Mercredi 22 juillet 2020
- Présidence de M. Vincent Éblé, président -
La réunion est ouverte à 09 h 30.
Projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2019 - Examen du rapport en nouvelle lecture
M. Vincent Éblé, président. - Nous examinons le rapport, en nouvelle lecture, du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2019.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Voté en première lecture le 10 juin 2020 à l'Assemblée nationale, modifié par deux amendements, le projet de loi de règlement a été rejeté en totalité par le Sénat le 8 juillet ; aucun article n'a été adopté.
L'autorisation parlementaire telle que donnée à l'occasion de la loi de finances pour 2019 a été respectée, l'on ne peut contester ni les chiffres ni la sincérité de l'exécution de l'année 2019.
Pour autant, le projet de loi de règlement constitue aussi le résultat concret de la politique fiscale et budgétaire menée par le Gouvernement. Sur ce point, nous ne pouvons souscrire aux choix du Gouvernement. Celui-ci n'a pas suffisamment profité de la croissance et de la baisse de la charge de la dette dont il a une nouvelle fois bénéficié en 2019 pour redresser la situation structurelle des comptes publics. Je le répète à chaque projet de loi de finances (PLF) : compte tenu du niveau d'endettement, nous n'avons pas de marges de manoeuvre en cas de coup dur. Certes, nous imaginions un scénario de type krach boursier ou choc pétrolier, pas une épidémie...
Le PLF 2019 ne permettait pas de dégager de telles marges de manoeuvre, malgré la croissance économique et des recettes fiscales rentrant spontanément. C'est sur ces choix initiaux, dont la loi de règlement est le reflet, que le Sénat a décidé de ne pas adopter ce projet de loi. Nous payons maintenant les conséquences des choix pris par le Gouvernement : il n'a pas su créer les conditions qui nous auraient permis de disposer de marges de manoeuvre budgétaires supplémentaires, qui auraient été bien utiles maintenant que nous vivons l'une des pires crises économiques que la France ait connu en temps de paix. Alors que l'Allemagne consacre bien plus pour soutenir son économie et baisse les impôts, par exemple la TVA... Nous avons regretté, lors de l'examen du troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR 3), partir avec un tel handicap qui explique en partie que ce texte ne comporte aucune mesure de relance, faute de grain à moudre...
Dans ce contexte, la loi de règlement de 2019, qui nous fait revenir au « monde d'avant » l'épidémie de Covid-19, nous permet de tirer un bilan de la politique budgétaire conduite par la majorité alors que les indicateurs de la croissance étaient encore au beau fixe.
Pourtant, les chiffres ne sont pas bons. Malgré une « croissance de rattrapage » de 1,5 %, le déficit public a atteint 3 % du PIB à l'issue de l'exercice 2019, l'endettement atteint 98,1 %, la dépense publique augmente de 1,8 % et la part des prélèvements obligatoires ne diminue pas - une fois la bascule du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) neutralisée - pour s'établir à 44,8 % du PIB.
De son côté, l'État voit encore son déficit budgétaire se creuser de 16,7 milliards d'euros par rapport à 2018, passant à 92,7 milliards d'euros. Une fois l'ensemble des facteurs exceptionnels et discrétionnaires neutralisés, les dépenses du budget général, hors remboursements et dégrèvements, sont en augmentation de 1,9 % par rapport à 2018.
L'autorisation parlementaire est respectée parce que les objectifs initialement fixés n'étaient pas vraiment ambitieux.
En outre, l'année 2019 a également été marquée par la mise en oeuvre de mesures budgétaires et fiscales auxquelles le Sénat s'était opposé. Certaines réformes annoncées n'ont pas été menées, véritables serpents de mer, comme la réforme du versement des aides personnelles au logement (APL).
Réunie le 9 juillet dernier, la Commission mixte paritaire a constaté qu'elle ne pouvait parvenir à un accord et a conclu à l'échec de ses travaux.
Sans surprise, le 10 juillet, l'Assemblée nationale a adopté le texte en nouvelle lecture dans des termes identiques à celui issu de son examen en première lecture.
Par cohérence avec le vote du Sénat en première lecture, je suggère donc que la commission propose au Sénat de ne pas adopter le projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'année 2019 et donc en conséquence de n'adopter aucun des articles du projet de loi. Je suppose que nous partageons tous cette conclusion, même si nos motivations diffèrent.
M. Thierry Carcenac. - Nos raisons sont effectivement différentes. En matière de recettes, la justice fiscale n'y est pas. Les inégalités augmentent. Pour les dépenses, il aurait fallu davantage de moyens dans la santé, l'hôpital public, la recherche... Le PLFR 3 prévoit aussi trop peu de crédits pour la recherche. Nous réitérerons donc notre refus.
M. Pascal Savoldelli. - De même, le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste votera contre ce projet de loi de règlement. Le rapporteur général a évoqué les remboursements et dégrèvements ; nous allons vers quelque chose d'exponentiel, j'attire votre attention sur ce sujet. Ces niches fiscales vont se multiplier, sans évoquer les reports de charges sociales. On peut douter de la sincérité budgétaire sur ces sujets.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter, en nouvelle lecture, le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2019. En conséquence, elle décide de proposer au Sénat de ne pas adopter chacun des articles du projet de loi.
Contrôle budgétaire - Moyens du contrôle fiscal - Communication
M. Vincent Éblé, président. - Nous passons à un sujet particulièrement intéressant du contrôle budgétaire : le contrôle fiscal.
M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. - Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser notre collègue Claude Nougein, qui n'a pu être présent aujourd'hui. Je m'exprimerai donc en nos deux noms pour vous présenter notre rapport d'information sur les moyens dédiés par la direction générale des finances publiques (DGFiP) à sa mission de contrôle fiscal.
Comment nous est venue l'idée de ce contrôle budgétaire ? Lorsque nous l'avons proposé au bureau de notre commission, nous disposions des résultats 2018, qui se sont avérés décevants : à 8,7 milliards d'euros de redressements encaissés, ils étaient en baisse pour la quatrième année consécutive. Pourtant, depuis 2017, le Gouvernement avait très largement communiqué sur sa nouvelle stratégie en matière de contrôle fiscal. Celle-ci s'appuie sur trois piliers : la priorité donnée au développement des nouvelles technologies au service du contrôle fiscal, comme l'intelligence artificielle, le data mining ou le text mining ; un arsenal de mesures législatives renforcé depuis l'adoption, en 2018, de la loi relative à la lutte contre la fraude ; et l'instauration, en parallèle, d'une nouvelle relation avec les contribuables, illustrée notamment par l'adoption de la loi pour un État au service d'une société de confiance (loi Essoc).
Dans le même temps, le Gouvernement est revenu sur la sanctuarisation des effectifs dédiés au contrôle fiscal - instaurée par Éric Woerth, alors ministre du budget - à l'exception peut-être des directions chargées des dossiers les plus complexes, internationaux ou à fort enjeu.
En tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », nous voulions donc, avec Claude Nougein, évaluer les moyens consacrés par la DGFiP à sa mission de contrôle fiscal, ce qui n'inclut pas les évolutions législatives telles que la levée du verrou de Bercy, sur laquelle s'est penché le groupe d'étude sur la fraude fiscale de notre commission.
Nos travaux ont dû s'adapter à la crise sanitaire et économique : nos auditions ont été remplacées par l'envoi de questionnaires écrits et les administrations ont mis beaucoup de temps à nous répondre, souvent de façon incomplète.
Difficulté majeure, nous n'avons pas de données sur les crédits budgétaires effectivement consacrés au contrôle fiscal, que ce soit en titre 2 ou hors titre 2. Cet effort de synthèse devrait être fait dans le cadre du document de politique transversale - ou « orange budgétaire » - consacré à la fraude fiscale. Le développement des outils technologiques est effectivement indispensable : les agents chargés du contrôle fiscal au sein de la DGFiP reçoivent une masse de données qui leur serait impossible de traiter à la main. Ces données proviennent des fichiers et traitements informatiques mis en place, des données collectées au niveau local et, de plus en plus, des procédures d'échange automatique d'information mises en oeuvre avec des dizaines de pays. Notre objectif n'est donc pas de critiquer le recours aux moyens technologiques, mais de proposer des pistes d'amélioration. Nous en distinguons trois : les investissements informatiques, les ressources humaines et l'organisation du contrôle fiscal.
Nous suivons tous avec attention le sujet des investissements informatiques ; notre commission attend ainsi un rapport demandé à la Cour des comptes sur les projets informatiques de l'État. Ce problème se pose avec encore plus d'acuité pour la DGFiP, qui possède plus de 700 logiciels, dont certains sont d'importance vitale pour la gestion des recettes et des dépenses de l'État. La plupart de ces logiciels sont obsolètes et, pour financer ses investissements, la DGFiP se retrouve à devoir faire appel au Fonds pour la transformation de l'action publique (FTAP) de la mission « Action et transformation publiques ». Les budgets informatiques de la DGFiP doivent être sanctuarisés. Après plusieurs années de baisse puis de stagnation, les budgets informatiques ont connu une première hausse d'ampleur en 2019, à près de 200 millions d'euros pour la seule DGFiP.
Par ailleurs, la Mission requêtes et valorisation (MRV) de la DGFiP, en charge du data mining et de l'intelligence artificielle, n'est pas exempte de critiques sur son fonctionnement. Elle est passée de 18 à 26 agents, quatre recrutements supplémentaires sont prévus en 2020. La MRV utilise un logiciel apprenant, qui nécessite de nombreuses remontées d'information depuis les brigades locales. Nous devons faire attention à ne pas aller vers une programmation des contrôles trop centralisée, qui ne prendrait pas en compte les particularités du tissu économique local. Le data mining prend de plus en plus de place, même si les agents peuvent sélectionner leurs dossiers. La programmation est de plus en plus importante, et concernera bientôt plus de 50 % des dossiers...
La seconde voie de réflexion est celle des ressources humaines, avec un double enjeu, la formation des agents en poste et l'attractivité des talents et des compétences rares et spécialisées au sein de la DGFiP. Ce défaut d'attractivité concerne l'État de manière générale, et de premières mesures ont été prises pour y remédier, par exemple par le biais de la loi pour la transformation de la fonction publique, de circulaires ou de la stratégie « Tech gouv ». Concrètement, la DGFiP doit revoir son mode de recrutement et sortir de la voie traditionnelle du concours, pour aller chercher des talents hors de la fonction publique, avec des rémunérations adaptées pour le secteur informatique. C'est un enjeu interministériel, qui doit devenir l'une des priorités du comité d'orientation stratégique interministériel du numérique. Tout comme les douanes, la DGFiP a des difficultés à recruter des informaticiens. Elle le faisait, jusqu'à présent, par la voie du concours général : des inspecteurs des impôts rejoignaient les services informatiques, sans avoir nécessairement toutes les compétences requises pour le faire...
La troisième voie de réflexion est celle de l'organisation du contrôle fiscal, avec aussi un double enjeu. Le premier est celui du ciblage des contrôles fiscaux. Les logiciels de data mining, d'intelligence artificielle et de text mining actuellement développés ont du mal à isoler et à détecter les cas de fraude complexe. Le recours accru à ces outils ne doit pas nous conduire à privilégier les cas les plus simples de fraude. Nous manquons d'indicateurs et de données nous permettant de comparer l'efficacité relative des méthodes traditionnelles de détection de la fraude et de ces nouvelles méthodes ; or sur 12 milliards d'euros de redressement, 756 millions proviennent du data mining...
Devons-nous plutôt allouer les ressources contraintes du contrôle fiscal au ciblage des dossiers à fort enjeu ou aux dossiers dont les pénalités sont les plus faciles à recouvrer ? La loi Essoc a eu des effets non anticipés : elle privilégie les régularisations en cours de contrôle, sur les dossiers souvent les plus simples. Il faut à tout le moins que les agents en charge de ces nouveaux partenariats fiscaux soient bien séparés de ceux en charge du contrôle.
Le second enjeu, c'est la coordination entre les services et l'organisation sur place du contrôle fiscal. Nous partageons le constat de la Cour des comptes sur l'absence d'impulsion et de coordination interministérielle en matière de lutte contre la fraude fiscale : un décret a enfin été signé le 15 juillet 2020 afin de mieux coordonner la lutte contre la fraude, avec la création d'une mission interministérielle. On l'a appris par un communiqué du conseil des ministres du même jour.
Cette coopération doit trouver son pendant au niveau des administrations : certains protocoles de coopération ne suffisent pas. La création du nouveau service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF) visait en partie à répondre à ce problème : maintenant, des officiers judiciaires des douanes et de la DGFiP travaillent ensemble. C'est aussi un bon exemple de l'équilibre à trouver entre centralisation et régionalisation, avec une organisation par pôles spécialisés, pour traiter des schémas de fraude les plus complexes ou difficiles à détecter et prouver. Quant à l'organisation des brigades, il ne nous semble pas opportun que certains vérificateurs soient seuls en charge de dossiers. Actuellement, ces brigades sont organisées autour d'un inspecteur principal, accompagné d'une douzaine de vérificateurs. Chacun suit ses dossiers individuellement. Il nous semble au contraire plus judicieux de revoir l'organisation de ces brigades autour de trois à quatre personnes, avec des compétences spécialisées. Il est impossible pour un seul vérificateur de pouvoir appréhender l'ensemble des impôts et taxes sur lesquels porte le contrôle, il faut des équipes pluridisciplinaires. Ce serait alors à la fois un avantage pour l'administration, plus à même de déceler la fraude, et pour les entreprises, qui trouveraient face à elles des interlocuteurs mieux formés, plus spécialisés. Dans notre rapport spécial pour le PLF 2018, Claude Nougein et moi préconisions des réorganisations : certaines brigades étaient encore organisées sur un tissu fiscal ancien, ce qui compliquait le contrôle des entreprises dans des territoires en croissance. Dans les territoires en déprise, les contrôles étaient plus fréquents que dans les territoires en croissance récente - le rapport allait de 1 à 50. Dans certains territoires, les contrôles fiscaux interviennent tous les cinq ans, contre tous les 90 à 100 ans dans des territoires désormais de très forte densité - même si parfois des contrôles spécifiques sur la TVA sont menés.
Nous avons un autre enjeu, le recouvrement. À cet égard, nous sommes favorables à la nouvelle présentation des résultats du contrôle fiscal, qui s'intéresse davantage aux montants recouvrés qu'aux montants notifiés. Si cela donne une vision plus juste des résultats du contrôle fiscal - le but, c'est que toute la chaîne fonctionne, de la recherche de la fraude au recouvrement effectif des montants éludés et des pénalités - il ne faut pas oublier que ces deux résultats donnent des indications différentes et utiles. Depuis plusieurs années, les taux de recouvrement stagnent, autour de 67 %. Plusieurs mesures ont été introduites comme l'instauration d'un outil unique de mise en recouvrement forcé, la saisie administrative à tiers détenteur (SATD), ou encore la possibilité pour le contribuable de procéder à une régularisation en cours de procédure. La SATD ayant été lancée le 1er janvier 2019, nous devons attendre encore un peu avant d'avoir les premiers résultats. Néanmoins, le recouvrement est un enjeu clé pour améliorer les résultats du contrôle fiscal.
Les résultats de 2019 ont mis fin à plusieurs années de résultats décevants en matière de contrôle fiscal et ont été qualifiés par le Gouvernement de résultats records. Le montant total des encaissements est passé de 8,7 milliards d'euros en 2018 à 11,3 milliards d'euros en 2019, ce qui représente 4 % des recettes nettes de l'État en 2019. Nous ne pouvons que nous féliciter de tels résultats même si nous devons être prudents. Le chef du service du contrôle fiscal a rappelé que la comparaison des résultats d'année en année était un exercice difficile, ces résultats dépendant pour beaucoup de dossiers exceptionnels. Il est curieux que le Parlement ne dispose pas de davantage de données sur ces contentieux à enjeux - nous les découvrons souvent dans la presse - ce qui permettrait de mieux appréhender les résultats du contrôle fiscal. Par ailleurs, nous apprécions les montants recouvrés in abstracto, en absolu : nous ne savons pas combien nous recouvrons par rapport au montant total de la fraude fiscale. Nous partageons le constat de la Cour des comptes dans son rapport sur la fraude aux prélèvements obligatoires : il n'est pas normal que la France ne dispose pas, au contraire d'autres pays européens, d'une évaluation institutionnelle de la fraude, aussi difficile et critiquable soit-elle. Le Gouvernement a confié cette mission à l'Insee : il sera important que nous disposions des hypothèses sur lesquelles s'appuiera cette évaluation et que ces premières estimations soient progressivement fiabilisées. L'observatoire de la fraude fiscale, annoncé par Édouard Philippe en 2018, n'est pas encore en état de fonctionner. Transparence et évaluation, voilà deux recommandations que nous souhaitons également porter dans notre rapport. Ce dernier montre que l'investissement technologique ne peut faire l'économie d'une réflexion sur les ressources humaines - un contrôleur rapporte beaucoup - et l'organisation du contrôle fiscal.
M. Vincent Éblé, président. - Je vous remercie. La loi relative à la lutte contre la fraude prévoyait plusieurs innovations, dont le SEJF, créé à l'été 2019, qui suscitait beaucoup d'interrogations de notre part. Avez-vous eu des retours sur les apports de ce nouveau service ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je remercie MM. Nougein et Carcenac. Les ministres aiment beaucoup communiquer à coups de milliards d'euros sur le contrôle fiscal et, jusqu'à peu, ils ne communiquaient pas sur la réalité des chiffres recouvrés, juste les sommes redressées, ce qui est très différent. De plus sont mélangés des transactions, notamment avec les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et des contrôles fiscaux courants...
Comment la lutte contre le blanchiment est-elle organisée ? Les services fiscaux rechignent parfois à s'y participer, même s'il existe des dispositifs d'échange d'informations entre la DGFiP et Tracfin par exemple... Y a-t-il une stratégie de lutte contre la fraude à la TVA sur Internet ? Le e-commerce est le grand bénéficiaire de la crise sanitaire, et certains vendeurs n'y ont même pas de numéro de TVA, alors qu'on embête les commerçants ayant pignon sur rue, et qui peinent à survivre ! Après la réforme du verrou de Bercy, un contrôle sur place mené avec le président Éblé nous a donné le sentiment que les dossiers ne concernaient pas les gros poissons... La TVA est le premier impôt, le plus fraudé aussi, et je n'ai pas l'impression que des recherches systématiques soient menées sur internet pour détecter les fraudeurs.
M. Jean-François Husson. - Dans quels secteurs d'activité cette fraude est-elle la plus massive ? Il faut sans doute des moyens humains importants pour faire des investigations en ligne. À combien évaluez-vous le manque d'agents ? Le prélèvement à la source devait libérer des ressources humaines, d'après M. Darmanin...
M. Patrice Joly. - A combien évalue-t-on le montant de la fraude ? On la confond souvent avec l'évasion fiscale. S'agit-il d'une centaine de milliards d'euros ? Quel est le rendement moyen de chaque agent chargé du contrôle ? Combien en faudrait-il pour que le recouvrement soit optimal ? Il s'agit d'un véritable enjeu de cohésion sociale : chacun doit contribuer à hauteur de ses facultés, sans passe-droit...
M. Jérôme Bascher. - J'ai interrogé le Gouvernement, sans obtenir de réponse satisfaisante, sur la suppression de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, structure interministérielle créée en 2008, qu'on remplace par une autre mission, dotée de moitié moins de personnel, ce qui peut surprendre quand on parle de transversalité et de renforcement de la lutte contre la fraude !
M. Jean Bizet. - Vous l'avez dit : la TVA est le premier impôt, et il revêt une dimension européenne. Justement, l'accord trouvé ce week-end conduira l'Union européenne à rechercher davantage de ressources propres. Pourquoi ne pas inscrire la rationalisation de la lutte contre la fraude à la TVA à l'échelle communautaire ? Et nous pourrions prélever un pourcentage de ses résultats pour contribuer au remboursement des 750 milliards d'euros du plan de relance européen.
M. Vincent Segouin. - Vous avez dit que les moyens humains manquent. Mais que sont devenus les agents libérés par la mise en place du prélèvement à la source ? Le management de la DGFiP est-il efficace, et permet-il de réallouer les agents en fonction des besoins ? J'entends parler de deux États - Trésor et Finances - dans l'État...
M. Philippe Dallier. - Les nouvelles technologies devraient aider : pourquoi ne sommes-nous pas plus efficaces ? Peut-on recourir à des prestataires extérieurs, ou cela est-il rendu impossible par le secret fiscal ? Est-ce envisagé ? Mme Pannier-Runacher a évoqué un montant global de fraude de 10 à 15 milliards d'euros en France. Nous avions envisagé une forme de prélèvement à la source en matière de TVA, mais on nous a dit que cela devait être fait au niveau européen. S'il s'agit, en effet, d'un montant de 80 milliards d'euros, il s'agit d'une ressource considérable pour les États ou l'Union européenne.
M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. - Il y a eu des difficultés pour savoir à quoi rattacher le service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF). Le SEJF a reçu 922 affaires en 2019, 602 affaires ont été clôturées, 87 millions d'euros d'avoirs ont été saisis, et le préjudice identifié pour les finances publiques s'élève à près de 340 millions d'euros. Quant à la Délégation nationale, le décret du 15 juillet la remplace par une mission interministérielle de coordination anti-fraude. Quelle stratégie ? Alors qu'autrefois les contrôles étaient globaux, on peut désormais se focaliser sur la TVA. L'un des syndicats de Bercy évalue le montant global de la fraude et de l'évasion fiscale entre 60 et 80 milliards d'euros. Au niveau européen, la fraude à la TVA représente une dizaine de milliards d'euros - la Commission européenne parle de 15 milliards d'euros. Les moyens sont-ils suffisants ? Sur les quelque 100 000 agents de la DGFiP, 10 000 environ font du contrôle fiscal. Leur rendement, par rapport à leur rémunération, est important : ce sont des agents qui rapportent plutôt qu'ils ne coûtent.
M. Patrice Joly. - Tous les agents rapportent dans la fonction publique !
M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. - En 2018, nous avons montré que la répartition territoriale des agents n'était plus adaptée au tissu fiscal : certaines zones de vieille tradition industrielle comptent beaucoup d'agents quand d'autres, qui se sont beaucoup développées, en ont moins. Tant que l'affectation des agents était infradépartementale, il était difficile de les déplacer. Celle-ci est désormais départementale. Surtout, l'informatique permet de faire des vérifications de comptabilité à distance. Il y a donc moins un problème de moyens que de recrutement et d'affectation : seuls 1 200 agents sont affectés à l'informatique, et seulement 26 au data mining ! De plus, les rémunérations offertes dans le privé rendent difficiles certains recrutements. Il y a du recours à des prestataires extérieurs, notamment pour héberger des données, même si les douanes ont désormais un vaste data center ouvert à plusieurs ministères. Une équipe importante travaille à Noisy-le-Grand sur l'informatique et la statistique. Certains logiciels encore en fonction datent des années 1970...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Lorsque je me suis rendu pour un contrôle à l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle avec Philippe Dallier, nous avons vu le flot de paquets qui arrivaient, auquel devaient faire face quatre malheureux douaniers. Effrayant. Nous ne pourrons pas mettre un agent derrière chaque colis. Il faut donc innover, et développer des moyens de contrôle faisant appel au numérique. Les Anglais ont trouvé des solutions. L'administration fiscale française est très compétente, sérieuse et hiérarchisée, mais pas toujours agile pour faire face aux nouvelles fraudes. Les méthodes doivent évoluer : face à une fraude d'une telle ampleur, il faut des processus automatisés.
M. Jean Bizet. - J'insiste sur la dimension européenne de la question. Le e-commerce ne fera que se développer, et pas seulement au profit des grandes entreprises : les circuits courts s'organisent aussi comme cela. Et nous devons trouver de nouvelles ressources propres pour l'Europe, puisque les États ne veulent pas porter leurs contributions nationales au-delà de 1 % de leur PIB. Or la taxe sur les plastiques usagés ne rapportera que 3 milliards d'euros... Encore a-t-elle vocation à faire disparaître son assiette ! La lutte contre la fraude à la TVA offre davantage de perspectives, et serait presque indolore pour le contribuable moyen. La directive TVA doit être réformée en 2022. Ce sera l'occasion.
M. Thierry Carcenac, rapporteur spécial. - Le décret prévu sur la coordination interministérielle évoque bien la protection des intérêts financiers de l'Union européenne, et la coopération avec l'Office européen de lutte contre la fraude.
La commission autorise la publication de la communication des rapporteurs spéciaux sous la forme d'un rapport d'information.
Contrôle budgétaire - Fonds européen d'ajustement à la mondialisation - Communication
M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Le fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM) est une sorte d'OVNI parmi les outils budgétaires de l'Union européenne. J'ai choisi de mener ce contrôle budgétaire en raison du contexte politique, marqué par la volonté de la nouvelle présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, d'approfondir le rôle de l'Union européenne en matière de politiques sociales, et par les évolutions envisagées de cet outil budgétaire dans le cadre du Brexit. De plus, les conséquences économiques de la crise sanitaire interrogent, avec une acuité renouvelée, la gestion et l'utilisation de ce fonds, eu égard aux nombreux plans sociaux que nous devrions connaître dans les prochains mois.
En effet, le FEM finance des mesures en faveur de travailleurs licenciés, ou de travailleurs indépendants en cessation d'activité, à la suite de changements structurels majeurs du commerce international, du fait d'une crise économique ou financière. Le FEM finance des mesures d'accompagnement dites « actives », telles que la formation, l'initiation à l'entrepreneuriat, à la création d'entreprises, ou encore les services de conseil pour ces travailleurs licenciés. Il ne peut pas financer des actions relevant de la responsabilité légale des entreprises, ni se substituer aux dispositifs de protection sociale. Il peut toutefois financer des allocations de recherche d'emploi, de façon limitée dans le temps et si elles ne dépassent pas 35 % du total de la demande de cofinancement.
Il s'agit d'un instrument spécial du budget de l'Union européenne, se distinguant donc des fonds structurels, c'est-à-dire qu'il constitue l'une des enveloppes utilisables en cas d'urgence ou d'imprévu. À ce titre, les crédits du FEM ne correspondent pas à une enveloppe préallouée dans le budget européen : ils font l'objet d'une provision, dont le montant maximal, relativement modeste, est défini par le cadre financier pluriannuel CFP. Pour la période 2014-2020, le montant maximal annuel est fixé à 150 millions d'euros par an, en prix 2011, soit environ 180 millions d'euros en 2020.
Cet outil présente une véritable originalité en ce qu'il constitue un outil budgétaire relativement discrétionnaire de la Commission européenne, dont l'objectif est de corriger les externalités négatives de la mondialisation, c'est-à-dire des évolutions du commerce international, en contrepartie d'une plus grande ouverture des échanges.
Pour autant, la capacité d'intervention du fonds n'a cessé d'être réduite depuis sa mise en oeuvre. Pour la période 2007-2013, son montant maximal annuel était de 500 millions d'euros, soit plus de trois fois le montant actuel. Cette réduction s'explique principalement par la sous-utilisation des crédits de ce fonds, en dépit de la dernière crise économique mondiale et du ralentissement du commerce international observé depuis plusieurs années.
En tant que rapporteur spécial des crédits de la participation de la France au budget de l'Union européenne, j'ai souhaité dresser un bilan de ce dispositif, et analyser dans quelle mesure il pourrait être davantage mobilisé par la France.
Dans cette perspective, j'ai auditionné la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), la commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC), ainsi que la Cour des comptes.
Premier constat : le FEM reste un dispositif confidentiel, malgré les élargissements successifs de son périmètre d'intervention. En effet, entre 2007 et 2013, l'intervention du FEM était limitée au profit des travailleurs ayant perdu leur emploi en raison de la mondialisation. La mise en place du FEM constituait une contrepartie à l'ouverture aux échanges de certains secteurs particulièrement sensibles à la concurrence, tels que le textile dans les pays du sud de l'Union européenne.
Jugé exagérément restrictif, ce périmètre a été modifié en 2009 pour inclure les pertes d'emploi liées à la crise. Le règlement du fonds pour les années 2014 à 2020 laisse ouverte cette possibilité et a ajouté les pertes d'emplois liées à la persistance de la crise économique et financière. De façon analogue, alors que le dispositif était initialement restreint aux salariés, il s'applique désormais également aux intérimaires, aux propriétaires gérants de microentreprises et aux travailleurs indépendants. Enfin, le seuil d'intervention a été abaissé de 1 000 à 500 salariés ou travailleurs indépendants en cessation d'activité sur une période de quatre mois dans une entreprise, y compris les travailleurs en amont ou en aval de ladite entreprise. La Commission européenne a proposé de l'abaisser à 250 pertes d'emplois pour la prochaine programmation.
Lors de son audition, la Cour des comptes a souligné que le recours au FEM était très inégal entre les différents États membres de l'Union européenne : 75 % des bénéficiaires sont concentrés dans huit pays, dont la France, qui en est le premier bénéficiaire. Entre 2007 et 2018, le FEM a permis d'accompagner 155 000 travailleurs environ, pour un montant de 634 millions d'euros - ce qui est très restreint par rapport, par exemple, au budget du fonds social européen (FSE) qui s'élève à 84 milliards d'euros environ pour la période 2014-2020...
Plusieurs facteurs expliquent cette sous-utilisation, et cette concentration sur quelques pays. Il y a des réticences politiques, comme au Royaume-Uni, qui s'est toujours montré sceptique quant à l'efficacité du dispositif. Dans certains États membres, le recours au FSE est plus intéressant car le taux de co-financement est supérieur, jusqu'à 85 %. En outre, la procédure d'octroi des crédits du FEM, particulièrement longue, a pu être assez dissuasive. De fait, cette procédure est à la main de la Commission européenne. Il revient aux États membres qui souhaitent en bénéficier de solliciter la Commission, qui dispose ensuite d'un délai de 20 semaines, avant que la demande de mobilisation du FEM ne soit transmise au Parlement européen et au Conseil, qui statuent dans un délai d'un mois. Du coup, le versement des fonds européens intervient souvent après l'engagement des dépenses par l'entreprise.
Deuxième constat : si la France est le premier bénéficiaire du FEM, l'utilisation de ce fonds reste concentrée sur un nombre réduit d'entreprises. Depuis 2007, la France a bénéficié de 100 millions d'euros du FEM environ, à destination d'un peu moins de 20 000 salariés. Toutefois, elle n'a déposé que neuf dossiers de demande de financement, principalement au bénéfice d'entreprises dans le secteur du transport aérien et de l'industrie automobile. Ce dispositif pourrait être davantage mobilisé envers les petites et moyennes entreprises qui souffrent tout autant des crises économiques successives et de la concurrence internationale. Il est trop peu connu des petites et moyennes entreprises, peut-être parce que l'État n'en fait pas assez la publicité. Et ses critères d'intervention, il est vrai, sont calibrés pour cibler en priorité les plans sociaux massifs. En outre, le délai d'octroi des crédits impose aux entreprises d'avancer les dépenses, ce qui requiert qu'elles disposent de la trésorerie suffisante. Enfin, les auditions ont soulevé un problème bien connu avec les fonds européens : leur mauvaise presse, en raison de leur complexité excessive et de l'ingénierie requise pour en bénéficier.
Troisième constat : la gestion budgétaire de ce fonds souffre de plusieurs carences. La France a choisi de déléguer aux entreprises bénéficiaires la gestion des crédits alloués. Or, les auditions ont témoigné du fait que les entreprises n'avaient pas toujours été informées des pièces justificatives à conserver. Résultat, la traçabilité des dépenses n'est pas toujours satisfaisante.
Les auditions ont également fait état d'un manque de ressources humaines dédiées au suivi de la gestion de ce fonds au sein de l'État : seul 0,5 équivalent temps plein (ETP) est consacré au FEM au sein de la DGEFP. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) devraient être davantage mobilisées. Ces moyens humains limités contrastent avec les effectifs des directions de ressources humaines des grandes entreprises, qui disposent d'une ingénierie suffisante pour solliciter et gérer les crédits du FEM. En outre, dans la mesure où les crédits du FEM bénéficient aux entreprises, et non à l'État, la Cour des comptes rappelle depuis plusieurs années que ces crédits devraient être gérés en compte de tiers, et non par voie de fonds de concours. Toutefois, la taille négligeable du dispositif pour les finances publiques n'a pas incité jusqu'à présent à l'amélioration de sa gestion budgétaire.
Enfin, l'appréciation de l'efficacité du fonds est limitée par les difficultés à assurer un suivi statistique sur ses bénéficiaires. Combien de travailleurs ont pu effectivement retrouver un emploi rapidement grâce au FEM ? Combien d'entre eux ont monté leur propre entreprise avec succès ? Dans quelle mesure est-il possible d'évaluer l'effet du FEM indépendamment du contexte macroéconomique ? Ces questions nécessitent de collecter des données sur plusieurs années après la clôture des plans sociaux.
Face à ce bilan contrasté, plusieurs perspectives d'évolution sont possibles pour le FEM. Tout d'abord, de nouvelles modifications du FEM sont envisagées à partir de 2021. Ainsi, la Commission européenne a proposé d'abaisser à 250 salariés licenciés ou travailleurs indépendants perdant leur emploi le seuil à partir duquel le FEM peut intervenir. Il est également proposé de supprimer l'obligation de l'État membre de fournir des éléments démontrant que les pertes d'emplois visées sont liées à la mondialisation ou à une crise économique. La Commission européenne a proposé de porter à 200 millions d'euros le montant annuel du FEM, mais les négociations budgétaires sont toujours en cours. Ces évolutions sont toutefois minimes au regard des perspectives économiques qui s'annoncent pour les prochains mois.
Le fonds est géré de façon centralisée en France, à l'échelle nationale, car l'État joue un rôle dans la validation des plans sociaux. Mais avec une plus grande implication des Direccte, nous pourrions certainement améliorer son efficacité, aux côtés des régions qui disposent de la compétence économique, afin de développer des relais territoriaux. La publication d'un guide pratique exhaustif à destination des entreprises paraît indispensable, notamment pour les informer de l'ensemble des obligations qui leur incombe en matière de conservation des justificatifs des dépenses tout au long de la procédure.
Enfin, il conviendrait de mener une expertise approfondie des modes de gestion choisis par les autres États membres de l'Union européenne, afin de déterminer si l'organisation choisie par la France est la plus pertinente.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Les fonds européens sont parfois complexes à appréhender, même si la France est l'un de leurs principaux bénéficiaires. J'en profite pour évoquer le plan de relance européen, pour lequel les États membres ont jusqu'en 2058 pour le rembourser.... Celui du Gouvernement sera présenté le 24 août.
M. Jean Bizet. - Merci pour ce rapport important. L'utilisation du FEM doit être déconcentrée, au plus proche des entreprises. Il faut maintenir son montant, car je ne crois aucunement à une dé-mondialisation dans le « monde d'après » ! Une entreprise, comme tout être humain, cela naît, cela vit, cela meurt. Il faut des filets de sécurité pour faire face aux drames, c'est une mission de l'Europe qui protège.
M. Marc Laménie. - C'est un sujet complexe, sur lequel vos recommandations sont bienvenues. Certains renoncent à bénéficier de ces fonds, tant les dossiers sont difficiles à constituer. Peut-on simplifier les procédures ? Quel est le montant effectivement consommé chaque année ?
M. Patrice Joly, rapporteur spécial. - Quelques pistes de simplification sont évoquées pour la période 2021-2027. Entre 2007 et 2018, seuls 14 % des crédits ont été consommés...! C'est pour cela que le montant du fonds a été réduit.
M. Vincent Éblé, président. - Merci pour cette présentation.
La réunion est close à 10 h 50.