- Mardi 1er décembre 2020
- Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale
- Audition de M. le général d'armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale
- Audition de M. Jean-Christophe Galloux, candidat proposé par le Président du Sénat pour siéger, en tant que personnalité qualifiée, au Conseil supérieur de la magistrature
- Vote et dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de M. Jean-Christophe Galloux, pour siéger, en tant que personnalité qualifiée, au Conseil supérieur de la magistrature
- Mercredi 2 décembre 2020
- Communications diverses
- Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif aux délais d'organisation des élections législatives et sénatoriales
- Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif aux délais d'organisation des élections municipales partielles et des élections des membres des commissions syndicales
- Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée
- Proposition de loi constitutionnelle visant, face à la crise actuelle à construire le monde d'après fondé sur la préservation des biens communs - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
- Proposition de loi visant à supprimer la possibilité ouverte au dirigeant d'une entreprise de déposer une offre de rachat de l'entreprise après avoir organisé son dépôt de bilan - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
Mardi 1er décembre 2020
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 14 heures.
Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale
M. François-Noël Buffet, président. - Notre commission accueille aujourd'hui Frédéric Veaux, directeur général de police nationale (DGPN), accompagné de sa directrice de cabinet, Céline Berthon. Votre audition, monsieur le directeur général, s'inscrit dans le contexte de la proposition de loi sur la sécurité globale, dont nous sommes saisis depuis le 24 novembre et dont Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé sont nos rapporteurs. Henri Leroy, rapporteur pour avis de la commission des lois concernant la mission « Sécurités », vous interrogera également.
Au-delà de ce contexte particulier, nous sommes intéressés de vous entendre après la parution du Livre blanc de la sécurité intérieure, qui reprend certaines propositions formulées par le Sénat - ce dont nous nous réjouissons. L'objet de l'audition est de mieux appréhender les conditions dans lesquelles la police nationale exerce aujourd'hui ses missions. Les événements de l'actualité récente - les violences commises par certains membres individuels de la police nationale sur des manifestants, la polémique sur les dispositions de l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale - ajoutent encore de l'importance à cette audition. Nous entendons, nous lisons aussi que nos policiers ne bénéficieraient pas d'un temps de formation suffisant. Seule la vérité nous intéresse, et nous souhaiterions vous entendre sur ce sujet.
M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale. - Je vous remercie de me donner l'opportunité de vous exposer les attentes de la police nationale dans la mise en oeuvre des politiques de sécurité, qui non seulement mobilisent aujourd'hui les forces de sécurité intérieure, mais doivent également impliquer davantage les polices municipales et les acteurs de la sécurité privée. La police nationale est convaincue de l'importance de ce continuum de sécurité et de la nécessité de tisser localement un partenariat étroit avec les élus et les citoyens.
Les policiers municipaux sont des acteurs incontournables de la sécurité du quotidien. Ils assurent, sur la voie publique, une présence complémentaire de celle des policiers nationaux, et à ce titre, ils sont d'ailleurs souvent confrontés aux mêmes risques - je voudrais ainsi avoir une pensée particulière pour la policière municipale victime d'un attentat terroriste. Par exemple, au cours de cette année 2020, les polices municipales ont joué un rôle déterminant, aux côtés des policiers et des gendarmes, pour garantir le respect des mesures liées à l'état d'urgence sanitaire et dresser des contraventions.
Dans le cadre des orientations données par les maires et des conventions de coordination signées par l'État avec les polices municipales, des patrouilles mixtes ou des opérations conjointes sont régulièrement organisées. Il existe même, de plus en plus, des locaux contigus entre la police nationale et la police municipale, proposant des accueils communs. Quant aux centres de supervision urbains (CSU), ils s'avèrent des lieux d'échanges opérationnels très précieux entre nos forces.
Le partage d'informations est essentiel pour la mise en oeuvre des dispositifs de sécurité. Dans certaines grandes villes, par exemple, des protocoles ont été signés afin d'associer officiellement la police municipale au plan national de lutte contre les stupéfiants, avec l'envoi des informations des policiers municipaux à la cellule du renseignement opérationnel sur les stupéfiants. Les polices municipales participent également aux 949 groupes de partenariat opérationnel (GPO) créés dans le cadre de la police de sécurité du quotidien. Ces dispositifs de proximité, comme vous le savez, parviennent à régler de nombreux problèmes très concrets ayant trait à la sécurité.
Au titre des progrès réalisés au cours de ces dernières années, il convient de souligner l'interopérabilité permettant, depuis 2015, aux policiers municipaux d'être accueillis sur les réseaux de radiocommunication des forces de sécurité intérieure, grâce à des conférences dédiées. Enfin, depuis le 1er juillet 2019, a été généralisé l'accès des policiers municipaux à deux fichiers de police : le système d'immatriculation des véhicules (SIV) et le système national des permis de conduire (SNPC).
Nous pouvons aller encore plus loin dans l'accès aux fichiers, à condition que les informations communiquées correspondent strictement aux nouvelles prérogatives des polices municipales. Par ailleurs, je suis favorable à l'extension des pouvoirs confiés aux policiers municipaux, avec cependant quelques limites qui me paraissent essentielles : ils ne doivent pas participer aux opérations de maintien de l'ordre ni réaliser des investigations. En matière judiciaire, cela signifie que, s'ils peuvent constater davantage d'infractions, cela doit se limiter aux faits dont la matérialisation ne nécessite aucun acte d'enquête. L'objectif n'est pas, en effet, de créer une police concurrente des forces de sécurité intérieure, avec des compétences croisées, mais plutôt de mieux répartir les tâches entre policiers et gendarmes, d'une part, et policiers municipaux, d'autre part, le but étant de mobiliser prioritairement les premiers sur les missions relevant du régalien.
Dans ce cadre, l'expérimentation de trois ans dans des communes volontaires disposant d'au moins 20 agents de police municipale, après une formation à laquelle la police nationale pourra continuer d'apporter son expertise, sera sans doute appréciée dans les commissariats.
Les activités de la sécurité privée sont en plein développement. La professionnalisation de ces acteurs économiques doit retenir toute notre attention, notamment dans la perspective de l'organisation de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des jeux Olympiques et Paralympiques en 2024. Cette croissance doit s'accompagner de garanties prises en compte dans le texte soumis, telles que la limitation de la sous-traitance, le renforcement des conditions d'entrée dans la profession et le contrôle.
La proposition de loi contient également des dispositions très attendues par les forces de l'ordre dans le domaine de la captation d'images, imposant un cadre juridique solide et respectueux des libertés publiques. Ces dispositions permettraient aux policiers de travailler dans une totale sécurité juridique, avec les moyens techniques les plus modernes et selon des modalités qui correspondent à leurs besoins opérationnels - je pense, en premier lieu, aux caméras-piétons qui pourraient renvoyer les images en temps réel vers les centres de commandement, mais aussi vers d'autres policiers sur la voie publique.
Dans ce registre, il me paraît également indispensable que les policiers puissent eux-mêmes consulter les images - avec la garantie, bien sûr, de ne pas les altérer -, par exemple pour relever le numéro d'une plaque d'immatriculation leur ayant échappé pendant l'action.
De même, le cadre juridique proposé pour l'usage des drones est conforme à nos besoins opérationnels, par exemple pour apporter un appui aux personnels au sol dans le cadre d'une manifestation, constater des infractions ou réguler des flux de transports. Dans ce champ de la captation d'images, des garanties parfaitement justifiées sont prévues : pas de modification des images, pas de captation des lieux privés, durée limitée de conservation ; outre l'engagement à les respecter strictement, de nombreux dispositifs techniques peuvent nous y aider.
Depuis les attentats de 2015, les policiers sont autorisés, s'ils en font la demande, à porter leurs armes hors service. En effet, l'article R. 434-19 du code de la sécurité intérieure (CSI) prévoit que, lorsque les circonstances le demandent, le policier ou le gendarme, même sans être en service, puisse intervenir de sa propre initiative, avec les moyens dont il dispose, notamment pour porter assistance aux personnes en danger ; l'actualité nous rappelle régulièrement la pertinence de cette mesure. Or, il est malheureusement arrivé que des policiers se voient interdire l'accès à un stade ou une salle de spectacle en raison du port de leur arme de service ; il est donc nécessaire de pouvoir remédier à cette difficulté.
La protection des policiers est un sujet qui, je le crois, nous soucie tous. Nous avons encore en mémoire l'assassinat barbare de deux fonctionnaires de police - Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing -, chez eux à Magnanville, le 13 juin 2016. Cette affaire a profondément marqué les policiers ; un couple assassiné, à son domicile, uniquement parce qu'ils étaient policiers. Les exemples sont malheureusement de plus en plus nombreux d'agressions physiques et verbales à l'encontre des policiers, principalement dans l'accomplissement de leur mission, mais aussi dans le cadre privé, en raison de leur qualité, et pire parfois, à l'encontre de leur famille. La chose qui m'a le plus frappé depuis ma prise de fonctions le 3 février dernier, c'est le niveau de violence et le nombre d'agressions touchant les policiers, y compris dans des territoires que nous pourrions croire préservés - dernier exemple en date, le week-end dernier, à Cahors.
Les policiers aspirent légitimement à ce que leur sécurité soit assurée, leur anonymat garanti et leur famille protégée des conséquences de leur activité professionnelle. Leur attente est donc forte en ce domaine, sans pour autant réclamer ou imaginer que la liberté d'informer soit, de quelque façon, remise en cause.
Je souhaite également évoquer la contribution très intéressante du Livre blanc sur la sécurité intérieure, rendu public par le ministre de l'intérieur le 14 novembre dernier. Ces travaux se sont appuyés sur une large concertation en interne, au ministère de l'intérieur, mais aussi auprès des acteurs du continuum de sécurité, d'élus et de représentants de la société civile. Même si les quelque 200 propositions de ce Livre blanc n'ont peut-être pas toutes vocation à être appliquées, ce document est une source d'inspiration, avec des recommandations très complètes et concrètes, par exemple sur le continuum de sécurité ou l'organisation de la police nationale.
S'agissant des polices municipales et de la sécurité privée, les préconisations sont en phase avec le contenu de la proposition de loi pour une sécurité globale. Certaines propositions ont, d'ores et déjà, donné lieu à une mise en oeuvre, comme le développement de la politique de sécurité du quotidien, le schéma national du maintien de l'ordre, annoncé en septembre 2020, et le plan national de lutte contre les stupéfiants confiant le rôle de chef de file au nouvel office spécialisé - l'Office anti-stupéfiants (Ofast).
De nombreux travaux restent à mener concernant la police nationale, dont l'organisation, parfois qualifiée de « tuyaux d'orgue », nuit à son efficience et à l'émergence d'une stratégie globale. Le ministre de l'intérieur a souhaité l'expérimentation, au début de l'année 2021, de trois directions unifiées de la police nationale dans les départements du Pas-de-Calais, des Pyrénées-Orientales et de la Savoie. Depuis un an, trois directions territoriales de la police nationale (DTPN) sont expérimentées en outre-mer, et les premiers résultats sont très encourageants.
Dans le prolongement du Livre blanc sur la sécurité intérieure, le ministre de l'intérieur nous a demandé, avec le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), de réfléchir à une meilleure articulation de nos services sur le territoire. Rien n'est encore défini précisément. Ce travail doit s'appuyer sur une évaluation des redéploiements antérieurs, dont les derniers ont été réalisés en 2014.
Avant de répondre à vos questions, je ne peux pas ne pas faire référence aux derniers événements qui ont atteint la police nationale, sans les évoquer cependant, puisque des enquêtes judiciaires sont en cours. Je vous le dis avec beaucoup de force et de conviction - celles d'un homme entré dans la police en 1982, qui a donc la faiblesse de penser qu'il connaît bien cette institution et les hommes et les femmes qui s'y dévouent : la police n'est pas violente, alors même qu'elle est confrontée à la violence comme aucune autre structure dans notre pays. La police n'est pas violente et n'est pas raciste. En vous disant cela, je ne suis pas dans le déni ni dans la langue de bois ; je vous livre ce que je vois et ce que j'entends. Je croise quotidiennement les regards de policiers qui sont le reflet et l'expression de notre société, comme peu d'institutions peuvent en faire état ; des hommes et des femmes courageux, professionnels et volontaires, qui répondent toujours présents dans les moments les plus difficiles.
Dans ce métier compliqué, conduisant beaucoup de policiers sur la voie publique, vous pouvez partir en patrouille et vous retrouvez à intervenir sur une action très violente. J'ai en mémoire l'exemple de l'assassinat monstrueux de Samuel Paty à Conflans, où des effectifs de la sécurité publique de cette circonscription étaient en patrouille et qui, en quelques minutes, malgré le caractère épouvantable de cette scène de crime, ont réagi et pu neutraliser l'auteur de cet assassinat, dans les conditions les plus professionnelles.
Vous avez beau avoir été sélectionné, formé, équipé, encadré, arrive le moment de la décision du geste que vous allez devoir prendre en un quart de seconde ; c'est ce qui rend ce métier passionnant, mais aussi exigeant et exposé. Dans ce contexte, certains - heureusement très peu nombreux, mais malheureusement encore trop nombreux - s'égarent en commettant des actes contraires à la loi et/ou au code de déontologie. La police nationale les sanctionne sévèrement à la suite d'enquêtes conduites par l'inspection générale de la police nationale (IGPN) - bouc émissaire un peu trop facile dans ces circonstances - et par les groupes spécialisés en charge des affaires disciplinaires relevant des directions actives.
Face à ces situations, j'ai une double exigence : tirer toutes les conséquences de ces actes, sanctionner les comportements contraires à nos lois, à nos valeurs et au pacte républicain ; et adapter nos méthodes et nos pratiques. Je vous le redis avec force : la violence et le racisme n'ont pas leur place dans la police.
Je vous le dis avec confiance, car j'ai beaucoup d'estime, de considération et de reconnaissance pour les policiers que j'ai le privilège de diriger : vous pouvez aussi leur faire confiance. La tâche de la police nationale est rude, vaste, dans un univers qui se complexifie, et tous ceux qui ne veulent pas respecter nos règles savent saisir les opportunités. Nous avons donc besoin de l'aide de tous, dans cette dynamique du continuum de sécurité où chacun trouvera sa place sans empiéter sur les compétences de l'autre.
M. Marc-Philippe Daubresse. - J'adhère tout à fait à la fin de votre propos. Étant moi-même fils d'un inspecteur principal devenu commissaire divisionnaire de police, je peux voir l'évolution du niveau de violence. Vous trouverez ici - je ne pense pas trahir la pensée de mes collègues - beaucoup de soutien afin de garantir la protection des policiers qui, dans leur immense majorité, font très bien leur travail.
Sur la question des polices municipales, vous avez évoqué les actions communes avec la police nationale, les locaux contigus, les conventions de coordination. Peut-on évaluer aujourd'hui les effets de cette coopération entre police nationale, gendarmerie nationale et police municipale ? Combien cela représente-t-il de conventions de coordination ? Sont-elles obligatoires seulement pour les polices municipales ayant plus de trois agents ? La difficulté de cette proposition de loi, c'est l'absence d'étude d'impact et nous n'avons pas d'avis du Conseil d'État ; un certain nombre de questions restent donc sans réponses.
Quelle est votre appréciation globale sur l'expérimentation proposée ? Vous paraît-elle de nature à alléger les tâches des policiers et des gendarmes ? Et comment voyez-vous la montée en puissance des polices municipales ? J'ai été maire pendant trente ans également, j'ai dirigé une police municipale ; le maire n'est pas sous l'autorité du procureur de la République ; comment voyez-vous les choses d'un point de vue opérationnel ?
Par ailleurs, je suis complètement en phase avec le nécessaire renforcement de la formation des agents de police municipale, après avoir constaté beaucoup de failles dans leur formation juridique. Si les formations technique et sportive sont à la hauteur, la formation initiale me semble présenter des lacunes. Naturellement, vous avez un rôle important à jouer dans le renforcement de cette formation.
Je souhaite également revenir sur l'article 24. Comment peut-on caractériser un délit d'intention qui n'existe pas en droit français ? Comment peut-on porter atteinte à une intégrité psychique ? Même si l'on voit bien l'objectif de cet article, qui cherche à répondre à l'horrible affaire de Magnanville et, plus largement, aux violences dont sont victimes certains policiers sur les réseaux sociaux, quelles difficultés rencontrez-vous actuellement pour empêcher ou réprimer la diffusion malveillante des données personnelles des agents d'intervention ? Pensez-vous que le texte envisagé dans l'article 24 y réponde ? Ou bien l'article 25 du futur projet de loi sur les séparatismes, couvrant le même domaine, y répond-il mieux ? Fallait-il opter pour une incrimination via le droit de la presse ou le code pénal, sachant qu'avec le code pénal les procédures sont beaucoup plus contraignantes ?
M. Loïc Hervé. - En complément des questions posées par Marc-Philippe Daubresse, je souhaiterais évoquer l'utilisation des drones. Pouvez-vous nous expliquer, avec des exemples chiffrés ou des exemples concrets, la manière dont ces drones sont actuellement utilisés par les services de la police nationale ? Le régime juridique est-il différent de celui concernant les caméras gyroscopiques utilisées sur les hélicoptères ?
Sur les caméras mobiles : quel retour d'expérience faites-vous de ces premières années d'utilisation ? La qualité de ces caméras a été mise en cause, avec notamment des problèmes de batteries. Pourrait-on envisager une solution technique plus solide, peut-être à l'échelle nationale ou européenne, ce qui nous sortirait de la dépendance vis-à-vis des pays de l'Asie du Sud-Est ?
Enfin, concernant l'article 22 bis, qui traite des caméras embarquées dans les véhicules, quel est le cadre juridique actuel ? Et quel est celui que vous préconisez ?
M. Henri Leroy, rapporteur pour avis de la mission « Sécurités ». - Votre intervention s'inscrit dans la philosophie du Livre blanc ; on l'a bien senti, notamment dans les développements sur la coopération entre gendarmerie, police nationale et police municipale.
Vous avez évoqué la formation, le recrutement. Il y a une crise du recrutement ; à une époque, on recensait six fois plus de candidats pour un poste. S'agissant des événements récents, quand on voit comment sont traités les policiers aujourd'hui, est-ce bien de leur faute ? Les forces de sécurité sont employées sur des missions pour lesquelles elles n'ont pas reçu de formation. La formation initiale a été raccourcie de douze à huit mois, et les policiers n'ont plus le temps de suivre une formation continue.
Cette formation n'est pas satisfaisante, même pour la voie publique, alors que la technique du maintien de l'ordre s'apprend dans les écoles. D'ailleurs, les deux personnels spécialisés dans le maintien de l'ordre - la gendarmerie mobile et les CRS - sont rarement impliqués dans ce que l'on a injustement appelé des « violences policières », car cette expression revient à incriminer ces deux corporations.
Vous avez évoqué également la police municipale et le continuum de sécurité. Une question intéresse les élus, notamment les maires qui recrutent les polices municipales. Quelles tâches seront dévolues à la police municipale ? Si ce sont les tâches aujourd'hui supportées par la police nationale et la gendarmerie, les maires, qui sont les porteurs financiers de ce recrutement, ne seront certainement pas en phase avec ce redéploiement des forces. Comment aujourd'hui envisagez-vous le recrutement et le paiement des policiers municipaux ?
M. Frédéric Veaux. - En réponse à monsieur Daubresse, sur la manière dont on aborde l'attribution de nouvelles compétences aux polices municipales, le pire serait d'imaginer ou de mettre en oeuvre un transfert de charges. Une nouvelle fois, on ferait à l'État le reproche légitime de se décharger de ses responsabilités sur les collectivités, sans donner les ressources pour y faire face ; pour avoir été préfet, c'est un reproche que j'ai souvent entendu.
Comme vous l'avez compris dans mon propos introductif, l'objectif est d'arriver à trouver un équilibre entre ce qui relève des fonctions régaliennes de la sécurité publique, d'une part, et d'une présence de proximité, d'autre part, comme celle que nous constatons de plus en plus de la part des polices municipales. Aujourd'hui, là où elles ont été mises en place avec la volonté d'un maire de leur confier des missions au-delà du seul stationnement, les policiers municipaux sont bien sélectionnés, formés et dotés d'un matériel tout à fait performant qui, en général, pour les villes concernées, s'accompagne d'un réseau de vidéoprotection à la hauteur des objectifs poursuivis.
Il est important de concevoir ces nouvelles responsabilités confiées aux polices municipales comme étant un des éléments du continuum de sécurité - et pas le résultat d'un transfert de charges entre la police, la gendarmerie et la police municipale.
Je partage la remarque de M. Daubresse : le maire ne doit pas être sous l'autorité du procureur de la République ; il doit pouvoir, de mon point de vue, garder toute l'autorité nécessaire vis-à-vis de sa police municipale, même si la transgression des règles par les policiers municipaux l'expose à des reproches ou des poursuites de la part du procureur de la République.
C'est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à ce que des pouvoirs d'investigation soient confiés aux polices municipales. Cette présence, toujours remarquée, de la police municipale sur le terrain doit se traduire par une multiplication de constatations, de procès-verbaux qui permettent ensuite au service en charge des investigations de faire son travail. Si l'on confiait des compétences d'investigation à la police municipale, on arriverait très vite à des conflits de compétence, et sans doute que quelques-uns seraient alors tentés de vouloir encore renforcer ces pouvoirs d'investigation. Telle est ma façon d'aborder l'organisation et la répartition des rôles.
Concernant la formation des agents de la police municipale, j'avoue ne pas avoir suffisamment de recul pour en apprécier le niveau. Je constate que la police nationale contribue à former les formateurs, notamment pour tout ce qui touche à l'armement, au tir et à la cynotechnie, c'est-à-dire les brigades canines. Je suis tout à fait disposé à ce que la police nationale renforce encore ses capacités de formation à destination des polices municipales, même si, comme l'a observé M. Leroy, nous avons, en interne, un sujet de formation continue sur lequel je reviendrai plus tard.
En tant que directeur général de la police nationale, il ne m'appartient pas de juger du support législatif adéquat. Aujourd'hui, nous sommes face au développement des prises à partie des fonctionnaires de police, qui sont filmés ou photographiés dans le cadre de leurs activités professionnelles. Les photos sont parfois diffusées à des fins d'identification ou de menaces sur les réseaux sociaux, pour tenter de s'en prendre à eux ou de développer des discours de haine à leur égard. À ce titre, j'ai mis à votre disposition une extraction de documents qui circulent sur des sites internet dont on peut penser qu'ils n'ont pas une affection particulière pour les forces de l'ordre : ils montrent des photos de policiers et de gendarmes en gros plans captées à l'occasion d'interventions sur la voie publique. Celles-ci s'accompagnent d'appels à identification. Il faut donc nous donner les moyens juridiques de faire condamner les auteurs de tels agissements. Il ne s'agit pas ici d'une simple intention de nuire, mais d'actes délibérés que l'on pourrait mobiliser devant un tribunal. Les policiers et les gendarmes ont besoin de sentir que tous les supports juridiques possibles sont disponibles pour que ces comportements soient sanctionnés.
Nous sommes très demandeurs d'un régime juridique stabilisé pour l'usage de la captation d'images au moyen d'aéronefs, qu'il s'agisse de drones ou d'hélicoptères. Le système juridique auquel nous avons recours actuellement ne l'est pas, comme en témoigne la décision du Conseil d'État de mai 2020 relative à la surveillance par drones, qui a abouti à mettre fin à l'utilisation de ces derniers durant la crise sanitaire. Il n'y a pas de données chiffrés sur leur utilisation. En revanche, dans la police nationale, toutes directions confondues, 188 équipements de type drone sont disponibles, selon l'emploi qui en est fait dans certaines unités d'intervention. C'est le cas pour l'unité « recherche, assistance, intervention, dissuasion » (RAID) dans le cadre de la reconnaissance de leurs théâtres d'intervention. La police aux frontières (PAF) utilise elle aussi des drones dans le Pas-de-Calais, pour assurer la surveillance des plages contre le risque d'embarcation des migrants vers le Royaume-Uni : les distances sont importantes et l'on ne pourrait pas mobiliser des effectifs suffisants. De la même manière, à la frontière franco-italienne, les étrangers en situation irrégulière qui cherchent à pénétrer sur le territoire empruntent parfois la ligne Vintimille-Menton, mais aussi beaucoup de chemins dans l'arrière-pays qu'il est très difficile de surveiller, notamment la nuit. La police judiciaire se sert aussi de drones dans la préparation de ses interventions, pour des opérations qui ne permettent pas une approche humaine de proximité. Je pense, par exemple, à certains camps occupés par la communauté des gens du voyage qui se spécialisent dans l'attaque de fret, ou dans tout autre type de délinquance. Enfin, nous avons une utilisation très maîtrisée et modérée de ces outils par la sécurité publique, quand des manifestations de voie publique dégénèrent, et qu'il nous est nécessaire de pouvoir identifier la manière dont les forces employées vont être dirigées vers tel ou tel endroit. Il faut à la fois pouvoir piloter l'action des forces de l'ordre, mais aussi identifier et localiser ceux qui se livrent à des actes de violence, afin de nourrir les procédures judiciaires qui sont menées. Je vous confirme l'existence d'un régime juridique visant à préserver la vie privée, comme par exemple l'interdiction de filmer les entrées et les terrasses d'immeubles, avec des dispositifs de floutage. Ces derniers sont d'ailleurs parfois difficiles à mettre en oeuvre, et compliquent l'exploitation opérationnelle des images.
Pour le moment, il n'y a pas de système de caméras embarquées pour les véhicules de police. Quand c'est le cas, il s'agit plutôt d'un « bricolage interne », qui n'est pas encadré. Mais nous avons affaire à de plus en plus de refus d'obtempérer. Dans ce cadre, il est difficile d'assurer à la fois la conduite en toute sécurité, mais aussi la prise en note des éléments utiles ensuite aux investigations, tout en permettant, en cas d'accident ou de mise en cause de la police, d'établir que la police a respecté les règles dans le cadre de son intervention. Comme pour les caméras-piétons, la police est donc très favorable à la généralisation des caméras embarquées. Nous n'avons pas peur de montrer ce que nous faisons. Plus on le montrera, plus on pourra justifier le bon accomplissement de nos missions, et mieux ce sera pour tout le monde.
La question de la formation des policiers a été posée hier soir par le ministre de l'intérieur qui se demandait si, au fond, c'était bien la faute des policiers. En effet, il s'agit d'abord de la responsabilité du directeur général, et sans doute, comme cela a été présenté hier soir, des ministres. À chaque fois qu'un policier est blessé ou tué, ou que des événements comme ceux de la semaine dernière se produisent, c'est pour moi un échec en tant que directeur général. Il est de ma responsabilité de faire en sorte que toutes les opérations de police se passent bien, et que les policiers rentrent chez eux en bonne santé physique et psychologique, mais aussi sécurisés juridiquement.
Pour cela, les policiers doivent être sélectionnés, mais aussi formés de manière suffisante et tout au long de leur vie professionnelle. On peut débattre sur la manière dont la formation initiale des gardiens de la paix est organisée. Au départ, celle-ci était de deux ans, dont douze mois de formation théorique et douze mois de stage. Depuis cette année, ces derniers ne suivent plus que huit mois de formation théorique et seize mois de stage. Le débat existe entre spécialistes pour savoir si la durée de la formation est un préalable indispensable à la qualité de celle-ci. Je n'ai pas d'idée arrêtée sur le sujet, néanmoins je constate que nous avons aujourd'hui énormément de moyens à notre disposition pour aller au-delà de la formation en présentiel. Certaines techniques d'intervention ne peuvent pas s'apprendre autrement que sur un tatami ou dans un espace sportif. L'apprentissage des tirs nécessite un centre de tir, quoiqu'aujourd'hui la réalité augmentée permette de simuler beaucoup de situations. Mais la crise sanitaire nous a démontré que nous pouvions délivrer un maximum d'enseignement à distance. Le ministère de l'intérieur et la police nationale ont d'ailleurs pu faire l'expérience de ces nouveaux modes de fonctionnement et du retard à rattraper en la matière.
Ainsi, il ne s'agit pas forcément d'un problème de durée de formation, mais plutôt de contenu et de qualité de celle-ci. Pour améliorer cette situation, il faut recruter et former des formateurs, qui puissent être disponibles tout au long de la vie professionnelle. C'est sans doute sur ce point que la police nationale a une marge de progression importante. D'abord, parce que les policiers ne sont pas toujours enclins à s'astreindre à la formation continue. Par exemple, dans le cadre de l'utilisation des armes, environ 65 % des policiers effectuent leurs trois tirs réglementaires dans l'année. Ces tirs réglementaires sont importants en cas d'accident de tir, car ils font l'objet d'une vérification par l'IGPN si elle est saisie. Les neuf heures de formation continue proposées, qui peuvent avoir trait aux gestes techniques d'intervention ou encore à la déontologie, sont en proportion très faibles, et mériteraient d'être réévaluées. Le ministre de l'intérieur y est d'ailleurs très attentif, et fera sans doute des annonces dans ce sens. Ensuite, depuis 2015, les services de police ont connu des années « extraordinaires » dans le mauvais sens du terme : d'abord, avec les attentats et leurs effets sur l'engagement des forces de l'ordre, puis avec la séquence des « gilets jaunes », les effectifs mobilisés n'étant parfois pas tous formés aux techniques du maintien de l'ordre. La formation continue en a sans doute fait les frais. Ainsi, nous ne pouvons pas être exigeants vis-à-vis des policiers sans nous-mêmes respecter nos engagements en termes de formation continue. Ce à quoi nous nous attellerons dans les jours et semaines à venir.
M. Jérôme Durain. - La confiance des Français vis-à-vis de la police a baissé de huit points, selon le baromètre annuel du centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Elle reste une institution très appréciée des Français, un peu moins qu'à l'étranger cependant. Cette confiance était même montée à 80 % après les attentats. Le sujet central de la période n'est-il donc pas celui de la réconciliation entre la police et les citoyens ? Malgré votre insistance sur les valeurs de l'institution, vous savez bien que la vertu du plus grand nombre n'efface pas l'égarement de quelques-uns. Ce sujet n'est-il pas aussi important au niveau de l'institution que pour chaque policier sur le terrain ? N'est-ce pas plutôt un sujet de commandement, de coordination, de transparence, de contrôle ? Par ailleurs, qu'en est-il de l'effectivité de l'accès aux images pour les citoyens ? Ne faudrait-il pas un régime unique qui permettrait de protéger les policiers, tout en faisant baisser la pression des citoyens ?
M. Jean-Yves Leconte. - La démarche d'identification des policiers sur internet, malheureusement, relève de la problématique générale de l'évolution de la société et des réseaux sociaux. Dans ce contexte, est-ce légitime d'agir spécifiquement pour la fonction de policier, alors que cela pourrait être fait de manière plus globale et équilibrée ?
Les images terribles que nous avons vues ces dernières semaines entraînent, pour beaucoup de Français, un problème de confiance. On s'interroge sur la formation, mais aussi sur le management technique et politique de la police. Y a-t-il des choses à changer de ce point de vue, à votre niveau et au niveau politique ?
Ensuite, les syndicats de police nous indiquent souvent que la pression qui leur est mise, au travers de la politique du chiffre, les empêche d'aborder sereinement leur relation avec la population. Ne faudrait-il pas revoir ce sujet ?
Enfin, concernant la préfecture de police de Paris en particulier, y a-t-il des évolutions à apporter pour harmoniser le fonctionnement de la police sur l'ensemble du territoire ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous êtes ici 24 heures après l'audition par l'Assemblée nationale du ministre de l'intérieur, ce qui nous permet de revenir sur les propositions évoquées à cette occasion. Ce dernier a listé les sept péchés capitaux qui seraient à l'origine de « problèmes structurels ». Le premier point était le peu de formation, et le raccourcissement de la formation initiale. Que répondez-vous sur ce point, et pourriez-vous nous donner des précisions par rapport à ce que nous avons déjà évoqué ?
Deuxièmement, le ministre a indiqué qu'il n'y avait pas assez de chefs dans la rue, et qu'il faudrait recréer un corps d'intermédiaires d'encadrement plus nombreux sur le terrain. Comment entendez-vous mettre en oeuvre cette demande ?
Troisièmement, le ministre a annoncé la généralisation des caméras-piétons au premier juillet 2021. Or, nous savons que ces caméras sont déficientes et ont une autonomie très faible, qui ne permet pas que le policier la mette en marche lors de sa prise de service et l'arrête lorsqu'il le termine. Ce point est d'ailleurs une demande du syndicat des commissaires. Pensez-vous cette généralisation possible au premier juillet 2021 dans des conditions correctes ?
Tout comme le ministre de l'intérieur, vous affirmez qu'il n'y aurait pas de divorce entre la police et la population. Mais si la police bénéficiait de 80 % d'opinions favorables après les attentats de 2015, celles-ci chutent à 66 % actuellement. Alors que les policiers représentent 7 % des effectifs de la fonction publique, 55 % des sanctions prononcées dans la fonction publique les concernent. Par ailleurs, on constate un accroissement de 23 % des enquêtes judiciaires confiées à l'IGPN en 2019, dont 50 % pour violences. On ne peut donc pas considérer ce sujet comme secondaire.
Concernant l'affaire de Magnanville, j'encourage chacun à la plus grande prudence. Le ministre a lui-même reconnu, le 2 novembre dernier devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, je cite : « on ne sait pas si ce sont les images sur les réseaux sociaux qui ont fait naître cet attentat ». Je pense qu'il est important d'être précis sur ce point.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Vous avez évoqué les trois territoires ultramarins qui font l'objet d'une expérimentation de la direction territoriale de la police nationale (DTPN), qui réunit la PAF et la police nationale. Vous parlez de premiers résultats encourageants, et c'est d'ailleurs ce que vos collègues et l'administration préfectorale ont affirmé à la commission des lois du Sénat lors de son déplacement en Guyane, l'an dernier. Mais il faudrait davantage de temps pour porter un jugement, car la réforme a moins d'un an d'existence dans certains territoires.
On observe une recrudescence sans précédent de la violence dans mon département, Mayotte. L'immense majorité est commise par des bandes de jeunes. Avez-vous eu un retour sur cette violence de la part de la direction territoriale de la police nationale ? Selon vous, à quoi est due cette violence et quelles seraient les solutions pour y remédier ? Localement, vos collègues revendiquent par exemple l'instauration d'un deuxième commissariat. En effet, Koungou, la deuxième ville de Mayotte, rassemble plus de 30 000 habitants et en est pourtant privée. Quel est votre avis sur cette question ?
M. Alain Marc. - Je souhaite rappeler qu'une proposition de loi relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique avait été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, puis avait été adoptée au Sénat. La loi a ensuite été promulguée août 2018 ! L'exécutif aurait eu tout le temps de tenir compte de cet état de fait, surtout lorsque l'on regarde d'autres pays où cela existe. Êtes-vous satisfait du matériel à votre disposition ? La réponse de l'exécutif en la matière permet-elle de satisfaire à la fois la représentation nationale et les Français ?
Ma lecture des manifestations est très différente de celle de mes collègues. Quand ils voient des gens armés de barres de fer s'approcher des policiers, la plupart des Français prennent fait et cause pour ces derniers. Les forces de l'ordre ont-elles les moyens d'apporter une réponse appropriée à ces violences ? Les réponses médiatiques qu'on nous propose aujourd'hui ne semblent pas être celles qui sont souhaitées par nos concitoyens.
Mme Valérie Boyer. - Récemment, l'actrice Alexandra Lamy a posté un message de soutien aux policiers sur les réseaux sociaux, et elle a été prise à partie et critiquée très violemment. Des pompiers agressés par les victimes qu'il venait secourir, des policiers frappés à coups de pied en pleine mâchoire par un patient hospitalisé, des gendarmes caillassés, des guets-apens...Voilà malheureusement la réalité quotidienne. En 2019, les forces de l'ordre étaient la cible quotidienne de 110 agressions en moyenne. Je suis scandalisée par la répétition de ces actes. Il n'y a pas de liberté sans ordre, et pas d'ordre sans respect de nos valeurs et de nos règles. Mais malheureusement, les chiffres de la violence montent, c'est pourquoi je vous exprime toute ma gratitude. Si notre démocratie fonctionne, c'est grâce aux forces de l'ordre, grâce à ces hommes et ces femmes qui risquent leur vie pour celles des autres. On ne mesure pas assez le prix payé, particulièrement par les familles. Par ailleurs, on trouve dans les médias une expression particulièrement libre de personnes qui vont à l'encontre de la police. Dans les manifestations, on scande : « tout le monde déteste la police ». Tout cela participe à un climat particulièrement délétère pour notre cohésion sociale.
En manifestation, on entend souvent crier ces mots atroces : « suicidez-vous ». Selon la police nationale, 59 policiers se sont suicidés en 2019, soit 60 % de plus qu'en 2018. En juin 2018, le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure alertait déjà sur le taux de suicide anormalement élevé au sein des forces de l'ordre. Alors que les menaces, les intimidations et les agressions contre les policiers sont en constante augmentation, il est indispensable de renforcer le dispositif de prévention contre les suicides au sein de la police. La cellule d'écoute mise en place en 1996 semble inadaptée face à la réalité du terrain. Celle-ci n'aurait reçu que 300 appels entre le 28 septembre et le 31 décembre 2019, contre 6 000 sollicitations pour la plateforme alternative gérée par l'association SOS Policiers en détresse. Quel est votre avis sur cette question ?
M. Philippe Bas. - Rien n'est plus facile que de montrer les forces de l'ordre en action : recourir à la contrainte est leur métier. Elles en ont même le monopole légal ! Dans cette action délicate, et avec toute l'émotion que peuvent susciter les agressions dont ils peuvent être victimes, les policiers et les gendarmes doivent respecter les méthodes et techniques enseignées, avec un encadrement suffisant pour éviter les débordements. En juin dernier, vous avez proposé qu'il ne soit plus recouru à la technique d'interpellation dite de la « clef d'étranglement ». Un groupe de travail a été mis en place. Mais je posais déjà la question à l'époque, à savoir : comment faire pour maîtriser des individus réfractaires sans la clef d'étranglement ? Le groupe de travail devait remettre ses conclusions le premier septembre, or je n'ai connaissance d'aucune décision qui aurait été prise. Où en êtes-vous sur ce dossier très délicat ? J'ai eu le sentiment que la réponse donnée à l'époque était dictée par la pression de l'actualité. Nous nous trouvons aujourd'hui bien embarrassés pour trouver des solutions qui permettent à la police d'être efficace.
Mme Françoise Gatel. - La sécurité est la protection des plus fragiles et des plus pauvres. Depuis le mouvement des « gilets jaunes », mais aussi le développement de manifestations assez violentes que j'ai pu voir dans mon département avec les opérations de Notre-Dame-des-Landes, on constate régulièrement des attitudes violentes, qui sont le fait d'individus ayant pour objectif de faire dégénérer les manifestations. Il y a un noyau dur dans ces manifestations, qui est souvent le même. Comment se fait-il que la police n'arrive pas à prévenir ces débordements ? Quels sont les moyens dont vous disposez pour identifier ces personnes, et comment peut-on ainsi sécuriser ces manifestations ?
M. Frédéric Veaux. - La question de la confiance des Français à l'égard de la police est revenue de manière sous-jacente dans plusieurs de vos questions. Elle est aussi très présente dans les médias. Je ne partage pas votre expression selon laquelle on aurait besoin de « réconcilier » les Français avec la police. En dépit des difficultés auxquelles nous sommes confrontés, le sentiment qui s'exprime à l'égard de la police reste positif, de manière très largement majoritaire, même s'il n'est pas au niveau que l'on a pu connaître en 2015, à l'époque des attentats. Les personnels que je rencontre, notamment dans les territoires les plus exposés à la délinquance et aux violences, et où ils s'interrogent parfois sur le sens de leur mission et sur l'utilité de ce qu'ils font, éprouvent, à juste titre, le sentiment d'une rupture assez forte entre une partie de la population et, finalement, non seulement la police, mais aussi toutes celles et ceux qui veulent vivre en paix dans notre belle démocratie.
Une partie de la population a fait le choix de vivre en marge, dans la délinquance, en essayant d'exploiter toutes les failles possibles pour faire du trafic de stupéfiants, et est ainsi irréconciliable avec la police. Je n'ai pas l'ambition de tenter de les reconquérir. Pour le reste, les Françaises et les Français, dans leur écrasante majorité, sont d'abord soucieux de leur sécurité. Ils sont parfois conduits à s'interroger par ce qu'ils voient à la télévision ou dans les journaux, mais ils soutiennent toujours, je pense, la police dans son action.
Nous demandons régulièrement à l'institut Ipsos, un organisme indépendant dont tout le monde connaît le sérieux, de réaliser des enquêtes de satisfaction sur les rapports qu'entretiennent les Français avec leur police. Il s'en dégage que le sentiment de confiance à l'égard de la police est d'autant plus fort que l'on a été usager du service public de la police : 90 % des Françaises et des Français qui ont déjà eu besoin de faire appel à la police sont satisfaits ; ceux qui la critiquent ou qui s'en plaignent sont ceux qui se tiennent toujours à l'écart de la police. Si l'on reprend le même sondage, en 2017, 86 % des Français considéraient que la police travaillait bien ; ils sont 80 % en 2019. Cela me laisse confiant sur l'état de la relation entre la police et la population. Ce lien n'est pas forcément celui que l'on retrouve dans les grandes manifestations ou qui est parfois exprimé dans les médias. Doit-on pour autant s'en satisfaire ? Non, évidemment, mais il faut être lucide sur l'état des rapports entre la société et les institutions. Si la police est le réceptacle de nombreuses critiques aujourd'hui, bien d'autres institutions le sont également ; l'autorité des élus est contestée, tout comme celle des enseignants et même les personnes des services des urgences dans les hôpitaux sont contestées par des gens qui ne supportent plus rien.
À la différence de la gendarmerie qui dispose d'un potentiel de 30 000 gendarmes dans la réserve civile, nous avons simplement 6 000 réservistes dans la police, qui sont souvent d'anciens policiers ou d'anciens adjoints de sécurité, mais peu de personnes issues de la société civile. Or je pense qu'outre leur soutien, ces réservistes pourraient nous apporter davantage d'ouverture à la société civile et renforcer le lien entre la police et la population. De même, alors que les réservistes de la gendarmerie sont armés, ceux de la police ne le sont pas, ce qui est un handicap pour conduire des missions sur le terrain. Il faudrait trouver une solution législative à cet égard.
Les policiers n'ont pas peur du contrôle ni du recours à l'image ; ils souhaitent simplement ne pas avoir à subir les images de ceux qui viennent se coller contre eux avec un smartphone en espérant les voir disjoncter face à l'accumulation des provocations ou des projectiles qu'ils reçoivent. Mais il est nécessaire que les policiers disposent d'un matériel qui fonctionne. La police est équipée de plus de 10 700 caméras-piétons, mais le matériel n'est pas opérationnel : manque d'autonomie de la batterie, difficultés d'accrochage, difficulté à rentrer le numéro d'identification RIO (référentiel des identités et de l'organisation), etc. Le Président de la République a indiqué qu'il souhaitait voir la police et la gendarmerie dotées de 30 000 caméras-piétons au 1er juillet 2021 ; le ministre de l'intérieur a réaffirmé cet engagement. En tout cas, quand le matériel est complètement défectueux, il est compréhensible que l'on ne s'en serve pas et que l'on n'ait pas forcément la disponibilité des images lorsqu'on le souhaiterait. C'est la raison pour laquelle un nouveau marché public a été lancé pour obtenir du matériel performant, robuste, et capable, si la loi évolue, de nous donner accès à d'autres fonctionnalités, comme le renvoi à distance afin que des policiers, en difficulté sur le terrain, puissent transmettre les images à la salle de commandement pour que celle-ci envoie des renforts ou leur donne des instructions. Les budgets sont donc prévus pour cela, les marchés lancés et les engagements du Président de la République et du ministre de l'intérieur seront tenus. Cela sera aussi un instrument important du contrôle de l'activité des policiers. Ceux-ci n'ont pas peur de ce qu'ils font. On connaît la place de l'image dans les confrontations avec des manifestants violents. C'est une dimension nouvelle qui s'ajoute à la violence physique.
Vous avez évoqué des changements de management, de techniques, la pression créée par la politique du chiffre sur l'attitude des policiers sur le terrain. Le ministre a été clair : il n'y a pas de politique du chiffre au ministère de l'intérieur pour la police nationale. Mais on a aussi besoin de données pour s'assurer de la mise en oeuvre des politiques publiques déterminées par le ministre : le niveau de saisie des produits stupéfiants, les endroits où sont les trafiquants, etc. On essaie de ne pas solliciter les services pour éviter de faire du reporting au-delà de ce qui est nécessaire. Le service statistique ministériel de la sécurité intérieure nous fournit des données qui nous aident à faire des choix de politiques publiques, d'investissements ou d'affectations des ressources humaines, en fonction des besoins.
Notre objectif est bien de contribuer à avoir une relation saine avec la population. Je souhaite préciser toutefois que je n'ai pas évoqué l'affaire de Magnanville comme un moyen de justifier l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale ou de pénaliser la diffusion de photos de policiers sur internet. Je l'ai simplement évoqué en référence à ce que les policiers ont perçu comme un basculement décisif dans la manière dont on pouvait s'en prendre à eux : ils ont découvert avec stupeur et sidération cet acte criminel à l'encontre de ce couple, en présence de leurs enfants. Chacun sait lorsqu'il s'engage dans la police qu'il y a des risques et est prêt à les assumer, mais de là à être pris pour cible simplement parce que l'on est policier, jusqu'à son domicile, voilà un élément qui marque l'état d'esprit général des policiers. Mais, encore une fois, qu'il n'y ait pas de malentendu, cela n'est certainement pas un argument pour justifier l'article 24.
La question de la formation continue est une vraie question à laquelle nous devons nous atteler. Pour cela, nous devons disposer de moniteurs formés. Nous devons faire en sorte que les heures de formation auxquelles les policiers ont droit soient vraiment organisées et suivies, au même titre que la formation au tir.
Vous avez aussi évoqué la présence de chefs dans la rue. En l'occurrence, si l'on pense aux événements qui se sont produits ces derniers jours, on constate qu'il y avait un encadrement sur le terrain ; celui-ci peut donc aussi parfois défaillir. Il n'en demeure pas moins que l'on doit faire en sorte d'assurer, en toutes circonstances et en tous lieux, la présence de chefs sur le terrain qui assument la responsabilité des actions qui sont conduites.
En ce qui concerne le divorce entre la police et la population, je ne cherche pas à tenir des propos convenus, mais je pense que la situation n'est pas aussi dégradée que l'on peut l'entendre dire dans certains espaces médias.
L'IGPN a fait la preuve de son efficacité. Il s'agit d'un service qui bénéficie de la confiance de l'autorité judiciaire, comme l'a rappelé le ministre de l'intérieur hier soir. La police est une maison où l'on souhaite être irréprochables. Les infractions qui peuvent être commises et qui peuvent parfois nous déshonorer nous gênent énormément dans notre action au quotidien. C'est pourquoi nous devons être sévères mais justes lorsque nous avons à sanctionner, parce que l'exigence à notre égard est forte, et nous serons d'autant plus justes que nous serons sévères. L'IGPN fait un travail remarquable, dans des conditions extrêmement difficiles. Dans tous les cas, le directeur général de la police nationale a besoin d'avoir à ses côtés un service d'inspection à qui il puisse confier des enquêtes disciplinaires ou des missions d'audit. Si la possibilité de recourir à l'IGPN devait lui être retirée, comme on l'entend parfois dans certaines réflexions, je serais certainement obligé de recréer un service équivalent pour faire la police au sein de ma propre maison et ne pas dépendre d'une structure extérieure. J'apporte donc mon soutien à l'IGPN. On ne peut résumer ce qui s'est passé place de la République ou dans le 17e arrondissement à la question de l'IGPN : quand il y a le feu, on ne dit pas que c'est le problème des pompiers !
J'ai créé auprès de moi un poste de chef de la mission outre-mer pour mieux prendre en compte ces territoires. J'ai souvent été en relation en visioconférence avec M. Cavier, le directeur territorial de la police à Mayotte. La question des mineurs isolés est très prégnante dans ce département : ils arrivent en nombre, sont souvent livrés à eux-mêmes et commettent de nombreuses infractions ou troubles à l'ordre public. Il y a beaucoup de violences urbaines, des affrontements entre bandes, parfois très violents et meurtriers. Le chef de la mission outre-mer a été nommé le 2 novembre et sa première mission aura lieu à Mayotte, où il est arrivé ce matin. Nous sommes donc attentifs à ce que la direction territoriale de la police dispose de tous les moyens disponibles, notamment pour le contrôle aux frontières : avec des moyens nautiques, un centre de rétention administrative et des procéduriers, la police doit être en mesure de traiter la question des étrangers en situation irrégulière et de les raccompagner aux Comores. Vous pouvez donc être assurés de notre engagement sur ce territoire, ainsi d'ailleurs que sur tous les territoires ultramarins. Nous ferons un bilan de l'évolution de la situation à Mayotte, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, afin d'étendre, éventuellement, les directions territoriales de la police nationale aux autres territoires ultramarins, mais cette décision appartient au ministre de l'intérieur.
Monsieur Marc, j'ai répondu sur les caméras-piétons. Comme je l'ai dit, nous ne sommes pas satisfaits du matériel, une disposition législative semblerait utile.
M. Alain Marc. - La proposition de loi sur les caméras-piétons a été votée en 2018 ! L'exécutif gagnerait pourtant à écouter les préconisations du Parlement, surtout en ce moment...
M. Frédéric Veaux. - Cela n'est pas une question qui relève de ma compétence...
M. Alain Marc. - Les policiers sont confrontés à des attaques de plus en plus violentes. De quels moyens disposent-ils pour se défendre ? Lorsque des policiers sont contraints de reculer face à des personnes armées de barres de fer, l'opinion, qui vous soutient, ne peut s'empêcher de penser qu'on ne donne pas aux policiers les moyens de se défendre.
M. Frédéric Veaux. - Méfions-nous des images. Il faut parfois savoir reculer pour mieux pour remporter la bataille ! C'est une question de stratégie.
Quant aux moyens, les unités de maintien de l'ordre disposent de grenades lacrymogènes et de désencerclement. On peut mobiliser des canons à eau. Le maintien de l'ordre varie selon qu'on le fait à Paris ou à Laval, et les unités s'adaptent. Comme l'a dit le ministre, on travaille en permanence à faire évoluer nos dispositifs pour les adapter à des formes qui s'apparentent parfois à de la guérilla urbaine. Nous sommes face à des individus rompus à l'affrontement, parfaitement identifiés, qui connaissent les moyens de la police, ses limites d'action, ses stratégies, et qui s'adaptent très vite. Ces individus sont à l'ultragauche, ont des camps d'entraînement, sont aguerris et n'ont pas peur d'aller au contact. Nous devons donc répondre à une nouvelle forme de guérilla urbaine. À Paris, des unités ont su évoluer pour s'adapter au caractère agile de ces agitateurs. Ceux-ci changent d'habit entre le moment où ils arrivent à la manifestation et le moment où ils s'en prennent aux forces de l'ordre. Ils cachent à l'avance leurs projectiles et leur matériel dans des halls d'immeubles ou des caves pour échapper aux fouilles et pénétrer tranquillement dans le périmètre de la manifestation. Ils vont ensuite le récupérer, se changer, s'équiper ; une fois que l'affrontement a commencé, ils baissent leur capuche et se donnent des signaux de reconnaissance grâce aux réseaux sociaux ; lorsque le déchaînement de violence est terminé, ils quittent la manifestation en se débarrassant de leurs vêtements et rejoignent tranquillement la station de métro pour échapper à la police. Il est difficile de prévenir ce type de situations, mais nous y travaillons, nos services de renseignement sont mobilisés pour suivre ces mouvances qui n'ont d'autre objectif que de déstabiliser nos institutions, la République, et nous faire basculer dans des régimes autoritaires.
J'en viens à la question des suicides dans la police, question éminemment douloureuse qu'il est difficile de résumer par des chiffres : un suicide, c'est toujours un suicide de trop ! Les chiffres de 2019 étaient catastrophiques et nous ont tous touchés. Nous sommes parfois dans une forme d'impuissance face à ces phénomènes ; on essaie de comprendre, sans pouvoir expliquer. Les chiffres semblent en amélioration cette année : 31 suicides à ce stade, contre 59 l'an dernier. Un programme de mobilisation contre les suicides dans la police a été lancé : des plateformes téléphoniques peuvent être contactées nuit et jour, sept jours sur sept, par chaque fonctionnaire qui le souhaite, qui se trouve en difficulté ou qui constate qu'un autre fonctionnaire est en difficulté. Un dispositif de soutien prendra en charge la personne, avec la possibilité, c'est déjà arrivé, d'assurer une prise en charge médicale urgente. Le service de soutien psychologique opérationnel comporte des psychologues répartis sur tout le territoire, capables d'intervenir pour traiter des situations particulièrement difficiles, notamment quand des policiers sont blessés ou, pire, tués, pour accompagner l'entourage professionnel et familial. On a aussi confié à une société extérieure le soin d'auditer notre système de prévention contre le suicide pour voir ce que l'on pourrait améliorer.
Enfin, j'en viens à la question de la clef d'étranglement sur laquelle vous m'aviez déjà interrogé lors d'une précédente audition. M. Lauze a rendu son rapport. Je l'ai transmis au ministre, qui m'a demandé de lui faire des propositions d'ici à la fin de l'année, sur la base de ce rapport. Vous comprendrez donc que je ne puisse à ce stade m'exprimer que sur la méthode, tant que le ministre ne sera pas exprimé sur le fond.
M. François-Noël Buffet, président. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. le général d'armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale
M. François-Noël Buffet, président. - Nous auditionnons à présent le général d'armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale. Nous avons souhaité l'auditionner, comme nous en avons d'ailleurs l'habitude, pour évoquer les nombreuses actualités en matière de sécurité intérieure. Nous aurons à examiner prochainement la proposition de loi relative à la sécurité globale, dont nos rapporteurs sont Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé. Le Livre blanc de la sécurité intérieure vient par ailleurs d'être rendu public, et nous nous réjouissons qu'il reprenne quelques préconisations formulées par le Sénat au cours des dernières années. En cette période de profondes mutations, nous souhaiterions avoir votre vision opérationnelle sur les évolutions, notamment législatives, qui sont aujourd'hui sur la table.
Cette audition prend toutefois un tour un peu particulier du fait de l'actualité. Partout, dans la presse, à la télévision, des discussions s'ouvrent sur l'action des forces de l'ordre : certains mettent en cause leurs manières de faire, d'autres leur apportent leur soutien. Dans ce contexte, je souhaiterais recueillir votre avis sur un sujet, celui de la formation des forces de l'ordre et son adéquation aux enjeux auxquelles elles sont aujourd'hui confrontées. Il me semble qu'il s'agit d'une des clés du débat.
Je salue aussi la présence de Mme Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, et de M. Rémy Pointereau et Mme Corinne Féret, qui étudient, pour le compte de la délégation, l'ancrage territorial de la sécurité intérieure.
Général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale. - Dans un contexte qui, depuis déjà un certain nombre d'années, voit se succéder des crises, une hausse de la violence et l'émergence de nouvelles menaces, la gendarmerie nationale a pour rôle de répondre présente, notamment par la mise en oeuvre au quotidien des priorités gouvernementales. Elle doit continuer à se transformer et à s'adapter à son environnement, et ce en lien et en confiance avec les élus, la population et les gendarmes eux-mêmes.
En outre, nous devons entretenir et développer, comme nous le faisons depuis la création de notre maison - qui a un peu plus de sept siècles d'histoire -, toutes les synergies possibles avec l'ensemble des acteurs de la sécurité : la police nationale, la police municipale, la sécurité privée et tous les acteurs qui concourent à la sécurité de la population ; c'est ce que nous appelons le continuum de sécurité. Pour ce faire, nous devons utiliser le levier des nouvelles technologies, dans un cadre juridique adapté, et ainsi gagner en efficacité.
Notre dynamique s'inscrit pleinement dans les dispositions de la proposition de loi relative à la sécurité globale.
Il s'agit d'abord de notre transformation, de notre adaptation à un nouvel environnement et du lien de confiance que nous devons tisser avec les élus, la population et les gendarmes. À ma nomination, voilà un peu plus d'un an, nous avons formalisé tout cela dans une stratégie intitulée Gend 20.24, que nous pouvons résumer par l'axiome suivant : pour la population et par le gendarme.
Notre ambition est d'offrir à la population une protection sur-mesure, qui doit se matérialiser par une priorité donnée au contact, à la proximité et à l'intelligence locale. Il convient par ailleurs de tenir compte des nouvelles frontières qui ont vu le jour, à savoir le numérique, le cyber, l'environnement, la biosécurité et une nouvelle mobilité, et des attentes fortes de l'ensemble de nos concitoyens, dans une société qui bouge en permanence. Nous devons également, bien entendu, assurer nos missions fondées sur le pacte républicain, et continuer notre lutte contre les violences familiales et la haine, pour ne citer qu'elles.
Cette protection sur-mesure, donc, ne sera efficace que si notre action est parfaitement ancrée dans la réalité des territoires, comprise et acceptée par la population. Cela impose que cette offre de sécurité soit locale et systématiquement construite en lien avec les élus et l'ensemble des acteurs locaux.
Nous devons également nous ouvrir vers l'extérieur, éviter d'être complètement ethno centrés, en proposant à nos officiers des référentiels différents et en acceptant dans nos rangs des personnes qui viennent d'autres horizons, pour nous obliger à nous remettre en question, à progresser.
Le gendarme, c'est la vraie richesse de la gendarmerie. C'est lui que la population croise chaque jour sur notre territoire, et non le directeur général de la gendarmerie nationale. Je salue son engagement en tout temps et en tout lieu. Nous l'avons encore vu récemment dans les Alpes-Maritimes.
Cette volonté de placer le gendarme au centre de notre stratégie d'entreprise se matérialise par les éléments suivants : le sens donné à l'action, le recrutement, la formation initiale, la formation continue et la culture. Nous inculquons également aux jeunes qui nous rejoignent la notion d'éthique, une déontologie, ainsi que la valorisation de l'engagement, des compétences et du dialogue interne. Mais aussi la bienveillance et l'accompagnement dans la gestion des ressources humaines.
Je ne suis pas cynique de nature, mais je dirai qu'un gendarme ne peut se sentir bien au travail que s'il se sent bien chez lui. Nous devons donc tout faire pour que les conditions de vie et de travail du gendarme soient les meilleures possible. Cela passe notamment par un accompagnement dans leur parcours, afin qu'ils disposent d'une liberté totale dans leur choix de carrière ; nous devons leur ouvrir le champ des possibles, pour qu'ils puissent, avec leurs proches, comprendre et accepter les bons et les mauvais côtés de ce métier.
Par ailleurs, la valorisation de l'innovation nous oblige, d'une part, à nous transformer, à nous demander en permanence comment faire bouger les lignes. Le premier confinement nous a amenés à changer, de façon considérable, nos pratiques et notre façon de voir les choses. D'autre part, elle nous pousse à reconnaître notre droit à l'erreur dans les territoires. Pour répondre à ce besoin de sécurité, nous devons accepter que des décisions soient prises à l'échelon local, sans attendre une réponse de la direction générale. Cependant, j'attends des chefs sur le terrain que, quand ils se trompent, ils le reconnaissent et proposent d'autres solutions, toujours dans l'intérêt de nos concitoyens.
Je parlais également de la nécessité de placer le gendarme au coeur de la stratégie d'entreprise, afin d'assurer un équilibre entre les compensations et les suggestions. Cet équilibre n'existe que si nous protégeons ceux qui nous protègent. Un certain nombre de mesures ont déjà été prises, ces dernières années. Nous avons consacré, par exemple, 15 millions d'euros pour sécuriser les casernes de gendarmerie. Nous travaillons également sur l'amélioration des protections individuelles et de la protection fonctionnelle - attribuée dans 98 % des cas -, face à la hausse des violences perpétrées à l'encontre de nos gendarmes. La proposition de loi vise, elle aussi, à assurer une meilleure protection de nos personnels.
Pour répondre présente, la gendarmerie doit également entretenir et développer des synergies avec tous les acteurs de la sécurité, dans cette logique de continuum de sécurité. Cette logique de coopération et de partenariat - ou de coproduction de sécurité - n'est pas nouvelle, ces termes sont employés depuis quelque temps déjà.
Face à l'évolution des menaces, à l'augmentation de la violence, aux situations de crise, notre seul objectif doit être de garantir la sécurité de nos concitoyens. Nous devons sans cesse nous poser la question suivante : comment pouvons-nous améliorer durablement la sécurité de la population sur tel territoire ou dans tel domaine ?
Cette réflexion doit être conduite en toute transparence et en lien très étroit avec les élus. Les éléments doivent être objectivés afin de définir, de façon très fine, une offre de sécurité adaptée aux besoins et aux attentes locales.
La crise sanitaire nous a retardés dans ce projet, mais je souhaite que, dans un territoire donné, nous puissions rendre compte au maire de la situation en termes de criminalité, de délinquance et d'incivilités, et lui proposer des solutions adaptées. Les outils numériques nous permettent assez facilement de procéder ainsi. Nous souhaitons que le maire, après discussion, valide le projet établi, que nous le mettions en oeuvre pour, par exemple, deux mois, afin de l'expérimenter, de faire un bilan et de le modifier en fonction des besoins. Associer les élus est indispensable, la gendarmerie ayant vocation à leur rendre des comptes, ainsi qu'à la population. La gendarmerie est au service de la population, sinon elle n'a aucune raison d'exister. Nous expérimenterons ce procédé dans neuf départements que nous avons identifiés.
Dans ce contexte, l'action des polices municipales et de la sécurité privée doit également être valorisée, mais aussi coordonnée et encadrée. C'est indispensable et la proposition de loi présente des solutions.
S'agissant des polices municipales, l'offre de sécurité de proximité qu'elles proposent est désormais incontournable. Elles sont légitimées par les prérogatives et la connaissance du terrain des maires. Cette offre doit être renforcée et catalysée par des actions de partenariat que nous pouvons initier entre nos services réciproques. Déjà, 2 000 conventions de coordination ont été élaborées.
Concrètement, nous travaillons ensemble au développement de bonnes pratiques et sur des sujets d'interopérabilité radio, avec la mise en place notamment d'un centre opérationnel qui dirige les patrouilles vers les endroits où les besoins sont réels. Des patrouilles mixtes, policiers municipaux et gendarmes, ont également été constituées, et dans certaines communes, nous nous sommes engagés à dispenser des formations techniques aux policiers municipaux.
Les polices municipales reflètent toutefois des réalités très différentes. Je rappelle que moins d'une commune sur dix bénéficie, en zone gendarmerie, d'une police municipale. En outre, certaines polices ne disposent que d'un agent, quand d'autres en comptent un grand nombre. Par ailleurs, seulement le tiers des policiers municipaux sont en zone gendarmerie, alors que celle-ci représente 52 % de la population et 95 % du territoire.
Les dispositions contenues dans la proposition de loi vont dans le bon sens, car elles incitent les communes et les établissements publics de coopération communale (EPCI) à se doter d'une police municipale et leur offrent de nouveaux modes d'action, dans une logique de respect des prérogatives régaliennes.
Lorsque j'étais en fonction en Haute-Savoie, nous avons beaucoup travaillé avec la police municipale d'une ville qui fait maintenant partie du Grand Annecy. Cette police ne doit pas être considérée comme la force qui effectue les tâches que les forces de l'ordre régaliennes n'ont pas envie ou n'ont pas le temps de faire. Non, nous devons collaborer, utiliser les compétences des uns et des autres.
De même, la sécurité privée apporte un appui précieux aux gendarmes. D'ailleurs, un certain nombre de nos missions, telles que les gardes statiques, pourraient être effectuées par celle-ci. La sécurité privée, ce sont 200 000 agents. C'est un secteur hétérogène, certes, mais qui doit poursuivre sa structuration afin de contribuer pleinement au continuum de sécurité.
Nous avons mené en région parisienne une expérimentation baptisée Griffon - calquée sur ce qui se fait en Angleterre -, pour laquelle la sécurité privée avait été placée en relais, comme une source d'information au profit des forces régaliennes. D'autres exemples étrangers sont très intéressants et nous permettraient d'être plus performants.
Enfin, je terminerai mon propos liminaire par le levier que représentent les nouvelles technologies, qui, bien entendu, doivent être encadrées juridiquement.
Les missions quotidiennes de nos gendarmes sont de plus en plus complexes et prennent du temps. D'ailleurs, nous ne voyons pas autant de gendarmes sur le terrain qu'il y a trente ans. Un peu par la force de l'habitude, les gendarmes peuvent passer un nombre d'heures important sur des procédures dont nous savons qu'elles ont peu de chance d'aboutir.
En outre, il est important que les gendarmes qui sont sur le terrain patrouillent au bon endroit, au bon moment. Pour cela, nous disposons de nouveaux outils qui nous permettent d'être plus performants.
Je prendrai l'exemple de deux algorithmes que nous expérimentons. Le premier nous permet d'établir des statistiques sur les lieux des cambriolages, afin que nous puissions anticiper et patrouiller sur les lieux potentiels, soit pour éviter un cambriolage, soit pour intervenir plus vite.
Nous avons expérimenté cet algorithme dans onze départements. Les forces de gendarmerie ont amélioré leurs statistiques de trois points, alors même qu'il n'est pas parfait. Nous continuons donc à le développer.
Le second algorithme vise à optimiser la présence des gendarmes la nuit. En effet, nous envoyons de trop nombreuses patrouilles, à de trop nombreux endroits, alors que l'activité ne le justifie pas. Et ce pour une raison simple : une réglementation interne indique que chaque gendarme doit effectuer une patrouille de nuit hebdomadaire.
J'ai commandé la gendarmerie de Corse pendant deux ans et demi, et je puis vous affirmer qu'en hiver, il ne se passe pas grand-chose la nuit. Contrairement à l'été. Et un gendarme qui patrouille la nuit dort le jour. Cet algorithme permet donc de déterminer combien de patrouilles sont nécessaires, à quel endroit et à quel moment.
Prenons l'exemple du département de l'Isère, qui est un grand département, où sont présents 1 400 gendarmes. Grâce à cet algorithme, non seulement moins de gendarmes patrouillent la nuit, mais ils ont amélioré leur performance en réactivité - ils ont pu effectuer des flagrants délits la nuit. Par ailleurs, quarante gendarmes ont pu être dégagés des patrouilles de nuit - ce qui fait plus de monde le jour. Les élus nous ont signalé que, depuis, ils voyaient plus de « bleus », ce qui a certainement évité la commission d'infractions ou de délits. Tout s'est bien aligné : le ressenti des élus, une baisse des cambriolages, des conducteurs qui roulaient moins vite...
Nous expérimentons cet algorithme dans cinquante-cinq départements. L'année prochaine, nous l'utiliserons sur tout le territoire.
Toutes ces mesures visent à renforcer notre présence sur le terrain, afin d'être plus efficaces. En effet, la mission de la gendarmerie n'est pas de courir après les voleurs, mais de faire en sorte qu'il n'y en ait pas. Il n'y a des voleurs que si nous avons échoué dans la prévention de la délinquance. Or la prévention n'est possible qu'avec des gendarmes qui patrouillent.
La gendarmerie fait vivre un maillage de 3 100 brigades et, dès l'avènement de l'informatique, nous avons utilisé des technologies pour que les gens puissent communiquer entre eux. Avant même internet, nous étions capables, à partir d'une Renault 4L équipé d'un terminal, d'envoyer un message depuis la Haute-Savoie vers la Nouvelle-Calédonie de manière instantanée.
Nous continuons à développer notre culture informatique. En 2020, 40 % des officiers recrutés étaient ingénieurs. Et nous souhaitons augmenter cette jauge pour disposer de davantage de scientifiques.
Mais bien évidemment, ces nouvelles technologies doivent être encadrées juridiquement, notamment pour préserver les libertés individuelles.
S'agissant des caméras-piétons, nous les testons depuis quelques années déjà. De l'avis de tous, elles permettent d'apaiser des situations compliquées. Cependant, nous avons eu jusqu'à présent un problème de qualité. Celles dont nous allons doter nos gendarmes l'année prochaine sont plus performantes que les premières que nous avons expérimentées.
La proposition de loi prévoit des dispositions qui non seulement vont sécuriser l'utilisation des caméras-piétons, mais qui vont également permettre aux gendarmes d'exploiter les images captées en temps réel. Exploiter et non modifier.
Le sujet des drones est aussi important. Ils sont un peu les yeux déportés des gendarmes. Ils permettent de renseigner efficacement et rapidement en limitant les risques, et donc d'optimiser la présence des gendarmes au bon endroit, au bon moment.
La richesse de la gendarmerie, c'est le gendarme. Mais la valeur étalon, c'est le temps du gendarme. Notre objectif est de faire en sorte que le temps des gendarmes soit le mieux employé possible pour sécuriser la population.
Nous disposons également d'hélicoptères dotés de caméras, mais le drone est moins cher. Pour les nouveaux modèles d'hélicoptères, l'idée est de changer de capacité ; demain, l'hélicoptère H160 doit nous permettre de projeter des capacités, pour le Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN), le Groupe de recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) de la police nationale et pour les compagnies républicaines de sécurité (CRS). Nous ne souhaitons plus disposer d'hélicoptères capables de filmer.
Concernant les drones, nous avons instauré une doctrine et dispensons une formation de pilote, qui est très encadrée. Le commandement des forces aériennes de la gendarmerie dispose d'une expertise aéronautique. Nous disposons, depuis 2018, de quelque 600 personnels formés et de près 300 drones.
La décision du Conseil d'État du 18 mai 2020 nous a questionnés et a démontré que le cadre d'emploi des drones devait être précisé et sécurisé.
M. Marc-Philippe Daubresse. - Merci de votre présence. Vous avez précisé que l'extension des compétences des agents de police municipale ne doit pas remettre en cause les fonctions régaliennes de la police nationale et de la gendarmerie. Au contraire, elle doit permettre d'augmenter le nombre de constatations, sans modifier les pouvoirs d'investigation de la police nationale et de la gendarmerie.
Nous partageons ce point de vue. Cependant, la proposition de loi est rédigée de telle façon qu'un certain nombre d'éléments opérationnels posent question. Le maire, par exemple, n'est pas sous l'autorité du procureur de la République. De sorte qu'une saisie de stupéfiants ne peut être réalisée sans l'intervention du pouvoir de police judiciaire.
Comment voyez-vous cette articulation ?
Par ailleurs, j'ai été très intéressé par vos propos relatifs aux algorithmes. Je ne suis pas le seul, ici, à penser que de nombreuses choses peuvent se résoudre sans toucher à la République une et indivisible ou au pouvoir régalien. Cependant, les forces de l'ordre ne font pas le même travail en Corse que dans une sympathique campagne résidentielle.
Comment envisagez-vous l'opérationnalité de la coordination entre la police nationale, la gendarmerie nationale et la police municipale ? Tout doit-il être résolu dans des conventions, ou existe-t-il d'autres outils opérationnels ?
S'agissant de la formation, je connais celle de la police nationale et de la gendarmerie, mais je connais aussi celle de la police municipale. Comment former les policiers municipaux avant la prise de leurs fonctions ? Pouvez-vous jouer un rôle plus actif dans cette formation ?
Enfin, je vous poserai une question sur l'article 24 de la proposition de loi. Bien évidemment, je ne vous demande pas de commenter les décisions politiques mais, pour renforcer la protection des membres des forces de l'ordre, pour qu'ils ne puissent être les victimes d'une vengeance, quelle serait, selon vous, la solution, qui ne toucherait pas aux droits à l'information et à la liberté d'expression ?
M. Loïc Hervé. - Mon général, mes questions sont relatives aux drones et aux caméras.
Concernant les drones, pouvez-vous détailler le cadre juridique de leur utilisation ? Pouvez-vous également revenir sur les missions pour lesquelles vous les employez - ainsi que les hélicoptères -, notamment dans le cadre du maintien de l'ordre ?
Par ailleurs, quel modèle de caméra-piéton allez-vous utiliser ? Pouvons-nous imaginer disposer dans l'avenir d'un système européen, ou français, y compris dans sa production ? Nous savons que les premières caméras-piétons utilisées avaient été fabriquées en Asie du Sud-est.
Quelle est la pratique de la gendarmerie en matière de caméras embarquées dans les véhicules ? Souhaitez-vous les voir se développer ?
M. Henri Leroy. - Parmi les 200 propositions du Livre blanc, l'une préoccupe les élus locaux et, de fait, les citoyens. Il s'agit du redéploiement des forces de sécurité sur les territoires.
Le 9 octobre 2020, le Premier ministre, accompagné des ministres de l'intérieur et de la justice, a présenté aux élus de Toulouse Métropole le Livre blanc. La seule réponse des trois élus situés en zone gendarmerie a été : « touche pas à mon gendarme ».
L'expérience d'un redéploiement a été tentée en 2012. Ce qui avait soulevé un tollé et une dissension entre la police nationale et la gendarmerie.
Pensez-vous que ce chapitre « redéploiement » pourrait soulever les mêmes réactions qu'en 2012, ou la méthode est-elle aujourd'hui fondée sur une plus large consultation des maires concernés ?
Pensez-vous par ailleurs, comme certains, que la fusion envisagée de la gendarmerie, de la police nationale et de la police municipale est une solution d'avenir ?
M. Rémy Pointereau. - Monsieur le président, je vous remercie d'avoir convié les membres de la délégation aux collectivités territoriales à l'audition du général Rodriguez, que nous avons déjà rencontré, avec ma collègue Corinne Féret, pour le rapport que nous sommes en train d'élaborer sur l'ancrage territorial de la sécurité intérieure. Notre délégation a déjà approuvé un rapport d'étape, en juillet dernier. Le rapport définitif sera publié au mois de janvier 2021, alors même qu'un débat houleux vient de se tenir à l'Assemblée nationale, s'agissant de la proposition de loi relative à la sécurité globale et du Livre blanc sur la sécurité intérieure.
Mon général, vous avez répondu à un certain nombre de nos préoccupations sur le thème de l'ancrage territorial, et notamment de la relation avec les élus et les citoyens - je pense notamment aux opérations « Voisins vigilants et solidaires ».
Comment pouvons-nous encore améliorer cet ancrage territorial de nos forces de sécurité, notamment avec la gendarmerie ?
La question du partage des zones entre la police nationale et la gendarmerie, sur la base démographique, est-elle encore aujourd'hui opérationnellement pertinente, notamment dans les départements ruraux ?
Enfin, êtes-vous favorable à une montée en puissance de l'échelon intercommunal dans le domaine de la sécurité ? Si oui, selon quelles modalités ?
En complément de ces questions, nous vous ferons parvenir un questionnaire, qui nous sera fort utile pour notre rapport.
Mme Corinne Féret, vice-présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - À mon tour, je voudrais saluer l'excellente collaboration entre nos instances, et nous parvenons aujourd'hui à réaliser une audition conjointe dans un contexte extrêmement chargé pour nos forces de l'ordre. Comme l'a rappelé Rémy Pointereau, nous avons entendu le directeur général en février dernier, lors d'une visite très intéressante au siège de la gendarmerie nationale, à Issy-les-Moulineaux. Les préoccupations de la délégation aux collectivités territoriales rejoignent celles des élus locaux, et le calendrier d'examen de la proposition de loi sur la sécurité globale devrait nous laisser le temps d'achever nos travaux et de formuler quelques recommandations utiles, notamment sur le volet territorial de la sécurité. Dans cette perspective, nous échangerons avec vous, chers collègues et rapporteurs de la commission des lois.
Monsieur le directeur général, je souhaiterais insister sur quatre points essentiels pour notre délégation. Tout d'abord, faut-il faire évoluer le maillage de la répartition entre police et gendarmerie ? De plus, comment rendre plus efficace le renseignement territorial ? Par ailleurs, au sujet des relations avec la population, comment sortir de la défiance et faire de nos concitoyens des acteurs à part entière du continuum de sécurité ? Enfin, et c'est un point essentiel, comment renforcer les relations entre gendarmerie et élus locaux ? Les expérimentations conduites dans neuf départements pourraient-elles être généralisées ?
M. Alain Marc. - Tout d'abord, le fils de gendarme que je suis ne peut s'empêcher de vous dire tout l'attachement que nous avons pour notre gendarmerie, notamment en milieu rural. Mon général, vous avez évoqué la notion de partenariat et, en tant que président de la commission des routes d'un conseil départemental, je tiens à signaler qu'avant d'être supprimé, le dispositif « Réagir » permettait aux élus départementaux d'avoir un retour de la part de la gendarmerie sur les accidents de la route. Ainsi, dans le cas d'accidents liés à la dangerosité des routes, les élus pouvaient décider de l'installation de barrières de sécurité ou de la mise en oeuvre de nouveaux tracés pour certains virages. La culture de l'évaluation manque en France, et ce dispositif mériterait d'être remis en place pour assurer une bonne remontée de l'information et nous permettre d'agir au bénéfice de nos concitoyens.
M. Jérôme Durain. - Mon général, dans les deux premières phrases que vous avez prononcées, se trouvaient les mots « citoyen » et « population ». Les gendarmes appartiennent au paysage local, et la semaine dernière j'entendais un gendarme dire que lui et ses collègues ne souhaitaient ni être floutés ni être cagoulés, qu'ils voulaient être connus et respectés de la population, et avoir sa confiance. Est-ce toujours le cas ou sentez-vous une détérioration des relations comme avec les membres d'autres forces de sécurité ? Auriez-vous des solutions pour généraliser ce qui fonctionne dans la gendarmerie et peut poser problème ailleurs ?
Mme Valérie Boyer. - Monsieur le général d'armée, comme les policiers, les gendarmes ont droit à toute notre reconnaissance, à toute notre considération. Il est nécessaire de le rappeler et de vous féliciter pour votre courage, pour la force, l'abnégation et l'investissement des hommes et des femmes qui combattent jour après jour pour notre sécurité, et contre le terrorisme islamiste. C'est grâce à vous que nous pouvons - hors contexte covid - vivre en paix et en sécurité, nous balader et exercer cet art de vivre français auquel nous sommes tous attachés.
J'aimerais revenir sur le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) sur lequel, à ce jour, 8 132 personnes seraient inscrites. D'ici 2023, 2 540 détenus radicalisés doivent retrouver la liberté au terme de leur peine de prison et, parmi eux, 328 sont classés comme terroristes et se trouvent en prison pour des faits directement liés au terrorisme islamiste, la plupart ayant rejoint Daech en zone irako-syrienne, ou ayant tenté de le faire. Les 2 212 autres sont des détenus de droit commun considérés comme radicalisés, et ils purgent des peines plus courtes. Monsieur le général d'armée, il ne s'agit pas d'une attaque contre le Gouvernement mais je profite de votre présence pour rappeler que l'échelon local ne doit plus, et ne peut plus, être le parent pauvre de l'information en matière de prévention et de lutte contre la radicalisation ; les maires doivent être informés de façon automatique et obligatoire, et non en fonction du bon vouloir des autorités comme c'est souvent le cas aujourd'hui. Pensez-vous que ce dialogue soit aujourd'hui suffisant ?
M. Christian Rodriguez. - Sur la question des pouvoirs des polices municipales, il ne faut pas oublier que le maire est officier de police judiciaire (OPJ) - en tout cas sur le papier -, et qu'un lien de fait existe déjà avec le procureur de la République. Ce qui me semble intéressant dans cette proposition de loi, c'est qu'elle va permettre de faire traiter, par les polices municipales, des petits contentieux du quotidien qui, très souvent, ne pouvaient l'être car la brigade de gendarmerie ne se trouvait pas sur place. Certes, le policier municipal est avant tout sous l'autorité du maire. Mais les ouvertures prévues par la proposition de loi, tout en permettant une meilleure efficacité, préserveront l'équilibre, ce qui me semble important.
Quant à la coordination entre la police, la gendarmerie et la police municipale, elle relève du corps préfectoral, et globalement les choses se passent bien. J'ai des échanges constants avec Frédéric Veaux et nous sommes capables de discuter de tout, d'avancer, et de trouver ensemble des solutions qui nous permettent d'être plus performants. Ainsi, au quotidien, quand une force est en tension ou qu'il se passe quelque chose d'important, les renforcements se font assez facilement sans que nous ayons besoin de remonter à la direction générale, et le préfet fait engager les forces qui sont présentes. Dans Paris, des gardes républicains patrouillent. À Versailles, des réservistes de la gendarmerie sont engagés autour du château, qui est pourtant une zone sous responsabilité de la police. Nos modalités d'action nous permettent donc d'être aussi présents que possible, là où il le faut, sans remettre en question les zones de compétence. Ces sujets sont traités au fil de l'eau et sans difficulté et, quand un problème se pose, le préfet et les deux directeurs généraux se hâtent de le régler.
Les polices municipales se trouvant sur des territoires qui dépendent de la police ou de la gendarmerie, je crois à une coordination au plus près du terrain, et je n'ai pas beaucoup d'inquiétudes à ce sujet. J'en ai d'autant moins que l'on retrouve souvent d'anciens policiers ou d'anciens gendarmes dans les polices municipales, et que bien souvent des policiers municipaux appartiennent à la réserve de la gendarmerie.
Sur la question de la gendarmerie dans les territoires, il est vrai que l'écosystème est un peu particulier. En effet, le gendarme vit dans une brigade, avec sa famille, au coeur du territoire dans lequel il travaille. Il appartient aux mêmes associations de parents d'élèves et aux mêmes clubs de foot que la population. Fils de gendarme, je connais bien cette forme de contrôle social que la population exerce sur le gendarme. Mon fils me dit d'ailleurs souvent que je dois être prudent parce que si les choses venaient à mal se passer, c'est lui qui aurait des difficultés. La police ne fonctionne pas du tout de cette manière-là. Le gendarme est bien identifié et, même si ce n'est pas simple tous les jours, c'est une vraie force.
Pour les formations des policiers municipaux, nous travaillons avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et, de manière directe ou indirecte, on assure déjà des formations et on aide localement dès lors qu'il y a des besoins. La proposition de loi évoque les brigades cynophiles et il y aura vraisemblablement transfert de compétences de la force régalienne vers les polices municipales. Cela se fera facilement et c'est déjà le cas pour les motocyclistes ou les cavaliers, par exemple. De plus, lors de leur formation initiale, il n'est pas rare que les policiers municipaux passent du temps en observation dans des brigades territoriales. Cela existe donc déjà et se renforcera à mesure que les polices municipales seront plus présentes.
Vous l'avez dit, je suis un technicien, et la question posée sur l'article 24 n'est pas tout à fait celle d'un technicien... Aujourd'hui, on peut poursuivre une personne ayant posté la photo d'un gendarme accompagnée des mots « tuez-le ». Mais si ces mots ne sont pas écrits, on ne peut pas poursuivre, même si le gendarme est livré à la vindicte populaire. La loi permettra d'éviter ce genre de faits. Je laisse le débat aux spécialistes, mais il faut vraiment s'intéresser à la protection de nos gendarmes, c'est une nécessité.
En ce qui concerne les drones, le cadre juridique actuel est incertain et en le rappelant, la décision du Conseil d'État nous conduit à nous interroger. Il est temps de clarifier les choses. Les drones ne sont utilisés que depuis peu pour assurer le maintien de l'ordre, et il s'agit de repérer, en direct, si une foule se forme afin de monter en cas de besoin un dispositif de maintien de l'ordre et de bloquer certains accès, ou de repérer des situations de violence nécessitant une intervention. Il ne s'agit donc pas d'identifier quelqu'un au milieu d'une foule ni d'enregistrer les images. Les choses seront plus faciles quand le cadre juridique sera clairement posé.
Les caméras embarquées posent le même genre de difficulté. Officiellement, nous n'en avons pas mais parfois des gendarmes installent une caméra dans leur véhicule pour se protéger. Ainsi, quand ils sont poursuivis pour des violences et que le magistrat demande des explications, ils présentent les images. Comme a dû le dire Frédéric Veaux, c'est un peu du bricolage, même si les tribunaux acceptent ces vidéos et s'en servent pour asseoir leurs décisions. Là aussi, la réglementation doit être clarifiée.
Sur les caméras-piétons, le modèle précédent posait question quant à son système d'accrochage, la durée de ses batteries qu'il fallait changer régulièrement, et l'insertion du code. Tout était un peu compliqué. Le modèle dont nous allons nous doter a été testé par le service des technologies et systèmes d'information de la sécurité intérieure, ne présente plus ni problème de batterie ni problème d'accroche, et il est plus ergonomique que les anciens. Par ailleurs, la proposition de loi prévoit des usages particuliers, ce qui permettra d'avoir des caméras plus performantes. En ce qui concerne les fabricants, je connais une marque venant d'un pays asiatique et une autre venant d'un pays situé à l'ouest de l'Atlantique. Il en existe sans doute d'autres, et l'appel d'offres permettra à tous de proposer un projet.
Au sujet du Livre blanc, j'évoquerai d'abord la question de la répartition entre zones de police et zones de gendarmerie, qui repose sur un article du code général des collectivités territoriales (CGCT), qui pourtant ne recouvre pas exactement ce sujet. En effet, le CGCT précise ce qui est en zone de police d'État. Or, la gendarmerie est une police d'État et, par excès de langage, nous avons considéré que « zone de police d'État » signifiait « zone de police nationale ». L'article s'intéresse aux pouvoirs du maire et à ceux du préfet, selon la zone, notamment en termes de police administrative. L'approche en fonction de la population et du type de délinquance - les deux critères étant cumulatifs - s'appuie donc sur un article qui ne prévoit pas la répartition des zones de compétence entre gendarmerie et police, et repose donc sur une ambiguïté. Ces dernières années, nous avons souhaité trouvé quelque chose de plus adapté et de moins ambigu. Cependant, changer le CGCT reviendrait à faire dire au texte une chose qu'il ne dit pas et, en l'absence d'autre texte sur lequel s'appuyer, nous sommes dans une logique un peu compliquée.
Le facteur de décision doit être la performance générale du dispositif. Des réflexions vont dans ce sens dans le cadre du Livre blanc, et c'est ce que le ministre a dit lorsqu'il l'a présenté à des parlementaires. Nous devons donc nous demander si, sur un territoire donné, nous serions plus performants en agrégeant des communes et en ayant des zones de compétence plus larges, qu'elles soient celles de la gendarmerie ou celles de la police. La performance et le gain pour la population doivent seuls nous guider dans nos réflexions. Il ne s'agit pas de mettre d'accord police et gendarmerie sur un effectif de population ; la sécurité de la population est bien trop importante pour cela. Notre devoir à nous, policiers et gendarmes, est de nous entendre et d'être parfaitement efficaces ensemble. On s'y emploie et globalement de nombreux progrès sont faits, notamment en termes de mutualisation et de coordination. Pour ces raisons, le pragmatisme doit l'emporter sur le dogmatisme, et l'on doit mener des études d'impact pour savoir ce que l'on apporte à la population. Il s'agit aussi de savoir comment les choses se passent dans les communes qui ont connu le transfert de zones de compétence en 2012. J'ai ainsi rencontré quelques maires des communes passées chez nous mais ce n'est pas encore suffisant. La gendarmerie est présente dans 20 des 22 métropoles du pays et dans 16 de ces 20 métropoles, la gendarmerie est majoritaire en termes de territoire couvert, dont la densité urbaine varie. Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire, mais nous devons nous poser ces questions et le sujet est compliqué. Les élus doivent aussi être au coeur de la réflexion.
La question de la fusion entre police et gendarmerie pourrait se poser un jour ; j'ai mon idée sur cette question mais je la garderai pour moi... J'ai répondu plus tôt sur la façon de mieux coordonner l'ensemble des forces, notamment les polices municipales et la force régalienne présente localement.
Améliorer l'ancrage territorial est vraiment la priorité. On a beaucoup d'idées, et on est en train de travailler sur la possibilité de faire tout le travail de la brigade territoriale en mobilité. On va l'expérimenter l'année prochaine et ce que je souhaite, c'est que les gendarmes n'attendent plus les usagers dans la brigade. Cela sera peut-être plus difficile à mettre en oeuvre dans les Alpes-Maritimes ou le Var, dans ces départements où l'activité est très importante mais, dans une bonne partie de nos territoires, on peut tout faire en mobilité. Le gendarme a son NEO, tablette ou ordinateur, et qu'on soit à la mairie ou sur le marché, on peut prendre rendez-vous avec lui pour un dépôt de plainte ou toute autre démarche. Le système lui envoie ensuite une notification pour lui rappeler son rendez-vous, qui peut avoir lieu chez l'usager, à la mairie, à la Poste ou n'importe où. La brigade restera en place et les gendarmes continueront d'y vivre, mais c'est le gendarme qui ira vers l'usager. Au début, il aura une imprimante portable et, dans un deuxième temps, on enverra la procédure signée par courrier électronique. Si la personne n'a pas internet, le gendarme pourra imprimer le papier ou le déposer à la faveur d'une prochaine patrouille. Il s'agit de rénover la proximité, et de la rendre plus riche.
Dans le Limousin et en Corse, on mène une autre expérimentation. Des gendarmes partent pendant trois jours dans un camping-car à la rencontre des populations, dans des territoires sans brigade, dans lesquels on ne voit jamais de gendarmes, parce qu'il ne s'y passe pas grand-chose. Cependant, la population a envie de les voir et sont rassurés par leur présence. Le maire prend rendez-vous et les gendarmes viennent dans leur camping-car sur lequel on lit : « Notre engagement, votre sécurité », ils se garent à la mairie, dorment la nuit à l'hôtel s'il le faut, et passent la journée avec la population. Cela se fera sans toucher aux 3 100 brigades, hormis celles qui vont tomber en ruine, que l'on pourra supprimer mais pour les reconstruire. Nous devons explorer d'autres modèles de proximité tout en maintenant le maillage, qui est vital pour les territoires.
Sur l'échelon intercommunal, il est vrai qu'il réduit le nombre d'interlocuteurs mais ce n'est pas à moi d'en juger. À un moment, nous avons pensé faire correspondre les brigades avec l'intercommunalité mais tout devient alors compliqué et on peut perdre en cohérence. Ce que je souhaite, c'est que chaque maire soit bien connecté à la brigade et puis, si à un moment les intercommunalités fluctuent, on peut recréer des connexions. Évidemment, il faudra que l'on travaille avec vous sur ces sujets-là.
En ce qui concerne la question du renseignement territorial, 15 % de ses effectifs sont des gendarmes. La capacité de synthèse est plus développée dans la police nationale que chez nous, qui sommes les champions des capteurs puisque nous couvrons 95 % du territoire. Nous avons besoin d'une sous-direction qui traite le renseignement parce qu'un chef doit avoir des informations pour bien manoeuvrer, ne pas être aveugle et pouvoir commander au quotidien. Le renseignement territorial, qui reste assez spécifique, doit bénéficier de toutes nos informations. Il y a environ 300 gendarmes au renseignement territorial, les tuyaux sont en place, et les choses se passent très bien. Quand on a un besoin d'un élément, on demande au service central du renseignement territorial et cela fonctionne bien, même si certains grincheux considèrent que c'était mieux avant.
Sur le sujet des relations avec la population, il faut effectivement sortir de la défiance. Sebastian Roché, un chercheur que j'apprécie particulièrement, disait il y a peu que la légitimité de l'action des forces de sécurité était directement liée au lien de confiance existant avec la population. C'est indispensable. On a essayé d'y travailler pendant le confinement avec notre opération « #répondreprésents », en nous rendant auprès des personnes vulnérables, en apportant des médicaments à des personnes âgées qui n'avaient pas de pharmacie à proximité, en téléphonant aux personnes âgées dans les villages, en aidant les maires à distribuer des masques, en apportant leurs cours à des enfants qui n'avaient pas internet ; on a fait autre chose que notre travail quotidien parce que tout le monde était en grande difficulté et cela nous a permis de regagner ce lien de confiance, qui s'était distendu avec le temps. Je suis d'accord avec vous, ce sujet doit être notre première priorité et si vous avez des idées, je suis preneur !
En ce qui concerne l'expérimentation de nos dispositifs pour présenter, expliquer et associer les maires sur la question de la sécurité dans les territoires, je pense qu'elle sera concluante. Nous avons choisi l'expérimentation pour ne pas avoir à imposer le changement en interne. Chacun finira par se rendre compte que c'est une bonne chose, même les gendarmes dans les brigades. Les commandants se diront que leurs relations avec les maires s'améliorent, y compris sur des sujets qui peuvent être délicats. Dès qu'ils seront du même côté de la table et qu'ils travailleront ensemble à apporter la meilleure réponse, ils seront convaincus par le dispositif et alors tout le monde le réclamera. Quand ce sera le cas, on généralisera sûrement, et le plus tôt sera le mieux.
J'ignorais que le dispositif « Réagir » avait disparu et on va le remettre en place. C'est un bon sujet d'échange avec les élus. Merci, monsieur le sénateur d'avoir soulevé ce point.
Enfin, au sujet du FSPRT, c'est l'éternel sujet de la question de l'association des élus. La proposition de loi prévoit d'ailleurs une obligation de renseigner les élus sur certains points. Les maires sont informés de certains sujets mais sur d'autres, le principe de confidentialité reste important. Il y a par exemple des éléments que j'ignore, notamment sur une population qui peut être chez nous. Il faut trouver les bons équilibres et ce n'est pas facile. Je pense avoir répondu à toutes vos questions.
M. François-Noël Buffet, président. - C'est exact, mais Mme Gatel souhaite poser une dernière question.
Mme Françoise Gatel, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation. - Merci, monsieur le président. Général, comme beaucoup de mes collègues, je salue l'excellente coopération qui existe entre la gendarmerie et les élus locaux. Nous vous citons très souvent en exemple sur le mode de coopération que les services de l'État devraient entretenir avec les élus. Je souhaiterais partager une réflexion générale sur un sujet que vous avez vous-même qualifié de complexe. Dans le Livre blanc, on invite à réfléchir à une nouvelle répartition des zonages entre police et gendarmerie, et notamment dans les métropoles que l'on imagine - vous l'avez dit - comme des territoires très urbains et monolithiques, alors que ce n'est pas forcément le cas et que dans la périphérie de certaines se trouvent des communes extrêmement rurales qui ressemblent beaucoup aux communes voisines et sont en fait des bassins de vie transfrontaliers entre métropoles et intercommunalités. Je suis certaine, général, que cette réflexion sera menée en étroite coopération avec les élus, et il faudra effectuer un travail de dentelle. Il faut avoir de l'intelligence territoriale plus que de l'intelligence administrative, qui pourrait sembler plus simple mais n'apporte pas toujours que des solutions.
M. Christian Rodriguez. - Je ne peux qu'être d'accord et on a vu, à la faveur du premier confinement, que la façon dont les populations réagissent est en train de changer. Selon le dernier recensement de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la zone gendarmerie comptait plus de gains de population que la zone police, qui est pourtant la zone la plus urbanisée. On voit bien que la population aujourd'hui cherche plutôt à s'éloigner des centres-villes. Je partage donc votre analyse et, même si cela peut paraître plus compliqué, cela me paraît indispensable.
M. François-Noël Buffet, président. - Merci, mon général. Une dernière observation, sur l'information des maires concernant les personnes fichées S. C'est un débat qui se poursuit et existe depuis longtemps déjà. Notre commission s'est déjà prononcée sur le sujet, dans le cadre d'une mission d'information. Elle avait indiqué que le fichier est d'abord un outil de travail des services de police, qu'il existe plusieurs classifications au sein du fichier, et qu'une personne peut être fichée S sans pour autant être un grand terroriste. La solution privilégiée par notre commission était plutôt de favoriser le lien de confiance entre le maire et son préfet, et l'instauration d'un échange informel reposant sur cette confiance.
Mon général, il me reste à vous remercier de votre présence et des propos que vous avez tenus, à vous souhaiter bon courage, à vous-même ainsi qu'à tous vos gendarmes, et à vous assurer de notre soutien.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 17 h 10, est reprise à 17 h 35.
Audition de M. Jean-Christophe Galloux, candidat proposé par le Président du Sénat pour siéger, en tant que personnalité qualifiée, au Conseil supérieur de la magistrature
M. François-Noël Buffet, président. - En application de l'article 65 de la Constitution, ainsi que de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, nous allons procéder à l'audition de M. Jean-Christophe Galloux, dont la candidature est proposée par le président du Sénat pour exercer les fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), en tant que personnalité qualifiée.
Cette audition est publique et sera suivie d'un vote qui se déroulera à bulletins secrets, comme le prévoit l'article 19 bis de notre règlement, à son issue. Aucune délégation de vote n'est autorisée.
Je vous rappelle que le Président du Sénat ne pourrait procéder à la nomination envisagée si les votes négatifs de notre commission représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Monsieur Galloux, vous êtes professeur agrégé des universités depuis 1991, en droit privé et en sciences criminelles. Vous êtes né le 11 mars 1959 en Bourgogne, dans la belle commune de Beaune. Vous êtes marié et père de quatre enfants. Vous êtes docteur d'État en droit - le jury était présidé à l'époque par le doyen Jean Carbonnier. Vous avez également un diplôme de droit comparé de l'Institut universitaire européen de Florence, et vous êtes avocat. Vous avez plusieurs responsabilités académiques, et avez effectué diverses missions internationales. Vous avez publié plus de 200 articles en français et en anglais, en droit civil, pharmaceutique, des biotechnologies, ainsi que de la propriété intellectuelle.
Vous avez rédigé plusieurs ouvrages, l'un sur le droit de la propriété industrielle, l'autre sur les biotechnologies en France et le prochain, qui devrait paraître au printemps 2021, sur les droits et libertés corporels. Vous êtes inscrit au barreau depuis 1984, et avez, en tant qu'avocat, une activité essentiellement de conseil. Vous avez accompli des actions de formation continue pour les magistrats, et assuré des missions de formation de magistrats étrangers pour le compte de l'École nationale de la magistrature (ENM). Vous avez également une formation à l'éthique et à la déontologie.
Je vous laisse la parole pour compléter mon propos et nous dire comment vous envisagez d'exercer vos fonctions de membre du Conseil supérieur de la magistrature, si notre commission approuvait votre désignation.
M. Jean-Christophe Galloux, candidat proposé par le président du Sénat pour siéger, en tant que personnalité qualifiée, au Conseil supérieur de la magistrature. - Je vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission pour cette audition, et je remercie également le président Larcher de m'avoir fait confiance. J'ai bien conscience de la lourde tâche à laquelle vous pourriez me destiner. Je n'avais pas anticipé cette désignation ; j'y suis malgré tout prêt, cette nomination constituant en quelque sorte un prolongement de mes activités à la fois comme auxiliaire de justice - même si l'activité que j'exerce depuis quelques années ne me permet pas de visiter les nouveaux locaux du tribunal judiciaire de Paris - et comme universitaire.
Depuis presque quarante ans, je lis et commente des jugements, et je côtoie les membres de la magistrature. Mon intérêt pour le corps des magistrats et les missions de la justice est allé croissant avec l'âge ou avec l'expérience. Vous avez rappelé mon curriculum vitae, mais je suis ici en tant que personnalité extérieure, avec le désir d'aider en tant que citoyen à mieux faire accepter et comprendre par nos concitoyens l'autorité particulière de la justice. Cette tâche me tient particulièrement à coeur. Cette mission, je ne la mènerai pas seul, puisque je serai, si vous me désignez à l'issue de cette audition, l'un des 22 membres du CSM, mais soyez assurés que je la remplirai en toute conscience et, surtout, en toute indépendance.
Je veux dire quelques mots au sujet de l'indépendance. J'ai la chance, de par mon statut d'universitaire, d'être indépendant y compris à l'égard des magistrats. Nous sommes habitués à supporter des pressions, qu'elles soient externes ou internes. Je serai le garant de l'indépendance, dans un cadre évidemment plus complexe, des magistrats, et serai très vigilant, comme je l'ai été tout au long de ma carrière, à ne pas être motivé par des sentiments qui me feraient perdre de vue cet objectif.
Vous avez rappelé, monsieur le président, mon attachement à tout ce qui relève de la déontologie et de l'éthique. J'ai mis en oeuvre ces exigences dans d'autres sphères que celle de la magistrature. J'ai été surpris de constater que celles-ci devenaient désormais plus « explicites ». Il a fallu attendre 2016 pour qu'un comité ad hoc soit créé, presque 40 ans après le statut de la magistrature. Cela me rappelle les analyses de Norbert Elias sur la civilisation des moeurs : il arrive un moment où certaines vertus sont moins partagées, reconnues ou intégrées, et il faut alors les écrire pour les rappeler. J'espère que ce n'est pas ce mécanisme qui a été à l'oeuvre pour la création de cet organe, mais je veux dire combien la déontologie, qui est une exigence du quotidien, est absolument essentielle, car c'est elle qui permet de tisser un lien avec les justiciables et avec ceux qui n'appartiennent pas au monde de la justice. La déontologie permet de redonner à la justice ce côté très humain. Les magistrats qui sortent de l'ENM sont des jeunes de 24 ou 25 ans : ils n'ont pas forcément la même expérience que nous, alors même que les exigences deviennent plus importantes.
Certains sujets m'intéressent particulièrement. Je pense au filtrage des plaintes de justiciables qui sont adressées au CSM. Il ne faudrait pas que ce filtrage devienne un barrage. Cette question est assez délicate, et suscite beaucoup d'incompréhensions, voire de critiques.
Il me semble également important de suivre la carrière des magistrats qui sont recrutés par les deuxième et troisième voies. Ils apportent un sang neuf de l'extérieur. Je m'interroge sur leurs parcours dans le cadre de la magistrature, un point sur lequel la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'indépendance de la justice a insisté. Le peu d'informations que nous avons sur ce sujet est d'ordre strictement quantitatif, ce qui ne nous renseigne pas véritablement sur une évolution nécessaire et acceptée par tous les acteurs du corps de la magistrature.
Je répondrai avec grand plaisir à vos questions.
Mme Muriel Jourda. - Vous avez indiqué que l'autorité judiciaire devait être renforcée. Une question se pose à ce sujet, celle de la responsabilité des magistrats. Le CSM est aussi une instance disciplinaire : or de rares sanctions sont prononcées contre les magistrats, ce qui peut faire polémique. On parle même parfois de l'irresponsabilité supposée des magistrats. Qu'en pensez-vous ? Comment appréhendez-vous le rôle du CSM à cet égard ?
Mme Agnès Canayer. - Vous avez un parcours complet et divers. Comment votre double parcours d'avocat et d'universitaire, puis votre pratique de médiateur et d'arbitre peuvent-ils vous être utiles dans l'accomplissement des missions dévolues aux personnalités qualifiées au sein du CSM ?
Comme praticien, et potentiel membre du CSM, quelle est votre vision de l'indépendance de l'autorité judiciaire dans l'exercice concret de la fonction judiciaire par les magistrats ?
Mme Dominique Vérien. - Quelles qualités vous semblent requises pour accéder aux fonctions de chef de juridiction et de chef de cour ? Quelles sont, selon vous, les raisons de la diminution de l'attractivité de ces fonctions constatée depuis plusieurs années, notamment par le CSM ? Quelles pistes pourraient permettre d'inverser la tendance ?
Certains pensent que les regroupements au sein d'un seul tribunal départemental pourraient être une solution. Qu'en pensez-vous ?
Mme Valérie Boyer. - Vous avez parlé de votre attachement à la carrière des magistrats. Quelle analyse faites-vous du phénomène d'hypermobilité des magistrats dans les juridictions ? L'initiative du CSM d'allonger la durée minimale d'exercice des fonctions de deux à trois ans à compter de 2021 vous semble-t-elle aller dans le bon sens ?
Quid du phénomène inverse d'hyperstabilité de certains magistrats, qui peut notamment exister dans les petites juridictions ou en outre-mer ? Nous avons abordé ce sujet à la délégation aux droits des femmes, s'agissant notamment des questions de violences conjugales ou liées à la famille : ces problèmes sont encore plus délicats à traiter quand les magistrats restent très longtemps au même endroit, et que s'y ajoute un phénomène d'isolement lié à l'insularité.
M. Philippe Bas. - Vous avez évoqué la nécessaire indépendance du CSM. Doit-il devenir un contre-pouvoir ? Est-il normal, utile, que le CSM s'exprime, dans le débat public sur la justice, par des communiqués et qu'il prenne des positions publiques ?
M. François-Noël Buffet, président. - François Molins, procureur général près la Cour de cassation et président de la formation compétente à l'égard des magistrats du parquet du CSM, a déclaré, à propos de la décision du garde des sceaux d'ouvrir une enquête administrative contre trois magistrats du parquet national financier, que « l'indépendance de la justice était en danger ».
Dans une tribune publiée avec Mme Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation et présidente de la formation compétente à l'égard des magistrats du siège du CSM, il a évoqué une forme de « déstabilisation » de l'institution judiciaire.
Partagez-vous cette analyse ?
M. Jean-Christophe Galloux. - Je vous remercie pour vos questions.
Vous m'avez interrogé sur l'adéquation de mon parcours aux missions qui sont dévolues au CSM : je l'ai dit, j'y vois un prolongement. Pour être tout à fait honnête, les universitaires qui sont nommés sont traditionnellement soit des publicistes, en particulier des constitutionnalistes - même si le CSM ne traite pas vraiment des questions de droit constitutionnel ! -, soit des spécialistes en sciences politiques, ce qui me semble tout aussi étrange, soit des spécialistes de procédure civile, ce qui est le cas de Natalie Fricero.
Il peut paraître curieux de choisir un spécialiste du droit de la propriété intellectuelle et du droit pharmaceutique. Mais la question n'est pas celle d'une spécialisation dans une branche du droit ; il s'agit de participer à un « conseil », c'est-à-dire d'aider, d'accompagner et parfois de sanctionner. À ce titre, je ne me sens pas a priori moins armé que d'autres. J'ai une bonne connaissance à titre personnel, car je ne connais pas la magistrature en tant que corps, des magistrats - certains sont des amis, dont je recueille les pensées. Cela m'a conduit à une réflexion, qui n'est pas dogmatique, sur l'institution et l'autorité judiciaire, dont j'ai une approche très humaine. Comment les magistrats, confrontés à des difficultés qui ne sont pas endogènes, peuvent-ils être accompagnés pour éviter la critique récurrente du repli sur soi ? Comment leur permettre d'aller davantage au-devant des citoyens, pour améliorer l'acceptabilité de la justice et restaurer la confiance en celle-ci ? Pour aller en ce sens, il n'est pas nécessaire de rédiger de nouveaux textes : il faut surtout mettre en oeuvre de nouvelles pratiques et agir sur le matériel humain. Il faut être, d'une certaine manière, l'interface entre le corps de la magistrature et l'extérieur, faire passer des messages et, inversement, communiquer notre ressenti, nos analyses, à ceux qui nous ont désignés, c'est-à-dire à vous en particulier.
Pour ce qui concerne l'indépendance, j'ai commencé par être avocat pénaliste, comme d'autres qui ont fait de très belles carrières par ailleurs ! J'ai commencé dans le plus petit barreau de province, celui de la Haute-Marne, qui comptait 25 avocats. Je ne suis un apparatchik ni du barreau ni de l'université. Nous savions ce qu'était le travail avec les magistrats. Nous avions tous le même âge, et je jouais au tennis avec le juge d'instruction, ce qui ne l'empêchait pas de prendre des ordonnances qui ne satisfaisaient pas nécessairement mes demandes. Les choses ont beaucoup évolué.
Aujourd'hui, je suis spécialisé dans un domaine très étroit : le droit des brevets, de la propriété intellectuelle. Je n'ai qu'un rôle de conseil. Je suis inscrit au barreau tout simplement parce que je cotise depuis 36 ans et que j'aimerais aller jusqu'à 42 ans ! Cela n'a pas d'impact particulier sur l'indépendance que je peux avoir à l'égard d'un magistrat. Si d'aventure je devais examiner le dossier d'un magistrat entre les mains duquel était passée une de mes affaires, je me déporterais bien évidemment.
L'indépendance me tient vraiment à coeur, mais elle ne doit pas être une sorte de barrage, d'armure, contre la société. Nous ne sommes pas retirés du monde parce qu'on est indépendant ! J'ai l'impression que cette notion d'indépendance est parfois pesante pour de jeunes magistrats.
Le terme de « chef de juridiction » me rappelle mes lointains souvenirs de l'armée ou du scoutisme. Être chef de juridiction, c'est être un chef, pas un comptable ou un manager : on ne dirige pas une juridiction comme une PME. Être chef de juridiction demande d'abord des qualités humaines, davantage que des qualités techniques. On peut comparer avec l'armée : on ne demande pas à un chef de corps d'avoir tel ou tel résultat, mais d'adhérer à un mouvement, de savoir diriger des hommes, de les comprendre, de communiquer avec eux, etc. La dimension humaine est très importante. Il faudrait apporter une inflexion en ce sens.
Je peux comprendre le peu d'engouement pour la fonction de chef de juridiction. D'un point de vue sociologique, la situation n'est pas différente de celle d'autres administrations - je pense aux lycées, aux universités. Passer de simple magistrat à chef de juridiction nécessite de consacrer un temps infini à des tâches qui ne sont pas nécessairement engageantes. On est en première ligne sur beaucoup de choses, et on a une responsabilité supplémentaire, notamment vis-à-vis de la hiérarchie. Lorsqu'on a la passion de juger, on peut regimber à se mettre un certain temps « entre parenthèses ».
Il faudrait que ces chefs de juridiction aient une équipe plus étoffée. Des personnes pourraient les assister et les décharger d'un certain nombre de tâches. La situation est la même chez les directeurs d'établissement qui, pour gagner 30 euros de plus par mois, doivent faire 20 heures de travail ingrat supplémentaire. Pour les aider, il serait envisageable de faire venir des personnels qui ne sont pas de la magistrature, engager de véritables professionnels comme dans les hôpitaux...
Mme Dominique Vérien. - Avec un succès relatif !
M. Jean-Christophe Galloux. - Au moins pour les tâches de base, liées à la machine administrative proprement dite. Cette voie a peut-être déjà été examinée. L'idée, c'est de faire progresser par des tâches administratives des personnes qui ne peuvent le faire par leur simple talent.
Sur la mobilité, nous sommes face à des injonctions contradictoires. Je ne suis pas le premier à le dire. D'un côté, un magistrat, notamment du siège, est statutairement inamovible : s'il ne veut pas changer de poste, il ne bougera pas, avec les conséquences que cela pourra peut-être avoir sur sa carrière ultérieure. D'un autre côté, on voudrait que les postes tournent, et cela bouge trop. Dans certaines juridictions spécialisées, il faut au moins trois, quatre, cinq ans pour être en maîtriser à la fois la technicité de la matière - ce n'est pas parce qu'on est un bon juriste que tout vient de manière immédiate ! - et connaître ses plaideurs, c'est-à-dire le milieu dans lequel on travaille. Si vous êtes juge des enfants à Bobigny, c'est peut-être moins la technicité du droit qui compte que la connaissance des autorités de police et des professionnels de la jeunesse. Faire cela en deux ans, cela me paraît, à titre personnel, difficile. Allonger la durée de deux à trois ans est un pis-aller.
C'est peut-être aussi une question de bon sens : on peut avoir envie de « tourner » plus rapidement entre 25 et 35 ans, mais pas entre 55 et 65 ans. Une carrière, ce n'est pas sauter tous les trois ou quatre ans d'un poste à l'autre. Une réflexion doit être menée. Cela me fait penser au « lit de Procuste » : on allonge ce qui est trop court et on raccourcit ce qui est trop long. Il règne trop de dogmatisme en la matière, mais je sais que les discussions avec la chancellerie n'ont jamais été très simples sur ce point.
Sur la protection des femmes victimes de violences, il est certain qu'un magistrat de mon âge n'a pas la même approche qu'un jeune de 25 ans, pour des raisons liées à la culture et à l'environnement. Pour les magistrats d'outre-mer se pose la question de la durée du poste : si la mobilité n'est pas suffisante, la personne ne se renouvelle plus dans sa manière de juger. Il faut trouver un juste équilibre. Il n'est pas souhaitable de nommer de jeunes magistrats à des postes où ils sont isolés. Lorsqu'on est jeune, on a besoin de collégialité et d'aller dans des « petits » tribunaux, dans lesquels l'expérience humaine est plus importante. Je ne suis pas sûr que l'on y parvienne si l'on a une gestion comptable des effectifs. Le corps comprend 8 500-8 700 personnes, ce qui n'est pas ingérable.
J'en viens à la cinquième question, qui est la plus délicate : le CSM comme contre-pouvoir. Je vais vous faire une réponse de Normand, bien qu'étant bourguignon...
M. Philippe Bas. - C'était une question de Normand, monsieur le professeur !
M. Jean-Christophe Galloux. - D'abord, la magistrature n'est pas un pouvoir, c'est une autorité, sauf à adopter une approche très anglo-saxonne, qui ne correspond pas à notre tradition républicaine. Être un contre-pouvoir n'est donc pas inscrit dans les gènes du CSM. Certes, un pouvoir de nomination, un pouvoir disciplinaire, c'est toujours une sorte de contre-pouvoir, et tout simplement de pouvoir. Mais contre qui ? Pas contre les magistrats. Toute personne qui exerce l'autorité doit être comptable de l'autorité qu'elle exerce, que ce soit dans les urnes, devant une commission de déontologie ou au tribunal. C'est encore plus vrai pour des personnes qui exercent un pouvoir souvent solitaire, et où leur responsabilité, au sens juridique du terme, est - heureusement - très rarement recherchée. Il me paraîtrait malencontreux qu'on élargisse les possibilités de saisine au sens de la responsabilité juridique, sauf fautes très graves. Les affaires qui ont éclaté après Outreau ont montré que l'institution pouvait paraître assez bienveillante à l'égard de fautes commises... C'est au CSM d'exercer pleinement son rôle. On ne doit donc pas renforcer son caractère endogène, d'autant qu'on est arrivé à un équilibre qui semble assez satisfaisant. Les conclusions de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale que j'ai déjà citée sont formulées avec beaucoup de retenue sur cette question.
Cette autorité de contrôle et de sanction est-elle suffisamment exercée ? Les chiffres parlent mal de cette question : 340 saisines, sur des millions de décisions rendues par 8 500 magistrats... Par comparaison, les saisines du Conseil de l'ordre des avocats de Paris, qui concernent 30 000 avocats, sont d'environ 3 000 par an. Mais il existe deux fois plus de raisons de se plaindre de son avocat : outre la question des résultats, il y a celle des honoraires - question qui ne se pose pas à l'égard des magistrats ! En fait, sur les 3 000 saisines par an, deux bons tiers portent sur des questions d'honoraires. Il en reste donc un millier, à comparer aux 340 du CSM. Et le rapport annuel fait état de 70 ou 80 sanctions disciplinaires en cinq ans, qui vont du blâme à la révocation.
Il est clair que quelque chose ne tourne pas rond. Il est tout aussi clair qu'on ne peut pas ouvrir les vannes à n'importe quel type de comportements de quérulents, qui viennent contester le jugement qui a été rendu... Pour autant, il y a une réflexion technique à mener pour maintenir l'indépendance, car être sous le coup d'une forme d'instruction est intolérable pour quelqu'un qui exerce la justice, sans fermer totalement la porte - l'irrecevabilité est tout de même conçue larga manu... La commission de filtrage est composée de quatre personnes, deux magistrats et deux personnalités extérieures, ce qui ne facilite pas la prise de décision, même si je ne dis pas que, systématiquement, les magistrats sont contre et les personnes extérieures, pour. En tous cas, ces chiffres donnent l'impression désastreuse que l'institution se protège.
La déontologie doit être intégrée dans les comportements sanctionnés par le CSM. Mais il y a peut-être des façons de « faire descendre » davantage sur le terrain une forme de contrôle déontologique. Souvent, l'on reproche moins aux magistrats des manquements très importants, qui de toute façon ne passeraient pas, que des attitudes quotidiennes. C'est un peu la même chose qu'avec son médecin traitant ou avec l'hôpital : on se plaint de l'hôpital non pas parce qu'on a été mal soigné, mais parce qu'on a été mal reçu, avec trop peu d'humanité, etc. Voilà une préoccupation qu'on pourrait faire redescendre au niveau des chefs de cour. J'ai été étonné que, dans le comité de déontologie créé en 2016, la remontée d'informations ne soit fondée que sur des avis, assez généraux, et de manière plutôt déconnectée du CSM, même si celui-ci a validé le code déontologique.
D'ailleurs, le parcours des plaintes est assez étrange, puisqu'il passe par le chef de cour, puis par un certain nombre de canaux ; quand le magistrat s'exprime, il le fait au travers du chef de cour ; une copie est donnée au ministère... Le circuit n'est pas des plus évidents ! Pourquoi ne pas ouvrir la possibilité d'une voie de saisine directe du CSM ? Quand j'ai fait mon service militaire, l'une des premières décisions du ministre Hernu était qu'on pouvait lui écrire directement, sans passer par les différents étages de la hiérarchie. Il n'a pas été inondé de demandes de simples soldats... Là aussi, on a l'impression que la machine veut contrôler à tous les niveaux, comme s'il y avait des risques de dérapages. De même, les magistrats ne peuvent pas eux-mêmes se plaindre du comportement d'un autre magistrat ou d'un chef de cour. Il faut que cela passe par des voies extrêmement étonnantes, avant d'arriver au CSM... Tout cela ne reflète pas une volonté de transparence absolue.
Certes, ces questions déontologiques doivent rester dans un cercle restreint, parce qu'il y a des choses qu'on ne peut pas dire, et je ne prêche pas non plus une transparence complète. Une simplification, en tous cas, me paraît nécessaire. D'ailleurs, les moyens d'investigation du CSM sont inexistants. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale y avait songé. De tels moyens sont absolument nécessaires, non tant pour enquêter soi-même que pour enquêter de manière indépendante. En tant que médiateur, j'ai appris qu'il fallait voir les problèmes à la base. Au CSM, on voit les choses au travers des filtres de l'institution. Il est bon d'aller discuter avec des magistrats, surtout quand on vient de l'extérieur, pour apprécier le ressenti et percevoir ce qui ne passe pas au travers de tous ces filtres.
Mme Valérie Boyer. - On parle souvent du secret de l'instruction, quand il est bafoué. J'ai interrogé plusieurs fois l'ancienne ministre de la justice pour savoir quelles étaient les conséquences quand des informations circulent ainsi. Y a-t-il des enquêtes ? Allez-vous travailler sur cette question ? Le secret de l'instruction est régulièrement bafoué et la présomption d'innocence, piétinée. C'est un vrai problème dans le fonctionnement de notre justice, mais je n'ai pas eu connaissance de magistrats qui auraient été sanctionnés, ou même d'enquêtes particulières, y compris en réponse à des questions posées par des parlementaires. Pourquoi et comment de telles informations peuvent-elles circuler ? C'est bien évidemment dans l'intention de nuire ou d'orienter une enquête... Qu'en pensez-vous ?
M. Jean-Christophe Galloux. - Il y a incontestablement une certaine inertie de l'institution à l'égard d'un certain nombre de ces comportements. Sur une affaire assez politique, il y a plus de vingt ans, j'avais été étonné que certains noms se retrouvent dans la presse le lendemain de l'audition. L'une des personnes mentionnées était membre du cabinet où j'exerçais et, comme l'audition n'avait pas été très favorable, à 62 ans, on l'a mis dehors, parce que le cabinet ne voulait pas ce genre de publicité ; il a été blanchi ensuite... Il a voulu savoir par qui l'information avait été diffusée. À l'époque, on utilisait encore des fax. Le numéro de fax était celui du greffe. Il n'y a jamais eu d'enquête, et on n'a jamais trouvé qui était à l'origine de la fuite. En fait, tout le monde avait accès au fax du greffe...
M. François-Noël Buffet, président. - C'est toujours le problème en matière de sources... Je vous remercie. Je vous demande désormais de vous retirer car, sans discontinuer, nous allons procéder au vote.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote et dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de M. Jean-Christophe Galloux, pour siéger, en tant que personnalité qualifiée, au Conseil supérieur de la magistrature
M. François-Noël Buffet, président. - Nous allons à présent procéder au vote, qui se déroulera à bulletins secrets. Je vous rappelle que le président du Sénat ne pourrait procéder à la nomination envisagée si les votes négatifs de notre commission représentaient au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés. Le dépouillement du scrutin aura lieu à l'issue du vote.
La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le président du Sénat, de M. Jean-Christophe Galloux pour siéger, en tant que personnalité qualifiée, au Conseil supérieur de la magistrature.
M. François-Noël Buffet, président. - Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants : 15
Bulletins blancs : 2
Bulletins nuls : 0
Nombre de suffrages exprimés : 13
Pour : 12
Contre : 1
La réunion est close à 18 h 45.
Mercredi 2 décembre 2020
- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -
La réunion est ouverte à 9 heures.
Communications diverses
M. Jean-Pierre Sueur. - Mes chers collègues, je souhaiterais proposer que la commission auditionne le ministre de l'intérieur. Il était certes intéressant d'auditionner le directeur général de la police nationale (DGPN) et le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) hier, mais ces derniers n'ont pas pu s'écarter des propos tenus préalablement par le ministre, ce qui est tout à fait normal.
Par ailleurs, le Parlement va bientôt examiner le projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée - l'Assemblée nationale en est saisie le 8 décembre prochain. Or, à la suite des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), de la saisine de la Cour de cassation et de l'injonction du Conseil constitutionnel, le garde des sceaux est dans l'obligation d'élaborer un projet de loi, avant le 31 mars 2021, relative à la possibilité, pour les détenus, de saisir la justice lorsqu'ils considèrent que leurs conditions de détention sont indignes.
Nous avons appris que le garde des sceaux, conscient que le temps qui lui est imparti est trop court, a l'intention de greffer au projet de loi précité un amendement visant à donner aux détenus la possibilité de porter plainte - il s'agira en fait d'un projet de loi à l'intérieur d'un autre projet de loi. Si cet amendement est examiné le 8 décembre par l'Assemblée nationale, il ne pourra pas en être de même au Sénat. En outre, si la commission mixte paritaire (CMP) est conclusive, nous ne pourrons pas, là non plus, avoir l'occasion d'en débattre. Il s'agit là d'un vrai problème. C'est pourquoi je propose que nous auditionnions le garde de sceaux sur ce point avant la CMP.
Je souligne une fois encore l'effet délétère de la généralisation de la procédure accélérée. La seule solution pour que nous puissions étudier ce texte est que le Gouvernement décide de supprimer cette procédure accélérée. Ainsi, même après plusieurs lectures, ce texte pourrait être adopté au mois de janvier, à savoir dans les temps impartis.
M. François-Noël Buffet, président. - S'agissant des auditions des DGPN et DGGN, elles étaient prévues de longue date. Il n'était donc pas question de les annuler, d'autant qu'elles sont utiles pour l'examen de la proposition de loi relative à la sécurité globale.
Par ailleurs, je n'ai pas voulu convoquer immédiatement le ministre de l'intérieur, que nous avons d'ailleurs entendu la semaine dernière sur le budget, laissant le soin à nos rapporteurs d'avancer sur le texte. Mais je n'exclus pas de le faire ultérieurement. En ce qui concerne le garde des sceaux, l'objectif est bien de l'auditionner avant l'examen du projet de loi relatif au Parquet européen en CMP.
M. Jean-Pierre Sueur. - D'autant qu'il s'agira d'un amendement.
Rappelez-vous les nouvelles dispositions relatives au divorce qui ont été adoptées en CMP, alors même que le Sénat ne les avait pas examinées.
M. François-Noël Buffet, président. - Le garde des sceaux doit en effet répondre à une obligation constitutionnelle énoncée par le Conseil constitutionnel, à savoir la possibilité pour le juge de libérer les détenus qui le saisiront, dès lors que leurs conditions de détention seront considérées comme indignes. C'est bien sur ce point, notamment, que nous l'entendrons.
Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif aux délais d'organisation des élections législatives et sénatoriales
La commission soumet au Sénat la nomination de M. François-Noël Buffet, de Mme Catherine Di Folco, de MM. Philippe Bas, Loïc Hervé, Didier Marie, Éric Kerrouche, et Thani Mohamed Soilihi, comme membres titulaires, et de Mmes Muriel Jourda, Jacky Deromedi, Jacqueline Eustache-Brinio, de MM. Hervé Marseille, Jérôme Durain, de Mme Cécile Cukierman et de M. Jean-Yves Roux, comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif aux délais d'organisation des élections législatives et sénatoriales.
Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif aux délais d'organisation des élections municipales partielles et des élections des membres des commissions syndicales
La commission soumet au Sénat la nomination de M. François-Noël Buffet, de Mme Catherine Di Folco, de MM. Philippe Bas, Loïc Hervé, Didier Marie, Éric Kerrouche, et Thani Mohamed Soilihi, comme membres titulaires, et de Mmes Muriel Jourda, Jacky Deromedi, Jacqueline Eustache-Brinio, de MM. Hervé Marseille, Jérôme Durain, de Mme Cécile Cukierman et de M. Jean-Yves Roux, comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif aux délais d'organisation des élections municipales partielles et des élections des membres des commissions syndicales.
Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée
La commission soumet au Sénat la nomination de MM. François-Noël Buffet, Philippe Bonnecarrère, Jean-Christophe Frassa, de Mme Catherine Di Folco, de MM. Jérôme Durain, Jean-Pierre Sueur et Thani Mohamed Soilihi, comme membres titulaires, et de Mme Jacky Deromedi, de M. Stéphane Le Rudulier, de Mmes Catherine Belrhiti, Dominique Vérien, de M. Jean-Yves Leconte, de Mmes Éliane Assassi et Maryse Carrère, comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée.
Proposition de loi constitutionnelle visant, face à la crise actuelle à construire le monde d'après fondé sur la préservation des biens communs - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons maintenant le rapport d'Arnaud de Belenet sur la proposition de loi constitutionnelle visant, face à la crise actuelle, à construire le monde d'après fondé sur la préservation des biens communs, présentée par Nicole Bonnefoy et plusieurs autres de nos collègues.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. - Mes chers collègues, je commencerai par la fin, en vous demandant de ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle, sans toutefois rejeter la notion même de biens communs.
Cette proposition de loi constitutionnelle, inscrite à l'ordre du jour du Sénat à l'initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est riche d'opportunités. Elle nous donne l'occasion de réfléchir à une notion qui rencontre un écho grandissant dans la société et se trouve relayée par un grand nombre d'acteurs. Il s'agit donc de tenter de la définir et de faire avancer ainsi la jurisprudence constitutionnelle, notamment en matière d'environnement.
Les auteurs du texte partent du constat des défaillances de notre modèle de développement, révélées par les crises écologique et sanitaire, la progression des inégalités sociales et la persistance du chômage. Ils relèvent également l'affaiblissement de la coopération internationale au moment même où l'interdépendance des nations et la nécessité d'une réponse globale à des problèmes mondiaux sont plus évidentes que jamais. Face à ces constats, nos collègues nous proposent un ensemble de dispositions visant, d'une part, à autoriser le législateur à porter plus largement atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre, d'autre part, à « questionner » la notion de souveraineté étatique, en contribuant à l'élaboration d'un « État de droit opposable aux États », ainsi qu'à la transformation de la « souveraineté solitaire des États en souveraineté solidaire ». À cet effet, la proposition de loi constitutionnelle prévoit d'inscrire dans la loi fondamentale les notions de « biens communs » et de « biens communs mondiaux », dont la « préservation » ou le « respect » seraient constitutionnellement garantis - sans qu'il faille les opposer de manière systématique au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre. Seraient par ailleurs consacrés de nouveaux objectifs de valeur constitutionnelle tenant à la protection des sols, à la sécurité et à l'autonomie alimentaires, ainsi qu'un principe de conciliation entre le « respect des biens communs », d'une part, et le droit de propriété et la liberté d'entreprendre, d'autre part.
La notion de « biens communs » peut surprendre, car elle est inconnue dans notre droit. Nous imaginons, bien entendu, que l'air, l'eau, les sols et autres ressources vitales sont concernés. Il existe en revanche, en droit international, une notion de « patrimoine commun de l'humanité », concernant notamment le droit de la mer. La décision du Conseil constitutionnel du 31 janvier 2020 consacre également l'objectif de protection de l'environnement en tant que « patrimoine commun des êtres humains ».
Notre droit connaît, en revanche, les « choses communes », les choses « hors commerce », le domaine public dans ses diverses acceptions, des modes collectifs de propriété privée, ou encore les licences libres. Par ailleurs, il reconnaît à la puissance publique diverses prérogatives pour porter atteinte à la propriété privée à des fins d'intérêt général, telles que le droit d'expropriation, le droit de préemption, le droit d'imposer des servitudes d'utilité publique ou encore la soumission de certaines activités à un régime d'autorisation ou de déclaration.
Un grand nombre de catégories et d'institutions juridiques peuvent en principe être mobilisées pour construire des régimes visant à protéger certaines ressources et en garantir l'usage partagé.
Cela n'interdit pas de consacrer, en droit, la notion de « biens communs », à condition de déterminer quels effets juridiques seraient attachés à cette qualification. Le rapport rendu en 2008 par la commission Rodotà, en Italie, fournit, à défaut de définition transposable des « biens communs », des pistes de réflexion. Nous pourrions envisager les « biens communs » comme des « choses matérielles ou immatérielles dont l'usage et la jouissance sont nécessaires au plein exercice de droits et de libertés constitutionnellement garantis ». Néanmoins, une fois que nous aurions dit cela, nous n'aurions pas tout dit...
La notion de « biens communs » est avant tout une notion économique, son appréhension a été profondément renouvelée, à partir des années 1980, par les travaux d'Elinor Ostrom. Celle-ci a montré comment des communautés de taille limitée parviennent à organiser la gestion de certaines ressources communes - pêcheries, systèmes d'irrigation, nappes aquifères, prairies, forêts - de manière que tous les membres de la communauté puissent y accéder, dans une mesure plus ou moins étendue, sans que la ressource s'épuise. Cette gestion repose sur la mise en place, par les utilisateurs eux-mêmes, d'un système de règles socialement sanctionnées. Les analyses d'Elinor Ostrom ont ainsi remis en cause la thèse fameuse de la « tragédie des communs ».
À compter des années 1990, au moment même où le droit de la propriété intellectuelle connaissait un essor sans précédent, une réflexion théorique s'est également développée sur les « communs de la connaissance », qui a donné lieu à des mouvements tels que ceux des « logiciels libres » ou des « semences libres ».
La notion de « communs » ou de « biens communs » a par ailleurs été mobilisée au service de multiples causes militantes, en vue de combattre les méfaits réels ou supposés de politiques d'inspiration néolibérale.
Cette notion peut-elle être consacrée en droit, et à quelles fins ? La réponse à cette question appelle un travail apaisé.
Le Conseil constitutionnel a pris quelques décisions souvent présentées comme excessivement favorables au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre. En réalité, il recherche un équilibre entre les diverses exigences constitutionnelles, au moyen d'un contrôle de proportionnalité.
Dans sa décision du 8 décembre 2016, le Conseil Constitutionnel s'est prononcé sur le « reporting fiscal pays par pays » institué par la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Dans le prolongement de sa jurisprudence antérieure, il a estimé que « l'obligation faite à certaines sociétés de rendre publics des indicateurs économiques et fiscaux correspondant à leur activité, pays par pays, est de nature à permettre à l'ensemble des opérateurs qui interviennent sur les marchés où s'exercent ces activités, et en particulier à leurs concurrents, d'identifier des éléments essentiels de leur stratégie industrielle et commerciale ». Le Conseil constitutionnel a donc jugé que ces dispositions portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et devaient être déclarées contraires à la Constitution.
En l'espèce, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est assez prudente. Elle n'interdit pas au législateur de prendre des dispositions, même attentatoires aux droits et libertés économiques, pour lutter contre la fraude fiscale. L'apport des nouvelles dispositions par rapport au droit en vigueur était, selon le juge, non indispensable à la réalisation de l'objectif constitutionnel de lutte contre l'évasion fiscale, alors même qu'il apportait une atteinte substantielle à la liberté d'entreprendre.
La seconde décision, du 16 mars 2017, n'a pas fermé la porte à ce que le droit de préemption des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) soit étendu ou à ce que d'autres dispositions affectant les droits des propriétaires fonciers soient adoptées par le législateur, en vue de satisfaire à des objectifs d'intérêt général. Le Conseil constitutionnel exige simplement que ces objectifs soient clairement énoncés et que les dispositions adoptées permettent effectivement de les atteindre.
En outre, on assiste depuis quelque temps à un « verdissement » de la jurisprudence constitutionnelle.
Depuis l'entrée en vigueur de la Charte de l'environnement, un abondant contentieux a permis de mieux cerner le contenu et la portée juridique de ses dispositions, bien que son potentiel normatif ne soit sans doute pas totalement épuisé.
À cet égard, permettez-moi de mentionner la décision du Conseil constitutionnel du 19 juin 2008, qui a reconnu une pleine valeur constitutionnelle à l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement, ainsi que celle du 10 novembre 2011, qui a reconnu la valeur constitutionnelle du préambule de la Charte, de manière indirecte et à l'occasion d'une décision relative au secret de la défense nationale.
L'ensemble des droits, devoirs et principes inclus dans la Charte de l'environnement sont invocables dans le cadre du contrôle a priori de la constitutionnalité des lois. Les articles 1er à 4, relatifs au droit à l'environnement et aux devoirs correspondants, ainsi que l'article 7 sont également invocables dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC).
Le Constituant serait néanmoins dans son rôle en intervenant, soit pour clarifier certains principes et objectifs constitutionnels, soit pour en fixer de nouveaux, et donner ainsi au Conseil constitutionnel de nouvelles bases pour procéder à son travail de « mise en balance ». Il s'agirait ainsi de conforter ce « verdissement » jurisprudentiel, voire de l'anticiper, afin d'accélérer la prise en compte des enjeux liés à la protection de l'environnement.
S'agissant des droits et obligations substantiels définis par la Charte de l'environnement, la jurisprudence du Conseil constitutionnel s'est élaborée progressivement. Elle a parfois été décevante pour certains, mais les décisions rendues au cours des derniers mois semblent marquer un infléchissement.
Dans sa décision du 20 décembre 2019 relative à la loi d'orientation des mobilités, le Conseil a accepté pour la première fois de contrôler la conformité à la Constitution de dispositions de programmation, dénuées en elles-mêmes de valeur normative, en prenant pour norme de référence le droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé, énoncé à l'article 1er de la Charte.
Le 31 janvier 2020, il a érigé en objectif de valeur constitutionnelle la protection de l'environnement en tant que « patrimoine commun des êtres humains ». C'est la première fois que le Conseil prend aussi nettement appui sur le préambule de la Charte, en y reconnaissant une nouvelle exigence constitutionnelle.
Par ailleurs, l'érection de la protection de l'environnement en objectif de valeur constitutionnelle, alors qu'elle n'était jusqu'à présent reconnue que comme un simple objectif d'intérêt général, a pour effet d'élargir la marge d'appréciation du législateur lorsqu'il concilie cet objectif avec d'autres exigences constitutionnelles.
Une portée extraterritoriale est, en outre, conférée par cette décision à cette nouvelle exigence constitutionnelle, au motif que l'environnement est le « patrimoine commun des êtres humains ». En l'espèce, il a été jugé que le législateur n'avait pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre en faisant obstacle à l'exportation de produits phytopharmaceutiques non approuvés par l'Union européenne. Cela témoigne du fait que nos actes locaux ont un impact au-delà des frontières, dans ce monde aux enjeux globalisés.
Néanmoins, la jurisprudence reste lacunaire sur certains points, ce qui laisse toute sa place à une nouvelle intervention du Constituant. S'agissant du principe de non-régression, le Conseil constitutionnel sera amené à se prononcer prochainement. Il lui appartiendra de consacrer ce principe - ou pas. Le principe de précaution demande également à être clarifié.
Je voudrais enfin dire un mot des « biens communs mondiaux » et de leur relation avec la souveraineté de l'État.
Les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle souhaitent contribuer à l'édification d'un nouveau modèle de gouvernance mondiale fondé sur la souveraineté solidaire, voire sur un état de droit opposable aux États. À l'évidence, le renforcement de la coopération internationale, l'accroissement des obligations des États, la consolidation de leur responsabilité juridique internationale, voire la mise en place de nouveaux mécanismes de décision au niveau mondial n'impliquant pas l'unanimité des États, reposent avant tout sur la négociation et la conclusion de nouvelles conventions internationales.
Toutefois, une révision de la Constitution française ne serait pas nécessairement dénuée de tout effet juridique à cet égard. De nouvelles exigences de fond relatives à l'action de la France dans le monde pourraient servir de base au contrôle de constitutionnalité de nos engagements internationaux. Elles pourraient également être opposables aux actes de droit interne, dans la mesure où ceux-ci ont des conséquences globales, dans la lignée de la décision du Conseil constitutionnel du 31 janvier 2020.
Pour produire de tels effets juridiques, les nouvelles dispositions constitutionnelles devraient avoir un contenu suffisamment clair et précis. C'est une tâche qui appartient au Constituant.
J'espère donc que cette notion de « biens communs » a suscité votre intérêt, grâce à l'initiative de Nicole Bonnefoy. Un travail mérite d'être mené sur sa traduction juridique. J'ai d'ailleurs évoqué quelques pistes de réflexion avec les auteurs de la proposition de loi, au cours des travaux préparatoires.
Peut-être manque-t-il dans notre Constitution une section regroupant les dispositions de fond, notamment les objectifs de valeur constitutionnelle. Pour ne pas encombrer l'article 1er, d'autres articles pourraient être ajoutés à sa suite. Le préambule pourrait également être complété afin de faire référence à la contribution de la France à la préservation des « biens communs mondiaux ». À l'article 34, la compétence du législateur pour « déclarer » les biens communs - c'est-à-dire en fixer la liste - et pour en déterminer le régime pourrait être affirmée.
J'ai conscience de vous proposer une méthodologie collective inhabituelle, puisque j'encourage le travail à se poursuivre sur cette notion, tout en vous invitant à rejeter son véhicule actuel qu'est la proposition de loi constitutionnelle. Mais je ne doute pas que l'intelligence collective prévaudra. Le texte qui nous est soumis est inabouti, mais les objectifs méritent d'être partagés et nous ne saurions exprimer une hostilité brutale.
M. Jérôme Durain. - Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour votre travail, dans lequel vous avez mis beaucoup du coeur, d'énergie et de réflexion. Nos échanges ont été très constructifs.
Évidemment, nous restons au milieu du gué, puisque vous demandez à la commission de rejeter ce texte, ce dont nous ne pouvons nous satisfaire. Cependant, inciter la commission à se pencher sur la notion de « biens communs » est, pour nous, une première victoire. Je ne doute pas que vous irez plus loin dans vos propositions.
J'ai noté que certains collègues avaient haussé les épaules lors de l'énoncé de l'intitulé du texte, notamment des termes « le monde d'après ». L'emphase, la grandiloquence du propos peut effrayer, mais le sujet est loin d'être exotique, et Nicole Bonnefoy ne prend pas de substances hallucinogènes... Au contraire, notre collègue est extrêmement opiniâtre, sérieuse et travaille dans le concret. D'ailleurs, un certain nombre de ses propositions de loi ont été adoptées, parce qu'elles sont ancrées dans la réalité.
La thématique des biens communs est tout à fait documentée, elle a donné lieu à un travail intellectuel et juridique solide. Les auditions que nous avons menées attestent qu'il s'agit d'une thématique émergente. Or le Sénat a été, ces dernières années, à la pointe des conquêtes juridiques les plus importantes. À titre d'exemples, je mentionnerai le travail de notre collègue Retailleau sur le préjudice écologique, celui de notre collègue Bonnefoy sur l'indemnisation des victimes de produits phytosanitaires, ou encore le texte relatif à l'écocide, même s'il a été rejeté. Le Sénat joue un rôle prospectif très particulier.
Je vous rappelle également la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. Notre collègue Christophe-André Frassa, rapporteur, avait fracassé ce texte avec toute la rondeur que nous lui connaissons, puisque ses trois articles avaient été supprimés. À l'autre bout de la planète, au Bangladesh, où je suis allé visiter une usine textile, j'ai pourtant pu constater que le petit bout de droit que nous avions modifié produisait des effets au quotidien. Nous ne sommes donc pas dans un débat philosophique, nous agissons concrètement sur la vie des personnes. S'agissant de la notion de « biens communs », c'est bien cet objectif qui est poursuivi.
Nous ne devons toucher à la Constitution qu'avec une main tremblante, mais l'implication de Nicole Bonnefoy est justifiée par l'expérience. Nous constatons qu'ont été censurées, ces dernières années, au nom de la liberté d'entreprendre, des dispositions importantes relatives au reporting fiscal, ou encore à la protection et au partage du sol face à la spéculation foncière. Aucun d'entre nous ne conteste la liberté d'entreprendre, mais elle peut et doit s'articuler avec d'autres principes.
La notion de « biens communs » nous permettrait, sans doute, de contourner ce type d'écueil. Il s'agit d'une réflexion qui n'est pas franco-française, puisqu'en Italie la commission Rodotà, chargée d'introduire dans le code civil italien la notion de « biens communs », a permis d'engager un débat juridique.
Après les travaux pionniers de Stefano Rodotà, une définition des « biens communs », qui seraient ceux qui contribuent aux droits fondamentaux et au libre développement de la personne, qui doivent être soustraits à la logique destructive du court terme, y compris au bénéfice des générations futures, n'est pas quelque chose de fantasque. Le constat de la finitude des ressources, la nécessité d'effectuer un travail collectif supranational nous paraissent déterminants. Ce débat ne concerne pas qu'un pays ni qu'un parti.
Je terminerai mon propos par une citation. « Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d'autres est une folie. » Ces mots sont ceux du Président de la République. Vous constatez donc que la notion est partout présente, et nous pouvons espérer que, durant le débat en séance, nos arguments finiront par convaincre certains d'entre vous.
M. Jean-Yves Leconte. - Limiter la liberté d'entreprendre pour préserver le bien commun qu'est la santé, c'est ce que l'ensemble de la planète essaie de faire aujourd'hui. La question est donc de savoir si nous devons en rester à la situation actuelle ou, compte tenu de ce que nous constatons, faire évoluer le droit pour encadrer davantage certains principes.
Nous constatons que notre modèle de développement est encore fondé - nous n'avons pas encore fini la transition néolithique - sur une certaine prédation des ressources naturelles, allant au-delà des capacités de régénération de la planète. Par conséquent, nous avons besoin de régulation, car nous ne pouvons pas faire face à cette situation en nous reposant sur l'idée que l'innovation nous permettra de courir plus vite. La question est donc posée et de plus en plus souvent, notamment pour la santé, le climat et la biodiversité.
La gouvernance mondiale actuelle n'est pas en mesure de faire face à la pandémie et aux défis organisationnels et scientifiques qu'elle implique. Par conséquent, nous avons besoin de prévoir des organisations différentes.
Répondre à ces questions au niveau national ne fonctionne pas. Si nous le pensons, au nom d'une souveraineté factice, nous perdons toute capacité d'agir. Sur ces enjeux, la souveraineté ne peut être que partagée. C'est la raison pour laquelle nous devons consacrer cette notion de « biens communs » et mettre notre pays au service de leur protection. La proposition de loi constitutionnelle n'est pas simplement une affirmation de ce principe. Sinon, nous déléguerions au juge constitutionnel le soin de placer le curseur là où il le souhaite. Les articles 2 et 3 donnent bien au législateur compétence pour fixer des bornes à la liberté d'entreprendre au nom de la défense des biens communs.
Ce texte n'a certes guère de chances de prospérer. Lançons toutefois le débat sans le tuer dans l'oeuf. Ce serait une bonne chose compte tenu des enjeux.
Mme Cécile Cukierman. - Nous pouvons entendre les arguments avancés par le rapporteur, mais nous poursuivrons ce débat en séance, nous devrons déterminer jusqu'où le champ du politique est ouvert.
Je ne m'oppose pas à cette proposition de loi constitutionnelle, même si, sous cette appellation de « biens communs », on désigne finalement, en partie du moins, les services publics qui ont été fortement mis à mal ces dernières années par les gouvernements successifs. Face à cette crise sanitaire et à la crise économique et sociale qui en découle, je ne sais pas si nous devons inventer le monde d'après, mais nous devrions au moins sécuriser ce que le monde d'avant a fragilisé, au nom de la loi du marché.
Les changements devront-ils se faire au sein d'un pays ou à l'échelle mondiale ? Cette question a animé les débats de la gauche pendant un siècle et demi. Je crois simplement qu'il convient de faire ce qui peut être fait à chaque niveau ; c'est parfois par des petits pas que les choses avancent. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous me confirmer que cette proposition de loi constitutionnelle sera débattue en séance ?
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. - Oui, ce texte sera examiné en séance dans sa rédaction initiale.
Mme Marie Mercier. - Je remercie le rapporteur pour son travail de fond, très précis. Il est vrai que, lorsque nous lisons le titre, nous ne pouvons que souscrire à l'idée de protéger des « biens communs » : qui serait contre ? La question est de savoir quels moyens on emploie. Rappelons-nous le texte sur l'écocide, dont j'étais rapporteur. On ne peut qu'être favorable à la préservation de la terre et de notre système environnemental. Il n'en demeure pas moins que le dispositif était inadapté !
La protection des biens communs relève davantage de la théorie économique que du droit constitutionnel.
M. Arnaud de Belenet, rapporteur. - Nos échanges illustrent bien la difficulté à définir et à cerner la notion de « bien commun ». L'expression est employée au singulier comme au pluriel, nous y mettons des notions liées à l'environnement - climat, eau, biodiversité -, mais nous pouvons aussi être tentés d'y associer les services publics, ou encore la santé. Lors des auditions, certains ont évoqué la relation à la mort, la spiritualité, la pérennité de notre civilisation... C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas inscrire ces termes dans la Constitution sans les avoir préalablement définis avec clarté et précision. La preuve en est qu'au cours de nos échanges, l'auteure de la proposition de loi s'était inquiétée d'une proposition de définition qui, selon elle, aurait pu être interprétée comme laissant libre cours à l'action d'un exécutif peu soucieux de l'État de droit et des libertés publiques...
Ne perdons pas non plus de vue que c'est à une véritable révolution anthropologique qu'en appellent certains promoteurs des « biens communs », qui veulent rompre avec l'anthropocentrisme. Avant de toucher à la loi fondamentale, non seulement nous avons besoin d'une expertise complémentaire, mais une participation plus large du corps social est indispensable.
Quelles peuvent être les modalités de ce travail ? Ce n'est pas au modeste rapporteur que je suis de les définir, mais si nous nous accordons sur l'objectif, nous aurons parcouru une partie du chemin.
De mon point de vue, nous n'avons pas à laisser la main au Conseil constitutionnel. Il appartient au Parlement de dire la volonté du corps social.
En l'état, le texte pose un certain nombre de difficultés de forme et de fond, mais l'amender n'aurait servi à rien, sans définition et travail préalables.
M. François-Noël Buffet, président. - Monsieur le rapporteur, je vous remercie de votre travail.
La proposition de loi constitutionnelle n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi constitutionnelle déposée sur le Bureau du Sénat.
Proposition de loi visant à supprimer la possibilité ouverte au dirigeant d'une entreprise de déposer une offre de rachat de l'entreprise après avoir organisé son dépôt de bilan - Examen du rapport et du texte proposé par la commission
M. François-Noël Buffet, président. - Nous passons à l'examen de la proposition de loi visant à supprimer la possibilité ouverte au dirigeant d'une entreprise de déposer une offre de rachat de l'entreprise après avoir organisé son dépôt de bilan.
Mme Claudine Thomas, rapporteure. - La proposition de loi visant à supprimer la possibilité ouverte au dirigeant d'une entreprise de déposer une offre de rachat de l'entreprise après avoir organisé son dépôt de bilan, qui a été déposée par notre collègue Sophie Taillé-Polian le 21 septembre dernier, a pour objet principal d'abroger l'article 7 de l'ordonnance du 20 mai 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles aux conséquences de l'épidémie de covid-19. Cet article a temporairement assoupli la procédure permettant aux dirigeants d'une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, ou à leurs parents ou alliés ainsi qu'à ceux du débiteur personne physique, de présenter une offre d'achat partiel ou total de l'entreprise. Ce dispositif est temporaire : il ne s'applique que jusqu'au 31 décembre 2020.
Le code de commerce interdit en principe au débiteur, à ses dirigeants ou à leurs parents ou alliés de se porter acquéreurs d'une entreprise en difficulté dans le cadre d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Cette interdiction s'explique par un souci bien légitime de « moralisation » de la vie des affaires. Il s'agit d'éviter, d'une part, la fraude aux intérêts des créanciers, c'est-à-dire que le débiteur ou le dirigeant ne conserve directement ou indirectement tout ou partie des actifs de l'entreprise, alors même qu'il se serait délesté du passif ; d'autre part, la fraude à l'assurance contre le risque de non-paiement des créances salariales.
En revanche, contrairement à ce que nous entendons parfois dire, cette interdiction n'est pas destinée à protéger les salariés eux-mêmes contre un détournement de la procédure de licenciement, car les formes prévues par le code du travail pour tout licenciement pour motif économique doivent être respectées.
Le droit commun prévoit des dérogations à cette interdiction, à l'article L. 642-3 du code de commerce en faveur d'abord des exploitations agricoles, ensuite, et sous de strictes conditions procédurales, des autres entreprises : le tribunal ne peut ordonner leur cession à l'un des dirigeants, à un allié ou un proche de ceux-ci ou du débiteur personne physique que sur requête du ministère public, par un jugement spécialement motivé et après avis des contrôleurs.
Dans les faits, l'exigence d'une requête préalable du ministère public impose aux dirigeants, proches ou alliés, qui souhaitent reprendre l'entreprise de lui soumettre un projet suffisamment abouti bien avant l'expiration du délai imparti aux candidats repreneurs, ce qui peut être difficile. Cette dérogation reste d'ailleurs assez peu employée. Elle n'en a pas moins révélé son utilité dans les cas où les offres d'acquisition présentées par des tiers sont, soit inexistantes, soit insuffisantes au regard du triple objectif de maintien des activités, de préservation des emplois et d'apurement du passif qui caractérise tout plan de cession.
L'assouplissement prévu par l'ordonnance est d'ordre procédural : il permet au débiteur ou à l'administrateur de former lui-même une requête en vue d'une offre de rachat, sans exiger que le ministère public la reprenne à son compte.
Ce dispositif a suscité beaucoup d'émoi en raison d'une poignée d'affaires qui ont défrayé la chronique et qui sont à l'origine, sans doute, de cette proposition de loi. Il est, toutefois, très encadré : outre que le jugement doit être spécialement motivé et rendu après avis des contrôleurs comme le droit commun l'exige, l'ordonnance rend obligatoire la présence du ministère public à l'audience, au cours de laquelle il peut présenter des observations et, le cas échéant, interjeter appel. En outre, comme c'est toujours le cas en matière de procédures collectives, l'appel du parquet est suspensif.
Au surplus, les conditions de fond régissant le choix du cessionnaire par le tribunal demeurent : l'offre choisie doit être celle qui satisfait le mieux aux trois objectifs de maintien des activités, de préservation des emplois et d'apurement du passif.
Cet assouplissement, comme nous l'ont précisé les services de la chancellerie, a été motivé par deux raisons très pragmatiques qu'il est difficile de contester. La première est d'ordre économique : on pouvait craindre que les repreneurs potentiels ne soient beaucoup moins nombreux qu'habituellement dans un contexte économique très incertain. La seconde est d'ordre moral : les dirigeants d'entreprises mises en difficulté par la crise sanitaire n'en portant aucunement la responsabilité, il peut paraître légitime de leur permettre de présenter plus facilement une offre de reprise.
En outre, un examen attentif de la jurisprudence montre que les tribunaux ont fait un usage prudent de cette possibilité, le plus souvent avec l'assentiment des organes de la procédure, des salariés et du parquet, et au vu de l'ensemble des circonstances de chaque espèce.
Par exemple, dans le cas de la société Camaïeu, le tribunal de commerce de Lille a retenu l'offre présentée par la Financière immobilière bordelaise plutôt que celle d'un consortium dont faisait partie le dirigeant de Camaïeu, en raison principalement de l'opposition du comité social et économique à cette dernière offre, justifiée notamment par le nombre légèrement plus faible d'emplois repris, et alors même que les administrateurs, les mandataires, les contrôleurs et le parquet plaidaient en faveur de l'offre du consortium.
Dans ces conditions, et après avoir entendu les acteurs concernés, je considère que la disposition critiquée ne mérite ni excès d'honneur ni excès d'indignité. En tout état de cause, il ne me paraît pas nécessaire de l'abroger, alors qu'elle est en vigueur jusqu'au 31 décembre prochain seulement. Au demeurant, cet exercice me semble un peu vain, car ce texte aurait très peu de chances d'être définitivement adopté avant cette date...
Prolonger l'application de cette mesure d'assouplissement procédural aurait pu d'ailleurs avoir du sens, éventuellement sous une forme modifiée pour dissiper toute crainte d'abus, par exemple en en subordonnant expressément le bénéfice à l'absence de toute faute de gestion de la part des dirigeants. Les difficultés des entreprises risquent d'exploser en 2021 en raison de la crise sanitaire, notamment pour ce qui concerne nos petites et moyennes entreprises, et ce dispositif aurait peut-être pu leur être utile... Les syndicats de salariés que nous avons entendus se sont d'ailleurs montrés plus ouverts à un dispositif ciblé.
Toutefois, telle n'est pas l'intention du Gouvernement d'après ce que le cabinet du garde des sceaux nous a indiqué.
Au moins l'ordonnance aura-t-elle permis aux acteurs économiques, aux praticiens des procédures collectives et aux parquets d'être désormais pleinement sensibilisés à la nécessité de faciliter les cessions d'entreprises, y compris à leurs dirigeants si cela s'avère opportun, et mieux informés des souplesses prévues par le droit commun.
Pour l'ensemble de ces raisons, je vous propose de rejeter cette proposition de loi. En application de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique porterait alors sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
Mme Nathalie Goulet. - La proposition de loi trouve son origine dans une série d'affaires qui ont défrayé la chronique. Le dispositif aurait dû être encadré. On comprend bien que des procédures d'urgence aient été prises durant les trois premiers mois de la crise sanitaire, mais en l'occurrence, aucun garde-fou n'a été prévu, ce qui a créé des effets d'aubaine massifs inacceptables. Je comprends l'initiative de Mme Taillé-Polian.
Pour le Gouvernement, c'était « pas vu pas pris »... Il faudrait être certain que ce dispositif s'arrêtera bien le 31 décembre prochain.
M. Jean-Pierre Sueur. - Notre groupe votera cette proposition de loi, qui n'a certes qu'une dimension symbolique, car il est impossible qu'elle soit adoptée avant le 31 décembre 2020, date à laquelle l'article 7 de l'ordonnance du 20 mai 2020 cessera de s'appliquer. Par ailleurs, le cabinet du garde des sceaux a fait savoir à Mme la rapporteure que la mesure ne serait pas prorogée, ce que craignait Mme Taillé-Polian.
Néanmoins, certaines situations ont provoqué des incompréhensions et des protestations. En effet, il était possible qu'une personne mette en faillite son entreprise, fasse prendre en charge par la puissance publique un certain nombre de dépenses, notamment le paiement des salaires, puis qu'elle rachète ce qui reste de l'entreprise. Cette méthode paraît choquante, et les organisations syndicales nous ont fait part d'un certain nombre de cas où les choses se sont passées exactement comme cela.
Je me suis occupé, en tant que sénateur, d'une de ces entreprises. Selon le Comité interministériel de restructuration industrielle, avec lequel j'ai pris contact, il peut arriver que ce genre de situation ne soit en réalité ni néfaste ni condamnable : la reprise de l'entreprise par l'un de ses dirigeants peut lui permettre de perdurer, les syndicats le reconnaissent. Il n'en demeure pas moins que, dans d'autres cas, les syndicats se sont insurgés devant des procédés choquants.
Voter ce texte est un acte symbolique, mais également une mise en garde. Cela n'exclut pas de poursuivre la réflexion, et nous y sommes ouverts, car nous sommes confrontés à une crise sociale qui va devenir de plus en plus forte avec la multiplication des licenciements et des difficultés rencontrées par les entreprises.
M. Guy Benarroche. - Je m'inscris dans le droit fil des interventions de Mme Goulet et de M. Sueur.
Une règle était clairement fixée ; les exceptions, très encadrées. Avec la crise sanitaire, l'exception devient la règle. Dans certains cas, le dispositif a pu être utile à certaines entreprises. Mais d'autres, en grand nombre, ont bénéficié d'un effet d'aubaine. Vous avez cité Camaïeu ; on peut aussi évoquer Alinéa, Orchestra, Prémaman, Phildar ou Inteva Products. Ce dernier exemple correspond exactement à la situation décrite par M. Sueur : les dirigeants ont profité de l'effet d'aubaine pour effacer une partie de leur dette d'avant la crise, faciliter les licenciements de salariés, et faire prendre en charge les salaires par l'Unedic, avant de récupérer leur entreprise « allégée ».
Nous sommes convaincus que les mesures d'aides ou de facilitation à la reprise d'entreprise sont nécessaires pour faire face à la crise. Mais à force d'assouplir les règles de droit commun pour éviter les faillites, on remet en cause les dispositifs prévus pour protéger les salariés et les créanciers, et on ouvre la voie à des dérives.
Symboliquement, il est justifié de présenter une proposition de loi et de la faire voter par notre assemblée. Nous la soutiendrons.
M. Thani Mohamed Soilihi. - On peut comprendre l'émoi que ces affaires ont provoqué et la volonté d'afficher un symbole qui sous-tend cette proposition de loi. Mais les choses sont claires : le dispositif prendra fin le 31 décembre prochain. Même si nous adoptions ce texte, nous n'aurions pas le temps d'aller au bout de la navette.
Je félicite la rapporteure pour son travail. Notre groupe suivra ses recommandations.
M. Philippe Bonnecarrère. - Le sujet se prête assez peu aux questions de principe. Les tribunaux de commerce connaissent bien ces situations, et les parquets interviennent de plus en plus fortement dans les procédures.
Une mission d'information sur les outils juridiques de traitement des difficultés des entreprises vient d'être mise en place par notre commission. C'est dans ce cadre que nous pourrons apporter une réponse pertinente aux difficultés actuelles. Il aurait été préférable que nous examinions cette proposition de loi à l'issue de ce travail.
Mme Claudine Thomas, rapporteure. - Madame Goulet, je vous rassure, le dispositif prendra fin le 31 décembre prochain. La toute récente ordonnance du 25 novembre 2020 n'en a pas prolongé l'application.
Je veux rappeler que le droit commun permet déjà aux dirigeants d'une entreprise en redressement ou en liquidation de présenter une offre de reprise, sous certaines conditions. Certains d'entre vous s'en disent choqués par principe, tout en appelant à trouver les assouplissements nécessaires en temps de crise... ce qui est précisément l'objet de l'article 7 de l'ordonnance du 20 mai dernier. Soyons cohérents !
Mes chers collègues, conformément à la procédure fixée par la Conférence des présidents, il nous appartient de définir le périmètre de la proposition de loi pour l'application de l'article 45 de la Constitution relatif aux cavaliers législatifs.
Comme la proposition de loi touche, au moins formellement, à l'ensemble de l'ordonnance du 20 mai 2020, je vous propose de considérer comme recevable tout amendement portant sur les procédures de traitement des difficultés des entreprises, telles que définies au livre VI du code de commerce et au chapitre Ier du titre V du livre III du code rural et de la pêche maritime.
M. François-Noël Buffet, président. - Pour conclure, je veux rappeler que la procédure dérogatoire prévue par l'ordonnance du 20 mai 2020 va prendre fin dans quelques jours, c'est désormais acté. Selon le droit commun, hors état d'urgence sanitaire, une requête du procureur de la République est requise lorsqu'un dirigeant veut reprendre sa propre entreprise. Si le parquet refuse, le tribunal ne peut pas passer outre.
On ne peut nier que le dépôt de bilan ait pu être utilisé comme un mode de gestion de l'entreprise... La procédure permet d'empêcher de tels détournements. Notre mission d'information nous permettra d'avancer sur ce sujet important.
Mais il faut aussi dire que la majorité des dirigeants sont honnêtes ! Ils n'ont aucun plaisir à venir déposer le bilan de leur entreprise au greffe du tribunal de commerce, parce qu'une page de leur vie se tourne...
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi, déposée sur le Bureau du Sénat.
La réunion est close à 10 h 20.