Jeudi 17 décembre 2020
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -Audition de Mme Marie-Pierre Badré, présidente du Centre Hubertine Auclert
Mme Annick Billon, présidente. - En mon nom et au nom de tous mes collègues de la délégation, je souhaite la bienvenue à Marie-Pierre Badré. Cette réunion est à la fois la première que nous consacrons à notre projet de rapport sur les femmes et les ruralités et la dernière de cette année 2020.
Je souhaite également la bienvenue à Ambre Elhadad, chargée de l'accompagnement des collectivités locales au Centre Hubertine Auclert, qui participe à cette audition avec nous. Je remercie Marie-Pierre Badré et Ambre Elhadad de leur disponibilité à nos côtés.
Je précise que cette audition fait l'objet d'un enregistrement vidéo qui sera disponible sans limitation de durée sur le site du Sénat.
Notre délégation a souhaité dédier son principal travail de cette session à la situation des femmes en milieu rural. Ce sujet représente un enjeu décisif d'égalité dans notre pays, qu'il s'agisse de l'égalité professionnelle, de l'accès à la formation, à tous les niveaux, de la santé, de la lutte contre les violences et la précarité ou de la participation à la vie politique locale. De ce point de vue, on peut aussi analyser le lien entre mobilité et engagement politique.
Nous nous intéressons bien sûr aux défis de l'égalité entre femmes et hommes, à tous les âges de la vie, dans l'immense diversité des territoires ruraux. Les huit co-rapporteurs désignés par la délégation pour travailler sur cette thématique incarnent cette diversité des territoires.
Nous avons également souhaité mettre en valeur le potentiel extraordinaire pour ces territoires que constitue l'engagement politique, associatif ou entrepreneurial des femmes.
En signe de notre intérêt unanime pour ce travail, nous avons désigné, pour conduire cette réflexion, une équipe de rapporteurs associant tous les groupes politiques représentés dans notre assemblée. Je les cite par ordre alphabétique : Bruno Belin, élu de la Vienne, pour le groupe Les Républicains ; Jean-Michel Arnaud, élu des Hautes-Alpes, pour le groupe Union Centriste ; Nadège Havet, élue du Finistère, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) ; Pierre Médevielle, élu de la Haute-Garonne, pour le groupe Les Indépendants ; Marie-Pierre Monier, élue de la Drôme, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain ; Raymonde Poncet Monge, élue du Rhône, pour le groupe Écologiste - solidarité et territoires ; Guylène Pantel, élue de la Lozère, pour le groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen (RDSE) et Marie-Claude Varaillas, élue de la Dordogne, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE).
Chère Marie-Pierre Badré, il nous a semblé naturel de commencer avec vous le cycle des auditions qui s'engage. En effet, le centre Hubertine Auclert a publié il y a un an un rapport intitulé Femmes et ruralité, pour l'égalité entre les femmes et les hommes dans les territoires ruraux franciliens. Votre rapport aborde l'ensemble des thématiques qui nous intéressent pour notre travail. Bien que le champ de votre analyse concerne l'Île-de-France, nous avons estimé que votre démarche pouvait aider les rapporteurs dans leurs réflexions.
J'ajoute que je suis, comme mes collègues, particulièrement sensible au fait que votre travail se réfère à deux rapports de la délégation : celui de 2017 sur les agricultrices et celui de 2016 intitulé Les femmes et l'automobile : un enjeu de lutte contre la précarité, d'orientation professionnelle et de déconstruction des stéréotypes et qui analysait notamment l'importance de la mobilité pour l'émancipation des femmes dans les territoires isolés.
Je vous cède donc la parole sans plus tarder.
Mme Marie-Pierre Badré, présidente du Centre Hubertine Auclert. - Je suis présidente du Centre Hubertine Auclert et conseillère régionale de l'Île-de-France, membre de l'exécutif de la région et déléguée spéciale auprès de la présidente, en charge de l'égalité femmes-hommes.
Je remercie la délégation aux droits des femmes du Sénat, dont je suis le travail sur les questions d'égalité femmes-hommes depuis des années et qui a déjà produit plusieurs documents et rapports sur les femmes et la ruralité.
Je me félicite par ailleurs de voir combien cette délégation compte une diversité des territoires issus de l'ensemble de la France.
J'habite dans le département de la Seine-et-Marne, territoire ô combien rural de l'Île-de-France. La région est souvent exclusivement associée aux territoires urbains et périurbains qui la composent. C'est pour cette raison qu'au Centre Hubertine Auclert, nous avons décidé en 2017 de produire un rapport sur les femmes et la ruralité. En effet, 55 % des communes d'Île-de-France sont classées comme rurales et occupent 64 % du territoire francilien. Il me semblait évident qu'il fallait s'occuper de ces territoires ruraux, trop souvent ignorés par le passé au profit de Paris et de sa proche couronne.
S'agissant des enjeux liés à l'éducation tout d'abord, il faut savoir que les jeunes des zones rurales sont moins nombreux à poursuivre des études supérieures que les jeunes urbains. Il existe sur ce plan dix points d'écart entre les zones rurales et le reste de l'Île-de-France. Les filles, quant à elles, sont plus nombreuses à ne détenir aucun diplôme dans les zones rurales : 29,1 % contre 25,9 % pour les garçons. Elles font donc face à de nombreux freins pour atteindre un premier niveau de diplôme. Les choix de formations restent, en outre, beaucoup moins diversifiés pour les filles. Elles sont très souvent orientées vers des filières de soin et d'accompagnement tandis que les garçons se destinent plutôt aux métiers du bâtiment et de la mécanique.
Des différences sont donc observées dès la formation initiale. Notre rapport préconise une diversification de l'offre de formations dans les zones rurales, en s'appuyant sur des diagnostics sexués (ce qui est peu fait). Notre rapport préconise également une communication non stéréotypée sur l'ensemble des filières de formations.
S'agissant ensuite des perspectives professionnelles, les taux d'emploi, entre les départements ruraux et le reste de l'Île-de-France, présentent jusqu'à onze points d'écart qui concernent plus particulièrement le sud de la Seine-et-Marne. En revanche, en Île-de-France, les femmes vivant en zone rurale sont un petit peu moins confrontées au chômage que les hommes. Néanmoins, elles sont moins « en emploi », c'est-à-dire qu'elles sont plus souvent exclues du marché du travail sans toucher d'allocations.
En grande couronne, les femmes sont plus touchées par
des conditions d'emploi précaires. 39 % sont
à temps partiel, ce qui représente un écart de 15,7 points
avec les hommes.
Notre rapport préconise donc de favoriser l'accès à la formation continue pour les femmes qui sont très éloignées de l'emploi et d'encourager le développement de l'entreprenariat pour les femmes en promouvant les réseaux d'entreprenariat et en construisant des espaces particuliers de co-working accessibles à toutes et tous.
Les chiffres suivants méritent d'être connus : entre 5 000 et 6 000 Françaises travaillent dans l'exploitation agricole de leur conjoint sans aucun statut. J'entends ce leitmotiv depuis vingt ou trente ans. Nous voyons bien que les choses n'ont pas beaucoup évolué dans ce domaine. Seules 58 % des femmes agricultrices prennent leur congé de maternité. En outre, les retraites agricoles des femmes sont 2,5 fois plus faibles que la moyenne. En 2010, les femmes dirigeaient des exploitations de 36 hectares en moyenne, contre 62 hectares pour les hommes.
Entre autres recommandations, nous avions pointé la nécessité de renforcer l'accès des agricultrices aux informations sur l'existence des différents statuts en agriculture et de suivre plus particulièrement leur recours au congé de maternité.
Parmi les bonnes pratiques identifiées et encouragées par ce rapport, je mentionnerai le pôle ABIOSOL, où lors de « cafés installation », des agriculteurs expérimentés viennent échanger avec des agriculteurs plus jeunes sur les implications d'un projet agricole.
En Île-de-France, l'accueil des jeunes enfants constitue un problème majeur dans les zones rurales où la situation est en effet défavorable. En 2010, nous comptions, par exemple, 12 places en accueil collectif pour 100 enfants de moins de trois ans en Seine-et-Marne contre 40 places pour 100 enfants à Paris.
Dans la communauté de communes où je me trouve
(Communauté d'agglomération Coulommiers Pays de Brie), nous avons
initié, pour les jeunes enfants, un accueil collectif itinérant
qui se déplace dans tous les petits villages. Cet accueil permet aux
mamans de se déplacer pour aller chercher un emploi ou de faire ce
qu'elles ne peuvent pas faire lorsque leurs enfants ne sont pas gardés.
Nous prenons en charge ces enfants, âgés de trois mois à
quatre ans, par demi-journées. Nous avons
organisé cet accueil il y a un certain temps déjà. Le
succès de ce mode de garde est tel que nous le développons dans
d'autres territoires ; nous avons régulièrement des demandes
de précisions sur le fonctionnement de cet accueil. L'organisation de
cette garde itinérante est une grande fierté pour notre
territoire.
Après l'accueil des jeunes enfants, le deuxième grand problème des femmes dans la ruralité - qui n'est toutefois pas propre aux femmes - est celui de la mobilité.
Les femmes se déplacent moins souvent en voiture que les hommes. En Ile-de-France, 61 % des femmes se déplacent en transports collectifs ou à pied contre 50% des hommes, tandis que 37% des femmes et 45 % des hommes utilisent la voiture. Là encore, nous observons un écart significatif entre le nombre de déplacements des femmes par rapport à celui des hommes. La voiture est le mode de transport le plus utilisé dans les zones rurales : 55 % des déplacements se font en voiture, contre 10 % à Paris.
Les femmes ont également un moindre accès au permis de conduire. 76 % des femmes françaises sont détentrices du permis B contre 90 % des hommes français. En conséquence, les femmes peuvent moins facilement se déplacer que les hommes : très souvent, il n'y a qu'un véhicule par foyer et l'offre de transports collectifs est insuffisante. L'autonomie des femmes est donc entravée par ces difficultés.
Je suppose que la situation est la même dans d'autres départements que la Seine-et-Marne que je connais bien. Celui-ci a mis en place des transports privés à but social ainsi que des transports à la demande. Nous voyons bien que ce n'est pas suffisant, même si des efforts sont régulièrement déployés à l'attention des femmes.
Un autre problème rencontré par les femmes concerne la pratique d'une activité sportive. En 2013, le public féminin avait été ciblé par le plan de féminisation des fédérations élaboré par le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports. Pourtant, les femmes des zones rurales n'ont été concernées que par 5,88 % des mesures issues de ce plan de féminisation.
Le manque de temps est la principale raison invoquée pour expliquer cet éloignement de la pratique sportive : 69 % des femmes interrogées dans le cadre du rapport de Manon Laporte sur les femmes dans les sports en Ile-de-France ont en effet répondu qu'elles avaient renoncé à pratiquer une activité sportive par manque de temps.
Le coût de la pratique du sport est la deuxième raison avancée par les femmes, à hauteur de 34 %, pour justifier l'absence de pratique sportive régulière.
À la région Île-de-France, nous avons fait très attention à promouvoir la pratique féminine dans les associations.
Dans les territoires ruraux d'Île-de-France, nous constatons un écart de pratique sportive significatif entre les femmes et les hommes. Dans le sud de la Seine-et-Marne, la mobilité constitue la principale raison pour laquelle les femmes ne pratiquent pas de sport. Face à l'insuffisance des installations sportives, la mobilité constitue un frein pour les femmes, dès lors qu'elles ne bénéficient pas d'un moyen de transport autonome pour se déplacer.
S'agissant du volet « lutte contre les violences faites aux femmes » du rapport, je rappelle que le Centre Hubertine Auclert, que je préside, héberge l'Observatoire régional des violences faites aux femmes qui, adossé à la région Île-de-France, exerce une influence certaine à l'échelle nationale, voire européenne et internationale. Nous sommes le seul exemple d'un tel organisme sur le territoire. Nous sommes donc très impliqués dans la préconisation de mesures de lutte contre les violences faites aux femmes.
Dans le milieu rural, il existe un grand vide concernant la lutte contre les violences. Les femmes en milieu rural ne connaissaient pas toujours le numéro d'appel d'urgence 3919. Cette découverte a été sidérante pour nous.
En milieu rural, le premier point de chute des femmes victimes de violences est le médecin. Il est inutile de vous dire que quand ces violences arrivent à des moments où le cabinet est fermé, ces femmes n'ont que très peu de moyens de joindre quelqu'un qui pourrait les aider.
Seules 18 % des franciliennes rurales ont rencontré plus d'un service d'aide en matière de violences, contre 31 % des femmes en milieu urbain francilien. La différence est très importante. Nous sommes dans des territoires où ce sujet est encore tabou. Nous avons encore de grands progrès à faire en matière de communication et d'écoute. En effet, ces sujets ne sont pas abordés facilement dans nos départements ruraux.
Les femmes en milieu rural ne connaissent pas non plus les numéros des associations spécialisées contre les violences qui sont sur leur territoire. En outre, ces femmes sont très réticentes à entreprendre des démarches. C'est ce qui me fait dire qu'il s'agit d'un sujet encore tabou. Ces femmes ont le sentiment qu'elles ne seront pas crues par les professionnels qui connaissent l'auteur, celui-ci pouvant être impliqué dans la vie locale. Ces éléments sont liés.
Ce problème demande beaucoup d'humilité tant il
est compliqué. Comment établir des lieux d'écoute pour ces
femmes en milieu rural ? Ce sujet est extrêmement délicat car
c'est souvent l'anonymat qui est recherché par les victimes.
Or, dans des villages ou des petites villes, tout le monde se
connaît ! Cette absence d'anonymat explique pourquoi les femmes ne
portent pas plainte et pourquoi elles n'entreprennent aucune démarche.
L'angoisse d'être reconnue et d'être considérée comme
une victime est très culpabilisante, et constitue un
véritable obstacle en milieu rural. Dans les zones urbaines, l'anonymat
est mieux assuré pour les victimes de violences conjugales.
La lutte contre les violences constitue donc un sujet majeur sur lequel nous devons nous pencher. Si nous ne faisons pas attention et si nous ne prenons pas des mesures importantes pour permettre à ces femmes de sortir de ces violences, il en résultera un écart accru entre les milieux ruraux et les zones urbaines. En termes d'inégalités entre ces territoires, la lutte contre les violences faites aux femmes est un enjeu majeur !
Les violences conjugales entraînent aussi des violences intrafamiliales. Nous estimons qu'il y a plus d'enfants qui souffrent de ces violences en milieu rural que dans les zones urbaines. Il existe évidemment des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) dans certains territoires. Les places disponibles sont toutefois peu nombreuses, au regard de ce qui existe dans les zones urbaines.
Concernant l'accès au droit et à l'information juridique, il n'existe que 9,7 % de points d'accès au droit dans les zones rurales. Nous voyons bien qu'il s'agit d'un problème majeur, bien qu'il soit souvent occulté, y compris par des élus des territoires ruraux. C'est extrêmement compliqué si vous ne disposez pas, dans votre collectivité, d'un ou d'une référente connaissant bien ces problématiques et soumis à la confidentialité.
S'agissant des déserts médicaux, vous avez sans doute déjà connaissance des mêmes chiffres que moi. Vous connaissez les difficultés que rencontrent dans ce domaine les territoires ruraux. On trouve 1,1 % des gynécologues en zone rurale contre 14,2 % en zone dense. 30 % des franciliennes restent à l'écart du dépistage du cancer du sein. La couverture contraceptive se ressent de ces difficultés. Les inégalités dans le domaine de la santé s'accroissent.
J'ai été élue à la région Île-de-France en 2010. Nous étions huit dans la délégation de Seine-et-Marne ; lorsque notre délégation est arrivée à la région Île-de-France en 2010, le regard de l'ensemble de l'assemblée régionale m'a donné l'impression que nous étions les paysans qui « débarquaient ». Ce sentiment, partagé par toute la délégation, correspondait à la réalité. Quand on est à Paris, la Seine-et-Marne semble « de l'autre côté » de la France. J'imagine ce qu'il en est pour les personnes qui habitent vers Souppes-sur-Loing lorsqu'elles arrivent à la région Île-de-France. La perception des territoires urbains et ruraux est très différente : tout au long de ces années au conseil régional, je l'ai constaté très concrètement. Nous avons encore du travail à faire !
En milieu rural, les femmes sont très engagées dans les associations, les clubs sportifs, etc. Mais l'engagement en politique reste un pas plus difficile à franchir pour les femmes. De ce point de vue, les mesures prises au cours des dernières années en faveur de la parité, avec des paliers successifs, ont été extrêmement bénéfiques.
Quand la parité a été rendue obligatoire dans les conseils municipaux pour la première fois, j'étais déjà très engagée pour l'égalité, et particulièrement pour la parité en politique, car j'avais mesuré combien la trop faible présence de femmes élues était un désastre, surtout dans mon territoire. J'étais présidente d'une association, « Parité 50/50 », qui faisait la promotion des femmes en politique sur tout le territoire français.
Quatre ou cinq ans après notre première élection paritaire au conseil municipal, j'ai organisé une grande réunion des différentes communautés de femmes dans une ville où ces communautés étaient très nombreuses : le maire de cette ville a dit publiquement devant 700 personnes qu'il n'avait pas imaginé l'intérêt d'avoir autant de femmes dans un conseil municipal...
Des progrès ont donc été réalisés. Néanmoins, en zone rurale, il faut aller chercher les femmes, surtout dans les petites communes en dessous de 3 500 habitants. Cela me hérisse lorsqu'une femme se demande si elle va être compétente. Les hommes se posent-ils la question de leurs compétences quand ils partent à la conquête d'une mairie ou d'un mandat ? Depuis quarante ans, je demande aux femmes d'arrêter de se poser cette question, car elles sont aussi compétentes que les hommes. Ce questionnement est de moins en moins vrai dans les zones urbaines mais, en milieu rural, j'ai encore entendu cette interrogation récemment, de la part de jeunes femmes, lorsque nous préparions les élections dans la petite commune où je suis élue. Je me bats pour les femmes depuis quarante ans ! Quand j'entends ces questionnements, je mesure le chemin qui reste encore à parcourir...
En même temps que ce rapport, nous avons mené une enquête inédite, qui a été effectuée par l'institut de sondage BVA auprès des femmes et des hommes élus dans les territoires ruraux franciliens. Une femme sur dix évoque les remarques sexistes qu'elle entend ou subit comme une difficulté de son mandat. C'est beaucoup, une femme sur dix ! 16 % des adjointes qui ne souhaitent pas se représenter expliquent ce choix par le sentiment de ne pas être utiles, contre 1 % des adjoints. Les femmes sont également plus nombreuses à affirmer que les relations conflictuelles avec les autres élus sont aussi une raison de ne pas se représenter.
Les éléments que je viens de vous exposer constituent les grandes lignes du rapport du centre Hubertine Auclert sur les femmes et la ruralité dans les territoires franciliens. J'espère qu'il vous permettra de nourrir le vôtre, sachant que le Sénat est très attaché à l'égalité des territoires et veille à ce que les inégalités ne grandissent pas avec le temps.
Je reste à votre disposition, avec Ambre Elhadad, pour répondre aux questions que vous auriez à nous poser.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup, Madame la présidente, de cet exposé qui a balayé un certain nombre de sujets. Nous avons vu que la mobilité, l'accueil des enfants et la santé restent des problématiques et des freins importants pour les femmes en zone rurale. Vous avez annoncé des chiffres assez inquiétants, mais que nous imaginions bien.
Je vais passer la parole à ceux qui, parmi les huit co-rapporteurs, ont des questions à poser.
M. Bruno Belin, rapporteur. - Merci, Madame la présidente, d'avoir accepté ce chantier important pour l'année à venir. Je suis très heureux de faire partie des rapporteurs pour conduire ce travail à vos côtés.
Je dois vous dire que je me suis régalé en écoutant Mme Badré !
Depuis mon élection au Sénat, je suis resté élu d'un petit village de la Vienne de 900 habitants, dont j'ai été maire. Au mois de mars dernier, j'ai participé à mes septièmes élections municipales : cette ancienneté m'a permis de constater des évolutions. Je suis également pharmacien d'officine dans ce village, et toujours en activité.
Je voudrais intervenir sur quelques points. Nous avons visiblement le même vécu puisque, dans ma vie d'élu, j'ai souvent entendu des collègues femmes se demander si elles seraient à la hauteur avant de briguer une élection. Alors que la loi ne l'impose pas là où je suis élu municipal, j'ai réussi à constituer des conseils municipaux paritaires en faisant intervenir d'autres collègues déjà élues pour convaincre les femmes de se présenter et établir une sorte de « marrainage » d'élue à élue.
Néanmoins, la règle électorale diffère en France entre les conseils municipaux de plus de mille habitants et ceux de moins de mille habitants. J'y vois une sorte de discrimination, même si, je conçois, le mot est un petit peu fort. Je ne sais pas si notre travail pourra déboucher sur une proposition de loi qui permettra de faire évoluer les choses sur ce point. Je l'espère pour ma part. J'ai pu constater que le panachage est terrible en milieu rural. Dans mon village, certains se régalent de l'usage de la « règle du stylo » dans l'isoloir ! Effectivement, le panachage peut être plus dur pour les femmes, et particulièrement pour les jeunes femmes. Je ne dispose pas d'études ni de chiffres précis sur ce sujet, mais j'estime que le droit devrait être le même dans toute la France et s'appliquer de la même façon dans toutes les communes lors des élections municipales. Je ne vois pas pourquoi il existe encore deux systèmes différents concernant l'obligation de parité lors de ces élections. Le système de la liste bloquée paritaire devrait s'imposer quelle que soit la taille de la commune. De même, les règles ne sont pas les mêmes concernant la parité des exécutifs dans les communautés de communes.
L'heure tardive des réunions est souvent pointée par les femmes comme un obstacle à leur implication dans la vie politique locale. En milieu rural, il est difficile de réunir les conseils municipaux dans la journée, car beaucoup de conseillers exercent une activité professionnelle. Le soir est donc plus propice à l'organisation des réunions.
J'aimerais évoquer deux autres sujets que vous avez abordés. Tout d'abord, la question du logement et de l'accueil des victimes de violences. En tant que maire, j'ai dû faire évacuer plusieurs fois de leur logement des femmes victimes de violences. Cela m'a toujours choqué. Parfois, les enfants étaient aussi concernés. D'autres fois, nous devions évacuer ces femmes en laissant les enfants avec celui qui était vraisemblablement ou incontestablement à l'origine de la violence. Ces questions sont particulièrement difficiles en milieu rural. En milieu urbain, il m'arrivait de pouvoir réquisitionner des hôtels. En effet, j'ai aussi eu des responsabilités départementales, notamment en matière d'affaires sociales. Ces réquisitions sont plus faciles en milieu urbain qu'en milieu rural. Pour avoir essayé de l'expérimenter aussi avec un bailleur social départemental - n'oublions pas que les départements ont des compétences en matière de solidarité -, nous avons essayé d'imposer un pourcentage de logements affectés à l'accueil de femmes victimes de violences. Évidemment, il faudrait qu'il soit aussi possible, dans le cadre de négociations avec les bailleurs sociaux, de prévoir de tels logements dans certains bassins de vie ruraux. Il faut notamment que les structures scolaires soient à proximité si elles ont des enfants en âge d'être scolarisés. On ne peut pas, en milieu rural, isoler des femmes déjà victimes et les rendre ainsi deux fois victimes à cause de cet isolement. C'est pour cela qu'il faut réfléchir à la manière d'organiser l'accueil de ces femmes, avec des logements spécifiques, pour les protéger, en centre-bourg, là où se trouvent évidemment des écoles et des lieux de santé.
En tant qu'élu départemental et président du département de la Vienne, j'ai fait recruter des gynécologues qui exercent dans les Protections maternelles et infantiles (PMI). Il s'agissait d'une expérimentation. L'accès aux spécialistes est extrêmement difficile, nous en avons tous conscience. C'est encore plus vrai en milieu rural, en raison principalement de difficultés de mobilité. J'ai en tête des expériences que nous avons pu mener dans le Civraisien, qui est un territoire du sud du département où je suis élu. Grâce aux PMI, aux sages-femmes qui y effectuent des consultations et aux gynécologues recrutés dans les équipes des médecins départementaux, on a eu une écoute et une disponibilité appréciables. Évidemment, cette disponibilité ne concernait pas toutes les plages horaires de la semaine. Néanmoins, c'est une piste que l'on peut creuser en partenariat avec l'Assemblée des départements de France (ADF) et les départements, parce que les structures les plus proches du milieu rural restent les départements. Nous retrouvons souvent la fracture que vous évoquez pour la Seine-et-Marne. Beaucoup de départements ont aussi instauré des dispositifs expérimentaux permettant de répondre aux défis du monde rural. Je pense, par exemple, à DocVie qui s'est généralisé du côté de Bordeaux mais qui est né d'une volonté départementale. DocVie a proposé, avec mobilité, le dépistage gratuit du cancer du sein à partir de cinquante ans puis du cancer colorectal.
Grâce au Conseil de l'Ordre des pharmaciens, les officines ont été très mobilisées pendant le confinement, avec un code communiqué aux femmes victimes de violences pour qu'elles puissent se signaler et demander discrètement une protection au comptoir des officines. Vous savez que les pharmacies sont évidemment tenues au secret professionnel. L'utilisation de ce code déclenchait obligatoirement un signalement et une protection. Grâce au Conseil de l'Ordre, le réseau des 22 000 pharmacies en France, dont beaucoup se trouvent en milieu rural, est un bon outil de relais dans la lutte contre les violences.
Madame Badré, je tiens à vous remercier une nouvelle fois pour le témoignage que vous nous avez apporté ce matin.
M.
Jean-Michel Arnaud,
rapporteur. - Madame Badré, je vous remercie pour
votre intervention. Votre témoignage est très impressionnant. En
effet, vu de territoires encore plus ruraux que certains départements de
l'Île-de-France, il est difficile d'imaginer que votre arrivée en
région Île-de-France ait pu être aussi marquante que celle
d'élus des territoires ruraux de la France profonde
lorsqu'ils se rendent, pour la première fois, au Sénat... Je vois
que le chemin qui a été le vôtre est également un
peu le nôtre ! Nous sommes évidemment engagés dans ce
combat pour l'égalité entre les territoires, car il est important
que le principe d'égalité hommes-femmes puisse être
universel. S'il y a encore des progrès à accomplir dans ce
domaine en zone urbaine, c'est également le cas en milieu rural.
La question de la représentation dans les conseils municipaux a été évoquée à plusieurs reprises : je n'y reviendrai pas.
La représentation au niveau intercommunal est également un sujet important. Un nombre croissant d'actions et de politiques publiques structurantes se mène dans les intercommunalités. La parité et l'égalité dans les exécutifs intercommunaux posent également question, en raison de la persistance du verrou de la représentation des femmes dans les communes de moins de mille habitants situées dans les territoires ruraux. Les modalités permettant de faire sauter ce verrou restent encore à imaginer. Si les conseils municipaux ne sont pas paritaires dans ces communes de moins de mille habitants, cela a des conséquences sur la parité dans les exécutifs intercommunaux, en raison de ce déséquilibre fondateur de la représentation du bloc communal.
Autre sujet : la place des femmes dans les entreprises, de manière générale et dans les zones rurales en particulier, mérite notre attention. L'entreprise dans les zones rurales concerne essentiellement l'agriculture, l'économie de services, le commerce et l'artisanat. Vous avez dit vous-même que si nous rencontrons des difficultés en termes d'égalité hommes-femmes, cela tient essentiellement à des inégalités salariales, de revenus, d'accès à l'emploi, de mobilité, d'éducation et d'accompagnement des politiques de la jeune enfance qui ne favorisent pas l'accès à l'autonomie par le travail. Dans le cadre du rapport de la délégation, un focus particulier est à faire sur l'entreprise et sur l'engagement professionnel. C'est un élément à explorer pour mieux connaître les blocages à l'emploi en zone rurale.
Je souhaiterais également dire un mot sur la manière dont les femmes accèdent aux responsabilités dans les territoires ruraux. Il a été dit, de manière très juste, que les femmes étaient très présentes dans les milieux associatifs. Un focus sera également à faire sur cette question. Participer est une chose, diriger et impulser les orientations associatives - quelles que soient les thématiques - en est une autre. Mon ressenti est que la présence des femmes dans les bureaux et dans les présidences d'associations dans les zones rurales est inférieure à celle des hommes. Il faudrait connaître précisément les mécanismes de ce déséquilibre.
Enfin, pendant des années, l'accès à l'éducation et au partage des responsabilités dans les zones urbaines s'est souvent fait par le biais d'organismes tels que les Jeunesses agricoles catholiques (JAC) et les Jeunesses Ouvrière Chrétienne (JOC). Le syndicalisme, notamment agricole, demeure un élément de promotion de la place des femmes dans les zones rurales. Dans mon département, les syndicats, quelle que soit leur orientation, sont largement investis par les femmes. Voir des jeunes femmes leur consacrer du temps donne une image positive et montre leur engagement pour les causes qu'elles défendent. J'ai constaté, notamment lors du dernier renouvellement municipal, que cette école du syndicalisme a généré un engagement dans les conseils municipaux les plus ruraux. J'ai vu apparaître une nouvelle génération de jeunes maires, issues de mouvements syndicaux agricoles, prenant des responsabilités dans les communes rurales. La question est toujours celle de l'éducation partagée à la responsabilité. Le milieu associatif, le milieu syndical et les milieux de la représentation professionnelle des artisans peuvent être des creusets de progression de l'égalité hommes-femmes dans les zones rurales.
Madame Badré, je crois important que nous prolongions par la suite les échanges que nous avons initiés ce matin. Nous inspirer de votre méthode peut être précieux pour nous, afin de créer une corrélation entre ce que vous avez réalisé sur la région Île-de-France et la situation des autres régions. La contribution de la délégation aux droits des femmes du Sénat permettra, je l'espère, de faire progresser cette cause à la fois légitime, nécessaire et moderne. Il s'agit d'un travail à toujours renouveler dans le territoire national et notamment dans les zones rurales.
Mme Marie-Pierre Badré. - Merci. MM. Belin et Arnaud ont évoqué la parité dans les intercommunalités. Je précise que la commission « Parité » du Haut conseil à l'égalité (HCE), dont je suis membre au titre des régions de France, est en train d'établir un rapport pour déterminer des leviers d'amélioration de la parité dans les intercommunalités.
Par ailleurs, concernant les communes de moins de mille habitants, les précédentes interventions semblent montrer que l'on peut envisager une évolution de la loi. Dans cette perspective, nous nous dirigerions vers une uniformité des dispositions législatives sur la parité dans les conseils municipaux.
Ces deux points sont excessivement importants. Vous savez comme moi que le pourcentage de femmes maires en France est de 20 % depuis les dernières élections communes. Par conséquent, dans la mesure où les maires sont majoritairement des hommes, la structure de l'exécutif des intercommunalités - y compris au niveau des délégués - est mécaniquement composée d'une majorité d'hommes. Il s'agit d'un sujet majeur sur lequel le HCE est en train de travailler. Vous aurez probablement bientôt connaissance de ses préconisations dans ce domaine.
Mme Marie-Pierre Monier, rapporteure. - Vous entendre a été un vrai plaisir pour moi car je suis une rurale, même si on me dit souvent qu'il ne faut pas opposer le rural à l'urbain. Dans un premier temps, vous avez bien démontré la spécificité et les difficultés des territoires ruraux. Vous avez insisté sur la mobilité qui entraîne des difficultés pour se former, faire garder ses enfants et se soigner. En effet, les distances plus grandes nécessitent davantage de temps et d'argent. Tout cela a des conséquences.
Vous venez à l'instant de parler de l'engagement des femmes en politique, notamment dans les intercommunalités. Je vous remercie d'avoir souligné le fait que les lois sur la parité ont permis que les femmes soient présentes dans les communes de plus de mille habitants. Il a fallu des contraintes légales pour y parvenir. Vous avez souligné la situation des intercommunalités. Avec la délégation, nous y avions réfléchi juste avant les dernières élections municipales. La seule assemblée véritablement paritaire est le conseil départemental, grâce au système des binômes. Faut-il étendre ce système aux autres collectivités ? Le faible pourcentage de femmes maires est à l'origine de problèmes de représentation au niveau des intercommunalités.
Je voudrais rebondir sur un sujet qui nous occupe souvent : les violences faites aux femmes et la manière d'en sortir. Toutes ces questions se rejoignent. Pourquoi les femmes ne sont-elles pas à la tête des syndicats, des associations, des mairies, des intercommunalités ? La réponse est liée à la représentation de la femme, à la place que nous lui donnons. Il faut parvenir à sortir de ces stéréotypes dans lesquels on nous enferme. Je pense qu'il est important de réussir à travailler sur ce sujet en profondeur. Sortir de la violence, c'est également constater qu'il existe une corrélation entre les violences et une représentation des femmes qui maintient les inégalités.
Concernant les violences, je formulerai déjà une petite préconisation pour notre rapport. Je vous ai entendu dire que le numéro d'appel d'urgence 3919 et les associations sont peu connus par les femmes de vos départements. Il est important de mettre en place, dans chaque département, un recensement de ces structures afin de réfléchir à la façon dont nous pourrions faire connaître à toute la population les acteurs associatifs et institutionnels engagés dans la lutte contre les violences. C'est ce que nous faisons dans la Drôme au niveau des élus, avec un collectif dont je fais partie, sur un bassin composé de 70 des 364 communes que compte le département. Nous devrions peut-être voir si nous pouvons généraliser cette idée.
J'aimerais savoir si vous avez une idée des leviers à activer dès le plus jeune âge pour combattre les stéréotypes. En effet, il nous faut vraiment agir en amont, notamment dans le circuit scolaire, afin de renforcer cette mixité. Dans vos propos, vous avez beaucoup expliqué que votre situation est très particulière, en tant que territoire rural de l'Île-de-France. Vous disposez donc, derrière vous, d'une puissance urbaine que nous ne trouvons nulle part ailleurs en France. De ce fait, je me demandais si la plupart des préconisations que vous avez formulées dans votre rapport, spécifique aux territoires ruraux franciliens, pourraient être appliquées à d'autres territoires ruraux de France. Selon vous, quelles sont les inégalités femmes-hommes qui sont plus prégnantes dans les territoires ruraux que dans le reste des territoires ? Vous avez cité quelques beaux exemples parmi les actions que vous avez menées au sein de votre intercommunalité. Comment pourrions-nous mobiliser davantage les collectivités territoriales en faveur de l'égalité ? Quel échelon d'intervention serait le plus approprié au niveau des collectivités territoriales afin de mettre en oeuvre des mesures en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes ?
Tout à l'heure, l'un de mes collègues co-rapporteurs a expliqué qu'il est plus difficile d'organiser les réunions des exécutifs locaux durant la journée dans sa commune. Soit, tout le monde travaille pendant la journée même s'il est possible que, dans certains territoires, les femmes travaillent moins la journée et sont davantage avec leurs enfants le soir. Cela me gêne que nous ne tenions pas suffisamment compte des conditions de vie des femmes. Si nous voulons qu'elles participent à la vie politique, il faudrait adapter l'organisation de la vie politique locale en fonction de leurs priorités. Or c'est l'inverse qui se produit !
Enfin, en termes d'accès aux soins, vous avez évoqué le manque de professionnels spécialistes de la santé sexuelle et reproductive dans les territoires. Dans votre rapport, il me semble que vous avez parlé plus spécifiquement des sages-femmes. L'accès à l'IVG est compliqué. Avez-vous une idée sur la façon dont nous pourrions renforcer cette présence médicale en ruralité ?
Mme Marie-Pierre Badré. - Madame Monier, je vous remercie d'avoir souligné la première des inégalités : les stéréotypes de genre. Vous avez bien vu qu'il y a une certaine culture, particulièrement en politique. J'évoque souvent la culture « jambon-salade », qui existait il y a quarante ans lorsque des femmes se rendaient à des réunions le soir : « au dîner, vous mangerez du jambon et de la salade ». Cette culture-là n'est pas particulièrement développée en milieu rural, où la situation diffère par rapport aux villes. Je donne toujours cet exemple car il s'agit d'un marqueur de différenciation entre zones urbaines et zones rurales.
Les freins majeurs à l'égalité en milieu rural sont les obstacles à une plus grande autonomie des femmes. La première des solutions est la mobilité. Bien qu'elle ne constitue pas l'unique problème, la mobilité est un frein majeur à l'autonomie des femmes. Cette autonomie passe également par la possibilité de faire garder ses enfants. Quel est l'échelon le plus approprié pour cela ? C'est l'intercommunalité. J'ai donné l'exemple d'une crèche ambulante : cette initiative dépend bien entendu de l'intercommunalité.
Prenons l'exemple de mon intercommunalité de 95 000 habitants, où je suis élue depuis trente ans. Nous avons 24 % de femmes dans l'exécutif de l'intercommunalité. Vous pouvez regarder quel est le pourcentage de femmes dans les commissions. À chaque fois que je vois une photo d'élus exclusivement masculins sur les réseaux sociaux, je demande toujours où sont les femmes ! Chacune d'entre nous doit contribuer à faire en sorte que les commissions des intercommunalités soient paritaires.
Lorsque la loi sur la parité au sein des exécutifs des communes de plus de 3 500 habitants a été votée, nous avions pensé que la dynamique de cette loi allait entraîner la formation de conseils municipaux paritaires dans les communes de moins de 3 500 habitants. Et pourtant, cela n'a pas été le cas. C'est pourquoi la contrainte législative demeure nécessaire. Il n y a pas de dynamique paritaire spontanée en France et ailleurs. Sans la loi, la dynamique paritaire ne peut s'engager.
Merci pour cette intervention, Marie-Pierre Monier, qui montre tous les freins qui empêchent que les femmes soient entendues en zone rurale. Les femmes ne sont pas entendues car elles sont minoritaires dans les instances politiques. Rappelez-vous que pour qu'un argument soit entendu et pris en compte dans une assemblée, quelle qu'elle soit, il faut que la minorité qui s'exprime soit représentée à plus de 30 %. Vous imaginez donc bien la difficulté d'évoquer des problèmes qui concernent les femmes dans des espaces politiques où elles sont absentes. La première des mesures sur lesquelles nous nous penchons en ce moment au Haut conseil à l'égalité concerne la parité dans les intercommunalités, car ces instances sont au plus près du territoire, après les maires. La situation est différente pour la région, qui est une grande structure. Nous sommes paritaires et nous pouvons faire valoir les difficultés que nous rencontrons. Ce n'est pas le cas dans les zones rurales. Madame la sénatrice, vous avez pointé un problème majeur, celui de la persistance de stéréotypes de genre. Ces stéréotypes existent aussi en zone urbaine mais ils sont plus implantés en zone rurale : c'est le coeur du sujet.
M. Bruno Belin, rapporteur. - Concernant la représentation dans les collectivités, il faut passer par la loi : je rejoins totalement Mme Badré sur ce point. Néanmoins, il faudrait peut-être partager les témoignages d'élus qui ont réussi à mettre en place des exécutifs paritaires depuis trente ans. C'est mon cas. J'ai également présidé une communauté de communes dans laquelle on dénombrait autant de vice-présidentes que de vice-présidents. Aujourd'hui, dans le département de la Vienne, une femme préside le Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) et une femme préside la protection de l'enfance. Il y a plus de vice-présidentes dans l'exécutif départemental que de vice-présidents. De même, le cabinet du président du département était paritaire. Il existe aussi, parfois, des situations que nous pouvons faire connaître pour montrer l'exemple et donner envie. La Vienne a un chef-lieu d'arrondissement avec une femme maire. Le Grand Poitiers est présidé par une femme, tout comme l'aéroport de Poitiers.
Mme Annick Billon, présidente. - Des échanges pourront bien sûr avoir lieu entre les rapporteurs et Mme Badré par la suite.
Mme Victoire Jasmin. - J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les propos échangés et j'ai été très heureuse d'entendre ce qui a été dit sur les intercommunalités. Il est appréciable de voir que des hommes comme notre collègue Bruno Belin contribuent à ce que la situation change. J'ai également beaucoup apprécié votre intervention, Madame Badré.
Nous pouvons tenter de faire évoluer la situation en
nous adressant aux plus jeunes. Par exemple, il existe des
référents égalité au sein de l'Éducation
nationale. Des inspectrices et des inspecteurs travaillent sur
l'égalité entre les garçons et les filles. Nous devons
aussi inciter les filles à prendre la parole. Certaines femmes
appréhendent de s'exprimer en public et de s'impliquer alors qu'elles
pourraient utiliser leur potentiel pour agir. En effet, les femmes sont si
habituées à ne pas occuper de place que certaines craignent
encore cette prise de parole. Nous devons agir à tous les niveaux,
même dans les conseils de classe, pour que les habitudes changent. La
situation dans les intercommunalités doit évoluer vers la
parité. C'est déjà un peu le cas dans les communes mais
les femmes ne sont pas forcément mises en avant pour occuper les postes
à fort pouvoir de décisions. Elles doivent
parfois s'imposer, ce qui est regrettable. Je crois que les femmes ont beaucoup
à apporter, tant dans la transmission que dans l'organisation.
Mme Marie-Pierre Richer. - J'ai été présidente de communauté de communes pendant dix ans. Je voulais partager mon expérience avec vous car, au départ, ma situation n'était pas acquise. J'étais vice-présidente en charge des affaires scolaires : une compétence souvent dévolue aux femmes, comme les affaires sociales. Lorsque j'ai proposé ma candidature à la présidence de la communauté de communes, nous n'étions que deux femmes sur trente-cinq élus. La situation n'a pas été simple et j'ai dû faire mes preuves. L'élection a donné lieu à quelques abstentions. Je crois aussi que nous, les femmes, cherchons à prouver que nous méritons la fonction que nous occupons. Ma petite victoire a été qu'en 2014, j'ai été renouvelée au poste de présidente, sans aucune discussion. J'ai aujourd'hui quitté la communauté de communes puisque je suis sénatrice. Malheureusement, à ce jour le président et les vice-présidents de cette communauté de communes sont tous des hommes... Je voulais simplement dire que la féminisation des exécutifs locaux, et notamment intercommunaux, demeure très fragile.
J'ai également été présidente du SDIS du Cher. J'ai subi toutes sortes de préjudices liés aux stéréotypes. J'avais la chance d'avoir, à mes côtés, une directrice adjointe qui était l'une des premières en France. Elle est aujourd'hui présidente d'un SDIS. Ma remarque vise à rappeler que la place des femmes est loin d'être acquise. Il s'en faut de peu que les postes retombent dans l'escarcelle des hommes.
Mme Annick Billon, présidente. - Notre collègue Marie-Claude Varaillas, qui rencontre des problèmes de connexion à distance, pourra adresser par écrit les questions qu'elle souhaite poser à Mme Badré.
Mme Marie-Pierre Badré. - Merci d'avoir organisé cette réunion si importante pour nous. Je remarque que les problématiques sont les mêmes dans toute la France. Je félicite les hommes qui promeuvent les femmes aux plus hautes responsabilités : ils sont suffisamment rares pour que nous les remarquions. Le problème de fond est celui que vient de mettre en avant Marie-Pierre Richer, présidente pendant dix ans d'une intercommunalité. Elle vient de dire qu'après son départ, l'exécutif de cette intercommunalité ne compte à nouveau que des hommes. Nous voyons bien la fragilité de ce que nous avons acquis.
Prenons l'exemple de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) - ce sujet me tient particulièrement à coeur en ce moment - il y a actuellement des menaces terribles contre l'IVG. Ce droit, acquis il y a 46 ans, fait l'objet de remises en cause. Il existe de moins en moins d'endroits en France où les IVG sont pratiquées. C'est encore pire en milieu rural ! Cela explique pourquoi, durant le premier confinement, le Gouvernement a pris une mesure - loin de faire l'unanimité - afin de repousser de 12 à 14 semaines le délai de recours à l'interruption de grossesse. En effet, les disponibilités pour faire pratiquer les IVG dans les délais légaux étaient insuffisantes. Le Gouvernement a refusé de le faire à nouveau durant le deuxième confinement. C'était légitime de mon point de vue car les femmes pouvaient plus facilement accéder aux hôpitaux ou aux cliniques qui pratiquent cette intervention. Nous voyons bien combien ces avancées sont fragiles. À la région Île-de-France, nous avons pris position suite à la décision du Tribunal constitutionnel polonais de restreindre drastiquement l'accès des femmes à l'IVG. À la suite de cette décision, les femmes sont descendues dans la rue et le gouvernement polonais n'a pas tiré les conclusions législatives de la décision du tribunal constitutionnel.
Tous les droits que nous avons obtenus, même ceux qui ont été acquis il y a si longtemps, sont fragiles. Rappelez-vous les propos de Simone de Beauvoir qui affirmait qu'à la première crise, religieuse ou sociale, les droits des femmes seraient remis en cause immédiatement. Il faut retenir cette réalité. L'égalité femmes-hommes est encore un combat. Elle reste un combat. Pour ma part, je mène ce combat tous les jours.
Je remercie le Sénat de se pencher sur les femmes dans la ruralité, notion qui concerne des territoires très étendus et de nombreuses personnes. Nous avons tendance à oublier ces territoires, alors qu'ils font partie intégrante de la vie de notre pays. Il faut, chaque jour, faire en sorte que les femmes qui vivent dans ces territoires soient un peu plus présentes. L'harmonisation entre la vie professionnelle et la vie familiale est l'un des éléments qui favorisent l'accès des femmes aux responsabilités. M. Belin a cité les réunions tardives comme obstacle à l'engagement politique des femmes. Il est plus facile, au Centre Hubertine Auclert, d'organiser des réunions le soir à partir de 18 heures. Nous offrons l'équivalent du coût de la garde des enfants aux femmes qui sont membres du conseil d'administration pour qu'elles assistent aux réunions. C'est peut-être plus facile car nous sommes en zone urbaine. Néanmoins, je pense que, même en milieu rural, on devrait pouvoir offrir cette possibilité. Cela représente pour nous un budget peu significatif. Certaines mères (ou pères) ne peuvent pas participer au conseil d'administration en raison du système de la garde alternée. Pour éviter de les empêcher de participer aux conseils d'administration du centre, nous avons la possibilité d'offrir trois heures de garde d'enfant aux parents qui, faute d'une telle aide, ne pourraient pas se déplacer. C'est une piste à suivre.
Il est clair que nous devons tout faire pour que les représentants des deux sexes soient partie prenante de la vie de notre pays. Je rappelle que les femmes représentent 52 % de la population dans le monde. Nous sommes majoritaires en matière de population. Nous sommes loin d'être à ce niveau dans les processus de prise de décisions.
Le Centre Hubertine Auclert reste bien entendu à votre entière disposition si vous avez besoin d'éléments plus techniques pour votre rapport.
Mme Annick Billon, présidente. - je vous remercie. Nous avons été très attentifs aux réponses que vous avez pu apporter aux co-rapporteurs qui ont pu s'exprimer. Je ne doute pas que nous allons poursuivre ces échanges. Vous avez évidemment identifié et pointé les freins majeurs rencontrés par les femmes en zone rurale. Vous avez aussi souligné que les droits des femmes ne sont jamais acquis. L'accès à l'IVG est évidemment un sujet sérieux. Étant élue dans le département rural de la Vendée, je sais que l'accès à l'IVG diffère selon les territoires, ce qui est inadmissible. L'IVG est un droit et doit être accessible partout, à l'image d'une gendarmerie pour des questions de violences ou d'un gynécologue pour la prévention du cancer.
Concernant la représentation des femmes dans nos collectivités et la parité dans les communes de moins de mille habitants, nous y avons travaillé avant les dernières élections municipales mais cette réflexion n'a pas conduit au dépôt d'une proposition de loi. L'Association des Maires de France (AMF) avait constitué un groupe de travail sur ce sujet et soutenait la parité dans les communes de moins de mille habitants. Néanmoins, il n'est pas certain que les conclusions de ce groupe de travail aient été très soutenues dans toutes les instances de l'AMF. Les témoignages que nous avons entendus ce matin rappellent que, sans la contrainte, l'objectif de parité ne pourra pas être atteint.
Des sujets importants nous attendent à la rentrée de janvier : la poursuite du travail sur le rapport « Femmes et ruralités », une proposition de loi sur l'IVG et une proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels. Le programme de la délégation est donc chargé !