- Mercredi 2 décembre 2020
- Audition de M. Jean-Pierre Farandou, candidat proposé aux fonctions de président-directeur général de la SNCF
- Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Pierre Farandou aux fonctions de président-directeur général de la SNCF
- Projet de loi de finances pour 2021 - Missions « Plan de relance », « Écologie, développement et mobilité durable » et « Cohésion des territoires » - Communication sur les amendements
- Proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France - Audition de M. Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques
Mercredi 2 décembre 2020
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -
La réunion est ouverte à 8 heures.
Audition de M. Jean-Pierre Farandou, candidat proposé aux fonctions de président-directeur général de la SNCF
M. Jean-François Longeot, président. - Nous nous retrouvons aujourd'hui pour une audition particulière à un double titre. D'abord, il s'agit pour notre commission de la première audition en application de l'article 13 de la Constitution et des lois organique et ordinaire du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, depuis le dernier renouvellement sénatorial, en septembre dernier. C'est pourquoi je rappellerai un certain nombre de règles. Certaines nominations, et notamment celle du directeur général de la société nationale qu'est la SNCF, ne peuvent intervenir qu'après l'audition de la personne pressentie devant les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, auditions qui doivent être suivies d'un vote. Cette audition est publique et ouverte à la presse. À l'issue, nous procéderons au vote, qui se déroulera à bulletins secrets. Il ne peut y avoir de délégations de vote, et le dépouillement doit être effectué simultanément à l'Assemblée nationale et au Sénat. L'Assemblée nationale procédera à l'audition de M. Farandou à 11 heures. Les résultats du scrutin seront connus en début d'après-midi. En application de l'article 13 de la Constitution, cette nomination ne pourrait intervenir si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Cette audition est aussi singulière dans la mesure où nous avons déjà entendu M. Farandou selon cette procédure il y a un peu plus d'un an, en tant que candidat proposé par le Président de la République pour occuper la fonction de président du directoire de la SNCF. Depuis lors, la nouvelle gouvernance de la SNCF est entrée en vigueur, puisque le groupe public ferroviaire composé d'établissements publics à caractère industriel et commercial s'est transformé en un groupe public unifié constitué de sociétés anonymes le 1er janvier dernier. L'ordonnance relative à la gouvernance du groupe prévoyait des dispositions transitoires aux termes desquelles M. Farandou a été nommé président-directeur général de la société nationale SNCF de manière transitoire, initialement jusqu'au 30 juin dernier. Mais la crise sanitaire est passée par là et, sous l'effet d'une loi portant diverses dispositions liées à la crise sanitaire, cette date a été décalée au 31 décembre 2020. C'est pourquoi nous l'entendons aujourd'hui une nouvelle fois au titre de l'article 13 de la Constitution.
Nous sommes très heureux de vous recevoir aujourd'hui, monsieur Farandou, parce que cette audition nous permettra aussi de faire un bilan d'étape sur votre première année en tant que président du directoire de la SNCF, puis en tant que président-directeur général de la SNCF. Et je dois dire que cette année a été particulièrement mouvementée.
Vous pourrez notamment revenir sur les conditions de la transformation du groupe au 1er janvier dernier, et notamment sur la place particulière qu'occupent SNCF Réseau et sa filière Gares & Connexions au sein de ce groupe.
Vous pourrez également faire un point sur les deux chocs d'ampleur qui ont lourdement affecté le groupe, à savoir les mouvements sociaux contre la réforme des retraites, en décembre 2019 et en janvier 2020, ainsi que la crise sanitaire et les confinements, qui ont conduit votre groupe à réduire considérablement son plan de transport de voyageurs. Quelle est l'estimation des pertes ? Les montants prévus par le projet de loi de finances pour 2021 seront-ils suffisants, comme semble l'avancer le Gouvernement, pour véritablement relancer le transport ferroviaire ?
Après être revenus sur le passé, nous souhaiterions vous entendre sur l'avenir du groupe SNCF. En ce qui concerne le transport de voyageurs, nous sommes très inquiets des conséquences de la crise sur les comportements des usagers, qui sont nombreux à privilégier l'usage de la voiture plutôt que celui du transport collectif, et dont on peut penser qu'ils seront moins nombreux demain à prendre le train, en raison de la généralisation du télétravail. Quelle est votre stratégie pour faire revenir les passagers dans les trains ? Cette incertitude se double en outre d'une remise en question du modèle économique du groupe et d'un questionnement sur la place qu'occupera demain le TGV dans ce modèle, alors que nous fêterons l'année prochaine son 40e anniversaire.
S'agissant du fret, la crise a plus que jamais prouvé son caractère indispensable. Le secteur n'en reste pas moins en difficulté et souffre d'un déficit de compétitivité face à la route. Nous avons d'ailleurs décidé de réfléchir à cette problématique au sein de notre commission et constitué une mission d'information sur le transport de marchandises, qui doit débuter ses travaux la semaine prochaine. Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2021 prévoit des enveloppes supplémentaires, et des investissements bien plus lourds sont nécessaires pour sa relance. Quelle est votre stratégie en la matière ?
M. Jean-Pierre Farandou, candidat proposé aux fonctions de président-directeur général de la SNCF. - Pour ceux qui ne me connaîtraient pas, je m'appelle Jean-Pierre Farandou, j'ai 63 ans, et on peut dire que je suis cheminot : je suis entré à la SNCF en 1981. J'ai donc quelques heures de vol, et j'ai exercé un certain nombre de métiers de base. J'ai été chef de gare, chef de dépôt, après avoir appris les métiers d'aiguilleur et de conducteur de train, je suis passé par les établissements de production, par les directions régionales, où j'ai pu nourrir une première expérience de relations avec les territoires. Je me suis aussi beaucoup occupé de voyageurs dans ma vie professionnelle : j'ai fait du TER en Rhône-Alpes, qui ne s'appelait pas encore Auvergne-Rhône-Alpes, mais était déjà une belle région ! Je me suis occupé aussi de tous les TER au plan national, ce qui m'a permis de croiser des élus régionaux, des vice-présidents aux transports et des présidents de région. Enfin, je me suis occupé du TGV, comme chef de projet de la ligne Paris-Nord de la France, lancée en mai 1993, puis du Thalys, lancé en 1996, entre la France et le nord de l'Europe.
Je suis aussi passé par la case « transports urbains », puisque j'ai eu la chance de travailler pour Keolis deux fois, d'abord comme patron du réseau lyonnais - je connais donc bien les problématiques des grands réseaux urbains - avant de diriger Keolis pendant sept ans, puis de prendre la tête de la SNCF, il y a un an. Ce parcours diversifié dans les métiers du rail donne quelques avantages, surtout dans les périodes compliquées : on comprend plus vite les enjeux, les problématiques, les gens, la culture...
C'est en effet ma deuxième audition physique devant votre commission, à laquelle s'ajoute une audition aussi par visioconférence au printemps sur la crise sanitaire. Depuis ma prise de fonctions à la présidence du groupe SNCF, en novembre 2019, j'ai donc eu l'honneur de venir plusieurs fois m'exprimer devant la représentation nationale. C'est peu de dire que le contexte a changé depuis ma nomination, il y a un an.
Nous avons réussi à faire face à la crise et à engager en même temps la transformation de l'entreprise, notamment pour nous préparer à l'arrivée de la concurrence. Quand je suis arrivé à mon poste actuel, la SNCF était en pleine ébullition, avec une tension sociale forte. Le dialogue social a été rétabli avec toutes les organisations syndicales. Le travail d'écoute et d'explication paie. J'ai une conviction forte : c'est avec les cheminots que nous ferons avancer la SNCF.
Nous faisons aujourd'hui face à deux mutations majeures, qui sont largement concomitantes et qui viennent bousculer la SNCF. La première mutation, c'est la crise épidémique de la covid-19. Avec ses premières secousses, que l'on commence seulement à mesurer, et qui seront certainement plus fortes que prévu, nous observons une baisse inédite du trafic ferroviaire, mais surtout un changement dans les habitudes et comportements de mobilité des Français. La seconde mutation, c'est l'imminence de l'ouverture à la concurrence, qui annonce un changement dans le fonctionnement même du marché ferroviaire.
Ce contexte, marqué par ces deux mutations, nous conduit à nous interroger sur le modèle du groupe SNCF et, plus globalement, sur le modèle du ferroviaire en France. Cela est d'autant plus nécessaire que notre ambition reste inchangée. Nous voulons garantir à chaque territoire un service public de haute qualité, et continuer à être utiles au pays : utiles pour répondre à l'urgence sociale, que la crise sanitaire va augmenter, utiles aussi pour répondre à l'urgence climatique, dont l'existence fait largement consensus aujourd'hui.
Le débat sur ce nouveau modèle est bien sûr au coeur de ma réflexion en tant que président du groupe SNCF. Il anime également toute l'équipe dirigeante qui m'entoure. J'ai la conviction que ce débat est également un débat public, un débat national, un débat qui appartient de plein droit aux Français et que l'on ne doit pas craindre.
Dans le cadre de cette réflexion, la question financière est centrale. L'équilibre même du pacte ferroviaire décidé en 2018 est soumis au choc de la crise sanitaire. Le groupe SNCF est aujourd'hui entièrement mobilisé pour construire la soutenabilité économique de l'entreprise, je vous l'assure. Mais, en parallèle, nous avons besoin de renforcer la soutenabilité politique du modèle. Quel ferroviaire voulons-nous dans notre pays ? C'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, je souhaite partager avec vous notre diagnostic.
Malgré toutes les difficultés, le cap stratégique est très clair, et ma détermination reste intacte pour que l'entreprise devienne, d'ici 2030, un champion mondial de la mobilité durable des voyageurs et des marchandises, avec un coeur de métier, le ferroviaire, et un pays de référence, la France.
L'attention de l'État et des parlementaires vis-à-vis du groupe que j'ai l'honneur de présider a été décisive au cours de cette première année d'exercice. Je suis personnellement attaché à la richesse de nos échanges, et je suis très honoré que nous puissions aujourd'hui les poursuivre. Je m'étais engagé, il y a un an, à venir vous présenter le bilan de cette première année. Je serais heureux de revenir chaque année devant vous partager l'état d'avancement et les ambitions du groupe.
La période que nous traversons est rude pour beaucoup de Français. Les risques se superposent : risque sanitaire, économique, social, terroriste... Cela nous affecte tous directement et, face à cela, je souhaite que le groupe SNCF se tienne, aujourd'hui plus que jamais, aux côtés des Français et des territoires.
Permettez-moi tout d'abord de revenir sur cette première année d'exercice, pour le moins particulière. Cette année, nous avons connu la crise dans des proportions inédites, à travers deux épisodes très marquants. Le premier, c'est le mouvement de grève interprofessionnelle contre la réforme des retraites, en décembre 2019, qui a duré jusqu'au mois de février - le plus long en continu jamais connu par la SNCF. Le second, c'est bien sûr la crise sanitaire de la covid-19, une épidémie mondiale de grande ampleur qui nous a obligés à réinventer l'exploitation ferroviaire en situation pandémique. Jamais l'activité ferroviaire n'avait connu un coup d'arrêt aussi soudain. Rappelons que nous sommes passés en mars de 15 000 à 3 500 trains par jour, et de 5 millions à 150 000 voyageurs par jour. Et, si nous nous attendions à une réplique de la crise, il est clair que la deuxième vague et le deuxième confinement constituent un nouveau choc.
Certes, ces deux crises nous ont atteints sur le plan financier, mais, dans les deux cas, nous devons aussi saluer le travail collectif accompli. La crise sanitaire a révélé tout ce dont le groupe est capable : notre promptitude et la capacité de mobilisation des équipes, dans un climat social apaisé et responsable ; notre capacité d'agilité et de dépassement de soi ; notre attachement profond aux territoires ; et, surtout, notre attachement sans faille à l'intérêt général. Je crois pouvoir dire que les Français ont salué, ces derniers mois, la capacité d'action et de réaction de l'ensemble des cheminots, avec, tout récemment, comme un symbole de cette utilité, une greffe du coeur et une vie sauvée grâce à l'acheminement à grande vitesse ferroviaire du greffon entre la Lorraine et Paris.
Dans ce contexte très difficile, avec ses impacts multiples, la SNCF fonctionne, et continuera à fonctionner, en répondant encore et toujours à des demandes d'urgence qui sont au coeur de la vie et des attentes des Français. Comme je vous le disais il y a un an, cette capacité à répondre aux urgences est la force et l'identité que je veux donner au groupe.
L'urgence, c'est bien sûr la crise sanitaire de la covid-19. Dès mars 2020, nous avons adapté notre offre de transport. Nous avons fait rouler, en liaison avec les autorités organisatrices pour les transports de la vie quotidienne, dix TGV médicalisés, pour aider des malades dans les hôpitaux saturés, notamment de l'est ou du nord de la France. Nous avons acheminé un milliard de masques entre la Chine et la France, grâce à notre filiale logistique Geodis, et fait rouler 60 à 70 % des trains de fret pour que l'économie vitale tienne. À partir de mai, les Français ont pu reprendre le train en toute sécurité, grâce à l'esprit civique des voyageurs, qui suivent les règles sanitaires, mais aussi grâce à la diligence du personnel SNCF, qui veille à leur respect : port du masque pour tous, et désinfection des trains plusieurs fois par jour.
L'urgence, ce sont aussi les catastrophes naturelles - et je me tourne vers Philippe Tabarot, qui les a vécues en première ligne. Dans les Alpes-Maritimes, et avec le plein accord de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, nous avons transformé un TER en train de marchandises, pour contribuer à l'effort de ravitaillement des villages entre Breil-sur-Roya et Fontan.
C'est aussi l'urgence économique pour les entreprises et les territoires. Le fret ferroviaire a joué un rôle décisif dès le début et au plus fort de la crise sanitaire, en permettant l'acheminement de biens essentiels. La période a montré à quel point le fret ferroviaire constitue un enjeu stratégique pour le pays, qui permet de réconcilier besoins logistiques sur de longues distances et protection de l'environnement.
Et bien sûr, c'est l'urgence sociale. Avec les régions et Île-de-France Mobilités, nous avons garanti la continuité de service en périodes de confinement, en mars et novembre 2020, pour les trajets nécessaires et les personnels « de la première ligne ». Nous avons fait le choix de baisser nos prix : 4 millions de billets à petits prix ont été vendus cet été. Et, pour permettre à de nombreux Français de renouer avec la mobilité dans cette période de grande incertitude, nous avons rendu gratuits les échanges et les remboursements des billets TGV.
En quelques mots, je voudrais redire que le groupe SNCF a fait la démonstration très concrète, ces derniers mois, de sa capacité de réponse à la demande des Français. Et, je le dis devant vous, nous le devons au travail et à l'engagement des 140 000 cheminots de la SNCF ! Soyons fiers de cette grande entreprise publique et de ses personnels.
La SNCF fonctionne, mais nous ne pouvons pas ignorer la réalité économique.
Face à la baisse de la fréquentation des voyageurs sur les lignes TGV, du fait notamment de la forte diminution des déplacements professionnels, et afin de limiter les pertes financières, nous sommes parfois contraints d'ajuster notre offre à la demande. Ce sont des décisions que nous prenons en responsabilité, et en lien avec les élus des territoires concernés.
En effet, les tensions économiques restent fortes.
Juste avant l'annonce du second confinement, nous étions
déjà à 5 milliards d'euros de décalage par
rapport au chiffre d'affaires attendu. La situation va encore se
dégrader avec le deuxième confinement. De nombreuses mesures
d'économies ont d'ores et déjà été prises.
Elles nous ont permis d'éluder 1,8 milliard d'euros de
dépenses, avec le report d'investissements, le chômage
partiel
- puisque l'État nous a autorisés à y
recourir - ou la réduction des frais de fonctionnement, par
exemple. Et nous poursuivrons bien entendu, en 2021, nos efforts de gestion.
Nous pouvons également compter sur l'implication de l'État, qui a fait le choix de placer le ferroviaire au coeur du plan de relance. C'est une marque de confiance forte. La SNCF a en effet bénéficié de 4,7 milliards d'euros pour assurer le financement de nos investissements qui sinon n'auraient pas pu se poursuivre. Grâce à ce plan de relance, nous allons pouvoir assurer la régénération et la modernisation du réseau, ce qui est une condition absolument nécessaire de la qualité de service - il n'y a pas de bons services ferroviaires s'il n'y a pas de bons réseaux ferroviaires, et il faut donc absolument poursuivre l'effort de renouvellement et de régénération - et participer à la sauvegarde du secteur du fret ferroviaire, nécessaire à l'industrie française, à la vitalisation des territoires, au verdissement des transports et de l'économie en général. Pour autant, la situation spécifique de la filiale Fret SNCF reste difficile. Il faudra y être attentif. Nous allons aussi pouvoir relancer les trains de nuit, avec la mise à l'étude, grâce à ce coup de pouce, de deux nouvelles lignes.
Je dois dire aujourd'hui, devant vous, combien votre implication est centrale alors que le choc de la crise sanitaire est d'une violence jamais connue pour notre entreprise. Dans ce contexte, nous comptons sur la représentation nationale pour partager avec nous ce diagnostic sur la situation du ferroviaire en général et de l'entreprise en particulier.
La loi de 2018 a installé, pour tout le service public ferroviaire, un nouveau pacte. Elle a aussi tracé les contours d'une nouvelle SNCF. Nous sommes devenus en janvier 2020 un groupe unifié, dont les différentes activités sont structurées en sociétés anonymes (SA). Notre nouveau modèle, c'est un groupe uni et solidaire. Nous sommes une entreprise ferroviaire pour la mobilité des personnes, avec SNCF Voyageurs et Keolis, une entreprise de transport de marchandises et de logistique, avec Fret SNCF et Geodis, et bien sûr un gestionnaire d'infrastructures avec SNCF Réseau et sa filiale SNCF Gares & Connexions. C'est un groupe solidaire, y compris dans son modèle économique, dont l'édifice repose sur le succès du TGV, jamais démenti pendant 40 ans. Je rappelle que ce modèle permet trois types de péréquations consubstantielles à notre modèle à la française.
Les lignes TGV rentables financent les dessertes TGV non rentables : avant la covid-19, il y avait déjà une ligne TGV sur deux qui n'était pas rentable. L'amortissement du matériel roulant est coûteux - une rame de TGV coûte 30 millions d'euros - et les frais d'exploitation sont importants, avec des coûts de péage très élevés. Pour une entreprise publique, cela ne pose aucun problème de mettre en place cette péréquation implicite, au service de l'intérêt général du pays. On peut dire que la SNCF finance d'une certaine manière l'aménagement du territoire et son irrigation à la grande vitesse.
Deuxième péréquation, au-delà de la grande vitesse, le TGV rentable finance aussi les trains d'équilibre du territoire, via une taxation, décidée il y a une dizaine d'années à Bercy et qui s'applique à la seule SNCF - ce qui, je le dis devant vous, nous paraît devoir être questionné eu égard aux conditions d'une concurrence juste et équitable, intra et extra modale, puisque seule la SNCF et le ferroviaire s'en acquittent. Il s'agissait de financer un contrat de service public passé entre l'État et la SNCF, pour faire rouler des trains corail, entre Paris et Clermont-Ferrand ou Paris et Limoges, par exemple. Ces taxes ont été inventées pour financer le déficit d'exploitation de ces lignes, qui atteignait alors 300 millions d'euros, et s'élève aujourd'hui à 240 millions d'euros environ, car certaines ont été reprises par les régions. La SNCF, à travers ses activités rentables, alimente un compte d'affectation spéciale, qui finance ce déficit d'exploitation. On peut s'interroger sur le bien-fondé de ce mécanisme et sur sa durabilité. Il est tout de même curieux que la SNCF finance des lignes qui pourraient passer à la concurrence ; de plus, est-ce bien au ferroviaire d'être pénalisé par cette taxation pour soutenir le ferroviaire ?
Enfin, depuis la loi de 2018, une partie importante des dividendes du TGV finance aussi la régénération du réseau, via un fonds de concours, ce qui me paraît être un mécanisme plus vertueux. Ici encore, quand le TGV est impacté, nous rencontrons un sujet potentiel de financement de réseau. Le réseau est aussi financé par le produit des péages. Et, quand il y a moins de trains, il y a moins de péages. De même pour les gares : un des éléments majeurs de leur financement repose sur les redevances versées par les commerces en gare. Qui dit moins de trains dit moins de clients dans les gares consommant dans les commerces, donc moins de redevances versées par les commerces en gare. On voit donc que des sujets d'équilibre apparaissent : ils peuvent être conjoncturels, et dans ce cas-là il faut passer ce mauvais moment. S'ils sont structurels, nous devrons en débattre pour trouver la manière de gérer ces difficultés.
Aujourd'hui, pour la première fois en 40 ans, l'activité TGV chute. Pour que le groupe aille bien, il faut que le TGV aille mieux. Nous avons d'ores et déjà des idées pour faire en sorte qu'il retrouve la santé, j'y reviendrai.
Je voudrais revenir aussi sur les grands défis collectifs que nous devons relever et sur notre stratégie, qui structure d'ailleurs tout le projet d'entreprise « Tous SNCF », dont j'ai lancé la construction dès le début de mon mandat.
Le premier défi, c'est le défi environnemental. Vous connaissez mon engagement sur ce sujet. J'ai la conviction que le train constitue une réponse d'avenir face aux enjeux climatiques, la clé de la mobilité de demain. Cela suppose un certain nombre de choix industriels et des orientations claires en matière d'innovation. Le deuxième est le défi socio-économique : dans une période qui est déjà brutale pour de nombreux Français, nous devons veiller à l'emploi, et notamment à l'emploi des jeunes, qui sont 700 000 à avoir rejoint le marché du travail à la rentrée, et développer les compétences pour conforter l'employabilité des salariés et leur permettre de réaliser leurs projets professionnels. Le troisième défi c'est le défi territorial : c'est l'échelle de la mobilité du quotidien, l'échelle du ferroviaire de proximité. En tant qu'entreprise d'utilité publique, notre ambition, au-delà de notre coeur de métier qu'est la mobilité ferroviaire, est aussi de participer, en tant que partenaire des régions, à la cohésion sociale et au dynamisme économique des territoires.
Les ruptures que la crise entraîne, et les défis collectifs qu'elle rend encore plus prégnants ne sont pas anecdotiques pour nous : ce sont de nouvelles conditions d'exercice, c'est un tout nouveau cadre pour la SNCF. Je suis convaincu que l'activité ferroviaire a de l'avenir, et un bel avenir, dès lors que nous savons traverser cette crise et que nous saurons en sortir lancés, en nous préparant au monde d'après. Je ne suis pas le seul à le penser, c'est une des conclusions de la Convention citoyenne et un des axes majeurs du Green deal européen. Nous avons cette chance comparativement à d'autres secteurs, et il faut que nous sachions capitaliser sur nos atouts et donner l'envie du train !
Si 2020 a été une année de révélation, 2021 sera une année d'accélération. L'année 2020 a vu la naissance d'une nouvelle SNCF. L'année 2021 marque l'ouverture de l'année deux pour cette nouvelle SNCF, sortie grandie de la crise sanitaire grâce à la mobilisation quotidienne et solidaire des cheminots, mais faisant face à un enjeu de reconstruction considérable. Le budget 2021 du groupe, en cours d'élaboration, sera inévitablement un budget de crise.
Nous devons ouvrir un travail de transformation en profondeur pour nous préparer à l'après-crise. Il faudra être prêt pour répondre au retour de la demande des Français, des territoires et des entreprises, une fois la crise derrière nous. Cela impose de créer dès maintenant de nouveaux services, de travailler sur de nouvelles logiques tarifaires - il n'est pas normal qu'on ne trouve plus de petits prix au dernier moment, alors que les gens décident de leur voyage de plus en plus tard - et d'anticiper la demande des chargeurs pour des lots plus ajustés et une mobilité plus verte, tout en restant bien sûr extrêmement solides sur nos fondamentaux, la sécurité et la régularité en premier lieu, qui constituent le pacte de confiance entre la SNCF et les Français.
Cela ne s'est peut-être pas vu du grand public, tant la gestion quotidienne de la crise a capté les attentions, mais nous sommes d'ores et déjà en ordre de marche pour préparer l'avenir du ferroviaire et celui de notre entreprise.
J'ai souhaité que le projet « Tous SNCF » définisse un cap commun, clair, pour notre groupe réunifié par la réforme de 2018. Notre stratégie de différenciation, qui fera que la SNCF sera choisie et appréciée, s'appuie sur quatre lignes de force : l'humain, la transition écologique, les territoires, et l'innovation digitale. Nous innoverons pour la mobilité de demain, non pas tous seuls, mais avec des partenariats et dans des écosystèmes ouverts. Nous allons déployer dès l'année prochaine une application de mobilité unique, enrichie de nouvelles fonctionnalités, qui actera une dynamique nouvelle d'articulation du ferroviaire avec des modes de transports complémentaires. Notre objectif : proposer à nos clients des solutions de voyages porte-à-porte. Je souhaite que le groupe SNCF devienne leader européen du numérique dans la mobilité, mais un leader bienveillant, ouvert aux autorités organisatrices et à tous les acteurs de la mobilité.
Par ailleurs, 40 ans après le premier TGV orange, nous inventerons avec Alstom le train à grande vitesse du futur, dont le nom de code est le TGV M, et qui sera déployé à partir de 2024.
Nous allons tout faire pour préserver nos grands équilibres financiers, dans l'esprit de la réforme de 2018, sans jamais renoncer, bien sûr, ni à notre efficacité opérationnelle ni à notre engagement au service des Français et des territoires. Ensemble, il faudra que nous réfléchissions sur les conditions durables du maintien de cet équilibre et de cette dynamique au service des Français.
Dans les mois et les années qui viennent, nous aurons à faire face à l'ouverture à la concurrence, en restant déterminés et conquérants. L'arrivée de nouveaux acteurs sur le marché national constitue l'occasion pour le groupe SNCF de démontrer et de développer ses savoir-faire et ses compétences, en déployant une politique commerciale orientée vers la conquête et la fidélisation de clients voyageurs et Fret, et pour les transports de la vie quotidienne dans un dialogue renouvelé avec les autorités organisatrices.
Si le contexte a changé depuis ma prise de fonction à la tête du groupe SNCF, ma conviction reste la même, elle est entière et intacte : la SNCF doit porter haut les ambitions de la France en matière de mobilité, elle doit continuer de mériter la confiance des Français, en étant, encore et toujours, utile : dans les périodes de crise comme au quotidien, utile aux territoires, aux voyageurs et aux chargeurs, utile pour répondre à l'urgence climatique, en participant notamment à la réalisation du Green deal européen ; utile sur le plan social et économique en développant les compétences et la transmission des savoir-faire, en donnant toute sa place au dialogue social, et par une politique de responsabilité sociale et environnementale exemplaire, notamment pour les jeunes et l'égalité entre femmes et hommes dans l'entreprise. Pour nous, le monde d'après a déjà commencé. Et c'est comme cela que nous cherchons à l'appréhender pour que la SNCF et la mobilité ferroviaire soient une solution en sortie de crise et sortent renforcées de la période difficile que nous traversons.
M. Didier Mandelli. - Je me réjouis de voir que vos convictions et votre motivation restent intactes après l'année terrible que nous venons de vivre ! Je souhaiterais vous interroger sur l'état des négociations entre SNCF Réseau et l'État concernant l'actualisation du contrat de performance. Le ministre nous a dit que nous n'en disposerions pas avant l'été 2021. Dans la perspective de l'ouverture à la concurrence, et compte tenu de son caractère stratégique, pourriez-vous nous dire quand nous en connaîtrons le contenu ? Il fixera notamment les principes qui seront appliqués pour la détermination de la tarification de l'infrastructure. De même, où en sont les négociations concernant le contrat de performance qui doit être signé entre Gares & Connexions et l'État ? Ma troisième question porte sur la trajectoire financière des différentes sociétés qui composent le groupe. Vous nous avez indiqué que chacune d'entre elles faisait face à de lourdes pertes, qui vont jusqu'à remettre en cause le modèle économique du groupe. Dans ce contexte, continuez-vous de poursuivre l'objectif d'un retour à l'équilibre du groupe d'ici 2022 et de SNCF Réseau d'ici 2024, ou vous paraît-il désormais inatteignable ? Quelles sont les évolutions envisagées en la matière ? Enfin, quelles décisions ont été prises en matière de cession d'actifs ? Geodis et Keolis ne seront pas cédées. Vous avez évoqué la cession d'Ermewa avant la fin de l'année. En envisagez-vous d'autres ?
M. Philippe Tabarot. - Êtes-vous bien sûr de vouloir demeurer en fonctions ? Je pose cette question malicieusement, car, depuis votre arrivée à la tête du groupe, rien ne vous aura été épargné ! Grève historique, pertes abyssales liées à la pandémie, rumeurs de vente en urgence de certaines filiales... Je sais que vous allez me répondre « oui », car je connais votre attachement ancien, sincère et profond à l'entreprise, et votre force pour encaisser les épreuves, qui font de vous un manager reconnu et respecté.
Je souhaiterais vous entendre sur la stratégie du groupe SNCF dans le contexte de l'ouverture à la concurrence du transport national de voyageurs. Nous avons récemment appris par voie de presse que la SNCF serait la seule candidate aux appels d'offres lancés par l'État sur les trains d'équilibre du territoire. La question de la compensation financière ne se posera donc pas. Faites-vous donc si peur à vos potentiels concurrents ? Pensent-ils que l'indépendance du gestionnaire des infrastructures est illusoire ? La loi pour un nouveau pacte ferroviaire est-elle mal écrite ? Transmettez-vous vraiment toutes les données pour permettre une égalité de traitement entre les concurrents ? En fait, quelle est votre stratégie ? Tout gagner, tout exploiter, comme avant, comme toujours ?
Au sujet des petites lignes, notre commission a adopté un amendement au projet de loi de finances pour 2021 pour rappeler que, suite au rapport Philizot, de nombreuses lignes de desserte fine du territoire vont être amenées à fermer, faute pour l'État de pouvoir respecter sa participation financière dans les protocoles qu'il signe en ce moment avec les régions. Il faut investir près de 700 millions d'euros par an pour atteindre les 6,4 milliards d'euros que préconise le rapport Philizot. Le budget de cette année est un peu spécial, mais le plan de relance ne prévoit que 300 millions d'euros de crédits État supplémentaires, pour deux ans. Nous sommes inquiets pour la mobilité ferroviaire sur notre territoire.
M. Olivier Jacquin. - Vous avez pris pleinement la place, le poste, au point qu'on en a presque oublié le nom de votre prédécesseur ! Vous avez déclaré récemment dans la presse que, dans dix ans, la SNCF serait rentable. Vous proposez un nouveau modèle. Pour vous, qu'est-ce qu'un service public rentable ?
Je rappelle depuis des mois que la loi imposait que le contrat de performance soit présenté au Parlement en 2020. Le ministre nous a dit que la discussion, notamment avec l'Autorité de régulation des transports (ART), était compliquée. Le groupe socialiste a par deux fois déposé des amendements pour supprimer les taxes inutiles que vous avez décrites, la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires (TREF) et la contribution de solidarité territoriale (CST). Nous avons été seuls dans le désert ! Je suis très étonné que la majorité sénatoriale n'ait pas voulu mettre à bas des taxes obsolètes et inutiles.
Le plan de relance est surtout un plan de soutien. Alors que l'avion et l'automobile ont très rapidement bénéficié de plans de relance, pour le train, cela a été compliqué, alors qu'il avait besoin d'un appui important, à tel point que les cessions d'actifs restent nécessaires. Pouvez-vous nous donner des précisions sur ces cessions, partielles ou totales ?
Les négociations sur les classifications et la rémunération ont échoué. Nous n'avons pas de visibilité sur le calendrier.
Mon dernier point concerne le décret sur les petites lignes. L'article 172 de la loi d'orientation des mobilités (LOM) précise que les lignes d'intérêt local ou régional à faible trafic sont susceptibles d'être transférées. La première rédaction du décret est sortie dans la presse : elle est inquiétante. Pour vous, quel serait le réseau national ferroviaire idéal ?
M. Joël Bigot. - Ma première question porte sur le rôle que joue souvent la SNCF en matière de services de proximité, notamment par le biais de ses nombreuses gares, qui maillent le territoire. Comment envisagez-vous l'avenir de ces services, au gré des évolutions qui traversent votre groupe ?
Je souhaitais également vous interroger sur la relance des trains de nuit. Cette annonce suscite des craintes de la part des opérateurs de fret ferroviaire, qui peinent déjà à se voir attribuer des sillons de qualité, d'une part, et dont les activités sont régulièrement perturbées par les travaux, qui ont souvent lieu la nuit, d'autre part. Comment envisagez-vous l'articulation entre ces travaux, les circulations de fret et ces trains de nuit supplémentaires ?
Ma dernière question concerne la suppression du glyphosate, que la SNCF, qui en est la première utilisatrice en France, est supposée abandonner d'ici 2021. Nous sommes maintenant fin 2020 et nous souhaiterions savoir où en est le groupe dans cette démarche, et sous quel délai il sera effectivement mis fin au recours au glyphosate. Quelles sont les solutions de substitution sur lesquelles vous travaillez ?
M. Jean-Pierre Farandou. - La loi prévoit effectivement la signature d'un contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau et entre l'État et Gares & Connexions. Le processus a pris beaucoup de retard, en partie à cause de la covid, et la signature est donc reportée à l'an prochain. Le décalage en date est gênant, sans doute, mais je préfère un décalage avec un travail sérieux qu'un travail trop rapide. C'est un sujet très important, puisqu'à travers le contrat de performance, c'est toute la stratégie ferroviaire qui se conçoit. Tout part du réseau, en effet : c'est en fonction de l'ambition pour le réseau - nature, quantité, qualité, performance - qu'on peut déduire l'ambition de service.
Les grandes lignes de force sous-jacentes à cet exercice, et dont on a vu la traduction à travers le plan de relance, sont les suivantes. D'abord, la régénération du réseau structurant. La France a pris beaucoup de retard. Nous avons parlé des 40 ans du TGV : ils se traduisent par presque autant de retard dans la maintenance du réseau structurant. L'effort financier de la SNCF, à la demande des différents gouvernements qui se sont succédé, a été de financer la construction des lignes à grande vitesse, au détriment du réseau structurant.
Cela ne se voit pas les premières années, mais, sur la durée, cela commence à se voir. L'âge moyen du réseau allemand est de 17 ans, contre 33 ou 34 pour le nôtre : du simple au double ! Un réseau vieillissant, c'est un réseau moins performant, qui tombe en panne. La plus spectaculaire a été celle que nous avons connue le 30 août dernier, pour les TGV qui rentraient du Sud-Ouest lors du dernier week-end de l'été. Certaines caténaires, dans le midi, ont 70 ans : elles ont lâché, et nous avons eu des pannes successives des supports de caténaires dans le triangle Pau-Bayonne-Dax, avec un effet boule de neige qui a conduit au blocage de plusieurs TGV avec des milliers de passagers à bord. Avec des caténaires de 70 ans, forcément, on prend des risques en matière de fiabilité.
L'un des éléments structurants de ce contrat, qui dure dix ans, est justement de vérifier que pendant ces dix ans, on va poursuive cet effort rigoureux, tenace, déterminé pour rénover en profondeur l'état du réseau ferroviaire français : voies, caténaires, rails, signalisation...
Deuxièmement, il y a la question des lignes de desserte fine du territoire. Ce réseau secondaire était encore plus dégradé que le réseau principal, avec des ralentissements très importants, qui concernent 5 000 ou 6 000 kilomètres de lignes. C'est paradoxal : nous avons du matériel roulant performant, qui peut rouler à 140 ou 160 kilomètres par heure, et la ligne est parfois réduite à 80 kilomètres par heure ou moins - quand elle n'est pas carrément fermée. Là encore, il s'agit d'un effort au long court: il faut s'engager dans la durée pour arriver à reprendre ce réseau secondaire ou capillaire. Ce sujet possède aussi une composante liée au fret : il y a aussi des entreprises à la campagne, dans des endroits assez reculés, qui sont reliées par une petite ligne ferroviaire. La clef, c'est la capacité de l'État à trouver des conventions avec les régions pour se mettre d'accord sur les lignes qui doivent être maintenues en priorité. Le plan de relance amène aussi une clarification du rôle de SNCF Réseau, qui a longtemps été le fusible, ou le bouc émissaire, entre l'État et les régions. Ce contrat clarifiera la part de financement qu'on demande à SNCF Réseau. Et, si on lui demande d'apporter le financement, il faut lui apporter les fonds nécessaires pour poursuivre.
Dans le plan de relance, je suis assez satisfait de voir qu'il y a deux fois 300 millions d'euros, en dotation en capital d'un côté et en crédits budgétaires de l'autre. Cela fait environ 600 millions d'euros pour accompagner les programmes plus importants qui doivent être passés entre l'État et les régions.
Nous respectons tous l'indépendance et le pouvoir de régulation de l'ART, qui doit valider les péages. Ceux-ci sont un vrai élément de politique publique. Plus ils sont chers, plus le ferroviaire est pénalisé. Nous sommes un des pays d'Europe où les péages du TGV sont les plus élevés. Quand le TGV allait bien, cela pouvait se supporter ; quand il va beaucoup moins bien, il y a peut-être une question à se poser, et des péréquations possibles entre les lignes : il y a tout un équilibre à trouver pour trouver le bon mécanisme, vertueux, pour fixer les niveaux de péage pour les différents trains qui circulent sur notre réseau.
On parle souvent de quantité de réseau, mais la qualité est aussi importante. Il y a des indicateurs de performance, à la fois techniques et économiques, que l'État doit fixer à SNCF Réseau qui, comme toute entreprise publique, doit avoir une feuille de route, des objectifs et des indicateurs performance clarifiés pour une période assez longue.
Ces travaux sont engagés, mais ils sont loin d'être finalisés. L'actualité de cette année, sans doute, nous conduit à revisiter tout cela. Il faudra un peu de temps pour intégrer les leçons que nous devons tirer de ce choc sanitaire. J'espère que le contrat fixera les droits et obligations des parties dans la durée, car le système ferroviaire français a besoin d'un contrat solide et précis, pour que SNCF Réseau puisse s'engager avec une forme de certitude et de sécurité sur les moyens qui seront à sa disposition par rapport au niveau de performance qu'elle devra atteindre.
Le raisonnement est exactement le même pour Gares & Connexions, sur un périmètre plus modeste. Les besoins sont variés : grandes gares, petites gares, gares régionales... L'article 172 de la LOM a été évoqué, ce qui renvoie à la question du périmètre de Gares & Connexions. Une gare est une infrastructure majeure. D'abord, c'est une composante essentielle du service ferroviaire. Outre le confort du train lui-même, la qualité de la gare, au départ comme à l'arrivée, l'intermodalité, les services qu'on y trouve, son caractère, bien sûr, impeccable, sa propreté, la présence de personnels pour vous guider : tout cela est essentiel dans le ressenti de la qualité de service. C'est aussi un actif important : il s'agit de grands bâtiments, qui coûtent cher à rénover et à maintenir. Enfin, c'est un élément de l'urbanisme : la gare n'est pas fermée sur elle-même, elle est dans la ville, dans son territoire, elle est ouverte aux autres, elle constitue une composante importante de la vie de la cité et de la vie du territoire. Et je ne parle pas des gares routières, qui ne sont pas loin des gares ferroviaires, ou des pôles d'échanges multimodaux.
Avec la crise, la baisse massive des redevances des commerces soulève la question du financement des gares. Dans le contrat de performance passé entre l'État et Gares & Connexions, il faudra aussi prévoir la capacité pour cette dernière de disposer de ressources durables pour faire son travail, qui est de maintenir et de développer un réseau de gares de qualité dans l'ensemble de notre pays.
Pour ma part, je souhaite que la SNCF garde le maximum de lignes et de gares. Nous ne sommes pas vendeurs ! Notre vocation est une vocation de réseaux : réseau ferroviaire d'un côté, réseau de gares de l'autre. Et nous souhaitons les conserver, même si la loi donne la possibilité aux régions d'en récupérer une partie.
L'article 172 de la LOM est utilisé par la région Grand Est, et d'autres régions s'y intéressent. C'est une petite révolution, car les collègues de SNCF Réseau pensaient qu'ils étaient à l'abri de la concurrence ! Désormais, les régions peuvent demander la gestion directe de certaines parties de lignes du territoire. Je souhaite que l'on reste dans l'esprit de cet article qui est de le limiter à un petit nombre de lignes, à caractère régional très marqué, où l'essentiel des circulations est le fait de TER, où il n'y a pas de trains de marchandises ou de grands trains. Il ne doit pas s'agir d'un transfert massif de lignes, mais d'une logique locale de concession.
Vous m'interrogez sur les trajectoires des sociétés anonymes. Le passage en société anonyme n'est pas anodin. Ce n'est pas la même chose qu'un établissement public industriel et commercial. D'un point de vue comptable, le statut de société anonyme renforce la nécessité d'équilibrer la dette et la capacité à la financer, alors qu'un établissement public industriel et commercial est adossé à l'État, et gère sa dette comme l'État gère la sienne. Dans une société anonyme de plein exercice, fût-ce à capitaux d'État, le mandataire social doit être attentif à ses grands équilibres et, s'il voit la dette s'emballer, il doit prendre des mesures de gestion ou demander à l'actionnaire de venir aider à maintenir la dette à un niveau supportable. Bref, le passage en société anonyme est tout sauf négligeable. C'était sans doute l'intention du législateur que de renforcer la maîtrise financière de ces entités en leur donnant ce statut. Mais il ne faudra pas s'étonner si les mandataires sociaux cherchent à se comporter comme des gestionnaires avisés. Autre exemple : Fret SNCF, qui est une société anonyme simplifiée, a été dotée de 170 millions d'euros de capitaux propres à sa création, au début de l'année. Si ces capitaux propres venaient à être consommés, nous serions devant une situation très compliquée puisque, en matière de capitalisation supplémentaire, nous sommes très surveillés par l'Union européenne...
Pour le TGV, il faut retrouver du volume. C'est une entreprise à coûts fixes : les 500 rames sont achetées ; nous avons des ateliers pour les entretenir ; quand elles circulent, nous payons des péages ; et nous avons les personnels. Reste à retrouver les volumes. La stratégie de l'entreprise sera donc de reconquérir tous nos clients. Nous allons prendre acte du fait qu'il est vraisemblable que la clientèle d'affaires, même après la crise de la covid, reste réduite, parce que les entreprises se seront habituées aux téléréunions. Nous prévoyons donc une réduction de 10 à 20 % de la clientèle d'affaires. Nous devrons aller chercher des volumes sur le loisir privé. J'ai demandé au président de SNCF Voyageurs de travailler avec son équipe marketing sur des politiques tarifaires de conquête, avec des prix plus accessibles, y compris au dernier moment. Il s'agit d'assouplir le yield management, qui est une technologie que nous avons empruntée à l'aérien il y a une trentaine d'années, bref de changer le logiciel tarifaire de l'entreprise pour attirer plus de gens dans le TGV. Je pense en particulier aux seniors et aux retraités actifs. Nous ne sommes pas assez orientés, en matière de services, sur ce segment de clientèle, qui ne demanderait pas mieux que de prendre le train : à nous d'aller les chercher par des services de porte-à-porte, de prise en charge des bagages, etc. Nous devons être plus au contact, plus à l'écoute de cette clientèle, qui représente pour nous un gisement important en volume. J'ai confiance, mais il faudra du temps pour retrouver les volumes que nous avions avant la crise : les prévisionnistes disent que, pour retrouver l'activité globale de 2019, il faudra attendre 2023. Il faut donc penser une remontée en puissance dans la durée pour retrouver l'ensemble de nos trafics.
Les transports de la vie quotidienne sont soumis à la concurrence et, pour répondre à Monsieur Tabarot, l'idée n'est pas de tout garder. Nous avons parfaitement compris qu'il sera inévitable de perdre des parts de marché, mais nous allons essayer d'en perdre le moins possible. Cela nous stimule et nous oblige à nous remettre en question. C'est à l'opérateur en place de démontrer qu'il est un partenaire avec lequel les régions peuvent continuer de travailler, et nous le ferons en nous concentrant sur la qualité de l'offre, l'ajustement des prix et l'innovation des services. Nous espérons être choisis plutôt que subis.
Nous avons été les seuls à répondre à l'appel d'offres sur les lignes Nantes-Bordeaux et Nantes-Lyon, mais il nous semble que ce processus doit être mené à son terme, même si l'Autorité aurait peut-être préféré recevoir plusieurs projets. SNCF Réseau et SNCF Gares & Connexions jouent le jeu de la concurrence et n'y feront pas obstruction : ce ne serait pas du tout l'état d'esprit de leurs dirigeants, ni le mien. D'ailleurs, dans la région Sud que vous connaissez bien, Monsieur Tabarot, les choses se passent bien. SNCF Réseau et Gares & Connexions font en sorte que de nouveaux entrants puissent avoir accès aux éléments nécessaires pour offrir une réponse de qualité à l'autorité organisatrice. Les conditions sanitaires ont pu gêner les opérateurs nouveaux entrants, et puis ce sont des lignes difficiles, qui passent par le Massif central et sur lesquelles des travaux sont à prévoir. Peut-être aussi n'ont-ils pas estimé pouvoir prendre le risque encouru par toute délégation de service public. En tout état de cause, je souhaite que l'État aille au bout. J'entends parler d'appel d'offres infructueux, mais ce serait regrettable, car la SNCF a travaillé, dépensé 2 millions d'euros, mobilisé des équipes et des savoir-faire, et il n'y a pas de raison que nous soyons pénalisés parce que d'autres ne se sont pas présentés. J'espère qu'au terme du processus nous pourrons faire le constat de notre capacité à entrer dans l'équation posée par l'État.
En ce qui concerne les cessions, je voudrais rappeler qu'il y en a toujours eu. Dans les circonstances actuelles, qui voient la dette de la SNCF s'envoler, nous sommes allés sur les marchés financiers en 2020 pour lever de l'argent et rembourser nos emprunts, payer les salaires et nos fournisseurs. Au premier semestre de cette année, les pertes s'élevaient déjà à 2,5 milliards d'euros. Le second semestre aurait dû être moins mauvais, mais les pertes vont finalement s'accentuer avec le deuxième confinement, et c'est autant d'argent qu'il faudra aller chercher sur les marchés financiers. La dette représente une entrave, des frais financiers, une incapacité à innover et à investir. Face à son augmentation, deux solutions s'offrent à nous. Tout d'abord, la recapitalisation par l'actionnaire, qui consiste en une simple opération de bilan et ne permet pas de financer des travaux. L'autre possibilité est d'avoir recours aux cessions. Le plan de relance nous a permis de financer le réseau, les petites lignes, le fret, les trains de nuit, mais c'est de l'argent fléché qui permet une amélioration du service et l'injection d'argent dans l'économie française ; il ne s'agit pas d'une opération financière visant à réduire la dette.
Les cessions sont donc nécessaires, et des discussions ont eu lieu entre la SNCF et l'État, au cours desquelles je me suis clairement opposé à toute idée de céder Keolis et Geodis, qui sont au coeur de la stratégie du groupe. En effet, Keolis nous permet d'inclure toute la chaîne de la mobilité, du train jusqu'au tram, au métro et au bus, et de faire de la SNCF un véritable opérateur multimodal de mobilité. De plus, l'entreprise remporte des succès en Europe et à l'international. Dans le cas de Geodis, il y a d'abord un argument de diversification au sein du groupe. La SNCF historique rencontre des difficultés alors que Geodis, logisticien mondial, connaît des succès et profite du retour du développement économique dans d'autres parties du monde. Cette entreprise joue donc un rôle très important dans l'équilibre du groupe, et apporte des ressources à la SNCF. En outre, Geodis est une très belle entreprise, le dernier grand logisticien français, le huitième mondial, le troisième ou quatrième européen, et il enregistre plus de 8 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Lorsqu'il a fallu aller chercher des masques en Chine au mois de mars, le Gouvernement a sollicité Geodis, qui a organisé le transport en deux jours. Aurions-nous eu la priorité si Geodis n'avait pas été française ? Le fait de disposer en France d'un logisticien de rang mondial est une question de souveraineté nationale. Enfin, Geodis étant contrôlée par la SNCF, il est possible d'exercer un contrôle public sur ce grand logisticien et tout montage qui s'écarterait de ce principe mériterait d'être bien pesé. Nous allons vendre Ermewa, c'est quasiment public et je peux donc le confirmer. Le processus a démarré, nous sommes confiants, de nombreux acheteurs potentiels se sont manifestés et nous cherchons à obtenir le prix maximal, sachant que nous avons fixé la barre à 2,5 milliards d'euros, ce qui nous permettra de réduire un peu notre dette.
Monsieur Tabarot, je vous confirme que je suis, malgré la difficulté, très heureux d'être le président de la SNCF ! Vous savez que c'est pour moi l'engagement d'une vie, toute mon histoire. Comme je l'ai dit, j'ai commencé chef de gare, je suis aujourd'hui président de la SNCF et c'est une belle histoire, même si cet aspect personnel n'est au fond pas très important. Ce qui compte, c'est ma volonté de rendre à la SNCF ce que m'a donné cette grande et belle entreprise publique, qui est finalement assez mal connue. Un livre vient d'ailleurs de paraître sur la crise sanitaire vécue depuis l'intérieur de la SNCF. Le journaliste qui l'a écrit explique que le client râleur qu'il était est devenu client bienveillant au cours de son enquête, qui lui a permis de mieux comprendre les enjeux, le mode de fonctionnement et l'engagement formidable des cheminots. Je m'emploie à faire fonctionner cette entreprise du mieux possible pour qu'elle soit au service des Français et des territoires.
Sur la question d'un service public rentable, nous sommes une entreprise publique à 100 %, nous le resterons et nous en sommes fiers, car cela incarne le fait que nous sommes au service des Français. Pour nous, la rentabilité se mesure à ce que nous coûtons à la collectivité et l'objectif est bien de réduire ce coût au maximum. Un euro donné par un client qui achète un billet devient de l'argent public qu'il nous faut gérer avec beaucoup d'attention, d'autant plus que les finances publiques de l'État sont très sollicitées dans la situation difficile que nous connaissons. Donc le transport ferroviaire doit être attentif à ne pas trop consommer d'argent public. Il faut aussi pouvoir dégager suffisamment de recettes pour financer les investissements nécessaires dans les actifs qui nous ont été confiés. J'entends certains, dans d'autres cénacles, comparer la SNCF à des entreprises cotées privées, mais il ne s'agit pas du tout du même univers ; notre actionnaire, c'est l'État, ce sont les Français ! Il faut donc viser la performance, mais pour nous aider à améliorer la qualité du service public ferroviaire.
En ce qui concerne les sujets sociaux, une branche ferroviaire a été créée, au sein de laquelle la SNCF est la plus grosse entreprise, sans être la seule. Une branche s'organise souvent autour d'une convention collective nationale, négociée de façon paritaire entre les représentants du patronat et les syndicats. Les négociations ont été plutôt efficaces jusqu'à récemment et en 2016, alors que j'étais président de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP), nous avons réussi à négocier un accord sur le temps de travail et l'organisation du travail au sein de la branche. En revanche, sur le sujet de la classification et de la rémunération, nous n'avons fait qu'une partie du chemin. Un accord a été signé par la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), mais la Confédération générale du travail (CGT), l'Union syndicale solidaire (SUD) et Force ouvrière (FO) l'ont dénoncé et il n'a pu être validé. Pour échapper à cette situation de blocage, l'État considère une organisation par ordonnance et décret, qui reprendrait les grandes lignes de la décision unilatérale patronale s'appuyant sur le projet d'accord, dont il ne faut pas perdre le contenu. Il pourrait être traduit sous forme réglementaire par l'État, et nous permettrait de décliner ces textes au sein de l'entreprise. J'espère que cela sera mis en place au cours de l'année prochaine, une fois que le ministère des transports parviendra au bout de cette construction réglementaire, qui est nécessaire et apportera plus d'agilité, de souplesse et de progression de carrière.
J'apprécie beaucoup le programme « 1 001 gares », qui prévoit de redonner vie aux gares petites et moyennes en les ouvrant aux collectivités, et en y installant des services et commerces locaux. Ainsi, une gare à proximité de Strasbourg a ouvert une petite buvette où l'on se retrouve en fonction des mouvements du train, et un magasin qui propose la location de vélos pour ceux qui veulent visiter la campagne alentour. La SNCF est prête à accompagner toutes les initiatives de ce genre et, dans les cinq ans à venir, nous prévoyons d'aider ainsi 500 gares. Il s'agit d'une politique majeure, qui doit être menée avec les collectivités pour revitaliser les territoires, en s'appuyant sur ces lieux formidables que sont les gares, avec leur histoire, leur bâtiment et leur patrimoine.
Au sujet du glyphosate, je maintiens que notre objectif est de nous en passer entre la fin 2021 et le début 2022. Je rappelle tout de même que nous ne consommons que 0,4 % du glyphosate utilisé en France, et que nous avons réduit par quatre notre consommation depuis vingt ans. Nous pensons avoir trouvé un produit de substitution, qui est bio et dont l'usage doit être validé. Nos méthodes d'épandage devront s'adapter et un changement de machines sera nécessaire. Le surcoût, évalué à environ 100 millions d'euros par an, a été couvert par le plan de relance, assurant ainsi une neutralité économique pour ce changement indispensable. Je rappelle qu'il s'agit de venir à bout de la végétation sur et le long des voies, qui représente un véritable obstacle pour les trains. L'enjeu est donc de maîtriser de manière écologique cette végétation, qui a été particulièrement abondante cette année, et c'est tout le sens de notre action.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci, monsieur le président. Il reste un certain nombre de questions et je donne d'abord la parole à M. Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Monsieur le président, vous avez confirmé qu'à la fin du mois d'octobre, l'écart entre le prévisionnel et le réalisé serait de l'ordre de 5 milliards d'euros, que l'on retrouverait en pertes. Où placez-vous le curseur en matière de cession d'actifs ? Vous avez mentionné Ermewa ; Akiem sera-t-elle aussi concernée ? Par ailleurs, le fait que l'État ait limité les déplacements est-il un argument suffisant pour contourner les règles de la concurrence et permettre au Gouvernement d'intervenir un peu plus dans le comblement des déficits de la SNCF ?
M. Bruno Rojouan. - Monsieur Farandou, je voudrais rebondir sur vos propos au sujet des petites gares charmantes, et vous dire que l'on trouve aussi dans le paysage de nombreux bâtiments SNCF qui sont des ruines ou des friches, et qui n'ont rien de charmant. Des pistes sont sûrement à exploiter dans ce domaine-là, avec les collectivités.
Par ailleurs, je voudrais vous demander quelques précisions au sujet de la dette. Selon le rapport Philizot, l'idée du plan d'action était de pérenniser et de moderniser les lignes de desserte fine du territoire et de transférer les charges, s'élevant à environ 2 milliards d'euros, principalement vers les régions. Compte tenu du tableau que vous venez de dresser, avez-vous l'intention d'encourager davantage les transferts vers les régions d'un certain nombre de réseaux ? De plus, la SNCF s'est engagée à conserver la régénération à 100 % d'un certain nombre de lignes. Étant donné la situation, à quel point les délais initialement prévus seront-ils dépassés ? Enfin, je suis nouveau sénateur de l'Allier et je dois rencontrer aujourd'hui même la société coopérative Railcoop. Que pensez-vous de son projet de réouverture de la ligne Bordeaux-Lyon ?
M. Daniel Gueret. - Monsieur le président, je suis nouveau sénateur d'Eure-et-Loir et très heureux à ce titre de vous entendre aujourd'hui pour la première fois. Au cours des quinze dernières années, j'ai eu de nombreuses occasions de rencontrer votre prédécesseur, car je porte le projet du pôle gare à Chartres depuis 2004. Je souhaiterais m'appuyer sur cet exemple pour attirer votre attention sur un certain nombre de points, qui me semblent nécessiter votre vigilance. Vous avez évoqué l'importance, mentionnée aussi dans le rapport Keller, de la présence des gares au coeur des cités. Cependant, lorsqu'on lance un projet, on s'engage dans un temps très long, qui dépasse le temps du politique. Je tiens à être positif et, après quinze ans de travail, nous achèverons notre projet de réhabilitation ferroviaire en centre-ville, qui couvre 32 hectares et aura coûté 300 millions d'euros. Le travail a été acharné avec vos équipes, que je remercie. Mais les ministres passent, la SNCF change continuellement, il nous faut nous adapter et c'est une véritable difficulté, à laquelle je voudrais m'assurer que vous serez vigilant. S'il y a rupture dans la gouvernance, les projets à long terme ne voient pas le jour.
Sur la question des négociations foncières, serait-il possible de simplifier les choses ? Par ailleurs, lorsque nous sommes obligés de racheter du foncier à la SNCF à l'issue de ces négociations, il nous faut aussi reconstruire et payer finalement deux fois. C'est une difficulté supplémentaire pour les collectivités.
J'entends beaucoup parler de ce qui va mal à la SNCF et j'ai toujours été frappé par l'incompétence de cette entreprise à parler de ce qu'elle sait faire. Il me semble que votre communication mériterait d'être plus positive, de ne pas se contenter de réagir à des crises diverses et variées. La tâche qui est la vôtre n'est pas facile et nous avons tous compris que vous ne manquiez ni de courage ni de conviction, mais sachez aussi que les collectivités sont là pour vous accompagner.
Enfin, vous avez évoqué la question du télétravail, et cela fait partie des nouvelles problématiques à partir desquelles il vous faudra réorganiser les flux. Dans les villes situées à moins de 100 kilomètres de Paris - comme à Chartres où 10 000 personnes font des allers-retours quotidiens vers la capitale -, il faudra réfléchir à l'organisation de trajets express à certaines heures, en tenant compte du fait que ces populations changent leurs habitudes et bénéficient à présent d'une plus grande flexibilité dans leurs horaires.
Les collectivités, quand elles s'engagent, le font avec des millions d'euros et elles ont besoin d'un véritable partenaire. Je compte sur vous pour qu'il en soit ainsi.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Merci, monsieur le président, pour la clarté et la précision de votre exposé. Quelles sont les relations qu'entretient la SNCF avec les constructeurs de matériel ? Nous sommes nombreux à sortir d'une campagne électorale, et nous avons le sentiment que dans les territoires ruraux l'attente est forte en ce qui concerne la desserte des territoires par la SNCF. A-t-on besoin d'autant de trains aux heures creuses ? Faudrait-il trouver de nouveaux matériels, qui permettraient une plus grande souplesse ? Enfin, c'est anecdotique, mais le wifi dans les TGV ne fonctionne pas très bien...
M. Gérard Lahellec. - La société et les élus attendent beaucoup du monde ferroviaire, et les attentes créent des inquiétudes. Mais je pense que la belle et grande maison SNCF est victime d'une injustice, car pour certains, tout ce qui ne se fait pas et tout ce qui va mal serait de sa responsabilité, ce qui n'est pas le cas. Dans les territoires, j'observe que les lignes qui restent à remettre à neuf sont celles qui seront transférées aux collectivités. Le plus grand mérite de votre exercice est que, dans cet univers complexe où la tendance est à l'ouverture à la concurrence, vous avez su faire preuve d'une ambition publique sans laquelle on ne répondra pas aux besoins de tous les territoires. Compte tenu de cette complexité, des inquiétudes à l'oeuvre et des dispositions réglementaires ou législatives qui ont été prises, pourriez-vous nous rassurer, et rassurer les cheminotes et cheminots quant à la préservation de leur emploi ? J'ai décelé parmi eux de fortes inquiétudes à ce sujet et il faut leur donner confiance si l'on veut construire des dynamiques.
M. Stéphane Demilly. - Monsieur le président, je voudrais également vous féliciter pour votre parcours personnel et professionnel qui représente un bel exemple pour les cheminots, et saluer votre motivation intacte devant la difficulté, comme l'a malicieusement fait remarquer notre collègue Philippe Tabarot. La crise du TGV, qui se manifeste notamment par des rames remplies à 30 %, n'est peut-être pas seulement conjoncturelle. Avec le développement du télétravail, l'exode des clients professionnels pourrait durer au-delà de la crise sanitaire, comme l'a précisé le président de la commission dans son propos introductif. La logique tarifaire appliquée au TGV ne devrait-elle pas être revue à la sortie de la crise ?
Par ailleurs, le ministre des Transports a confirmé que 4,7 milliards d'euros seront dédiés au ferroviaire dans le cadre du plan de relance, dont une part sera fléchée pour la desserte fine du territoire. Est-ce suffisant pour investir, engager les travaux de maintenance des voies et empêcher la fermeture momentanée ou définitive de ces petites lignes ?
Enfin, une question plus locale et franchement intéressée : pourriez-vous intervenir pour qu'internet soit disponible dans la liaison entre Amiens et Paris ?
Mme Denise Saint-Pé. - Monsieur le président, merci de votre présence. Je me classe parmi les clients râleurs que vous avez évoqués, et je vais vous parler de la ligne TGV Bordeaux-Tarbes, qui est absolument catastrophique. Vous avez fait référence aux incidents du mois d'août, qui ont révélé que les caténaires n'étaient pas entretenues depuis des années. Dans quels délais pensez-vous réussir à améliorer l'infrastructure ferroviaire, le niveau de service et le temps de parcours ?
De plus, pensez-vous que les délais soient tenables et les crédits suffisants pour assurer la réouverture de la liaison Paris-Hendaye par train de nuit en 2022 ?
M. Éric Gold. - Monsieur Farandou, la prééminence de la voiture individuelle reste aujourd'hui totale puisque près de neuf Français sur dix l'utilisent régulièrement pour se déplacer. Cependant, on entend partout qu'il faut un retour fort de l'usage du train, discours relayé par la Convention citoyenne pour le climat, dont l'une des 149 propositions visait à créer les conditions de ce retour à l'usage du train au-delà des voies à grande vitesse. Si l'on veut modifier les comportements, il faut que le train ne soit pas plus coûteux que la voiture, que les tarifs soient acceptables et plus lisibles par le grand public. En outre, l'offre de transport doit être suffisante et attractive, notamment dans les zones rurales de moyenne densité qui ont été progressivement abandonnées par le ferroviaire. Pensez-vous que cette proposition puisse être mise en oeuvre sous votre présidence et si oui, selon quelles stratégies et quel modèle ?
M. Frédéric Marchand. - Monsieur le président, je voudrais revenir sur l'un des éléments de la présentation que vous avez faite du projet « Tous SNCF » - dont l'une des traductions concrètes est sans conteste le formidable technicentre de Hellemmes, commune depuis laquelle j'assiste à votre audition. D'après vos propos, c'est avec les cheminots que nous ferons avancer la SNCF. Ce constat est partagé dans le livre qui vient de paraître et que vous avez évoqué, écrit par M. Emery Doligé, usager qui s'est immergé dans cette SNCF dont nous aimons tant nous plaindre. Je retiendrai de cet ouvrage une idée, proche de ce que vous avez développé avec passion tout au long de cette audition : le lien entre les femmes et les hommes de la SNCF relève à la fois de la solidarité, de la fraternité, et d'un sens de l'utilité.
L'ascenseur social reste pour les cheminots, mais aussi pour le grand public, la marque de fabrique de notre grande maison ferroviaire. Que répondez-vous, monsieur le président, aux cheminots qui affirment qu'aujourd'hui cet ascenseur social fonctionne moins bien, que les perspectives d'évolution et de formation sont réduites, et que la SNCF préfère avoir recours à des sous-traitants plutôt que de servir l'esprit cheminot ?
Mme Angèle Préville. - Merci, monsieur Farandou. Je souhaiterais d'abord vous interroger au sujet de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, qui ne bénéficiera sans doute jamais de la grande vitesse et ne retrouvera peut-être même pas la durée des trajets d'avant, malgré les travaux en cours. Cela pose la question de l'équité et de la priorité qui devrait être donnée à cette ligne, qui dessert une grande partie du territoire. Le fait que le plan de relance ne permette pas une accélération de la mise en place des nouveaux wagons et de l'infrastructure nécessaire crée des regrets, mais aussi de l'impatience, voire de la colère.
Par ailleurs, vous avez évoqué le programme « 1 001 gares », et je voudrais vous parler d'une gare située dans un territoire cheminot par excellence, celle de ma commune, Biars-sur-Cère, qui a connu son essor grâce au train. Beaucoup de ces petites gares ferment leur guichet et deviennent des lieux en déshérence alors qu'en les dynamisant, nous pourrions revitaliser nos territoires. Vous avez dit vouloir accompagner 500 gares, mais quel est le ratio et combien existe-t-il de gares ? Y a-t-il contractualisation ? Comment la SNCF aide-t-elle ces communes et territoires, qui n'ont pas forcément beaucoup de moyens ?
M. Guillaume Chevrollier. - Monsieur Farandou, merci pour votre exposé et pour votre engagement à relever les nombreux défis de la SNCF. Je voudrais revenir à la question du fret ferroviaire, qui est un enjeu important et dont la situation, déjà fragilisée depuis de nombreuses années, s'est aggravée avec les grèves de 2019 et la situation sanitaire. Dans ma région des Pays de la Loire, le conseil régional a lancé une étude pour travailler sur ce sujet qui a un impact important sur l'attractivité et la compétitivité de nos entreprises. Au printemps dernier, vous avez évoqué la nécessité, pour relancer le fret, d'avoir une meilleure intégration au niveau européen, notamment grâce au Green deal ; pourriez-vous nous en dire davantage sur cette initiative ?
Vous avez aussi mentionné l'innovation digitale dans votre présentation, et notre commission a notamment travaillé sur l'impact environnemental du numérique. La SNCF est-elle sensible à ce sujet ? Travaillez-vous à l'écoconception du site de la SNCF ? Quelles actions menez-vous pour renouveler vos terminaux ? Plus globalement, quel est votre engagement à l'égard de la sobriété numérique ? Mes collègues ont évoqué le wifi qui permet - quand il fonctionne - de soulager les réseaux mobiles, ce qui est vertueux sur le plan environnemental.
Enfin, un quotidien du jour titre sur le coût public colossal de la SNCF ; quelle est votre réaction ?
M. Hervé Gillé. - Monsieur le président, merci pour vos interventions. Nous l'avons dit, le modèle TGV interroge et un certain nombre d'articles ont paru sur le sujet. Vous avez évoqué l'évolution de la grille tarifaire, mais pourriez-vous aller plus loin et inclure aussi une différenciation d'analyse entre Ouigo et inOui, notamment en ce qui concerne les catégories sociales des usagers ? Par ailleurs, quelle est votre stratégie énergétique ? Enfin, à qui doit revenir le financement de l'intermodalité et des infrastructures nécessaires, notamment avec les grands ports maritimes ?
M. Jacques Fernique. - Vous avez évoqué l'année 2020 comme étant celle de la révélation puisque nous avons redécouvert les formidables atouts du ferroviaire. Hier considéré comme obsolète, coûteux et peu rentable, tout le monde comprend aujourd'hui qu'il doit être prioritaire. L'année 2021 sera celle des réalisations. Le plan de relance pour le ferroviaire permet un net abondement, mais le retard de notre pays est considérable en ce qui concerne la qualité du réseau. De plus, la concurrence routière et aérienne est rude et les efforts qui seront déployés, bien qu'immenses, ne sembleront pas suffisants pendant longtemps. Vous avez déjà largement répondu à ma première question, qui portait sur les dispositifs, les outils et les dynamiques nouvelles qui permettraient de changer la donne. Je me contenterai donc de ma deuxième question : afin de pouvoir évaluer la trajectoire quant à ce changement de donne, quels sont vos objectifs de part modale à l'horizon 2030, en termes de fret et de voyageurs ?
M. Philippe Tabarot. - Je pose ici deux questions adressées par M. Belin : où en sont les projets de développement des lignes de TGV ? Quel est calendrier et quelles sont les ambitions pour remplacer l'aérien sur les liaisons courtes ?
M. Jean-François Longeot, président. - Merci, chers collègues. Nous en avons terminé avec les questions et je vous cède la parole, monsieur le président.
M. Jean-Pierre Farandou. - Je vais essayer de répondre avec rythme à ces nombreuses et riches questions ! Je le répète : nous n'avons pas encore de pronostic quant à la hauteur des pertes, et je ne peux valider aucun chiffre à ce stade. Cependant, nous avons un ordre de grandeur et savons qu'elles seront élevées, que l'impact économique sera rude pour cette année et préoccupant pour l'année prochaine.
Au sujet des cessions, vous en avez mentionné une dont le processus est engagé de manière quasiment publique, mais c'est différent en ce qui concerne Akiem, entreprise européenne qui loue des locomotives à des opérateurs. En effet, la participation de la SNCF dans cette société n'est que de 50 % et, si des réflexions sont en cours, aucune décision n'a été prise et il serait prématuré de répondre.
Quand cela est justifié, l'État octroie des aides sans difficulté pour l'entretien ou la rénovation du réseau ferroviaire, parce que celui-ci relève de la politique publique et profite à tout le monde, à la SNCF comme aux nouveaux entrants. En revanche, pour soutenir le côté transporteur de la SNCF, il faut que les aides soient apportées à tout le secteur du fret. Un montage prévoyant une aide destinée au seul opérateur Fret SNCF n'obtiendrait pas facilement l'approbation de l'Union européenne.
Je suis conscient qu'il reste encore des friches industrielles, un peu partout, et qu'elles ne font pas très bon effet dans le paysage. C'est un travail de Romain, et il faut prendre ces lieux un à un, en travaillant avec les collectivités. La SNCF le fait déjà, mais sans doute peut-elle mieux faire.
Je suis sensible à la question des projets qui s'inscrivent dans le temps long, et j'ai fait des territoires un axe stratégique majeur de l'entreprise, qui s'est un peu trop centralisée au cours des dernières années. Le réflexe jacobin nous guette assez vite dans notre pays, mais je suis, en raison de mon histoire personnelle et de ma culture, plutôt girondin. Nous devons mieux travailler avec tous les territoires, dans leur diversité. Je ne peux pas revenir sur ce qu'a prévu la loi en créant un univers ferroviaire à la fois uni dans un groupe, mais constitué d'entités séparées, mais je peux oeuvrer à ce que les choses se passent de façon plus fluide. J'ai donc décidé de créer des fonctions de coordinateurs régionaux, qui seront souvent occupées par les directeurs de l'activité transport express régional (TER), qui sont très bien implantés sur le territoire, connaissent bien tous les services de la SNCF, et pourraient donc faire office de guichets uniques auprès des élus. Je veux faire de cette question un axe de progrès et j'ai commencé à agir pour consolider notre capacité à mieux travailler avec les collectivités. Cela facilitera d'ailleurs, entre autres choses, le traitement du sujet des friches. Je m'engage à suivre moi-même cette nouvelle fonction, ce qui dit bien l'importance que j'accorde à cette animation territoriale, qui sera un engagement fort de mon mandat.
En ce qui concerne la coopérative, je n'ai pas vraiment de commentaire à faire si ce n'est qu'elle sera traitée en toute équité par rapport à ces projets. Je me dois d'être étanche sur ces sujets. Mon seul questionnement citoyen porte sur la notion de contribution publique puisqu'il ne s'agit pas de concurrence avec des opérateurs privés, mais d'un opérateur qui recherche des fonds publics. Chaque collectivité est libre bien sûr de l'usage qu'elle fait des fonds qui sont les siens.
Quant au télétravail, il me semble être autant une menace qu'une opportunité. La menace est directe puisqu'il entraîne une baisse du nombre de gens se déplaçant pour aller travailler. Dans les sièges de la SNCF, nous suivons les consignes du Gouvernement et nous sommes en télétravail cinq jours sur cinq. C'est un peu lassant et nous reviendrons à un ou deux jours par semaine quand la situation le permettra. En tout cas, le télétravail et la réduction entraînée de la fréquentation des trains me semblent être des phénomènes durables. En revanche, à moyen terme, de nouvelles mobilités feront leur apparition, car de nombreux Français font le choix de déménager pour quitter leur appartement des grandes villes et s'installer dans des maisons de villes moyennes, où la qualité de vie est meilleure et les prix de l'immobilier moins élevés. On commence à observer ces mouvements vers des villes situées à moins d'une heure et demie de train de Paris, comme Chartres ou Tours. Ces populations feront des allers-retours plus ou moins fréquents dans la semaine, et nous devrons réajuster l'offre de mobilité pour nous adapter à ces nouveaux comportements. Nous pourrions aussi réfléchir à créer des lieux de télétravail dans les gares parce qu'il n'est pas toujours facile de rester chez soi. Ce serait une autre utilité possible pour les gares qui ont de l'espace, et pourraient en consacrer une partie à des bureaux, des lieux connectés, sécurisés et nettoyés.
Avec les constructeurs, nous travaillons sur le registre du partenariat comme avec Alstom-Bombardier, notamment sur le TGV de nouvelle génération et, pour le reste, nous faisons jouer la concurrence entre Alstom, l'opérateur espagnol CAF ou encore Siemens, qui n'est pas très présent sur le marché français, mais pourrait le devenir davantage. Un peu de concurrence chez les constructeurs ne nuit pas au secteur. Pour autant, on ne le dit pas assez, mais cette filière industrielle ferroviaire française représente 250 000 emplois. Nous n'apparaissons pas assez comme une filière, du constructeur à l'opérateur, une filière d'excellence qui plus est. Alstom-Bombardier est le deuxième constructeur mondial derrière les Chinois, et SNCF est le troisième opérateur mondial. Nous n'avons pas à rougir de ce que sait faire la France en matière de ferroviaire. D'ailleurs, j'ai pris bonne note de votre invitation à privilégier la communication positive et nous allons essayer de le faire par tous les canaux, y compris par les réseaux sociaux. La question du constructeur se pose aussi pour trouver le matériel le plus adapté à la desserte fine du territoire, et nous tournons autour du concept de « train léger », qu'il faudrait que nous définissions et qui ne repose pas vraiment sur des questions de poids, mais surtout de prix et de frugalité. Le Gouvernement devrait lancer une thématique de recherche industrielle, à laquelle nous souhaiterions participer, pour définir avec les territoires ce que pourrait être ce train léger, qui pourrait fonctionner avec de l'hydrogène. En effet, la question des modes d'énergie se pose aussi. Il y a les trains hybrides, les trains à batterie et en ligne de mire, la technologie de l'hydrogène qui pourrait permettre de faire rouler des trains propres sur des lignes qui ne sont pas électrifiées aujourd'hui. Et c'est toute la filière qui devrait se mobiliser, et même au-delà puisqu'il faudra aussi associer la production d'hydrogène en amont. Il s'agit d'un vaste ensemble industriel et technique qui pourrait se rassembler autour d'un objectif à cinq ou dix ans.
L'emploi cheminot est un vrai sujet bien sûr, et il est lié à deux questions. Tout d'abord, la compétitivité, car la concurrence va devenir la règle et les collectivités vont jouer sur le prix. La question du coût se posera donc, et notamment celui de la masse salariale, et il ne sera pas anormal de procéder à des ajustements. Nous avons déjà engagé des efforts et la question des coûts de production est plutôt maîtrisée, mais des progrès restent à faire sur les coûts administratifs et de structure. La seconde question est conjoncturelle et concerne une baisse d'activités d'environ 20 % liée à la covid. Il me semble normal que la production soit ajustée, de façon ponctuelle je l'espère. Les deux effets combinés affectent le budget, avec un cas particulier pour Fret SNCF, qui n'a pas droit au déficit, doit assurer son équilibre économique et être rigoureux dans la gestion de l'ensemble de ses coûts, y compris la masse salariale. Cependant, sur le long terme, j'ai confiance, même si nous devons faire face à une période un peu compliquée, et il faut que les cheminots aient confiance eux aussi. Nous allons gérer cette période difficile en faisant attention à chacun. Je rappelle qu'il n'y a pas de licenciement à la SNCF et je m'engage à ce que chaque cheminot soit reclassé, formé, et qu'on lui retrouve un poste, si possible dans son bassin d'emploi. Nous traiterons ce sujet avec beaucoup d'attention, en toute transparence avec les organisations syndicales, et j'ai d'ailleurs créé un processus « solidarité emploi » pour gérer l'emploi par bassin, en anticipant au mieux de possibles reconversions.
Sur le sujet du TGV, il nous faut retrouver un vent de conquête commerciale. Cela passera par un ajustement des prix, et nous devrions avoir la trame d'une nouvelle gamme tarifaire autour de l'été 2021. Les tarifs des billets achetés au dernier moment, qui n'offrent aujourd'hui aucun prix réduit, pourraient changer. Par ailleurs, je pense qu'il nous faut admettre qu'une entreprise comme la SNCF, qui est une entreprise publique au service des Français, doit faire attention à cette image d'entreprise chère et nous pourrions réfléchir à un prix maximum en seconde classe, qui soit acceptable psychologiquement. Je suis très sensible à ces sujets et j'espère que nous serons capables d'avancer, pour notre clientèle.
J'ai l'impression que nous sommes entrés dans une phase de clarification sur la question des lignes de desserte fine du territoire. La répartition des rôles a longtemps été ambiguë entre État et région, chacun se renvoyant la balle et SNCF Réseau se retrouvant au milieu. Malheureusement, cela n'a pas produit beaucoup d'effets positifs et ces lignes se dégradent. Tous les acteurs doivent faire un effort, et il faut mettre en place des mécanismes partagés de financement entre l'État et les régions, à travers des protocoles, dont certains existent déjà et fonctionnent très bien. Par ailleurs, je le répète : le contrat de performance entre l'État et SNCF Réseau doit être le cadre institutionnel au sein duquel ces efforts de clarification seront menés. Il faudra environ dix ans pour rénover toutes ces petites lignes de desserte fine du territoire et il faut espérer que l'on saura conduire ces travaux avec lucidité et volontarisme pour aller au bout du processus. Une fenêtre de tir se présente ; il nous faut la saisir.
La liaison Amiens-Paris est effectivement une ligne importante, et je suis conscient que se posent des questions de qualité de service, de composition et de régularité. Nous y travaillons. Les Français veulent avant toute chose que les trains soient à l'heure. Et sur cette question les indicateurs moyens vont dans le bon sens, même s'il faut toujours se méfier de la moyenne. La régularité des TER et celle des TGV ont été améliorées, même s'il reste des foyers de difficulté, notamment en Picardie et en Normandie. Cependant, il n'y a pas de fatalité, et je m'engage personnellement à m'attaquer à ces difficultés. Il faudra se mettre autour d'une table, être transparents, avec les élus, les populations et les associations, et mobiliser tous les services techniques de la SNCF parce que ces problèmes sont multifactoriels. Il ne faut négliger aucune ligne et n'accepter aucune situation durable de manque de qualité.
En ce qui concerne le TGV du Sud-Ouest, les installations sont vétustes et il faut traiter les caténaires du Midi. Il faudra de la détermination et dix ans d'effort pour traiter, de façon systématique, tous les éléments défectueux du réseau. Par ailleurs, la technologie pourrait offrir des solutions et nous envisageons d'installer des capteurs sur les supports de caténaires, qui permettraient de repérer les anomalies et signes de faiblesse, avant que des incidents ne se produisent. La maintenance prédictive se fait en amont et de façon ciblée, permettant des économies. Entre l'effort durable de l'État et l'introduction de ces technologies modernes dans la maintenance du réseau, nous devrions obtenir une amélioration significative de la qualité dans les années qui viennent, et ainsi transformer les clients râleurs en clients satisfaits !
La liaison Paris-Hendaye par Toulouse sera effectivement lancée en 2022.
Sur la question de la voiture - et je suis tout à fait conscient de m'adresser à la commission du développement durable -, il y a effectivement un risque que le grand gagnant du confinement, après le vélo, soit la voiture individuelle. Ce serait un paradoxe que la voiture se taille la part du lion en sortie de confinement. Il faudra se montrer vigilants et nous mobiliser pour renforcer l'attractivité des transports collectifs et mieux faire valoir auprès des Français l'argument écologique. En effet, le train émet en moyenne vingt fois moins de gaz à effet de serre que les autres modes de transport. Vingt fois moins ! Si nous sommes tous convaincus que les politiques publiques doivent prendre en compte le fait écologique, il est impossible que l'on ne parvienne pas à orienter l'action publique autour du ferroviaire ! En cas d'échec, nous passerions à côté d'un mode de transport extraordinaire, le plus respectueux qui soit à l'égard de la planète. Il faut tout faire pour en encourager l'usage, pour les voyageurs comme pour les marchandises.
Je suis très sensible à la question de l'ascenseur social, dont je suis un exemple. Par ailleurs, je suis parfaitement conscient qu'il y a encore des Français qui n'ont pas suivi d'études pour des raisons diverses, mais le plus souvent sociales. Il faut leur donner la chance de commencer parce que sans cela rien ne peut arriver. La SNCF va donner cette occasion de commencer à de nombreux jeunes, puisque l'on va embaucher cette année 7 000 alternants, et que nous serons l'entreprise comptant le plus de jeunes en contrat d'apprentissage. En outre, nous allons proposer aux jeunes 2 500 contrats d'insertion et ce seront autant de secondes chances d'être formés, de trouver une dignité et une utilité. En tout, ce seront presque 10 000 possibilités pour des jeunes de trouver une place. Je suis très fier des statistiques qui montrent que deux tiers de nos agents de maîtrise et la moitié de nos cadres viennent de l'exécution. Notre entreprise permet encore de commencer au bas de l'échelle et de gravir les échelons et à ce sujet je souhaiterais citer un exemple dont je suis très fier. Le nouveau patron national du TER, Jean-Aimé Mougenot, qui a commencé comme conducteur de train, se retrouve aujourd'hui, 35 ans plus tard, membre du comex de la SNCF. C'est un beau symbole et il montre que c'est encore possible, à condition de travailler et de faire des efforts bien sûr. Vous n'êtes pas les premiers à me dire qu'il y a peut-être un certain ralentissement, et je veillerai personnellement à ce que l'ascenseur social continue de fonctionner, car la SNCF reste l'une des entreprises où la promotion interne est la plus forte et la plus vivante.
La sous-traitance est un sujet dont je discute beaucoup avec les syndicats. Il ne faut pas aller trop loin : il en faut, mais pas trop, et il convient de veiller à ce que les savoir-faire majeurs restent à la SNCF. Mais on a besoin, parfois, de sous-traitants, pour passer les pics de charge de travail. Il est normal que la SNCF s'appuie sur la sous-traitance, en restant très vigilante sur les compétences-clés, qui doivent absolument rester en son sein.
Certains territoires, vous le savez, n'auront pas la grande vitesse. Il s'agit de la Normandie, du Centre, du Limousin, de l'Auvergne. Ces territoires vont passer à côté de la grande vitesse de 300 kilomètres à l'heure. Certes, le doublement de la ligne nouvelle Paris-Lyon pourrait passer par l'Auvergne. Mais ce n'est pas pour demain ! Je ne vais pas vous le promettre à vue d'homme... Pourtant, ces territoires méritent une offre ferroviaire de qualité. L'offre actuelle s'articule sur du 200 à l'heure, ce qui n'est pas si mal et requiert une infrastructure de qualité. D'ailleurs, en Auvergne et dans le Limousin, des efforts importants sont actuellement déployés, pour environ un milliard d'euros à chaque fois, pour rénover les lignes et les rendre capables de supporter, sur des parcours importants, du 200 kilomètres/heure. Le matériel roulant doit aussi être modernisé. Les trains corail ont 40 ans : c'est l'équivalent, pour l'automobile, de la R16... Les wagons ont été rénovés, mais tout de même. Les décisions sont prises, et l'État a commandé du matériel neuf, qui sera construit à Bagnères-de-Bigorre dans les Hautes-Pyrénées, et livré en 2024 ou 2025. En attendant, il faut tenir, avec du matériel ancien et des travaux. Mais avec des voies neuves et du matériel neuf, nous pourrons proposer le meilleur service possible aux clients de ces territoires. Je peux comprendre l'impatience et la colère : en Auvergne, il y a peu, je les ai ressenties, chez les élus comme chez les usagers.
Il y a 3 000 gares et points d'arrêt en France. Traiter 500 gares en cinq ans, ce n'est pas négligeable ! En dix ans, nous aurons rénové 1 000 gares. Ce sera une bonne action pour les territoires, que la SNCF accompagne, bien sûr, avec des travaux de rénovation : ceux qui utilisent ces gares n'ont pas des capacités contributives financières très élevées, nous en sommes bien conscients.
Sur le fret ferroviaire, le paradoxe est que tout le monde comprend qu'il faudrait davantage de marchandises sur les trains, et moins sur les camions, mais qu'on n'y arrive pas - du moins en France. En Suisse, pourtant, le train a plus de 30 % de parts de marché ! Et le meilleur élève de la classe, en Europe, c'est l'Autriche, avec 35 % de parts de marché. Avec 9 %, nous sommes de mauvais élèves : la moyenne européenne est à 18 %. Seules l'Espagne et l'Italie font moins bien que nous, et sont dans le « tout routier » - dont nous ne sommes pas si éloignés que cela ! Il faut réagir, nous ne pouvons pas laisser cette tendance se poursuivre, sous peine de multiplier les problèmes de congestion et de sécurité routière.
Nous devons donc créer les conditions pour que les
opérateurs de fret reprennent des parts de marché. En
dix ans, cette part de marché doit doubler. C'est du travail,
assurément. Il faut commencer par survivre à court terme, face
aux menaces. Le Gouvernement a posé un jalon important en introduisant,
comme l'ont fait les Autrichiens
- ce qui explique une partie de leur
succès - une aide au wagon isolé. Un wagon isolé fait la
même masse qu'un camion, mais sans sa souplesse : le camion part de
l'usine pour aller au dépôt, quand, pour un wagon, il faut
l'amener avec un petit locotracteur, attendre qu'il soit chargé, le
ramener à la gare, l'incorporer avec d'autres wagons, l'emmener de gare
de triage en gare de triage... Bref, pour le livrer, il faut quatre jours,
pendant que le camion fait quatre fois l'aller-retour : si l'on
n'aide pas le wagon isolé, il est mort ! Le Gouvernement a fait le
choix de l'aider. Nous verrons si le niveau d'aide sera suffisant. De toute
façon, il faut une ambition européenne pour le fret, puisqu'il
implique les grands ports européens, et que les clients des industries
françaises, comme ses fournisseurs, sont partout en Europe. Il faut donc
absolument relier les usines et les lieux de production avec des points en
Europe. Nous avons d'ailleurs passé un accord avec les Allemands pour
mieux travailler ensemble avec la Deutsche Bahn et fusionner nos
systèmes de traitement des wagons isolés.
Oui, le digital peut consommer beaucoup d'énergie, et nous y serons attentifs. Pour le wifi, nous nous occupons d'équiper les engins, mais il faut que les réseaux fonctionnent ! Cela renvoie aux opérateurs, qui doivent faire en sorte que les antennes soient assez puissantes le long de nos lignes pour que le signal arrive. Ils avaient pris l'engagement de couvrir tout le territoire : n'hésitez pas à le leur rappeler !
Vous avez mentionné l'article de presse paru ce matin. Cela pourrait m'agacer, mais cela ne m'agace même plus : sans doute la sérénité liée à l'expérience. Il s'agit du recyclage de sujets bien connus. Oui, il y a de l'argent public qui va à la SNCF. Pour les retraites, il s'agit d'une péréquation générationnelle : il y avait 400 000 cheminots après-guerre ! Il en va de même pour les agriculteurs : si on demandait aux agriculteurs de payer la retraite des agriculteurs, ils seraient à la peine... La SNCF compte 140 000 actifs pour 350 000 retraités : il est bien évident que les seuls actifs de la SNCF ne peuvent pas financer les cheminots retraités. Cette solidarité est prévue par la loi, et ne pose aucun problème. Il est donc injuste de prendre ces chiffres pour dire : « regardez ce que ça coûte ! ». L'article comptabilise aussi les sommes versées par les régions pour le TER. Ce n'est pas sérieux : les régions achètent un service, il s'agit d'un chiffre d'affaires, pas de gaspillage ! C'est bien la contrepartie de la production ferroviaire que nous leur offrons. Bref, ces chiffres rapidement lancés dans un article appellent une prise en compte prudente...
Je souhaite « dédieseliser » la SNCF, qui utilise encore de nombreuses tractions au diesel. Près de la moitié de nos lignes ne sont pas électrifiées - heureusement, elles ne représentent que 20 % de notre trafic. Nous cherchons des solutions avec les régions, puisque c'est surtout le TER qui est concerné. Les trains à batterie et les trains hybrides nous permettent d'aller vite et de rendre électrique une partie du parcours. Ensuite, ce sera l'hydrogène. La SNCF doit aussi développer sa capacité à produire elle-même de l'énergie renouvelable. Autrefois, elle avait des centrales hydroélectriques... Nous pouvons poser des panneaux solaires, ou des éoliennes.
Quand le Président de la République a pris ses fonctions, il a décrété une pause sur la grande vitesse et appelé à mettre la priorité sur les transports de la vie quotidienne. Cela n'empêche pas des projets de LGV de se préparer, mais ils demandent un traitement démocratique. Des lignes sont possibles entre Bordeaux et Toulouse, Bordeaux et l'Espagne, et, depuis Toulouse, on ne serait pas très loin de Montpellier et de Marseille... Bref, on pourrait voir apparaître un barreau à grande vitesse qui relierait toutes les grandes capitales du sud de la France. De tels projets, bien sûr, coûtent cher. Mais, à vue d'homme, sans doute qu'un ou deux projets de LGV ont leur pertinence, pour compléter le réseau à grande vitesse français, dans une dimension européenne.
M. Jean-François Longeot, président. - Merci, monsieur le président.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Pierre Farandou aux fonctions de président-directeur général de la SNCF
M. Jean-François Longeot, président. - Nous avons procédé à l'audition de M. Jean-Pierre Farandou, dont la nomination est envisagée par le Président de la République pour exercer les fonctions de président-directeur général de la SNCF.
Nous allons désormais procéder au vote, qui se déroulera à bulletins secrets, comme le prévoit l'article 19 bis du Règlement du Sénat, et les délégations de vote ne sont pas autorisées, en vertu de l'article 1er de l'ordonnance n°58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote.
Nous procéderons ensuite au dépouillement de manière simultanée avec l'Assemblée nationale.
L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination, si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.
Il est procédé au vote.
La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Pierre Farandou, aux fonctions de président-directeur général de la SNCF, simultanément à celui de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale.
M. Jean-François Longeot, président. - Voici le résultat du scrutin :
- nombre de votants : 26
- nombre de bulletins blancs : 1
- pour : 25
- contre : 0
La commission donne un avis favorable à la nomination de M. Jean-Pierre Farandou aux fonctions de président-directeur général de la SNCF.
Projet de loi de finances pour 2021 - Missions « Plan de relance », « Écologie, développement et mobilité durable » et « Cohésion des territoires » - Communication sur les amendements
M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, grâce à l'excellent travail des rapporteurs et à leur implication, la discussion budgétaire a été l'occasion pour notre commission d'être force de propositions sur un certain nombre de sujets qui sont dans notre champ de compétences. Ainsi, de nombreux amendements adoptés en commission sur la première partie du projet de loi de finances et sur les missions « Plan de relance », « Écologie, développement et mobilités durables » et « Cohésion des territoires » ont été adoptés en séance publique et figurent désormais dans le texte voté par le Sénat. On ne peut que s'en réjouir !
Le domaine des transports a tout d'abord inspiré de nombreuses initiatives qui ont été approuvées par le Sénat. À cet égard, je ne peux que me féliciter de l'introduction :
· d'une mesure proposée par notre collègue M. Philippe Tabarot destinée à favoriser le renouvellement de la flotte fluviale pour accélérer le verdissement du secteur et encourager le report modal vers la voie d'eau ;
· de l'augmentation des moyens humains de l'Autorité de régulation des transports proposée par M. Philippe Tabarot, avec l'avis favorable de la commission des finances. La pleine application de cette disposition est soumise au sort d'un deuxième amendement, qui élève le plafond d'emploi de l'autorité, et qui doit encore être examiné, à partir de vendredi soir à l'occasion de l'examen des articles non rattachés ;
· de la possibilité de cumuler intégralement le forfait mobilités durables et le remboursement partiel des frais d'abonnement aux transports en commun ; notre collègue Olivier Jacquin est à l'origine de cette proposition.
Dans le droit fil des travaux de la mission d'information sur la sécurité des ponts, une autre proposition de M. Jacquin a été adoptée pour augmenter les crédits prévus par le plan de relance pour aider les collectivités territoriales à entretenir leurs ponts d'une part et pour augmenter les crédits relatifs à la prise en charge par l'État d'une partie des coûts d'entretien des ponts de rétablissement surplombant des voies du réseau routier national non concédé, en application de la loi « Didier », d'autre part.
J'évoquerai aussi une mesure présentée par Mme Perrot de compensation des pertes de recettes de la taxe sur les nuisances sonores aériennes afin de garantir la poursuite des travaux d'insonorisation autour des aéroports.
Une autre mesure, proposée par Mme Perrot, de compensation d'une partie du coût des lignes aériennes d'aménagement du territoire supporté par les collectivités territoriales enclavées a pu enrichir le texte adopté par le Sénat.
Un autre volet, celui des crédits de la transition énergétique et du climat, a également été l'objet de propositions qui ont reçu une suite favorable en séance publique. Je citerai donc deux amendements présentés par notre collègue François Calvet adoptés pour :
· supprimer la proposition du Gouvernement consistant à réviser certains contrats photovoltaïques ;
· sécuriser les ressources des associations agréées de surveillance de la qualité de l'air (AASQA).
Enfin, la prévention des risques est également un sujet de préoccupation constant pour notre commission qui a proposé deux amendements présentés par notre collègue Pascal Martin au nom de notre commission qui ont pu être adoptés en séance publique :
· un amendement visant à permettre le recrutement de 20 inspecteurs des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), qui prolonge les recommandations de la commission d'enquête Lubrizol ;
· un amendement proposant d'augmenter de 120 000 euros les crédits de recherche de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Enfin, un mot également sur la mission « Cohésion des territoires », qui est une enveloppe essentielle pour nos territoires, surtout dans la période de crise sanitaire. Les crédits ont été adoptés hier avec succès par notre assemblée, et je signale l'initiative fructueuse de notre collègue Louis-Jean de Nicolaÿ qui avait proposé un amendement pour reconduire en 2021 la prime d'aménagement du territoire, qui a été voté par le Sénat.
Je forme le voeu que toutes ces avancées que nous avons suggérées puissent être conservées dans le texte qui sera définitivement promulgué fin décembre.
La réunion est close à 10 h 40.
- Présidence de M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques -
La réunion est ouverte à 16 heures.
Proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France - Audition de M. Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques
M. Jean-François Longeot, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui devant nos deux commissions - celle de l'aménagement du territoire et du développement durable et celle des affaires économiques - M. Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Nous vous remercions de vous être rendu disponible pour venir nous parler d'un sujet qui nous tient à coeur : la question de la sobriété numérique, et plus particulièrement la convergence des transitions numérique et environnementale, qui fait l'objet d'une proposition de loi issue des travaux de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et qui sera examinée prochainement par le Sénat.
En janvier dernier, notre commission a engagé des travaux sur l'empreinte environnementale du numérique qui constituait encore, selon nous, un « angle mort » des politiques publiques mises en oeuvre pour respecter nos engagements climatiques. Nous avons donc mis en place une mission d'information, présidée par notre collègue Patrick Chaize, qui a mené un grand nombre d'auditions et fait réaliser une étude, afin de disposer d'éléments chiffrés inédits sur l'empreinte carbone du numérique en France, ses particularités par rapport aux tendances mondiales et, surtout, son évolution à l'horizon 2040.
Cette première étape constituant un préalable nécessaire afin de définir les leviers d'action les plus pertinents, en voici les deux principaux enseignements : premièrement, le numérique constitue en France une source importante d'émissions de gaz à effet de serre, soit 2 % du total des émissions en 2019, et cette empreinte pourrait augmenter de 60 % d'ici 2040 si rien n'était fait pour la réduire ; deuxièmement, les terminaux sont à l'origine de la plus grande part des impacts environnementaux du numérique en France, à savoir 81 % de l'empreinte carbone totale du secteur - et plus particulièrement la fabrication de ces appareils, responsable de 70 % de l'empreinte carbone totale du numérique.
La mission d'information du Sénat relative à l'empreinte environnementale du numérique a publié une feuille de route comprenant 25 recommandations « pour une transition numérique écologique », dont la proposition de loi reprend les pistes législatives. Celles-ci sont organisées en quatre axes : faire prendre conscience aux utilisateurs de l'impact environnemental du numérique ; limiter le renouvellement des terminaux ; faire émerger et développer des usages du numérique écologiquement vertueux ; promouvoir des centres de données et des réseaux moins énergivores.
Après l'intervention de ma collègue Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, le premier signataire de cette proposition de loi, notre collègue Patrick Chaize, prendra la parole pour rappeler l'importance et les enjeux de ce texte. Nos rapporteurs Guillaume Chevrollier et Jean-Michel Houllegatte, ainsi que la rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques, Anne-Catherine Loisier, vous interrogeront également sur le fond de cette proposition de loi.
Pour ma part, j'aimerais attirer votre attention sur le caractère large et transpartisan de cette initiative. Elle résulte d'un travail de fond important, adopté à l'unanimité des membres de notre commission et portant sur un enjeu à notre avis essentiel : la convergence des transitions numérique et écologique.
Vous avez annoncé, lors d'un récent colloque portant sur le numérique et l'environnement, la publication très prochaine d'une feuille de route interministérielle sur le sujet. Nous savons aussi, car nos rapporteurs ont entendu beaucoup d'acteurs et également travaillé en lien avec vos services, que vous partagez en partie les orientations de nos travaux. Nous souhaiterions donc, monsieur le secrétaire d'État, que ce travail soit utile pour avancer sur ce sujet et qu'il bénéficie de votre implication et de votre soutien afin de prospérer.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. -Monsieur le secrétaire d'État, nous sommes ravis de vous retrouver. Depuis quelques mois, nous avons déjà eu souvent l'occasion d'échanger sur des sujets concernant le numérique. Nous avons pu avoir des divergences sur le niveau d'intervention, mais je sais que nous ne divergeons pas sur le fond. Je remercie le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Jean-François Longeot, de son invitation à débattre de cette proposition de loi.
Si le numérique est avant tout une chance pour la transition environnementale, avec la promesse d'une meilleure utilisation des ressources, il ne peut se situer en dehors des objectifs fixés au niveau national, dans l'accord de Paris sur le climat ou dans la loi Énergie-climat. Tel est, me semble-t-il, l'intérêt de cette proposition de loi : réfléchir sur ce que certains ont pu appeler la « face cachée » du numérique. Cette face cachée, qu'il s'agit de rendre visible, concerne principalement la fabrication des équipements numériques, à travers l'extraction de ressources rares ou la consommation d'énergie carbonée. L'enjeu est donc, tout en encourageant les gestes écoresponsables, de favoriser l'allongement de la durée de vie des équipements, ce qui correspond d'ailleurs à une demande croissante des consommateurs. En somme, on peut considérer que l'enjeu environnemental rejoint l'enjeu de renforcement du libre choix du consommateur face aux acteurs de taille mondiale, qu'il s'agisse de producteurs de terminaux ou de plateformes en ligne.
Monsieur le secrétaire d'État, nous avons eu parfois quelques désaccords sur le niveau pertinent de l'action publique. Aussi, je ne résiste pas à la tentation de vous poser la question suivante : sur ce sujet de l'impact environnemental du numérique, comptez-vous privilégier une action au niveau national ou au niveau européen ? Comptez-vous, par exemple, proposer un volet environnemental dans le fameux Digital service act (DSA) que nous attendons avec impatience ?
M. Patrick Chaize, auteur de la proposition de loi. - Le numérique est un secteur essentiel de notre économie, indispensable à la transition écologique, à condition que les gains substantiels en matière de lutte contre le réchauffement climatique ne soient pas annulés par le propre impact du numérique en termes d'émissions de gaz à effet de serre ou d'utilisation des ressources. Pendant six mois, j'ai présidé la mission d'information relative à l'empreinte environnementale du numérique, qui a débouché sur une feuille de route ambitieuse et sur une proposition de loi transpartisane. Je veux d'ailleurs remercier l'ensemble des cosignataires de ce texte, qui représentent plus d'un tiers du Sénat.
Depuis la publication de notre rapport, nous avons pris connaissance avec satisfaction des travaux du Conseil national du numérique (CNNum), et avons noté que le Gouvernement entendait avancer sur ce sujet. Plus que jamais, nous sommes animés par un esprit de co-construction, et je ne doute pas que ce soit également votre état d'esprit aujourd'hui. Nous partageons, je crois, l'essentiel des constats et des propositions d'actions.
J'aimerais évoquer quelques points d'ordre général. Premièrement, concernant le calendrier d'application des dispositions prévues par la proposition de loi, notre volonté a été de ne rien arrêter au moment de sa rédaction. Nous souhaitions, en effet, laisser les acteurs réagir aux différents articles et adapter, le cas échéant, le calendrier d'entrée en vigueur. C'est le cas, par exemple, sur les sujets liés à l'écoconception ; une entrée en vigueur immédiate pourrait s'avérer prématurée, dès lors que les travaux de méthodologie menés par l'Agence de la transition écologique (Ademe) et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep) ne sont pas encore terminés. Je ne doute pas qu'il s'agira d'un point d'attente partagé par les rapporteurs qui pourront proposer des entrées en vigueur adaptées.
Deuxièmement, je note qu'une partie des dispositions de la proposition de loi, comme celle portant sur l'obsolescence logicielle, pourraient être adoptées dans le cadre de la transposition des directives européennes 2019/770 et 2019/771. Ces sujets essentiels nécessitent un véritable débat parlementaire et méritent mieux qu'une simple transposition par voie d'ordonnance qui, pour rappel, devrait intervenir avant l'été.
Troisièmement, je tiens à souligner la complémentarité du texte proposé avec la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC), puisque trois des quatre chapitres de la proposition de loi portent sur des sujets autres que l'économie circulaire. Plusieurs acteurs ont estimé que ce texte était inédit par sa volonté de s'intéresser à l'ensemble de la chaîne de valeur numérique, des centres de données aux terminaux, en passant par les réseaux. Par ailleurs, dans le chapitre 2 consacré aux terminaux, une bonne partie des articles s'intéresse à des sujets - notamment l'obsolescence logicielle - qui n'ont pu être pleinement traités dans le cadre de la loi AGEC, le Gouvernement souhaitant à l'époque disposer de plus de temps pour analyser la conformité de certaines pistes envisagées avec les directives européennes.
Enfin, je souhaiterais revenir sur l'article 15 de cette proposition de loi, relatif aux forfaits mobiles. Cette disposition n'est pas le coeur du texte, aussi, je ne voudrais pas prendre le risque de trop focaliser notre attention sur ce point. Néanmoins, j'aimerais rappeler que l'objet de l'article 15 est bien de prévoir une tarification des forfaits mobiles proportionnelle, pour partie, au volume de données fixé par l'offre. Pour rappel, si l'énergie consommée par un réseau fixe dépend très peu des usages, la consommation énergétique des réseaux mobiles, a contrario, dépend en grande partie de la quantité de données transmises. Une tarification plus ou moins proportionnelle à l'usage semble donc logique.
Cet article aura un caractère essentiellement préventif. La plupart des offres mobiles respectent déjà ce critère ; il s'agit simplement d'éviter le développement de pratiques peu vertueuses et allant à l'encontre des travaux actuellement menés par le Gouvernement pour sensibiliser l'utilisateur à l'impact environnemental de sa connexion mobile. Je rappelle également que, selon l'Agence de l'énergie, le streaming d'une vidéo en 4G consomme quatre fois plus d'énergie que le streaming de la même vidéo en wifi.
Cette proposition de loi constitue une boîte à outils, prête à l'emploi. Ma question est la suivante, monsieur le ministre : que comptez-vous en faire ?
M. Guillaume Chevrollier, rapporteur. - J'aborderai, pour ma part, trois points du contenu de la proposition de loi. Le premier porte sur le chapitre premier, qui concerne l'indispensable prise de conscience par les utilisateurs du numérique de la pollution causée par leurs usages. Tous les acteurs que nous avons entendus sont unanimes : cette sensibilisation est un prérequis incontournable.
L'article 2 propose de conditionner la diplomation des ingénieurs en informatique à l'obtention d'une attestation de compétences acquises en écoconception de services numériques. Sur ce point, la marche est aujourd'hui peut-être trop haute. Il serait plus adapté de viser une généralisation de modules relatifs à l'écoconception des services numériques au sein des formations. Qu'en pensez-vous ?
Mon deuxième point concerne la création de l'observatoire de recherche des impacts environnementaux du numérique. Sur cette proposition se dégage un vrai consensus. En effet, une telle structure de recherche, placée auprès de l'Ademe, permettrait d'analyser et de quantifier les impacts directs ou indirects du numérique sur l'environnement, ainsi que les gains potentiels apportés par le numérique à la transition écologique, objectivant de la sorte les débats souvent stériles entre technophiles et technophobes. Par ailleurs, cet observatoire a vocation à inscrire son action dans un temps long, essentiel à la définition précise des objets.
Mon troisième point concerne l'écoconception. Notre feuille de route préconisait l'interdiction de certaines pratiques écologiquement peu vertueuses, comme le lancement automatique de vidéos ou encore ce qu'on appelle le « scroll infini ». En lien avec notre proposition sur l'obligation d'écoconception des sites web et services en ligne publics, nous souhaiterions intégrer ces pratiques dans le cadre global défini dans l'article 16, de manière à fixer un référentiel général d'écoconception, évolutif et adaptable dans le temps. En effet, viser uniquement l'interdiction risquerait de nous faire tomber dans un inventaire par nature non exhaustif, sachant l'innovation permanente du secteur du digital aujourd'hui. Que pensez-vous de cette proposition ? Pour rendre plus efficace l'article 16, nous pourrions peut-être également prévoir de restreindre cette obligation aux entreprises dont les services numériques occupent la part la plus importante du trafic.
M. Jean-Michel Houllegatte, rapporteur. - Monsieur le secrétaire d'État, nous profitons de ces échanges non seulement pour recenser les attentes du Gouvernement sur cette proposition de loi, mais également, d'une certaine façon, pour la ciseler. Je souhaiterais, de mon côté, aborder les articles 7 à 10, relatifs à l'obsolescence logicielle rendant inopérants certains terminaux. Le sujet n'a pu être pleinement traité dans le cadre de la loi AGEC. Ces articles ne nous semblent pas poser de difficulté de conformité aux directives européennes devant être transposées d'ici l'été prochain. Partagez-vous cette analyse ? Pour assurer la conformité de l'article 8 à ces directives, nous pourrions prévoir une obligation de distinction entre les mises à jour évolutives et les mises à jour nécessaires au maintien de la conformité du bien - notion beaucoup moins restrictive que celle des mises à jour de sécurité actuellement retenue dans notre proposition de loi.
Au sujet de l'article 10 prévoyant le droit de désinstaller des mises à jour de logiciels fournis lors de l'achat d'un bien, il pourrait être précisé que le vendeur ne soit pas rendu responsable d'un défaut de conformité. Quel est votre regard sur cette proposition ?
L'article 6, relatif à l'obsolescence programmée, s'avère un peu complexe. Dans notre rapport d'information de juin dernier, nous avions fait le constat du caractère inopérant de l'article L. 441-2 du code de la consommation définissant le délit d'obsolescence programmée. En effet, aucune condamnation n'a été prononcée sur ce fondement depuis 2015. Selon la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l'article est aujourd'hui trop restrictif et contraint l'administration à engager des poursuites sur d'autres fondements, comme l'illustre le récent dossier d'Apple : à défaut de pouvoir retenir le fondement juridique de l'obsolescence programmée, la société a été condamnée à une transaction de 25 millions d'euros pour pratiques commerciales trompeuses par omission.
Afin de donner une réelle portée au droit, il apparaît donc important de réécrire cet article L. 441-2 du code de la consommation. Reprenant une proposition du CNNum, l'article 6 de la proposition de loi prévoit une inversion de charge de la preuve en matière d'obsolescence programmée. Nous sommes conscients que, conformément au code de procédure pénale, cette proposition ne pourra pas être inscrite dans le droit, dans la mesure où l'obsolescence programmée constitue un délit. Cette proposition, néanmoins, a le mérite d'engager une réflexion sur les modifications à apporter sur l'article du code de la consommation. La DGCCRF s'est saisie de cette opportunité pour nous exprimer ses observations. Selon elle, une piste de modification envisageable serait d'exiger la preuve de l'intention délibérée de raccourcir la durée de vie des produits sans exiger, de surcroît et de façon concomitante, la preuve de l'intention délibérée d'en augmenter le taux de remplacement. Partagez-vous cette observation ?
Enfin, je me réjouis que le Gouvernement ait engagé des travaux concernant l'impact environnemental des centres de données. Nous sommes satisfaits de voir repris par l'Assemblée nationale, dans le cadre du projet de loi de finances, l'article 22 de la proposition de loi exigeant une écoconditionnalité à l'octroi d'un tarif réduit en matière de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), dont bénéficient actuellement les centres de données.
Par ailleurs, le décret dit « tertiaire » devrait bientôt s'appliquer aux centres de données, en vertu de la loi portant évolution du logement de l'aménagement et du numérique (ELAN). Considérant la nature spécifique de ces centres au sein de la catégorie des bâtiments tertiaires, et considérant que leurs impacts environnementaux ne peuvent se résumer à la seule consommation énergétique, ne faudrait-il pas un encadrement environnemental propre aux centres de données, comme le propose l'article 21 de la proposition de loi ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis de la commission des affaires économiques. - Comme cela vient d'être rappelé, le Sénat va bientôt examiner le dispositif d'écoconditionnalité de la TICFE, applicable désormais aux data centers. Plusieurs acteurs du secteur nous ont fait remarquer que ce dispositif n'était finalement pas contraignant et pourrait même être assimilé à une forme de greenwashing ; ils estiment nécessaire de se baser sur des indicateurs chiffrés, notamment en matière d'efficacité énergétique, mais aussi de consommation d'eau, sachant qu'un certain nombre de ces équipements consomment plusieurs millions de litres d'eau potable et qu'ils polluent cette eau. Qu'en pensez-vous ? Et si la proposition était retenue, à qui pensez-vous confier le contrôle de cette écoconditionnalité ? Aux douanes - même si cela me semble peu probable au regard de la réforme en cours qui limitera encore les effectifs disponibles ? Aux services déconcentrés du ministère de la transition écologique ?
La sensibilisation du public est essentielle. Le Gouvernement envisage-t-il une campagne de communication sur les écogestes numériques ?
Concernant le partage des données, le numérique représente avant tout une chance pour la transition écologique et le développement de nos sociétés. En partageant davantage les données environnementales, des solutions pourraient émerger plus rapidement, plus concrètement sur le terrain. Que comptez-vous faire pour améliorer ce partage des données environnementales ?
Enfin, en matière d'économie de l'attention, l'article 17 de la proposition de loi présente les débuts d'un encadrement, déjà en partie abordé dans le cadre de nos travaux sur les dark patterns. Serait-il envisageable, sur le modèle de la régulation administrative prévue dans la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi « Avia », de fixer un cadre de régulation basé sur des obligations de moyens applicables aux acteurs les plus fréquentés ?
M. Cédric O, secrétaire d'État chargé de la transition numérique et des communications électroniques. - Il arrive au Gouvernement - la présidente de la commission des affaires économiques le sait bien - de travailler avec la chambre haute. Nous nous sommes beaucoup vus ces derniers temps et nous avons notamment réussi à avancer sur la question de la cybersécurité. Certes, nous avons connu un petit problème de temporalité concernant la régulation économique, mais cela avance puisque deux textes extrêmement importants doivent être présentés la semaine prochaine au niveau européen.
Je tiens tout d'abord à saluer le travail mené par Patrick Chaize et les rapporteurs sur ces sujets importants. Que va-t-on faire, in fine, de cette proposition de loi ? Cela va dépendre du contenu. Je ne suis pas fermé à ce que l'on puisse avancer sur un certain nombre de points intéressants.
Je voudrais insister sur un élément déterminant, que vous avez rappelé à plusieurs reprises : la transition environnementale ne s'effectuera pas sans transition numérique. Nous avons besoin de beaucoup plus de numérisation et d'innovations pour réussir la transition environnementale. C'est mathématique : de plus en plus de gens consomment sur cette planète, compte tenu notamment du rattrapage extrêmement rapide de certains pays en développement très peuplés ; si nous voulons faire en sorte de maîtriser notre consommation, il faut être plus efficace, et pour être plus efficace, il faut innover ; or, dans l'ensemble des secteurs les plus polluants - le bâtiment, les transports, la logistique, l'agriculture - la question numérique est absolument centrale. Nous avons besoin de connecter beaucoup plus d'objets pour être plus efficaces, c'est-à-dire pour faire autant, voire plus, en consommant moins.
Ceci est également vrai pour l'énergie elle-même : il n'y aura pas de smart grid et de réseaux distribués, avec des cellules de production photovoltaïques ou éoliennes, sans une numérisation massive, une utilisation également massive de l'intelligence artificielle et un développement de la connexion des objets, y compris via la 5G. Il faut avoir cela à l'esprit au moment de réguler le numérique.
J'ai eu l'occasion, il y a quelques semaines, avec la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili, de présenter une feuille de route sur la question de la transition environnementale du numérique qui rejoint, pour beaucoup, les préoccupations évoquées dans la proposition de loi. Le premier point concerne l'objectivation des données chiffrées, encore très lacunaires aujourd'hui. Quand on dit que l'impact environnemental numérique représente 4 à 10 % de la consommation totale, vous conviendrez que 4 ou 10 %, ce n'est pas exactement la même chose. Une objectivation de l'impact environnemental du numérique est donc nécessaire, y compris pour mesurer son impact positif.
Le deuxième élément porte sur la nécessité d'investir dans l'outil numérique pour favoriser la transition environnementale. À cette fin, dans le cadre du plan de relance, nous consacrerons un fonds de 300 millions aux entreprises innovant dans le domaine du numérique environnemental. Enfin, demeure la question de la maîtrise du numérique, qui nous occupe aujourd'hui et sur laquelle je vais revenir plus en détail.
Comme vous avez eu l'occasion de le souligner, un certain nombre d'éléments viennent compléter la loi AGEC. Pour rappel, nous débattons beaucoup de la consommation des données, de l'utilisation des réseaux, de l'utilisation déraisonnée de ces réseaux dans les ascenseurs, mais le vrai sujet concerne les équipements eux-mêmes, c'est-à-dire les téléphones, les ordinateurs ou les équipements électroniques, qui représentent 80 % de l'impact environnemental du numérique. Les Français changent de téléphone, en fonction des chiffres, tous les deux à cinq ans ; tant que nous n'aurons pas réussi à allonger cette durée de vie, les consommations de bande passante ne seront que la partie émergée de l'iceberg.
De manière générale, nous rejoignons les objectifs de la proposition de loi. À certains endroits, celle-ci adopte une approche normative, tandis que nous privilégions une approche incitative. On observe également des différences de calendrier - je pense notamment aux articles 16 et 23, sur lesquels des études sont en cours. Pour d'autres articles, les textes sont en cours d'élaboration, notamment la transposition des directives européennes 2019/770 et 2019/771, relatives respectivement aux contrats de fourniture de contenus et de services numériques et aux contrats de vente de biens. Sur un certain nombre de sujets, comme la question du lancement automatique des vidéos, la concertation s'avère nécessaire pour aboutir à quelque chose d'effectif.
Certains sujets relèvent du niveau européen, notamment la TVA applicable aux produits reconditionnés.
Sur deux sujets, j'aurais des réserves plus importantes : la question de l'interdiction des offres de téléphonie illimitée, qui pose un certain nombre de questions concernant l'inclusion numérique ou encore la liberté d'entreprendre, et le reporting sur les stratégies marketing liées à l'économie de l'attention, dont je doute de la faisabilité opérationnelle, sachant que, par ailleurs, cela introduirait un traitement différencié entre, d'une part, les contenus de services de communication au public en ligne et, d'autre part, les contenus publicitaires.
Se pose également la question des modèles d'affaires : doit-on aborder ce sujet par l'économie de l'attention ou par une régulation économique ? Le fond de ces problèmes, y compris celui de la haine en ligne, renvoie souvent à des questions de concurrence et à l'empreinte de ces très grandes plateformes.
Concernant l'article 2 et la question de la formation, je suis favorable à une généralisation des modules relatifs à l'écoconception des services numériques plutôt qu'à l'établissement de conditions à l'obtention du diplôme. Il n'existe pas de définition normative du contenu des diplômes d'ingénieurs ou de techniciens, mais une labellisation des formations. Les mesures relatives à l'écoconception des services numériques sont très faibles aujourd'hui. Quand on est formé au développement, on est peu sensibilisé à « l'écologie du code » ; il est nécessaire d'avancer sur ce sujet-là.
Sur le rapatriement des articles 18, 19 et 20 dans l'article général sur l'écoconception, il nous semble préférable de prévoir la création de référentiels. Au niveau européen, la directive écoconception, qui doit faire l'objet d'une révision dans le programme de la Commission européenne, serait peut-être plus adaptée pour définir un tel cadre de manière efficiente. Dernièrement, la Commission a exprimé des réserves sur la partie de la loi AGEC liée à l'écoconception, estimant notamment que les indices de réparabilité n'étaient peut-être pas compatibles avec le droit européen.
Par ailleurs, sur le sujet de l'obligation pour les sites enregistrant le plus gros trafic, nous sommes favorables à des mesures incitatives. La feuille de route, que nous présenterons prochainement, inclura de nombreuses mesures en faveur de l'écoconception.
Vous avez évoqué également les articles 7 à 10. L'article 7 serait déjà satisfait par la loi AGEC. Concernant l'article 8, sur la dissociation entre les mises à jour de sécurité indispensables et les mises à jour d'exploitation, des discussions sont en cours au niveau européen. Ainsi rédigé, l'article 8 serait compliqué à mettre en oeuvre en l'état du droit, et l'information du consommateur sur les mises à jour nécessaires au maintien de la conformité est déjà prévue à l'article 27 de la loi AGEC. Les articles 9 et 10, quant à eux, devraient être satisfaits par la transposition prochaine des directives européennes.
L'inversion de la charge de la preuve, proposée à l'article 6, ne semble pas possible dans le droit français. Il existe en revanche un problème sur la question de la preuve de double intention, assez peu applicable dans les faits. La proposition que vous avez discutée avec la DGCCRF paraît pertinente ; elle permettrait, sous réserve de compatibilité européenne, plus de condamnations.
Madame Loisier, les centres de données français sont plutôt vertueux en matière d'écoconditionnalité. Je ne pense pas, très honnêtement, que l'on puisse parler de greenwashing. Pour autant, ce n'est pas tout à fait la même chose de compter sur la bonne volonté des acteurs et d'établir des normes. Peut-on aller plus loin ? On doit regarder ce qui est possible... Cela ne me gêne pas que la France soit en avance sur les standards européens, mais je vois quand même un intérêt stratégique à ce que la France héberge des centres de données, plutôt qu'ils ne s'implantent à l'étranger. Je rappelle que le poids des centres de données dans l'impact environnemental du numérique n'est pas majeur. La plupart des centres de données utilisés par les Européens ne sont pas établis en Europe, et encore moins en France, ce qui pose un problème ; cela pourrait changer suite à l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).
Par ailleurs, nous avons prévu, avec l'Ademe, une campagne de sensibilisation du public sur la question des gestes du numérique écologique.
Enfin, concernant le partage des données, le député Éric Bothorel doit rendre son rapport sur les données d'intérêt général dans les prochaines semaines. Sans préempter les conclusions, les sujets climatiques, écologiques, environnementaux pourraient justifier une telle approche.
M. Cyril Pellevat. - Pour ce qui concerne l'empreinte environnementale du numérique, le Gouvernement plaide auprès de l'Union européenne pour une réduction de la TVA concernant les téléphones reconditionnés. Quel est l'état de l'avancement de ces négociations et pensez-vous que cette proposition puisse aboutir ?
Par ailleurs, où en sont les discussions avec les acteurs de la filière des centres de données visant à fixer les critères qui leur permettront de bénéficier de réductions sur les taxes de consommation d'électricité ? Des solutions commencent-elles à se dégager ?
M. Serge Babary. - Une proposition de résolution sur l'aménagement numérique des territoires, en discussion prochainement au Sénat, évoque les nouvelles fractures territoriales, apparues avec davantage d'acuité encore lors de la pandémie. Comment résorber ces fractures, sachant que, selon un récent rapport d'information du Sénat, plus de 14 millions de Français sont considérés touchés par l'illectronisme ? Naturellement, cela impliquera une multiplication d'installations de réseaux...
M. Jean-Paul Prince. - Non seulement il existe l'empreinte carbone, la consommation énergétique, mais différentes études semblent également montrer la nocivité des rayonnements liés aux antennes relais, avec des cas de maladies graves touchant des personnes vivant à proximité de ces antennes. Pouvez-vous nous préciser si des tests sanitaires sont réalisés régulièrement sur l'ensemble du territoire français, en particulier près des écoles et des crèches, et à quelle fréquence ? Pour ces ondes électromagnétiques, il existe des seuils internationaux indicatifs, fixés par une commission internationale ; on trouve également des seuils nationaux, avec une particularité pour Paris qui a signé une charte avec les différents opérateurs afin que ce seuil soit inférieur. Comptez-vous abaisser ces seuils qui sont plus élevés que ceux de nos voisins ? Et si tel est le cas, dans quel délai ?
Mme Évelyne Renaud-Garabedian. - Nous savons tous que la vidéo en ligne est responsable de 60 % de la consommation numérique. Les articles 18 et 19 de la proposition de loi visent donc à adapter la qualité de la résolution du terminal utilisé et, surtout, à empêcher le lancement automatique des vidéos, sauf en cas d'activation de cette option par l'utilisateur. Comment accueillez-vous cette proposition, sachant qu'une part importante du contenu publié sur les plateformes et des recettes publicitaires associées repose sur ces vidéos en partie responsables des comportements d'addiction ? Croyez-vous que la France puisse mener seule cette bataille ? Ne faudrait-il pas l'élever au niveau européen ? Autrement, l'utilisation d'un réseau privé virtuel (VPN) pourrait permettre de contourner ces exigences. Il me semble que la France a ici un rôle moteur à jouer pour permettre une application effective des dispositions tout à fait fondatrices de cette proposition de loi.
M.
Éric Gold. - La crise sanitaire a
entraîné des changements de modes de vie qui ne manqueront pas de
s'inscrire dans la durée. Parmi les évolutions les plus
marquantes, le télétravail s'est considérablement
développé : environ un quart des salariés du
privé en France étaient, en juin dernier, en
télétravail. Cette nouvelle organisation hybride entre le
domicile et le bureau a obligé les employeurs à investir
rapidement dans du matériel informatique supplémentaire. Nous
avons également assisté à une démocratisation
rapide de la vidéoconférence. Les experts prédisent que
nous ne sommes qu'au début du phénomène ; or, un
rapport de l'Ademe, daté de novembre 2019, explique que nos
équipements
- ordinateurs, smartphones et autres
objets connectés - représenteraient 47 % des
émissions de gaz à effet de serre générées
par le numérique et préconise de maîtriser le stockage,
ainsi que le trafic de données.
Les enjeux environnementaux sont considérables. Au-delà de la prise de conscience et de la sensibilisation des salariés, et au-delà de la responsabilité sociétale des entreprises, la création d'un label d'écoresponsabilité numérique ne pourrait-elle pas accompagner les entreprises vers une moins forte empreinte environnementale du numérique ? Les collectivités territoriales, tout autant concernées par les évolutions d'organisation du travail, ne pourraient-elles pas intégrer ces aspects dans leurs plans climat-air-énergie territorial (PCAET) ?
M. Franck Montaugé. - Je saluerai d'abord le travail des auteurs de cette proposition de loi et de ceux qui s'y sont associés.
Qu'en est-il de la politique des sociétés Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft, les Gafam, en matière de réduction de l'impact environnemental du numérique ? Comment cela se passe, notamment, quand nous nous retrouvons associés, au nom de l'État ou par l'intermédiaire d'entreprises françaises, a des projets communs de grande envergure ? Je pense au projet Gaia-X - un super cloud européen - sur lequel l'Union européenne s'est engagée. Quelle est la position de nos partenaires européens et de l'Union européenne sur la question à fort enjeu de la réduction de l'impact environnemental du numérique ? Enfin, comment faire appliquer nos normes aux systèmes hébergés en dehors du territoire national ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Le sujet de la TVA différenciée pour les appareils reconditionnés relève de la législation européenne. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de me prononcer en faveur de cette mesure lors des discussions européennes, mais je vous avoue ne pas avoir en tête la temporalité des discussions sur ce sujet. Je vous propose de revenir vers vous avec des réponses.
Concernant la question des tarifs d'électricité éco-conditionnalisés pour les centres de données, je rappelle que l'amendement adopté à l'Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2021 prévoit que ces derniers doivent, d'une part, se conformer au code de conduite européen sur le sujet et, d'autre part, réaliser des audits chiffrés de leurs émissions de chaleur fatale et mettre en place, le cas échéant, des politiques de réduction de consommation de cette dernière. Je suis ouvert à la discussion et nous pouvons regarder ce qui peut être fait, mais il ne me semble pas que ce soit anodin, même dans la situation actuelle.
Concernant l'inclusion numérique et l'illectronisme, je soulignerai l'ensemble du travail qui est mené, à la fois par les collectivités et l'État, pour la couverture numérique duterritoire.
J'assistais, en début d'après-midi, à la réunion de l'Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate). Je puis vous confirmer qu'aucun pays européen ne possède plus de kilomètres de fibre que la France ni ne la déploie plus vite. Si nous étions en retard sur la commercialisation, par rapport aux Espagnols notamment, nous avons fait deux fois mieux qu'eux en 2019. Nous pouvons donc difficilement aller plus vite, s'agissant de la réduction de la fracture numérique. Nous pouvons nous en féliciter collectivement, puisque cette politique est menée de concert par les collectivités territoriales et l'État.
Par ailleurs, nous continuons nos efforts pour couvrir les zones blanches, même si certains les trouvent insuffisants. Nous sommes passés de 600 pylônes construits en quinze ans, à 2 500 en deux ans.
S'agissant des médiateurs numériques, j'ai annoncé, il y a deux semaines, le déploiement de 4 000 conseillers sur l'ensemble du territoire, chargés d'accompagner la transition numérique et la formation des Français, des secrétaires de mairie et des travailleurs sociaux, notamment, qui sont confrontés à la vague de l'illectronisme.
Concernant la question des antennes-relais et des seuils limites, je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur Prince : nos seuils sont supérieurs à ceux de nos voisins européens. Les seuils internationaux d'exposition aux ondes sont définis par la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP). Or, les Français sont exposés, en moyenne, à des valeurs d'exposition aux ondes qui sont 200 fois inférieures aux valeurs définies par l'ICNIRP.
Par ailleurs, la France est le pays européen qui, en 2019, a réalisé le plus grand nombre de mesures d'exposition aux ondes - dans la rue, les écoles, chez les particuliers, etc. - avec 3 066 mesures. Nous en ferons 6 500 en 2020 et 10 000 en 2021, dont la moitié sur des antennes 5G. La majorité de ces mesures, dont les résultats sont publics, sont demandées à la fois par les collectivités territoriales, les associations agréées et les particuliers.
Sur les 3 066 mesures réalisées en 2019, 1 % dépassait d'un dixième les seuils limites. Or dès ce dépassement, conformément à la loi Abeille, une mesure de correction automatique est effectuée avec l'opérateur.
Je ne suis pas non plus d'accord avec vous s'agissant des impacts sanitaires. Vingt-huit mille études ont été réalisées depuis 1950 et un rapport est produit par l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) tous les ans. Il est prouvé que, en dessous des seuils limites d'exposition aux ondes, il n'y a aucun effet des ondes électromagnétiques sur la santé humaine.
Nous n'avons jamais réussi à démontrer le lien entre les ondes électromagnétiques et l'électro-sensibilité. Cependant, il est vrai que certaines personnes sont électro-sensibles et souffrent. Il convient donc de s'en occuper, et c'est la raison pour laquelle, des protocoles sanitaires sont en discussion au ministère de la santé.
Madame Renaud-Garabedian, je ne suis pas opposé à ce que nous avancions sur la question des lancements automatiques de vidéos. J'ai cependant un doute sur notre capacité juridique à y parvenir et sur les moyens d'y parvenir. C'est la raison pour laquelle, une concertation est en cours, notamment avec les acteurs concernés. Je n'ai pas vraiment de réserve pour avancer sur le sujet, mais nous devons nous assurer de la faisabilité juridique et de ce que nous voulons faire. D'ailleurs, ne devrions-nous pas avancer au niveau européen ? Je ferai plaisir à Mme la présidente, en disant que nous pouvons avancer sur ce sujet au niveau national, je n'y suis pas opposé. Nous pourrions cependant contourner la réglementation nationale en utilisant un VPN.
S'agissant du télétravail, qui est amené à perdurer, son impact est très bon pour l'environnement. Même si plus d'ordinateurs sont utilisés, les économies faites en termes de déplacement, et donc de pollution par les gaz d'échappement, sont extrêmement importantes. D'ailleurs, les entreprises ont réduit énormément leurs voyages d'affaires en les remplaçant par des réunions en visioconférence. Et nombreuses sont celles qui vont continuer à fonctionner ainsi, d'autant que leur budget voyage a nettement diminué. Le confinement a démontré que beaucoup de choses pouvaient être traitées en « distanciel ».
La question des labels éco-responsabilité fait partie des sujets sur lesquels nous travaillons dans le cadre de notre feuille de route. Nous pourrons donc avancer ensemble sur cette question.
Concernant les Gafam, ne nous y trompons pas, ces entreprises seront les premières à annuler leur impact environnemental. Leur engagement sur cette question est énorme. Jeff Bezos, par exemple, a annoncé la neutralité carbone de l'ensemble d'Amazon à l'horizon 2040. Nous devons cependant continuer à durcir la réglementation et à être offensifs sur la question du caractère environnemental du numérique. Mais l'engagement des Gafam est assez fort et même poussé en interne par leurs salariés.
M. Franck Montaugé. - Ce n'était pas une attaque, juste une question. Concernant le projet Gaia-X, prenons-nous le même type d'engagement et dans les mêmes délais que Jeff Bezos, par exemple ?
M. Cédric O, secrétaire d'État. - C'est une très bonne question, mais je n'ai pas la réponse. Je reviendrai vers vous.
M. Hervé Gillé. - Monsieur le ministre, du futile à l'utile, toute la question est là, et donc, dès que nous abordons la régulation, en toile de fond, il y a l'économie de marché. Pour mettre en place les investissements liés au numérique, nous trouvons toujours des nécessités économiques pour justifier le développement, parfois d'une manière artificielle justement, de ces marchés. Ce sont des chausse-trapes dans lesquelles vous ne souhaitez pas tomber, mais c'est un sujet de fond, qui est transversal à l'ensemble des questions que nous posons.
A été abordée, dans le cadre de l'élaboration de la proposition de loi, la responsabilité sociétale des organisations, et pas uniquement des entreprises - la RSE au sens complet du terme. Êtes-vous favorable à une prise en considération de l'empreinte numérique au sein de la RSE avec des évaluations réalisées au travers de la norme ISO 26000 ?
Vous avez évoqué un label écoresponsable. Pour le coup, le développement de la RSE permettrait de responsabiliser l'ensemble des organisations sur ces questions. D'une manière plus générale, êtes-vous favorable à une responsabilisation des utilisateurs ? Vous avez esquissé quelques propositions, pouvez-vous les reformuler ?
Enfin, concernant les médiateurs numériques, nous connaissons l'appel à projets qui a été lancé. Je rappelle néanmoins que plus nous avancerons, plus les médiateurs numériques travailleront sur des données sensibles. La formation des médiateurs numériques devient donc aujourd'hui primordiale, notamment pour leur apprendre le respect du cadre éthique et déontologique. Il me semble que, pour l'instant, ce sujet n'est pas véritablement abordé ; avez-vous des réponses à nous apporter sur cette question ?
Mme Viviane Artigalas. - La crise a montré combien le développement du numérique était nécessaire pour travailler et étudier, mais aussi pour les artisans et les très petites entreprises (TPE), afin d'être éligibles aux fonds de l'État, et pour nos concitoyens, afin de pouvoir accéder aux services publics. Nous sommes tous d'accord ici pour dire que ce développement ne doit pas se faire sans garde-fous sociaux et environnementaux. La mission d'information sur l'illectronisme et l'inclusion numérique, que nous avons menée au Sénat, a montré qu'un grand nombre de nos concitoyens sont encore éloignés de ces usages, mais aussi les TPE et les artisans.
Dans le cadre du plan de relance, vous avez débloqué 250 millions d'euros en faveur de l'inclusion numérique. Votre stratégie de formation aux usages inclut-elle également une formation à la sobriété numérique ? Enfin, ces financements ont-ils vocation à être pérennes - une nécessité pour accompagner la montée en compétences et la structuration d'un écosystème aujourd'hui trop éclaté ?
Mme Martine Filleul. - Les récentes crispations autour de la 5G ont montré la mauvaise appréhension de ce sujet, au regard des enjeux environnementaux, sanitaires, de consommation et d'aménagement. La Convention citoyenne pour le climat l'avait souligné, indiquant qu'un grand débat avec les Français était nécessaire. Or, vous n'avez toujours pas donné suite à cette demande. Ressentez-vous ce besoin de discussion, d'échange et de partage avec la population française ? Si oui, pensez-vous mettre en oeuvre cette proposition ?
Ensuite, pour pouvoir être pédagogique, il convient de disposer de données objectives et fiables. Or, nous manquons, en la matière, de ce type de données. L'Arcep l'a également souligné. Nous ne disposons pas d'instruments nous permettant d'effectuer ce travail sur les enjeux environnementaux du numérique. Vous-même, vous indiquez que la méthodologie de calcul de l'empreinte environnementale du numérique est insuffisante. Quelle méthodologie pensez-vous mettre en oeuvre pour pouvoir disposer, par exemple, d'un observatoire de l'empreinte environnementale ?
J'aimerais également vous parler de la présence des femmes dans le domaine du numérique. Celles qui sortent aujourd'hui des instituts sont peu nombreuses ; les flux d'étudiants sont essentiellement masculins. Ce qui veut dire que les logiciels, les applications et les algorithmes seront conçus par des hommes, pour des hommes. Quelles mesures pourraient être prises pour ne pas exclure les femmes de cette révolution du numérique ?
Enfin, concernant la lutte contre l'illectronisme, si vous avez fait des annonces en la matière, notamment de financement, mes questionnements restent toujours les mêmes. Prenons l'exemple du pass numérique : il n'est aujourd'hui utilisé que dans 47 départements et n'aboutit à des formations que dans 20 % des cas. Allez-vous mener une enquête pour déterminer quels territoires ont véritablement besoin d'être ciblés dans cette lutte contre l'illectronisme ? Par ailleurs, comptez-vous mettre un peu de structuration dans toutes ces initiatives qui sont, certes, intéressantes, mais dont nous avons du mal à en percevoir les effets ?
M. Daniel Salmon. - Je voudrais tout d'abord saluer cet excellent travail. Je me réjouis de la qualité du rapport d'information et des dispositions de la proposition de loi.
Monsieur le ministre, en introduction vous avez affirmé qu'il n'y aurait pas de transition écologique, sur cette planète, sans transition numérique. C'est beau d'avoir cette certitude, mais je pense que d'autres choix sont possibles. Ces choix seront politiques. Il ne doit pas s'agir d'une course effrénée que nous ne pourrions arrêter.
Il existe d'autres modèles de société : des sociétés low-tech, des sociétés avec des circuits courts, des sociétés avec une souveraineté... C'est possible. Je ne vous dis pas que c'est souhaitable - sinon, je risque d'être traité d'Amish - mais que c'est possible, que c'est un choix.
Je suis d'ailleurs persuadé que dans cette salle, nombreux sont ceux qui ne troqueraient pas leurs 20 ans d'il y a quelque temps pour avoir 20 ans aujourd'hui. Le numérique n'est pas forcément synonyme de bonheur et de sobriété.
Je souhaite revenir sur la question des forfaits. Il fut un temps, nous avions des forfaits pour l'eau, nous en consommions énormément. De même, il est nécessaire d'indexer le prix sur la consommation numérique ; le signal prix est fondamental. S'agissant de l'électricité, par exemple, nous ne payons pas, en France, le véritable prix. Nous devrons un jour nous poser la question, car je suis persuadé que si le prix était plus élevé, notre consommation serait réduite.
Concernant notre souveraineté, nous avons la fâcheuse tendance à envoyer notre pollution à l'autre bout de monde. Nous sommes, par exemple, dépendants à 95 % des terres rares de la Chine. Quand allons-nous exploiter nos sols pour extraire les terres rares dont nous avons besoin ? Nous pourrons ainsi mesurer l'impact environnemental de ces extractions, car il est facile de se voiler la face et d'importer ce que nous ne voulons plus faire chez nous.
Enfin, s'agissant de la sobriété, nous savons que c'est la publicité qui rend les téléphones obsolètes. La grande majorité des innovations ne seraient jamais vendues si la publicité ne martelait pas que nous ne sommes pas de vrais citoyens si nous n'achetons pas le téléphone dernier cri.
M. Jean-François Longeot, président. - Vous avez bien lu mon rapport, cher collègue, qui fait état de cent millions de téléphones portables et qui évoque l'obsolescence programmée et les terres rares !
Mme Marta de Cidrac. - Monsieur le ministre, vous avez renvoyé un certain nombre de mes collègues à la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC). Je ne peux que m'en féliciter, puisque j'en étais la rapporteure. Mais le sujet qui nous réunit aujourd'hui n'a pas été totalement débattu dans le cadre de cette loi.
Nous avons évoqué le télétravail, la 5G... Aujourd'hui, le seul sujet qui anime nos concitoyens, c'est de pouvoir être connectés dans tous les territoires. Nous avons également évoqué les usages et cet enjeu de la « face cachée » du numérique, sujet qui est vaste et très bien formulé dans le rapport de la mission d'information, pour laquelle je remercie Patrick Chaize et nos deux rapporteurs.
Quelle est votre position à l'égard de cette perche que vous tend le Sénat par l'intermédiaire de cette proposition de loi, qui vise pour la première fois en France à débattre de concert des transitions numérique et environnementale ? Cette question vous a été posée à plusieurs reprises par mes collègues, mais vous n'y avez pas répondu.
M. Jean-Claude Tissot. - Je souhaiterais vous interroger sur une problématique rencontrée par de nombreux maires, notamment de communes de petite taille, à savoir la multiplication de projets, en simultané, d'implantation de pylônes mobiles sur la même commune.
Je reprendrai une question écrite de notre collègue Hervé Maurey, restée sans réponse : « prévue par le code des postes et des télécommunications électroniques, l'incitation réglementaire sur la mutualisation des pylônes n'a pas d'effet sur les opérateurs, qui mènent parfois simultanément des projets sans se concerter, sur la même commune. Les maires, quant à eux, disposent de pouvoirs très limités en matière d'implantation des pylônes et se retrouvent sans leviers suffisants pour rationaliser ces initiatives. Au-delà des désagréments esthétiques et visuels, l'impact environnemental et sanitaire de l'installation de deux pylônes sur une même commune de petite taille doit être sérieusement questionné dans un tel texte ».
Comptez-vous rendre effective et efficace cette incitation à mutualiser les pylônes mobiles, lorsque les partages d'infrastructures entre opérateurs sont possibles ?
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous ne partageons pas tous votre vision sur la mutualisation des pylônes, cher collègue.
M. Patrick Chaize. - Je souhaite revenir sur l'article 15, afin qu'il n'y ait aucune ambiguïté sur le sujet. Vous l'avez évoqué, monsieur le ministre, en parlant d'interdiction. Relisez l'article, il incite en réalité à ce que la tarification soit proportionnée au volume de données fixé par le forfait. Nous souhaitons simplement que ce ne soit pas « open bar » sur les débits, si vous me permettez l'expression.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Un travail est en cours effectivement sur l'intégration du numérique environnemental dans les critères de la RSE. Sur ce sujet, nous nous rejoignons. Je ne suis pas fermé sur cette proposition de loi. M. Chaize sait d'ailleurs que l'on peut travailler ensemble. De nombreux sujets sont en discussion ; il est encore trop tôt pour dire si nous pourrons aboutir sur tout, mais je n'ai pas d'opposition de principe et je suis prêt à travailler avec vous et voir si nous pouvons parvenir à des compromis, ce qui semble possible. Mon état d'esprit est ouvert. Je ne sais pas si nous serons d'accord sur tout, mais nous pouvons chercher à avancer ensemble.
Monsieur Gillé, je suis tout à fait d'accord sur l'importance de la formation des conseillers numériques : c'est pour cela que nous avons prévu 350 heures de formation pour les 4 000 conseillers numériques que nous recrutons, formons et déployons sur le terrain en lien avec les collectivités territoriales et les associations qui les hébergent. Au-delà des besoins immédiats, nous voulons structurer une filière de la médiation numérique, en créant une véritable profession, en formant les conseillers pour qu'ils acquièrent des titres professionnels, et en accompagnant ceux qui sont en poste par le biais de la validation des acquis de l'expérience (VAE). Depuis deux ans, l'enjeu pour le Gouvernement est de structurer une politique publique de l'inclusion numérique. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. C'est pour cela aussi que nous avons déployé les hubs territoriaux, financés par la Caisse des dépôts et consignations, pour faciliter l'échange entre tous les acteurs sur le terrain - centres d'action sociale, entreprises, associations, collectivités, etc. - ou que nous appuyons le développement de la MedNum, société coopérative qui vise à mettre en relation tous les acteurs de la médiation numérique. Tout cela prend du temps, mais j'ai le sentiment qu'un processus est en cours. Le budget de l'inclusion numérique dans l'État a été multiplié par mille en trois ans, passant de 350 000 euros à plus de 250 millions cette année ! Nous voulons déployer cette politique dans la durée. Mon principal défi est que les conseillers numériques arrivent sur le terrain dans les deux années qui viennent : si nous avions plus de postes disponibles, je crois que nous ne saurions pas comment les déployer. Maintenant que l'argent est disponible, il faut rendre le dispositif opérationnel.
La sensibilisation à la sobriété numérique fait partie de la formation des médiateurs, qui relaieront cette préoccupation à leur tour. Mais n'oublions pas que le public visé est composé de personnes qui savent à peine allumer un ordinateur... De plus, pour initier au numérique, on propose souvent, pour commencer, des utilisations récréatives du numérique - consultation de vidéos, achat d'un bien sur un site de commerce en ligne, utilisation d'une messagerie en ligne pour communiquer avec ses petits-enfants, etc. - avant d'apprendre à remplir sa déclaration d'impôts en ligne ou actualiser sa fiche Pôle emploi. Les publics visés seront sensibilisés à la sobriété, mais ils sont encore loin d'une consommation compulsive du numérique.
Madame Filleul a évoqué l'utilisation de la 5G...
Mme Martine Filleul. - Ma question prolonge en fait les propos de Mme de Cidrac sur la nécessité d'un débat sur la 5G.
M. Cédric O, secrétaire d'État. - Si nous nous lançons dans un débat sur la 5G aujourd'hui, cette audition n'y suffira pas !
J'ai reçu les membres de la Convention citoyenne pour le climat. Celle-ci a écrit dans son rapport que le numérique était une chance pour la transition environnementale. Concernant le sujet spécifique de la 5G, elle émet plutôt des craintes d'ordre sanitaire. Celles-ci, comme je l'ai dit, ne semblent pas justifiées. De même, la Convention citoyenne pour le climat est préoccupée par la multiplication des objets connectés ; mais, cela ne concerne pas la bande de 3,5 GHz que nous venons d'attribuer, mais celle des 26 GHz, qui devra être attribuée dans les deux ans qui viennent. Ce débat doit donc avoir lieu au bon moment. Dès lors, si l'on regarde aussi ce qui se passe à l'étranger et la compétition économique mondiale, on constate que beaucoup de pays font de la 5G un élément de base de leur redémarrage économique et de leur attractivité. Il y avait donc urgence à lancer la 5G si nous voulions garder nos industries et éviter qu'elles n'aillent s'installer aux États-Unis ou ailleurs. Nous n'avions pas le luxe d'attendre.
Les Gafam sont nés de la 4G et de la généralisation des portables. Or, nous avons raté cette révolution et les géants du numérique sont américains ou chinois. Si nous ne déployons pas la 5G, nous raterons la prochaine révolution économique aussi et notre dépendance s'accroîtra. Nous sommes soumis à des injonctions contradictoires à cet égard. Je ne peux nier qu'il y a un débat dans la société sur la 5G - même si, comme le montrent les sondages, la majorité des Français y est favorable, y compris parmi les écologistes - mais on ne peut nier ses impacts économiques : voyez la réaction des entreprises télécoms qui ont déclaré que le moratoire sur la 5G de la ville de Rennes leur donnait envie de partir ! Dans la mesure où le débat environnemental concerne la bande 26 GHz, et non celle des 3,5 GHz, nous avons décidé d'avancer.
Vous évoquez le manque de données. Nous avons mandaté l'Ademe et l'Arcep pour qu'elles travaillent sur l'impact environnemental des réseaux. Il appartient par ailleurs à la recherche académique de travailler sur les externalités positives, difficiles à quantifier, car il est difficile d'anticiper la rapidité des ruptures technologiques à moyen terme : on pense qu'elles sont considérables, mais les estimations peuvent varier considérablement.
La place des femmes dans le numérique est un vaste sujet, sur lequel j'ai déjà eu l'occasion de m'engager et de m'exprimer. Je suis plutôt optimiste. On assiste à une prise de conscience du secteur, qui est certes très en retard, car la place des femmes dans les fonctions techniques n'est que de 5 ou 10 %, mais à la suite d'actions comme celles menées par le collectif Sista, qui attaque le sujet par la racine en visant les investisseurs, une évolution est en cours. Il reste encore à s'attaquer à la question des formations. J'en ai discuté avec ma collègue, Mme Frédérique Vidal. C'est un effort de long terme. Les Allemands ont réussi à doubler la part des femmes dans les formations technologiques en dix ans.
En ce qui concerne le pass numérique, nous avons contractualisé au total avec 87 départements à la suite du nouvel appel d'offres. Nous avons signé les conventions avec les collectivités en septembre 2019 ; les pass ont commencé à arriver sur le terrain début 2020. Or ils sont déployés dans des lieux physiques, mais ceux-ci sont fermés avec le confinement. Certains pass seront périmés avant même d'avoir été utilisés. Nous accompagnerons les collectivités pour leur réimpression. Il est donc encore difficile de faire une évaluation du dispositif dans ces circonstances.
Monsieur Tissot, en tant que secrétaire d'État chargé des communications électroniques, je suis pris entre deux feux : ceux qui ne veulent pas de pylônes et ceux qui en veulent ! Mais lorsque je me déplace dans les zones blanches ou rurales, on me demande plutôt davantage de connexions que moins ! Récemment, dans une commune près d'Angers, les commerçants et artisans me reprochaient même de n'avoir pas construit un pylône plus puissant. Dans le cadre du New deal mobile, le déploiement est mutualisé dans les zones rurales. Les problèmes de mutualisation sont rares. Lorsque le maire ne pouvait pas régler la question, par le plan local d'urbanisme par exemple, je suis intervenu, mais c'est très rare.
Monsieur Salmon, je ne partage pas du tout le discours selon lequel, il y a vingt ans, c'était mieux. Il suffit de lire le livre de Michel Serres, C'était mieux avant, pour comprendre que ce n'est pas vrai ! C'est oublier l'allongement de l'espérance de vie, la Guerre froide, etc. Ensuite, on ne peut pas réaliser la transition environnementale sans le numérique. Les énergies renouvelables, comme l'éolien ou le photovoltaïque, sont inconcevables sans lui : lorsque l'on passe d'un système où une grosse centrale nucléaire produit de l'électricité pour une grosse ville à un système où chacun est doté de petites cellules photovoltaïques ou éoliennes, il faut avoir recours au numérique pour équilibrer le réseau. On ne peut quand même pas prétendre que tout le monde va se chauffer au bois...
M. Daniel Salmon. - J'ai simplement dit que ce choix s'inscrivait dans un modèle de société. D'autres choix sont possibles !
M. Cédric O, secrétaire d'État. - La population mondiale augmente et consomme davantage. Nous n'avons d'autre choix que d'être plus efficaces, à moins de tuer toutes les personnes âgées ou de limiter les naissances... D'autres modèles existent, certes, mais nous pourrions aussi vivre en dictature plutôt qu'en démocratie... Toutefois, comme le disait l'humoriste, « y'en a qu'ont essayé, ils ont eu des problèmes ! » Cette rhétorique a des limites ! Je suis toutefois d'accord avec vous sur la question des terres rares et des métaux rares. Outre l'aspect environnemental, nous sommes dépendants à l'égard de la Chine ou de l'Afrique. Nous devons creuser cette question.
M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie. Comme vous l'avez compris, nous espérons que cette proposition de loi, issue d'un travail fourni, prospérera.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 40.