- Mercredi 3 février 2021
- Projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
- Désignation d'un rapporteur
- Communication
- Projet de loi confortant le respect des principes de la République - Audition de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, et P. Hugues de Woillemont, secrétaire général et porte-parole
- Projet de loi confortant le respect des principes de la République - Audition de M. Haïm Korsia, Grand Rabbin de France
- Proposition de loi relative à la sécurité globale - Audition de Mme Marie-Laure Denis, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)
- Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire - Examen, en nouvelle lecture, du rapport et du texte proposé par la commission
Mercredi 3 février 2021
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de MM. François-Noël Buffet et Philippe Bas, Mme Agnès Canayer, MM. Arnaud de Belenet, Éric Kerrouche, Didier Marie et Alain Richard, comme membres titulaires, et de M. Stéphane Le Rudulier, Mmes Jacky Deromedi, Françoise Dumont, MM. Hervé Marseille, Jérôme Durain, Jean-Yves Roux, et Mme Cécile Cukierman comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant report du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique.
Désignation d'un rapporteur
Mme Françoise Dumont est désignée rapporteur sur la proposition de loi n° 318 (2020-2021), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, rénovant la gouvernance du service public d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe.
Communication
M. François-Noël Buffet, président. - Comme vous le savez, la proposition de loi relative à la sécurité globale a été transmise au Sénat le 24 novembre dernier. La discussion de ce texte pourrait intervenir en séance publique à compter du 16 mars prochain, sous réserve de confirmation par la conférence des présidents.
Compte tenu de l'importance de ce texte, sur le fond comme en volume, je souhaite que la commission puisse examiner le rapport de MM. Daubresse et Hervé environ quinze jours avant cette échéance, soit le mercredi 3 mars.
À l'Assemblée nationale, ce texte a donné lieu à plusieurs centaines d'amendements en commission. Il faut donc s'attendre également au Sénat à un nombre important d'amendements. En conséquence, et prenant en compte la période de suspension de nos travaux en séance publique, je vous propose de fixer le délai limite de dépôt des amendements de commission le 19 février prochain, à 12 heures. Le délai limite de dépôt des amendements de séance, quant à lui, pourrait être fixé par la conférence des présidents au jeudi 11 mars.
Projet de loi confortant le respect des principes de la République - Audition de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, et P. Hugues de Woillemont, secrétaire général et porte-parole
M. François-Noël Buffet, président - Ce matin, nous auditionnons Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président, et le Père Hugues de Woillemont, secrétaire général et porte-parole de la Conférence des évêques de France, dans le cadre du projet de loi confortant les principes de la République, anciennement dénommé projet de loi « séparatisme ». Je vous cède la parole pour nous dire ce que vous pensez de ce texte.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France. - Je vous remercie de me permettre de m'exprimer devant vous. Il y a certainement dans ce texte un certain nombre de dispositions utiles et importantes, notamment sur les mutilations faites aux femmes, la polygamie et le mariage forcé. Nous sommes contents que l'Etat s'attaque à ces maux bien connus de notre société depuis un certain nombre d'années.
En revanche, il y a certaines dispositions qui nous étonnent, voire nous inquiètent. Lors de l'annonce de ce projet de loi début octobre, le Président de la République avait insisté sur la stratégie adoptée de rendre plus difficile la vie des associations loi du 1er juillet 1901 à objet cultuel et plus attractive les associations cultuelles de la loi du 9 décembre 1905.
Nous, catholiques, nous nous trouvions très bien dans le régime actuel tel qu'il est en vertu de la loi de 1905. Nos associations diocésaines sont des associations cultuelles, reconnues comme telles par le Conseil d'Etat, qui prend en compte la structure propre de l'Eglise catholique. Ce régime nous convient. Nous ne sommes pas demandeurs de modifications ou d'amélioration de la situation des associations cultuelles de 1905.
Je ne sais pas si les associations de 1901 à objet cultuel seront plus en difficulté dans leur fonctionnement. Les associations de 1905 ne sont pas rendues particulièrement plus attrayantes qu'elles n'étaient. Beaucoup de dispositions de ce texte auront pour résultat de rendre plus compliqué la vie de nos associations cultuelles. Nous disposons d'une association diocésaine par diocèse, soit environ une centaine d'associations en France. Ces structures ont des capacités d'action et d'organisation. Nos frères protestants ont une organisation différente, ils ont plusieurs milliers d'associations cultuelles, lesquelles sont gérées souvent par des personnes bénévoles comme un engagement personnel. On va leur compliquer la vie en ajoutant des dossiers à remplir et des procédures à suivre.
Ce qui nous gêne dans ce texte c'est le sentiment qu'il faudrait se méfier des citoyens français croyants, car certains ont des projets islamistes, communautaristes ou séparatistes. Ce projet de loi est essentiellement répressif et donne l'impression que les associations cultuelles de 1905 qui existent méritent de faire l'objet d'une surveillance particulière et sont contraintes de réaffirmer leur appartenance à la communauté nationale. Cela nous semble contraire à l'esprit annoncé au début du mois d'octobre.
La réserve principale que nous formons porte sur l'article 27 du projet de loi relatif à la déclaration réitérée de la qualité cultuelle. Le ministre de l'Intérieur avait annoncé sa tacite reconduction fixée par décret. Nous attendons d'en être certains. Le Conseil d'Etat avait suggéré qu'elle soit permanente et qu'elle soit contestée par le préfet s'il y avait des raisons. Le projet de loi prévoit de la reconduire tous les cinq ans. Nous avons eu la malheureuse expérience, à une époque où les préfets devaient donner leur accord à la réception des libéralités par une association cultuelle, de constater que les dossiers n'étaient pas traités dans les temps.
D'autres dispositions sur le patrimoine sont présentées comme une faveur ou une manière d'améliorer la situation des associations cultuelles de 1905. Je souhaite vous apporter les précisions suivantes. En 1905, aucune association en France ne pouvait détenir un patrimoine de rapport. Les associations cultuelles étaient au régime général des autres associations. Depuis 2014, il a été décidé que les associations pouvaient détenir un patrimoine de rapport. Pourquoi les associations cultuelles seraient-elles privées de la liberté de gestion reconnue à toute association ? Qu'ont de particulier les associations cultuelles qui feraient qu'elles fassent l'objet d'une loi différente ? Pourquoi ferions-nous l'objet d'une discrimination ? Comme ce sujet est mis sur la table, je vous précise qu'il ne s'agit pas d'un privilège ni d'un avantage mais simplement de nous mettre au droit commun tel qu'il est organisé dans notre pays.
Nous avons deux remarques sur l'article 6 du projet de loi qui prévoit un contrat d'engagement républicain. D'une part, l'Etat fixe les règles et nous devons obéir à la loi. Et d'autre part, il existe déjà une charte à laquelle les associations sont censées participer et des principes auxquelles les associations doivent souscrire. Rajouter un contrat montre la faiblesse de ce dispositif. Il faudra encore inventer un autre dispositif quand on aura épuisé celui-ci. Cette mesure va encore compliquer la vie des associations. On a l'impression que dès qu'une association est cultuelle, confessionnelle, elle serait à surveiller de plus près. Des députés ont proposé de rajouter à cette liste le principe de laïcité, avec l'inconvénient de la non-définition de ce principe. Il n'y a pas de problèmes s'il désigne la neutralité de l'Etat. En matière d'association, le Secours catholique ne doit-il plus être catholique, l'Entraide protestante plus protestante, le Comité catholique contre la faim et pour le développement plus catholique... ? La rédaction de l'article 6 ne répond pas à cette question et ne permet pas d'être en sécurité.
S'il y a bien des faits qu'il faut prévenir, des actes qu'il faut punir, et c'est de la responsabilité de l'État, nous avons le sentiment, partagé par l'ensemble des représentants des cultes, que pour lutter contre une pincée d'islamistes, c'est l'ensemble des citoyens croyants de notre pays qui vont voir l'organisation de leur confession alourdie et compliquée par des mesures répressives. Il ressort de ce projet de loi un sentiment de méfiance à l'égard des citoyens croyants. Qu'on le veuille ou non, une loi répressive ne peut que donner cette impression.
M. François-Noël Buffet, président. - Je donne la parole à Mesdames les rapporteures.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Vous parlez d'une loi répressive, je trouve qu'elle essaye plutôt d'organiser et de clarifier la situation. J'ai plusieurs remarques.
Vous parlez de la difficulté pour les associations cultuelles de faire cette déclaration au préfet, afin de faire bénéficier d'une déduction fiscale les donataires. Ces sommes servent pour vos oeuvres. Il est donc légitime qu'il y ait un contrôle. Aujourd'hui, vous êtes dans l'obligation de demander un rescrit fiscal pour avoir cette autorisation. Est-ce qu'il se renouvelle régulièrement ? La complexité de cette déclaration est-elle vraiment plus lourde que cette demande de rescrit ?
Concernant la loi « Gatel » sur les établissements privés hors contrat, jugée à l'époque liberticide, y a-t-il des conséquences sur l'enseignement catholique, des écoles fermées ou « martyrisée » par ce texte ?
Enfin, la notion de laïcité ne figure pas dans ce texte. On demande juste de respecter les valeurs de la République et non pas aux associations d'être laïques !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Nous avons entendu vos inquiétudes sur ce projet de loi. Ce texte n'est pas répressif, il essaye juste de faire face à une difficulté que nous rencontrons.
Vous vous interrogez sur la signature d'un engagement, prévu à l'article 6, c'est un engagement qui sera demandé à toutes les associations qui bénéficient d'une subvention publique.
Lors d'échanges inter-religieux, parlez-vous avec la communauté musulmane de ce combat que nous menons contre une partie de la population, avez-vous pu échanger pour trouver d'autres solutions, entre croyants ?
Mgr Éric de Moulins-Beaufort. - Concernant le rescrit, il est redemandé lorsqu'une association diocésaine n'a pas reçu de libéralités pendant cinq ans. Cela se pose rarement car nous avons la chance d'avoir des libéralités régulières. Je souligne juste la gêne que cela peut représenter pour d'autres cultes, comme les protestants qui ont une association cultuelle par lieux de culte et par conséquent moins de capacité d'administration que nous n'en avons. Je comprends parfaitement que l'Etat vérifie les déductions fiscales qu'il accorde. Il s'agit des oeuvres des catholiques, qui sont aussi citoyens français et qui paient aussi des impôts.
Sur les écoles hors contrat, l'enseignement catholique est organisé massivement sous contrat. Je passe mon temps à soutenir et vivifier cet enseignement catholique sous contrat. On est devant un principe plus large que ce que je peux représenter, qui est la question de la part de liberté et de responsabilité dans l'éducation des enfants que l'État donne aux parents. Il faudrait regarder pour chaque école ce qui s'est passé. Je comprends la problématique exprimée par le Président de la République et le Premier ministre sur la déscolarisation d'un certain nombre d'enfants qui camouffle le fait qu'ils vont dans des pseudos écoles.
Vous parlez d'une loi qui organise. Certes, mais elle organise des réalités qui marchaient très bien, qui ne pensaient pas avoir besoin de plus d'organisation.
Il faut faire dans notre pays une place aux citoyens musulmans. Il faut leur permettre de trouver un mode d'organisation dans notre pays.
Sur des considérations plus philosophiques, la séparation même entre l'Etat et les églises s'est réalisée dans une matrice chrétienne, un pays façonné par des siècles de christianisme. C'est le principe même de la religion chrétienne qui rend possible ce principe de séparation tel que nous l'avons conçu. Les musulmans n'ont pas vécu cette histoire et n'ont pas ce principe de séparation. Et nous avons du mal à faire entrer nos amis musulmans dans cette matrice. Il est nécessaire de les y aider. Je pense que cela sera bénéfique pour eux et pour la religion musulmane. Mais c'est un long parcours. Est-ce pour autant qu'il faut nous compliquer l'existence ? C'est ce dont vous devez décider.
Sur le principe de laïcité, il a été question de l'ajouter à l'article 6 lors des débats de l'Assemblée nationale. De fait l'article 6 s'applique à toutes les associations. Mais il vient ajouter encore des engagements. Nous sommes en France dans un régime de liberté d'association et c'est le climat global de notre société qui fait que les citoyens respectent les règles de la République et les lois de notre pays. C'est inquiétant d'avoir besoin de le réaffirmer dans une charte, par un contrat. Le seul intérêt du contrat sera la répression afin de punir ceux qui l'ont signé et pas respecté. Le défi devant lequel nous nous trouvons est de donner du sens aux règles de la République et de partager les valeurs républicaines.
Nous abordons cette question lors de nos échanges inter-religieux. Lors de la présentation du discours des Mureaux par le Président de la République, la réaction des trois responsables musulmans a été de considérer que cette loi allait les aider à lutter contre leurs propres intégristes. Mais le climat s'est transformé après l'assassinat de Samuel Paty autour de la question des caricatures, qui a donné aux concitoyens musulmans l'impression que l'on autorisait la République à se moquer de la foi musulmane. Ce texte a été compris par eux comme allant dans ce sens-là, renforçant le mépris de la foi musulmane. Nous avons assisté à un changement d'attitude globale à cause de cette exaltation de certaines caricatures. Pour ma part, je pense qu'il faut laisser la liberté aux caricaturistes même si les caricatures de Charlie Hebdo ne me paraissent pas représenter le sommet de l'esprit français, ni le meilleur de l'intelligence française telle qu'elle a pu se distiller pendant les siècles ! Cette affaire a changé la compréhension de l'équilibre de la loi par nos interlocuteurs musulmans.
Mme Nathalie Goulet. - Je suis plutôt très favorable à l'ensemble des dispositifs sur les associations même s'ils sont déclaratifs car on les réclame depuis longtemps. Je comprends que cela puisse créer une perturbation en raison du principe républicain d'égalité devant la loi. En même temps, on ne règle pas des problèmes par des discriminations dans l'application de la loi.
Pourriez-vous nous donner les modes de financement du culte catholique en France ? Y a-t-il des financements étrangers ?
Quel type de formation ont les prêtres étrangers qui viennent en France ? Avez-vous un contrôle sur leur formation ?
Mme Françoise Gatel. - Je vous remercie de votre franchise et d'avoir exprimé vos craintes sur ce texte. 1905 a été vécu par la religion catholique comme une atteinte à la liberté de culte et à ce qui a fondé notre société. En 2021, il y a également une interrogation de notre société sur les exigences de ce qui doit fonder la République et la pratique de ses convictions politiques, religieuses et philosophiques. Depuis 1905, un certain nombre de cultes vivent très bien avec la République et réciproquement. Nous avons aujourd'hui le détournement d'une religion qui s'est profondément développée et qui est victime de ceux qui la détourne à des fins de conquêtes sociétales et politiques ce qui a amené le Gouvernement à proposer ce texte.
Nous avons un effet collatéral de l'exigence de la République de se protéger contre des personnes qui souhaitent agresser notre société et qui font des pratiquants musulmans des victimes. Je comprends le désagrément. Mais y aura-t-il une entrave à votre liberté d'exercer votre culte d'ici quelques années ou cette exigence républicaine peut-elle servir à protéger l'ensemble des cultes ?
M. Jean-Pierre Sueur. - L'Église catholique a une longue histoire. Il lui est arrivé de considérer que la loi de l'Église était supérieur à la loi de l'Etat, de la République ou de la Royauté. Certains disent que le fanatisme est congénital aux religions. D'autres pensent que les religions peuvent vivre dans un cadre tout à fait rationnel. Comment peut-on lutter contre le fanatisme quand on voit des personnes dans l'incapacité de penser que la loi de la République est supérieure ou doit s'appliquer en toutes circonstances, quelques soient les considérations liées à la religion elle-même ? Quel est votre sentiment par rapport au financement des cultes par des nations étrangères ? Est-ce légitime ? Faut-il réguler cela, voire l'empêcher ?
M. Alain Richard. - Nous sommes tentés de verser dans l'histoire profonde sur un tel sujet. Mais pour revenir à la situation contemporaine, dans notre État de droit, toute liberté connaît des limites. La loi de 1905 fixe des limites dont l'essentiel se résume dans « l'ordre public », dont la République a la responsabilité. La République peut ainsi fixer un cadre à l'exercice des cultes. Et c'est un cadre allégé comparé à d'autres États dans des situations « concordataires » où les moyens attribués à la religion par la puissance publique se traduisent par une série de contrôles et de règles plus strictes. C'est ça l'équilibre entre la laïcité et la loi de 1905. Une évolution s'est produite au cours des dernières générations et je pense que la République n'exercera qu'une très légère modification des modalités de contrôle sur l'exercice de cette liberté. Il me semble que votre présentation était empreinte de subjectivité, Monseigneur. Votre rôle, quand vous vous exprimez au nom de l'Église est d'essayer de coller à la réalité des faits et des règles et de ne pas amplifier ce qui risque d'être une incompréhension. Il me semble que vous ne pouvez être que d'accord que cette fonction d'encadrement de l'exercice des cultes doit s'exercer dans des conditions identiques entre les cultes. Sur la difficulté du culte protestant de répondre à la règle de la déclaration périodique, dans les prérogatives d'organisation des religions, il n'est pas illégitime que l'État, pour exercer sa mission d'ordre public, adresse aux religions des recommandations ou des demandes quant à leur organisation interne. Et l'organisation interne de la confession musulmane est particulièrement défectueuse.
Sur la liberté de l'enseignement, elle a toujours subsisté depuis la Révolution et a toujours été encadrée. Il me semble que c'est au contraire un progrès que la définition des règles de l'enseignement à domicile soit assortie de principes qui garantissent l'intégrité de l'enfant. Le fait de s'assurer d'un minimum de capacité et de responsabilité des parents pour savoir s'ils sont en mesure d'assurer l'enseignement de leurs enfants me semble être un progrès.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je remercie l'intervenant de la nuance et de la subtilité de son propos. Pour ma part, je suis à la fois dans l'opposition au Gouvernement et au Sénat et nous ne sommes pas traditionnellement versés dans les sujets religieux. Je pense qu'il faut mettre un terme à une sorte « d'hypocrisie » : il ne s'agit pas d'entamer la liberté religieuse. En France, nous avons un problème avec une petite partie de ceux qui se revendiquent musulmans. Il peut y avoir de manière très marginale des soucis avec des membres d'autres religions, mais nous arrivons à y faire face et ils ne suscitent pas la même inquiétude en termes de violence dans la société.
Qu'imaginez-vous de pertinent, sachant qu'il est difficile d'appliquer un régime à une seule religion, et sachant que la liberté religieuse persiste ? Quelles sont vos préconisations ? Pouvez-vous nous aider à avancer sur la voie d'une solution ?
M. Philippe Bas. - Il me semble que la loi de 1905 offre déjà beaucoup de réponses, ce qui n'interdit pas un aménagement. La loi de 1905 comporte des obligations comptables pour les associations cultuelles, régie leurs ressources, leurs dépenses et leurs réserves et prévoit les contrôle du ministère des finances et de l'Inspection des finances, et la possibilité de leur dissolution en cas de non-respect de ces règles. Elle introduit la police des cultes fondée sur la nécessité de préserver l'ordre public. La violation des règles peut entraîner des sanctions. La loi de 1905 prévoit la surveillance des autorités dans l'intérêt de l'ordre public, elle interdit les réunions politiques dans les lieux de culte, les pressions sur qui que ce soit pour pratiquer ou non un culte, toute provocation directe à résister à l'exécution des lois ou à tout autre acte légal, le fait de soulever ou d'armer une partie des citoyens contre les autres, et de mettre en cause un citoyen chargé d'un service public. Elle assortit toutes ces interdictions de sanctions pénales qui peuvent être très lourdes, jusqu'à deux ans d'emprisonnement. Elle prévoit également la responsabilité civile des associations cultuelles dans lesquelles ces infractions seraient commises.
Au sens juridique du terme, la répression c'est d'établir des infractions et de permettre leur sanction pénale.
Avez-vous connaissance de poursuites exercées contre les ministres du culte catholique dans les précédentes décennies en application de ces dispositions ? Je ne pense pas qu'il y en ait.
C'est là que nous ouvrons le débat. Certains disent : si l'on veut lutter contre la subversion, l'idéologie politique qu'est l'islamisme, alors il faut imposer des règles à toutes les religions même celles qui ont trouvé un équilibre dans la République et qui ne subissent aucune poursuite. Je ne suis pas d'accord avec cette manière de voir. Je considère que pour lutter contre la subversion islamiste, on ne limite pas l'exercice d'un culte, on lutte contre une action politique qu'on a déjà les moyens de combattre dans la loi de 1905. Ces moyens ne sont pas utilisés ! Il faut interroger les ministres de l'intérieur et de la justice, avant d'apprécier les dispositions à prendre pour que ces moyens soient amplifiés contre ceux qui menacent la République.
À partir du moment où ce n'est plus la liberté de culte qui est visé, alors on rentre dans un domaine où l'on peut agir efficacement sans apporter des contraintes supplémentaires à l'exercice de tous les cultes.
M. André Reichardt. - Je pense qu'un des vrais problèmes de la religion musulmane est la montée de la radicalisation qui est due à l'absence de qualification d'un grand nombre d'imams. Or, le texte que nous examinons ne parle pas de la qualification des ministres du culte.
Que pensez-vous de l'inscription dans ce texte d'une exigence de qualification professionnelle pour les ministres du culte ?
Mgr Éric de Moulins-Beaufort. - Je vous remercie pour toutes ces questions qui vont me permettre de préciser mon propos. Je ne dis pas que cette loi va empêcher l'Église catholique de vivre. Néanmoins, elle représente une inflexion dans le traitement des cultes en France. Dans mon analyse qui rejoint certains de vos propos, il eut fallu ou il faudrait appliquer strictement la loi telle qu'elle existe. Un certain nombre de pratiques auraient pu être condamnées depuis longtemps comme le mariage forcé, la polygamie, l'excision...
Sur le mode de fonctionnement de l'Église catholique, elle vit à partir des dons des fidèles au cours de la messe, à l'occasion d'un sacrement et du denier de l'Église. L'Église de France ne reçoit aucune subvention de l'extérieure. C'est nous qui soutenons le Saint-Siège, par le denier de Saint-Pierre, et des diocèses étrangers, notamment en Afrique et en Asie. C'est dans ce sens-là que vont les flux financiers. Mais on ne peut jamais exclure de recevoir un don de la part d'un étranger. Nous n'avons aucune réserve sur le fait que cela puisse être contrôlé. L'expérience prouve que tout flux d'argent qui n'est pas surveillé, risque un jour de susciter un canal de dérivation !
En revanche, on peut s'interroger sur le fait que la liberté de gestion des dons ne soit pas respectée.
Nous avons également une autre source de financement importante avec les legs. Lorsque nous recevons des immeubles, nous sommes obligés de les vendre car nous n'en n'avons pas l'usage. Cet argent est placé et nous permet de garantir le paiement de nos salariés. Les comptes sont publiés et certifiés.
Concernant les prêtres étrangers qui viennent en France, ils ne sont pas des fonctionnaires de leur État d'origine, comme les imams, ils viennent dans le cadre d'une convention entre deux diocèses. Ils sont rémunérés comme les prêtres français et pris en charge par la Cavimac (Caisse d'assurance vieillesse, invalidité et maladies des cultes). Un certain nombre d'entre eux viennent pour faire en parallèle des études dans des instituts catholiques ou dans des universités et contribuent ainsi au rayonnement de notre pays. Leur formation est assurée dans des séminaires ou universités le plus souvent catholiques dans leur pays d'origine, à Rome ou en France. Nous organisons des sessions d'accueil et nous les insérons dans le tissu de nos paroisses. Nous n'exerçons pas de surveillance ou contrôle plus fort, ni moindre, sur eux que sur les prêtres de nos diocèses,.
Je n'ai pas d'objections aux exigences républicaines citées dans la loi Gatel. Nous sommes dans une situation où on ajoute des contraintes à celles qui existent déjà. Et, comme citoyen français, je regrette cette marque de faiblesse. Ce projet de loi n'a de sens que dans une action globale. Lorsque le Président de la République l'a annoncé dans son discours des Mureaux, il avait une analyse sociale afin d'enrichir la manière dont notre pays pouvait réintégrer un certain nombre de ces citoyens.
En 1905, l'épiscopat français est très content de cette loi de séparation et le lendemain du vote de cette loi, les évêques se sont réunis. Jusque-là ils ne pouvaient se réunir qu'avec l'autorisation du Gouvernement, sous peine de sanction. Le cadre de la loi de 1905 est beaucoup plus léger que celui qu'organisait le Concordat. De plus, assez vite, il y a eu le vote d'une loi étendant le congé dominical à l'ensemble des salariés, par une coalition de députés socialistes et catholiques. Que la population française ait réagit différemment à cette loi, c'est une chose, liée notamment à la pratique des inventaires. Je pense que la séparation était nécessaire et attendue. Ensuite, le Conseil d'État a permis une interprétation libérale de la loi dans l'esprit d'Aristide Briand. Nous sommes arrivés à un équilibre et je comprends que l'État français veuille encourager nos concitoyens musulmans à faire entrer dans ce cadre-là leurs institutions.
Pourquoi faut-il pour autant durcir le statut de 1905, où les associations sont déjà plus contraintes que les autres dans notre système français et dont il serait bon de faire respecter l'intégralité des dispositions existantes ?
Je dirai que le remède au fanatisme passe par la radicalité de la foi. La figure du chrétien le moins fanatique est François d'Assises. Il vit pleinement, radicalement sa foi chrétienne, et est capable de fraternité universelle. Davantage de vraie religion serait le remède plutôt qu'une idée fantasmée de la religion entretenue sur les réseaux sociaux.
Je n'ai pas de réserve pour que l'on contrôle les financements venant de pays étrangers. Aujourd'hui, certaines mosquées servent de prolongation de la politique intérieure d'un certain nombre de pays. Cela fait des décennies que cela existe et que l'on aurait pu lutter contre cela. La France a accordé des visas à des imams venant d'Algérie au moment même où ce pays refusait le moindre visa à tout chrétien identifié. La situation dans laquelle nous nous trouvons est aussi le résultat de ce que nous avons laissé faire. Je propose juste d'appliquer la loi telle qu'elle est.
Je suis très favorable à l'initiative du Gouvernement sur la formation des imams. L'exigence dans la loi d'une sorte de professionnalisation poserait la question suivante : la loi organiserait un culte avec le risque de voir les imams devenir des fonctionnaires de l'État. J'encourage nos concitoyens musulmans à s'organiser comme nous l'avons fait, sur la base associative, universitaire avec des centres de formation en lien avec les universités françaises. Je répugne à l'idée que l'État organise et fonctionnarise les ministres du culte musulman ou donne un statut, car on reviendrait à une forme de concordat. Il n'y a pas de statut du prêtre en France et nous exerçons notre activité sur la base des ressources que nous sommes capables de mobiliser de manière paisible dans notre pays.
M. Arnaud de Belenet. - Je souhaite revenir sur un point : l'État est légitime pour prévenir, endiguer et punir les troubles à l'ordre public. Ce qui pose problème, ce n'est pas les religions en France mais les conséquences de l'inorganisation d'une religion ! L'inorganisation de l'Islam en France, instrumentalisée par quelques fanatiques, pose problème. Pour contrecarrer cette inorganisation, le manque de formation des imams et des problématiques de financements étrangers, le projet de loi envisage un certain nombre de dispositifs dont vous nous avez dit votre insatisfaction car très répressive. Il est légitime que l'État ait une exigence d'organisation de ses interlocuteurs.
Est-ce que ce projet de loi tape à côté de l'objectif ? Avez-vous réfléchi à une alternative à ce dispositif législatif avec l'exigence d'un contrôle interne, notamment des financements par une structure qui puisse elle-même répondre aux exigences de formation ?
Mgr Éric de Moulins-Beaufort. - Je ne prétends pas tout savoir et tout décider et je ne suis pas chargé d'organiser la vie des musulmans en France ! Les gouvernements successifs s'y sont attelés et le CFCM (Conseil français du culte musulman) est un interlocuteur qu'il faut légitimer dans notre société. La charte des imams a été finalement acceptée. Nous sommes plutôt du côté du « soft power », il ne nous appartient pas d'exercer la loi. Mais qu'il faille aider les musulmans à s'organiser dans notre pays est certain. Ils se sont organisés autour des associations de 1901 et il faut les encourager à se tourner vers la loi de 1905 qui propose un régime déjà bien encadré.
M. François-Noël Buffet, président - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Projet de loi confortant le respect des principes de la République - Audition de M. Haïm Korsia, Grand Rabbin de France
M. François-Noël Buffet, président. - Nous accueillons maintenant M. Haïm Korsia, Grand Rabbin de France, que je remercie d'avoir accepté notre invitation. Mmes Vérien et Eustache-Brinio sont les deux rapporteures du projet de loi confortant le respect des principes de la République, la partie relative à l'éducation et au sport devant être examinée par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.
M. Haïm Korsia, Grand Rabbin de France. - À mon sens, un texte de cette nature n'a jamais été autant préparé en amont. Aussi, permettez-moi de remercier la représentation nationale et le Gouvernement d'y avoir associé les cultes - c'est une démarche saine et cette manière d'élaborer la loi est l'émanation de ce dont la société a besoin.
Vous fabriquez la loi et contribuez à la rendre effective. On a assassiné des gens en France, on a décapité un professeur. On ne peut pas rester sans rien faire, nous devons agir collectivement. Mes amis catholiques qui sont intervenus avant moi nous ont remis lundi dernier un texte portant sur leur engagement à lutter contre l'antisémitisme. Quelle nécessité avaient-ils de le faire ? Aucune. Ils se sont simplement dit que l'on devait prendre garde à ne pas s'habituer. Comme le disait Péguy, « il y a quelque chose de pire que d'avoir une âme même perverse. C'est d'avoir une âme habituée. » C'est dramatique si l'on commence à s'habituer à une forme de violence et que l'on compare le nombre d'attentats de l'année par rapport à la précédente pour savoir si tout va bien. Il faut agir. Et en France, quand on veut agir, on légifère.
Je suis favorable au rappel des principes républicains, à tel point que, dans les travaux préparatoires, j'ai suggéré de ne pas être dans une posture négative. Au départ, il devait s'agir d'une loi contre le séparatisme ; j'ai préconisé de trouver un intitulé faisant apparaître le terme « pour ». On mobilise toujours plus en étant pour quelque chose que contre. Faire quelque chose, c'est aller au-delà de la parole, s'engager dans l'action.
Permettez-moi dans cette enceinte de parler de la Bible en ayant à la main un stylo aux couleurs de la République : le peuple juif a dit au pied du mont Sinaï : « nous ferons et nous écouterons ! » C'est l'action qui démontre la vérité de nos proclamations. Et le temps de l'action est arrivé.
Ce projet de loi recherche une cohérence entre la loi de 1905 et celle de 1901. L'exercice du culte en France dépend de la loi de 1905, sauf pour ce qui concerne mes amis catholiques, avec la loi de 1907. Dans les faits, nombreux sont ceux qui exercent le culte sous le régime de la loi de 1901, sans aucune des contraintes de celle de 1905. Aussi, il faut être cohérent en la matière. Par contre, pourquoi certaines associations, telles que le Secours catholique, ne pourraient pas faire du social en étant sous la loi de 1905 ? Le social - donner aux pauvres : la tsedaka dans le judaïsme, la charité dans le christianisme, la zakât dans l'islam - ne relève-t-il pas du spirituel, du religieux ? À mes yeux, c'est le cas, et il serait logique d'élargir le champ de la loi de 1905 pour y inclure le social. Toutes les associations cultuelles instituées par la loi de 1905 ont créé des soeurs, des associations régies par la loi de 1901 pour faire du social.
Quoi qu'il en soit, la recherche de cohérence de l'État est légitime : toute association qui gère du culte sous la loi de 1901 doit subir les mêmes contraintes que les associations qui relèvent de la loi de 1905.
Par ailleurs, le principe du contrôle des flux financiers ne me gêne absolument pas. Les flux venant de l'étranger ne sont pas interdits ; ils sont contrôlés. La maire d'une grande ville du nord de la France le rappelle souvent : « quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup. »
Permettez-moi de reprendre votre questionnaire pour répondre aux questions que vous m'avez posées.
Oui, je partage le diagnostic que sous-tend ce projet de loi. Le diagnostic est clair et juste : il y a des pulsions séparatistes chez certains. Le Figaro de ce matin nomme d'ailleurs très clairement non seulement le séparatisme islamiste, mais plus précisément - ne faisons jamais d'amalgame avec l'islam organisé en France - les trois fédérations qui refusent de signer le pacte républicain. Dans la mesure où les noms sont publics, commençons donc déjà par régler ce problème.
Il faut faire cette loi. Elle doit être uniforme, mais avoir assez de finesse pour ne pas gêner ceux qui s'appliquent parfaitement à respecter tous les principes républicains.
Concernant la deuxième question portant sur la situation des associations qui organisent le culte au regard de la loi de 1905, je l'ai dit en préambule, il faut rechercher la cohérence entre celles-ci et celles qui relèvent du régime de la loi de 1901.
S'agissant des évolutions proposées en matière de droit des associations cultuelles, le travail réalisé en amont par les cultes a permis de faire en sorte que l'obligation de déclaration préalable de la qualité cultuelle auprès des préfets ne soit effective que pour les associations ayant moins de quinze ans d'existence. L'historicité des associations sera reconnue. Nul besoin pour la Fondation Casip-Cojasor, l'OEuvre de secours aux enfants (OSE) ou le Consistoire de justifier qu'ils restent fidèles à leurs objectifs. La devise du Consistoire « Religion et Patrie » ne laisse planer aucune ambiguïté.
Dans une grande démocratie, on doit respecter le principe du respect du droit quant au contrôle des financements. Je le répète, les financements étrangers ne sont pas interdits, il faut simplement informer de leur provenance.
La quatrième question porte sur le respect du « contrat d'engagement républicain » qui sera exigé de toutes les associations sollicitant l'octroi ou bénéficiant d'une subvention publique. Si j'étais à votre place, j'irais beaucoup plus loin encore. Il n'est pas nécessaire de recevoir des subventions de l'État pour être obligé de proclamer son engagement républicain. Il est inadmissible de refuser de signer un engagement républicain, comme s'il obérait notre liberté. Qui peut s'inscrire dans l'espace républicain sans adhérer à ses principes ? Pour ma part, je ne veux pas qu'on limite cet engagement aux seules associations recevant des subventions ; il doit être étendu à toute association.
Vous me demandez quelle appréciation je porte sur le régime de dissolution administrative des associations issu de la loi du 10 janvier 1936. Aujourd'hui, bien plus encore qu'à n'importe quelle autre époque, le principe de l'accountability dans les entreprises, c'est-à-dire celui de rendre des comptes, est au coeur de l'engagement citoyen. On ne peut pas faire des choses sans rendre des comptes. On parle de dispositif « anti-putsch », mais vous n'avez pas idée du niveau de démocratie dans les institutions juives. Il y a des joutes électorales, si cela ne va pas le juge décide, mais il y a des débats, des alternances.
Si l'action d'une association n'est pas en cohérence avec le bien commun, l'État doit la sanctionner comme n'importe quelle autre association et procéder à sa dissolution ou à la réorganisation de ses instances dirigeantes. C'est la garantie du bon fonctionnement des cultes, leur insertion parfaite dans une forme d'espérance républicaine. Jamais le Secours catholique, l'OSE, les caisses de secours protestantes ou musulmanes n'ont demandé un certificat de baptême à une personne qui demandait de l'aide. De même que, lorsque vous faites un don pour une association cultuelle, vous bénéficiez d'une défiscalisation à hauteur de 66 % parce que l'État a conscience qu'une partie de cet argent est consacré au bien commun. Il est normal que l'État sanctionne quand le comportement n'est pas cohérent avec le bien commun.
Oui, les mesures qui touchent à la police des cultes me semblent adaptées. On a dit qu'il était inadmissible de se voir imposer l'égalité entre les sexes dans les associations. Pour ma part, j'y suis favorable. Dans le Consistoire, des femmes sont présentes. Lors de ma prise de fonctions, j'ai choisi volontairement - et je l'ai dit publiquement - de faire shabbat, de passer tout un week-end, dans une communauté présidée par une femme. Il est formidable que les femmes s'engagent dans les instances communautaires. Jamais je n'ai lu dans la loi une disposition me laissant à penser que l'on m'imposerait, dans la gestion du culte, quelque chose qui soit contraire à la règle que je pense être celle de la religion juive. En revanche, dans le système associatif, on doit respecter l'intégralité des lois républicaines, notamment sur l'égalité hommes-femmes, un enjeu très important.
Vous me demandez si la notion de ministre des cultes me paraît suffisamment définie. Oui elle l'est dans la mesure où une communauté accepte une personne comme son dirigeant cultuel. Les communautés peuvent choisir un rabbin, elles doivent soumettre leur proposition à mon approbation, hormis quelques communautés très importantes où le système électoral est plus poussé. Veillons à ne pas considérer que le principe qui prévaut dans l'Église catholique est le même pour tous les cultes. La hiérarchie n'est pas exactement la même. Le judaïsme français a la chance d'avoir un système issu de Napoléon, c'est-à-dire un système pyramidal avec un Grand Rabbin de France, des rabbins régionaux et des rabbins locaux, mais ce n'est pas le cas partout.
Le projet de loi prévoit d'harmoniser les législations applicables encadrant les cultes sur le territoire national, notamment le droit applicable en Alsace-Moselle. Je reste prudent. Toucher aux spécificités de l'Alsace-Moselle revient à oublier notre histoire. Or notre histoire nous a structurés. D'ailleurs, pourquoi ne pas aligner le droit applicable outre-mer ? Mais la situation est différente à La Réunion et à Mayotte, par exemple. C'est un débat sans fin, d'autant que le budget de l'État n'est pas mis en péril. Ce projet de loi ne doit viser qu'à réaffirmer les choses essentielles pour nous, en vue de construire quelque chose ensemble.
On veut encadrer les religions pour éviter qu'elles ne soient un risque pour l'État. Mais tel n'est pas le cas. Aucun culte ne demande la suppression de la laïcité : nous sommes profondément laïcs. C'est la laïcité qui nous permet de dialoguer entre nous. D'ailleurs, ne devrait-on pas rappeler à l'article 1er de ce projet de loi le principe de liberté de pratique religieuse, qui est au coeur de ce qu'est la laïcité ? Oui à la neutralité de l'État, mais oui avant tout à la liberté de pratique religieuse.
Je sens parfois chez certains une volonté d'interprétation. Je prendrai l'exemple d'une caisse d'allocations familiales en banlieue parisienne qui refuse les bons de vacances aux familles qui envoient leurs enfants chez les scouts juifs en l'occurrence, mais il pourrait en être de même pour les scouts catholiques, unionistes ou musulmans. Or on ne saurait nier le bien commun de ces colonies de vacances - ce sont parfois les seules vacances de certains enfants. Il s'agit d'une interprétation non pas rigoriste, mais fallacieuse du terme « laïcité », et on en vient en réalité à décrire ce qui serait un État athée, ce que nous ne sommes pas. Il y a là, me semble-t-il, un risque.
À cet égard, je m'adresserai plus particulièrement à l'un d'entre vous ayant exercé en 1997 d'éminentes fonctions au ministère de la défense. Ce ministre avisé avait demandé au Contrôle général des armées de faire un audit pour connaître le coût des aumôniers. Conclusions : les aumôniers font un travail formidable ; il est nécessaire de mieux les soutenir ; ils sont extraordinaires en termes de liant social.
Si l'on était capable de réaffirmer le principe de liberté de pratique religieuse, on lèverait l'hypothèque selon laquelle ce texte viserait à coincer les religions qui sont fondamentalement contre la République. Par ailleurs, cela permettrait d'affirmer l'importance du tissu associatif sur le terrain. C'est parce que le tissu associatif a été brimé dans sa capacité à accompagner que des personnes en difficulté se sont tournées vers des associations qui, sous couvert de soutien scolaire ou d'offrir un goûter aux enfants, les endoctrinent, les coupent de leurs familles, les coupent de la société, les coupent de la République. Il faut impérativement redonner de la vitalité au tissu social que j'ai connu dans ma jeunesse. Les personnes qui font du lien social produisent plus d'espérance républicaine.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. - Merci pour la clarté de vos propos. Au début de votre intervention, vous avez rappelé les raisons pour lesquelles nous allons légiférer : les attentats, Samuel Paty, l'antisémitisme grandissant dans notre pays, qui est une réalité - pratiquement tous les enfants juifs ont quitté l'école de la République, il faut le reconnaître. C'est ensemble que nous arriverons à combattre tous ces fléaux.
Vos propos m'ont rassurée : globalement, ce texte vous convient, et vous ne vous sentez pas « menacé » dans votre foi et votre croyance - mais j'aimerais vous l'entendre dire, car c'est important pour nous. Vous l'avez rappelé, la liberté religieuse est nécessaire. Le tissu social dont vous avez parlé est effectivement une vraie nécessité. Il a été cassé ou il s'est diffusé différemment notamment parce que nous n'avons pas été très attentifs à notre politique de peuplement - c'est souvent, me semble-t-il, l'une des conséquences.
Merci sincèrement d'avoir conforté l'idée que notre République nous permet de vivre ensemble.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Merci de votre intervention. J'ai bien entendu que ce texte avait fait l'objet en amont d'une concertation avec les représentants des cultes. Vous parlez d'élargir la loi de 1905 à un objet social. Mais ne risque-t-on pas d'aboutir à un résultat inverse de celui qui est escompté, à savoir une nette séparation du cultuel et du culturel ? Le politique commence souvent par le culturel pour s'installer ensuite dans le cultuel. Cette séparation est, selon moi, le fondement qui permettrait de lutter contre le développement de l'islamisme. Mais je ne pense pas que l'on puisse lutter contre l'islamisme en tant que tel comme on lutterait contre le nazisme sans s'interroger sur la structuration même de l'islam. Par ailleurs, pourriez-vous nous expliquer comment sont désignés les rabbins ?
M. Haïm Korcia. - Oui, il faut faire cette loi, car elle est nécessaire. Simplement, avec la volonté de traiter les dérives inacceptables de certains, on risque parfois de toucher des associations et des systèmes religieux qui ont été vertueux depuis leur création. Je fais miens les propos de David Sintzheim, mon éminent prédécesseur, lorsqu'il avait répondu à Napoléon que, si la France était attaquée, il la défendrait « jusqu'à la mort ». Le contrôle préfectoral ne me gêne absolument pas. J'ai beaucoup moins confiance dans l'interprétation que certains pourraient faire de notre droit. Cette loi, en rappelant des principes républicains, pourrait aussi réaffirmer que nous sommes dans une république laïque, mais non athée. Je pense à l'exemple d'un marché passé par une collectivité et soumis au contrôle du préfet, car il prévoyait la possibilité de distribuer des colis casher aux personnes âgées, aussi bien musulmanes que juives : le préfet a eu l'intelligence de considérer qu'il valait mieux préciser « casher » dans l'appel d'offres au lieu d'employer une périphrase ridicule. Il faut parfois faire simple et rappeler les évidences !
La concertation en amont a été importante, et elle a permis de faire évoluer les projets. Une instrumentalisation de tout ce qui est social dans la loi de 1905 pourrait être un problème, mais dans les faits, on crée d'autres associations pour porter ces activités. Je suis favorable à une homogénéité du système : on ne peut pas considérer que notre seule façon d'aider ceux qui sont en difficulté est de prier pour eux. Permettez-moi maintenant de citer Bernard de Clairvaux : « La plus belle des prières sera l'oeuvre de vos mains. » Donner aux pauvres pourrait être aussi acceptable dans une association cultuelle. Je sais que certains s'échinent à mettre dans la loi de 1905 la gestion d'immeubles. Que l'on nous donne déjà des immeubles ; les legs, on verra après... Pour nous la question est théorique.
Concernant les rabbins, nous avons la chance d'avoir une école rabbinique à Paris depuis qu'elle a quitté Metz. Les rabbins français y sont formés, et certains postes sont obligatoires pour eux. Puis, si un manque se fait sentir dans telle ou telle communauté, on peut faire appel à d'autres personnes qui ont les compétences sans avoir forcément la reconnaissance académique, sous réserve qu'elles soient validées rétroactivement par une commission. Quoi qu'il en soit, aucune association du Consistoire ne peut nommer un rabbin sans validation de ma part. Avec le président du Consistoire central, Joël Mergui, nous sillonnons la France, échangeons avec les communautés locales et connaissons à peu près tous les besoins des uns et des autres. Il ne peut y avoir de rabbin autodésigné ; de toute façon, il s'insérerait dans une institution administrative répondant de la loi de 1901. Globalement, nous parvenons à imposer une sorte de « Yalta des rabbins ».
Mme Nathalie Goulet. - Merci beaucoup de votre intervention. La « prière pour la République française » dans toutes les synagogues, chaque samedi, c'est aussi un signe important. Le présent texte présente de nombreuses vertus en vue de maintenir notre pays dans la concorde. Je m'interroge néanmoins sur les revenus, éventuellement étrangers, dont vous êtes bénéficiaires, même si, je suis d'accord avec vous, il faut les recevoir avant de les gérer.
Quant aux hazzanim qui viendraient de l'étranger, ils doivent être soumis aux mêmes règles que les autres.
Alex Buchinger nous avait expliqué lors d'une audition précédente que la filière casher représentait environ 30 % des revenus du Consistoire. Pourriez-vous confirmer ce chiffre ou procéder à sa vérification afin que nous puissions savoir s'il a évolué ? Cela est très important pour le financement de l'islam en France.
Mme Esther Benbassa. - Merci de votre intervention claire et synthétique. Je voudrais revenir, comme l'a évoqué Mme Goulet, sur la loyauté à la République. La loi du Royaume est la loi - Dina Dé-malkhuta dina - : cette formule termine les prières dans le judaïsme. Vous avez parlé du judaïsme traditionnel que vous représentez, mais pas de la composante réformée et libérale du judaïsme. Or le culte juif s'est regroupé dans l'Union des associations cultuelles israélites de France et d'Algérie, parmi lesquelles figurait le Consistoire, qui désignait le conseil d'administration de chaque association culturelle depuis 1905.
On peut s'interroger sur ce modèle, dont la première école a été créée en 1829 à Metz, avant de déménager à Paris en 1883. Au XIXe siècle, les rabbins suivaient un enseignement des religions à l'École pratique des hautes études (EPHE), à la Sorbonne. Ce dispositif pourrait servir d'exemple aux imams dans la mesure il a favorisé le pluralisme religieux. Aujourd'hui, les rabbins du judaïsme libéral sont en général formés à l'étranger.
Quelle sera l'influence de cette nouvelle loi aussi bien sur le judaïsme traditionnel que sur le judaïsme libéral ?
M. Patrick Kanner. - Je remercie M. Haïm Korcia de son intervention, empreinte des lumières de la Révolution, des décisions de l'Empire et de l'humour de Pierre Dac.
Mme Goulet a rappelé la « prière pour la République française » à l'office du shabbat le samedi matin, prouvant l'attachement des communautés juives de France à nos principes républicains. Rappelons que c'est le Consistoire central - organe laïc - qui vous nomme, monsieur le Grand Rabbin, vous qui êtes le garant de l'unité des communautés.
Vous avez indiqué que l'organisation régalienne des religions serait le signe d'une République forte, mais qu'elle doit être bienveillante pour éviter les dérives. En tant qu'ancien ministre de la ville, j'ai vu les dégâts des prédateurs qui s'attaquent à des proies issues d'un terreau social défavorisé bien connu. Ce texte pourrait-il prospérer sans cette dimension sociale que vous avez évoquée et qui est annoncée mais pas concrétisée par le Gouvernement ? Il faut effectivement mettre en oeuvre une grande politique pour éviter les dérives locales.
Sur l'unité de la communauté et l'attachement à la République, je voudrais vous interroger sans agressivité aucune sur les tendances communautaristes qui existent aussi dans la communauté juive, notamment chez les Loubavitch, une communauté respectueuse des principes de la République mais dont le renfermement sur elle-même peut poser question.
M. Haïm Korcia. - Je m'échine à supplier les autres cultes, notamment l'islam, de faire réciter la prière pour la République, mais je ne voulais pas tirer la couverture à nous... Le communautarisme dans le judaïsme n'est pas possible, car nous affirmons dans les moments les plus sacrés que notre ambition est de vivre avec nos concitoyens. Et le prophète Jérémie incitait déjà à prier pour la paix du royaume parce que de sa paix dépend ta paix. D'ailleurs, dans les mariages juifs, on demande aux mariés de briser un verre, afin qu'ils sachent qu'ils ont l'obligation d'instiller du bonheur dans le monde. Aucun bonheur n'est complet s'il n'est pas très largement partagé.
Vous avez raison, cette prière est essentielle, car elle nous invite à agir pour la République. C'est pourquoi, après les attentats, j'ai proposé d'y inclure un passage en faveur de nos forces de l'ordre.
Les revenus étrangers sont tous déclarés. Par conséquent, cette question ne nous gêne pas et, en toute honnêteté, je ne vois pas qui pourrait être gêné. Pour le personnel non rabbinique, souvent des francophones qui sont partis en Israël et qui reviennent aider les communautés, il existe des garde-fous aux éventuelles tentations de prononcer des discours moins républicains : les associations et les fidèles. Un hazzan, un personnel communautaire qui tiendrait des propos déplacés se verrait immédiatement révoqué.
Les revenus du casher, qui avoisinent les 30 %, sont légèrement en baisse en raison des accords au sein de l'espace Schengen. Les musulmans sont en contact étroit avec les responsables de l'abattage rituel, nous aidons à former au bien-être animal et aux normes d'hygiène, et nous échangeons en vue d'une répartition équitable des droits d'abattage. Il faut notamment sécuriser le financement. Le Conseil français du culte musulman (CFCM) m'a fait part du fait que leur budget n'est que de 30 000 euros par an. C'est stupéfiant.
Vos propos relatifs à la dimension économique sont exacts, madame Benbassa. Je me permets toutefois de vous rappeler que l'école rabbinique a migré de Metz à Paris en 1859, et non en 1889. La vocation des rabbins qui y sont formés, comme l'a exposé le rabbin Bauer dans son livre intitulé L'école rabbinique de France, 1830-1930, était d'apprendre à parler français dans leur communauté. En 1860 est fondée l'Alliance israélite universelle, qui enseigne l'amour de la France et le français à des générations de jeunes au Maroc, en Algérie, en Syrie, etc. Nos rabbins ont vocation à rattacher la communauté à l'amour de la France, ce qui a posé quelques problèmes avec les jeunes rabbins de l'école rabbinique de la rue Vauquelin lors de leur arrivée en Algérie. Mais les décalages ont fini par s'estomper. Nous avons des échanges avec les associations républicaines et les rabbins, et je puis vous garantir qu'ils adhèrent totalement à la loi de l'État.
Monsieur Kanner, il n'y a aucune pulsion communautariste, y compris pour les Loubavitch et en dépit de leur côté très missionnaire. Ils chantent d'ailleurs des psaumes en reprenant l'air de la Marseillaise !
Oui, la dimension sociale est essentielle. Réaffirmer des principes sans se donner les moyens de nouvelles propositions, c'est souvent ce qui manque. La lutte contre le radicalisme suppose aussi de proposer un contre-discours, également sur internet d'où partent souvent les dérives.
Au niveau social, il faut être capable de reconnaître que certains se détournent de l'espérance républicaine. Pour cela, il convient de mettre en place un tissu social et d'octroyer des fonds aux associations au travers de la politique de la ville prévue dans le plan de relance, comme l'a annoncé le Gouvernement. Cela est vital, car le travail de proximité a été abandonné. Et la nature ayant horreur du vide, certains se sont engouffrés dans cette faille. Il faut collectivement répondre à l'attente de ceux qui ne peuvent que s'en remettre à la République.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - M. Korcia ne voit pas de difficulté quant au contrat d'engagement républicain, pas plus que sur les flux financiers. Il a exposé le mode de nomination des rabbins et le besoin de soutien social. Ces propos m'intriguent, car les représentants des autres cultes que nous avons entendus sont en revanche très inquiets de ce texte. Comment expliquez-vous cette différence d'appréciation ? Votre propre organisation permet-elle d'éviter les dérives qui nous préoccupent ? Quelle est votre appréciation des dérives musulmanes et des effets collatéraux de la loi ?
M. Loïc Hervé. - Vous avez insisté sur le fait que de nombreux croyants dans notre pays ne remettent nullement en cause les principes républicains. Le Domine, salvam fac Galliam devenu Domine, salvam fac Rempublicam par la suite, récité à Rome chaque année, procède de cette logique, Nathalie Goulet l'a rappelé à juste titre. Votre proposition d'introduire à l'article 1er la notion de liberté de culte me semble importante. Cela n'inclut pas seulement la liberté de conviction ou celle d'avoir sa propre foi, mais cela suppose la capacité de pratiquer librement sa religion. À cet égard, permettez-moi de citer l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. » Cet article comporte bien tous ces éléments : la foi, les convictions religieuses et la pratique religieuse. Aussi, il conviendrait de rappeler ce fil directeur dans ce texte - j'espère que les rapporteurs l'ont bien entendu.
M. Jean-Pierre Sueur. - Dans le droit fil de l'intervention de M. Hervé, je vous remercie de cet apport à l'article 1er. Comme l'a dit notre collègue, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la Constitution contiennent déjà de telles dispositions. Vous avez très peu critiqué ce texte. En quoi pourrait-il être perfectible ?
Par ailleurs, vous avez dit qu'il fallait lutter contre le radicalisme en disant des choses positives. Nathalie Goulet, André Reichardt et moi-même avons travaillé sur ce sujet : nombre de vendeurs de poudre de perlimpinpin promettent une déradicalisation au travers d'un stage de trois semaines ou après le visionnage de quelques vidéos ! Or quand quelqu'un a des idées radicales dans la tête, il y croit. Le sujet n'est pas simple ; on peut publier des textes sur internet, mais ils ne donneront pas forcément de grands résultats en pratique. Comment lutter de manière efficace contre la radicalisation ? Certes, on peut s'appuyer sur l'école publique, laïque et républicaine. Mais son emprise n'est peut-être pas assez forte aujourd'hui. C'est le vrai problème.
M. André Reichardt. - Comme j'en ai parlé aux représentants des cultes avant vous, rien ne figure dans ce texte sur la formation des ministres du culte. Or l'absence de qualification d'un grand nombre d'imams dans notre pays aboutit ou a déjà abouti à une certaine radicalisation d'une partie de leurs fidèles. Ne pensez-vous pas que devrait figurer dans ce texte une exigence de qualification des ministres du culte, ce qui supposerait de définir la notion de ministre du culte ? D'aucuns objectent que cela consisterait à organiser la religion. Je ne le pense pas ; seule une exigence de qualification serait inscrite, à charge pour les différentes religions de déterminer le niveau requis. C'est pour moi une question d'ordre public.
Ce texte, qui vise maintenant à conforter les valeurs républicaines, était initialement destiné à lutter contre les séparatismes et les dérives de l'islam politique. À cet égard, j'ai le sentiment que le compte n'y est pas. Même si des dispositions nouvelles concernent les associations, qui doivent rendre des comptes sur le plan financier, il reste de nombreuses opacités, notamment s'agissant de l'hallal et du hajj - le pèlerinage. Il faudrait agir en la matière.
Le fait que le Gouvernement n'ait pas voulu inscrire dans son projet de loi des dispositions concernant l'hallal n'est pas lié au casher, qui ne pose aucun souci en termes de transparence. Seriez-vous gêné si nous envisagions d'ajouter un élément de ce type dans le texte afin d'améliorer la transparence des flux financiers ? Et je m'associe à la demande de Jean-Pierre Sueur : quelles propositions supplémentaires pourriez-vous nous faire pour lutter contre le radicalisme religieux ?
Mme Françoise Gatel. - Je vous remercie de votre esprit de dialogue que vous savez toujours nourrir avec gravité, exigence et bienveillance. Ma question a trait au fait que, à cause d'une montée de l'antisémitisme, certains citoyens de confession ou de culture juive ont enlevé leurs enfants des écoles de la République pour se protéger. La raison n'est autre que la peur. Quel est votre constat sur ce sujet ?
M. Haïm Korsia. - Pour répondre à la question de Mme de La Gontrie, nous réaffirmons, semaine après semaine, les principes républicains. En effet, chaque fois que la République a été forte, le judaïsme a été serein. Et chaque fois que la République a flanché, la situation des juifs s'est compliquée. En 1880, lors de l'affaire Dreyfus, la République est fragile. Lors de la Première Guerre mondiale, les juifs se sont engagés de manière incroyable pour la défense de la République ; mais lorsqu'elle tombe en 1940, la situation des juifs devient catastrophique. L'équation est donc simple : République forte, judaïsme serein ; République fragile ou en danger, judaïsme en danger. Cela dénote effectivement une obsession républicaine que Pierre Birnbaum a bien cernée dans son livre intitulé Les Fous de la République. Je rappelle encore la devise du Consistoire : « Religion et Patrie. »
En réponse à la question du sénateur Loïc Hervé, la liberté de pratique religieuse est effectivement fondamentale, au moins autant que la liberté de conscience. La IIIe République disait que les juifs devaient vivre comme Français à l'extérieur et juifs à la maison. Mais nous sommes juifs partout. Chacun d'entre nous, par sa pratique religieuse ou son athéisme, apporte à la République, et nos gestes, nos engagements, notre pratique la construisent. On ne saurait donc la limiter à une sorte de liberté de conscience. Seul l'Éternel, oserai-je le dire ici, « sonde les reins et les coeurs ». C'est donc bien la liberté de pratique religieuse qui est importante, avec pour limite l'ordre public.
Vous avez raison, le respect des principes républicains figure dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à l'article 1er de la loi de 1905, mais si on doit rappeler des choses importantes, rappelons-le pour dire que les religions ne sont pas une menace pour la société. Nous avons besoin de construire ensemble avec les religions un espace de confiance - et j'espère que c'est ce qui découlera de cette loi.
Si l'on veut voir basculer toutes les associations cultuelles régies par la loi de 1901 vers le régime de la loi de 1905 par lequel les associations sont plus contrôlables et plus contrôlées, il faut donner des avantages. Joël Mergui, président du Consistoire central, propose que la défiscalisation des dons soit de 75 %. Vous pourriez trouver des incitations pour ce faire.
En ce qui concerne la radicalisation, vous avez tellement raison avec la poudre de perlimpinpin, le contre-discours n'est pas de déradicaliser les méchants, mais de les empêcher d'en radicaliser d'autres. Nous avons mis en place, avec la Fondation pour la mémoire de la Shoah, le projet Aladin, qui consiste à diffuser gratuitement sur internet des textes comme Si c'est un homme ou le Journal d'Anne Frank traduits en arabe, persan, ourdou pour que la jeunesse de ces pays voulant s'informer sur la Shoah puisse trouver ces textes plutôt que de tomber sur des contenus négationnistes.
Monsieur le sénateur Reichardt, en ce qui concerne la formation des ministres des cultes, vous avez raison, mais je sens que dans ce texte la volonté est de ne pas entrer dans la gestion interne des cultes. Or la formation c'est le coeur du coeur de métier des cultes. Oui il faut empêcher que l'on ait recours à des imams inadéquats. Mais on commence, le Président de la République a d'ailleurs annoncé que, en 2024, il n'y aura plus d'imams détenant des passeports diplomatiques d'autres pays - je sais que vous êtes très attentifs à cette question des passeports... Mais il faudra bien les remplacer par d'autres imams et, à cet égard, l'EPHE, l'Institut catholique et la faculté de Strasbourg auront un rôle à jouer. Les instances musulmanes sont-elles capables de produire de la formation d'imams ? Oui mais il faut les accompagner dans cette vocation.
En ce qui concerne les flux financiers, il s'agit de les diriger vers des instances communautaires et non vers des intérêts particuliers. Il n'y a pas besoin de loi pour contrôler ces flux financiers qui sont traçables. Le judaïsme a ainsi décidé que le produit de la viande casher devait aller à la communauté, dans une sorte de redistribution.
Mme Gatel soulève la question très douloureuse de l'absence d'enfants juifs dans l'école publique. C'est une réalité mise en lumière depuis 2002, notamment depuis la publication de l'ouvrage Les territoires perdus de la République dont on fait taire les auteurs, traités de tous les noms et qu'on accuse de briser le pacte républicain. Vingt ans après, on ne peut que constater le phénomène. Je comprends les parents qui mettent les enfants dans les établissements privés catholiques et je rends hommage à ces derniers qui accueillent ces enfants. Je crois profondément en l'école républicaine et, d'ailleurs, une école privée religieuse est aussi une école républicaine. Malgré le caractère propre de chaque école, on vit la même espérance républicaine et, dans la mesure où on la vit ensemble, on retrouve un espace de ce qu'est la République.
M. François-Noël Buffet, président - Nous vous remercions, monsieur le Grand Rabbin, de votre participation.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 22
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 11 h 28.
Proposition de loi relative à la sécurité globale - Audition de Mme Marie-Laure Denis, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL)
M. François-Noël Buffet, président - Nous accueillons Mme Marie-Laure Denis, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Je rappelle que la proposition de loi sur la sécurité globale, adoptée par l'Assemblée nationale, n'a pas fait l'objet d'un avis préalable du Conseil d'État, contrairement aux projets de loi du Gouvernement. De ce fait, lorsque nous avons été saisis de ce texte, le 24 novembre dernier, il m'a semblé utile de vous saisir d'une demande d'avis, eu égard aux enjeux de libertés individuelles et de respect de l'ordre public qu'il comporte. Cet avis a été rendu public ce matin et je vous remercie de venir nous l'exposer. Je vous laisse donc la parole, les rapporteurs du texte, Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé, ainsi que les autres membres de la commission, pourront ensuite vous interroger.
Mme Marie-Laure Denis, présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). - Je vous remercie de donner à la CNIL l'occasion de venir présenter, devant votre commission des lois, l'avis rendu par le collège sur la proposition de loi relative à la sécurité globale. Je suis accompagnée par Louis Dutheillet de Lamothe, secrétaire général de la CNIL, et par Émilie Seruga-Cau, cheffe du service des affaires régaliennes et des collectivités territoriales.
Permettez-moi de souligner le caractère novateur de votre démarche. C'est en effet la première fois qu'il est fait usage des nouvelles dispositions de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978, introduites par la loi du 20 juin 2018, qui a donné la faculté au Président de l'Assemblée nationale, au Président du Sénat, aux présidents des commissions permanentes ou au président d'un groupe parlementaire de ces assemblées de saisir la CNIL, pour avis, sur une proposition de loi. Je crois que c'était particulièrement opportun sur ce texte.
En effet, il contient plusieurs dispositions qui relèvent de notre compétence et qui soulèvent de significatifs enjeux juridiques, techniques, mais aussi éthiques. Nous avons souligné, dans notre délibération, les implications éthiques attachées au déploiement d'outils présentant intrinsèquement des risques d'atteinte aux libertés publiques et à la vie privée des individus.
Dans l'analyse développée dans notre avis, nous nous sommes attachés à la recherche de l'équilibre le plus respectueux des intérêts en cause : préserver les finalités légitimes de la sécurité publique tout en garantissant la protection de la vie privée. J'insiste sur le fait que c'est naturellement au Parlement qu'il revient de retenir, ou non, une finalité, par un choix qui est de nature politique. Nous nous sommes attachés à vérifier si les finalités prévues par la proposition de loi répondent à certaines exigences juridiques pour nous assurer qu'elles sont suffisamment précises et que l'usage des drones ou d'autres formes de captations vidéo est proportionné et suffisamment encadré.
À cet égard, je voudrais souligner trois points avant d'entrer dans les détails de notre analyse. Tout d'abord, la CNIL salue le fait que soit discuté un encadrement législatif de ces systèmes qui, jusqu'à présent, n'en disposaient pas, s'agissant des caméras aéroportées - plus couramment appelées drones, même si la notion ainsi désignée est réductrice. Depuis plusieurs années, la CNIL appelait de ses voeux un tel encadrement. L'encadrement de l'ensemble des dispositifs de vidéoprotection, et pas des seuls drones, demeure incomplet puisque les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives à la vidéoprotection sont en partie obsolètes depuis l'entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD) et méritent d'être globalement repensées.
Ensuite, nous constatons que le recours, accentué ces dernières années, à des dispositifs technologiques de plus en plus performants, en particulier dans le domaine de la vidéo, est décidé sans que l'efficacité de ces systèmes ait été démontrée ni que ces dispositifs aient fait l'objet d'une évaluation rigoureuse.
Enfin, je précise que je n'aborderai pas - et l'avis de la CNIL non plus - la totalité des sujets inscrits dans la proposition de loi ; nous nous sommes concentrés sur ce qui relève de nos compétences. Ainsi, s'agissant de l'article 24 relatif à la pénalisation de la diffusion d'images des forces de l'ordre dans le but manifeste qu'il soit porté atteinte à leur intégrité physique ou psychique, notre avis ne s'est pas étendu sur un dispositif principalement appréhendé sous l'angle pénal, même si nous rappelons que l'enregistrement et la diffusion des images captées dans ce cadre constituent un traitement de données à caractère personnel.
Le sujet qui a suscité l'attention particulière du collège de la CNIL est celui des caméras aéroportées. En l'état actuel, l'encadrement juridique est inexistant, alors que le choix de recourir à ce dispositif soulève des enjeux substantiels en matière de vie privée et pour l'exercice d'autres libertés fondamentales. Il ne faut pas sous-estimer les difficultés qu'il y a à transposer aux drones les règles applicables à des systèmes de vidéoprotection classiques. Les drones sont tout sauf anodins : en effet, les caméras aéroportées sont, par nature, discrètes, mobiles et furtives. Leur position en hauteur permet de filmer des lieux qui, jusqu'ici, étaient difficiles d'accès. La captation d'images est dont considérablement élargie et peut être individualisée, permettant même le suivi des personnes.
Les drones permettent ainsi, en théorie, l'identification de toute personne circulant dans l'espace public, alors même que cet espace public est le lieu où s'exercent de nombreuses libertés publiques et individuelles. Enfin, s'ils peuvent incontestablement être utilisés pour des finalités légitimes, il faut aussi tenir compte de ce que peut ressentir le citoyen qui les aperçoit au-dessus de lui. Ce changement de paradigme participe des débats plus larges autour de la société de surveillance et j'insiste sur la nécessité de traiter le sujet méthodiquement, en déterminant d'abord précisément les finalités pour lesquelles on accepte de recourir à des drones, en s'assurant, pour chacune de ces finalités, que les circonstances précises des missions menées justifient l'emploi de ces dispositifs et, enfin, en s'attachant à prévoir les garanties appropriées à mettre en oeuvre.
J'en viens maintenant à la liste des finalités pour lesquelles la proposition de loi prévoit que les drones pourront être utilisés. S'agissant, tout d'abord, de celle visant « au constat et à la poursuite d'infractions », la CNIL estime que la proposition de loi ou les dispositions réglementaires qui en découleront doivent impérativement définir plus précisément les infractions susceptibles de justifier l'utilisation des caméras aéroportées. Le drone est-il vraiment utile à la lutte contre toutes les infractions prévues par le code pénal, ou seulement pour certaines d'entre elles ? La deuxième exigence est celle de la proportionnalité : est-il raisonnable de recourir à l'identification par drone de toute personne se trouvant dans la rue pour constater de simples contraventions de cinquième classe ? Une autre finalité prévue par le texte est celle de la surveillance des rassemblements de personnes, particulièrement délicate puisqu'elle intervient dans le champ de l'exercice de la liberté de manifester. La CNIL estime, à cet égard, que des critères plus resserrés doivent être prévus, notamment en ce qui concerne la condition de risques de troubles graves à l'ordre public.
Pour d'autres finalités, le recours aux drones n'apparaît pas clairement justifié. Il en va ainsi pour les objectifs rédigés de manière générique comme « la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords » ou « le secours aux personnes ». Les formulations mériteraient d'être restreintes : il peut paraître plus justifié de recourir à ce dispositif intrusif pour protéger, par exemple, le site du Sénat ou celui de l'Élysée, que pour assurer la sécurité des abords immédiats du musée de la vie romantique à Paris...
Il en va de même de la « surveillance des littoraux et des zones frontalières » : la CNIL estime qu'il convient de ne pas se limiter à définir la finalité en mentionnant tout type de surveillance sur une zone géographique donnée, mais d'indiquer à quelle fin cette surveillance par drone pourrait être déployée aux frontières.
Certaines finalités méritent aussi d'être explicitées, comme celle relative à la prévention des risques naturels et technologiques, afin de démontrer la nécessité du recours aux drones. Il conviendrait d'en restreindre l'utilisation à des types de situations dans lesquelles les circonstances de l'intervention le justifient, par exemple pour accéder à des lieux difficiles ou présentant un danger particulier.
Par ailleurs, une seconde réserve nous semble s'imposer : pour les usages pour lesquels la nécessité est établie, il convient de s'assurer que les circonstances précises des missions menées justifient l'emploi de ces dispositifs. À une même finalité abstraite correspondent en effet de nombreux cas d'usage concret possibles, dont certains ne justifient pas le recours aux drones.
Il ne s'agit pas de prévoir l'ensemble des cas de figure dans la loi ou dans le décret, mais nous suggérons que les précisions normatives qui pourront être apportées s'accompagnent de la publication, par les responsables de traitement, d'une doctrine d'usage des drones établie à l'intention des services pour les guider, afin de déterminer les cas dans lesquels il est proportionné de recourir à des drones.
En outre, la CNIL estime que des garanties complémentaires pour la mise en oeuvre de ces drones devront être apportées dans le décret en Conseil d'État qui nous sera soumis pour avis. Des garanties techniques devront, en particulier, être prévues, afin de s'assurer de l'absence de possibilité d'identification ou d'enregistrement pour certains usages qui ne nécessitent pas de procéder à l'identification des personnes, comme la régulation des flux de transport.
Enfin, et c'est un point important, le collège de la CNIL invite le législateur à conditionner l'utilisation des caméras aéroportées à une expérimentation préalable dont la durée serait limitée dans le temps et dont il conviendrait de tirer toutes les conséquences dans un bilan qui serait transmis au Parlement, et dont la CNIL serait également destinataire.
J'en viens aux autres technologies abordées dans la proposition de loi. Tout d'abord, les caméras individuelles des forces de l'ordre. Ces dispositifs ne sont pas nouveaux pour la CNIL, qui a eu l'occasion de les examiner à plusieurs reprises. Un point d'attention concerne la nouvelle finalité, introduite par ce texte, les images pouvant être utilisées pour « informer le public sur les circonstances de l'intervention ». La CNIL comprend qu'il peut y avoir là une utilité pour permettre une forme de transparence sur les conditions d'intervention des forces de l'ordre, en particulier lorsqu'elles sont mises en cause. Cependant, il n'est pas anodin de diffuser publiquement des images prises, généralement dans l'espace public, qui plus est dans les circonstances d'une intervention policière. Il faudrait donc davantage préciser les motifs qui justifient cette diffusion, et prévoir des garanties plus précises, notamment pour flouter ce qui peut l'être.
Autre changement : la possibilité désormais offerte aux agents de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la police municipale d'accéder directement aux enregistrements auxquels ils procèdent dans le cadre d'une procédure judiciaire ou d'une intervention. Une telle modification paraît légitime dans le cas d'une procédure judiciaire afin, par exemple, d'établir un rapport aussi précis que possible, mais pas nécessairement dans tous les cas de figure. La CNIL insiste aussi sur la nécessité de préserver la sécurité et l'intégrité des images transmises et de s'assurer que celles-ci ne feront pas l'objet d'une visualisation sans motif légitime, ni d'une modification ni d'une suppression. Si l'on considère la vidéoprotection dans son ensemble, nous observons une extension des accès à ces images, ce qui doit conduire à maintenir des garanties techniques fortes, comme des accès restreints ou des habilitations strictes.
La proposition de loi modifie le code de la construction et de l'habitation, pour permettre de collecter de manière plus large les images des systèmes installés dans les parties communes des immeubles collectifs à usage d'habitation. La CNIL s'est interrogée sur les insuffisances du dispositif actuel qui justifieraient un tel élargissement des modalités de transmission des images aux forces de l'ordre, la transmission n'étant désormais plus subordonnée à un certain niveau de gravité des événements rencontrés. En tout état de cause, il conviendrait de prévoir que la durée de cette transmission n'excède pas celle qui est effectivement prévue pour permettre l'intervention des forces de l'ordre, afin de ne pas risquer de placer sous surveillance continue les parties communes des habitations.
Une autre modification envisagée par ce texte porte sur le visionnage en temps réel des images des systèmes vidéo de la SNCF et de la RATP : la CNIL demande qu'il soit limité à des cas précisément définis et présentant un degré de gravité suffisant.
En conclusion, permettez-moi de dire que la CNIL se montrera particulièrement vigilante sur les conditions effectives de mise en oeuvre des dispositions législatives qui seront votées, que ce soit au travers de l'examen des dispositions réglementaires qui lui seront soumises ou dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs de contrôle.
Le collège de la CNIL, dans son avis, a fait un ensemble de suggestions précises pour apporter un éclairage au Parlement et nous nous réjouissons beaucoup que ce débat puisse avoir lieu. Si les finalités poursuivies sont légitimes, les technologies dont il est question, notamment le recours aux drones, sont intrinsèquement intrusives. Nous appelons donc à une vigilance particulière sur la nécessaire robustesse du socle minimal de garanties à apporter pour protéger au mieux la vie privée.
M. Loïc Hervé, rapporteur. - Merci pour votre travail, qui éclaire grandement notre travail en commission ainsi que le débat public sur ces questions importantes. À ce titre, l'avis de la CNIL est très précieux pour nous.
On constate déjà en pratique que les forces de l'ordre utilisent des drones et des équipements achetés hors de tout cadre juridique. J'ai peur, dans ce domaine, que le travail d'encadrement juridique du législateur ne soit rapidement dépassé par l'avancée technologique. Quand on connaît les capacités de miniaturisation et de reconnaissance faciale, comment le législateur peut-il avoir une capacité d'anticipation suffisante des évolutions des usages ? Le risque est d'arriver après la bataille, le Conseil d'État étant alors contraint de bloquer l'utilisation des drones du fait de l'absence de cadre législatif. Comment pensez-vous que nous puissions être davantage prospectifs, de manière à faire évoluer la loi en intégrant par avance ces possibles innovations futures ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur - Je remercie la présidente de la CNIL pour l'intérêt et la densité de son avis, tout à fait utile pour notre travail sur cette loi. Vous évoquez brièvement l'article 24 puisqu'il relève surtout du champ de la liberté d'information. Pensez-vous que les dispositifs actuels régissant la protection et la diffusion des images tournées à l'insu de personnes sont suffisants pour protéger notamment les policiers ? Si oui, faut-il aller plus loin ? Par ailleurs, vous dites que plusieurs nouveaux acteurs vont intervenir dans la sécurité globale, à la fois des policiers municipaux, des membres de sécurité privée, des gardes champêtres, etc. Doit-on mieux encadrer leur capacité à lire des images ? Comment articuler ces dispositifs ?
Mme Marie-Laure Denis - En réponse à la question de Loïc Hervé, des commandes de drones ont été passées, mais, d'après le ministre de l'intérieur, ces achats ont cessé justement compte tenu de l'absence de cadre juridique. Vous avez pointé le vrai sujet permanent de la régulation dans nos domaines, qui est de ne pas arriver après la bataille. Il existe des principes et des garanties qui, lorsqu'ils sont suffisamment souples et forts, permettent, sur le moyen terme, de prévenir un certain nombre d'usages que nous ne souhaitons pas voir se développer. En matière de reconnaissance faciale par exemple, le collège de la CNIL a bien explicitement noté que, dans la mesure où la reconnaissance faciale ou la captation du son ne sont pas mentionnées dans le texte de la proposition de loi, leurs usages restent prohibés.
La manière de répondre à cette problématique n'est donc pas nécessairement de lister précisément tous les usages, mais plutôt de pouvoir s'adapter. C'est la raison pour laquelle nous appelons à ce qu'il y ait d'abord une expérimentation, une évaluation rigoureuse puis une doctrine d'usage qui, par définition, dépendrait du responsable de traitement et pourrait évoluer. Vous avez rappelé que la technologie évolue très vite : l'intelligence artificielle permettra, probablement dans des délais assez proches, de revenir sur un floutage. L'une des réflexions du collège de la CNIL est, à ce titre, qu'il faut être très attentifs aux conditions de formation des opérateurs de ces drones, notamment en matière de protection des données. Il s'agit d'avoir un certain nombre de lignes directrices, afin que l'identification des personnes dans l'espace public soit réservée aux cas pour lesquels cette finalité est nécessaire.
Ce peut être le cas quand il s'agit de prévenir et de poursuivre les auteurs d'infractions, mais l'est-ce pour réguler les flux de transport ou prévenir les risques technologiques ou naturels ? Je n'en suis pas convaincue. Je pense qu'il y a un travail de détail à faire autour de socles de garanties qui seraient déclinées. En l'espèce, on n'arrive pas tout à fait après la bataille, notamment pour l'utilisation des drones, qui a été interrompue par le Conseil d'État et par la CNIL. Je pense donc qu'au contraire, toutes les parties prenantes sont assez mobilisées quant à ces usages. La loi informatique et libertés ne permet pas des traitements de police sans l'intervention d'un texte, et je me réjouis de l'encadrement qui va intervenir pour l'usage des drones par les forces de l'ordre.
Pour tenter de répondre à Marc-Philippe Daubresse sur l'article 24 de la proposition de loi, il est vrai que la CNIL, consciente des compétences qui sont les siennes, n'a pas fait de longs développements sur ce sujet, qui concerne principalement la liberté d'expression et donc des autorités plus compétentes que nous sur le sujet. En revanche, le collège de la CNIL a pointé le fait que l'enregistrement et la diffusion d'images ou de tout élément identifiant des membres des forces de l'ordre constituent des traitements de données à caractère personnel. C'est pourquoi leur éventuelle diffusion, dans le seul but de nuire à l'intégrité physique ou psychique des policiers, ne constituerait pas, indépendamment de toute considération pénale, une finalité légitime au sens de la loi informatique et libertés.
M. Jérôme Durain. - Je vous remercie, madame, pour votre avis extrêmement riche qui appelle à la nuance - un cas d'agression raciste a encore été révélé, dans ma région, par des images de vidéo-surveillance - tout en étant quelque peu vertigineux par le champ gigantesque des questions qu'il pose. Cela m'amène à me demander si la loi relative à la sécurité globale suffira à répondre à tous ces sujets.
Si j'avais l'oeil sombre, je verrais, dans ce que vous nous avez transmis, à la fois un risque de banalisation de la captation, de flou sur les finalités, d'imprécision des garanties et de complexité des régimes d'accès aux images. Sur ce dernier point, je voudrais faire référence à une affaire, rapportée par Mediapart, de jeunes gens interpellés par la police et ayant fait figure d'accusés pendant dix-huit mois jusqu'à ce qu'à l'audience, les images prouvent leur innocence et une incorrection dans les actions des policiers.
Pensez-vous que l'effectivité de l'accès aux images est aujourd'hui garantie, et qu'elle est suffisante ? N'y a-t-il pas beaucoup de progrès à faire dans l'accès aux images par les personnes concernées ? Le devenir de toutes ces images captées par différents moyens me semble être un des sujets centraux de nos débats à venir.
Mme Marie-Laure Denis - La CNIL est particulièrement vigilante sur l'effectivité de l'accès aux images et produit de longs développements sur ces sujets. Si j'ai bien compris le sens de votre intervention, vous insistez sur la nécessaire transparence des informations qui peuvent être diffusées via des images collectées par la vidéo. L'avis de la CNIL ne critique pas du tout la nécessité de cette transparence et vous aurez remarqué, à propos des caméras individuelles ou de caméras-piétons, qu'il est prévu que ces images soient diffusées dans un but d'information du public sur les circonstances de l'information. Nous souhaitons préciser ces circonstances, mais l'on peut comprendre que cela participe d'une relation de plus grande confiance entre les forces de l'ordre et la population.
Cela permet de sortir de la culture de l'extrait qui prévaut sur les réseaux sociaux. Nous n'avons donc pas d'opposition sur le principe. La question est celle de l'intégrité des images, qui sont susceptibles de servir de justification ou de preuve. Il faudra veiller à ce qu'un règlement précise les procédés techniques afin de s'assurer que ces images ne puissent pas faire l'objet de modifications et que l'on sache qui y a accédé. Comme en matière de sécurité, il y a donc un continuum entre les dispositions législatives et réglementaires, le contrôle de la CNIL et la pratique, sur lequel nous devons être vigilants. Le régime de la vidéoprotection contient un régime d'accès aux images protecteur dont nous pouvons nous inspirer.
M. Alain Richard. - L'usage des drones va certainement se développer fortement. Nous voyons les limites des caméras fixes, tant au regard des objectifs de politique judiciaire qu'administrative, dont la moindre n'est pas leur fragilité physique lorsqu'elles sont installées à proximité de lieux de délinquance organisée - leur durée de vie n'excède généralement pas, dans ce cas, une semaine !
Les drones peuvent aussi être utiles dans le cadre des atteintes à l'environnement, qui ont lieu dans des espaces inoccupés, par définition, et sans caméras fixes. Les élus locaux ont à gérer des situations conflictuelles, et souvent infructueuses, liées à des dépôts sauvages ou à des rejets illicites, dont la preuve est difficile à apporter. Le drone pourrait sans doute fournir une solution.
La durée de conservation de deux semaines est très limitative dans le quotidien de la police judiciaire. Il faut du temps pour mettre en route la procédure, désigner un enquêteur, vérifier l'appréciation initiale de l'importance des faits, et finalement la première demande de consultation des images par le commissariat ou la brigade de gendarmerie n'arrive bien souvent que le seizième jour... Une prolongation à trois semaines de la durée de conservation initiale de ces vidéos ne serait-elle pas utile ?
Mme Marie-Laure Denis. - Les drones vont sans doute progressivement se substituer aux caméras fixes, mais il faut avoir conscience que leurs effets sur la vie privée sont très différents.
L'usage que vous envisagez pour les atteintes à l'environnement me semble pouvoir entrer dans la finalité relative à la recherche des infractions et à la poursuite de leurs auteurs, à laquelle la CNIL ne trouve rien à redire. Encore faut-il sans doute définir plus précisément la catégorie des infractions visées : si le drone peut être utile pour identifier les auteurs de dépôts sauvages, son usage ne s'impose sans doute pas pour une infraction de stationnement ou un jet de papier dans la rue... Le législateur a, d'ailleurs, déjà prévu l'usage de la vidéo dans certaines lois, comme la loi relative à la lutte contre le gaspillage, selon des modalités prévues par des décrets qui sont soumis pour avis à la CNIL.
La CNIL veille au respect des principes de nécessité et de proportionnalité, protecteurs de la vie privée. Nous nous efforçons ainsi, dans tous les cas, d'apprécier si la durée de conservation est proportionnée à la finalité poursuivie ; dans de nombreux cas, elle est très supérieure à la durée que vous avez évoquée. Il appartiendra au décret de préciser la durée.
M. Alain Richard. - Cela relève du règlement ?
Mme Émilie Seruga-Ca, cheffe du service des affaires régaliennes et des collectivités territoriales de la CNIL. - Le code de la sécurité intérieure prévoit une durée de conservation de 30 jours maximum pour les images issues des dispositifs de vidéoprotection, sauf exception, comme l'exception judiciaire. En ce qui concerne la proposition de loi, l'examen de la durée de conservation s'effectuera au regard des finalités poursuivies, en appréciant le respect du principe de proportionnalité.
M. Louis Dutheillet de Lamothe, secrétaire général de la CNIL. - La fixation de la durée relève, en principe, du règlement, pour les traitements relevant de l'article 31 de la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dont les finalités correspondent aux actions des services de police ou de justice. Le législateur a prévu de nombreuses garanties pour la vidéoprotection et certaines règles ont même été inscrites dans la loi : celle-ci fixe ainsi la durée maximale de conservation. Cette proposition de loi ne va pas dans ce sens pour les caméras aéroportées, et renvoie au droit commun... mais le Sénat pourrait très bien imposer une durée maximale de conservation des images issues de drones.
M. Henri Leroy. - De nombreuses communes se sont déjà équipées de drones, ne serait-ce que pour surveiller les massifs forestiers, lutter contre les incendies ou prévenir les inondations, etc. Ils sont très utiles, d'autant plus que les particuliers ne se privent pas de les utiliser. La plupart des mairies qui se sont dotées de caméras fixes floutent les images lorsqu'elles sont proches d'une ouverture privée ou d'une entrée d'immeuble. Elles sont très utiles dans le cadre des interventions contre des crimes, des délits ou des infractions de 5e classe. Les images ne sont accessibles qu'aux officiers de police judiciaire en cas de crime ou de délit et sont utilisées sous la responsabilité du procureur de la République. Quant aux caméras-piétons, il convient de fixer les règles rapidement, car de nombreuses communes s'en sont dotées aussi. Elles sont déclenchées par le porteur de la caméra en cas de conflit avec un citoyen ; là encore, c'est l'officier de police judiciaire territorialement compétent, nommé par le procureur de la République, qui peut utiliser ces images, et non le maire, pour fournir des preuves en cas de délit ou d'injures, etc. Elles constituent aussi une aide précieuse pour les commandements des forces de l'ordre pour mieux redéployer les effectifs en fonction des besoins. Il est urgent de légiférer sur le sujet, l'attente des maires est forte. Les drones permettent de gagner du temps, de mobiliser moins d'effectifs, de manière plus efficace.
Mme Marie-Laure Denis. - Il n'y a pas de fondement légal à l'usage de caméras aéroportées par les collectivités territoriales et le texte est muet sur le sujet. La décision de la formation restreinte de la CNIL en décembre dernier ne concernait que les drones mis en oeuvre par le ministre de l'intérieur. Dans son avis sur la proposition de loi, le Conseil d'État a précisé qu'il n'existait pas de fondement juridique à l'usage des drones tant par les autorités publiques que par les collectivités territoriales et l'article 22 de la proposition de loi ne vise pas les collectivités territoriales.
Notre avis sur les caméras mobiles était équilibré : sans méconnaître l'utilité du dispositif, nous alertons sur les atteintes potentielles à la vie privée pour mieux encadrer les usages, vérifier la proportionnalité des mesures envisagées au regard des finalités poursuivies.
M. Jean-Yves Leconte. - Trois décrets parus le 4 décembre dernier après avis de la CNIL ont élargi le champ de trois fichiers de renseignement du ministère de l'intérieur, de telle sorte que les activités politiques ou les appartenances syndicales pourront y figurer. Le Conseil d'État, en référé, n'y a pas vu d'atteinte illégale... Qu'en pensez-vous ? C'est bien la première fois que l'on considère qu'une opinion politique doive être fichée, au motif qu'elle représenterait, en elle-même, un danger pour la sécurité de l'État !
Mme Marie-Laure Denis. - La CNIL, dans le cadre de son programme annuel de contrôle de 2017, a contrôlé les trois fichiers que vous évoquez : le fichier PASP (prévention des atteintes à la sécurité publique) et le fichier GIPASP (gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique) qui sont gérés respectivement par la police nationale et la gendarmerie nationale pour collecter des informations sur des personnes jugées dangereuses ; et le fichier EASP (enquêtes administratives liées à la sécurité publique), qui est utilisé dans le cadre d'enquêtes administratives avant des recrutements à certains postes sensibles. Nous avons réalisé seize contrôles sur place. Le ministre de l'intérieur a ensuite modifié ses décrets, qui dataient de 2009 et 2011, pour tenir compte de nos observations, car la menace terroriste a évolué depuis une dizaine d'années, de même que les missions des services. Il fallait aussi tenir compte du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Nous avons donc demandé que les atteintes à la sûreté de l'État soient explicitement inscrites parmi les finalités, afin que nous puissions dans nos contrôles identifier les données collectées à cette fin. Nous avons aussi insisté pour que les catégories de données collectées soient mieux précisées.
La CNIL avait rendu un avis sur ces décrets en juin. Les principes ont peu évolué dans la mesure où la collecte de ces données existait déjà, de même que les fichiers. Il ne s'agissait pas de collecter les données correspondant à l'ensemble des activités politiques, religieuses ou syndicales de la population, mais uniquement celles des personnes susceptibles de porter atteinte à la sûreté de l'État. En revanche, une évolution sémantique a eu lieu : on est passé d'activités politiques, religieuses, philosophiques et syndicales, à des «?opinions politiques?», des «?convictions philosophiques et religieuses?» et «?l'appartenance syndicale?». La CNIL n'a pas été consultée sur cette modification sémantique, car les textes ont évolué depuis notre avis. Je rappelle que la CNIL n'autorise pas ou ne refuse pas les textes sur lesquels elle émet un avis ; celui-ci vise à éclairer le pouvoir réglementaire ou le législateur et il appartient au juge administratif de se prononcer sur la légalité des actes réglementaires. En l'espèce, le Conseil d'État s'est prononcé en référé, sans déceler de doutes sérieux sur la légalité du texte, mais il aura très certainement à se prononcer au fond. En tout cas, le collège de la CNIL ne s'est pas prononcé sur l'évolution sémantique.
M. François-Noël Buffet, président. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 30.
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire - Examen, en nouvelle lecture, du rapport et du texte proposé par la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Après une commission mixte paritaire non conclusive, nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire. Ce texte sera examiné demain après-midi en séance publique. Notre rapporteur nous propose d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable.
M. Philippe Bas, rapporteur. - La situation de notre pays, du point de vue de l'épidémie, est incertaine. En comparant les chiffres des semaines précédant le reconfinement du 30 octobre 2020 et ceux des quinze derniers jours, je comprends que le Président de la République n'ait pas procédé à un nouveau reconfinement. Nous sommes pourtant sur le fil du rasoir, certains indicateurs étant plus mauvais qu'en octobre, d'autres voisins et d'autres encore meilleurs. Toutefois, nous n'assistons pas à une explosion des contaminations aussi forte qu'en octobre dernier.
Dans la semaine qui a précédé le reconfinement d'octobre, la hausse des nouveaux cas détectés était de 54 %, contre 9 % la semaine dernière, soit 141 000 nouveaux cas, contre 263 000 en octobre. La situation est, à cet égard, préoccupante, mais éloignée de ce qu'elle était en octobre dernier. De même, les nouvelles hospitalisations étaient passées, entre les semaines 42 et 43, de 7 530 à 12 176, soit une hausse de 62 %, tandis qu'elles ont augmenté de 16 % entre la deuxième et la troisième semaine de janvier, passant de 9 631 à 11 155. L'augmentation est donc moins rapide, même si le niveau reste très élevé. De même, les admissions en réanimation sont passées de 1 418 à 1 706 entre les deux semaines de janvier, contre une progression de 1 343 à 1 816 avant le confinement. La hausse est donc légèrement inférieure quoique presque égale en valeur absolue. Quant aux décès, la situation est bien plus grave qu'avant le reconfinement. Quelque 2 567 décès ont eu lieu la troisième semaine de janvier, contre 1 318 à la veille du reconfinement.
La situation est donc contrastée et ne donne pas le sentiment d'une flambée comme celle que la France a connue fin octobre, mais elle montre un très haut niveau de contaminations, tandis que l'appareil hospitalier est très fortement sollicité.
Il me semble que cela justifie la position du Sénat de ne pas refuser la reconduite des pouvoirs exceptionnels que nous avions déjà accordés au Gouvernement, tout en étant très prudents sur un éventuel reconfinement, que nous ne pouvons accepter sans que l'on inscrive dans la loi que sa prolongation, au-delà d'un mois, devra être autorisée par la loi.
Nous avons abordé la commission mixte paritaire (CMP) dans cet état d'esprit, mais n'avons pas obtenu satisfaction. Certes, la majorité gouvernementale a fait un pas, acceptant le report de la CMP en fin d'après-midi, parce que le Premier ministre avait convoqué les présidents des assemblées ainsi que les présidents de groupes politiques pour discuter de la situation sanitaire. À cette occasion, le Président du Sénat et le président du principal groupe du Sénat, ainsi que plusieurs autres présidents de groupes, ont demandé le renforcement du contrôle du Parlement sur l'exercice des pouvoirs exceptionnels. Le Premier ministre a bien voulu proposer le recours à l'article 50-1 de la Constitution qui prévoit un débat du Parlement sur une déclaration du Premier ministre, assorti éventuellement d'un vote. Et le soir, en CMP, c'est la proposition qui nous a été opposée pour tenir en échec la disposition législative que nous voulions adopter. Nous souhaitions une entente entre le Sénat et l'Assemblée nationale, mais un débat sur une sorte de déclaration de politique sanitaire générale, suivi d'un vote, ne vaut pas une loi !
À l'automne déjà, une disposition analogue, que nous avions ciselée ensemble, avait été refusée. Je me méfie de ces débats avec vote par lesquels les gouvernements tentent de faire cautionner l'ensemble de leur politique dans un domaine donné. L'interprétation du vote, dont la force juridique est nulle, risque, à l'instar de celle d'un référendum, d'être ambiguë. J'avoue n'avoir pas compris l'obstination du Gouvernement à refuser un vrai contrôle parlementaire sur ses pouvoirs exceptionnels quand ils sont portés à leur point culminant.
Nous avons donc échoué à nous entendre et nous sommes revenus bredouilles. Devons-nous alors adopter de nouveau le projet de loi en y réintroduisant l'ensemble des dispositions que nous y avions insérées, ou bien devons-nous prendre acte qu'il n'y a pas d'accord possible et rejeter, par une motion tendant à opposer la question préalable, purement et simplement le texte de l'Assemblée nationale, cette dernière n'ayant que très partiellement tenu compte des apports du Sénat ? Après avoir hésité, je vous propose cette dernière solution.
M. Jean-Yves Leconte. - Je me souviens qu'en octobre, quelques jours avant l'annonce du couvre-feu, vous étiez aussi assez optimiste. La difficulté n'est pas simplement l'évolution des chiffres, mais plutôt la propagation des variants. Cela rend difficiles les comparaisons et les décisions. La décision prise, la semaine dernière, de fermeture des frontières est plus politique que sanitaire. En tant que sénateur des Français de l'étranger, cette question me touche particulièrement et je regrette que nous n'ayons pas mis en place certains garde-fous dans les textes précédents. Aujourd'hui, un certain nombre de Français ne peuvent plus rentrer en France ou ne peuvent plus en sortir. De ce point de vue, monsieur le rapporteur, j'aimerais savoir où trouver les décisions du Conseil d'État relatives à ces contentieux. C'était d'ailleurs l'objet de notre amendement, en première lecture. Il n'est pas possible d'accéder à ces décisions que nous ne connaissons que parce que les requérants nous les ont envoyées. Il est dommage que, parce que nous n'avons pas vu ces décisions, le Gouvernement persévère dans cette voie.
Lors de la CMP, j'ai eu le sentiment, à la différence des fois précédentes, que les députés de la majorité présidentielle avaient l'envie de partager avec nous les décisions. Sans en avoir discuté avec mon groupe, à titre personnel donc et compte tenu de notre demande d'un débat au Parlement - légitime en ce qu'il est question de la liberté des Français -, il me semble paradoxal d'opposer une question préalable alors que nous pourrions peut-être obtenir quelques concessions.
M. Philippe Bonnecarrère. - Monsieur le rapporteur, je suis tout à fait d'accord avec votre proposition de question préalable, le groupe de l'Union centriste aussi. Par un chemin quelque peu différent, je suis arrivé aux mêmes conclusions que vous.
Je n'étais pas favorable à l'état d'urgence sanitaire la semaine dernière car, dans l'équilibre entre libertés et mesures sanitaires, les mesures restrictives de libertés vont beaucoup trop loin, notamment par leur systématisation. Il s'agit ainsi, en cinq ans et demi, de la douzième décision d'état d'urgence... Je rejoins votre analyse quant à l'article 50-1 qui ne remplace pas une décision normative. Le vote du Parlement me paraît nécessaire sur une mesure de confinement et non pas seulement sur une déclaration de politique générale.
Par ailleurs, au début de l'épidémie, l'état d'urgence sanitaire ne se justifiait que par la perspective du confinement, car le code la santé publique permet déjà de prendre des mesures restrictives de libertés à des fins sanitaires. Je crois que le confinement comme l'état d'urgence sanitaire nécessitent discussion et accord du Parlement. Je suis extrêmement réservé quant à cette systématisation de l'état d'urgence et au refus de dissocier ce dernier du confinement.
Nos citoyens oscillent entre résignation et exaspération, mais je crains que cette dernière ne prenne le dessus. En d'autres mots, notre société est devenue une vraie cocotte-minute. Refuser de partager la décision avec le Parlement constitue une erreur du Gouvernement, car cela renforcerait l'acceptabilité des mesures. Je rejoins donc la position du rapporteur.
Mme Marie Mercier. - J'aimerais livrer quelques réflexions relatives aux soignants qui sont fatigués face à un virus déroutant. Les variants ne sont pas forcément plus dangereux, mais plus contagieux. Des progrès ont été réalisés dans les traitements et les séjours en réanimation sont moins longs qu'au début de la pandémie. En revanche, des services hospitaliers ferment faute de soignants, beaucoup de ces derniers étant malades et la vaccination n'étant systématique que pour les soignants de plus de 50 ans. Les hôpitaux se préparent à la troisième vague et les programmes opératoires sont arrêtés pour libérer des places de réanimation.
Je veux vous alerter sur le « stock » de patients, sachant que des patients âgés dont l'opération pour une prothèse de hanche ou de genoux est repoussée d'un an se retrouvent dans un bien moins bon état, dans la mesure où ces patients souffrent déjà souvent de comorbidités. Les suites opératoires seront d'autant plus compliquées. Je souhaite également vous alerter sur l'aspect symbolique d'un simple couvre-feu qui peut donner l'impression, comme le titre un journal de Saône-et-Loire, que rien ne change et conduire à sous-estimer la menace sanitaire. Enfin, la situation est d'autant plus compliquée pour les soignants que la couverture vaccinale n'est pas assurée, du fait de l'absence de deuxième dose. Nous ne sommes donc pas tirés d'affaire.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous voulions, lors des CMP précédentes, renforcer le rôle du Parlement dans le contrôle de cet état d'exception. À cet égard, cette question préalable pourrait être perçue comme un paradoxe en ce qu'elle éviterait de débattre. En outre, je ne voudrais pas qu'elle soit uniquement vue comme une réponse à une forme de lassitude devant la surdité de la majorité présidentielle. Il faut toujours débattre et toujours proposer, bien que nous n'ayons que peu d'illusions sur l'issue de nos propositions. C'est pourquoi, sans avoir consulté mon groupe, je trouve dommage d'adopter cette question préalable qui nous ôte la possibilité de débattre.
Mme Éliane Assassi. - L'épisode de la semaine dernière est problématique. Le Premier ministre a réuni les présidents de groupe et les présidents des assemblées pour leur faire état d'une situation sanitaire très inquiétante et leur annoncer un débat suivi d'un vote. Mais le lendemain, ses annonces étaient contraires à ce qu'il nous avait dit la veille ! Ce n'est pas acceptable. J'en viens même, en tant que présidente de groupe, à réfléchir à notre prochaine participation à une telle réunion. Le Parlement, et tout particulièrement le Sénat, sont considérés comme des figurants.
Concernant la question préalable, il faudrait être clair sur ses motivations profondes. Notre groupe n'a pas voté l'état d'urgence et j'ignore encore quelle sera notre position sur cette motion.
M. François-Noël Buffet, président. - Notre rapporteur et les sénateurs membres de la CMP n'ont pas ménagé leurs efforts pour tenter de trouver un accord avec les députés : suspension de séance, discussions, nouvelles propositions, etc. Le point d'achoppement était que nous estimions que le Parlement devait se prononcer sur tout prolongement d'un éventuel confinement au-delà d'un mois. Lorsqu'il s'agit de la liberté des Français, force doit rester à la loi. Nous sommes restés fermes sur ce point. C'est le problème de fond, le Parlement est le gardien des libertés individuelles. Il nous semble donc vain d'avoir un nouveau débat au terme duquel nous ne serons pas entendus. Il me semble mieux de redire les choses clairement et d'expliquer pourquoi la discussion, dans ces conditions, ne peut aboutir. Certes, l'Assemblée nationale a accepté quelques mesures que nous avions votées, mais nous ne pouvons accepter que la représentation nationale soit dessaisie lorsqu'il s'agit de maintenir les Français chez eux et de les priver de liberté.
La motion COM-11 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.
Les amendements deviennent sans objet.
M. François-Noël Buffet, président. - Il résulte de la décision de déposer une motion que nous n'adopterons pas de texte en commission. Dès lors, en application de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. Les amendements qui avaient été déposés pourront l'être de nouveau en vue de la séance publique.
Le projet de loi n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
La réunion est close à 14h35.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :