Mardi 26 janvier 2021
- Présidence de Mme Esther Benbassa, présidente d'âge -
La réunion est ouverte à 15 heures.
Réunion constitutive
Mme Esther Benbassa, présidente d'âge. - Notre mission d'information, destinée à évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d'activité, a été créée, à l'initiative du président du Sénat, par la Conférence des présidents, lors de sa réunion du 16 décembre dernier. Ses dix-neuf membres ont été nommés, sur proposition des groupes, lors de la séance publique du 13 janvier. Nous devons tout d'abord procéder à la désignation de son président. J'ai reçu la candidature de M. Bernard Jomier.
Il n'y a pas d'opposition ?
La mission d'information procède à la désignation de son président, M. Bernard Jomier.
- Présidence de M. Bernard Jomier, président -
M. Bernard Jomier, président. - Merci de votre confiance. Nous devons procéder à la désignation du bureau notre mission en commençant par nos rapporteurs. J'ai reçu la candidature de MM. Roger Karoutchi et Jean-Michel Arnaud.
Il n'y a pas d'opposition ?
La mission d'information procède à la désignation de ses rapporteurs, MM. Roger Karoutchi et Jean-Michel Arnaud.
M. Bernard Jomier, président. - Compte tenu des désignations du président et des rapporteurs, qui viennent d'avoir lieu, la répartition des postes de vice-présidents est la suivante : pour le groupe Les Républicains, un vice-président ; pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, un vice-président ; pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, un vice-président ; pour le groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen, un vice-président ; pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, un vice-président ; pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires, un vice-président ; pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, un vice-président.
J'ai reçu les candidatures suivantes : pour le groupe Les Républicains, Mme Sophie Primas ; pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, Mme Sylvie Robert. Notre mission d'information ne comportant qu'un membre des autres groupes, chacun de ces membres est automatiquement vice-président. Pour mémoire, il s'agit de M. Martin Lévrier pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants ; de Mme Laurence Cohen pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ; de M. Henri Cabanel pour le Rassemblement Démocratique et Social Européen ; de M. Franck Menonville pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires ; et de Mme Esther Benbassa pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
Nous devons enfin désigner deux secrétaires. Le groupe Les Républicains et le groupe Union Centriste ont droit chacun à un secrétaire. Pour le groupe Les Républicains, j'ai reçu la candidature de M. Olivier Paccaud ; pour le groupe Union Centriste, celle de M. Michel Laugier.
Il n'y a aucune opposition à ces désignations ?
La mission d'information procède à la désignation des autres membres de son bureau : Mme Sophie Primas, Mme Sylvie Robert, M. Martin Lévrier, Mme Laurence Cohen, M. Henri Cabanel, M. Franck Menonville et Mme Esther Benbassa, vice-présidents, et MM. Olivier Paccaud et Michel Laugier, secrétaires.
M. Bernard Jomier, président. - La création de cette mission d'information ne résulte pas du droit de tirage des groupes politiques, mais de l'initiative du président du Sénat, qui l'a proposée à la Conférence des présidents. Elle revêt un caractère prospectif, ce qui est original et doit constituer une orientation forte de nos travaux : il ne s'agit pas tant d'évaluer ce qui s'est passé et d'en interroger les acteurs que de conduire un travail prospectif sur la suite de cette crise. Alors que la commission d'enquête était plutôt centrée sur les questions sanitaires, le choix a été fait d'élargir l'objet de notre mission d'information aux questions économiques et sociales. Nous devrons donc adopter une note de cadrage lors de notre prochaine réunion. Mais d'abord, chacun doit pouvoir s'exprimer aujourd'hui, après que les rapporteurs auront formulé quelques orientations.
Cette dimension prospective requiert des moyens d'analyse et d'investigation que nous ne possédons pas forcément au Sénat. Cela renvoie d'ailleurs à la question récurrente des moyens dont le Parlement dispose pour exercer des missions d'analyse indépendamment de l'exécutif... Nous envisageons donc de faire appel à des prestataires extérieurs, publics ou privés, pour effectuer certains travaux. Nous procéderons également à des auditions, de préférence sous forme de tables rondes, car ce format, déjà privilégié par le président de la commission d'enquête Alain Milon, permet de bien faire ressortir les convergences ou les divergences d'analyse. Sur certaines questions, nous comptons aussi consulter les élus locaux, selon des modalités qui seront précisées dans la note de cadrage qui vous sera soumise dans une dizaine de jours.
Cette méthode de travail est assez nouvelle. Nous défricherons ! Et nous tâcherons ainsi d'optimiser notre travail de contrôle de l'exécutif, ainsi que notre rôle de formulation de propositions pour les mois et peut-être les années à venir. Nos travaux doivent s'achever cet été. Nous ne serons peut-être pas, alors, dans la même situation sanitaire, et nous devons anticiper cette perspective. Ainsi, lorsque nous avons commencé le travail de la commission d'enquête, le président Alain Milon nous avait rappelé qu'il y aurait une deuxième vague de l'épidémie à l'automne. Et nous nous étions demandé si nous conclurions tout de même nos travaux. L'interrogation était perspicace...
M. Roger Karoutchi, rapporteur. - C'est en effet une mission un peu particulière. J'avais d'abord compris qu'elle prendrait la suite de la commission d'enquête pour faire le suivi des choix du Gouvernement en matière sanitaire, économique et sociale. Mais l'aspect purement sanitaire n'est plus au centre des préoccupations de la mission, même si, bien évidemment, les choix sanitaires ont des conséquences économiques et sociales. Nous nous intéresserons surtout, en fait, aux conséquences de ces choix sur de grands secteurs, comme celui de la culture - théâtres, cinémas, concerts - ou le secteur touristique. Confinement, couvre-feu : y a-t-il des alternatives ? Quid des décisions prises par les pays voisins ? Leurs choix ont-ils eu de meilleurs résultats que les nôtres ? Bref, nous aurons à analyser les conséquences des décisions prises pour tous les Français, et pas seulement sur les hôpitaux ou la situation des urgences - même si les choix faits par le Gouvernement auront forcément un impact sur l'économie globale des hôpitaux et des services sanitaires. En somme, il s'agit d'une mission focalisée sur la vie quotidienne des Français, en dehors de la couverture médicale, même si celle-ci compte, bien sûr.
Par exemple, nous aurons à regarder de près, dans chaque secteur, les travaux des rapporteurs spéciaux de la commission des finances du Sénat, puisqu'ils ont tous travaillé sur la pandémie et sur ses effets sectoriels. Nous sélectionnerons quelques secteurs emblématiques, parmi les plus touchés, comme la culture, pour produire une analyse plus fouillée. S'agissant du secteur touristique, la commission des affaires économiques a déjà fait un travail important. Je regrette toutefois que les cabinets extérieurs susceptibles de participer à notre réflexion et de l'enrichir par une vision complémentaire ne disposent que rarement d'un département de santé publique. Nous devrons trouver la bonne manière de travailler avec eux, reprendre ce qui a été fait au Sénat par les différentes commissions et réfléchir aux alternatives possibles, en nous focalisant sur quelques secteurs emblématiques.
M. Jean-Michel Arnaud, rapporteur. - Notre réflexion doit également s'inscrire dans les territoires et tenir compte de leurs spécificités, tout en analysant en profondeur les effets des décisions prises sur certains secteurs d'activité, comme la culture. Notre analyse territoriale pourra ainsi porter sur le tourisme de montagne, par exemple, en approfondissant les travaux déjà menés par certaines commissions du Sénat. Nous devrons aboutir à des recommandations susceptibles d'accompagner les décisions du pouvoir exécutif lors d'une prochaine pandémie, sans doute inéluctable. On sait que l'un des principaux griefs contre le Gouvernement est l'effet de sidération qu'on a observé, ainsi que la difficulté qu'il a manifestée à inscrire son action dans une stratégie lisible à la fois par l'appareil d'État, y compris dans sa diversité territoriale, et par nos concitoyens. Le recours à l'expertise extérieure doit nous permettre de montrer la valeur ajoutée du Sénat sur un tel travail prospectif. Notre travail durera plusieurs mois, mais nous n'excluons pas, si l'évolution de la crise le requiert, de rédiger un rapport d'étape et de réévaluer le calendrier de nos travaux.
Mme Laurence Cohen. - Je me réjouis que cette mission d'information puisse aller jusqu'à cet été. Je partage les remarques de Roger Karoutchi. Je pensais que nous allions nous atteler au suivi des choix sanitaires du Gouvernement, dans la logique de la commission d'enquête Covid, d'autant que nous étions plusieurs à être restés sur notre faim quant aux remarques et aux recommandations que nous avions formulées. Je constate que tel ne sera pas exactement l'objet de notre mission. J'insisterai sur un aspect qui n'a pas été abordé, à savoir la santé mentale, dans tous les territoires et pour tous les âges. Ce moment extrêmement anxiogène, qui bouche les perspectives, a obligatoirement des conséquences sur le psychisme de chacun. L'incertitude est extrêmement difficile à vivre. J'aimerais bien que nous ayons une analyse de l'incidence au niveau de la santé mentale, aussi bien des adultes que des enfants. Je suis notamment inquiète de la façon dont les informations sont distillées. Les messages de type « si tu aimes ton grand-père ou ta grand-mère, il ne faut pas aller les voir » ont un impact épouvantable sur les jeunes. Les conséquences psychologiques risquent d'être durables. Que pourrions-nous préconiser en termes de soutien et d'accompagnement ? Je pense à la détresse des étudiants et au taux de suicide qui augmente. Certes, nous allons sortir de cette pandémie grâce aux traitements et aux vaccins, mais cela ne mettra pas un terme pour autant aux blessures mentales de nos concitoyens. Les personnels dans les établissements psychiatriques sont très inquiets. Ne mettons pas de côté cet aspect de la question.
Mme Sylvie Robert. - Le secteur culturel me touche particulièrement, et au-delà tout le secteur événementiel. Cela a un impact dans nos territoires - je pense à l'ensemble des sous-traitants. Nous allons devoir réaliser un état des lieux assez rapide, les chiffres arrivent. Les données que nous commençons à recueillir sur le secteur privé sont alarmantes. Le secteur culturel a été le premier à être confiné. Il n'est toujours pas déconfiné puisque les salles sont fermées. Elles n'ont pu bénéficier que d'une toute petite ouverture. Il serait intéressant de mesurer l'effet du « stop and go » sur les petites salles. Les directeurs de grands festivals commencent à mettre la pression pour connaître les choix qui seront opérés. Quel sera l'impact des décisions prises dans les semaines à venir ? Monsieur le président, vous avez parlé d'une mission de prospective : il serait intéressant de voir comment, à partir des modèles qui étaient à l'oeuvre jusqu'à présent, le secteur va pouvoir se relancer. D'autres pistes pourront peut-être aussi être travaillées, qu'il s'agisse du secteur privé ou du secteur subventionné. N'oublions pas non plus les arts visuels et les arts plastiques.
M. Olivier Paccaud. - Nous allons réaliser quelque chose d'inédit, à l'instar de la situation. Comme l'a souligné Laurence Cohen, l'aspect psychologique est essentiel. J'ai rencontré dernièrement le maire de Fleury, dans l'Oise, commune qui compte 560 habitants. J'ai été bouleversé d'apprendre que trois personnes s'y étaient suicidées en l'espace d'un mois et demi !
M. Martin Lévrier. - Au début de cette crise, le Président de la République a dit que nous étions en guerre. On a vite oublié ce mot que l'on trouvait provocateur. Mais finalement, il s'agit peut-être d'un prisme intéressant pour aborder cette mission eu égard au nombre de victimes. Le deuxième angle de vision à explorer est la qualité « anxiogène » des outils d'information ou de « désinformation », car les rumeurs sont allées bon train. Quid de notre capacité à réguler ces informations, à les analyser et à savoir prendre de la distance par rapport à elles ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - La commission des affaires économiques a auditionné Patrick Artus, co-auteur de L'économie post-Covid. Il a particulièrement attiré notre attention sur la gravité de la situation des PME et des TPE françaises. Il a prédit un bain de sang dans les semaines et les mois à venir. Ne pourrions-nous pas examiner comment d'autres pays ont traité le problème des chefs d'entreprise qui ont tout perdu et sont dans des situations personnelles dramatiques, au-delà des aides versées par l'État, notamment en ce qui concerne le chômage partiel ? Je ne parle pas des grosses entreprises, qui ne s'en sortent pas trop mal puisque les bilans de 2020 seront comparables à ceux de 2019. Mais les petites entreprises, elles, vont se trouver dans une situation gravissime.
M. Bernard Jomier, président. - Toutes ces remarques reflètent l'immensité du champ potentiel de notre mission d'information et la nécessité de faire des choix pour pouvoir travailler dans des conditions optimales. Roger Karoutchi a soulevé un point important : y a-t-il des alternatives ? Prenons l'exemple de la culture : est-il possible de reprendre des activités culturelles ? À quelles conditions ? Certains pays le font-ils et avec quelles conséquences sur le plan sanitaire ?
L'objectif va sans doute être d'examiner si le système actuel de prise en charge répond à une telle crise. Je pense, par exemple, à la santé mentale. La crise n'a-t-elle pas agi comme un révélateur ? Quelles sont les transformations nécessaires pour le système de santé mentale ? Il importe que nous fassions le tri et que nous choisissions des secteurs symboliques importants pour la vie du pays, qu'il s'agisse du champ économique, social ou sanitaire.
Nous sommes dans une stratégie de devoir vivre avec le virus. À l'été prochain, en espérant que nous ayons plus de vaccin qu'aujourd'hui, pourrons-nous passer à une stratégie d'élimination du virus ? D'ici là, nous aurons un retour sur ce qui se pratique en Israël.
J'ai pris bonne note de toutes vos suggestions. Je vous demande de nous envoyer rapidement dans les jours à venir vos éventuelles propositions complémentaires, afin que nous les intégrions dans la note de cadrage qui sera adoptée le 4 février prochain. En plus des réunions d'auditions, je vous informe que nous prévoyons aussi quelques réunions consacrées aux échanges entre nous. De nouveaux cadrages pourront ainsi être apportés à nos travaux : nous construirons en marchant. Par ailleurs, je souligne la présence de deux présidents de commission au sein de cette mission d'information, ce qui contribuera certainement à enrichir nos travaux.
La réunion est close à 15 h 35.