côté par certains épargnants et donc la confiance dans les investissements en France. Je crois que ce sujet préoccupe beaucoup de personnes dans cette salle. Pour notre part, nous allons devoir engager une discussion avec l'administration sur la mise en oeuvre pratique de cette décision.
Sur la taxonomie de l'hydrogène, monsieur le sénateur Daniel Gremillet, la situation ne se présente pas trop mal. Sur la taxonomie verte européenne, la situation est abracadabrante, puisque l'Europe, qui se fait fort d'aller vers la décarbonation et fait du Green Deal le premier de ses objectifs pour son nouveau quinquennat, a une vision totalement éloignée de toute approche scientifique, de toute approche cartésienne vis-à-vis du nucléaire, qu'elle ne veut pas reconnaître comme un moyen de produire de l'électricité limitant considérablement les émissions de dioxyde de carbone, disponible à la demande et non intermittente, nécessitant des emplois locaux et peu d'importations de matériels étrangers. Nous dénonçons l'incohérence de l'Europe entre l'objectif de lutte contre le réchauffement climatique et l'exclusion du financement du nucléaire des standards qu'elle préconise sur les marchés financiers. Près de dix gouvernements européens, dont le Gouvernement français, se sont élevés contre cette proposition de taxonomie, mais nous ne sommes pas majoritaires au sein des 27. Nous sommes évidemment stupéfaits de voir la tournure que prennent les choses.
Est-ce lié au projet Hercule ? La manière dont les services de la Commission européenne abordent les sujets qui touchent à l'énergie, à la décarbonation, au rôle des acteurs européens m'interpelle. Venant du numérique, j'ai vu la façon différenciée dont ont été traités, encore récemment, les opérateurs européens, notamment dans les télécoms, fournisseurs ou exploitants de réseaux, et les Gafam. Je m'étonne ainsi que seules des banques extraeuropéennes puissent financer des réacteurs nucléaires qui ne viennent pas d'Europe. Aucune réponse logique ne peut être opposée à ce constat.
Monsieur le sénateur Patrick Chauvet, le projet Hercule ne prévoit aucun changement pour Enedis. Les inquiétudes que j'entends, çà et là, relèvent sans doute d'un manque de dialogue, mais il est difficile d'ouvrir un dialogue, notamment avec les fédérations concédantes, dès lors qu'il s'agit d'un projet en cours de discussion dont certaines grandes lignes sont loin d'être actées. Si le Gouvernement ou EDF vont au contact de certains acteurs, sans pouvoir dire de façon détaillée ce dont on parle, cela ne sera pas une discussion très riche. Il n'est prévu aucun changement. Le seul changement, c'est qu'Enedis serait une filiale à 100 % d'EDF vert, dont le capital serait détenu très majoritairement par EDF bleu et l'État, avec une volonté d'y mettre quelques actionnaires minoritaires. EDF n'est détenue qu'à 83 % par l'État, et Enedis a déjà des actionnaires minoritaires. À mes yeux, la péréquation tarifaire n'est pas à l'ordre du jour, non plus que le changement des contrats de concession, qui ont déjà été signés entre Enedis et les autorités concédantes et qui n'ont absolument rien à voir avec une éventuelle évolution du capital du propriétaire d'Enedis.
Par ailleurs, vous avez signalé d'éventuels rapprochements entre RTE et GRT gaz. Ce projet ne touche EDF que de façon indirecte ; je n'ai pas d'opinion tranchée. Je ne le connais pas précisément.
L'emploi chez EDF dépend de son activité, que nous souhaitons plus prospère, forte, engagée vers l'avenir, capable de se projeter sur des investissements de temps long. Je rappelle que nous avons été dégradés cinq fois par les agences de notation. Une grande partie du travail de la direction financière - et du mien - consiste à déterminer quels actifs peuvent être cédés sans toucher au coeur d'EDF. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire des efforts, pour qu'EDF soit un opérateur avec une production et une ressource humaine coordonnée et harmonisée. Nous portons un projet de développement du groupe EDF en France, et donc de l'emploi en France, autant chez les prestataires d'EDF - très nombreux - que chez EDF lui-même.
Vous avez évoqué les industries à haute intensité énergétique. Celles-ci bénéficient d'un régime ad hoc approuvé par la Commission européenne dans l'ensemble de l'Union européenne depuis de nombreuses années, auquel aucun changement n'est prévu.
Voilà, j'ai été un peu long mais vous m'avez un peu « bombardé » de questions !
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci. Pardonnez-moi, monsieur le président-directeur général, mais le « bombardement » va continuer car nous avons énormément de questions. Vous êtes 21 inscrits, mes chers collègues, c'est un record et je vous invite donc à la concision. Je donne tout d'abord la parole à Fabien Gay.
M. Fabien Gay. - Vous le savez, le groupe CRCE est très attaché à l'entreprise publique EDF, pas seulement parce qu'elle a été créée par Marcel Paul, mais pour l'indépendance et la souveraineté de la France, ainsi que la garantie d'avoir accès à l'électricité et de bénéficier d'un tarif réglementé, en France métropolitaine et outre-mer.
En ce qui concerne ce tarif, la CRE vient de proposer aux ministres chargés de l'écologie et des finances une augmentation de 1,6 %, ce qui porte la hausse à près de 12 % en deux ans, et 60 % depuis la libéralisation du marché, qui était censée faire baisser les tarifs - cela n'a pas été le cas. Dans la crise sanitaire et sociale que nous traversons, une telle augmentation vous paraît-elle juste ? Les coupures ou réductions d'électricité ont augmenté de plus de 30 % en 2019. Pouvez-vous nous communiquer les chiffres pour 2020 ? Dans ce contexte, je trouve la campagne lancée par EDF « #MetsTonPull » insoutenable : 10 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique, et beaucoup de gens, qui ne peuvent pas payer leur facture d'électricité à la fin du mois, mettent déjà leur pull !
Par ailleurs, sans être un complotiste, je suis en désaccord complet avec le projet Hercule et soutiens les salariés qui se sont mobilisés. Pourquoi ? Parce que toutes les entreprises publiques ont été démantelées de cette façon, de France Télécom à GDF devenue Engie - et dont on va encore vendre 40 % des activités de services - ; il n'y a pas un seul contre-exemple. En réalité, on ne va pas seulement nationaliser les pertes et privatiser les profits mais, au moment où on a besoin d'investir dans le nucléaire, on va handicaper toute la partie rentable, notamment Enedis.
D'ailleurs, combien va coûter le démantèlement des douze réacteurs nucléaires prévu d'ici à 2035 ? Qui va payer ? Il paraît que la Commission européenne serait prête à aider le groupe : à quelle hauteur ? À l'inverse, la France et les usagers vont-ils devoir payer ?
Pour finir, une autre orientation est possible : renationaliser EDF. Combien coûterait le rachat de 17 % du capital ? La position de la direction d'EDF me paraît un peu schizophrénique, qui consiste à attaquer l'Arenh tout en négociant avec la Commission européenne pour continuer. Il faut mettre fin à ce système aberrant qui a creusé la dette d'EDF et envisager la renationalisation d'EDF.
M. Daniel Laurent. - Monsieur le président-directeur général, le projet de restructuration d'EDF suscite de vives inquiétudes tant de la part des consommateurs que des services publics de distribution d'électricité. L'ouverture d'EDF à un actionnariat privé fait craindre des conséquences sur la dynamique d'investissement d'Enedis, la qualité des services publics et un renchérissement du prix dans un contexte déjà très difficile. Je ne vous cache pas que le manque d'information et de concertation avec les autorités organisatrices de la distribution d'électricité (AODE) passe très mal.
Si j'ai bien compris, Enedis devrait rester à 100 % une filiale d'EDF vert, mais qu'en est-il de la répartition du capital de cette holding ? Pouvez-vous nous garantir que l'attractivité d'EDF vert pour les investisseurs ne va pas entraîner une hausse du tarif d'utilisation des réseaux pour permettre à Enedis de relever les niveaux de dividendes ? Outre un renchérissement du prix de l'électricité pour le consommateur, il y a des inquiétudes sur une éventuelle remise en cause des droits de propriété des concédants sur les réseaux, qui aurait pour conséquence de priver les territoires des moyens d'assurer la régulation locale de la distribution d'électricité. Ne pensez-vous pas que le capital d'Enedis doit demeurer public pour préserver son rôle dans le système de la distribution publique d'électricité ? De même, la péréquation tarifaire avec les territoires ultramarins et les zones non interconnectées insulaires (ZNI) sera-t-elle préservée via le tarif réglementé de vente ?
Pour conclure, la FNCCR a adopté, le 20 janvier, une motion faisant part de ses inquiétudes, alors que la distribution d'électricité est indispensable pour les activités économiques, la cohésion territoriale et la transition énergétique. Si vous le souhaitez, je la tiens à votre disposition.
M. Franck Montaugé. - Monsieur le président-directeur général, au regard de ses effets, l'ouverture des marchés de l'électricité, très dogmatique au plan politique, a été un échec. C'est un fait documenté et il faut en tirer les conséquences pratiques aujourd'hui, comme le font avec pragmatisme les Anglais, pourtant chantres de cette libéralisation, en régulant à nouveau les énergies renouvelables comme le nucléaire. L'électricité a le caractère de bien commun et, dans l'intérêt général, on doit financer les investissements à un coût minimum, donc par des emprunts d'État.
À côté du nucléaire et de RTE, la pépite d'EDF, c'est aussi Enedis, qui gère un réseau ayant le caractère d'infrastructure essentielle. Enedis remplit parfaitement ses objectifs de coûts et de qualité de service, tout en s'adaptant au nouveau mix énergétique.
Au moment où tout le monde parle de reconquête de notre souveraineté industrielle, Enedis pourrait passer sous la coupe des Gafam, des États-Unis voire de la Chine, et je ne dis pas cela à la légère. C'est le risque que le Gouvernement prend avec Hercule. Comment pouvez-vous courir ce risque majeur dans un contexte de filiales majoritairement privées, tôt ou tard ? Je rappelle que Gaz de France (GDF) devait aussi rester publique, selon une promesse du Président de la République à l'époque !
Avez-vous pris dans ce projet la mesure des craintes des collectivités locales à propos du devenir de leurs concessions et des réseaux gérés par Enedis dont elles sont propriétaires ? Que deviendra la péréquation tarifaire quand les actionnaires privés d'EDF vert décideront de donner la priorité aux métropoles, parce que ce sera plus profitable pour eux, au détriment des territoires ruraux ? Quand et comment allez-vous associer les collectivités locales et les Français au développement d'EDF, que nous souhaitons intégralement public dans toutes ses composantes ?
Mme Sylviane Noël. - Monsieur le président-directeur général, je souhaite vous interpeller sur la problématique de la mise en demeure de la France par la Commission européenne s'agissant du renouvellement ou de la prolongation des concessions hydro-électriques.
Vous avez déjà répondu à bon nombre des questions que je voulais vous poser, je n'y reviendrai donc pas. Vos propos sont de nature à me rassurer. En zone de montagne, par exemple, qu'il s'agisse de l'irrigation, de la pêche, du tourisme, du refroidissement des réacteurs nucléaires ou de la prévention des risques d'inondation, les barrages gérés et exploités par EDF jouent un rôle qui dépasse largement l'aspect énergétique, d'où l'inquiétude bien légitime que l'ouverture à la concurrence suscite chez les élus locaux et les populations.
Suivant cette logique, il serait tout à fait défendable de garder ces concessions dans le giron public, puisqu'elles relèvent davantage de ce secteur que du secteur marchand de services d'intérêt général, qui peuvent relever de la compétence des États membres, conformément au droit communautaire. Voilà encore des arguments pour apporter un peu d'eau à votre moulin...
Mme Micheline Jacques. - Quel sera l'impact de la restructuration d'EDF sur les systèmes énergétiques insulaires (SEI) ?
M. Patrick Chaize. - La transition énergétique ne se fera qu'avec le numérique. Quelles sont vos observations à ce sujet ? Pourriez-vous préciser quelle sera la répartition financière entre les trois entités, en recettes et en dépenses ? Il existe une inquiétude quant à une séparation des bénéfices et des pertes. Quel serait selon vous le planning idéal pour le nucléaire ? Quelle serait la date butoir qui pourrait mettre la France en difficulté si des décisions n'étaient pas prises ? Les sites qui accueilleront les prochains EPR 2 sont-ils arrêtés ? Si oui, quels sont-ils ?
M. Daniel Salmon. - Hercule est né d'un péché originel : la sous-évaluation volontaire du prix du mégawattheure d'électricité nucléaire, qui nous a conduits devant ce « mur d'investissements », une impasse, une catastrophe. Mais je ne ferai pas ici le procès du nucléaire, qui nécessiterait plus de deux minutes... Les écologistes sont favorables à un service public de l'énergie mais demandent plus de démocratie. Or, démocratie et nucléaire n'ont pas toujours fait bon ménage. On entend qu'EDF aurait déjà conventionné avec Framatome pour l'achat de pièces pour les futurs EPR alors qu'il n'y a pas eu de validation politique. Qu'en est-il ?
RTE et l'AIE ont récemment publié une étude sur les conditions d'un système à forte part d'énergies renouvelables à l'horizon 2050. Qu'en pensez-vous ?
On nous dit que la centrale de Larivot pourra fonctionner à la biomasse liquide. Quelles cultures seraient concernées, sur quelle surface et quelle serait leur provenance ?
M. Franck Menonville. - Le projet Hercule semble être pour vous davantage un préalable à la sortie de l'Arenh qu'un projet d'entreprise... Nous sommes très attentifs à la préservation du caractère intégré du groupe. Dans quelle mesure le capital d'EDF vert serait-il ouvert, et cette proportion serait-elle figée dans le marbre ? J'ai pu entendre 30 ou 35 %.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - En 2014, un rapport de la Cour des comptes a dressé le bilan de l'activité d'EDF à l'international : 40 % du chiffre d'affaires était réalisé en-dehors de l'Hexagone et un salarié sur six travaillait à l'international, soit 26 000 personnes. Pour la moitié d'entre eux, ces salariés travaillaient au Royaume-Uni. Quels sont les chiffres de l'activité d'EDF à l'international aujourd'hui ? Quels sont les effets du projet Hercule sur les filiales internationales ? Comment s'articulera-t-il avec la stratégie CAP 2030 qui a pour objet de tripler les activités internationales d'EDF d'ici 2030 ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je n'aurais pas la cruauté de rappeler que les Gouvernement successifs, de tous bords, expliquaient à ceux d'entre nous qui s'opposaient à la dérégulation de l'énergie en Europe que cela n'était pas grave, car la France réussirait à maintenir la force et l'unité d'EDF. On voit s'opposer ici le même mécanisme que nous avons vu, hélas, dans d'autres entreprises publiques. À vous écouter, je comprends qu'Hercule permettra surtout de renégocier l'Arenh et de trouver des ressources supplémentaires. Ne serait-il pas préférable de tenir bon ? La Commission européenne demandera toujours davantage de concessions car la Commission n'aime pas EDF, ni d'ailleurs les autres grandes entreprises exerçant des missions de service public. Par ailleurs, pourquoi ouvrir le capital d'EDF vert ? Est-ce une demande de la Commission ? Je vois des risques car toutes les opérations rentables seraient ouvertes aux capitaux privés, dont on nous dit au début qu'il est minoritaire et qui finit par être très important... Enfin, de grandes inquiétudes pesant sur la sécurité, je plaide pour qu'EDF adopte une stratégie d'internalisation de l'entretien des centrales et limite au maximum la sous-traitance.
Mme Dominique Estrosi Sassone. - La nouvelle mouture de la RE2020 vous paraît-elle réaliste au regard de nos capacités réelles de production d'énergie ? N'est-ce pas une feuille de route très politique mais pas réellement applicable, comme c'était déjà le cas de la RT2012 pour laquelle, chaque année, des décrets d'exemption ont été publiés ? Comment EDF anticipe-t-elle cette réforme ? Tous les professionnels de la construction sont très critiques et précisent que cela aura un impact négatif sur la construction neuve, déjà sinistrée.
Mon département des Alpes-Maritimes est en situation de fragilité électro-énergétique, la ligne Boutre-Carros étant symptomatique de cette situation. Le délégué RTE Méditerranée a exprimé des craintes pour le mois de février, indiquant : « il faut que l'on soit prêts à réagir ; c'est ce que l'on anticipe depuis six mois ». Comment EDF anticipe-t-elle le risque de blackout énergétique pour les Alpes-maritimes, tout particulièrement sur cette ligne ?
Mme Martine Berthet. - Dans mon département, les industries se sont installées au début du XXe siècle au plus près des sources d'énergie hydraulique. Pour rester concurrentielles à l'international, elles ont plus que jamais besoin de bénéficier de coûts bas d'approvisionnement en énergie. Elles ont aussi besoin de conserver cette énergie verte. Quel est selon vous l'avenir des coûts de cette énergie, sur laquelle repose notre sidérurgie ?
M. Pierre Louault. - Si dans 25 ans toutes les habitations sont chauffées à l'aide de pompes à chaleur, EDF sera-t-elle capable de faire face à une consommation énergétique multipliée par cinq lorsque, en période de grand froid, celles-ci se mettront en mode chauffage direct ?
M. Yves Bouloux. - Jeudi, devant les commissions des affaires économiques et du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, la ministre de la transition écologique a évoqué, pour la première fois, les difficultés rencontrées pour parvenir à un accord avec la Commission européenne sur le projet Hercule et la nécessité de disposer d'un « plan B » en cas d'échec. Quel pourrait être ce plan B ? Pourrait-il s'agir d'une recapitalisation ?
M. Pierre Cuypers. - Aujourd'hui on incite les Français à rouler au tout électrique. Cela vous semble-t-il réaliste ? Moi je pense que c'est déraisonnable si l'on tient compte des émissions, du puits à la roue. EDF peut-elle fournir l'électricité nécessaire ? S'agissant d'EDF vert, quels sont vos objectifs en termes de méthanisation ?
Mme Anne-Catherine Loisier. - Vous avez indiqué que l'objectif de déploiement des énergies renouvelables était de 50, voire 100 gigawatts en dix ans. Quelle est la part des différentes énergies renouvelables, notamment de l'hydraulique, dans ces objectifs ? À notre grande surprise, nous avons constaté que le plan de relance ne comporte aucun crédit pour cette énergie.
Mme Sophie Primas. - Absolument !
M. Jean-Marc Boyer. - Quelle est aujourd'hui la part de l'éolien terrestre dans la production totale d'électricité ? Quelle est la stratégie d'EDF pour son développement ?
M. Serge Mérillou. - Je ne sais pas si la Commission européenne n'aime pas EDF mais nous ici, manifestement, nous aimons EDF à tel point que nous n'acceptons pas qu'elle soit démantelée avec le projet Hercule. Cela ne signifie pas que rien ne doit bouger mais nous souhaitons qu'EDF reste un vrai pôle public. S'agissant des barrages, qu'appelez-vous le régime de quasi-régie ? Par ailleurs, vous n'avez pas évoqué EDF azur. Le projet est-il totalement abandonné ?
Mme Florence Blatrix Contat. - Vous avez évoqué la nécessité de construire six nouveaux EPR. En juillet dernier, la Cour des comptes a fustigé la dérive des coûts et des délais dans la construction de l'EPR de Flamanville mais aussi la perte de compétences techniques des industriels de la filière. La stratégie internationale d'EDF a été prise à défaut, avec les réacteurs d'Hinkley Point. La Cour indique que les coûts de construction, de production et de démantèlement doivent être pris en compte dans la décision, ou non, de construire de futurs EPR. Comment analysez-vous cette perte de compétitivité de la filière nucléaire ? Les représentants des salariés sont-ils associés à cette analyse ? Je pense ici aux conséquences de la sous-traitance, évoquées par ma collègue Marie-Noëlle Lienemann. Comment allez-vous prendre en compte ces difficultés opérationnelles et financières dans votre projet de planification du mix énergétique à long terme ?
M. Laurent Duplomb. - Je souhaite vous alerter sur les modalités de facturation des fournisseurs d'électricité. Les producteurs d'électricité photovoltaïque envoient un relevé de production et une facture par mail à EDF, qui s'engage à les régler sous 30 jours. Les producteurs de méthanisation, eux, doivent d'abord convertir leur relevé de production de manière très fastidieuse puis envoyer leur facture par lettre recommandée avec accusé de réception. Depuis la Covid-19, cela peut heureusement se faire par mail. Quoi qu'il en soit, si on veut développer la méthanisation, il faut simplifier la procédure de facturation.
Jean-Bernard Lévy. - Je vous remercie de votre intérêt pour EDF. Depuis six ans, je ne cesse de répéter que si l'entreprise a une performance de court terme tout à fait remarquable, nous avons fait l'impasse sur des questions stratégiques qui, aujourd'hui, nous rattrapent.
Nous pouvons toujours dire « c'était mieux avant » mais nous sommes à l'intérieur de l'Europe, où des règles s'appliquent. Nous regrettons la manière dont la Commission met en oeuvre les différents textes qui s'imposent s'agissant d'EDF. Nous estimons que nous ne devrions pas être pénalisés par notre taille dès lors que nous n'en abusons pas. De fait, nous n'avons pas été mis en cause pour abus de position dominante. L'outil mis en oeuvre dans les années 2009-2011 pour ouvrir un espace à nos concurrents est en train de nous nuire. Ceux-ci vont très bien et nous prennent des parts de marché dans tous les domaines. Oui, nous perdons 80 000 clients chaque mois. Pourtant, EDF innove aussi. Depuis janvier, nous avons plus d'un million de clients hors tarif bleu. Nous sommes au bout de la démarche où un affaiblissement volontaire d'EDF était peut-être nécessaire pour laisser cette concurrence et cette innovation prospérer : il faut maintenant remettre les choses en place. Les concessions hydrauliques sont parmi les premières menacées. Mais qui dit qu'Enedis ne sera pas le suivant sur la liste ? Il n'y pas, dans les grands pays d'Europe, de distributeur ayant 95 % du territoire. Enedis est plus menacé dans la situation actuelle que dans le projet Hercule.
Hercule est angoissant parce que les négociations sont en cours et que, de ce fait, on ne peut pas tout savoir. L'État ne va pas négocier cartes sur table avec la Commission européenne. Nous ne sommes d'ailleurs pas présents à la table des négociations. L'objectif est qu'EDF revienne dans le peloton de tête des groupes énergétiques européens. Aujourd'hui, nous ne le sommes plus. Regardez les annonces faites par d'autres électriciens, qui n'ont pas subi les foudres de la Commission au titre de leur position, ou les menaces de la Commission, qui cherche à éviter la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, alors que ce n'est pas son rôle car elle doit respecter une neutralité technologique. Regardez les sommes investies par les majors pétrolières qui passent du tout hydrocarbure à l'électricité ou au biogaz. Au bout de dix ans, le statu quo nous menacerait d'un fort déclassement, d'une vente des joyaux de la couronne. Hercule est la meilleure solution qu'on ait trouvée pour l'éviter, tout en respectant les contraintes européennes. Ces contraintes existent sur l'entreprise, comme sur l'ensemble des parties prenantes. C'est un sujet difficile, d'une extrême importance pour l'entreprise.
Mme Pompili a effectivement indiqué que les négociations risquaient ne pas aboutir et qu'il fallait peut-être réfléchir à des alternatives. Il y a deux ans, le Président de la République m'a demandé de préparer une réforme de l'Arenh et une décision - dont nous savons qu'elle ne sera pas prise maintenant mais peut-être après l'élection présidentielle de 2022 - sur la construction de six réacteurs EPR. Voilà la mission qui m'a été confiée par l'État.
J'en viens à la question des tarifs. Pendant la crise sanitaire, nous avons suspendu les coupures. Par ailleurs, les Français qui ont des ressources limitées peuvent bénéficier d'un chèque énergie qui, je crois, fonctionne bien. En France, les tarifs sont nettement moins élevés que dans les pays voisins, par exemple l'Allemagne, où l'électricité est 70 % plus chère. Nous sommes attachés à la compétitivité de nos tarifs. Hercule n'aura d'impact ni sur la péréquation tarifaire ni sur les SEI.
Le capital d'Enedis, actuellement détenu à 100 % par EDF, sera détenu à 100 % par EDF vert. Le capital d'EDF a été ouvert il y a une quinzaine d'années. Il est détenu à 15 ou 16 % par des actionnaires privés. Il est prévu d'ouvrir davantage le capital d'EDF vert, peut-être par étapes, dans une limite de 30 % car la loi prévoit que l'État doit détenir 70 % du capital des structures publiques. C'est par EDF vert que se fera le développement d'EDF, pour rattraper les cinq ou six groupes qui sont clairement devant nous. Nous sommes franchement menacés de devenir un opérateur de deuxième zone, nous la « grande EDF ». Nous proposons par exemple 30 % dans EDF vert. Enedis changerait simplement de propriétaire.
J'en viens aux dividendes d'Enedis. Les concédants ont toujours la préoccupation que le concessionnaire fasse un minimum de dividendes. J'estime qu'ils devraient avoir pour objectif que le concessionnaire fasse un maximum d'investissements. Si le concessionnaire fait un maximum d'investissements, il a aussi le droit à des dividendes. Nous avons doublé les investissements d'Enedis par rapport au point bas que nous avons connu dans les années 2000, et nous les avons augmentés de 30 % depuis 2015. Si le concessionnaire n'a pas de dividendes, quel intérêt a-t-il à bien gérer sa concession ? Les performances d'Enedis en termes de coupures de courant en zone rurale sont jugées très bonnes par rapport à ses concurrents. Pourtant, nombre de nos concurrents ont un taux de retour du dividende vers l'actionnaire de 100 %, alors que le nôtre est de 65 %. Cet équilibre entre les investissements et les dividendes est important. Je suis très heureux d'aller régulièrement à la rencontre de la FNCCR. Pour Enedis, il n'est pas prévu de changement : je voudrais rassurer nos interlocuteurs.
S'agissant du nucléaire, je rappelle que de nombreux rapports - de nos commissaires aux comptes, de la Cour des comptes, du ministère de l'énergie - se sont penchés sur les provisions pour démantèlement et qu'il est admis que nous avons mis de côté au moins ce qu'il faut - 103 à 104 % du nécessaire - pour démanteler et gérer les combustibles de fin de vie après la fermeture. Nous avons appliqué ce qui est prévu par une loi postérieure à la construction des centrales nucléaires. Ceci est inclus dans les coûts du nucléaire, monsieur le Sénateur Daniel Salmon.
À la demande du Gouvernement, qui tranchera, nous allons déposer un dossier pour proposer la construction de six nouvelles centrales nucléaires. Dans le cadre du rapport RTE-AIE, nous avons déjà indiqué que nous estimons que c'est indispensable, au regard notamment du degré d'acceptation des alternatives et de leurs conséquences en termes d'artificialisation des sols, d'impact sur le pouvoir d'achat, de risques de coupures, de souveraineté, d'emploi...
Le Gouvernement souhaite que la décision soit prise après l'élection présidentielle, mais nous espérons qu'elle le sera le plus rapidement possible car la filière nucléaire - qui représente, en France, 220 000 emplois - nécessite une continuité d'activité et que le tissu industriel a été fragilisé par la pandémie. Nous avons fait savoir par une décision du conseil d'administration que, si cette décision intervenait, les premiers sites retenus seraient Penly, Gravelines et Bugey ou Tricastin - le choix entre Bugey ou Tricastin se faisant ultérieurement.
Monsieur le Sénateur Daniel Salmon, le conseil d'administration d'EDF nous a effectivement donné l'autorisation d'engager la commande de certaines pièces, aux risques d'EDF, afin d'accélérer la construction des éventuels EPR. Cela se traduira prochainement par des travaux dans certaines usines de notre filiale Framatome.
Nous ne pouvons pas vous préciser aujourd'hui la répartition financière entre les trois entités, puisque les négociations ne sont pas terminées sur les questions de prix, de valorisation et sur ce qu'on appelle le business plan des différentes entités du futur groupe intégré. Le moment venu, nous partagerons largement ces informations.
Pour Larivot, nous avons obtenu toutes les autorisations des différentes instances de la République au niveau national ou au niveau local. Le chantier va donc bientôt commencer. En ce qui concerne le combustible, nous appliquerons la réglementation européenne Renewable Energy Directive II (RED II), qui nous permet d'avoir une biomasse liquide dont les produits de base sont limitatifs et, en particulier, n'incluent pas les cultures à base d'huile de palme.
Mme la Sénatrice Marie-Noëlle Lienemann m'a interrogé sur la sécurité du nucléaire. Nous mettons un grand soin à ce que, à l'intérieur des règles du jeu, qui proviennent des directives européennes, et en particulier de celles de 1997 et 1999 en matière d'ouverture des marchés de l'énergie, le nucléaire bénéficie en permanence d'une gestion très attentive en matière de sûreté. Ce ne sont pas des installations comme les autres. À ce titre, l'ASN a des pouvoirs extrêmement importants d'enquête, d'inspection et d'injonction, que nous respectons de façon scrupuleuse. Nos relations techniques sont très étroites, et les partages d'information, intenses. Il nous est arrivé - rarement - d'être pénalisés par l'ASN, lorsqu'elle estime que nous n'avons pas fait ce que nous aurions dû faire. Dans ce cas, nous battons notre coulpe et nous appliquons les décisions de cette Autorité, très respectée en France et dans le monde.
Mme le Sénateur Dominique Estrosi Sassone m'interrogeait sur l'équilibre entre offre et demande sur le territoire des Alpes-Maritimes. C'est un vieux sujet, dont j'avais déjà entendu parler il y a bien longtemps. Il a été très largement résolu, je crois, en enfouissant la liaison qui avait été envisagée pour traverser une partie du parc naturel du Verdon. Il reste des éléments de fragilité. C'est à RTE, non à EDF, de les gérer. Mais si nous pouvons aider RTE à trouver des solutions qui rendent un peu moins fragiles les parties les plus extrêmes du territoire - je pense aussi à la Bretagne - EDF fera le maximum.
Sur la RE2020, la décision définitive, après consultation du Gouvernement, semble imminente. La RE2020 va permettre aux Français de faire, comme dans beaucoup d'autres pays, une migration ordonnée vers des systèmes de chauffage dans lesquels le combustible fossile, très émetteur de CO2 - comme le fioul, le gaz ou le charbon - sera progressivement remplacé par des combustibles non émetteurs. Il peut y avoir un peu de biogaz. Celui-ci représente aujourd'hui moins de 1 % de la consommation française. Le ministère souhaite privilégier son utilisation là où il n'y a pas d'autre possibilité. Les applications du biogaz pour l'électricité ne doivent donc pas être encouragées, car c'est une ressource rare.
Un sujet inquiète les professionnels de la construction, alors qu'il n'a pas grand-chose à voir avec EDF : l'obligation de matériaux biosourcés. Pour nous, l'enjeu est surtout de profiter de cette réglementation pour substituer au gaz, qui est devenu une source d'émission considérable au fil du temps dans les logements, de l'électricité décarbonée - en France, 95 % de l'électricité est décarbonée. C'est la voie empruntée par l'État, avec une mise en place progressive du chauffage par de l'électricité décarbonée ou par de la biomasse, d'abord dans les maisons individuelles, puis dans les logements collectifs. Je souligne que les pompes à chaleur sont une industrie française, avec un très fort contenu en emplois. La RE2020 va donc contribuer à la réindustrialisation du pays, tout en faisant baisser nos achats de gaz à des partenaires extraeuropéens.
M. le Sénateur Pierre Cuypers me demande s'il est déraisonnable d'envisager de rouler tout électrique.
Mme Sophie Primas, présidente. - Ce n'est pas à vous qu'il faut poser la question...
M. Pierre Cuypers. - Vous n'êtes pas au courant !
Jean-Bernard Lévy. - Certainement, il est toujours déraisonnable de dire qu'on sait ce qui va se passer dans vingt ans... Il y a un mouvement incontestable du véhicule thermique vers le véhicule électrique. Chez EDF, nous avons pris un engagement : tous nos véhicules légers seront électriques en 2030. Pour les grands déplacements, quelle sera la bonne solution ? Quel sera le rôle de l'hydrogène ? Quid des véhicules thermiques ? Quelle sera l'importance du partage ? Les prophéties à 25 ou 30 ans sont difficiles à faire...
M. le Sénateur Pierre Mérillou, la quasi-régie est le moyen juridique pour isoler le parc hydroélectrique français du régime des concessions. Il s'agit d'une société gérée quasiment comme une régie de l'État, qui y joue un rôle tout à fait prépondérant, et doit la détenir à 100 %, et directement ou indirectement.
Le développement de l'éolien terrestre français se heurte à des réticences, soit dans des régions qui n'en ont pas, soit dans des régions qui en ont et qui trouvent qu'elles en auront trop... Il est difficile pour la France de tenir les objectifs qu'elle s'est fixés en la matière, et nous avons pris du retard par rapport aux trajectoires envisagées par le ministère de l'énergie il y a quelques années. La rénovation des installations existantes est une piste prometteuse, par exemple en augmentant quelque peu la hauteur des mats. Il est possible d'accroître considérablement certaines capacités individuelles en installant des turbines trois ou quatre fois plus puissantes.
Je répondrai à M. le Sénateur Laurent Duplomb par écrit sur les relevés de production photovoltaïque comparés aux relevés de production par méthanisation.
M. Laurent Duplomb. - L'important pour moi est que vous régliez le problème !
Jean-Bernard Lévy. - Je ne sais pas si la situation vient des services d'EDF ou des exigences de la CRE.
M. Laurent Duplomb. - Donnez-moi l'interlocuteur idoine et j'irai le voir !
Mme Sophie Primas, présidente. - Je crois que notre collègue Martine Berthet voudrait que vous lui confirmiez que, sur les électro-intensifs, les tarifs de l'électricité ne connaîtront aucun changement.
Jean-Bernard Lévy. - Strictement aucun. Nous sommes très attentifs aux électro-intensifs, qui représentent des emplois industriels très importants, avec beaucoup de valeur ajoutée et de technologies. Des dispositifs ont été mis en place pour qu'ils ne payent, pour leur électricité, qu'une fraction de ce qu'ils paieraient s'ils n'étaient pas considérés comme électro-intensifs. Aucun changement n'est prévu dans ce domaine. Le projet Hercule, la réforme du mode de régulation d'EDF, la réorganisation des activités, les moyens dont nous avons besoin pour rester dans la cour des grands, sont autant de sujets qui sont totalement distincts de celui des industries électro-intensives : on ne touche à rien - comme dans beaucoup d'autres domaines !
Mme Anne-Catherine Loisier. - Vous ne m'avez pas répondu, monsieur le président : compte tenu de ce que vous venez de dire sur les éoliennes, comment comptez-vous atteindre les 50, voire les 100 gigawatts ?
Jean-Bernard Lévy. - Les secteurs qui vont croître sont, d'abord, l'hydraulique, grâce à des projets de déploiement d'installations hydrauliques supplémentaires. Deuxièmement, nous connaissons des développements très rapides dans le domaine de l'énergie photovoltaïque et des éoliennes en mer. Les coûts ont considérablement baissé, et vont continuer à le faire, et la puissance des machines en mer va considérablement augmenter. Quant à l'éolien terrestre, l'acceptabilité est un véritable sujet. Nous ne comptons dessus que de façon modérée.
M. Daniel Gremillet. - Le Sénat a introduit le bilan carbone du renouvelable. Nous voulons atteindre la neutralité carbone mais si c'est pour faire du renouvelable avec des produits d'importation... Or, fin 2020, les derniers appels d'offres, en photovoltaïque, ont largement été remportés par des acteurs proposant des panneaux solaires venant de l'extérieur de l'Union européenne !
Jean-Bernard Lévy. - Vous avez raison, nous sommes inquiets de l'absence de comptabilisation du carbone dans les importations. Nous avons demandé à ce que les prochains appels d'offres comportent un critère carbone, en particulier pour les cellules solaires.
Mme Sophie Primas, présidente. - Merci. Je retiens cette formule : « sans réforme, nous sommes menacés de devenir des énergéticiens de seconde zone. » Le nucléaire fera partie du débat politique présidentiel : nous n'y échapperons pas ! Je vous remettrai une proposition de résolution prise par un groupe politique du Sénat, qui sera peut-être débattue très prochainement.
La réunion est close à 11 h 15.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nouvelles formes de commerce - Présentation du rapport d'information
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous allons entendre la présentation du rapport d'information du groupe de travail présidé par Serge Babary, président de la délégation aux entreprises, sur les nouvelles formes de commerce, dont l'objet a d'ailleurs un peu évolué au fur et à mesure de l'actualité de l'année 2020.
M. Serge Babary, rapporteur. - Madame la présidente, mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de pouvoir vous présenter le rapport adopté hier par notre groupe de travail. Le moins que l'on puisse dire est que le sujet est au coeur de l'actualité depuis des années, et particulièrement depuis un an.
Le déclenchement de la crise actuelle a en effet accéléré ces mutations et rendu d'autant plus impérieuse la nécessité pour nos commerçants d'adapter leurs services aux nouvelles exigences des consommateurs. À mesure que nous avancions dans nos travaux, nos constats se trouvaient renforcés par la gravité de la crise traversée par le commerce. Nombre de sujets qui étaient déjà d'une grande importance auparavant sont désormais devenus incontournables. Le statu quo réglementaire et fiscal n'est donc aujourd'hui plus possible : la réglementation du commerce doit évoluer, sous peine d'une aggravation des distorsions de concurrence déjà à l'oeuvre entre le commerce traditionnel et les acteurs du numérique.
Tout d'abord, un point de méthode : pour rédiger ce rapport, nous avons réalisé au total 44 auditions. Cela nous a en effet paru nécessaire compte tenu de la multiplicité des interlocuteurs, des points de vue et des sujets abordés.
Nous avons ainsi reçu des fédérations professionnelles, le réseau consulaire, le ministère de l'économie, la Convention citoyenne pour le climat, des enseignes de la grande distribution ou du secteur du jouet, des sites de commerce en ligne, des personnalités qualifiées du secteur commercial ou encore des experts sectoriels. Ce rapport s'est par ailleurs enrichi de vingt contributions écrites que nous avons reçues.
Avant de rentrer dans le détail, je souhaiterais vous résumer les principaux constats.
Alors que des transformations majeures traversent aujourd'hui le secteur commercial - retour de la « proximité », recherche de sens, explosion de l'omnicanalité -, la France se singularise par une réglementation inadaptée voire contre-productive de ce secteur. Cette dernière oublie trop souvent que les évolutions du commerce répondent avant tout aux aspirations des consommateurs ; elles reposent ainsi sur l'illusion que nous pourrions arrêter à mains nues une vague déferlante, autrement dit, que des normes unilatérales et rigides seraient en mesure d'étouffer ces nouvelles exigences des consommateurs, sur fond d'opposition stérile entre commerce physique et commerce en ligne.
Ce faisant, la compétitivité de nos commerçants s'en trouve fragilisée, d'autant qu'ils subissent d'importantes distorsions de concurrence en matière fiscale et réglementaire. Dans le même temps, les pouvoirs publics n'accompagnent qu'insuffisamment les commerçants dans leur nécessaire transition numérique, enjeu majeur de la période actuelle.
Rentrons dans le détail...
Le rapport est construit selon trois axes : premièrement, une étude analytique et détaillée des mutations actuelles du commerce ; deuxièmement, le constat que les politiques publiques en matière commerciale accusent, depuis longtemps, un retard préjudiciable à la compétitivité de nos commerçants ; troisièmement, un ensemble de chantiers à mener urgemment.
Tout d'abord, nous avons analysé les trois révolutions principales, porteuses d'opportunités majeures, que connaît actuellement le commerce : la recherche de sens, la recherche de proximité, et enfin le boom de l'omnicanalité.
Concernant la révolution du sens, un fait me semble particulièrement marquant : l'essentiel de la croissance du secteur de la grande distribution est tiré par le bio, les produits locaux et les produits dits plus sains, qui connaissent une croissance de 20 à 25 % par an, toutefois dans un contexte de relative atonie de la demande.
En effet, le consommateur cherche de plus en plus à conférer du sens à son achat. Dans un nombre croissant de cas, ce dernier ne vise plus la simple satisfaction d'un besoin mercantile, mais tend également à matérialiser concrètement les aspirations sociétales du consommateur. Cette mutation, appelée à s'accélérer, représente un défi important pour les commerçants : conception des emballages, développement de la location, place et quantité des produits locaux et bio dans les rayons de la grande distribution, transparence sur l'approvisionnement, etc., sont autant de nouvelles exigences des consommateurs qui structurent et réorganisent le positionnement des marques.
Lorsque le consommateur a les moyens, il est désormais bien davantage disposé à payer plus cher pour satisfaire cette quête de sens.
Au-delà du sens, le consommateur recherche également la proximité, qui ne se confond toutefois pas avec le seul centre-ville. Plusieurs facteurs expliquent cette recherche de proximité, malgré la hausse des prix des produits qui y sont vendus : le vieillissement de la population, la réduction de la taille moyenne des foyers, l'augmentation des temps de transport, l'augmentation du prix du logement en centre-ville ou encore la fragmentation des achats alimentaires.
Face à ces évolutions, plusieurs enseignes ont su développer de nouveaux formats de proximité afin de réinvestir, entre autres, les centres-villes. Le rapport les détaille. En tout état de cause, ces mutations fragilisent le modèle traditionnel des grandes enseignes et les obligent à trouver de nouveaux leviers de croissance, notamment afin de rentabiliser leur foncier. Il s'agit donc désormais, pour ces commerces, de travailler davantage sur l'ancrage et l'offre de service, et de consacrer une partie de leurs magasins et entrepôts à l'approvisionnement des formats de centre-ville et au développement d'espaces expérimentaux.
La troisième révolution, la plus importante, est celle de l'omnicanalité. Désormais en effet, le consommateur utilise une multiplicité de canaux, physiques et numériques, afin de s'informer sur un produit, de le comparer, de le tester, de l'acheter, de le retirer, ou encore de le retourner au vendeur. L'aspect le plus visible de la numérisation du commerce est, bien entendu, le développement fulgurant du commerce en ligne, qui a augmenté en 2019 de 11,6 % pour atteindre 103,4 milliards d'euros, soit 10 % du commerce de détail. Notons tout de même au passage que cela signifie que 90 % des transactions continuent d'avoir lieu dans les magasins physiques !
À de rares exceptions près, tant les grands acteurs du numérique que l'ensemble des commerçants physiques ne pourront donc envisager de croissance pérenne, voire de survie, sans combiner les avantages du numérique et du physique, ce qui correspond aux nouvelles exigences du consommateur. En effet, plus de la moitié des acheteurs aimeraient vérifier en ligne la disponibilité d'un produit avant de se rendre en magasin. Ce sont ces nouvelles attentes qui expliquent, notamment, que 22 millions de Français aient acheté sur Amazon en 2019 et que ses ventes aient encore augmenté de 37 % au troisième trimestre 2020 en France, alors même que le confinement était terminé.
Le rapport détaille l'ensemble des opportunités que l'omnicanalité emporte pour le consommateur comme pour le commerçant. Il analyse également les défis de logistique urbaine et numérique qui émergent du fait des réapprovisionnements plusieurs fois par jour des magasins et des livraisons ponctuelles, parfois à l'unité, chez le client.
La France oscille entre contraintes contre-productives et accompagnement insuffisant.
C'est la deuxième partie du rapport, qui traite du mal français en termes de réglementations du commerce : trop souvent nos règles sont fondées sur l'espoir que nous puissions étouffer les aspirations des clients d'un coup de norme magique. Il nous semble préférable de réguler le commerce afin d'éviter les excès et d'accompagner nos entreprises à la nouvelle compétition numérique dans laquelle elles sont, en fait, déjà plongées.
La réglementation de l'urbanisme commercial, particulièrement instable, s'est fortement complexifiée et a perdu en clarté, au détriment de la visibilité dont ont besoin les porteurs de projets. Elle est insuffisamment souple, ce qui empêche les évolutions pourtant nécessaires du commerce.
Je souhaiterais m'attarder un instant sur la réglementation des horaires d'ouverture : la grande majorité des commerçants rencontrés s'en sont plaints et ont déploré sa complexité. Aujourd'hui en effet, il existe une distorsion de concurrence importante entre les pure players du numérique et les magasins physiques, en ce qui concerne le dimanche ou le travail en soirée.
Concernant le travail du dimanche, nous ne pensons toutefois pas qu'il s'agisse d'un sujet devant être traité de façon uniforme. Tous les secteurs, en effet, ne souffrent pas de cette distorsion avec la même intensité. C'est pourquoi nous recommandons de laisser la main au ministre de l'économie pour décider, après consultation des organisations syndicales et des fédérations professionnelles, de l'ouverture ou non le dimanche des secteurs d'activité qui en font la demande, notamment ceux en concurrence frontale avec les acteurs du numérique. Un Decathlon ou une boutique André doit, en effet, rester fermé le dimanche, dès lors qu'on ne se situe plus dans une zone touristique ou dans le cadre des douze dimanches du maire. Chacun d'entre vous l'a constaté dans son propre territoire.
Il s'agit donc avant tout d'apporter aux commerçants la souplesse dont ils ont besoin. C'est un débat ancien, mais qui se pose dans des termes nouveaux en raison de l'essor du commerce électronique. N'oublions jamais que le premier service qu'un commerce peut apporter à son client est celui d'être ouvert, a fortiori quand tous les concurrents numériques sont ouverts comme ils le souhaitent.
Concernant le travail de nuit, il existe aujourd'hui une dérogation qui permet aux commerçants situés en zone touristique internationale d'ouvrir jusqu'à minuit, à condition bien entendu qu'un accord collectif soit signé en ce sens. Or il ne nous semble pas cohérent de limiter cette dérogation aux zones touristiques internationales (ZTI). Les clients français ont les mêmes exigences que les touristes : pouvoir trouver des commerces ouverts. Surtout, une telle distinction oublie que, encore une fois, la concurrence avec les spécialistes du numérique comme Amazon, Cdiscount ou eBay, ou avec les entreprises hybrides comme Fnac-Darty, a lieu partout en France. Il faut donc plus de souplesse. Nous recommandons ainsi que cette dérogation s'applique à tous les commerçants de détail, et non uniquement à ceux situés en ZTI.
Bien entendu, un tel travail de soirée serait fortement encadré : premièrement, il ne pourrait avoir lieu qu'en cas d'accord d'entreprise ou de branche, et uniquement si le salarié a donné son accord écrit. Deuxièmement, les heures travaillées seraient rémunérées le double, et le salarié se verrait octroyer un repos compensateur. Troisièmement, le salarié bénéficierait d'un moyen de transport à la charge de l'employeur pour rentrer chez lui, ainsi que de mesures facilitant l'articulation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Quatrièmement, le refus de travailler le soir ne pourrait être un motif valable de licenciement. Il nous semble que nous introduirions là de fortes garanties et contreparties et que nous parviendrions ainsi à un bon équilibre entre la protection du salarié et la souplesse recherchée par les commerçants.
Je tiens également à préciser que nous estimons que le risque est très faible que cette mesure accentue l'asymétrie entre les petits commerces et les grands. En effet, dans les ZTI actuelles, qui mêlent petites et grandes entreprises, nous ne constatons pas le déclin des plus petits commerces, qui seraient incapables d'ouvrir le soir.
Par ailleurs, le Sénat avait déjà voté cette mesure dans la loi Pacte, à l'époque pour les seuls commerces alimentaires, avant que l'article ne soit censuré par le Conseil constitutionnel pour cavalier législatif.
Par ailleurs, nous avons également étudié la proposition d'un moratoire sur les surfaces commerciales, formulée par la Convention citoyenne pour le climat. La proposition sera davantage expertisée dans le cadre des débats autour du projet de loi, mais il nous semble que cela reviendrait à prendre le risque de reproduire les mêmes erreurs du passé. Il nous semble en effet que cette proposition omet le fait que le commerce évolue avant tout en fonction des attentes des consommateurs.
Bien entendu, il est nécessaire de lutter contre les externalités négatives du commerce en matière environnementale, mais il faut noter que le commerce n'est responsable que d'environ 5 % de l'artificialisation des sols, contre 42 % pour le logement et 30 % pour les infrastructures de transport. On ne pense qu'à celle-là parce qu'elle est très visible à la périphérie des villes, alors que les autres, bien que dix fois plus importantes, sont moins connues.
Un moratoire empêcherait toute évolution de l'offre commerciale rendue pourtant nécessaire par la prise en compte des transformations démographiques, économiques et sociales et il figerait le commerce en l'état et octroierait une rente aux acteurs déjà en place.
Il nous semble donc préférable d'assouplir les règles de modernisation de l'existant, afin d'inciter les porteurs de projets à privilégier cette piste, plutôt qu'interdire purement et simplement toute installation commerciale. Pour cela, nous recommandons notamment de procéder rapidement à une mesure de l'évolution des coûts d'implantation commerciale résultant de l'inflation des règles d'urbanisme commercial. Nous proposons également de confier à la commission de concertation du commerce - 3C - une réflexion sur les évolutions possibles du contenu et de la formulation des critères d'appréciation d'un projet soumis à autorisation d'exploitation commerciale. Il nous paraît également indispensable de clarifier la notion d'artificialisation et de friche, ainsi que d'effectuer un recensement de ces friches, qu'aucun document ne retrace aujourd'hui de façon exhaustive.
Vous le voyez, depuis plusieurs recommandations, ce rapport appelle donc à une véritable prise en compte des enjeux environnementaux du commerce. En cherchant à faciliter le recours aux friches, à simplifier les règles de modernisation de l'existant pour éviter les nouvelles installations, nous souhaitons privilégier un développement durable du commerce, sans le figer pour autant.
Nous recommandons par ailleurs que soit élaborée une charte environnementale du commerce en ligne, qui engagerait ses signataires à mettre en oeuvre un ensemble de mesures de restriction de l'empreinte environnementale de la chaîne de distribution - emballage 3D, optimisation des cargaisons, livraisons 100 % électriques, gestion des invendus, etc. Le respect de cette charte pourrait donner lieu à une notation environnementale de la part d'associations de consommateurs ou de défense de l'environnement. Les acteurs auraient donc un véritable intérêt à accélérer la transition écologique du e-commerce. On a pu mesurer que les acteurs français du e-commerce étaient favorables à cette charte et travaillent sur des éléments le concernant.
Cette même préoccupation nous a conduits également à recommander un renforcement de la sensibilisation des élus locaux à la prise en compte des problématiques logistiques lors de l'élaboration des documents de planification territoriale. Les mutations actuelles du commerce, comme le réinvestissement des centres-villes et l'éclatement des livraisons exigent, par exemple, que les entrepôts, bien entendu de petite taille, ne soient pas situés trop loin des centres. Autrement, le rallongement des trajets aurait un impact environnemental certain, et serait source de congestion des axes routiers. Il faut donc intégrer cette problématique très en amont, et force est de constater qu'elle a longtemps été oubliée, repoussant de plus en plus les entrepôts, ce qui multiplie les allers-retours.
Enfin, alors que la révolution majeure de l'omnicanalité implique pour nos commerçants de s'engager dans la transition numérique, nous n'avons pu que déplorer le fait que nos politiques publiques restent insuffisantes en la matière. C'est d'ailleurs ce qui explique en partie l'insuffisante numérisation de nos commerçants, par rapport à leurs homologues allemands. Alors que 70 % des consommateurs achètent et paient en ligne, seule une PME sur huit fait usage de solutions de vente en ligne en France, et 500 000 sociétés n'ont aucune présence sur internet. Bien qu'une prise de conscience de ce retard par les pouvoirs publics ait lieu, notamment depuis le début de la crise, force est de constater que les réponses doivent encore gagner en intensité. L'urgence est donc à la numérisation des entreprises françaises.
Le rapport formule donc plusieurs recommandations en la matière, dont celle de créer un crédit d'impôt à la formation et aux équipements numériques. Le Sénat avait déjà adopté une telle mesure lors de l'examen de la troisième loi de finances rectificative, mais le Gouvernement ne l'avait pas reprise. C'est fort dommageable, car la simplicité et l'ampleur d'un tel dispositif sont demandées par les professionnels sur le terrain. Nous recommandons également d'améliorer la précision des offres que les professionnels du numérique comme les développeurs web peuvent déposer sur le site France Num, qui sont à destination des PME désirant se numériser. En effet, se numériser ne signifie pas uniquement avoir un site internet. Il y a d'autres étapes : le paiement en ligne, la livraison, connecter les différents stocks entre eux, la cyber sécurité, etc. C'est pourquoi nous recommandons que les offres soient classées selon ces étapes, de même que les différentes aides publiques qui existent. Cela simplifierait grandement la tâche pour les petits commerces.
Enfin, la crise actuelle renforce encore l'urgence d'aider les commerçants à épouser ces nouvelles formes du commerce. La crise sanitaire amplifie et accélère la triple révolution du commerce dont j'ai parlé.
Plusieurs phénomènes accentuent et accélèrent ces mutations, comme l'usage du smartphone qui se développe - on parle maintenant de m-commerce à propos du mobile -, les innovations qui se multiplient, ou encore l'ouverture de nouveaux marchés. En outre, la crise sanitaire et les deux confinements se sont traduits par une chute brutale de l'activité commerciale physique en 2020, qui a représenté - 18 %, et par une hausse du taux de pénétration du commerce en ligne. Les ventes en ligne des enseignes ont ainsi crû de 85 % en décembre 2020 et de 80 % sur l'ensemble de l'année 2020.
Outre le crédit d'impôt à la numérisation et la simplification des aides existantes, il convient donc de renforcer la formation des personnels, tant l'évolution du contenu des métiers est rapide. En effet, une entreprise dispose de deux voies principales pour pourvoir aux nouveaux emplois créés par les mutations du commerce : le recrutement externe ou la mobilité interne, qui implique de faire monter les collaborateurs en compétences et en polyvalence et d'élargir leur périmètre d'action. Devenir webmaster, ce n'est pas être vendeur en magasin. Cela ne fait pas appel aux mêmes compétences. En intensifiant la formation des salariés, ces derniers disposeraient de réelles perspectives d'évolutions, tandis que l'entreprise réduirait les coûts engendrés par les procédures de recrutement.
Par conséquent, le crédit d'impôt proposé s'appliquerait également à la formation des salariés et du dirigeant d'entreprise.
L'équité fiscale et réglementaire est un enjeu majeur des années à venir. Il n'est pas possible de s'intéresser aux nouvelles formes du commerce sans aborder le sujet majeur des distorsions de concurrence qui s'appliquent en matière de fiscalité.
Nous ne nous sommes volontairement pas appesantis sur la problématique de l'optimisation fiscale de certains acteurs, considérant qu'il s'agit là d'un sujet européen. Nous appelons toutefois à davantage de transparence concernant les négociations et débats menés par le Gouvernement sur ce sujet et à une meilleure association du Parlement.
En revanche, nous avons porté notre analyse sur la fiscalité, notamment foncière, qui pèse sur le commerce physique et qui est inadaptée aux évolutions du secteur. Les commerçants traditionnels s'acquittent d'un grand nombre de taxes liées à leur implantation locale, assujettissement qui ne s'applique pas aux pure players et qui leste donc les premiers d'un désavantage compétitif.
La taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) est l'exemple le plus emblématique de la nécessité de lancer un vaste chantier de refonte de la fiscalité du foncier. Outre le fait qu'elle ne frappe que les commerçants disposant d'un magasin physique, ses modalités d'application interrogent aujourd'hui sa cohérence : il existe en effet de multiples dérogations, liées à la date de création, au chiffre d'affaires réalisé par mètre carré, au type de produits vendus, etc. La taxe n'a aujourd'hui plus aucun lien avec ses objectifs initiaux d'aménagement du territoire. Pourtant, elle a augmenté de 600 % en dix ans !
Le rééquilibrage concurrentiel entre le commerce physique et le commerce en ligne ne peut plus attendre : trop peu d'évolutions ont eu lieu, octroyant aux pure players un avantage compétitif qui ne récompense pas une productivité ou une efficacité plus grande, mais qui symbolise plutôt l'obsolescence du système fiscal français qui repose sur le foncier.
C'est pourquoi une vaste réforme de la fiscalité du commerce devrait commencer par la disparition de la Tascom, impôt devenu injuste et déconnecté de la réalité. Bien entendu, les collectivités bénéficieraient d'une compensation intégrale. C'est le sens d'une des recommandations du rapport. Je précise par ailleurs que les collectivités ne bénéficient aujourd'hui d'aucun pouvoir de taux en la matière, seulement de la possibilité de légèrement moduler le montant, sachant par ailleurs que celui-ci a tendance à diminuer du fait de la fermeture de grandes surfaces et qu'il n'existe plus de grands projets de création. Il vaut donc mieux s'en tenir à une compensation.
Le combat n'est plus, depuis plusieurs années, celui des grandes surfaces contre le petit commerce de centre-ville. Aujourd'hui, c'est celui du commerce physique contre les pure players numériques, comme en atteste le fait que tant la grande distribution que les PME sont malmenées par l'essor et les pratiques de certains acteurs. Un chiffre permet de rappeler la différence de situation dans laquelle sont placées ces deux formes de commerce : le profit d'Amazon a triplé en France au dernier trimestre 2020.
Bien que cela ne soit pas l'objet du rapport, il me semble utile et nécessaire de rappeler que la réforme plus vaste de la fiscalité, que nous appelons de nos voeux, devra également réfléchir aux façons de mieux et davantage assujettir l'économie numérique à la fiscalité. Certains concepts et notions semblent dépassés, et permettent à quelques acteurs d'échapper à la règle commune. Le consentement à l'impôt dans notre pays souffre de cet état de fait. Les réflexions à venir devront donc faire converger les deux types de fiscalité, et lutter avec plus de vigueur encore contre les stratégies d'évitement et d'optimisation fiscale de ces acteurs.
Il existe plusieurs pistes aujourd'hui avancées dans le débat public pour moderniser le cadre fiscal applicable à l'économie numérique. Je pense par exemple à la taxation des livraisons, à l'évolution de la définition de l'établissement, à une meilleure taxation des revenus issus de la publicité, etc. Ces différentes pistes devront être expertisées dans des travaux ultérieurs.
Voilà, mes chers collègues, les principaux constats et recommandations du rapport.
Je vous remercie de votre attention.
Mme Sophie Primas, présidente. - La parole est aux commissaires.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Ce rapport est très intéressant. On y apprend beaucoup de choses. Restent des problèmes politiques récurrents sur lesquels nous ne serons pas d'accord, comme le travail du dimanche ou le travail en soirée. Je ne suis pour ma part pas convaincue que ce soit déterminant par rapport au e-commerce. S'il est vrai que, le soir, chez soi, on achète parfois un produit sur internet, on ne va pas, à 21 heures ou 22 heures, dans le magasin du coin pour voir si le produit est disponible.
Quant au moratoire, il peut constituer l'occasion de redéfinir des schémas cohérents par grands territoires, en lien avec la prise en compte des mécanismes logistiques figurant dans les documents d'urbanisme. Il faut y réfléchir dès à présent.
Pour le reste, beaucoup de choses à repenser, en particulier la question de la transition écologique dans le domaine du e-commerce.
Je suis par ailleurs très favorable au recours aux friches et également d'accord avec le fait que l'accélération du numérique constitue une question importante.
Vous ouvrez des pistes en matière de fiscalité. Notre système ne peut en rester là. Il faut à présent trouver des stratégies beaucoup plus cohérentes.
M. Fabien Gay. - Je souhaiterais revenir sur les notions de sens, de proximité et d'omnicanalité. Je pense qu'il y a chez les citoyens une recherche de sens à propos du fait de produire et de consommer. De même, les salariés cherchent aujourd'hui à donner un sens à leur travail.
Il faut donc que chacun soit vigilant face à l'accroissement des inégalités. Toutes les associations caritatives expliquent qu'elles font face à un véritable déferlement de personnes qu'elles n'ont jamais vues. Cette crise va s'accentuer et apparaît durable. Tout le monde a envie de bien manger, de manger bio, de manger local, mais encore faut-il le pouvoir. Je pense que, malgré nos différences politiques, nous partagerons le même constat.
S'agissant de la recherche de proximité, je crois que la crise va nous poser problème. La rédaction de ce rapport a été commencée avant la crise, et je suis quant à moi extrêmement inquiet. Combien de nos commerçants et de nos artisans vont pouvoir demeurer en centre-ville ? Je ne suis malheureusement pas sûr qu'un restaurateur qui n'a pas travaillé depuis quasiment un an s'en relève - et c'est là une majorité. En outre, peut-être l'habitude d'acheter sur internet va-t-elle persévérer après la crise...
Enfin, je partage tout ce que vous avez dit au sujet de l'omnicanalité. Dès lors, je suis d'accord sur le fait qu'il ne faut pas interdire le commerce en ligne. Ce serait illusoire ! Pour une personne éloignée des centres-villes, qui n'a pas accès à un transport public et qui se fait livrer ses courses chaque semaine, c'est un plus.
Dans ma ville, il n'y a plus de librairie indépendante depuis six ans. Le rayon de librairie du Leclerc du Blanc-Mesnil a été fermé parce qu'il n'était pas considéré comme essentiel. Si vous vouliez lire pendant le deuxième confinement, il fallait commander sur Amazon ou auprès d'un autre distributeur.
Je pense donc qu'il faut encadrer cet aspect des choses. Je ne crois pas qu'on résoudra le problème par l'ouverture le dimanche ou le soir - mais c'est un débat que nous avons depuis très longtemps. Toutefois, quand on discute avec les salariés de ces sujets, ils disent que refuser le travail le dimanche ou le soir est compliqué. Cela ne conduit pas systématiquement à un licenciement, mais le salarié est mal vu par sa direction, il peut se voir imposer des changements d'horaire et être mis à l'écart. Encadrer ce sujet peut donc être compliqué.
Quant aux entrepôts de stockage, ils constituent de nouvelles manières de fonctionner et recourent à de nouveaux emplois extrêmement dégradés, très mal payés, dont le but est d'être le plus possible rentables. Ces nouvelles formes de travail pèsent sur les conditions sociales. Il faut donc que le législateur s'attaque à cette question. On ne peut laisser un tel modèle proliférer. On a eu le même débat sur Amazon pendant le premier confinement. La justice a estimé que les conditions de travail n'étaient alors pas respectées.
Enfin, la question de la fiscalité est essentielle. Les géants du numérique ne payent quasiment pas d'impôt, pratiquent l'optimisation fiscale, voire l'évasion fiscale. À côté, nos commerces sont imposés à des pourcentages compris entre 25 et 33 %. C'est inacceptable et scandaleux ! Il faut s'attaquer à cette question et remettre de l'ordre dans tout cela. Les géants du numérique et les multinationales sont parfois plus puissants que les États, et si Amazon continue à payer 1 % d'impôts et à en optimiser les trois quarts, on ne s'en sortira pas. C'est un combat que nous pourrions mener en commun.
Beaucoup de questions ont été soulevées dans ce rapport. Je ne suis pas d'accord avec tout ce qui a été dit, mais je remercie Serge Babary pour son travail.
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Je souhaitais savoir si Serge Babary, à l'occasion des auditions, a eu l'impression que l'on se dirigeait vers une transformation de certaines filières du commerce de détail. Ne va-t-on pas se retrouver avec des commerces de prêt-à-porter qui deviendront des showrooms, le client venant essayer ou choisir ses vêtements, pour ensuite les acheter sur internet ? Beaucoup de boutiques cèdent leur bail. N'assiste-t-on pas à une transformation ou à une disparition de la notion de fonds de commerce ?
M. Pierre Cuypers. - Je remercie Serge Babary de tous les éclairages qu'il nous a apportés, dans un contexte économique difficile, dont on ne sait pas comment il va évoluer.
Face au recours au télétravail, je m'interroge sur les conséquences de la crise sur l'immobilier de bureau...
Mme Sophie Primas, présidente. - Ce n'est pas tout à fait le même sujet...
M. Pierre Cuypers. - Mais il s'agit néanmoins de commerce immobilier.
Mme Sophie Primas, présidente. - Il est vrai que cela a un impact sur des quartiers comme La Défense.
M. Daniel Gremillet. - Je remercie Serge Babary pour son travail et pour ce qu'il vient de nous exposer, à un moment où la situation est assez perturbée. Il a commencé son travail avant la crise et le prolonge au coeur même de celle-ci. Son analyse démontre une évolution significative.
Je partageais par ailleurs ce qu'a dit Évelyne Renaud-Garabedian. On a vu ce phénomène se développer sur nos territoires.
La crise sanitaire va peut-être par ailleurs avoir un impact sur la fin du plastique, des emballages, du libre-service, etc. Pourquoi a-t-on choisi d'emballer les fromages ? Rappelez-vous de la listeria et des titres des journaux, il y a trente ans, à propos du « fromage qui tue » ! Or les fromages n'étaient pas contaminés chez le fabricant, mais par le consommateur qui voulait toucher le produit et qui transmettait ainsi la listeria ! Avec la crise sanitaire, on va remettre les emballages en cause mais ainsi favoriser le e-commerce, qui sera tenu d'expédier les denrées emballées dans du plastique !
Enfin, s'agissant de la fiscalité, on risque, si on ne rééquilibre pas les choses, de créer une distorsion fiscale entre les secteurs d'activité. Nous ne pouvons, en tant que parlementaires, en être complices.
Fabien Gay a soulevé un débat autour du fait que certains métiers vont disparaître. Je ne veux pas me faire le défenseur d'Amazon, mais le profil et le besoin en termes de main-d'oeuvre n'est pas le même dans un entrepôt et dans un commerce. Il faut bien le comprendre.
Mme Marie-Christine Chauvin. - Je remercie Serge Babary pour son excellent rapport. Il soulève bien des questions, que l'on peut partager. Il est vrai que l'on ressent l'inquiétude générale, et je partage les conclusions qui nous ont été présentées.
J'aimerais revenir sur la complémentarité entre commerce électronique et commerce traditionnel. Certains petits commerces, dans les bourgs, ont réussi à survivre en proposant leurs marchandises sur les réseaux, le client se déplaçant pour venir chercher sa commande. La complémentarité entre commerce en ligne et commerce traditionnel est une nécessité, et je crois qu'il faudrait accompagner les petits commerçants, essentiellement en milieu rural, pour les aider à s'adapter.
Daniel Gremillet a soulevé la question de l'emballage. C'est un point que j'ai également abordé lors de la réunion du groupe d'études « Agriculture et alimentation ». Je crois en effet que nous avons besoin du plastique pour notre sécurité alimentaire. Ce n'est pas la fabrication qui est en cause, mais le comportement de la population, qui n'a pas l'esprit civique pour ce qui concerne les déchets. Ceux-ci vont dans la même poubelle, même s'il existe une filière de traitement.
Par ailleurs, les commerces doivent faire savoir qu'ils existent virtuellement, mais aussi physiquement. Or on veut faire disparaître tous les panneaux indicateurs qui indiquent la présence d'une boutique pour des raisons environnementales. En milieu rural, c'est un grave problème. Certes, il ne faut pas multiplier la signalétique, mais nous devons conserver les formes les plus esthétiques en les plaçant à des endroits pertinents pour nos commerçants et nos artisans.
Mme Martine Berthet. - Je tenais à prendre la parole pour féliciter Serge Babary pour ce travail très complet, qui arrive fort à propos et qui nous montre bien l'exacerbation des évolutions. Pour ma part, je suis complètement en accord avec les propositions relatives à la nécessité d'introduire plus d'équité entre les différents canaux, qui sont tous nécessaires et à conserver. Les questions de fiscalité et de formation me paraissent réellement importantes.
M. Franck Montaugé. - Merci à Serge Babary et à tous ceux qui l'ont accompagné pour ce rapport très dense et très intéressant.
La question du Digital Service Act (DSA) et du Digital Market Act (DMA), qui vont s'appliquer très rapidement - et c'est tant mieux - n'a pas été abordée dans le rapport. Il serait intéressant qu'il y ait quelque chose sur ce point. Cela va en effet faciliter l'accès aux plateformes, permettre une plus grande équité dans le traitement des acteurs économiques et des commerçants. Je pense que ceci est de nature à faciliter la numérisation des commerces locaux, qui doivent garder un pied dans le monde réel et un pied dans le monde numérique.
La fiscalité a été largement évoquée. Peut-être faudrait-il proposer, si cela n'existe pas, un dispositif national afin de compenser les charges fixes des commerçants, au premier rang desquels la location des locaux. Ceci renvoie à la taxe sur le numérique, qui n'existe pas vraiment. On ne peut attendre sa mise en place pour tenter de rétablir l'équilibre concurrentiel entre commerce réel et commerce numérique, par ailleurs complémentaires.
Enfin, tout le monde ne peut pas faire du commerce. Certains sont doués pour cela, d'autres moins. Combien de fois voit-on des commerces péricliter faute de savoir-faire ? Or on peut acquérir celui-ci par la formation, car il s'agit d'un métier. Offre-t-on suffisamment cette possibilité à ceux qui se lancent dans le commerce ? Je ne le crois pas. C'est sûrement un sujet qui mérite d'être développé.
M. Serge Babary, rapporteur. - Il me semble que nous sommes tous d'accord sur deux sujets, celui de la fiscalité, dont il faut ouvrir le chantier en urgence, et celui de la formation, qui a été cité à plusieurs reprises.
Les métiers dits de contact sont difficiles. Tout le monde pense être capable de les exercer et beaucoup rechignent à s'inscrire à la chambre de commerce ou à la chambre de métiers pour suivre des formations élémentaires. On ne peut forcer personne, mais c'est cependant nécessaire. On ne peut créer un site, le gérer, le suivre sans un minimum de connaissances et de volonté de le faire. Nous sommes bien conscients que certaines personnes ne passeront jamais au numérique. 20 % au moins des petits commerçants ne s'y astreindront pas, pour des raisons d'âge ou par manque d'intérêt. Ceux-là, malheureusement, sont condamnés au déclin économique, il faut l'admettre.
S'agissant du travail de nuit et du travail le dimanche, il ne s'agit pas de révolutionner les choses ni d'imposer quoi que ce soit. Il faut simplement introduire de la souplesse dans des règles qui ne sont plus applicables en l'état. Ceci n'entraîne pas d'obligation. Ceux qui n'en verront pas l'intérêt pourront rester en dehors. C'est d'ailleurs le cas dans les zones touristiques internationales, où beaucoup de petits commerces ne souhaitent pas être ouverts le soir. Pour autant, ils ne pâtissent pas de la concurrence des grandes surfaces restées ouvertes.
Pour répondre à Marie-Noëlle Lienemann, il convient de mettre en place un suivi très rigoureux de l'application sociale de ces dispositions afin que les choses ne se fassent pas au détriment des salariés. Souplesse de la réglementation et équité vis-à-vis des grandes surfaces sont les maîtres-mots de cette démarche si l'on veut faire en sorte que les commerces puissent lutter à armes égales.
J'emploierai les mêmes termes pour répondre à Fabien Gay. Chacun est bien conscient que tout repose sur les notions de sens, de proximité et d'omnicanalité.
S'agissant de la capacité financière, il est évidemment plus facile d'accéder à un certain nombre de produits nouveaux, bio, de grande qualité, quand on en a les moyens. Tous les débats autour de la production agricole tournent autour de cet aspect des choses : il faut produire de la qualité pour le plus grand nombre et ne pas aller vers une production différenciée, faute de quoi une partie de la population n'aura pas accès aux produits de meilleure qualité. C'est un risque.
Il convient donc d'être vigilant concernant l'apport de produits extérieurs, qui ne sont pas soumis aux normes qu'appliquent nos producteurs, afin que la population puisse accéder à la qualité avec une certaine facilité financière. C'est là aussi un problème d'équité entre citoyens.
Un commentaire à propos de la proximité : elle ne concerne pas que les centres-villes. Un supermarché de périphérie est un magasin de proximité pour une grande partie de la population. Les villes se développent à la périphérie, et on a de grandes cités où les seuls magasins de proximité sont des magasins « nouvelle formule » qui révolutionnent la présentation des produits avec des lunettes 3D, la possibilité de choisir des options et de payer avec son téléphone portable. On trouve des commerces sans vendeur, où l'on n'a même pas besoin de sortir sa carte pour payer ses achats, la puce se chargeant automatiquement de tout.
On peut relier ceci au travail dans les entrepôts évoqué par Fabien Gay. La numérisation amène l'automatisation d'un certain nombre d'actes commerciaux ou d'entreposage. Dans certains entrepôts ou certaines usines, le personnel est remplacé par des automates.
Il conviendra certainement de revoir quelques aspects juridiques. Je pense en particulier à l'ouverture de boutiques éphémères. C'est une demande des commerçants qui souhaitent pouvoir bénéficier d'une surface en centre-ville. Pour l'instant, c'est très compliqué à faire fonctionner. Ce type d'activité étant assimilé à l'événementiel, ces endroits ne peuvent ouvrir pour l'instant. Il nous faut revoir la possibilité pour un acteur d'acheter une surface en centre-ville et de la louer successivement à des commerçants différents.
S'agissant de l'immobilier, il est vrai que les bureaux vont connaître des problèmes - mais c'est un autre sujet.
Je retiens les remarques de Daniel Gremillet à propos de l'emballage. Ceci a été évoqué dans la proposition de charte sur le e-commerce. Tous les acteurs doivent préciser les efforts qu'ils vont réaliser dans le domaine de l'emballage. Les interlocuteurs français font preuve de bonne volonté pour travailler en commun et être rigoureux. On espère que cet effort incitera les grands acteurs étrangers, dont le plus important, à améliorer les choses.
Marie-Christine Chauvin a évoqué la possibilité pour un commerçant de venir chercher le produit qu'il soit en ville, en périphérie urbaine ou dans un centre-bourg. Il s'agit du click and collect - le mot fait moderne. Ceci existe donc déjà. Autrefois, dans les campagnes, l'épicier, le boucher, le boulanger faisaient leur tournée pour vendre leurs produits. Ce sera dorénavant différent. Les commerçants se consacreront à leur travail physique et les livraisons se feront à travers tout le territoire. C'est déjà le cas. Il faut travailler la logistique, qui se développe beaucoup avec le e-commerce.
Je reviens sur les propos de Marie-Noëlle Lienemann. Je suis d'accord avec elle : il faut intégrer la prise en compte de la logistique dans le zonage commercial et tenir compte des friches existantes, qui peuvent être réutilisées. Pour l'instant, la facilité pour les communes est d'y bâtir des logements. On fait avancer la ville en périphérie, on repousse les zones commerciales, sans se soucier de l'entreposage ni de la logistique. Il faut le prévoir.
Je rappelle que le commerce représente 4,7 % de l'artificialisation des sols. On peut accuser les grandes surfaces d'utiliser des terres agricoles, mais ce sont l'urbanisation et les infrastructures qui y recourent le plus. On peut aussi reconstruire les zones commerciales sur les zones commerciales. Ce qu'il faut, c'est assouplir les règles de construction et revoir les passages en commission, etc.
Martine Berthet l'a évoqué : les commerçants doivent pouvoir installer leur publicité sur des plateformes locales. Il faut au moins que ce soit à la dimension d'un département. On en voit fleurir par canton ou communautés de communes : c'est trop réducteur, et cela constitue une perte de moyens. On doit travailler au niveau départemental, avec des acteurs déjà bien implantés, comme les chambres consulaires. Il existe en particulier des réseaux mis en place par les chambres de commerce ou par des acteurs qui travaillent à l'échelon départemental. Un commerçant d'un centre-bourg, même rural, peut utiliser cette plateforme et ainsi élargir sa clientèle.
La remarque de Franck Montaugé sur la réglementation européenne est une bonne remarque. On ne l'a pas prise en compte parce qu'elle ne s'applique pas pour l'instant, mais on la conserve à l'esprit.
M. Franck Montaugé. - D'autant plus que, lorsqu'on avait travaillé sur les lois numériques, on s'était enquis des difficultés de déréférencement et de fonctionnement des moteurs de recherche, qui ne mettent pas tout le monde à égalité.
Mme Sophie Primas, présidente. - En résumé, l'arrivée du numérique dans le commerce représente un peu ce qu'a été l'arrivée des hypermarchés dans les années 1970. Cela a bousculé le secteur et va le bousculer davantage encore à l'avenir. Le numérique est un espace de liberté pour l'instant totalement débridé, dans lequel il existe peu de régulation en matière fiscale ou en matière de service.
C'est inéluctable, mais cela offre aussi des opportunités à ceux qui veulent commercer. La réflexion de Franck Montaugé à propos de l'équité d'accès aux plateformes est très importante. C'est aussi une possibilité de commercer pour les gens isolés.
Ceci offre en soi beaucoup de potentialités. Il faut cependant réguler les mouvements, car on voit bien que, pour l'instant les choses sont extrêmement débridées. On a face à soi un univers très contraint par la réglementation, celui du commerce physique : on ne peut ouvrir, on ne peut transformer, on est contraint par des baux, on est contraint par le temps, par les taxes.
Le rapport de Serge Babary, face à cet espace de liberté qu'est aujourd'hui internet, offre d'instaurer un peu de souplesse pour le petit commerce et propose de travailler en commun. Je pense que le petit commerce de demain comportera une offre numérique.
Comme l'a dit Évelyne Renaud-Garabedian, le commerce est en train de se transformer. Demain, on ira essayer un tailleur dans une cabine et non plus dans une boutique. La machine prendra nos mesures, nous montrera à quoi on ressemble avec un tailleur, nous chaussera, nous proposera la bonne taille, et on recevra tout chez nous le lendemain ! Cela existe déjà sur le marché de la chaussure. Le magasin recourt à un matériel spécial pour prendre l'empreinte du pied, son épaisseur, sa longueur, sa largeur, etc., pied par pied, et fabrique les chaussures à la bonne taille. Je pense d'ailleurs que la 5G va multiplier ce type de service.
Enfin, en matière de souplesse et d'équité fiscale, un travail très important reste à réaliser avec nos collègues de la commission des finances. Nous vous proposons une première piste avec la Tascom. Les petits commerçants de centre-ville ne la paient pas, mais acquittent la cotisation foncière des entreprises (CFE). Les grandes surfaces, de leur côté, payent la CFE, la Tascom, etc. Quant au secteur numérique, il ne paye rien. Il s'agit d'une inéquité totale. Il est vrai que le DMA et le DSA constituent de bons outils pour y remédier.
Le rapport est adopté.
Désignation
Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, à la suite de la reconstitution du groupe de travail « Tourisme », je vous propose que ce soit notre collègue Mme Sylviane Noël qui en assume la présidence et pilote les travaux de ce groupe.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 12 h 30.