- Mardi 2 février 2021
- Audition de Mme Juliette Théry-Schultz, candidate désignée par le Président du Sénat aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel, en application de l'article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication
- Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de Mme Juliette Théry-Schultz aux fonctions de membre du CSA
- Mercredi 3 février 2021
- Audition de M. Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique
- Projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage - Examen du rapport et élaboration du texte de la commission
Mardi 2 février 2021
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 17 h 10
Audition de Mme Juliette Théry-Schultz, candidate désignée par le Président du Sénat aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel, en application de l'article 4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour entendre Mme Juliette Théry-Schultz, que le Président du Sénat envisage de désigner comme membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), en remplacement de M. Nicolas Curien, dont le mandat est arrivé à échéance.
Je vous informe que cette désignation doit se conformer aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 4 de la loi du 30 septembre 1986, lequel précise que, dans chaque assemblée parlementaire, les membres du collège « sont désignés en raison de leurs compétences en matière économique, juridique ou technique ou de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication, notamment dans le secteur audiovisuel ou des communications électroniques, après avis conforme de la commission permanente chargée des affaires culturelles statuant à bulletin secret à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés ». À l'issue de l'audition, nous serons donc appelés, mes chers collègues, à nous prononcer par un vote à bulletin secret sur cette candidature.
Je n'insisterai pas, madame Théry-Schultz, sur le rôle cardinal joué par le CSA au sein du paysage audiovisuel français. Son président, Roch-Olivier Maistre, est d'ailleurs venu le 15 décembre dernier nous présenter le bilan de l'action du Conseil au cours des deux dernières années et nous faire partager son appréciation sur les profondes mutations que traverse le secteur, mutations que vous avez eu l'opportunité d'analyser en 2019, notamment en dirigeant la rédaction, pour le compte de l'Autorité de la concurrence et à la demande de nos homologues de l'Assemblée nationale, d'un avis fort remarqué sur la nécessaire réforme de l'audiovisuel.
Je vais à présent vous laisser la parole pour une quinzaine de minutes afin de vous permettre de nous présenter votre parcours et vos motivations. À l'issue de ce propos liminaire, notre rapporteur sur les crédits de l'audiovisuel, Jean-Raymond Hugonet, vous posera une série de questions, suivi par les membres de la commission qui le souhaitent, en donnant bien entendu la priorité à un représentant par groupe.
Mme Juliette Théry-Schultz, candidate désignée par le Président du Sénat aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel. - Je suis très honorée et assez émue de pouvoir soumettre aujourd'hui ma candidature à votre commission.
Mon parcours est assez classique. J'ai commencé à étudier le droit à la faculté de Lille, puis à Paris. Après avoir soutenu une thèse en droit des contrats, j'ai été placée devant un choix, dont je me rends compte, avec le recul, qu'il a été assez déterminant : soit je poursuivais une carrière académique en tentant le concours de l'agrégation, soit je passais le diplôme d'avocate. Même si je chérissais le droit des obligations et la philosophie du droit, c'est cette seconde voie que j'ai finalement choisie, car j'avais besoin d'être confrontée à la réalité complexe, toujours nuancée, jamais satisfaisante de l'application du droit. La suite de mon parcours - Chancellerie, Autorité de la concurrence, Commission européenne - est surtout le résultat de plusieurs facteurs qui sont survenus de façon inattendue, faits notamment d'envies, de compréhension des échecs passés et de rencontres humaines. C'est actuellement en tant que directrice juridique de l'Autorité de la concurrence que je me présente devant vous.
À la direction juridique, nous nous occupons principalement de la rédaction des décisions qui sont adoptées par le collège et de leur défense devant la cour d'appel, la Cour de cassation et le Conseil d'État. De tels contentieux, qui emportent toujours des enjeux économiques très importants pour les acteurs, ne sont pas une sinécure, mais sont passionnants. La direction s'occupe notamment du recours devant le Conseil d'État contre la décision de l'Autorité qui a autorisé le lancement de Salto.
C'est aussi au titre de ces fonctions que j'ai assuré, l'été dernier, la défense devant la cour d'appel de la décision sur les droits voisins qui a imposé des mesures d'urgence à Google, à la suite de l'adaptation de la proposition de loi déposée par le sénateur David Assouline - je le remercie sincèrement - assurant la reconnaissance de ces nouveaux droits patrimoniaux au profit des éditeurs et agences de presse.
Avant ce poste et pendant six ans, j'ai dirigé une équipe d'une dizaine de rapporteurs au service d'instruction. Nous avions en particulier la charge de certains marchés régulés, dont le secteur des médias, le secteur bancaire et le secteur agricole. Je me suis notamment occupée de l'avis sur l'audiovisuel qui a été rendu en février 2019. J'ai également eu la charge de cas contentieux ou négociés qui concernaient en particulier les entreprises du groupe Canal+, M6, France Télévisions, TF1, GIE Les Indépendants ou TDF, relatifs aux marchés de la publicité télévisuelle, de la publicité radiophonique, d'acquisition des droits de diffusion ou de diffusion hertzienne.
Cette expérience m'a permis d'acquérir une connaissance fine du fonctionnement des marchés dans le secteur audiovisuel, des acteurs et des enjeux, mais surtout cela m'a permis de saisir les bouleversements profonds liés aux défis numériques majeurs auxquels le secteur doit faire face aujourd'hui. Ces changements contraignent indubitablement les acteurs audiovisuels à faire évoluer leur modèle économique, dans le contexte des nouveaux usages qui se sont développés au cours des deux dernières décennies.
Les consommateurs ne regardent plus la télévision, terme qui, il y a quelques années, désignait à la fois le support de télévision, le mode de diffusion et les contenus eux-mêmes, mais un ensemble de supports épars : télévision, tablettes, ordinateurs ou téléphones, reliés eux-mêmes à une diffusion hertzienne, en IPTV - Internet Protocol Television -, autrement dit par internet - ou en OTT - Over The Top -, c'est-à-dire hors du fournisseur d'accès à internet. Depuis trois ans, la réception en IPTV, tous écrans confondus, a d'ailleurs dépassé le mode de réception hertzien.
Ensuite, les programmes de flux sont de plus en plus disponibles sous forme de stocks, en rattrapage, en vidéo à la demande, par abonnement ou sous forme de partage de vidéos sur les réseaux sociaux. Les films qui ne sont pas exploités en salle et qui sont diffusés sur ces nouveaux modes de consommation échappent à la chronologie des médias. Finalement, le consommateur peut choisir de consommer ce qu'il veut quand il veut, affranchi de toutes les contraintes qui caractérisaient l'offre linéaire de la télévision. Assez confiant sur le fait que son propre modèle répond à ces attentes, Netflix estime que la véritable concurrence qui se présente à son offre n'est ni l'offre audiovisuelle traditionnelle ni les vidéos YouTube ou le catalogue d'Amazon Prime : c'est, pour reprendre les termes de son PDG, le temps de cerveau disponible et le sommeil de ses abonnés.
Ces bouleversements concernent le secteur audiovisuel dans presque toutes ses composantes. Dans son avis, l'Autorité s'est surtout intéressée à la composante économique. Elle a tout d'abord constaté que, sur les marchés de la publicité et des abonnements, il existait une vraie convergence entre les offres audiovisuelle et numérique, laquelle place les acteurs traditionnels face à une nouvelle concurrence. Elle a ensuite constaté qu'il existait, sur le marché de l'acquisition, une modification profonde du fonctionnement du secteur, du fait, d'une part, de l'asymétrie de la régulation entre les acteurs numériques et les acteurs traditionnels et, d'autre part, des moyens financiers qui ne sont pas comparables entre ces deux catégories.
Pour ce qui concerne l'asymétrie de la régulation, je ne saurai être exhaustive, car les conditions d'achat de contenus des plateformes de vidéos qui ne sont pas implantées en France relèvent de la seule liberté contractuelle. Ainsi, Netflix a décidé d'insérer dans ses contrats une clause prévoyant que les droits de diffusion sont consentis « pour l'éternité et l'univers ». On voit tout de suite le risque de verrouillage vertical qui en découle, plaçant les consommateurs dans des tunnels de distribution payante des oeuvres. Le projet de décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) prévoit fort heureusement des degrés d'acquisition qui s'appliqueraient également à des opérateurs comme Netflix.
Sur les moyens de financement pour l'acquisition des oeuvres, la question est simple : comment rivaliser avec la puissance d'achat des GAFA sur un marché où il n'est pas rare que la concurrence s'exerce du côté de la demande ? Les derniers chiffres publics que j'ai trouvés concernant Netflix, dont la politique de confidentialité est stricte, datent de 2018. Son budget consacré à l'acquisition des oeuvres s'élevait alors à 8 milliards de dollars annuels. L'année dernière, l'entreprise a rallongé son endettement. Celui-ci, qui constitue sa principale source de financement, atteint désormais 15 milliards de dollars. Ce sont en particulier les activités intermédiaires de la chaîne de valeurs, à savoir celles des éditeurs, qui sont touchées.
Cependant, l'impact du numérique ne peut être limité à l'économie : le numérique est une véritable révolution qui concerne aussi et menace parfois les fondamentaux de nos sociétés démocratiques. Sur le plan des libertés, les consommateurs aliènent, en échange d'une apparente gratuité de service, non seulement l'accès à leurs données personnelles, mais aussi l'utilisation de celles-ci. Sur les plans politique et culturel, le piratage qui se développe sur internet, représentant, pour la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), un manque à gagner de 1 milliard d'euros annuels, fragilise la création à terme.
Surtout, l'offre numérique, largement conditionnée aux résultats des algorithmes, crée un risque d'enfermement des consommateurs dans des bulles de filtres. En effet, en analysant notre profil et nos comportements, les algorithmes nous recommandent des contenus censés nous plaire. Nous pouvons tout à fait ne pas les accepter, mais ce refus même alimente l'algorithme et conditionne de nouvelles recommandations... Ainsi, insidieusement, nous sommes catalogués dans un univers où le résultat de nos recherches, les musiques écoutées, les articles de presse présents sur le fil de l'actualité de nos réseaux sociaux alimentent ce que nous connaissons déjà et uniformisent les biens culturels et les informations que nous consultons. Nous sommes ainsi de moins en moins confrontés à l'altérité et aux points de vue divergents. Les informations ou recommandations sont ensuite échangées avec notre réseau, qui a plus de probabilité de comporter des profils similaires au nôtre et qui a déjà tendance à susciter des particularismes. Ce fonctionnement explique en partie la viralité des opinions et des informations tronquées et constitue un outil inquiétant de manipulation des informations.
Nous sommes donc loin du mouvement d'enthousiasme et d'espoir que nous avons connu il y a trente ans, lorsque le web était perçu comme l'espace de tous les possibles, un territoire qui ferait fi de toutes les barrières et qui réorganiserait le monde en un village global. À l'automne dernier, en pleine campagne américaine, un cadre numérique repenti de la Silicon Valley, employé de Facebook, a estimé que les réseaux sociaux favorisaient, en raison de leur fonctionnement même et des algorithmes, « des risques de guerre civile », compte tenu du renforcement des particularismes que je viens de décrire.
Dans ce contexte, les rôles du législateur et du régulateur apparaissent cruciaux. Sur le papier, apporter une régulation appropriée et mise en oeuvre par une autorité sectorielle pour répondre à ces défis paraît très simple. Concrètement, c'est plus difficile.
De mon point de vue, il existe deux vraies difficultés.
La première est celle du périmètre de la régulation. Avec les ouvertures d'internet, de nouvelles offres peuvent se créer. Elles se modifient tous les jours. Le modèle économique évolue également très vite, souvent plus rapidement que les règles sectorielles. Étant illimité, le monde numérique n'est pas comparable à l'espace audiovisuel que nous connaissons : à côté des offres de plateformes, nous sommes en face d'une constellation de partages de vidéos, de musique, d'informations échangées sur Facebook, WhatsApp, Instagram, TikTok ou Twitter. Si le numérique ne devient pas pour autant un « espace de non-droit », pour reprendre les termes du commissaire Thierry Breton, cela nécessite des moyens appropriés de mise en oeuvre de la régulation.
La seconde difficulté est liée à la taille des géants auxquels nous avons à faire face, sans commune mesure avec les acteurs traditionnels. Leurs moyens sont énormes et s'accroissent. Depuis un an, les règles de restrictions sociales imposées par l'épidémie, l'explosion des ventes en ligne et le développement du télétravail ont accentué l'emprise des GAFA. Pour le seul troisième trimestre 2020, ces derniers ont généré 228 milliards de dollars de chiffre d'affaires et 38 milliards de dollars de profits. Le chiffre d'affaires d'Amazon a augmenté de 40 % en 2020, pour atteindre près de 89 milliards de dollars.
C'est le fonctionnement même des activités des GAFA qui engendre cet effet d'accumulation, pour deux raisons structurelles.
Tout d'abord, le mécanisme d'attraction et d'accumulation propre aux marchés bifaces est particulièrement prégnant pour les GAFA. Par exemple, comme on l'a vu pour les droits voisins, plus les internautes utilisent le moteur de recherche de Google, plus les référencements sur cette plateforme des sites des éditeurs, si l'on reprend le cas de la presse écrite, sont importants. Réciproquement, plus le moteur de recherche garantira l'exhaustivité des sites dans les résultats de recherche, plus d'internautes utiliseront ce service. Dès lors, pourquoi utiliser un autre moteur de recherche que Google ?
Cet effet d'accumulation est encore renforcé par la nature conglomérale des activités des opérateurs du secteur audiovisuel : les consommateurs sont incités à utiliser une seule et même plateforme pour répondre à différents besoins. Ainsi, si le modèle d'Amazon Prime marche bien et a été implanté rapidement en France, c'est parce qu'Amazon a associé ses services de distribution en ligne, de musique et de cinéma dans un seul compte. Google profite d'une autre manière de la nature conglomérale de son offre, en associant son moteur de recherche, la messagerie Gmail et YouTube.
Le développement congloméral de ces opérateurs est facilité par leur valorisation boursière, qui excède, pour la plupart, 1 000 milliards de dollars, sachant que certains, comme Apple, ont vu ce montant doubler l'année dernière du fait du covid. Cette valorisation leur permet de racheter facilement les parts des entreprises concurrentes, par le biais d'un swap d'actions.
Concrètement, cette puissance de grands groupes présents partout dans le monde rend plus compliquée la mise en place d'une régulation. On se souvient de l'expression « too big to fail », utilisée pour décrire le monde bancaire lors de la crise financière. Nous sommes aujourd'hui dans un cynisme d'un autre ordre : « too big to care. » La taille de ces acteurs les conforte dans l'idée qu'ils peuvent être au-dessus des lois.
Malgré ces difficultés et en raison même de celles-ci, la révolution numérique place plus que jamais la régulation de l'audiovisuel au centre. Le rôle du législateur est indispensable pour faire face à ces changements majeurs. L'histoire montre ainsi que l'adoption des lois antitrust aux États-Unis a été une réaction ferme du législateur américain à la constitution de l'empire bâti par la Standard Oil, au début du siècle dernier, sur le pétrole, le gaz et les chemins de fer - là aussi, suivant un modèle congloméral.
S'agissant de l'audiovisuel, la régulation des offres numériques est en cours de construction depuis dix ans. Le législateur avait déjà agi en 2009 avec la transposition de la première directive sur les services de médias audiovisuels (SMA), issue de la directive e-commerce, qui a apporté des limites à l'irresponsabilité des hébergeurs en étendant certaines règles de régulation de l'audiovisuel aux services de médias à la demande. Un rapport du CSA a constaté que cette régulation n'était pas satisfaisante, mais c'est un début.
Nous sommes aujourd'hui à la veille d'une période très stimulante de mise en place d'une régulation forte élargie à l'ensemble des acteurs numériques et assurant une convergence européenne. La directive SMA, qui a été adoptée par ordonnance en décembre dernier, est en cours de transposition. Un second paquet est attendu avec les projets de règlement DSA (Digital Services Act) et DMA (Digital Markets Act), relatifs à la déontologie des contenus et une régulation concurrentielle ex ante des marchés, qui ont été annoncés par les commissaires Breton et Vestager en décembre dernier et que nous attendons avec impatience.
Le législateur national a aussi apporté des réponses très adaptées, avec, s'agissant de la transparence des algorithmes, la loi de 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, la création de l'Observatoire de la haine en ligne en 2020 et, plus récemment, les dispositifs de protection des enfants à l'exposition aux écrans, au moyen notamment de la loi youtubeurs et de celle contre les violences conjugales.
En ce qui concerne le régulateur, qui applique les lois, les défis sont aussi de plusieurs natures.
Le premier est un défi territorial. La dimension de la régulation ne peut, à mon avis, être qu'européenne, étant donné la taille des acteurs. Cela paraît indispensable pour éviter un effet de contournement des règles par des acteurs qui sont implantés dans différents pays. C'est ce qui a justifié la constitution du groupe des régulateurs européens des services de médias audiovisuels (ERGA - European Regulators Group for Audiovisual Media Services), un document de coopération ayant déjà été adopté dans le cadre de la transposition de la directive SMA.
Cependant, il n'est pas question de négliger ce qui fait aussi l'ADN de la régulation audiovisuelle, qui comprend l'objectif d'assurer une cohésion sociale et culturelle, mais aussi la couverture des territoires. On ne peut occulter que la fracture numérique empêche 17 % de la population française d'avoir accès à internet ou même d'utiliser les outils numériques. En outre, presque un quart de la population ne reçoit la télévision encore que par la télévision numérique terrestre (TNT).
Plusieurs réponses ont déjà été mises en place.
La première est d'ordre institutionnel. Le CSA a la chance d'être l'une des rares autorités administratives indépendantes (AAI) à inclure un réseau d'autorités déconcentrées, avec 16 comités territoriaux de l'audiovisuel (CTA) présents sur les territoires. Les missions de ces CTA ont été renforcées en 2017. Ils gèrent les radios et les télévisions locales en lien avec les régions.
Une autre réponse est d'ordre technique. Avec le maintien de l'obligation de couverture nationale de la TNT, laquelle figure dans la loi de 1986, l'intégralité de la population peut avoir accès gratuitement aux offres audiovisuelles. La mise en place du DAB+ - Digital Audio Broadcasting - constitue une réponse intéressante pour enrichir le paysage audiovisuel de nouvelles radios locales : avec la compression du signal, plusieurs radios peuvent être présentes sur une seule fréquence. À Lille, par exemple, trente-huit radios sont désormais disponibles en DAB+, alors que plus de la moitié ne diffusent pas leurs programmes en FM du fait de la saturation de la bande FM. Je note aussi que les deux modes de transmission que sont la TNT et le DAB+ sont davantage protecteurs de la vie personnelle des utilisateurs.
Le second défi est celui d'une régulation ouverte, qui ne peut être restreinte à une modalité d'intervention unique ni impliquer un seul régulateur. À cet égard, les missions très élargies du CSA lui permettent véritablement d'apporter des solutions ciblées aux problèmes extrêmement divers qui se présentent. En outre, le CSA a déjà établi des collaborations avec les autres AAI. Au reste, sa fusion avec la Hadopi est en passe de déboucher sur l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Le chantier est énorme autant que passionnant.
Pour ce qui me concerne, je serais extrêmement honorée de pouvoir participer à l'accompagnement public des évolutions actuelles de l'audiovisuel. Si vous m'accordez votre confiance, mesdames, messieurs les sénateurs, ce n'est pas seulement ma connaissance des marchés que je pourrai mettre au service du CSA, ce sont également mes compétences pratiques, liées à quatorze années d'expérience de la régulation économique. J'ai exercé à peu près tous les métiers aussi bien à l'Autorité de la concurrence qu'à la Commission européenne. Au service d'instruction, j'ai appris le métier d'enquêtrice et de juge d'instruction. Chargée de trouver des engagements avec des entreprises dans tous les secteurs que j'ai eu à connaître pour résoudre certaines de nos préoccupations de façon non contentieuse, j'ai été négociatrice. Aujourd'hui, en défense devant les juridictions, j'exerce le métier d'avocate. Mettre ces différentes compétences au service du CSA serait pour moi une perspective très stimulante, s'agissant d'un secteur en pleine mutation économique et plus que jamais essentiel à la construction d'une culture et d'une identité communes.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Depuis l'arrivée de Netflix en 2014, les médias historiques se trouvent confrontés à une asymétrie de réglementation qui les pénalise dans la concurrence que leur livrent les nouveaux entrants. La réglementation en matière de production indépendante, les règles relatives à la publicité adressée et à concentration constituent autant d'obstacles au développement de ces entreprises françaises que ne connaissent pas Netflix, Amazon, Disney ou Apple.
Comment voyez-vous l'évolution du secteur dans les années à venir ? Quels pourraient être les moyens de rétablir une équité entre acteurs ?
Mme Juliette Théry-Schultz. - Nous avons accordé beaucoup d'importance à la question de l'asymétrie de la régulation lorsque nous avons instruit l'avis.
Actuellement, plusieurs chantiers sont ouverts.
Tout d'abord, un décret admettant la publicité segmentée pour les acteurs traditionnels est paru en août dernier, ce qui permet déjà de rétablir des formes d'équilibre entre les acteurs traditionnels et les acteurs numériques.
Par ailleurs, le CSA doit rendre un avis sur le décret SMAD, qui a été notifié à la Commission européenne. Ce texte garantit que 75 % des contenus feront appel à la production indépendante et prévoit une limitation de la durée des droits d'acquisition. Sans s'appliquer de la même manière pour tous les acteurs, cette régulation corrigera un peu l'asymétrie. Enfin - nous attendons avec impatience ce volet du décret SMAD -, les obligations de financement et de diffusion s'appliqueront également aux acteurs numériques qui ne sont pas implantés en France.
Reste le dispositif anti-concentration de la loi de 1986. Il faut voir si certaines de ses dispositions, qui visaient à répondre aux obligations de pluralisme, ne sont pas un peu dépassées face aux évolutions en cours. Je pense notamment aux dispositions concernant les plafonds multimédias. Sur ce chantier, l'essentiel a été fait.
Enfin, je considère que le véritable enjeu pour le secteur est celui des restrictions verticales. Il faudra voir dans quelles conditions s'applique le décret SMAD, mais, si l'on accepte que les droits des acteurs numériques puissent bénéficier d'exclusivités de long terme, voire illimitées, cela obligera le consommateur qui veut avoir accès aux oeuvres à acheter différents abonnements ou à compléter un abonnement principal par des achats à l'acte. L'effet de fragmentation qui est déjà prégnant dans les contenus liés aux algorithmes n'en sera qu'accentué. Quoi qu'il en soit, l'impact du marché de l'acquisition sur la situation des consommateurs me paraît inquiétant.
M. Jean-Raymond Hugonet. - La contribution à l'audiovisuel public (CAP) constitue la ressource principale des entreprises de l'audiovisuel public en France. Elle est insuffisante pour permettre à France Télévisions et Radio France de se passer de publicité et son avenir serait menacé si un certain nombre de foyers décidaient de regarder les programmes audiovisuels sur des tablettes ou des ordinateurs. Notre commission propose, depuis 2015, une réforme de la contribution inspirée du modèle allemand de taxe universelle. Que pensez-vous d'une telle évolution ?
Quelle est votre opinion sur l'accroissement de la publicité sur les antennes de France Télévisions, à travers le parrainage, et sur Radio France, avec la suppression du plafond de 42 millions d'euros ? Quel est, selon vous, l'impact de la publicité sur l'identité du service public ?
Mme Juliette Théry-Schultz. - La question n'est pas simple.
Dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2020, le Sénat a constaté que le nombre de foyers assujettis à la contribution à l'audiovisuel public restait plus ou moins constant. En revanche, la suppression de la taxe d'habitation en 2023 peut être source d'instabilité, sachant que nous ne disposons de précisions budgétaires que jusqu'en 2022. Que va-t-il se passer ensuite ? Derrière cette question, qui peut paraître technique et budgétaire, c'est l'indépendance de l'audiovisuel public qui est engagée. Comme le Conseil constitutionnel l'a justement rappelé dans une décision de 2009, la garantie du financement est, pour l'audiovisuel public, la garantie de son indépendance.
La publicité dépend directement de l'audience. Plus celle-ci est élevée, plus la valorisation des espaces publicitaires peut se faire dans un sens favorable à l'éditeur. A-t-on envie que les programmes du service public dépendent du niveau d'audience ? C'est une vraie question.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Étant de formation jésuite, j'apprécie que l'on réponde à une question par une autre question !
Je note d'ailleurs avec gourmandise que l'avis du CSA sur les mini-contrats d'objectifs et de moyens (« mini-COM ») de l'audiovisuel et les propos que vous venez de tenir concordent parfaitement avec la position que la commission a exprimée la semaine dernière, en émettant un avis défavorable sur ces documents à l'unanimité des présents. Même si le Sénat n'est pas réputé pour sa turbulence, il lui arrive de prendre des décisions fortes... Le CSA, par une relative sagesse, n'est pas allé dans cette direction.
M. David Assouline. - En préambule, je déplore que nous ne connaissions pas les autres candidatures transmises au Président du Sénat. Il serait souhaitable qu'il y ait une transparence sur ces candidatures. La démocratie consiste à choisir celui que l'on trouve le meilleur, pas simplement à valider un choix ! Ne vous sentez pas visée personnellement, madame. Je fais cette remarque de principe lors de chaque nomination au CSA, y compris quand je vote avec enthousiasme pour la personne présentée.
Compte tenu de vos compétences, de vos qualités et de votre discours, je ne conteste en rien votre candidature. Les membres du groupe socialiste, écologiste et républicain soutiendront votre nomination pour vous permettre d'exercer votre mandat avec force.
Je veux évoquer l'avenir du football français. Un appel d'offres a été lancé hier. Faute de diffuseur, le Championnat de France ne sera peut-être plus diffusé dans notre pays... Il n'y a jamais eu de régulation. Comment le CSA ne serait-il pas concerné par le fait que Mediapro fausse la concurrence en proposant 1,2 milliard d'euros ? Le problème s'était déjà posé avec la candidature de BeIN Sports, qui pouvait se permettre un déficit de plusieurs centaines de millions d'euros parce qu'il était soutenu par un État.
Certes, il faut respecter le droit de la concurrence lors de l'attribution des droits, mais les offres doivent être honnêtes, éthiques et permettre une véritable concurrence. Le CSA peut intervenir en ce sens. Il est important, pour notre paysage audiovisuel, que le sport soit accessible, mais aussi qu'il puisse être diffusé dans des conditions correctes.
La régulation doit également devenir plus contraignante pour les appels à la haine. Sur ce plan, la situation ne fait qu'empirer. Ce matin, sur CNews, M. Dassier a déclaré que l'on ne viendrait pas à bout de l'échec scolaire tant qu'il y aurait dans chaque classe un nombre important « de Noirs, d'Arabes, j'en passe et des meilleures ». Il est incroyable que l'on puisse tenir de tels propos à l'antenne ! Je rappelle que ce présentateur, déjà condamné par la justice, récidive régulièrement sur la même chaîne, quand les humoristes qui critiquent ses propos sont, eux, licenciés.
Le CSA devrait aller beaucoup plus loin et agir beaucoup plus fortement. Quel est votre avis sur ce sujet ? J'espère, si vous êtes nommée au CSA, que vous relaierez ce type d'exigence.
Mme Juliette Théry-Schultz. - Vous m'interrogez sur l'inflation des droits sportifs.
Nous sommes arrivés au point de rupture avec Mediapro, qui a mis sur la table 850 millions d'euros pour l'acquisition des droits de la Ligue 1 de football. La situation est bloquée. Je pense que le système a trouvé ses limites. On ne peut pas dire qu'il n'y ait absolument aucune régulation : je pense au décret de 2004 sur la diffusion des événements d'importance majeure, qui résulte lui-même d'une directive. La question est néanmoins posée. Le ministère a organisé une consultation publique sur le sujet en décembre dernier. Elle faisait suite, d'ailleurs, à votre rapport de 2016.
La liste des événements qui figure dans la directive de 1997 pourrait tout à fait comporter des événements qui ne soient pas sportifs, parce que la question concerne de façon plus générale l'inflation des droits sur le marché de l'acquisition. Cette inflation est inquiétante. Au demeurant, le mécanisme retenu en 2004 impose aux opérateurs privés qui bénéficient d'une exclusivité de proposer une cession des droits aux éditeurs gratuits. D'après ce que j'ai compris, l'activation de ce mécanisme est sur la table. Quoi qu'il en soit, ce qui se passe avec Mediapro remet véritablement le sujet sur le devant de la scène.
Pour ce qui concerne les appels à la haine, je rappelle que je suis juriste. J'ai une longue expérience de l'instruction. J'ai instruit les saisines de petits entrants qui allaient devoir mettre la clé sous la porte s'ils continuaient à être écrasés par une entreprise dominante. Malgré l'émotion, nous sommes obligés de respecter les procédures !
En l'occurrence, la procédure en matière de déontologie des contenus est assez lourde pour le CSA, qui doit mettre en demeure, puis attendre une éventuelle réitération de l'éditeur, sachant que la personne en cause ne peut pas être condamnée par le CSA, ce qui, du reste, ne l'exonère pas de sa responsabilité pénale au titre de la loi de 1881. Le CSA peut aussi faire un signalement au procureur s'agissant du journaliste. Quoi qu'il en soit, toute une procédure, respectant la séparation entre l'instruction et la décision, s'engage à l'égard de l'éditeur, avec la nomination d'un rapporteur.
Dans un État de droit comme le nôtre, les choses ne sont jamais pleinement satisfaisantes. Le fait que le CSA ne puisse pas intervenir rapidement constitue une difficulté.
M. Michel Laugier. - En tant qu'élu du département des Yvelines, je suis persuadé de la nécessité de favoriser une réelle concurrence en Île-de-France et de ne pas laisser toute la télévision locale, régionale et nationale entre les mains d'un seul groupe - je parle de celui de M. Drahi. Pensez-vous qu'il faille profiter de la liquidation judiciaire de Franciliennes TV et de la nouvelle location-gérance, que le CSA doit impérativement accepter pour que le tribunal de commerce la valide, pour donner une chance à une réelle concurrence avec un autre acteur crédible ?
Que vous inspire le vote défavorable de notre commission sur les contrats d'objectifs et de moyens (COM) des sociétés de l'audiovisuel public 2020-2022 ?
Pour avoir suivi les négociations sur le droit voisin entre Google et les éditeurs de presse au sein de l'Autorité de la concurrence, que pensez-vous des accords qui ont été trouvés, mais que tous les éditeurs n'ont pas signés ?
Mme Juliette Théry-Schultz. - Non seulement j'ai suivi la décision sur les droits voisins pour sa défense devant la cour d'appel, mais le service juridique a également été chargé du contrôle de l'exécution des injonctions. Concrètement, nous avons suivi d'assez près le match de ping-pong entre les trois saisissants et Google et l'évolution des contrats. L'instruction ayant commencé, je ne peux, pour des raisons déontologiques, vous donner l'avis de l'Autorité sur ces contrats. Dans le communiqué de presse relatif à l'accord-cadre entre Google et l'Alliance de la presse d'information générale (APIG), elle s'est félicitée de cette avancée, mais a émis une réserve.
Sur le vote défavorable des quatre COM, je pense que les lignes sont assez claires. Elles datent de la décision du Conseil constitutionnel de 2009 dont je vous ai parlé. Le rapport des sénateurs André Gattolin et Jean-Pierre Leleux de 2015 pose également les principes applicables en matière d'audiovisuel, le Sénat ayant engagé une réflexion de long terme sur la question. Sur les questions du pilotage de l'audiovisuel public, de son indépendance et de la pérennité de son financement, je ne peux que vous renvoyer à l'avis rendu par le CSA en janvier. Les choses y sont très bien résumées.
Pour ce qui concerne votre première question, je préfère ne pas parler de choses que je ne connais pas. Je n'ai pas suivi ce dossier.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Quelle sera l'évolution de la mission de protection des mineurs dévolue au CSA ?
Mme Juliette Théry-Schultz. - Il y a eu récemment beaucoup d'initiatives législatives sur les mineurs impliquant le CSA.
Le rapport du sénateur Hugonet sur la protection et l'exploitation commerciale des mineurs clarifie les choses. Pour être mère de trois enfants, je me sens tout à fait concernée par ce sujet.
Je pense d'abord à la loi sur les violences conjugales. L'amendement du Sénat tendant à la mise en place d'un contrôle de l'âge des internautes pour accéder aux sites pornographiques est évidemment bienvenu. On se demande presque pourquoi cela n'existait pas déjà...
Le dispositif de la loi sur les youtubeurs est lui aussi tout à fait bienvenu. Aussi surprenant que cela puisse paraître, des enfants de moins de 16 ans s'adonnaient à des activités extrêmement lucratives sur YouTube, les parents laissant faire.
En dehors du cadre législatif, l'initiative du CSA sur l'éducation aux médias et à l'information, qui associe l'académie de Créteil, me semble essentielle. Il est certain qu'il faut protéger la jeune génération des écrans. Derrière cette question se pose aussi celle du contact avec l'écrit, la lecture, le temps long. Lire un livre est une activité qui se perd. C'est terrible ! Il faut en être conscient.
Mme Annick Billon. - Je vous remercie de vos propos liminaires et de la présentation de votre parcours très intéressant, qui démontre votre expertise et votre motivation et légitime la proposition du président Gérard Larcher, même si j'ai bien entendu les remarques de notre collègue David Assouline.
Je veux vous interroger sur la place des femmes dans l'audiovisuel. Marta de Cidrac et Dominique Vérien ont réalisé, au nom de la délégation aux droits des femmes du Sénat, un travail sur ce sujet. Avec la crise liée à la pandémie de covid, la place des femmes dans les médias, notamment des expertes, a fortement chuté. Avec le confinement et le couvre-feu, Public Sénat a eu du mal à trouver des femmes disponibles pour intervenir sur ses plateaux. Êtes-vous sensible à cette question ? Comment envisagez-vous de prendre à bras-le-corps ce sujet important de la visibilité des femmes dans les médias, particulièrement dans l'audiovisuel ?
Mme Juliette Théry-Schultz. - J'y suis évidemment sensible. J'ai la chance d'avoir fait ma carrière dans la fonction publique, où la situation est, me semble-t-il, moins difficile qu'ailleurs.
Si la présence des femmes à la radio et à la télévision progresse d'année en année, les expertes ne sont pas interrogées. Un autre indicateur assez révélateur est le décalage entre la présence et la parole : de façon générale, les femmes parlent moins, notamment lors des matinales radio. Ainsi, si le temps de présence dépasse désormais 40 %, le temps de parole des femmes à l'antenne n'est que de 36 %. Pour les expertes, ce temps s'établit entre 30 et 35 %.
Il y a un vrai engagement du CSA sur ce sujet. Cela commence d'ailleurs par son organisation interne. Je trouve positif que le CSA essaie de montrer l'exemple. C'est évidemment une question majeure, qui concerne aussi les autres minorités : la proportion de personnes blanches à la télévision s'élève encore à 85 %, et on y voit très peu de personnes handicapées. Cet enjeu de cohésion sociale est à mes yeux très important.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je veux vous interroger sur la « nouvelle frontière » qu'est, pour le CSA, la régulation des réseaux sociaux, qu'il réclame d'ailleurs de longue date. Le précédent président avait justifié cette nouvelle compétence au regard de la multiplication des supports et des canaux de diffusion, dont les réseaux sociaux. Comment envisagez-vous ce rôle, compte tenu notamment des récentes lois visant à lutter contre la manipulation de l'information et la haine sur internet ? Certes, la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia, a été copieusement censurée par le Conseil constitutionnel. La régulation des réseaux sociaux n'en sera pas moins le défi de demain.
Quel regard portez-vous sur l'écosystème numérique tel qu'il s'est construit, avec ces géants du numérique qui ont déployé un modèle quelque peu prédateur ? Que pensez-vous de l'introduction de la publicité ciblée, notamment France Télévisions ? Quelles en sont les limites ? Partagez-vous la vision de ceux qui pensent qu'il faut aider les plateformes à s'autoréguler et que l'on peut ainsi coopérer, ensemble, à la régulation des réseaux sociaux ?
Mme Juliette Théry-Schultz. - La loi Avia permet au CSA de faire un signalement au procureur en cas de constat. Le périmètre du paquet relatif aux services numériques (DSA) qui s'annonce est quant à lui élargi aux réseaux sociaux. Le commissaire européen Thierry Breton a déclaré, sur la déontologie des contenus, qu'internet ne pouvait rester un Far West.
Cette annonce d'une nouvelle époque est très stimulante, mais je n'opterais pas pour une autorégulation totale. En effet, j'accorde une confiance limitée aux acteurs et je pense qu'ils s'autoréguleront de façon d'autant plus efficace que des mécanismes de sanction sont par ailleurs mis en place. On parle beaucoup de la mise en place par les acteurs de mécanismes de contrôle des contenus - Google et Facebook disent avoir déjà commencé -, mais je pense qu'il vaut mieux marcher sur ces deux jambes. D'ailleurs, le projet de règlement européen prévoit des sanctions qui peuvent aller jusqu'à 6 % du chiffre d'affaires mondial des entreprises concernées.
La publicité ciblée est assez effrayante. Les régies connaissent absolument tout : votre profil, l'endroit où vous habitez, la composition de votre famille, votre âge, votre sexe, vos préférences commerciales, votre niveau d'éducation... Ce qui a été mis en place pour les acteurs de l'audiovisuel par le décret adopté l'année dernière est plutôt une publicité segmentée. Les publicités ne peuvent indiquer le lieu exact des annonceurs, de façon à maintenir les équilibres, notamment avec la presse quotidienne régionale (PQR). Les médias ont vraiment conscience que les grands équilibres ne doivent pas être complètement perturbés. L'idée du décret est de permettre aux acteurs audiovisuels d'avoir une réponse publicitaire différente de celle des acteurs numériques, sans subir les effets d'une régulation complètement asymétrique et sans non plus fragiliser la PQR. À cet égard, le système trouvé en août dernier me paraît plutôt équilibré.
M. Laurent Lafon, président. - Madame, je vous remercie.
Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de Mme Juliette Théry-Schultz aux fonctions de membre du CSA
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, en application du deuxième alinéa de l'article 4 de la loi du 30 septembre 1986, il nous appartient à présent de nous prononcer par un vote à bulletins secrets sur la candidature de Mme Théry-Schultz, proposée par le Président du Sénat.
À l'appel de votre nom, un fonctionnaire passera parmi vous pour vous permettre de déposer votre bulletin dans l'urne et signer la feuille d'émargement.
J'invite les deux plus jeunes membres de la commission présents dans la salle, Mmes Alexandra Borchio Fontimp et Anne Ventalon, à venir décompter les résultats.
Je rappelle que la commission donnera un avis favorable à cette désignation si et seulement si la candidature de Mme Théry-Schultz recueille au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de Mme Juliette Théry-Schultz aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
M. Laurent Lafon, président. - Voici le résultat du scrutin :
Votants : 31
Bulletins blancs ou nuls : 0
Suffrages exprimés : 31
Majorité des suffrages exprimés : 3/5ème
Pour : 31
Contre : 0
La commission donne un avis favorable à la nomination, par le Président du Sénat, de Mme Juliette Théry-Schultz aux fonctions de membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 15.
Mercredi 3 février 2021
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Audition de M. Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique
M. Laurent Lafon, président. - Bonjour à tous. Le Centre national de la musique (CNM) a été institué par la loi du 30 octobre 2019. La proposition de loi avait fait l'objet d'un examen minutieux de notre commission, notamment de notre rapporteur Jean-Raymond Hugonet.
Monsieur Thiellay, vous avez été nommé président le 26 novembre dernier d'une structure ambitieuse et attendue, destinée à fédérer les différentes familles de la musique autour d'un projet et d'une vision commune. Jean-Raymond Hugonet marquait ainsi cette ambition initiale en séance publique au Sénat : « Le CNM doit bien devenir une maison commune, à même de porter, structurer, inspirer toute la filière musicale, infuser dans les écoles, révéler des talents à l'international ».
Cette tâche déjà herculéenne en soi doit aujourd'hui vous paraître presque douce. Le CNM a dû, en effet, dans l'urgence, apporter des soutiens à l'ensemble d'un secteur très durement frappé par la crise pandémique. Pour l'amateur d'opéra que vous êtes, on peut dire que vous n'avez pas connu de prélude et que vous êtes entré directement dans le vif du sujet, l'État vous ayant rapidement délégué une bonne partie de la gestion de la crise dans ce secteur, en quadruplant le budget pour 2021.
Monsieur le président, la commission est donc heureuse de vous auditionner pour la toute première fois, afin que vous nous exposiez la manière dont le CNM a réussi à conduire parallèlement la structuration du nouveau Centre et les aides au secteur. Nous sommes également intéressés par votre regard sur l'état de la musique aujourd'hui et les voies d'une sortie de crise.
M. Jean-Philippe Thiellay, président du Centre national de la musique. - Merci monsieur le président, pour ces mots et pour votre invitation. Mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, comme vous l'avez souligné, le Centre national de la musique est né d'une initiative parlementaire. Je crois que c'est le dernier établissement public de l'État à avoir été créé. Un établissement public à caractère industriel et commercial créé sur une initiative parlementaire, c'est encore plus rare. J'y vois un atout, qu'il faut faire vivre. Grâce à ces invitations, vous rendre compte des avancées dans la création de l'établissement et de la politique que nous mettons en oeuvre me semble non seulement indispensable, mais surtout utile et agréable. Je vais essayer de brosser aussi rapidement que possible un tableau en trois temps.
La loi que vous avez votée est pleinement appliquée. Le Centre national de la musique est un établissement public « en ordre de marche ». La gouvernance interne à l'établissement, le conseil d'administration, le conseil professionnel, l'organigramme de l'équipe, tout ceci fonctionne, malgré les difficultés liées au contexte sanitaire que nous connaissons.
Nous avons réalisé la fusion avec quatre associations partenaires qui avaient significativement occupé les débats parlementaires, le Fonds pour la création musicale, le Club action des labels et des disquaires indépendants français (Calif), le centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles (IRMA) et le Bureau export de la musique française. La fusion, librement décidée par les organes de ces structures, est intervenue le 1er novembre 2020 et les salariés ont été intégrés dans l'établissement public. Nous sommes en train d'achever l'élaboration d'une convention collective, ce devrait être fait d'ici la fin du mois de mars. Nous allons ensuite réunir tous les salariés au cours de la première quinzaine du mois d'avril, si tout va bien, dans des locaux adaptés au nouvel établissement. Pour l'instant, les salariés sont répartis entre cinq lieux distincts, exigus et inadaptés. Nos nouveaux locaux se trouveront entre la Bibliothèque nationale de France et la « station F » dans le 13ème arrondissement.
Une des premières missions porte sur les études. Nous avons lancé - et, pour certaines, terminé - plusieurs enquêtes, dont l'une sur la place des femmes dans les festivals, car l'égalité femmes-hommes est un axe majeur de l'action de l'établissement. Une étude a également été rendue publique la semaine dernière sur la répartition de la valeur sur les plateformes de streaming. C'est le modèle dit user centric, par opposition au modèle market centric.
Nous allons publier dans quinze jours ou trois semaines un jeu de fiches très pratiques, à l'intention de la filière, sur les conséquences du Brexit. Une étude porte sur l'expérience spectateur. Elle présente malheureusement moins d'urgence aujourd'hui. Une étude porte sur l'outremer. Ce ne sont là que quelques exemples.
Notre établissement a été en première ligne face à la crise, ce qui résulte, pour partie, d'un choix délibéré. Le 18 mars, lors du premier vrai conseil d'administration, une feuille de route était établie, ainsi qu'un budget rectificatif pour l'année 2020. Le confinement étant intervenu deux jours plus tôt, le 16 mars. Nous avons fait le choix, soutenus en cela par le ministère de la culture, d'agir immédiatement en soutien des professionnels, alors même que nous avions une vision très limitée sur la durée du confinement, sur ses conséquences économiques et même sur les moyens dont nous pourrions disposer. Nous avons mobilisé toutes nos ressources, c'est-à-dire le fonds de roulement, les 7,5 millions d'euros votés par le Parlement dans le cadre de la loi de finances initiale, pour monter ce qui fut, à ma connaissance, le premier fonds de soutien, au-delà de l'intervention de l'État à travers le fonds de solidarité (dont l'intervention était plafonnée à 2 500 euros).
Cette volonté d'agir vite s'est combinée avec celle d'adapter sans cesse les dispositifs (par exemple en revoyant les plafonds et conditions d'attribution des aides), ce que nous continuons de faire. C'est l'un des avantages d'un établissement public : une fois réuni le conseil d'administration, nous pouvons modifier le règlement intérieur qui sert de base aux aides et celles-ci peuvent alors être mises en oeuvre très rapidement. De fait, au printemps 2020, nos délais de règlement étaient de l'ordre de trois semaines. Ils se sont un peu allongés car la situation s'est compliquée par la suite.
Il y a eu plusieurs étapes entre le 18 mars, date à laquelle nous avons mobilisé tous les moyens de l'établissement (soit quelques dizaines de millions d'euros), et la mobilisation massive de moyens par l'État, à travers différentes lois de finances successives. Au total, nous avons versé, en 2020, 98 millions d'euros, en tenant compte des quelques millions d'euros venant du Burex, du Fonds pour la création musicale et du droit de tirage que les redevables de la taxe avaient préalablement versés.
52 % de ces aides ont bénéficié à des associations, 43 % à des entreprises (lesquelles sont davantage aidées en montant). Plus de 70 % des bénéficiaires se trouvent hors de l'Ile-de-France, bien qu'il y ait de nombreux sièges de producteurs de spectacles et de maisons de disques à Paris.
L'urgence représente 67 millions d'euros, ce qui recouvre les différents fonds de secours et fonds de sauvegarde que nous avons inventés au fil de l'eau. Je note avec intérêt que quelques régions sont venues abonder ces fonds de soutien, notamment la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. La Ville de Paris, en plus de l'action conduite année après année pour l'équipement des salles, a également abondé ces fonds d'urgence. Des discussions ont par ailleurs abouti avec les régions Hauts-de-France et Grand Est.
Le CNM a continué de s'appuyer sur une action territoriale qui avait été lancée par le Centre national de la chanson et des variétés et du jazz (CNV) avant 2019. Près de 3,5 millions d'euros supplémentaires ont ainsi pu être versés en plus des interventions d'urgence, en lien avec les régions et les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), puisque tout ceci se décide de manière contractuelle avec l'État.
Cette aide a d'abord bénéficié au monde du spectacle vivant, car c'est celui qui a été touché en premier et qui redémarrera en dernier. Comme vous le savez, le CNM est compétent pour l'ensemble des esthétiques et modèles économiques, y compris la musique enregistrée. C'est une différence considérable par rapport au CNV. Dans l'urgence, cependant, nous avons fait le choix de privilégier le monde du spectacle et la production de spectacle, car c'est là que les risques de défaillances, de disparitions, de rachats, de perte de diversité étaient les plus grands.
Nous avons aussi essayé d'innover dans cette crise. L'année 2020 a fait apparaître des évolutions dans les pratiques culturelles des Français, qui ne pouvaient plus se rendre dans les salles de spectacle et ont davantage écouté de la musique en streaming, même si la « consommation » musicale a plutôt diminué, notamment lors du premier confinement. La musique enregistrée a plutôt bien résisté. Au printemps, son mode de diffusion passait beaucoup par du livestream gratuit. Il n'y avait pas de modèle ni de logique économique. En revanche, à partir de l'automne, des initiatives ont jailli, que le CNM a voulu soutenir, en y consacrant immédiatement 5 millions d'euros, afin de soutenir les modes de diffusion alternatifs de spectacles et d'encourager des captations, diffusées ensuite sur des chaînes de télévision nationales ou locales et sur internet, de façon gratuite ou payante. Le CNM calibre naturellement le niveau de son soutien en fonction de ces canaux de diffusion.
Ces nouveaux modes de diffusion ont permis à des dizaines de milliers de journées de travail d'être possibles, malgré l'absence de public. Des caméras étaient installées et le public était trouvé différemment. Des équipes techniques et artistiques ont ainsi pu travailler malgré tout. Ce dispositif, que nous avons inventé, en bonne intelligence avec le ministère de la culture, fait émerger de nouvelles pistes de réflexion quant aux modes de diffusion. Rien ne remplace le spectacle vivant ni une salle, car la musique est du son, phénomène physique qui se dégrade nécessairement lors de toute intermédiation. Néanmoins, cela permet de toucher un public différent dans cette période particulière, peut-être au-delà, et de constituer des catalogues d'enregistrement, c'est-à-dire d'enrichir une forme de patrimoine musical.
Nous avons monté un fonds de compensation ouvert à toutes les esthétiques (ce qui inclut les musiques actuelles) dans le champ de la taxe sur le spectacle et pour la musique classique, hors du champ de la taxe. Ce fonds a commencé à accompagner la reprise qui s'est amorcée à l'automne, avant le couvre-feu puis la nouvelle interdiction de toute activité. C'est un outil extrêmement utile pour encourager l'investissement et aider ceux qui font vivre la musique à prendre des risques. Si, du fait de décisions administratives, ils ne pouvaient atteindre leur point d'équilibre, en termes de jauge, ce fonds de compensation permettait de compenser cet écart éventuel moyennant l'ajustement, en cas d'amélioration de la situation, du niveau d'aide publique versée par l'établissement. Nous avions budgété 50 millions d'euros pour ce fonds et en avons dépensé 22 millions en 2020. Les crédits votés en loi de finances rectificative ont naturellement été reportés à 2021. Nous avons sous-consommé ces crédits mais leur report à 2021 et le nombre de dossiers en cours d'instruction nous conduisent à estimer que ce fonds est virtuellement épuisé. Nous sommes même dans une impasse à hauteur d'une trentaine de millions d'euros, comme nous l'avons indiqué au ministère de la culture.
Il en est de même pour le « fonds de sauvegarde 2 », doté de 50 millions d'euros et ouvert à toutes les structures (musiques actuelles, musique classique, musique contemporaine). Nous avons consommé 12 millions d'euros et reporté 38 millions à 2021. Là aussi, compte tenu du nombre de dossiers en cours d'inspection et de l'élargissement des critères d'éligibilité, nous prévoyons une impasse de 12 millions d'euros qui pourrait conduire, dès les prochaines semaines, à baisser le niveau moyen de l'aide.
Je n'entrerai pas dans le détail du budget 2021, sauf si vous m'interrogez à ce sujet. Le plan France Relance, voté en fin d'année 2020, nous a permis d'attribuer 182,5 millions au programme de soutien. L'essentiel (115 millions d'euros) ira aux entreprises de spectacle, de musique et de variété, c'est-à-dire aux entreprises entrant dans le champ de la taxe sur le spectacle. Nous allons aussi, pour la première fois, aider les auteurs-compositeurs (sans lesquels il n'y a pas de musique), avec 7 millions d'euros en 2021.
Nous allons renforcer l'action visant la production et la distribution phonographique, que nous avons moins aidées en 2020, à hauteur de 19 millions d'euros. L'édition musicale (métier qui s'est considérablement transformé depuis deux cents ans, et qui contribue à l'émergence d'artistes et à la construction de carrières) sera soutenue à hauteur de 7 millions d'euros.
Une aide ira aux professions indépendantes qui n'étaient aidées ni au titre du spectacle, ni au titre de la musique enregistrée, c'est-à-dire les agents, managers, attachés de presse et entreprises individuelles n'ayant pas d'employé, à hauteur de 3,5 millions d'euros. Un renforcement de l'action en faveur des territoires est également prévu. Je n'y insiste pas, car la liste serait un peu fastidieuse. Tous ces éléments sont bien sûr publiés sur notre site internet.
D'une façon générale, la situation est très difficile. Il existe une très grande angoisse parmi les professionnels du spectacle vivant, en particulier parmi les organisateurs de festivals, car ceux-ci ont été, pour la plupart, annulés en 2020. Toutes les situations sont différentes. Certaines structures très subventionnées s'en sont plutôt bien sorties en 2020. D'autres, qui font face à des enjeux de billetterie massifs, craignent que leur trésorerie soit mise à mal par les demandes de remboursement du public. Il est donc assez difficile de dresser un tableau exhaustif. Il existe en tout cas une grande inquiétude, en particulier pour l'été 2021.
Les crédits votés dans le cadre du plan France Relance nous permettent d'intervenir. Les 115 millions d'euros du « fonds de sauvegarde 3 » permettront de prendre en compte les pertes d'exploitation jusqu'au 31 mars 2021. Nous discutons actuellement du plafond avec les professionnels dans le cadre d'une concertation avec eux. Néanmoins, l'inquiétude sur les festivals n'a pas été prise en compte dans le plan France Relance, car nous pensions que le redémarrage pourrait avoir lieu au printemps ou durant l'été, notamment pour les très grandes jauges. Je ne veux citer aucun festival en particulier mais vous les avez bien en tête. S'il s'avérait que ces festivals ne puissent avoir lieu, cela aurait des conséquences pour lesquelles le plan France Relance n'est pas dimensionné. Nous travaillons très bien avec le ministère de la culture mais il y a là une vraie question.
Pour le reste, plusieurs questions sont sur la table. Je vais les mentionner sans trop entrer dans le détail. Comme le sénateur Hugonet le sait mieux que quiconque, le financement du CNM repose sur :
- une taxe sur le spectacle vivant musical et de variété ;
- une intervention de l'État à hauteur de 20 millions d'euros, une fois que la montée en puissance triennale sera terminée ;
- une contribution des organismes de gestion collective privée, qui finançaient les associations avec lesquelles nous avons fusionné ;
- une action conventionnelle, collaborative, avec les régions notamment.
Ce mécanisme doit être examiné du fait de la disparition des recettes sur les spectacles. Nous espérons naturellement que ceux-ci vont reprendre. Une autre question porte sur le champ de la taxe. Nous avons aidé des structures hors du champ de la taxe, ce qui me semble conforme à l'esprit de la loi, car nous représentons la « maison commune ». L'article 1er de la loi ne mentionne pas une taxe mais le soutien à l'ensemble de la filière, en complément des interventions de l'État. Cette question sur le champ de la taxe a été posée par l'Union syndicale des employeurs du secteur public du spectacle vivant (Usep-Sv), qui regroupe différentes structures telles que les Forces Musicales et le syndicat professionnel des producteurs, festivals, ensembles, diffuseurs indépendants de musique (Profedim).
Il me paraît également nécessaire de trouver à court ou moyen terme d'autres mécanismes de soutien à la filière, car je crois que la taxe sur les spectacles, dans son périmètre actuel, les subventions de l'État et les organismes de gestion collective (qui sont en difficulté), ne suffiront pas à poursuivre la construction de cette maison commune de la musique pour soutenir la création, la musique enregistrée, l'export et la diversité. Je n'ai pas mentionné l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 8 septembre mais chacun l'a à l'esprit.
La contribution du digital au soutien de la filière constitue aussi une question. Je vise, en abordant celle-ci, un champ très large allant des idées évoquées ici même (par exemple à propos des objets connectés, dont une des utilisations majeures est l'écoute de la musique, sans qu'ils ne contribuent en aucune manière à la création) à la contribution de grandes plateformes qui mettent en avant les artistes mais gagnent aussi beaucoup d'argent en utilisant leur présence sur leur site. Là aussi, je ne citerai aucun nom mais chacun voit à quelles plateformes je fais référence. Une large partie de cette architecture a été bâtie avant que le CNM ne soit créé. Certains mécanismes sont notamment passés par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) du fait de l'absence de CNM. Il me semble que nous pourrions aujourd'hui envisager d'adapter ces mécanismes aux nouvelles modalités d'action de la politique publique en faveur de la musique.
Enfin, il ne vous échappe pas que des discussions sont en cours au plan communautaire à propos des règles applicables en matière de TVA. Certaines plateformes diffusant davantage de sport que de musique posent la question du niveau de TVA sur les services de télévision par abonnement. La question de la TVA sur la musique peut se poser, à l'heure où les plateformes de streaming sont en développement mais ne gagnent pas d'argent, alors que la question de la rémunération des artistes se pose. Je pense que nous sommes dans un moment de transition, que la crise accélère.
Cela doit nous conduire, en concertation avec les professionnels et en lien avec les pouvoirs publics, l'État et le Parlement, à réfléchir à la construction d'un dispositif soutenable et consolidé. Nous n'y sommes pas, car les fondamentaux ne sont pas tout à fait stables.
En tout cas, le CNM, indépendamment de cette action de soutien qui prendra aussi la forme de soutien aux professionnels, d'édition d'ouvrages, de publication de notes, etc., a vocation à réfléchir sur les moyens de rendre la musique plus forte et d'en assurer la diversité, dans le respect des droits culturels qui constituent un objectif majeur de ce nouveau mode d'action publique.
M. Laurent Lafon, président. - Merci, monsieur le président. Je ne doute pas que vous aurez l'occasion de revenir sur un certain nombre de points, notamment ceux que vous avez abordés dans la dernière partie de votre exposé, à travers la réponse aux questions.
Je donne la parole à notre rapporteur pour avis des crédits du programme « Livre et industries culturelles », Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. - Bravo, à vous et vos équipes, car vous avez vécu un baptême du feu dans des conditions assez incroyables. Le CNM a été créé dans une période de pandémie inédite et vous avez tenu le choc. Je veux vous en féliciter, pour avoir su traverser cette épreuve en mettant sur de bons rails cet organisme qui était très attendu.
Je pense qu'il faudra que vous précisiez les perspectives budgétaires sur le long terme, notamment lorsque les enveloppes que vous évoquez seront dépensées. Le monde de la musique évoque la lenteur de déblocage des aides, notamment sur la musique enregistrée. Seul 0,5 % aurait été débloqué. Que pensez-vous du nombre de fonds qui ont été créés ? Faudrait-il les regrouper pour simplifier ce paysage ?
Il reste la question pendante du financement, à long terme, du Centre national de la musique, comme vous l'avez indiqué. Nous étions plusieurs à avoir proposé une contribution des matériels audio, qui forment l'un des seuls secteurs (hors du digital) à bénéficier de la création sans la financer. Cette piste est-elle à explorer et quelles voies privilégier pour que ses contours juridiques ne soient pas discutables ?
J'ai également une question sur les liens que vous entendez nouer avec les collectivités territoriales, en particulier pour le soutien des conservatoires et des salles communales.
Vous avez dit un mot de la recomposition des relations avec les organismes de gestion collective (OGC) dans le prolongement de l'arrêt de la CJUE, mais peut-être faudrait-il préciser ce qui se dessine.
Les montants des aides sont aujourd'hui plafonnés. Ces règles doivent-elles évoluer à vos yeux ? Il existe des inquiétudes au sein d'entreprises grandes ou moyennes qui sont actuellement en grande difficulté.
Enfin, vous pourriez nous dire un mot des études en cours sur le modèle user centric et la façon dont les artistes pourraient être mieux rémunérés sur les plateformes en ligne.
M. Laurent Lafon, président. - Je vais également donner la parole à Jean-Raymond Hugonet, qui était rapporteur de la proposition de loi visant à créer le CNM pour le Sénat.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Monsieur le directeur, je suis et nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir aujourd'hui pour cette première audition. Il aura malheureusement fallu un virus pour démontrer, à quelques semaines près, le bien-fondé de la création du CNM. On pourrait se demander, un instant, ce qu'il se serait passé si le CNM n'avait pas existé.
Indépendamment du plaisir que j'ai eu à rapporter le texte de la proposition de loi au Sénat, je tiens à rappeler que la création du CNM avait été préconisée par Roch-Olivier Maistre dans un rapport sur l'état de la musique. Aujourd'hui, c'est chose faite. C'est une vraie victoire pour la musique.
Je me suis réjoui également de vous entendre rappeler que les auteurs-compositeurs étaient à la base de toute création musicale et que sans eux, il n'y aurait pas de musique. Cela semble une évidence. Néanmoins, dans un écosystème où les éditeurs ont un rôle fondamental (qui a évolué dans le temps), il est capital ne pas l'oublier.
Ma première question fait écho à celle que notre collègue Françoise Laborde avait soulevée en commission, à propos du modèle user centric. Merci d'avoir abordé cet aspect déterminant, parfois mal connu. Le rapport qui avait été élaboré ici comporte des liens permettant d'en savoir plus à ce sujet. A l'heure des plateformes numériques, il s'agit de trouver une rémunération plus équitable pour les auteurs-compositeurs, étant entendu que les systèmes marchands créent des déséquilibres. La question se pose dans des termes simples mais son analyse est complexe et quelques éléments d'explicitation seraient bienvenus.
La musique intéresse énormément de personnes. C'est curieusement au moment où se crée le Centre national de la musique que se font jour des initiatives telles que le changement de nom de la Maison de la Radio (qu'il faut désormais appeler Maison de la Radio et de la Musique), souhaité par la présidente de Radio France, ou la création de la chaîne Culturebox. Comment percevez-vous ces initiatives dans le poste qui est le vôtre aujourd'hui ?
M. Jean-Philippe Thiellay. - Merci, messieurs les sénateurs, pour vos paroles aimables, qui s'adressent à toute l'équipe bien plus qu'à moi-même. Nos salariés ont fait preuve d'une très grande adaptabilité, sont passés en télétravail et ont démontré la passion qu'ils avaient pour ce métier de soutien de la filière. Je leur ai transmis également les remerciements que j'ai lus dans des rapports sénatoriaux de fin d'année, car c'est à eux qu'ils s'adressent.
En ce qui concerne les aides que nous avons mobilisées en 2020 et en 2021, nous avons réuni onze fois le conseil d'administration et modifié le règlement de l'établissement. Les plafonds ont d'abord été déterminés en fonction des moyens dont nous disposions, car nous ne savions pas, alors, quels étaient les besoins de la filière. Nous avons fixé un plafond à 10 000 euros, puis à 35 000 euros, puis à 120 000 euros. Dès lors que le fonds de sauvegarde, doté de 115 millions d'euros, viendra compenser des pertes documentées, allant jusqu'au 31 mars, il est évident que le plafond sera bien plus élevé. Je ne peux pas en dire davantage car son montant fait l'objet d'une concertation qui a lieu actuellement avec les professionnels - même si la décision incombe, in fine, au conseil d'administration sur proposition de l'équipe du CNM. Il dépassera en tout cas plusieurs centaines de milliers d'euros et même probablement le million d'euros. C'est de l'argent public. La Cour des comptes s'intéresse à ces dispositifs. Nous devons donc être certains de ce que nous souhaitons mettre en place.
Nous avons bien sûr créé trop de fonds à travers nos interventions en 2020. Leur nombre est trop élevé et sera réduit en 2021. Nous allons concentrer nos interventions sur la sauvegarde (c'est-à-dire éviter des faillites) et les mécanismes de compensation. À ce jour, je n'ai pas eu connaissance de défaillances d'entreprises ou d'associations dans le champ du spectacle ou de la musique enregistrée. Les dispositifs de compensation, eux, sont des mécanismes de relance à l'intention de ceux qui prennent des risques. La simplification de cette architecture d'aides devra veiller à maintenir un très large champ de bénéficiaires - ceux qui paient la taxe et ceux qui ne la paient pas.
Nous avons débuté une concertation très large, à laquelle participent plusieurs centaines de personnes, compte tenu de l'hétérogénéité de la filière, pour la définition de notre dispositif d'aides en régime de croisière. Là aussi, le paysage est divers (aides à l'export, aides à la création musicale, aides aux disquaires...). Il faut organiser tout cela de manière cohérente. Notre conseil d'administration doit se réunir le 15 mars prochain et l'objectif est que la plus grande partie de nos aides de droit commun soit alors définie, de même que les dispositifs devant répondre aux objectifs d'égalité entre les hommes et les femmes et de simplicité, sans oublier la notion de « parcours utilisateurs ». Un artiste réfléchit en termes de composition, d'interprétation, mais aussi de musique à l'image (pour soutenir ses créations sur internet), de passage à la scène et d'export. Auparavant, il fallait passer par cinq guichets (les quatre associations et le CNV). Nous ne pouvons parler d'un « guichet unique » car il n'est pas question de remplacer l'action de l'État ni celle des collectivités territoriales mais nous souhaitons fluidifier ce parcours à travers le CNM, et faciliter la mise en oeuvre du soutien sur l'ensemble de cette chaîne de production, lorsqu'un tel soutien est pertinent.
Les organismes de gestion collective (Adami, SCPP, SPPF...) siègent au conseil d'administration et au conseil professionnel du CNM. Ils ont été très durement frappés par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne. La question étant très technique, elle n'a pas pris la forme d'un débat public. Il n'en demeure pas moins que 25 millions d'euros par an, au bas mot, disparaissent de la production de spectacles et de disques. Nous verrons moins de logos des OGC sur les pochettes de disques ou les banderoles des festivals. Or, une partie de ces fonds revenait aux associations. Il en résulte une perte d'environ 8 millions d'euros par an pour le budget prévisionnel du CNM. C'est donc aussi un coup dur pour nous. Je n'ai pas de solution, car cette décision a été prise au niveau communautaire. L'arrêt de la Cour ouvre la voie à un règlement communautaire qui pourrait trancher cette question des « irrépartissables juridiques ». La question dépasse de loin le Centre national de la musique. Nous avons annoncé que nous ferions preuve de solidarité, d'abord en accueillant les salariés des associations qui étaient financées par les OGC. Nous disons également à ceux-ci que nous comprenons les difficultés supplémentaires auxquelles ils vont être confrontés en 2021, qui s'ajoutent aux autres, et espérons qu'un retour à meilleure fortune leur permettra de reprendre un mécanisme de contribution à partir de 2022. C'est un dispositif original et intéressant que de disposer de dotations de l'État, d'une taxe affectée et de contributions du secteur privé.
La question des conservatoires est très importante, car tout part de la formation, en termes de culture musicale, de parcours de vie. Le CNM est un établissement public qui est avant tout destiné au secteur professionnel. L'alinéa 11 de l'article 1er de la loi indique que le CNM participe au développement de l'éducation artistique et culturelle, dans son champ de compétences, en complément du rôle joué par l'État et les collectivités territoriales. Le ministère de la culture nous a demandé une cartographie de l'existant en matière d'éducation artistique et musicale. Je ne sais pas sur quoi elle va déboucher, d'autant plus que le ministère a décidé de se muscler dans ce domaine également. Le partenariat avec les collectivités territoriales permet en tout cas d'insérer dans les contrats de filière de nombreux types d'aides, puisqu'il s'agit de se mettre d'accord. Travailler sur la formation - initiale ou professionnelle - et renforcer ce rôle me semble pouvoir entrer dans les missions de l'établissement public.
Le sénateur Bargeton et le sénateur Hugonet m'interrogent sur le modèle user centric. Le sujet est à la fois très simple et très compliqué. Des millions de Français paient un abonnement à une plateforme de streaming et peuvent se demander où va cet argent. Le montant de ces abonnements alimente le chiffre d'affaires de ces plateformes au niveau national. Se pose ensuite la question de la répartition de ces recettes.
Au début de l'année 2020, le ministre de la culture, Franck Riester, nous avait demandé de travailler sur cette question, dans la perspective notamment de la loi sur l'audiovisuel, au travers de laquelle le législateur pouvait envisager d'intervenir. La perspective de loi audiovisuelle s'éloignant, nous avons un peu de temps pour travailler sur cette question extraordinairement complexe. Il faut d'abord noter que seuls Spotify et Deezer ont participé à l'étude. Toutes les autres plateformes l'ont refusé, pour des motifs qui leur appartiennent. Pour la première fois, au plan mondial, une étude confronte une méthodologie commune à ces deux plateformes. Notre objectif n'était pas de dire ce qui était bien ou mal, mais de montrer ce qui changerait dans l'hypothèse d'un passage au modèle user centric, sachant que le modèle actuel répartit globalement le chiffre d'affaires réalisé, et non votre abonnement.
L'étude est en ligne, avec un résumé qui se veut aussi simple que possible, même si les difficultés méthodologiques étaient grandes. En quelques mots, si nous passions au modèle user centric, c'est-à-dire si l'on répartissait la recette constituée par les abonnements au bénéfice des artistes que vous écoutez, et seulement à ces derniers, cela induirait des modifications dans cette répartition. En clair, quelques esthétiques qui sont les plus écoutées par les utilisateurs très engagés (les plus jeunes), y perdraient. Ce serait le cas en particulier pour le rap et le hip-hop. A l'inverse, le pop rock, le classique, le jazz et le hard rock, bénéficieraient de ce nouveau mode de répartition.
Il y a de nombreux aspects que nous n'avons pu explorer, notamment du fait de l'anonymisation des données, et parce que celles-ci ne portaient pas sur les distributeurs, sans inclure les labels, encore moins les artistes. On ne sait pas si le pop rock, tel qu'il est défini par les plateformes, est du pop rock français ou international. Dans le classique, on ne sait pas si l'offre porte sur des playlists ou compilations rentabilisées par des majors depuis des décennies ou s'il s'agit d'oeuvres jouées par un quatuor pointu dans un petit label. Il ne faut donc pas faire dire à cette étude davantage que ce qu'elle dit. Des changements auraient lieu mais les changements les plus forts, en pourcentage, s'appliqueraient à des volumes si faibles que l'impact financier, pour de très nombreux artistes et même de nombreux producteurs, serait marginal. C'est une photographie de l'année 2019. Le marché est en plein développement. Il y a des questions qu'il faut continuer d'explorer (transparence des données, algorithmes, recommandations, composition des playlists). Dans la mesure où nous avons réussi à créer la confiance avec les acteurs du secteur, nous entendons continuer de travailler sur certains de ces aspects et sur les questions que nous n'avons pas encore pu explorer, faute d'existence ou de la communication de nombreuses données. A ce stade, il semble permis d'affirmer que le modèle user centric apporterait des changements mais ne serait en aucun cas la baguette magique qu'on pourrait être tenté d'y voir. Néanmoins, la dynamique d'évolution du marché recèle encore de nombreuses incertitudes en soi.
Nos liens avec Radio France sont excellents. J'étais ravi que la Maison de la Radio soit renommée « Maison de la Radio et de la Musique ». Le CNM est une maison commune et n'a aucune prétention à incarner seul la musique. Plus nous parlerons de musique, mieux ce sera. Dans les actes, Radio France fait énormément. Il y a eu l'« Hypernuit », il y a dix jours, que nous avons cofinancée. Des choses ont lieu en ce moment en matière de création contemporaine, car même la musique classique est vivante. Radio France mène une politique formidable, à laquelle nous sommes étroitement associés. Cela me paraît une bonne manière de faire pour le service public.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Le CNM est bien lancé ; nous vous devons beaucoup, monsieur le président. Je me réjouis que le débat parlementaire ait abouti à cette création concrète et très utile en ces temps de crise. Recevez tous nos encouragements pour le travail dans lequel vous êtes engagé.
Je reviens sur une question de fond, que j'avais soulevée à plusieurs reprises lors des débats avec le ministre Franck Riester et plus récemment avec la ministre Roselyne Bachelot, quant au périmètre du CNM et à son articulation avec la direction de la musique du ministère de la culture. Je pense bien sûr à l'héritage du CNV, qui était plutôt consacré aux musiques de variété et aux musiques actuelles. Ma question vise particulièrement la musique de patrimoine et de création, autrement dit la musique classique. Ce secteur participe au groupe de travail que vous avez mis sur pied.
Se pose néanmoins la question des missions dont va se doter le CNM, en articulation avec la direction de la musique de la DGCA, étant entendu que le ministère a aussi un rôle d'aménagement du territoire et que la musique de patrimoine et de création est aussi le reflet de la vie dans les territoires. Quelle place le CNM entend-il donner à la musique de patrimoine et de création, qui a besoin d'être accompagnée, en temps de crise comme en temps normal ?
Une autre question porte sur le fonds d'urgence et d'accompagnement, à propos de ces structures qui ne paient pas la taxe sur la billetterie (à la différence d'autres contributeurs du CNM) et ne sont pas éligibles, pour cette raison, à ces aides. Je rappelle que la taxe sur la billetterie demeure une ressource importante mais parcellaire pour le CNM. De plus, tous les adhérents ne s'acquittent pas de cette taxe. Je pense notamment au secteur phonographique.
Qu'en est-il de l'aide octroyée actuellement pour la captation et la diffusion, sachant que les structures musicales sont privées d'une diffusion directe dans les salles auprès de leurs publics ?
Mme Sylvie Robert. - Je me joins aux félicitations que vous ont adressées mes collègues et voudrais vous féliciter, monsieur le président, pour le programme que vous avez initié en matière de prévention contre les violences sexuelles et sexistes dans le domaine de la musique et pour l'égalité hommes-femmes. C'est une initiative bienvenue et très appréciée aujourd'hui.
Votre réactivité et votre adaptabilité, au cours de la première période de la crise, ont été vivement appréciées. Vous nous aviez fait part de vos préoccupations sur le plan budgétaire et même d'une impasse qui semble malheureusement se confirmer, ce qui montre que nous devrons examiner très précisément avec vous la façon dont les choses vont pouvoir se passer.
Vous vous trouvez aujourd'hui dans une deuxième étape, au coeur de laquelle se trouvent les modalités d'accompagnement. Nous ne sommes pas encore dans une phase de relance.
Je voudrais d'abord évoquer les festivals, qui me tiennent particulièrement à coeur mais n'ont malheureusement aucune perspective. La Bretagne est une terre de festivals. Je crois qu'une rencontre est prévue à ce sujet avec la ministre le 15 février prochain. Malgré l'absence de perspectives, les organisateurs de festivals travaillent. Ils ont échafaudé de multiples hypothèses de jauge dégradée et envisageant différentes configurations, de façon extrêmement responsable. Ils savent qu'ils risquent de devoir travailler dans une configuration nouvelle au printemps et peut-être même à l'été prochain. Le CNM sera-t-il au rendez-vous pour les accompagner dans ces nouvelles modalités ? Je pense particulièrement aux jauges dégradées. Ceux qui ne bénéficient pas d'aides publiques auront cette difficulté.
Vous avez très peu parlé des territoires. Or nous sommes attachés à cette question. Les collectivités territoriales sont à la fois attentives et parties prenantes des différents évènements. Vous avez accompagné, voire signé, des contrats de filière. D'autres dispositifs se profilent-ils dans le contexte actuel ? C'est aussi notre capacité collective (élus, CNM, professionnels) d'imaginer des contrats de filière un peu différents dans la période actuelle qui est en jeu et j'aimerais savoir de quelle façon vous y travaillez.
Enfin, la question des phénomènes de concentration a été souvent évoquée dans cette assemblée. Un embouteillage est à prévoir au cours des mois et années qui viennent, car de nombreuses représentations d'artistes ont été reportées ou annulées. Le public a conservé ses billets. Nous voyons bien que résoudre ce problème sera très compliqué. Je sais que vous n'avez pas un rôle de régulation, mais peut-être pourrez-vous, au travers des aides, infléchir ces trajectoires que l'on sent s'amorcer.
M. Jérémy Bacchi. - Je voulais saluer à mon tour le travail réalisé au cours de cette année 2020, ô combien compliquée. Je me joins donc au concert de louanges adressées à vos collaborateurs et à vous-même pour le travail réalisé, même s'il reste beaucoup à faire. C'est l'objet de ma première question.
Vous évoquez un certain nombre de pistes pour l'année 2021, notamment l'élargissement éventuel des structures qui pourraient contribuer à la taxation, et l'idée d'une contribution digitale. Cela mériterait de vous entendre de façon un peu plus précise sur ces pistes.
Nous sommes dans une période où existe, localement, la volonté de trouver d'autres formes de représentation de spectacles. Les concerts-tests en font partie. Cette recherche existe aussi à Marseille, dont je suis élu. J'aimerais entendre des perspectives plus nationales sur cette question et aimerais savoir de quelle façon ces nouvelles formes de représentation pourraient favoriser la reprise plus rapide d'un certain nombre de spectacles.
Vous évoquiez également la nécessité de trouver d'autres formes de transmission du spectacle vivant. À ce titre, peut-être avez-vous des discussions avec la nouvelle plateforme Salto, qui pourrait constituer un outil de transmission de formes de spectacle vivant, par exemple. C'est une interrogation que je vous soumets.
Enfin, je ne crois pas avoir entendu évoquer la question du piratage. Elle est de moins en moins présente dans le débat public alors qu'elle continue d'avoir un impact extrêmement prégnant sur la production.
Mme Sonia de La Provôté. - Je me joins au concert de compliments qui vous ont été adressés, en saluant également l'absence d'ostracisme qui distingue la filière, quand bien même certaines structures ne paient pas la taxe. D'autres secteurs seraient bien inspirés de considérer les choses de cette façon. Le fait que les soutiens mis en oeuvre embrassent l'ensemble du territoire national (même si, selon que l'on est public ou non, on ne bénéficie pas du même accompagnement) me paraît également à saluer. Il faut parfois faire sauter les barrières, lesquelles sont, somme toute, virtuelles, et ne contribuent pas à faire vivre un écosystème. Votre action a contribué à maintenir une partie de la diversité de celui-ci.
La question des festivals a été posée. Elle se pose évidemment avec acuité dans tous nos territoires, notamment dans la perspective éventuelle de jauges dégradées, mais cela ne dépend pas entièrement de vous.
J'aimerais savoir quel regard vous portez sur le Pass culture et sa contribution éventuelle à l'accompagnement de la culture. Quel est à vos yeux son « rapport qualité-prix », pour dire les choses rapidement ?
Vous avez évoqué les droits culturels, qui favorisent la diversité des esthétiques et des pratiques (amateurs et professionnelles) mais renvoient aussi à tous les territoires. Le CNM a un rôle important à jouer de ce point de vue, car il a démontré sa capacité à s'adapter et à porter un regard différencié et bienveillant, quels que soient le lieu, les structures ou acteurs portant la musique.
Le numérique constitue à l'évidence un enjeu important mais également une opportunité pour les auteurs-compositeurs. De nombreux auteurs ont d'ailleurs émergé, ces dernières années, à la faveur de l'absence de filtre, vis-à-vis du public, qui prévaut avec le numérique. Peut-être une contractualisation avec les grands acteurs du numérique pourrait-elle conduire à exiger d'eux cette contribution qu'ils sont seuls à pouvoir apporter, car le public à portée de main du numérique est très large. Il pourrait donc leur être demandé qu'ils permettent à des artistes émergents de se produire à grande échelle, face à un public, à moindre coût.
Mme Catherine Dumas. - Monsieur le président, la cérémonie des Victoires de la musique va arriver très vite. J'apprends dans la presse que la prochaine cérémonie, prévue le 12 février, pourrait constituer le premier test français dans le contexte du covid, devenant ainsi le premier rassemblement musical accueillant du public depuis près d'un an.
L'organisation de ce concert-test, auquel 1 300 spectateurs assisteraient, pourrait se faire en collaboration avec Innova Medical Group, spécialiste dans la production de tests antigéniques. Des expérimentations ont été conduites en Europe, récemment en Espagne. Elles permettent d'envisager des représentations dans des salles fermées, avec des places assises ou debout, moyennant notamment la réalisation d'un test à l'entrée des salles. Les résultats semblent plutôt concluants.
Que pensez-vous de l'opportunité d'organisation d'une expérience similaire, notamment dans le cadre des Victoires de la musique ? Un test en extérieur pourrait-il aussi être envisagé afin de préparer la saison des festivals ? Nous avons compris que leur sort était en suspens. L'enjeu consiste bien à donner au plus vite une visibilité aux professionnels qui font vivre la culture en France, quant au calendrier de réouverture des salles de concert. J'ai interrogé la ministre de la culture à ce sujet également et attends sa réponse.
Mme Annick Billon. - Je me joins aux félicitations qui vous ont été adressées, monsieur le président. Le CNM a joué une partition très bien réglée durant la pandémie et a démontré l'utilité de son rôle.
Vous avez évoqué la restructuration du financement. Nous savons que les collectivités jouent un rôle très important pour combler des pertes de recettes et maintenir des structures à flot. Comment envisagez-vous cette restructuration des financements ?
Par ailleurs, à propos des festivals, un problème particulier réside dans le désengagement des bénévoles, que l'on observe également dans le milieu du sport, alors qu'ils constituent un rouage précieux de l'organisation de tous les festivals au sein des territoires. Une année blanche éloigne nécessairement ces bénévoles des évènements. Ce constat rejoint la question de la perte potentielle de savoir-faire, voire de vocations, du fait de l'année que nous avons traversée.
M. Jean-Philippe Thiellay. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, en dix minutes, je ne pourrai que survoler certaines de ces questions, qui sont pourtant toutes fondamentales.
Je commencerai par celle de l'articulation d'un opérateur avec le ministère de la culture et l'État. Durant quarante ans, cette question a pesé sur l'absence de création d'un opérateur dans le domaine de la musique. Marcel Landowski l'explique en 1979 dans Bataille pour la musique : il va créer le Centre national de la musique et de la danse. Puis il explique qu'à peine déposé l'article de loi dans le projet de loi de finances, la filière s'est divisée. Le ministère de la culture, qui n'était pas bien vu, s'est raidi. Le CNM n'a finalement pas vu le jour.
Il faut prendre les choses aujourd'hui de manière concrète et dépassionnée. Je suis convaincu que la direction générale de la création artistique (qui est notre tutelle, avec la direction générale des médias et des industries culturelles) a son rôle à jouer : fixer des objectifs, contrôler leur atteinte, participer au conseil d'administration et aux groupes de travail). Il en est de même avec les DRAC, qui constituent le bras armé de l'État dans les régions et connaissent bien une partie de la vie musicale. Nous devons travailler en parfaite intelligence avec elles. Il y a eu un débat visant à savoir si les DRAC devaient constituer les représentants de l'établissement. Ce débat est tranché. En revanche, il faut trouver, sur le terrain, les moyens permettant de faire vivre les DRAC et de veiller à la cohérence de l'action publique. Il y a donc toute une série de choses que le CNM ne fera pas (par exemple le versement de subventions à d'autres opérateurs ou à de grands acteurs). En revanche, l'agilité d'un établissement public, la capacité à modifier les règles lorsque c'est pertinent, constituent des atouts. Le CNM est une personne morale de droit public.
La question de la taxe constitue une ligne de partage. La loi n'en parle pas et utilise des termes beaucoup plus larges que le seul champ de la taxe du CNV. Celle-ci est née d'une initiative des professionnels, sur la base d'une association qui existait antérieurement. Ils sont donc attachés à ce dispositif. La seule manière de sortir de ce débat consiste à poser la question du champ d'application de la taxe. Je n'ai pas de réponse. La décision incombe à l'État et au législateur. Nous sommes à la disposition de tous pour y travailler. Au cours de la première période de la crise, nous avons cherché à ouvrir toutes les commissions, sans considération pour les esthétiques. De nombreux représentants du monde classique, avec leurs organisations associatives ou professionnelles, travaillent avec le CNM et je m'en félicite, car les problématiques (production, tournées, export, digital) sont souvent comparables.
Les 5 millions d'euros que j'évoquais, concernant le fonds de captation, ont bénéficié à des opéras, à des orchestres, à des clubs de jazz, à des concerts pop. Cela prouve que les outils et les problématiques peuvent être communs.
S'agissant des festivals, la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, a mené une action très forte dès la rentrée, comme vous avez pu le constater. Les festivals de musique (qui paient la taxe et bénéficient à ce titre du droit de tirage ou des aides sélectives) représentent 15 à 20 % de l'action du CNM en régime de croisière. Pour le reste, en particulier les structures qui ne paient pas la taxe, nous sommes à la disposition de l'État, qui seul peut décider en la matière. Le fonds de compensation, que nous avons mis en place à l'automne, a bénéficié à certains festivals, par exemple « Jazz sous les pommiers » (avec une jauge très dégradée). C'est un outil très malléable qui peut presque jouer le rôle d'un mécanisme assurantiel, s'il est impossible pour les artistes de se produire. En cas de jauge dégradée, il peut permettre aux organisateurs d'atteindre le point d'équilibre.
Je veux saluer avec vous la très grande capacité de résistance des professionnels. Certains ont élaboré six ou sept scénarios différents. Ils font preuve, de surcroît, d'une certaine sérénité malgré les difficultés et sont absolument admirables.
Nous avons toujours indiqué à l'État que nous étions à sa disposition pour travailler (notamment avec deux syndicats, le Prodiss et le SMA, qui ont mis en place des protocoles) sur la question des tests. Celle-ci se pose principalement en termes de police administrative et incombe donc plutôt à l'État. Nous sommes associés aux travaux du ministère. S'agissant des Victoires de la musique, je crois savoir qu'une demande d'autorisation a été déposée à la préfecture. Je n'en sais pas davantage. De nombreuses questions pratiques se posent, par exemple si le test doit être utilisé plutôt sur la gestion des files d'attente ou les sorties, par exemple, en testant les personnes de façon très large, sans viser seulement le risque de contamination. Comme vous l'avez dit, la ministre nous réunit de nouveau dans deux semaines.
Étant moi-même très attaché à ma région (qui est celle du sénateur Bacchi), je me déplace chaque fois que je le peux dans les territoires. Le confinement ne m'a pas empêché de me rendre en Normandie, en Bretagne, en Auvergne-Rhône-Alpes et dans le sud de la France. Ce contact nous manque néanmoins.
Nous mobilisons 3,5 millions d'euros supplémentaires, dans le budget 2021, en faveur des relations avec les clientèles. Nous souhaitons élargir les contrats de filière à toutes les esthétiques et à la musique enregistrée. Cela dépendra des réponses des collectivités territoriales (à commencer par les régions mais peut-être aussi les villes et métropoles qui ont des compétences anciennes en matière culturelle et musicale). La loi énonce que le CNM associe les collectivités territoriales à l'exercice de ses compétences, ce qui me paraît une bonne formulation. Si nous mobilisons 3,5 millions d'euros supplémentaires, c'est avec l'espoir de partager avec les collectivités des objectifs communs de façon à mobiliser encore davantage de moyens, autour d'objectifs communs, si possible de long terme (structuration, professionnalisation), avec une évaluation in fine.
Je me souviens d'une table ronde, il y a un peu plus d'un an, ici même, sur le sujet de la concentration. Nous allons y travailler. L'Autorité de la concurrence est saisie et va rendre son avis dans les prochaines semaines. Nous disposerons ainsi d'un cadre juridique permettant de réfléchir en dépassant certains fantasmes et certaines craintes objectives. Nous n'éditons pas des normes dont nous sanctionnerions la méconnaissance mais nous pouvons orienter certaines choses à travers la politique d'aide et ses orientations. Nous serons vigilants sur l'effet sur les cachets - le report sur une période concentrée dans le temps pouvant induire des comportements de concurrence, loyale ou moins loyale. Les demandes d'aide passant par le CNM, en particulier pour les professionnels, nous serons informés et pourrons prendre les décisions opportunes.
Le sénateur Bacchi évoquait le piratage. Celui-ci existe dans le streaming mais nous manquons de données. Nous allons y travailler. Cette semaine a lieu une réunion avec la Hadopi afin de travailler sur le piratage des oeuvres musicales. La question est un peu passée au second plan dans la mesure où le téléchargement a beaucoup diminué, et même quasiment disparu. Le piratage des comptes, en revanche, reste malheureusement très actif et constitue une source de déperdition de valeur.
Nous avons de bons contacts avec le service du Pass culture. La musique est plébiscitée par ses utilisateurs. Il y a là un outil de relance très utile. Nous souhaitons intégrer les disquaires - en particulier les disquaires indépendants, réseau auquel nous tenons - dans ce dispositif, sachant que l'achat physique représente près de 40 % du chiffre d'affaires global de la musique enregistrée. L'objectif sera notamment d'y associer les disquaires indépendants.
Le sénateur Bacchi et la sénatrice de La Provôté évoquaient les opportunités du numérique et le « do it yourself », même si vous n'avez pas cité cette vilaine expression, qui désigne la capacité, que donne le digital, à mettre en avant ses propres créations. Cela donne parfois lieu à des découvertes extraordinaires. Je pense à ce jeune pianiste qui a été filmé à l'hôpital de la Timone, à Marseille, et qui a signé un contrat avec Deutsche Gramophon pour enregistrer un album. Au-delà de ces très belles histoires, il faut se projeter. Le modèle de streaming n'est pas stabilisé. Les plateformes proposent toutes la même chose au même prix - lequel n'est pas appelé à diminuer à court terme. La situation actuelle augure de possibles mouvements de concentration (c'est-à-dire des rachats) et laisse envisager le développement d'autres formes de service, susceptibles de faire naître une autre expérience pour les utilisateurs de streaming, peut-être même jusqu'au live. Tout ceci bouge et le CNM n'a pas vocation à dire à des entreprises privées dans quelle direction elles doivent aller. En revanche, analyser les habitudes et besoins des spectateurs, qui vont évoluer, relève de notre rôle. La suite des études user centric devra notamment tenter de discerner des tendances d'évolution de ces pratiques et de ces offres dans un horizon de dix-huit mois, deux ans ou cinq ans. Nous souhaitons bien sûr aider des acteurs français et européens à ne pas sombrer.
La dernière question que vous avez posée, concernant les conséquences humaines de cette crise, n'est pas la moins importante. Le bénévolat se situe hors du champ du CNM mais il est clair que de nombreux festivals ne pourraient fonctionner sans bénévoles, pour en assurer l'accueil, aller chercher les artistes à la gare, etc. Nous n'avons pas encore de visibilité quant aux conséquences qu'aura la crise actuelle de ce point de vue. Il existe des statistiques terribles quant à l'abandon, par certains artistes, de leur carrière. Je crains de devoir être relativement pessimiste de ce point de vue malgré l'année blanche et malgré les fonds publics assez généreusement dispensés en France, par rapport à d'autres pays. Je me trouvais dimanche matin à Versailles pour une captation, avec trois artistes, l'un Français et deux artistes étrangers (dont l'un faisant partie de l'Union européenne, l'autre non). Les deux artistes non français n'avaient pas perçu d'argent public dans leur pays depuis le mois de mars. Il faut faire preuve d'une grande vigilance, observer et parfois alerter, afin de prendre les bonnes décisions de soutien en faveur de ceux qui font vivre la musique dans notre pays.
M. Laurent Lafon, président. - Merci, monsieur le président, pour la précision de vos réponses.
Vous avez compris, à travers la diversité et le nombre de questions qui vous ont été posées ce matin, que la commission est très attentive au secteur de la musique. Nous étions demandeurs, depuis de nombreuses années, de la création du Centre national de la musique. Nous sommes donc particulièrement heureux de vous avoir reçu ce matin et ne manquerons pas de poursuivre le dialogue avec vous. Nous avons compris que, sur un certain nombre de sujets, les évolutions étaient encore à venir et que nous aurions à les appréhender ensemble, chacun dans son rôle.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 10 h 50.
Projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage - Examen du rapport et élaboration du texte de la commission
M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, je vous propose à présent d'entendre le rapport de notre collègue Elsa Schalck et d'établir le texte de la commission sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, habilitant le Gouvernement à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage.
Mme Elsa Schalck, rapporteur. - Le 11 janvier dernier, la présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) recevait un courrier de la part de l'Agence mondiale antidopage (AMA) constatant les manquements de notre pays dans la transcription en droit français du dernier code mondial antidopage, entré en vigueur le 1er janvier 2021. L'AMA a ainsi adressé à l'organisation antidopage française un rapport de mesure corrective qui qualifie de « critique » cette irrégularité, soit le plus haut niveau de gravité dans l'échelle de l'AMA, et indique que l'AFLD dispose d'un délai de trois mois, jusqu'au 12 avril 2021, pour se mettre en conformité.
Que risquent nos sportifs à l'issue de ce délai ? Selon l'AFLD, les sanctions encourues pourraient être les plus lourdes de l'arsenal à disposition de l'AMA, à savoir tout simplement une exclusion des sportifs français des compétitions internationales. Au-delà de cette menace « atomique », sachant que les procédures prévues par l'AMA comportent plusieurs étapes, il ne faut pas non plus négliger les dégâts en termes d'image une fois les sanctions devenues publiques.
Je rappelle que le statut privé de l'AMA a pour conséquence que ses décisions ne sont pas contraignantes pour les États. Cependant, la France a ratifié la convention internationale contre le dopage adoptée sous l'égide de l'Unesco en 2005, dont l'article 3 dispose que « les États parties s'engagent à adopter des mesures appropriées aux niveaux national et international qui soient conformes aux principes énoncés dans le code ». La France est donc obligée de modifier sa législation et il y a urgence à agir. C'est pourquoi le Gouvernement a déposé au Parlement, voilà bientôt un an, le 19 février 2020, un projet de loi l'habilitant « à prendre les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l'efficacité de la lutte contre le dopage ».
Le recours aux ordonnances est une procédure à laquelle on recourt habituellement afin de mettre en conformité notre ordre juridique avec les révisions successives du code mondial antidopage. Le délai prévu pour la mise en oeuvre du nouveau code, adopté en novembre 2019, était très bref, mais il aurait sans doute pu être tenu sans la crise sanitaire. L'encombrement de l'ordre du jour parlementaire que nous connaissons depuis la reprise de nos travaux a compliqué la tâche du Gouvernement pour assurer la transcription de cette nouvelle version. Même si nous n'aimons pas la multiplication des recours aux ordonnances, il faut bien convenir que, dans la situation présente, cet outil apparaît adapté pour éviter que le sport français soit durement sanctionné.
Les auditions que j'ai menées m'ont permis d'établir que le travail sur la rédaction de l'ordonnance était déjà bien avancé - à 90 % selon la présidente de l'AFLD - et que les services du ministère avaient également commencé à préparer les dispositions d'application réglementaire. Subsistent néanmoins quelques points d'achoppement, que je vous proposerai d'essayer de lever par nos travaux.
Nous avons besoin que la ministre des sports prenne des engagements sur deux sujets en particulier : le statut du nouveau laboratoire antidopage et les pouvoirs d'enquête de l'AFLD. Seule une clarification des intentions du Gouvernement sur ces deux points pourrait, à mon sens, justifier un vote conforme au Sénat.
J'en viens tout d'abord au contenu de l'habilitation qu'il nous est proposé d'adopter. L'article unique du projet de loi comprend trois paragraphes.
Le premier paragraphe autorise le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance en matière de lutte contre le dopage afin de poursuivre trois objectifs distincts, mais complémentaires. Premièrement, le recours à la législation déléguée doit permettre d'assurer la mise en conformité du droit interne avec les principes du code mondial antidopage, dont l'Assemblée nationale a précisé par voie d'amendement qu'il s'applique à compter du 1er janvier 2021. Deuxièmement, l'ordonnance doit permettre de définir le nouveau statut du laboratoire dont le code mondial antidopage prévoit qu'il doit être dorénavant séparé de l'agence. Troisièmement, il reviendra également au Gouvernement de renforcer l'efficacité du dispositif de lutte contre le dopage en facilitant le recueil d'informations par l'AFLD et la coopération entre les acteurs, l'Assemblée nationale ayant précisé par voie d'amendement que ces nouvelles dispositions devaient être conformes aux principes constitutionnels et conventionnels en vigueur sur le territoire de la République.
Ces trois objectifs dessinent en réalité un changement de nature de la lutte antidopage : alors que la réglementation avait eu pour effet, ces dernières années, de dessaisir les fédérations de la lutte antidopage, les nouvelles dispositions doivent permettre de créer une politique de lutte contre le dopage beaucoup plus collaborative entre les différents acteurs du monde du sport.
Les aspects répressifs, qui relèvent de la justice sur le volet pénal et de l'AFLD sur le plan administratif, doivent effectivement être complétés par la mise en place d'une vraie politique d'information, de formation et de prévention associant l'ensemble des acteurs. C'est là que réside le vrai défi. Le changement de nature de la politique antidopage tient également dans la nécessité de renforcer les moyens d'action de l'AFLD, aujourd'hui inexistants dans le champ des enquêtes, et de mieux associer les différents opérateurs du sport à l'application des sanctions. Renforcer les pouvoirs d'enquête de l'AFLD, c'est défendre l'éthique du sport et l'efficacité de la politique de lutte contre le dopage.
Sans être considérables, les apports du nouveau code mondial antidopage n'en sont pas pour autant négligeables.
Concernant les violations des règles antidopage, les dispositions protégeant les personnes qui dénoncent des faits de dopage aux autorités sont renforcées. En matière de substances interdites, une nouvelle catégorie est créée concernant les stupéfiants pour adapter les sanctions selon que les substances ont été utilisées ou non dans un contexte sportif. Une évolution tout à fait essentielle concerne le laboratoire, qui doit dorénavant être administrativement et opérationnellement indépendant de toute organisation antidopage. En conséquence, le laboratoire de Châtenay-Malabry, qui est depuis 2006 un département de l'AFLD, ne peut plus être administré par l'agence et doit relever d'une autre entité juridique, afin de prévenir tout conflit d'intérêts.
Concernant les sanctions d'interdiction, de nombreux ajustements sont réalisés à la hausse ou à la baisse. Le nouveau code ouvre également la possibilité d'adapter les sanctions pour une nouvelle catégorie concernant les « sportifs de loisir », au motif qu'ils n'ont pas nécessairement eu connaissance des règles applicables dans les mêmes conditions que les sportifs de haut niveau. Il réintroduit la notion de « circonstances aggravantes » et prévoit une réduction de la durée d'interdiction pour aveu rapide et acceptation des conséquences.
Enfin, le nouveau code mondial antidopage prévoit un dispositif d'effet automatique des décisions prises par des organismes antidopage sur les activités relevant des autres signataires - en l'espèce, les fédérations internationales. Il rappelle également le rôle de l'éducation dans les programmes antidopage.
En résumé, les apports du nouveau code me semblent rechercher une meilleure efficacité sur de nombreux aspects. Cela peut passer par le durcissement des sanctions ou, au contraire, par leur adaptation pour les rendre plus effectives. L'éducation devient par ailleurs clairement une priorité.
J'en viens aux conséquences des apports du nouveau code sur les différents acteurs, à savoir les fédérations sportives, l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (Insep), mais aussi l'Agence nationale du sport (ANS).
Compte tenu du changement de nature de la politique antidopage, l'ensemble de ces acteurs vont devoir très clairement se réapproprier cette priorité qu'ils ont un peu perdue de vue depuis 2018, lorsque l'AFLD s'est vue reconnaître un rôle exclusif dans la mise en oeuvre de la politique de contrôle.
Lors de la table ronde que j'ai organisée avec plusieurs fédérations sportives - football, rugby, athlétisme, gymnastique, cyclisme - pour connaître leur niveau d'implication, j'ai été surprise de constater que les fédérations étaient aujourd'hui « désarmées » et que leur rôle se limitait pour l'essentiel à coopérer avec l'AFLD. Or l'expérience de ces dernières années a montré que les organisations nationales antidopage ne pouvaient seules conduire cette politique dans toutes ses dimensions si l'on souhaitait faire face aux moyens considérables mobilisés par les contrevenants. Reconstruire une compétence et des équipes pour s'occuper de ce sujet est aujourd'hui un défi pour les fédérations.
Je crois qu'elles y sont prêtes, mais nul doute qu'elles auront besoin d'aide, de la part de l'ANS notamment. Il est en particulier fondamental que les fédérations soient étroitement associées à l'exécution des décisions de l'AFLD, ce qui nécessite une modification législative. Aujourd'hui, par exemple, une fédération n'a pas le droit d'informer un club de la sanction qui affecte un athlète. Or le nouveau code prévoit que tous les signataires du code mondial, soit également les fédérations internationales, sont comptables de l'application des décisions des organisations antidopage, ce qui crée, par construction, une obligation nouvelle pour les fédérations nationales qui en dépendent. Avec l'ANS et l'Insep, c'est un véritable écosystème qu'il convient de mettre en place pour être efficace contre le dopage.
J'en viens à la question du nouveau laboratoire de l'AFLD. Celui-ci est appelé à rejoindre le giron de l'université de Paris-Saclay, plus particulièrement sa faculté de pharmacie, qui déménage également dans l'Essonne. Ce déménagement a été soutenu depuis plusieurs années par nos collègues qui suivent les questions relatives au sport, notamment Jean-Jacques Lozach, Michel Savin et Claude Kern. Ce projet indispensable a mis du temps à aboutir. Malheureusement, l'audition de Sylvie Retailleau, présidente de l'université de Paris-Saclay, a mis en évidence plusieurs zones d'ombre, qu'il est urgent de demander à la ministre des sports de lever.
Alors qu'il est prévu que le laboratoire rejoigne administrativement l'orbite de la faculté dès le 1er novembre 2021, il ressort des auditions que les conditions de cette intégration ne sont toujours pas réunies. Le modèle économique n'a pas été arrêté et aucune garantie n'a été apportée à l'université concernant la compensation des charges, en particulier en ce qui concerne le coût des fonctions support. Or l'université n'a clairement pas les moyens de prendre à sa charge ces dépenses nouvelles.
Je souhaite vivement que la ministre des sports s'engage sur les garanties attendues par l'université d'ici au débat prévu dans deux semaines au Sénat et je crois, monsieur le président, qu'il pourrait être utile que vous relayiez auprès d'elle notre préoccupation. Cette question de l'intégration du laboratoire au sein de l'université de Paris-Saclay se situe au coeur de trois de nos compétences : le sport, la recherche et l'enseignement supérieur. Nous sommes donc parfaitement légitimes à demander des réponses pour lever tout malentendu.
Le second sujet sur lequel nous devons obtenir des précisions de la part du Gouvernement concerne le renforcement des pouvoirs de contrôle de l'AFLD. La formulation de l'habilitation est ambiguë, puisqu'elle évoque simplement la nécessité de faciliter le recueil d'informations par l'AFLD. Cette formulation relève plus de la litote que d'un engagement clair du législateur à doter l'agence des compétences qui lui manquent. J'aurais préféré que les termes de la loi d'habilitation soient beaucoup plus précis et ambitieux, d'autant plus que se cache, derrière cette formulation très générale, un débat persistant entre le ministère des sports et la chancellerie sur les pouvoirs qui pourraient être accordés à l'AFLD.
L'agence ne dispose pas actuellement de pouvoirs d'enquête pour la recherche et le constat de manquements administratifs. Sa capacité d'action se limite à un pouvoir de contrôle, à travers la réalisation de prélèvements biologiques. Comme nous l'a indiqué la présidente de l'agence, l'impossibilité de mener des enquêtes administratives constitue une carence très préjudiciable pour la lutte contre le dopage, puisque 90 % des violations des règles antidopage ne peuvent être démontrées par des analyses de laboratoire. Les contrôles antidopage ne permettant pas de mettre en évidence l'ensemble des violations des règles antidopage prévues par le code du sport, l'AFLD a demandé à être dotée d'un pouvoir de procéder à des enquêtes administratives, comparable à celui dont disposent d'autres autorités indépendantes, comme l'Autorité des marchés financiers.
Il me paraît très important que les termes de l'ordonnance permettent de consacrer ce pouvoir d'enquête administrative. Selon l'agence, ses agents assermentés doivent pouvoir se faire communiquer tout document relatif aux nécessités de l'enquête en cours. Ils doivent avoir la possibilité de convoquer et d'entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations utiles à l'enquête administrative. Ils doivent ensuite pouvoir accéder aux locaux à usage professionnel où se déroulent les activités sportives dans les mêmes conditions que pour les contrôles antidopage. Il leur est également nécessaire de pouvoir faire usage d'une identité d'emprunt pour accéder aux informations et éléments disponibles sur internet concernant des produits ou des méthodes interdits. Je sais que cette faculté fait débat aujourd'hui, mais je rappelle que beaucoup des violations des règles trouvent leur origine dans des « conseils » donnés sur internet par des « coachs ». Les enquêteurs ne peuvent évidemment pas utiliser leur identité réelle pour démarcher ces sites spécialisés !
L'AFLD souhaite également que ses agents puissent se faire communiquer des données par les opérateurs de télécommunication compte tenu de l'importance prise par les messageries cryptées dans les trafics de substances illicites. Il lui paraît également indispensable de disposer d'un pouvoir d'effectuer des visites en tous lieux sous le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD).
Sur cette question des pouvoirs d'enquête demandés par l'AFLD, des points de blocage sont apparus dans les échanges menés entre les ministères des sports et de la justice.
Nos débats au Sénat montrent que le législateur est parfaitement conscient de la nécessité de mieux armer l'AFLD pour combattre les comportements répréhensibles, mais aussi pour protéger les sportifs, y compris contre eux-mêmes, compte tenu des tentations qui existent sur internet. Là encore, il me semblerait souhaitable, monsieur le président, que notre commission obtienne des engagements de la part du Gouvernement sur le fait que l'ordonnance accordera à l'AFLD deux compétences indispensables pour conduire des enquêtes administratives : le pouvoir de convocation et la capacité à utiliser une identité d'emprunt et à réaliser des « coups d'achat ».
Mes chers collègues, vous aurez compris que le projet de loi que nous devons examiner aujourd'hui constitue d'abord pour moi une source d'interrogations. Certes, nous pouvons comprendre que le Gouvernement ait été empêché par la crise sanitaire de conduire un débat qui nous aurait permis d'adapter notre législation au nouveau code mondial antidopage. Il est moins acceptable que le projet de loi d'habilitation reste très flou sur des aspects essentiels. Nous savons que l'ambiguïté en cette matière cache souvent une absence d'arbitrage au sein du Gouvernement.
Le texte de l'habilitation qui nous est proposé n'apporte pas toutes les réponses attendues. Si je vous propose aujourd'hui de l'adopter, c'est pour mieux nous donner le temps, d'ici au débat en séance publique, qui aura lieu dans deux semaines, d'obtenir des garanties plus fermes sur les deux points qui nous préoccupent le plus : les moyens dont disposera l'université de Paris-Saclay pour développer le nouveau laboratoire antidopage et le détail des pouvoirs d'enquête administrative qui seront accordés à l'AFLD. Ces précisions doivent être la condition d'un vote sans modification par le Sénat.
Le dialogue avec le ministère des sports continue. Il est dense et confiant, mais il doit désormais aboutir dans les meilleurs délais. Sous ces réserves, je vous propose pour l'heure d'adopter ce projet de loi sans modification.
M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie de la qualité de votre rapport et d'avoir aussi bien présenté les enjeux.
Avant d'ouvrir le débat, il nous faut définir, comme il est désormais d'usage, le champ d'application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Elsa Schalck, rapporteur. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre inclut des dispositions relatives au code du sport concernant la lutte contre le dopage, au statut, aux missions et aux moyens de l'Agence française de lutte contre le dopage, y compris des dispositions lui permettant de mener des enquêtes administratives, au statut et aux moyens du laboratoire antidopage, au rôle du ministère chargé des sports, de l'Agence nationale du sport, de l'Insep et des fédérations sportives dans la lutte contre le dopage.
En revanche, je vous propose d'estimer que ne présentent pas de lien, même indirect, avec le texte déposé les amendements relatifs au sport en général, sans rapport avec la politique de lutte contre le dopage.
M. Claude Kern. - Je veux féliciter Mme le rapporteur pour le brillant rapport qu'elle vient de nous présenter.
La France est en retard : nous faisons partie du trio de queue européen en matière de transposition du nouveau code mondial antidopage. Nous ne pouvons pas nous le permettre, surtout en prévision de l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Je regrette que nous devions encore une fois travailler dans l'urgence. Le 12 avril, c'est demain ! Aujourd'hui, on attend de nous un vote conforme. Encore faudrait-il que les engagements de l'État répondent aux besoins ...
Si je suis d'accord avec les constats dressés par notre rapporteur, je serai un peu plus dur sur la conclusion. En l'état des engagements du Gouvernement, je pense que nous ne pouvons pas voter ce texte conforme en séance publique. Le ministère doit nous donner des garanties dans les quinze jours quant aux moyens dont disposera l'université de Paris-Saclay, mais surtout sur les pouvoirs d'enquête administrative qui seront accordés à l'AFLD. Nous ne voterons le texte que si nous obtenons ces garanties. À défaut, je déposerai, avec Michel Savin et Jean-Jacques Lozach notamment, des amendements relatifs au laboratoire et aux pouvoirs de l'Agence.
M. Michel Savin. - Je veux à mon tour souligner l'excellent travail de notre rapporteur. Je veux témoigner de la qualité des auditions qui ont été organisées, mais aussi de sa volonté de partager les problèmes soulevés lors de ces échanges. Nous avons pu constater que de nombreux points restaient à régler concernant l'antidopage : moyens, partenariats, organisation, collaboration entre les fédérations, l'ANS et l'Insep... Ce texte était annoncé comme une simple formalité. En réalité, la situation est beaucoup plus compliquée qu'on ne le pensait.
Sur la forme, il y a urgence à agir, l'AMA ayant laissé à l'AFLD un délai de trois mois pour se mettre en conformité. La France, qui était encore un modèle de la lutte contre le dopage il y a quelques années, fait désormais partie des trois derniers pays à ne pas être en règle vis-à-vis du code mondial. On nous a dit, lors des auditions, que le sport français serait sanctionné en cas de manquement, avec un risque d'exclusion de nos athlètes des compétitions internationales. Alors que nous allons organiser la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024, cette situation fait un peu tache...
Le Gouvernement est seul responsable de cette situation. Nous aurions pu discuter de ce texte depuis plus d'un an. Certes, la situation sanitaire a fait naître d'autres priorités, mais, aujourd'hui, le Gouvernement recourt une nouvelle fois aux ordonnances pour aboutir dans les plus brefs délais. C'est une nouvelle occasion manquée d'avoir un véritable débat de qualité sur la lutte contre le dopage dans notre pays.
Sur le fond, même si le texte de l'ordonnance est bien avancé, il reste des points sur lesquels le ministère refuse encore de répondre. Je suis en parfait accord avec votre rapport, madame le rapporteur, et partage pleinement vos interrogations. La démarche que vous allez engager auprès du Gouvernement correspond à la volonté affichée par la Haute Assemblée d'être toujours constructive et de faire des propositions.
Avec Claude Kern, nous prendrons nos responsabilités, mais nous soulignons que le Gouvernement doit aussi prendre les siennes. N'ayant aujourd'hui aucune garantie de la part du Gouvernement, nous avons commencé à travailler sur des amendements relatifs aux moyens nécessaires pour développer le nouveau laboratoire antidopage et aux pouvoirs d'enquête administrative qui seront accordés à l'AFLD, afin d'obtenir les garanties qui nous semblent importantes. Nous serons attentifs aux réponses qui seront apportées par le Gouvernement.
M. Jean-Jacques Lozach. - Madame le rapporteur, je vous remercie pour le travail accompli, notamment pour la manière dont se sont déroulées les auditions.
Les lois d'habilitation à recourir aux ordonnances sont des machines à fabriquer de la frustration. Au reste, c'est la troisième fois que cette procédure est choisie sur le même objet, après 2009 et 2015, et ce n'est sans doute pas la dernière fois.
Le monde de l'antidopage est en pleine évolution. Les politiques nationales de lutte contre le dopage évoluent également. On peut d'ailleurs regretter que ne soit pas annexé au projet de loi un bilan des deux premières lois d'habilitation. Des ajustements permanents sont sans doute nécessaires afin d'harmoniser les politiques nationales. Le seul garant en est l'AMA. Il faut donc jouer le jeu de cet organisme.
Le texte comporte des éléments très importants, mais ces derniers ne recouvrent pas la totalité du problème. La France doit respecter ses engagements internationaux. Il faut bien avancer. Le contenu des futures ordonnances est très important. On nous annonce des avancées pour l'efficacité de la lutte antidopage : plus grande harmonisation, priorité à l'éducation, meilleure circulation des informations entre l'AFLD et les autres acteurs, plus grande individualisation des sanctions, indépendance véritable des laboratoires antidopage... Ces points justifient que nous souhaitions tous un vote conforme. Il faudra tout de même, à un moment ou un autre, donner du contenu à l'héritage olympique, notamment à l'idéal d'un sport propre et sain. La lutte antidopage en fait à l'évidence partie.
Cela dit, je souscris aux réserves exprimées et aux demandes d'engagement que notre président de commission va relayer auprès de la ministre des sports, même si le ministère de la justice est lui aussi concerné par le pouvoir d'enquête.
Depuis des décennies, entre 1 et 2 % seulement des contrôles sont positifs, dans tous les sports et dans tous les pays. On sait très bien que cela ne correspond pas à la réalité du dopage. Il faut donc compléter ces contrôles par un pouvoir d'enquête. À cet égard, les sportifs repentis jouent un rôle-clé : la connaissance du phénomène vient essentiellement de ce qu'ils nous disent. Or, aujourd'hui, le pouvoir d'enquête de l'AFLD est quasiment nul. Sa présidente s'est félicitée que le nombre d'équivalents temps plein (ETP) passe de 4 à 5. Est-ce bien sérieux ? Si l'on veut avancer efficacement, il faut compenser le recul du nombre de contrôles, passé de 12 500 voilà dix ans à 9 000 l'année dernière, par un pouvoir d'enquête plus musclé.
Pour ce qui concerne le laboratoire, nous pensions que les travaux préparatoires étaient plus avancés qu'ils ne le sont en réalité. La situation est même très inquiétante.
Pour conclure, je partage tout ce que vous avez dit, madame le rapporteur. Si un certain nombre de nos demandes ne sont pas satisfaites dans les prochains jours, nous nous rapprocherons pour déposer des amendements.
Mme Laure Darcos. - Je m'associe aux félicitations de mes collègues, madame le rapporteur. Votre rapport est très concis et très intéressant.
Surtout, je vous remercie d'avoir autant souligné les problèmes d'installation de l'AFLD sur le plateau de Saclay. Pour être élue sur ce territoire, j'ai suivi ce dossier de près. Il y a eu un flottement. La région Île-de-France, qui est propriétaire de l'ancien site à Châtenay-Malabry, a voulu le récupérer de manière très précipitée à la fin 2019. Évry voulait accueillir cette agence dans le même périmètre que le génopole, mais il était logique que le laboratoire s'installe au plateau de Saclay, où il rejoindra la faculté de pharmacie, qui va également s'installer sur le plateau. Je vous remercie d'avoir auditionné Sylvie Retailleau. Il est important d'alerter les autorités sur les aspects matériels de la création de l'agence. Au conseil départemental, nous nous inquiétons des financements. Le ministère des sports et le ministère de l'enseignement supérieur se renvoient la balle. Bien évidemment, le département et le plateau de Saclay se retrouvent en première ligne pour décaisser des financements supplémentaires, qui ne relèvent absolument pas de leurs prérogatives. Je vous appuierai dans votre demande. Pour l'instant, le dossier est très mal engagé, et c'est bien dommage.
M. Jacques Grosperrin. - Je félicite également Mme le rapporteur pour la qualité de son rapport.
Je suis scandalisé par l'attitude du Gouvernement. Le travail aurait pu être fait en amont. La méthode qui consiste à recourir aux ordonnances paraît toujours très cavalière. On demande au Sénat et à l'Assemblée nationale de rattraper les difficultés rencontrées.
Le programme de contrôle a été suspendu du fait de la covid. De nombreux sportifs disent redouter la reprise du sport. Certains athlètes n'ont pas été contrôlés depuis des années...
L'aspect préventif est lui aussi important. C'est un vrai défi que nous devons relever.
Enfin, je m'interroge sur le régime juridique de l'inversion de la charge de la preuve, issue du droit anglo-saxon, que l'on rencontre dans les contrôles antidopage. Nous pourrions y réfléchir.
M. Julien Bargeton. - Je remercie Mme le rapporteur de la qualité de son travail.
Le droit français n'est plus en conformité avec la nouvelle version du code mondial antidopage, entrée en application le 1er janvier dernier. Cela va à rebours de nos engagements, qui sont très forts sur le dopage. En outre, nous nous exposons à une procédure de sanction en cas de non-transposition du code. La transposition est donc urgente, raison pour laquelle notre groupe votera ce texte.
J'ai entendu les regrets que suscite le recours aux ordonnances, mais je fais remarquer que ce sont trois gouvernements différents, d'orientations politiques différentes, qui, en 2009, 2015 et 2021, ont demandé à y avoir recours.
M. Max Brisson. - On s'aperçoit que le sujet n'est pas aussi simple qu'il en a l'air.
Dans un rapport très circonstancié et très contextualisé, Mme le rapporteur a pris soin de dire les choses sans enflammer le débat. Un certain nombre de mes collègues ont joué les procureurs en portant haut le discours.
Tout le monde s'offusque des ordonnances, mais cette pratique est presque devenue une habitude. Ce que je ne comprends pas, c'est que ce texte nous est transmis alors que les arbitrages ministériels entre la chancellerie, le ministère de la recherche et le ministère des sports n'ont manifestement pas été rendus. Que fait le Premier ministre ? Par respect pour le Sénat, le Gouvernement aurait dû clarifier les choses avant de nous le présenter.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je vous remercie de ce travail.
Les auditions ont bien montré que le bât blessait au niveau de la coordination interministérielle. Et je ne parle même pas du tempo... Pour un pays comme le nôtre, qui se fixe des objectifs en termes de médailles, cet aimable bricolage sur un sujet d'une importance capitale pour le sport est insupportable.
L'audition du patron de l'Insep, Ghani Yalouz, a été à la fois très rassurante et particulièrement enrichissante. Il a évoqué la réalité des produits dopants utilisés par les sportifs professionnels et amateurs. Si nous voulons lutter contre ce fléau, nous devrons nous doter d'une autre organisation.
Je suis très heureux que notre commission prenne des positions fortes et envoie des messages, en toute sérénité. Nous démontrons ainsi que nous ne sommes pas une chambre d'enregistrement. Force est de constater que le ministère des sports se réduit définitivement à peau de chagrin. On voit où cela nous mène !
M. Pierre Ouzoulias. - Je souscris totalement à ce qui a été dit, notamment par Mme le rapporteur, que je remercie de ce coup de maître, et par nos collègues spécialistes du sport.
En réalité, c'est une habilitation à la procrastination que nous demande le Gouvernement. On ne voit pas par quel miracle trois mois supplémentaires permettraient de rendre des arbitrages interministériels que nous attendons depuis trois ans...
Je suis conseiller départemental des Hauts-de-Seine. Je suis très heureux que l'agence quitte Châtenay-Malabry pour rejoindre le plateau de Saclay. Voilà cinq ans que le projet est en cours, dix ans que l'on parle du déménagement de la faculté de pharmacie ! Tout le monde sait depuis longtemps qu'il faudra trouver une solution.
On nous demande aujourd'hui de régler l'urgence par une ordonnance alors que rien n'a été fait depuis dix ans. Je crois sincèrement que ce n'est rendre service ni aux sportifs ni au Gouvernement que d'accepter cette ordonnance ! Il faut au contraire laisser le Gouvernement régler le problème, procéder aux arbitrages interministériels et revenir devant nous dans les trois mois avec une loi qui permette enfin de savoir où l'on va. Sinon, on ne fera que reporter le problème trois mois de plus.
Au reste, accepter cette façon de faire revient à accepter que le ministère des sports soit un ministère de seconde zone, qui ne parvient jamais à obtenir les arbitrages ministériels qu'il réclame. Je préconise donc une position plus ferme, pour aider le sport.
M. Michel Savin. - Quelles seraient les conséquences d'un rejet du texte ou d'un vote non conforme ?
Mme Elsa Schalck, rapporteur. - Mes chers collègues, je vous remercie de la manière très constructive dont nous avons pu travailler. Alors que nous étions partis sur l'idée d'un vote conforme sans difficulté au regard des exigences de l'AMA et des événements internationaux que la France accueillera, nous nous sommes rendu compte, au fur et à mesure des auditions, que les termes du projet de loi étaient très ambigus et qu'existaient des zones d'ombre.
La nécessité d'une traduction rapide et complète du code mondial antidopage dans notre droit interne ne doit pas dispenser le Sénat d'une vigilance toute particulière sur les mesures que le Gouvernement va prendre sur la base de ce texte. Les auditions des fédérations sportives nous ont permis d'aller au-delà de ce qu'a fait l'Assemblée nationale. Il convient de se donner les moyens de lutter effectivement et efficacement contre le dopage.
Pourquoi l'arbitrage entre ministères n'a-t-il pas eu lieu en amont ? C'est le point que nous allons soulever auprès des ministères. Nous nous sommes rendu compte il y a quelques jours que cet arbitrage sur les pouvoirs d'enquête de l'AFLD posait une vraie difficulté. Or l'AFLD demande simplement les moyens d'exercer les missions pour lesquelles elle a été créée en 2006.
Pour ce qui concerne la méthode, il n'y a jamais eu de débat au Parlement sur cette question en tant que telle. La transposition a systématiquement eu lieu par voie d'ordonnances.
Cela dit, on comprend bien que l'équilibre soit compliqué à trouver. Se mettre en conformité avec le code mondial antidopage est une exigence internationale, d'autant que ce code est d'ores et déjà en vigueur. L'AFLD a été mise en demeure par l'AMA de s'y conformer d'ici au 12 avril 2021. Nous allons regarder de quelle manière une seconde délibération permettrait de respecter ce délai, mais on ne peut pas non plus se mettre en difficulté au regard des championnats et des événements internationaux que la France va accueillir en 2023 et 2024.
Nous voulons profiter des deux semaines qui nous restent avant l'examen du texte en séance publique pour mettre la pression sur le ministère, d'autant que nous avons compris que celui-ci voulait vraiment obtenir un vote conforme et pouvait se montrer flexible sur un certain nombre de sujets.
M. Laurent Lafon, président. - Le débat montre bien qu'il ne s'agit pas seulement de voter un texte pour se mettre en conformité avec l'AMA. Il y va plus largement de l'ambition que nous portons en matière de lutte contre le dopage.
J'entends bien la nécessité de respecter les engagements internationaux et de ne pas pénaliser les athlètes qui préparent un certain nombre de grands événements, mais le travail parlementaire ne doit pas être mis à mal par un calendrier que nous n'avons pas souhaité et parce que ce qui aurait dû être fait au niveau ministériel ne l'a pas été.
Je veux saluer le travail de Mme le rapporteur et la qualité de son rapport. Les auditions qu'elle a menées nous ont permis de saisir les enjeux que dissimulait l'apparence facile du projet de loi.
Il reste quinze jours d'ici à l'examen du texte dans l'hémicycle. Je vous propose d'aborder cette phase dans un esprit constructif avec le Gouvernement, en toute sérénité et avec le souci de bien faire, mais aussi avec détermination. L'argument du calendrier ne suffit pas à nous faire accepter les projets de loi d'habilitation. Nous allons donc continuer à dialoguer avec la ministre des sports, sans oublier la Chancellerie et Matignon, pour que les choses avancent. Nous vous tiendrons au courant des discussions qui pourront avoir lieu.
Il est important que nous ayons bien en tête les différents scénarios possibles sur le plan de la procédure législative comme du point de vue des procédures internes à l'AMA. Nous les récapitulerons par écrit.
Il nous appartient désormais de nous prononcer sur l'adoption du texte. Aucun amendement n'ayant été déposé, c'est en tout état de cause le texte proposé par le Gouvernement qui viendra en débat le 16 février prochain. Nous aurons peut-être à examiner des amendements en séance.
M. Max Brisson. - Tout en saluant la qualité du rapport, le groupe Les Républicains s'abstiendra sur l'adoption de ce texte.
M. Claude Kern. - Le groupe UC s'abstiendra également, malgré la très bonne qualité du rapport.
M. Pierre Ouzoulias. - Nous voterons contre l'adoption de ce texte. Je salue le travail de Mme le rapporteur, qui nous a permis de déceler des points fondamentaux derrière une rédaction anodine.
M. François Patriat. - Le groupe RDPI votera pour le texte.
M. Olivier Paccaud. - J'avais envie de voter contre ce texte, car j'estime que nous ne pouvons pas être la voiture-balai de la médiocrité gouvernementale, mais je serai solidaire de la position de mon groupe, d'autant que Mme le rapporteur a réalisé un travail remarquable.
M. Thomas Dossus. - Le Gouvernement brutalise une nouvelle fois le Parlement avec un calendrier très serré et des transpositions obligatoires. Nous nous abstiendrons.
Le projet de loi n'est pas adopté.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte adopté par l'Assemblée nationale.
La réunion est close à 12 heures.