Jeudi 14 janvier 2021
- Présidence de M. Stéphane Artano, président -
Audition de M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer
M. Stéphane Artano, président. - À l'occasion de la reprise de nos travaux parlementaires, nous accueillons aujourd'hui M. Sébastien Lecornu, ministre des outre-mer, afin de faire un point sur la politique du Gouvernement dans les outre-mer.
Je vous remercie, Monsieur le ministre, d'avoir répondu favorablement à notre invitation dans le contexte sanitaire toujours très préoccupant que nous connaissons. C'est la première fois que la délégation a l'honneur de vous recevoir dans vos nouvelles fonctions, mais elle avait eu l'occasion de vous entendre sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer en votre qualité de secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et solidaire en janvier 2018.
Face aux légitimes inquiétudes de nos concitoyens, la présente audition est d'abord l'occasion d'échanger sur l'évolution de la pandémie de covid-19 outre-mer et, actualité oblige, sur la stratégie vaccinale retenue dans chaque territoire, en particulier concernant la déclinaison du triptyque du ministre de la santé : « accélérer, amplifier, et simplifier ».
Mon prédécesseur, Michel Magras, avait coutume de dire que « les outre-mer ont besoin d'une vision claire, d'engagements solides et, surtout, de réalisations concrètes ».
Nous espérons que vous pourrez nous donner davantage d'éclairages sur la situation et les perspectives pour les outre-mer concernant une campagne qui, comme vous le savez, fait dans l'Hexagone l'objet de nombreuses critiques.
La présente audition s'inscrit également dans le prolongement de l'étude de notre délégation sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise sanitaire, dont Viviane Artigalas, Nassimah Dindar et moi-même étions les rapporteurs.
Nous recevions ici même, le 10 décembre dernier, le président de la Fédération des entreprises des outre-mer (Fedom), M. Jean-Pierre Philibert, qui a émis des doutes sur la réalité de la somme de 1,5 milliard d'euros consacrée au plan de relance en outre-mer. Pour sa part, il n'avait identifié qu'environ 200 millions d'euros de crédits véritablement nouveaux. Nous souhaiterions donc recueillir vos assurances sur la somme réellement mobilisée par le Gouvernement et sur les projets fléchés en direction des outre-mer en 2021. Parmi nos préoccupations concernant l'effectivité de la réalisation de ce plan figurent le manque d'ingénierie des collectivités ultramarines et les modalités du plan de garantie de 200 millions d'euros visant à compenser les pertes de recettes fiscales des collectivités ultramarines. Par ailleurs, nous aimerions savoir comment les outre-mer vont bénéficier du plan de relance européen et comprendre l'articulation des financements du plan de relance national avec ceux du plan React-UE et du budget européen 2021-2027.
Autre sujet d'actualité : le projet de loi 4D (Décentralisation, déconcentration, différenciation et décomplexification), notamment son volet différenciation territoriale, thème également cher au président Magras, sur lequel vous avez souhaité recueillir les propositions des parlementaires en novembre et qui sera soumis prochainement au Parlement. Nous aimerions que vous nous détailliez les dispositions spécifiques aux outre-mer inscrites dans ce texte, notamment en ce qui concerne le transfert du foncier via l'agence des 50 pas géométriques aux Antilles et la régularisation des possesseurs sans titre à Mayotte.
Au-delà du contenu de ce projet de loi et à la suite du rapport de la délégation sur ce sujet, nous sommes nombreux à attendre la position du Gouvernement sur les propositions sénatoriales qui y figurent, et en particulier celle concernant une évolution constitutionnelle permettant de consacrer pleinement la possibilité de « statuts à la carte » pour les collectivités ultramarines.
Enfin, la question du logement dans les outre-mer figure au programme de travail de la délégation sénatoriale aux outre-mer en 2021. Nos collègues Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel en ont été désignés rapporteurs.
Comme cela a été amplement souligné lors de la discussion budgétaire, la sous-consommation des crédits affectés au logement est récurrente, malgré les besoins considérables. Les résultats, sur les plans quantitatif et qualitatif, du premier plan logement outre-mer (PLOM) 2015-2020, ont été peu satisfaisants, ce qu'a reconnu Mme Annick Girardin en juillet 2019. Le nouveau PLOM 2019-2022 peine à se déployer et, à notre connaissance, son comité de pilotage n'a toujours pas été réuni.
Nous souhaiterions, dans le cadre de cette étude, nous attacher aux dynamiques à soutenir et à amplifier pour construire plus et mieux en outre-mer. Par ailleurs, l'étude pourrait être l'occasion d'insister sur le rôle des outre-mer comme laboratoires d'innovation et de différenciation. Je laisserai aux rapporteurs présents le soin de vous interroger plus précisément sur les différents aspects de cette réflexion qui va nous occuper au cours des prochains mois.
Je vous propose donc de faire le point, dans votre exposé liminaire, sur ces différents sujets en vous basant sur la trame qui vous a été adressée. Je ne doute pas que mes collègues auront ensuite de nombreuses questions à vous poser.
Avant de vous céder la parole, je vous précise que la présente audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat et qu'elle sera consultable en vidéo à la demande.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Monsieur le président, je suis heureux de retrouver la délégation pour entamer nos travaux en cette nouvelle année. Avant de saluer les présidents de groupes, le vice-président du Sénat, le ministre Victorin Lurel et l'ensemble des sénatrices et des sénateurs ici présents, je voudrais tout d'abord rendre hommage au travail de votre prédécesseur, Michel Magras.
La gestion de la crise sanitaire outre-mer est le dossier qui nous accapare le plus en ce moment. Un constat, tout d'abord : les chiffres sont bien évidemment très différents selon les territoires. Je passe beaucoup de temps à expliquer que le virus ne circule pas de manière uniforme. Les sénateurs ultramarins le savent : le caractère « bloc » que l'on peut trouver sur l'Hexagone ou sur un plateau continental, n'existe pas en milieu insulaire, a fortiori avec des conditions climatiques très différentes de celles que connaissons à Paris.
La situation dans votre territoire, Monsieur le président, à Wallis-et-Futuna ou en Nouvelle-Calédonie, par exemple, territoires « covid free » grâce aux mesures de protection à la frontière, est très différente de celle des territoires ayant connu un premier, voire un deuxième confinement. À côté des territoires « covid free », on trouve également des taux d'incidence extraordinairement bas, comme à La Réunion, à la Martinique, en Guadeloupe et à Saint-Martin, de moins de 30 pour 100 000 habitants. Ces chiffres, comparés à ceux que nous connaissons dans l'Hexagone, doivent nous faire réfléchir. Le système sanitaire tient, le taux de positivité, légèrement supérieur à 1, est tenu.
Par contre, d'autres territoires vivent des rythmes particuliers, comme la Guyane, où l'on assiste à une reprise de l'épidémie assez importante, mais territorialisée : le taux d'incidence n'est pas le même à Saint-Georges-de-l'Oyapock qu'à Saint-Laurent-du-Maroni ou à Cayenne. Nous allons devoir prendre localement des mesures plus fortes, en raison de la hausse du taux d'incidence - il est aujourd'hui de 400 sur l'île de Cayenne.
On ne peut appliquer des mesures de freinage de manière uniforme et brutale à des situations très différentes. Nous avons donc mis en place une gestion très déconcentrée de la crise sanitaire en nous appuyant sur les duos préfets-directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS), avec le soutien des élus. Aujourd'hui, les restaurants sont ouverts aux Antilles, et même en Guyane. Les protocoles sanitaires ont été adaptés à une vie climatique complètement différente de celle de Paris.
Dans les prochains jours, je serai amené à prendre la parole, avec le ministre des solidarités et de la santé, et en associant les différents territoires, sur la question des variants, notamment sur le variant dit « sud-africain » ou variant 501. Nous nous interrogeons sur les mesures de protection à prendre. Il va falloir expliquer à nos concitoyens et au monde économique que les prochaines mesures de protection ne s'appuieront pas sur le taux d'incidence, mais viseront à se prémunir de la pénétration dudit variant.
En ce qui concerne la stratégie vaccinale, nous faisions face à des enjeux logistiques, notamment pour l'acheminement des congélateurs ad hoc permettant de stocker les doses de vaccin à - 80 degrés Celsius. Le défi a pu être relevé grâce aux armées et la stratégie de vaccination outre-mer se déploie aujourd'hui au même rythme que dans l'Hexagone. Ce n'était pas forcément gagné. À cet égard, je tiens à saluer non seulement les professionnels de santé, mais aussi les centres hospitaliers, points de convergence du bassin sanitaire.
Dans certains territoires, il n'y a pas d'établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Les choses se mettent en place différemment. Avec la solidarité intergénérationnelle, on prend soin autrement de ses anciens. Nous adaptons donc les stratégies de vaccination aux réalités et menons une stratégie locale très différenciée, qui s'appuie sur la réalité de la circulation du virus. Ainsi, la Martinique a été reconfinée et pas la Guadeloupe.
Le covid ne doit pas nous empêcher de travailler sur les grands sujets de transformation. Comme je l'ai souligné lors de la discussion budgétaire, je m'inscris, avec beaucoup d'humilité, dans la continuité de ce que mes prédécesseurs ont tenté de faire, avec parfois quelques difficultés.
En ce qui concerne les enjeux des différents territoires d'outre-mer, certains sujets sont de long cours. Au fond, la relance économique est à la fois un objet et un outil. Elle est un objet pour le sauvetage du tissu économique - on a adapté certaines mesures d'urgence pour Mayotte ou la Guyane, qui avaient déjà profité de mesures de différenciation dans le cadre du fonds de solidarité.
Certains secteurs sont parfois plus ou moins ouverts - nous reparlerons du tourisme dans quelques instants. Pour autant, nous n'allons pas mettre un terme aux mesures d'accompagnement qui étaient opérationnelles. Ce n'est pas parce qu'il est ouvert qu'un secteur fonctionne comme d'habitude.
Nous avons aussi différencié les différentes mesures d'accompagnement. Vous connaissez les sommes, nous en avons discuté lors de l'examen de la loi de finances.
Je pense que l'on a plus de chances de réussir vite la territorialisation du plan de relance en outre-mer que dans l'Hexagone. En effet, les projets sont connus en outre-mer. Par définition, le nombre d'acteurs n'est pas infini. Les enjeux sont identifiés : le problème de l'eau à la Guadeloupe, l'application du plan Séisme Antilles, le logement à La Réunion... La meilleure des relances consiste parfois simplement à accélérer les projets déjà engagés.
La relance doit nous emmener sur des chantiers de transformation. Je milite fortement pour que l'on avance très vite sur les risques naturels. À part les avalanches, tous les risques naturels sont présents en outre-mer : risques sismiques, volcaniques, érosion, ouragans, cyclones... Le réchauffement climatique vient accélérer ces risques, ce qui pose la question de la résilience. Ne restons pas passifs. Des choses sont déjà enclenchées. Je crois donc que nous sommes capables d'avancer vite sur ces sujets.
Certaines mesures pourront trouver une place dans le projet de loi 4D. Au reste, de nombreuses dispositions du projet de loi sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer relevaient du domaine réglementaire, mais, pour des raisons politiques, on a pu choisir de les inscrire dans un texte de loi. Il me paraît difficile de retarder l'entrée en vigueur de mesures que nous pouvons prendre par décret. Nous avancerons donc sur le terrain réglementaire. Cela ne veut pas dire que le Parlement ne sera pas associé. Monsieur le président, je me rendrai évidemment disponible si vous souhaitez que nous nous retrouvions une prochaine fois pour évoquer spécifiquement cette question.
Il faut travailler sur l'autosuffisance. Dans les territoires insulaires, il n'est pas normal d'être aussi dépendant. Je pense aux questions énergétiques, mais aussi aux questions alimentaires. Le confinement a montré de nouvelles pratiques de consommation, notamment plus locales. De crédits du plan de relance seront consacrés à l'accélération d'un certain nombre de transformations agricoles.
Des sujets connexes s'invitent dans l'agenda du ministre.
Ainsi, je passe environ un tiers de mon temps sur la Nouvelle-Calédonie. Qu'il y ait référendum ou non, que la réponse soit oui ou non, l'accord de Nouméa touche à sa fin. Il faudra bien imaginer un nouvel accord. Vous serez donc, à plus ou moins court terme, amenés à travailler sur cette question. L'actualité de l'usine du Sud est importante, mais ce n'est qu'un épisode d'un processus institutionnel beaucoup plus global et complexe.
D'autres sujets s'invitent : l'eau aux Antilles et à Mayotte, les questions régaliennes, l'immigration... Autant de sujets sur lesquels nous sommes mobilisés, même si la crise du covid vient modifier le plan de bataille.
M. Stéphane Artano, président. - Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.
Mme Vivette Lopez. - On entend souvent que la mer est notre avenir. Où en sommes-nous de la création de hubs en outre-mer, regroupant des infrastructures sanitaires, militaires, de construction et de réparation navales ? Qu'en est-il de notre volonté de promouvoir des offres de formation maritimes régionales ? Quelles actions menez-vous pour faciliter la venue de jeunes ultramarins dans l'Hexagone pour se former aux métiers de la mer ?
Mme Victoire Jasmin. - Je veux féliciter les Antillais, particulièrement les Guadeloupéens, pour leurs efforts conjugués dans la lutte contre le covid. Les résultats sont là. Pour le moment, nous n'avons pas à subir les restrictions que connaît l'Hexagone.
S'agissant du plan de relance, il y a des inquiétudes chez les travailleurs indépendants. Beaucoup de petites entreprises vont se retrouver dans une situation critique. Le tourisme a repris, mais la consommation n'est pas encore vraiment au rendez-vous.
En 2018, j'ai été corapporteur de la mission du Sénat sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer. Dans nos recommandations, nous avions préconisé une révision des modalités d'utilisation du fonds Barnier, ayant constaté que les collectivités avaient beaucoup de mal à y accéder. Cela n'a toujours pas été fait. Il faudrait que l'on trouve les voies et moyens pour faciliter l'emploi de ce fonds.
L'érosion du trait de côte concerne le département de la Guadeloupe. Il est urgent de prendre des mesures. Cela dit, il existe une certaine réticence... Il est urgent de mettre en oeuvre nos préconisations.
Monsieur le ministre, quelle définition donnez-vous à la décomplexification, qui figure dans l'intitulé de la loi 4D ?
La question de l'eau est une urgence, en particulier à la Guadeloupe. On note des avancées, un certain nombre de collectivités voulant aller vers un syndicat unique, mais il y a encore des divergences sur certains points. Les dettes de certains établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) freinent le processus. Il faut apporter de la clarté. Quoi qu'il en soit, la volonté est réelle au niveau du département.
Enfin, je veux attirer votre attention sur les procédures de recrutement dans les services de l'État, notamment à la Guadeloupe. L'information sur les postes à pourvoir est souvent opaque. Nos étudiants, qui ont obtenu leur diplôme en métropole, doivent pouvoir postuler dans les mêmes conditions que les Hexagonaux, en toute transparence.
M. Michel Dennemont. - Le Plan logement outre-mer (PLOM) est décliné en principe à La Réunion. Quel bilan peut-on tirer de ce qui a été fait dans le secteur du logement depuis janvier 2019 ? Quelles sont les perspectives pour les années à venir ?
M. Dominique Théophile. - Je veux vous interroger sur le projet de décision préparé par la Commission européenne concernant le régime d'exonération de l'octroi de mer. Selon cette décision, une production qui couvrirait plus de 90 % des besoins de la consommation locale ne pourrait plus bénéficier de cette exonération. La Commission européenne aurait prévu d'accorder un certain nombre d'exceptions, sans que cela soit de nature à nous rassurer. Selon Eurodom, 35 % des 2 milliards d'euros de production locale des industries dans les départements d'outre-mer (DOM) sont concernés. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce projet ?
La loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, qui prévoyait la remise au Parlement, au plus tard en juillet 2020, d'un rapport sur la perspective d'une création, aux Antilles, d'une faculté de médecine de plein exercice - pour le moment, les étudiants des facultés de médecine des Antilles et de la Guyane sont obligés de se rendre dans l'Hexagone une fois leur troisième année terminée. Quand pouvons-nous espérer la remise de ce rapport ?
M. Georges Patient. - La situation sanitaire va en s'aggravant en Guyane. Des mesures restrictives vont-elles être prises ? Quid du carnaval ? Des mesures dissuasives ont été prises et, comme vous le savez, l'envoi de chiens contre les carnavaliers a notamment créé la polémique.
Je veux également évoquer la question sensible du traitement de l'immigration clandestine, avec l'arrivée illégale sur le territoire de Cubains, qui ont été ensuite relâchés sur le territoire d'une commune guyanaise par les forces armées.
Des tensions existent toujours sur la réforme du code minier.
J'en viens aux Contrats de Redressement Outre-Mer (Corom). Chez nous, les collectivités sont les fers de lance de la relance. La mesure prise en loi de finances a été saluée par tous les sénateurs. Cependant, le montant prévu - 30 millions d'euros sur trois ans - sera-t-il suffisant au regard du déficit de certaines collectivités ? Pourra-t-il être corrigé ?
Cette aide financière doit s'accompagner d'une amélioration de la gestion. Certains craignent une tutelle de l'Agence française de développement (AFD). Les autres revendications pour une amélioration des ressources des collectivités seront-elles suspendues ? Pourra-t-on revenir sur les dispositions qui permettront aux collectivités locales d'outre-mer de retrouver une meilleure assise financière et d'améliorer leur gestion ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - La stratégie maritime est un sujet du plan de relance. Les situations sont très différenciées suivant les territoires.
On trouve à La Réunion une offre consolidée et tout à fait robuste d'acteurs de la mer, qui s'appuie autant sur les infrastructures que sur les métiers de la pêche. Les partenariats sont importants dans la recherche sur les fonds sous-marins. L'ancienne ministre des outre-mer, devenue ministre de la mer, est en train de travailler sur la stratégie de hub et sur les questions portuaires. C'est avec elle que vous pourrez avancer sur ces sujets.
De même, il y a des projets solides de filières de formation, en lien avec des sites normands ou bretons.
Je suis attentif à ce qu'il y ait un dialogue entre les trois océans. Je pense, par exemple, à la question des requins. La communauté scientifique est mobilisée sur ce sujet à La Réunion. Des chercheurs français en résidence en Polynésie française cherchent à pister les requins prédateurs. Il y a des initiatives dans chaque territoire, mais elles sont encore redoutablement cloisonnées. Nous devons engager le décloisonnement.
Pour ce faire, le meilleur moyen est encore de passer des commandes. Ainsi, sur le requin, j'ai demandé à ce qu'on réfléchisse à des réponses plus globales. Cependant, les enjeux maritimes sont très différents suivant les territoires.
Concernant les travailleurs indépendants, il faut, Madame Jasmin, nous faire remonter les cas. Nous avons veillé à ce qu'ils soient éligibles au prêt garanti par l'État (PGE), au fonds de soutien et, le cas échéant, au chômage partiel. Le compte y est en matière de solidarité et de gestion de l'urgence.
Il faut raisonner par secteur. Ce n'est pas la taille de l'entreprise qui est déterminante. J'ai choisi de faire particulièrement attention au secteur du BTP qui, en milieu insulaire, tient une large partie de l'économie et de l'emploi, avec le tourisme. Qui dit BTP, dit commande publique. Il faut que, dans les territoires, les acheteurs publics soient très vigilants sur la rédaction des cahiers des charges, sur l'attribution des marchés, sur la place accordée aux petites structures dans les commandes publiques.
Le décile exceptionnel est à la main des préfets dans un dialogue opérationnel avec les élus, quelle que soit la collectivité territoriale. Les gros chantiers profitent à un certain réseau d'entrepreneurs. Avec une stratégie de petits travaux, on peut intéresser directement un réseau économique de proximité. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas le ministre qui peut choisir les entreprises qui vont travailler. Si le Gouvernement et le Parlement peuvent débloquer des sommes pour les différents territoires - pour le plan Séisme Antilles, pour les réseaux... -, c'est évidemment aux élus locaux de veiller à intéresser tout le monde. Les réseaux d'eau peuvent, par définition, être effectués par des regroupements d'entreprises.
S'agissant du fonds Barnier, des mesures d'assouplissement ont effectivement été prises dans les différentes lois de finances. Le sénateur Frédéric Marchand avait déjà déposé quelques amendements pour permettre à des particuliers d'utiliser plus facilement ce fonds.
Deux sujets sont devant nous.
Le premier est l'utilisation du fonds Barnier en tant que tel. Cette utilisation peut être préventive ou curative. Quand elle est curative, il faut une coordination entre le fonds Barnier, les assureurs et le fonds de secours pour l'outre-mer (FSOM), qui dépend de mon ministère. Je suis très attentif à la solidarité nationale. Je ne veux pas que l'on se substitue aux assureurs qui doivent faire leur travail. Il faut bien faire attention à qui fait quoi. Il faut aussi réorienter le fonds Barnier, qui est utile, populaire et efficace, sur ce qui est important. Nous aurons l'occasion de l'évoquer lorsque nous travaillerons sur les risques naturels outre-mer.
Je connais bien le sujet de l'eau en Guadeloupe. La loi n'est pas obligatoire pour créer une structure unique. En revanche, pour créer une structure unique, il faut que tout le monde soit d'accord, sans exception. L'interdépendance des réseaux d'eau est une évidence en milieu insulaire. L'unicité du syndicat est le meilleur moyen de mener les opérations d'investissement. Je peux comprendre qu'il y ait des doutes sur les reprises de dettes, mais la dissolution du syndicat intercommunal d'alimentation en eau et d'assainissement de la Guadeloupe (Siaeag) amènera un retour de la compétence aux EPCI, puisque l'assemblée délibérante qui est légitime pour traiter les questions d'eau est celle de l'EPCI.
Mon objectif est simple : que les Guadeloupéennes et les Guadeloupéens aient de l'eau. On a déjà laissé passer beaucoup de temps. Voilà trois ans et demi que je suis ministre et que j'entends parler de ce problème... Je sais que les échéances électorales auront lieu en juin, mais c'est un argument que je ne peux accepter. Je salue les efforts qui ont été faits par le passé, notamment par Victorin Lurel. La présidente du conseil départemental est elle aussi mobilisée.
Il y a urgence à avancer sur ces questions de l'eau. Je suis ouvert sur les moyens d'y arriver. La proposition de loi déposée par Dominique Théophile et Justine Benin mérite d'être discutée dans l'hémicycle, parce qu'elle permettra de répondre à des questions de nos concitoyens. N'en restons pas au statu quo.
On a consacré beaucoup d'argent au plan Eau DOM. On débloque de nouveaux crédits avec le plan de relance. Certains estiment que ce n'est pas assez. Je crois que nous sommes tous attachés ici au principe « l'eau paie l'eau ». Je n'ai jamais entendu un sénateur appeler à une recentralisation de l'eau. En Guadeloupe, l'usager la paie via sa facture et via les impôts.
Si l'État peut intervenir en cas d'urgence ou pour organiser un rattrapage, il ne saurait supporter tous les travaux de réseaux d'eau en Guadeloupe pendant des années. Je suis attentif à ne pas laisser ce dossier à mes successeurs, parce que la situation dure depuis trop longtemps.
En matière de logement, Monsieur Dennemont, le niveau de consommation sur l'année 2020 est tout à fait convenable, avec des reventilations de crédits et des projets qui se sont débloqués. Au reste, la crise sanitaire n'a pas entraîné les mêmes mesures de freinage en outre-mer, la gestion y ayant été différente.
Il faut continuer à avancer sur trois sujets, qui sont bien souvent les sources du retard de l'investissement, plus que le manque d'argent.
Le premier est l'ingénierie. Dans le cadre du plan de relance, 30 millions d'euros sont octroyés à l'Agence française de développement (AFD), ce qui permettra de renforcer les moyens des collectivités.
Le deuxième est la gouvernance : il y a parfois des problèmes d'alignement entre régions, départements, EPCI et bailleurs sociaux. Je le dis sans aucune critique.
Le troisième, que nous sommes en train de régler, notamment grâce aux suites données à la proposition de loi de Serge Letchimy, est celui du foncier. Les difficultés tiennent aux problèmes d'indivision, aux risques naturels, à la logique d'occupation des sols ou encore aux outils. Dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, nous avons alloué de nouveaux moyens aux établissements publics fonciers et d'aménagement de Mayotte et de la Guyane.
J'ai bon espoir que ces trois chantiers produiront des effets, d'autant que, cette année, ce sont 18 millions d'euros supplémentaires qui ont été affectés à la ligne budgétaire unique (LBU), hors les crédits du plan de relance consacrés à un certain nombre de sujets. Nous devrions donc parvenir à des résultats pour l'année 2021.
Monsieur Dominique Théophile, nous avons des échanges réguliers avec la Commission européenne sur le sujet de l'octroi de mer. Cela peut également faire l'objet d'échanges ad hoc. Nous attendons une décision du Conseil avant la fin du mois de juin prochain. La Commission devrait prendre une position aux alentours de février et elle pourrait donner lieu à une transposition en droit français via le PLF pour 2022.
Dans le cas de l'octroi de mer, des propositions sont attendues, notamment sur les productions dites locales. Il est compliqué d'expliquer qu'on fait peser l'octroi de mer, qui est une barrière douanière de protection, sur des biens qui ont été produits sur les territoires concernés... Le Président de la République avait dit lors du Grand débat en 2019 que, s'il y avait une volonté des territoires d'avancer sur une réforme de l'octroi de mer, le Gouvernement serait à la disposition des élus qui voudront avancer sur ce sujet. J'ai toujours un succès limité quand je dis cela, et je le comprends, car cela pose des questions d'organisation du marché, de l'offre et la demande, et cela renvoie aux questions de vie chère, et à celle des recettes des collectivités territoriales, ce qui n'est pas un petit sujet. En tous cas, nous tiendrons au courant l'ensemble des parlementaires ultramarins des différents niveaux de discussion que nous avons avec la Commission européenne.
Le rapport qui avait été commandé sur l'avenir et les perspectives de la Faculté de médecine aux Antilles a été retardé, à cause de l'épidémie de covid-19. La mission sera lancée avant le mois de mai, et je tiendrai au courant les parlementaires de Martinique et de Guadeloupe, ainsi que de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. En tous cas, la commande n'a pas changé.
Les quatre questions de Georges Patient mériteraient chacune un long développement.
Sur la situation du covid en Guyane, le préfet s'exprimera dans les heures qui viennent. J'essaie de tenir l'équilibre entre activité économique et protection sanitaire de nos concitoyens. Appliquer les mêmes mesures de freinage dans Cayenne et à Papaichton, est-ce opportun ? Non. Mais nous allons être obligés de resserrer le couvre-feu, je vous le dis tout de suite. Le système actuel est différencié entre trois zones : une zone sans couvre-feu, une zone avec un couvre-feu qui démarre en première partie de soirée, et une zone où le couvre-feu démarre en nuit profonde. Je pense que nous devons simplifier en deux zones, avec un couvre-feu en fin d'après-midi et un couvre-feu en nuit profonde. Se pose aussi la question du dimanche, sur lequel nous allons devoir prendre des mesures de freinage. Les taux d'incidence ne sont pas bons, mais le système sanitaire tient, parce que nous ne sommes pas en situation de saturation. Mais n'attendons pas d'avoir des lits réanimation saturés pour prendre les mesures qui s'imposent ! Il faut agir dès que la courbe commence à monter.
Évidemment, nous allons renforcer les contrôles aux frontières. On pense souvent aux entrées irrégulières, mais il y a aussi des circulations régulières de nos concitoyens qui cherchent à échapper aux mesures de freinage sur notre territoire, et qui vont goûter le carnaval autorisé du Suriname ou du Brésil ! Et la question des autres variants va s'inviter... Je laisserai le préfet détailler les mesures, en lien avec l'ARS. Les mesures qu'il prendra sont frappées au coin du bon sens. Il nous faut contenir l'épidémie pour ne pas être en situation de reconfiner. Pour cela, il faut que tout le monde fasse des efforts. J'aimerais à cet égard remercier les restaurateurs. Dans tous les territoires où ils sont ouverts, ils se sont montrés responsables, et ont tenu les protocoles sanitaires. J'ai donné des instructions très claires aux préfets de procéder aux fermetures administratives de celles et ceux qui ne montrent pas l'exemple. Il semble en tous cas que la saison touristique n'aura pas eu d'impact sur le volet sanitaire : les taux d'incidence sont restés très bas - ils se tassent même en Martinique. C'est parce que les hôteliers, les restaurateurs et tous les professionnels du tourisme ont bien compris que le risque de reconfinement et de fermeture de leurs activités était majeur. Notre devoir collectif est de continuer à rappeler cet état de fait, pour éviter que de mauvaises habitudes ne s'installent, comme on l'a vu en Guyane, où l'on a pu croire que l'épidémie était derrière nous.
Vous évoquez la réforme du code minier. Si la ministre Barbara Pompili a dû annuler sa visite, c'est par rapport aux mesures qu'on va annoncer sur le terrain sanitaire. Elle ne l'a pas annulé pour un problème de fond, ou pour un problème lié au code minier. Les services de police et de gendarmerie sont largement mobilisés pour faire respecter les mesures que nous allons prendre. Devoir protéger en plus une visite ministérielle ne nous paraissait pas respectueux de leur travail, et la ministre a d'elle-même jugé bon non pas d'annuler sa visite, mais de la décaler. Sur les questions aurifères, je me suis exprimé de nombreuses fois. Nous tenons la ligne sur les grands projets non respectueux de l'environnement et sur lesquels les garanties ne semblent pas remplies. C'est le cas, désormais emblématique, de la Montagne d'or. Ce n'est pas pour autant qu'il n'y a pas une filière aurifère qui s'organise, pour développer des mines plus responsables que ce qu'on peut voir dans les pays de la zone, avec des structures minières à taille humaine, et une lutte contre le travail illégal.
Les Corom sont bien connus de l'ensemble des parlementaires. Nous devons réussir l'exercice en 2021, avant de les démultiplier. Je vous annonce que trente communes ont été présélectionnées sur la base de deux critères : une saisine de la chambre régionale des comptes, avec une expertise en cours, et un déficit structurel impossible à résorber en seulement deux exercices. Sur ces trente communes, douze sont en Guadeloupe, six en Martinique, neuf en Guyane, deux à Mayotte et une à La Réunion. J'ai saisi chacun des maires, et leur ai écrit qu'il n'y aurait rien d'obligatoire, que tout reposerait sur l'expérimentation et le volontariat. L'idée est de travailler sur dix communes, et de faire le maximum pour essayer de trouver le bon système.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Le variant 501 a pénétré l'océan Indien, où se trouvent deux départements français. Il fait déjà des dégâts dans l'île comorienne Mohéli. Le maire de la capitale en est décédé, et la population est sévèrement frappée. Des Comores à Mayotte, il est très facile d'entrer par voie clandestine. C'est ma plus grande crainte. Pour les voies régulières, les choses ont été bien gérées, avec la mise en place, en très peu de temps, d'un centre de dépistage à l'aéroport de Dzaoudzi. Mais pour des populations en manque de soins, le premier réflexe est d'aller vers les territoires français voisins, c'est-à-dire Mayotte et La Réunion. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre d'urgence pour protéger les populations françaises de l'océan Indien ? Lors de la première vague, un bâtiment militaire avait été envoyé pour les ravitailler. Un bâtiment militaire pourrait-il être envoyé pour dissuader et lutter plus efficacement contre les risques de pénétration irrégulière ? Le professeur Delfraissy a dit hier qu'il fallait restreindre les relations entre l'Hexagone et ces deux territoires. J'espère qu'il ne l'entendait pas au premier degré. Au contraire, il faut affermir ces liens et montrer à nos concitoyens de l'océan Indien que l'État est là et va répondre à la menace que constitue ce virus.
Vous connaissez, Monsieur le ministre, la problématique de la crise de l'eau à Mayotte. Hier, les restrictions se sont arrêtées, parce que la saison des pluies est arrivée pour remplir les retenues. Mais on ne va pas recommencer avec la même crise chaque année ! Une troisième retenue collinaire est programmée depuis des années et ne voit pas le jour. Nous devons nous dire les choses : il y a un problème de gestion de l'EPCI. L'équipe actuelle, depuis le mois de juin, prend les choses comme il convient. C'est une équipe rigoureuse, sérieuse, dont le président est un ancien maire qui a été réélu. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre, sans pénaliser l'équipe actuelle ? Les premières décisions qui ont été prises vont dans le bon sens. Comment l'État peut-il aider les élus à surmonter la problématique de l'eau ?
Le Président Macron, après plusieurs tergiversations des gouvernements précédents, est venu en octobre 2019 acter l'allongement de la piste d'aviation. L'enjeu est de taille pour ce territoire, puisque il en va de son désenclavement. Or, la semaine dernière, des problèmes environnementaux ont été mis en avant. Existe-t-il un projet de cette taille sans problème environnemental ? Cela se saurait ! Des problèmes environnementaux qui se sont posés sur d'autres chantiers, pharaoniques en comparaison, ont été dépassés. Pouvez-vous rassurer les Mahorais sur le fait que, conformément à la promesse du Président de la République, et nonobstant les problèmes environnementaux - que je ne néglige pas, mais auxquels il faut trouver des solutions - le projet de piste longue, très attendu pour désenclaver et contribuer au développement de l'île, sera mené à son terme ?
Mme Annick Petrus. - Ma question portera sur le revenu de solidarité active (RSA). Lors de sa venue fin septembre 2018 à Saint-Martin, le Président de la République avait déclaré être disposé à revoir les modalités de gestion et l'attribution du RSA et les prestations sociales à Saint-Martin, comme l'a demandé la collectivité. L'objectif poursuivi était que le RSA soit dépensé dans la partie française et non dans la partie hollandaise, et qu'il ne soit pas envoyé à l'étranger. La loi de finances pour 2019 prévoyait bien l'expérimentation de nouveaux modes de délivrance du RSA, sous la forme de titres de paiement, à partir du 1er juillet 2019, en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin. Ce titre devait être matérialisé par une carte de paiement prépayée permettant une aide d'urgence démonétisée, à l'instar de la carte Cohésia, un système que nous avons instauré après l'ouragan Irma. Cette expérimentation devait commencer à Saint-Martin, et un projet de décret fixant ses modalités de réalisation a été transmis au Conseil d'État à la fin du mois de mai 2019. Malheureusement, le Conseil d'État a considéré que la démonétisation du RSA ne répondait pas à l'objectif principal poursuivi par ce dispositif social, qui vise à assurer aux bénéficiaires un revenu minimal de subsistance. Devons-nous faire le deuil de cette démonétisation ? Il resterait la possibilité, pour l'État, de confier la compétence normative à la collectivité de Saint-Martin. L'État acceptera-t-il de nous accompagner rapidement si la collectivité accepte de se saisir de cette compétence ?
Mme Micheline Jacques. - L'article 51 de la loi sur l'égalité réelle outre-mer encourage la création d'une chaire d'excellence, qui a fait l'objet d'une mission auprès du délégué interministériel à l'égalité des chances des Français d'outre-mer, confiée à Ferdinand Mélin-Soucramanien. Je suis consciente des urgences que vous avez eu à gérer depuis votre nomination, mais il s'agit là d'un enjeu à long terme qui me semble lui aussi urgent. Des compétences et des expertises seront encore plus nécessaires pour repenser les outre-mer à la sortie de la crise, et vous connaissez le déficit de connaissance des outre-mer. Pouvez-vous nous indiquer l'état d'avancement de ce projet ?
M. Guillaume Gontard. - On dit que l'eau paie l'eau, mais il y a longtemps qu'elle ne paie pas que l'eau, notamment via les agences de l'eau et notamment l'Office de la biodiversité - ce qui n'est pas illogique, d'ailleurs. Sur la biodiversité, un sommet s'est tenu lundi avec le Président de la République, le Congrès mondial de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) doit se réunir à Marseille en septembre, et la COP 15 sur la biodiversité se tiendra en Chine. Les financements liés à la biodiversité dans les territoires d'outre-mer ne sont pas assez lisibles, puisqu'ils sont répartis entre différents ministères. Il faudrait les rendre plus faciles à appréhender.
Le président Stéphane Artano a rappelé que nous allions entamer des travaux sur la question du logement, avec mes collègues Micheline Jacques et Victorien Lurel. Vous avez parlé de la relocalisation de l'agriculture. Il faut une alimentation plus locale. Sur le logement, on peut avoir la même réflexion, à propos des matériaux de construction et de l'artisanat local. Il s'agit d'imaginer le logement de demain. Mais on butte sur nombre de normes et de réglementations...
Mme Jocelyne Guidez. - Je ne reviendrai pas sur la question de l'eau mais, en Martinique, nous avons exactement le même sujet : je suis revenue chez moi pour dix jours, et j'ai subi deux coupures d'eau de plus de douze heures ! Je vous pose la question suivante au nom de Gérard Poadja, qui ne peut être là aujourd'hui.
La campagne de vaccination dans les outre-mer pose la question de son financement, notamment pour les collectivités qui ont la compétence en matière de santé publique, comme c'est le cas de la Nouvelle-Calédonie. Dans le projet de loi de finances, en réponse à des interpellations dans le cadre parlementaire, le ministre a réitéré l'engagement qu'il avait pris lors de son déplacement en Nouvelle-Calédonie, que l'État examinera les dépenses sanitaires liées à la crise du covid qu'il pourrait prendre à sa charge pour soulager ces collectivités face au coût exorbitant que représente l'aspect sanitaire de cette crise, en plus de l'aspect économique et social. Confirmez-vous que la campagne de vaccination sera bien prise complètement en charge par l'État dans les collectivités du Pacifique ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Vous évoquez le variant 501. D'abord, nous mesurons ce qui se passe. L'OMS a fait une campagne de tests aux Comores, et l'ARS de Mayotte a mené une campagne de tests pour suivre l'évolution. Nous aurons les résultats rapidement, entre demain et la fin de semaine, et nous les communiquerons en toute transparence. L'idée est de prendre des mesures pour protéger. Le professeur Delfraissy a dit qu'il fallait restreindre les liens. Non, il faut les affermir pour mieux se protéger ! Le sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon sait ce qu'est un territoire en septaine : on ne peut pas dire que cela ait distendu ses liens avec l'Hexagone. Mais l'insularité permet de prendre des mesures de protection adaptées à chaque territoire.
Sans être alarmiste, notre devoir est d'alerter nos concitoyens en les prévenant que, si le variant 501 devait circuler au Comores, cela nous conduirait à prendre des mesures de protection encore plus fortes. Rompre les liens, non, prendre des mesures pour nous protéger collectivement, oui. Il ne faut pas se méprendre sur nos intentions.
Quelles sont ces mesures de protection ? Certaines ont déjà été mises en oeuvre. Outre le renforcement et la systématisation des tests, j'ai demandé à ce qu'un certain nombre de liaisons avec des pays africains soient suspendues. Pour les arrivées depuis les Comores, nous lutterons contre la fraude aux tests et nous testerons à l'arrivée. Bien sûr, la circulation des citoyens français est un droit constitutionnel, mais nous pouvons l'encadrer, par la systématisation des tests, antigéniques mais aussi PCR - à condition que nous puissions monter en puissance sur ces derniers dans nos territoires, et notamment à La Réunion. Nous allons aussi réfléchir à la « mise en précaution sanitaire », avec un période d'observation de sept jours, par exemple, ce qui permet d'être testé deux fois - je le dis d'autant plus volontiers que j'ai moi-même montré l'exemple en respectant une quatorzaine en Nouvelle-Calédonie. J'imagine aussi que le président Artano, lorsqu'il est rentré dans son territoire pour les fêtes de fin d'année, a également montré l'exemple.
M. Stéphane Artano, président. - Le préfet a reçu consigne de vérifier, et j'ai reçu la visite des gendarmes pendant cette période !
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Je vous promets que ce n'est pas moi qui l'ai demandé !
En tous cas, il ne s'agit pas de rompre les liens. Mais nous allons instaurer de telles protections aux frontières qu'il y aura sans doute des restrictions de circulation. Ce n'est pas la même chose et chacun peut le comprendre. Nous protégerons Mayotte vis-à-vis des autres pays de la zone, nous restreindrons les échanges entre Mayotte et La Réunion, et nous allons contrôler davantage les allers et les retours entre La Réunion et l'Hexagone, pour mieux suivre l'évolution de l'épidémie. Les tests réalisés par l'OMS à Mohéli et aux Comores seront traités au Kenya, à Nairobi. Les tests réalisés par les autorités sanitaires françaises sont confiés aux équipes de l'Institut Pasteur.
L'eau, c'est une compétence des collectivités territoriales. La comparaison entre Mayotte et la Guadeloupe n'est pas raison : en Guadeloupe, on produit suffisamment d'eau potable, et on a un problème de distribution et de réseau. À Mayotte, la démographie très positive fait qu'outre les problèmes de réseau, on a des problèmes de production : on ne produit pas assez d'eau. Je salue la patience des Mahorais qui ont accepté les tours d'eau, qui cessent ces jours-ci, comme vous l'avez dit, et qui ont produit leurs effets. Je tiens aussi à rendre hommage à M. Fahardine Bacar, le président de la nouvelle structure (le syndicat mixte d'eau et d'assainissement de Mayotte - SMEAM). Tous les retours du terrain convergent pour dire qu'il s'agit d'une équipe engagée, qui a envie de faire des choses, et qu'il ne s'agit absolument pas de pénaliser, bien au contraire. J'ai donné des instructions pour qu'on puisse travailler à un pacte sur l'eau avec ce syndicat, pour redresser les finances et accélérer les travaux.
Cela permettra aussi de commencer à travailler sur l'assainissement, Monsieur le président Guillaume Gontard : on oublie souvent que la principale source de destruction de la biodiversité dans nos territoires ultramarins, ce sont les rejets des eaux grises ou noires dans les lagons. À Saint-Barthélemy, avec le président Bruno Magras, nous avons beaucoup travaillé pour développer une activité anthropique, touristique et hôtelière qui soit à peu près capable de contrôler ce qui est rejeté dans le lagon. Il en va de même à Bora-Bora : personne ne peut imaginer un développement touristique dans un lagon qui ne serait pas complètement transparent. Ce que nous allons accomplir sur l'eau avec le syndicat à Mayotte vaut pour l'eau potable comme pour l'assainissement. Ce n'est peut-être pas glamour, mais c'est central : on pourra toujours raconter ce qu'on veut sur la biodiversité, tant qu'on n'a pas réglé ce sujet-là, on ne sera pas crédible.
Outre le pacte et des mesures d'urgence, il faut un audit du syndicat pour bâtir le plan de redressement, et des efforts sur les équipements, comme l'usine de dessalement, les retenues d'eau, les stations d'épuration ou un ambitieux plan de reboisement. Je suis prêt à accompagner tout cela politiquement, en ingénierie et financièrement, parce que cela fait partie des grands sujets qui nous préoccupent. Nous en reparlerons lors de mon prochain déplacement à Mayotte, en fonction des conditions sanitaires évidemment.
La piste longue est un sujet qui nous est bien connu. L'autorité environnementale agit comme autorité indépendante et a émis un certain nombre de réserves sur cet agrandissement. Cela ne change pas notre regard sur l'opportunité de le réaliser ni sur le bien-fondé de cet investissement. La position du Gouvernement est inchangée, malgré ce qu'on peut lire parfois dans la presse. Pour autant, allons-nous éluder les questions environnementales ? Nous devons penser à des solutions techniques, qui vont sans doute entraîner des surcoûts, auxquels il faudra trouver des réponses dans les sources de financement.
Mme Annick Petrus, sénatrice de Saint-Martin, m'a interrogé sur la démonétisation du RSA. Le Conseil d'État estime que l'expérimentation a fonctionné, mais que la pérennisation n'est pas acceptable, car il considère que cela ne répond pas à la volonté initiale du législateur de rendre accessible facilement un minima social d'accompagnement dans la pauvreté. Cela pose la question de la compétence normative de la collectivité. Je n'en ai pas parlé avec le président Daniel Gibbs lorsque je l'ai vu. Je suis prêt à mettre ce sujet sur la table. J'ai bien vu que la fermeture de la frontière entre les deux parties de l'île, pour des raisons liées au covid, avait révélé certains comportements. La lutte contre la fraude au RSA est pour moi un enjeu majeur. On ne peut pas à la fois solliciter la solidarité nationale et accepter certaines dérives. Cela n'oblitère pas le débat sur la recentralisation du paiement du RSA outre-mer, qui a été déjà faite à La Réunion, en Guyane et à Mayotte. Je sais qu'aux Antilles, des questions se posent. Il faudra les traiter, comme je l'avais dit aux parlementaires concernés.
Pour répondre à la sénatrice Micheline Jacques, la chaire a été actée fin 2020. La mise en oeuvre va pouvoir se faire en 2021 et nous incite à en faire la publicité.
M. Guillaume Gontard appelle avec raison à une meilleure visibilité des actions en faveur de la biodiversité. Beaucoup d'acteurs font des choses. Les collectivités, on l'oublie trop souvent, lèvent l'impôt pour les espaces naturels sensibles. Les organismes de recherche et le monde universitaire agissent également. Enfin, les opérateurs de l'État ont une action remarquable. On m'a présenté, lors de mon passage à La Réunion, ce que faisait l'Office national des forêts : c'est absolument stupéfiant. Après les grands incendies qu'on a connus ces dernières années, nous avons acquis un savoir-faire incroyable pour reconstituer les écosystèmes. Sur la question des récifs coralliens aussi, on commence à avoir une maîtrise importante. Bref, nous faisons beaucoup de choses, mais c'est trop peu connu.
Sur le logement de demain, je suis à votre disposition. Nous devrons parler, je suppose, d'ingénierie et de financement. Il faudra aussi se demander à quoi doit ressembler un logement, demain, pour une famille en milieu insulaire. Les territoires qui vieillissent auront besoin de spécialiser leurs logements, par rapport à ceux où la démographie est dynamique. Il faudra, aussi, bien construire, en termes d'empreinte environnementale. Et associer le secteur privé à la réflexion. Il ne faudrait pas que tout l'argent du plan de relance soit utilisé comme avant. Or, si l'État fixe des critères, on nous taxera de jacobinisme !
M. Gérard Poadja m'a interrogé, depuis le caillou calédonien, sur la campagne de vaccination. Les collectivités de Polynésie et de Nouvelle-Calédonie sont pleinement compétentes en matière sanitaire. La fameuse quatorzaine de Nouvelle-Calédonie, c'est le Gouvernement de Nouvelle-Calédonie qui l'a décidée. De même pour la politique de vaccination, différente de la nôtre, puisque les personnes âgées ne sont pas les premières cibles : elles viennent après les personnes qui ont des contacts avec des personnes venant de l'extérieur, comme le personnel des compagnies aériennes. Des transferts de financement ont accompagné le transfert de la compétence à ces collectivités : nous ne prélevons pas certains impôts, le système social n'est pas le même...
J'observe qu'en situation de crise, on réinterroge cet état de choses : on aimerait que tout soit comme dans l'Hexagone. Je ne suis pas contre, pour être honnête, mais j'observe que ce langage est nouveau. Sur ces territoires où l'on est soit indépendantiste, soit autonomiste, un besoin d'État s'exprime, y compris en Nouvelle-Calédonie. Je trouve cela intéressant. Ce n'est pas neutre. Que l'histoire de Wallis-et-Futuna amène à ce qu'il y ait beaucoup besoin de France, c'est normal. Mais en Nouvelle-Calédonie, qu'on ait ce besoin de France, qu'il s'agisse de l'usine du Sud ou de la vaccination, je trouve que cela mérite d'être noté.
Quelque 10 000 doses de vaccin ont été livrées à la Nouvelle-Calédonie. J'ai fait un choix très clair, qui est de ne pas abandonner les collectivités du Pacifique. Ce n'est pas parce qu'elles sont compétentes en matière sanitaire qu'elles ne devaient pas bénéficier de la solidarité nationale. Si l'on regarde les États insulaires du Pacifique, mis à part les territoires français qui ont été pourvus en doses et quelques territoires disposant d'un partenariat particulier avec les États-Unis, ils n'ont rien. On voit donc que la France est là, et que nous n'avons pas à battre notre coulpe en permanence.
Il faut documenter les dépenses sanitaires. Certaines peuvent faire l'objet de solidarité, comme la prise en charge financière de la quatorzaine. Cela passera forcément par une loi de finances rectificative. Nous en reparlerons quand nous aurons les chiffres. Il faudra mettre à part les dépenses résultant des choix politiques locaux.
M. Victorin Lurel. - Je reviens sur deux questions symboliques posées par Georges Patient et Victoire Jasmin. Vous n'avez pas répondu, en effet, sur les recrutements en provenance de l'Hexagone. Il y a un vrai problème sur cette question. Les syndicats ont évoqué le problème de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement, où l'on recrute des jeunes avec Bac + 5 en provenance de l'Hexagone, sur des contrats qui offrent de meilleures conditions que celles qui sont proposées aux Guadeloupéens. C'est une question symbolique, qui crée des tensions. Je rappelle que certains syndicats s'étaient mis à la sortie de la grande zone commerciale de Jarry pour signaler que trop peu de Guadeloupéens trouvent du travail sur place. Il y a des tensions culturelles, qui menacent la cohésion sociale. Je demande au Gouvernement d'y être très attentif.
Je souhaite aborder la question des lâchers de chiens, sujet très sensible dans nos territoires qui ont connu l'esclavagisme. Mon parti a fait un communiqué à ce sujet. Le lâcher de chiens ne fait pas partie de la doctrine des forces de l'ordre et lorsque l'on voit un policier de couleur lâcher des chiens sur des carnavaliers, cela pose problème. Il semblerait qu'un chien compte pour dix policiers, ce serait donc une question de moyens. Souvenons-nous qu'en 1967 la Guadeloupe a connu des morts à cause d'un lâcher de chiens ! Notre mémoire en est marquée et je tenais à attirer votre attention sur la nécessité de préserver la coexistence pacifique de nos sociétés multiculturelles et multiethniques.
S'agissant du recrutement local, il semblerait que l'intranet entre ministères soit réservé à quelques initiés. Quand j'étais ministre, nous avions pris des mesures, mais il reste des progrès à faire pour davantage de transparence. Les discriminations à l'embauche ne sont pas acceptables. C'est symbolique, mais cette question pourrait déclencher des mouvements en Guadeloupe.
Je suis d'accord avec le président Guillaume Gontard : il faut que « l'eau paie l'eau » ; mais ce principe est parfois difficile à appliquer. Tout le monde devrait participer au syndicat mixte ouvert, mais sur la question de son financement, vous décidez sans payer les conséquences de vos décisions. Vous demandez, dans un courrier au conseil départemental et au conseil régional de prendre en charge les dettes et les dépenses de personnel : je pense qu'il va être difficile de trouver un accord, comme l'a montré la visioconférence d'hier, au cours de laquelle les partis politiques se sont opposés. Le président de région a dit qu'il s'opposerait au Gouvernement, M. Olivier Serva s'est opposé à Mme Justine Benin et le Président Losbar ne comprend pas l'initiative du sénateur Dominique Théophile ! L'État doit s'engager sur un plan pluriannuel avec des subventions sur quatre ou cinq ans.
Par ailleurs, la stratégie de logement qui se dessine m'inquiète. Nous devons rester très attentifs sur le projet de vente de plus de 3 000 logements dans la ville de Pointe-à-Pitre. Cela permettra certes de renflouer les finances de la ville, mais il faut également veiller au maintien des classes populaires, ainsi que nous l'avions fait lorsque nous étions aux commandes de la Région.
La ministre du logement, Mme Emmanuelle Wargon, s'est engagée à réunir les parlementaires pour régler le conflit entre l'Union sociale pour l'habitat (USH) et l'union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM), mais nous attendons toujours et nous n'avons pas compris la position de l'État. Il est regrettable notamment que les 170 000 euros de subvention dont bénéficiait l'USHOM aient été supprimés.
Je m'associe à ce qu'a dit mon collègue Dominique Théophile sur l'octroi de mer. Si la Commission européenne devait faire une telle proposition, je demanderais au Gouvernement de s'y opposer. Mais il faut aussi avoir le courage d'engager une réforme, respectueuse de l'autonomie des territoires. J'ai fait des propositions au Sénat, qui ont malheureusement été rejetées.
Le projet d'évolution des articles 73 et 74 de la Constitution figurant dans le rapport du Président Magras sur la différenciation territoriale - et proposé par le juriste Stéphane Diémert - est un bon texte, qui peut sans doute être encore amélioré. Je ne désespère pas de voir le Gouvernement l'intégrer dans la réforme constitutionnelle.
Mme Viviane Malet. - Monsieur le ministre, vous nous avez déjà largement répondu sur la variante 501. J'ai donc bien compris qu'il y aura des mesures supplémentaires concernant l'océan Indien.
Je vous ai déjà interpellé plusieurs fois sur la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP). C'est un problème que rencontrent tous les présidents d'EPCI de La Réunion et des Antilles. Ne pourrait-on pas envisager un gel de l'augmentation de cette taxe afin d'alléger leurs finances et d'éviter de reporter la charge sur les administrés ?
M. Guillaume Chevrollier. - La situation en Nouvelle-Calédonie nous préoccupe tous. Ce territoire doit être conservé dans la République française. Quelle est la stratégie du Gouvernement ? Comment le Parlement - et tout particulièrement notre délégation - pourrait-il y être associé ?
M. Maurice Antiste. - En Martinique et en Guadeloupe, nos marins-pêcheurs sont en grande souffrance. En raison de décisions malvenues, ils se trouvent coincés entre une interdiction de pêcher sur la côte - en raison du chlordécone - et une interdiction de pêcher au-delà des 5 miles nautiques. Leur nombre a diminué de 50 % : c'est dramatique pour nos îles ! Nous sommes prêts à rencontrer la ministre de la mer. Les agents de l'État manquent de formation pour appréhender les problèmes dans nos régions qui ont une histoire, une culture, une identité géographique propres. Nous comptons sur vous.
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Je vous propose de faire des réponses concentrées car les sujets sont multiples. Il est difficile de passer de la situation politique en Nouvelle-Calédonie à la question de l'eau en Guadeloupe. Je risque de ne pas avoir le temps d'approfondir.
S'agissant du recrutement en outre-mer de personnes en provenance de l'Hexagone, il y a des enjeux de synergie importants dans la fonction publique de l'État mais aussi dans la fonction publique territoriale. On pourrait assurément faire mieux en matière de transparence. J'ai eu sur ce sujet une séance de travail avec Mme Amélie de Montchalin, ministre en charge de la fonction publique, notamment sur les moyens pour renforcer les facilités de mobilité pour les ultramarins. Nous pouvons aussi avancer avec le ministère de l'éducation nationale sur d'autres enjeux tels que le « retour au pays ».
J'ai conscience que l'usage de chiens contre des manifestants en Guyane a suscité beaucoup d'émotion. Un rassemblement illégal important avait été constaté et a perduré pendant plusieurs jours. Cela a donné lieu, légitimement, à une intervention des forces de l'ordre. Mais comme l'a rappelé le ministre Victorin Lurel, l'emploi des chiens ne fait pas partie de la doctrine en matière de maintien de l'ordre ; ni dans les outre-mer, ni dans l'Hexagone d'ailleurs ! Une enquête judiciaire est en cours et l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie pour éclairer cet événement. Nous avons demandé aux préfets et aux directeurs territoriaux de la police nationale de suspendre l'utilisation de ces chiens. Je tiens également à redire ma confiance aux policiers et aux gendarmes, qui interviennent dans des conditions très difficiles et parfois dans un contexte de forte violence. Il faut faire confiance à notre état de droit, à l'organisation de nos pouvoirs publics et singulièrement à cette enquête qui a été diligentée.
La question de l'eau en Guadeloupe est capitale pour nos concitoyens. Je serai l'allié de toutes celles et ceux, quelle que soit leur opinion politique, qui veulent faire avancer ce dossier, dans un comportement républicain à l'égard des parlementaires et des élus locaux. Certains critiquent la proposition de loi sur l'eau du sénateur Théophile, qui serait un désaveu pour la démocratie et la représentation locales. Je ne suis pas d'accord ! Le Sénat est la Chambre des territoires, les sénateurs ont été élus choisis par les élus locaux. Le sénateur Théophile a toute légitimité pour déposer cette proposition de loi.
Je n'ai pas d'information sur la vente des 3 000 logements que vous mentionnez à Pointe-à-Pitre et je vais donc regarder cela de plus près. Nous travaillons utilement avec l'Union sociale pour l'habitat (USH) et l'Union sociale pour l'habitat outre-mer (USHOM). Ma collègue Emmanuelle Wargon a pris des engagements et des rencontres doivent se tenir.
Sur l'octroi de mer, la Commission européenne doit se prononcer et nous reviendrons vers vous quand les choses seront connues avec plus de précision. Nous avons tous travaillé pour défendre ensemble le maintien du Poséi, avec un résultat plutôt satisfaisant. Il faut rester dans cette logique d'unité sur les sujets européens.
S'agissant de la réforme constitutionnelle et du projet de loi 4D, je suis frappé de constater que les questions institutionnelles occupent moins de place qu'il y a quelques années. La crise du covid et la relance de l'économie sont aujourd'hui prioritaires, et s'agissant des enjeux de compétences, les collectivités réclament aujourd'hui plutôt des ajustements et des clarifications. Certes, la Martinique demande à faire évaluer la fusion département-région et le débat institutionnel est présent en Guyane, même s'il est moins vivace. Mais il y a aussi un désir de stabilité. Je ne voudrais pas qu'un « chamboule tout » institutionnel vienne porter atteinte au climat de confiance nécessaire à la relance économique.
Nous aurons le temps, lors d'une prochaine audition, d'approfondir ces questions liées au chantier constitutionnel. Sachez d'ores et déjà qu'il y aura, dans la partie outre-mer du projet de loi 4D, plusieurs dispositions de bon sens, notamment sur l'agence des 50 pas géométriques aux Antilles. Plusieurs sujets d'adaptation pourraient également y être traités. En outre, la question de la fiscalité sur les déchets en milieu insulaire est redoutablement complexe et nécessitera notre mobilisation.
Le président Gérard Larcher présidera, un groupe de contact sur la Nouvelle-Calédonie. Nous aurons l'occasion d'approfondir ce sujet. J'ai été auditionné récemment par M. Yaël Braun-Pivet et par M. Christian Jacob dans la cadre d'une mission d'information de l'Assemblée nationale. Il s'agira de s'accorder sur le niveau de publicité à donner à nos débats. Je dois me soumettre au contrôle de l'action du Gouvernement mais je dois également, puisque les négociations sont en cours, veiller à une certaine discrétion.
La première préoccupation à court terme est le retour à la paix et au calme. D'aucuns ont critiqué le manque d'engagement de l'État. Ce n'est pas le sentiment que j'ai : beaucoup de temps, d'énergie, de moyens financiers ont été investis et les forces de l'ordre sont engagées sur le terrain. L'usine du Sud, dont il n'avait pas été question pendant ma visite au mois d'octobre, s'est imposée récemment dans le débat public. C'est le signe que les choses vont vite en Nouvelle-Calédonie.
L'enjeu principal est d'amener la procédure institutionnelle à son terme et de le faire dans de bonnes conditions. Lors de ma visite, il restait six mois au Congrès avant de se prononcer sur la tenue d'un troisième referendum ; désormais, il ne reste plus que trois mois. Je me suis engagé à avancer sur les implications du oui et du non. Nous cherchons, depuis maintenant plus de vingt ans, des consensus sur la formulation de la question du referendum et sur le sujet, redoutablement délicat, du corps électoral. Nous avons travaillé sur tout, sauf sur les implications des réponses. Or, compte tenu de l'approche du 3ème referendum, ces implications sont cruciales. M. Ferdinand Mélin-Soucramanien - dont les travaux sur les différents scénarios institutionnels sont de grande qualité - a démontré qu'on peut faire dire plusieurs choses au « oui » ou au « non ». Qu'est-ce qu'être indépendant en 2021 ? Est-ce le même modèle d'indépendance que celui défendu dans les années 1980 ? Veut-on une indépendance ou une interdépendance ? S'il s'agit d'un processus de décolonisation, n'y-a-t-il pas un risque de céder à un impérialisme, et notamment celui des « nouvelles routes » ?
Le Président de la République l'avait dit avec beaucoup de courage lors de son discours au théâtre de Nouméa. Qu'est-ce qu'être Français en 2021 ? La question est redoutable où qu'on se trouve. Quel lien veut-on avec la France ? Si l'on s'intéresse de près au débat, on constate que peu de personnes défendent le statu quo. Même le fait de rester dans la France n'éteint pas le processus de décolonisation au sens onusien du terme. Les volontés autonomistes et de reconnaissance de spécificités sont fortes. De manière caricaturale, je dirai que même parmi les loyalistes en Nouvelle-Calédonie, personne ne veut que la Nouvelle-Calédonie devienne demain un conseil régional comme les autres. La nouveauté dans l'approche de ce dossier est d'insister désormais sur les implications de la sortie du processus. Les implications du « oui » peuvent susciter des appréhensions, notamment sur les questions fiscales, monétaires ou bancaires.
Je m'engage non seulement à tenir le Parlement au courant mais également d'agir en association avec lui, notamment dans le cadre des travaux conduits par Gérard Larcher. Les parlementaires, quelle que soit leur série d'élection, auront d'une manière ou d'une autre à débattre de ce sujet.
Sur la pêche, le sénateur Maurice Antiste en avait parlé en marge du déjeuner républicain que nous avions tenu en fin d'année 2020. L'enjeu est celui de la promotion et de la valorisation de la pêche et des métiers de la pêche. J'ai donné des instructions pour que de l'argent du Plan de relance soit fléché sur ces sujets. Nous pourrions peut-être trouver quelques outils d'accompagnement notamment sur leurs équipements. Je suis prêt à échanger avec les pêcheurs lors d'un prochain passage en Martinique. J'ai cru comprendre qu'il y avait également des problèmes d'application d'un certain nombre de règles. Des modifications réglementaires intervenues en juin permettaient d'aller pêcher à 20 000 nautiques dès lors que les embarcations et les équipements sont suffisamment sécurisés. Je reviendrai vers vous avec davantage de précisions.
M. Stéphane Artano, président. - Je me fais le relais d'une question que Victoire Jasmin avait posée : pouvez-vous préciser le terme de « décomplexification » inscrit dans le projet de loi 4D ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. - Je serai ravi que la délégation nous accompagne dans ce travail de simplification. Nos travaux peuvent parfois nous amener à plus de complexification. C'est par exemple le cas avec la loi « Engagement et proximité », prévu initialement pour simplifier, et où plus de 2 000 amendements ont finalement été présentés.
Bien que le désir d'une plus grande liberté à donner aux territoires se renforce, je constate en même temps que le désir de tout « normer » vient contrebalancer nos avancées. C'est notamment le cas s'agissant de la résolution des conflits entre conseil communautaire et communes. Je suis très fier de ce qui a été fait, pendant la crise, avec M. Bruno Le Maire sur le rehaussement du seuil des marchés publics, rehaussement qui n'était auparavant pas autorisé par la Commission européenne. Il existe parfois des demandes contradictoires, par exemple entre la volonté de simplifier les normes pour libérer la construction et celle de les multiplier sur le terrain environnemental pour s'adapter aux conditions naturelles. C'est un travail que le ministre ne peut pas réaliser seul. Il y a ici un bel enjeu d'hiérarchisation des objectifs.
M. Stéphane Artano, président. - Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier chaleureusement pour la qualité des réponses apportées au cours de cette audition et pour la sincérité de vos propos. Je pense qu'ils ont été appréciés de tous.