- Jeudi 16 juillet 2020
- Questions sociales, travail et santé - L'Union européenne et la santé : examen du rapport d'information de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey
- Environnement et développement durable - Classement du loup au sein de la Convention de Berne : examen du rapport de M. Cyril Pellevat, de la proposition de résolution européenne et d'un avis politique
- Agriculture et pêche - Agriculture et politique de concurrence : examen du rapport d'information de M. Jean Bizet
- Budget de l'Union européenne - Point d'actualité sur la négociation du cadre financier pluriannuel : communication de MM. Jean Bizet et Simon Sutour
- Énergie, climat, transports - Nord Stream 2 et extraterritorialité du droit américain : communication de M. Claude Kern, examen d'une proposition de résolution européenne et d'un avis politique
Jeudi 16 juillet 2020
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 8 h 35.
Questions sociales, travail et santé - L'Union européenne et la santé : examen du rapport d'information de Mmes Pascale Gruny et Laurence Harribey
M. Jean Bizet, président. - Le premier point de notre ordre du jour concerne l'Union européenne et la santé. Début avril, j'avais réuni le Bureau de notre commission pour évoquer la façon dont celle-ci pouvait organiser ses travaux dans la période exceptionnelle de confinement décidée en réponse à l'épidémie de Covid-19. Déjà à cette date, le Bureau s'était inquiété du jour d'après : nous étions alors confrontés à une pandémie qui touchait tous les États membres et à des réponses qui étaient, dans un premier temps, essentiellement nationales. Le Bureau, conscient de la nécessité d'une réponse européenne plus consistante sur ce sujet sanitaire transfrontière, avait alors proposé de confier le soin de préparer un rapport sur l'Union européenne et la santé à nos collègues Mmes Laurence Harribey et Pascale Gruny, qui suivent les sujets santé pour notre commission. Ce rapport devait permettre d'évaluer la réponse sanitaire de l'Union européenne et de ses agences à la pandémie de Covid-19, au regard de leurs moyens et de leurs compétences, et d'envisager les évolutions nécessaires en ce domaine, afin de garantir l'autonomie stratégique de l'Union en matière sanitaire.
Nos collègues n'ont eu que quelques semaines pour travailler et élaborer leur rapport. Elles vont nous le présenter aujourd'hui ; je crois qu'il dessine des perspectives intéressantes, qui mériteront d'être approfondies dans les mois à venir. La santé est une compétence régalienne des États, mais le virus ne connaît pas de frontières et une réponse coordonnée est donc nécessaire.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Les délais ont été brefs. Nous avons réalisé de nombreuses auditions, mais il reste beaucoup à faire et ce rapport constitue un rapport d'étape.
La pandémie de Covid-19, qui a durement frappé tous les États membres de l'Union européenne et porté atteinte aux libertés qui fondent le marché intérieur, nous pousse à nous interroger sur le rôle de l'Union en matière de santé. Le caractère transfrontalier de la menace a nourri une attente légitime d'action européenne dans le domaine sanitaire. Pourtant, le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne donne à celle-ci qu'un rôle limité en ce domaine : il prévoit que l'Union n'a qu'une compétence d'appui et de coordination de l'action des États membres.
Cette compétence s'est pourtant étoffée à la suite des différentes crises sanitaires que l'Union européenne a connues. Ainsi, c'est à la suite du scandale du sang contaminé que le Traité de Maastricht a consacré un article à la santé publique. Plus tard, la crise de la « vache folle » permettra que soient incluses dans le Traité d'Amsterdam des dispositions permettant à l'Union d'adopter des mesures contraignantes fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des organes et substances d'origine humaine, du sang et des dérivés du sang.
Aujourd'hui, les compétences de l'Union dans le domaine de la santé sont régies par l'article 168 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Celui-ci attribue notamment à la Commission une compétence réglementaire pour prendre des mesures fixant des normes élevées de qualité et de sécurité des médicaments et des dispositifs à usage médical. Toutefois, il rappelle également que les États membres sont compétents pour définir leurs politiques de santé.
Cette compétence limitée de l'Union explique la faiblesse du budget consacré à la santé publique dans les différents cadres financiers pluriannuels. Pour 2014-2020, ce budget était de seulement 439 millions d'euros. À titre de comparaison, pour la même période, le budget consacré par l'Union européenne à la recherche était de 80 milliards d'euros. Dans cette enveloppe, la recherche médicale mobilise un budget d'environ 7 milliards d'euros.
Ce modeste programme « santé » vise essentiellement à promouvoir la coopération entre États membres et à financer des mesures pour répondre à certaines urgences sanitaires. Ainsi, il a permis de développer des actions pour limiter la propagation des virus Ebola et Zika et faciliter l'accès aux soins de santé des migrants arrivés en 2015 et 2016.
Ce programme ne finance donc pas de projets structurels au sein des États membres, comme la construction d'un hôpital par exemple. Ce type de projet ressort plutôt du Fonds social européen (FSE). Avant la pandémie, il était question de fondre le programme santé dans le FSE. Cette idée a été abandonnée depuis.
Par ailleurs, l'Union européenne a institué différentes agences indépendantes permettant notamment l'évaluation du risque. Pour permettre une centralisation des autorisations de mise sur le marché des produits entrant dans l'alimentation et des médicaments, elle a respectivement créé l'Agence européenne de sécurité des aliments et l'Agence européenne des médicaments (EMA). C'est sur la base de leurs avis scientifiques que l'Union européenne autorise ou non la mise sur le marché, via une procédure de comitologie.
À ces deux agences s'ajoute le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, l'ECDC. Créé en 2005 à la suite de l'épidémie de SRAS, l'ECDC a pour objectif de renforcer les défenses de l'Union contre les maladies infectieuses en identifiant et évaluant la menace que représentent ces maladies.
Enfin, face aux menaces sanitaires transfrontières graves, la décision 1082/2013/UE du Parlement européen et du Conseil organise la réponse de l'Union en instituant un Comité de sécurité sanitaire composé de représentants des États membres chargés d'apporter une réponse coordonnée à la crise. Cette décision prévoit également que, pour soutenir les États membres, la Commission pourra mettre en oeuvre une procédure conjointe de passation de marché pour garantir les approvisionnements.
Si on analyse ces éléments, l'action de l'Union européenne en matière de santé publique semble limitée. Pourtant, son impact est plus important qu'il n'y paraît. En effet, le principe de libre circulation s'applique aux dispositifs médicaux et aux médicaments d'une part, et aux professionnels de santé et aux patients, d'autre part. C'est aussi l'Union européenne qui définit les caractéristiques techniques que doivent respecter les dispositifs médicaux mis sur le marché et c'est l'Agence européenne du médicament qui délivre les autorisations de mise sur le marché des médicaments. L'Union définit également les droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, ainsi que les conditions de reconnaissance des qualifications des professionnels de santé.
De plus, dans le cadre du semestre européen qui renforce la discipline budgétaire au sein des États membres, l'Union fait des recommandations pour la maîtrise des dépenses publiques liées à la santé.
Ainsi, l'Union intervient plus largement qu'au titre des seules dispositions des traités relatives à la santé publique. Cette situation a également pu être observée durant la pandémie comme va vous l'expliquer Laurence Harribey.
Mme Laurence Harribey, rapporteure. - L'Union européenne, en effet, est intervenue dans au moins quatre domaines différents pour tenter de faire face à la crise sanitaire. Elle a tout d'abord tenté d'éviter une pénurie de dispositifs médicaux et de médicaments. Pour cela, la Commission européenne a lancé quatre procédures conjointes de passation de marché afin de permettre aux États membres de disposer de certains équipements sanitaires à un tarif plus avantageux. Elle a également publié de nouvelles lignes directrices recommandant aux États membres d'encadrer les ventes en pharmacie pour prévenir la constitution de stocks et de s'assurer que les entreprises présentes sur leur territoire augmentent leur production.
En outre, la Commission européenne a demandé à l'Agence européenne des médicaments d'identifier les besoins des États membres et d'évaluer les capacités de production des industriels pour les médicaments utilisés dans les unités de soins intensifs.
Enfin, la Commission a négocié directement avec les autorités indiennes pour obtenir un assouplissement des restrictions à l'exportation de principes actifs mises en place par l'Inde.
Toutefois, l'Union a eu le plus grand mal à obtenir des États membres qu'ils renoncent aux restrictions à l'exportation de dispositifs médicaux et de médicaments que plusieurs d'entre eux avaient instaurées. Chaque État membre a voulu constituer ses propres stocks, aggravant ainsi la pénurie dans d'autres États membres.
En parallèle, la Commission européenne a assoupli, dans le cadre du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les règles relatives aux aides d'État et aux ententes.
Concernant les aides d'État, l'Union a publié une communication le 19 mars 2020 présentant un assouplissement temporaire des conditions dans lesquelles les États membres peuvent soutenir leurs entreprises nationales. Cette aide peut notamment prendre la forme de subventions directes, de garanties sur les prêts contractés par des entreprises auprès d'une banque, d'avances remboursables et d'avantages fiscaux.
Concernant les ententes, la Commission a publié, le 8 avril dernier, une communication présentant le cadre temporaire pour l'appréciation des politiques anticoncurrentielles dans les coopérations mises en place entre les entreprises pour réagir aux situations d'urgence découlant de la pandémie de Covid-19. Cela permet aux entreprises de disposer d'un cadre juridique clair pour coopérer.
Troisièmement, son intervention dans le domaine de la recherche et de la protection civile a renforcé son action dans le domaine strictement sanitaire. Ainsi, l'Union a débloqué plus d'un milliard d'euros pour la recherche, notamment au travers du programme Horizon 2020. Elle prévoit, pour le prochain cadre financier pluriannuel, de consacrer 3 milliards d'euros à l'Instrument d'aide d'urgence, dont 300 millions au profit de la réserve d'équipements médicaux RescEU, permettant de financer des stocks de matériel médical.
Enfin, l'Union et ses agences, notamment le Centre européen de protection et de contrôle des maladies, ont publié plusieurs recommandations pour tenter de coordonner l'action des États membres, que ce soit en matière de dépistage ou de sortie du confinement.
Après avoir analysé l'action de l'Union durant la pandémie, il nous est apparu qu'elle disposait des compétences nécessaires pour apporter un concours efficace aux États membres, mais encore faut-il qu'elle en ait les moyens.
Le programme « UE pour la santé », présenté le 28 mai dernier, doit permettre d'accroître la capacité de l'Union à répondre aux crises sanitaires et améliorer à moyen terme la résilience des systèmes de santé nationaux. Il serait financé à hauteur de 1,946 milliard d'euros sur le budget de l'Union européenne et de 8,451 milliards d'euros provenant de l'instrument de l'Union européenne pour la relance, soit un total de 10,397 milliards d'euros et 23 fois plus qu'en 2014-2020. Si ce programme fixe des objectifs ambitieux, les modalités pour les atteindre ne sont pas encore définies. Pour nous, il est nécessaire de s'appuyer sur les acteurs de terrain et notamment les collectivités locales.
Enfin, la pandémie nous impose de réfléchir à comment restaurer la souveraineté sanitaire de l'Union, le virus n'ayant pas de frontières. Pour les médicaments, il faudra se concentrer sur un certain nombre d'entre eux, dont les principes actifs devraient être produits au sein de l'Union. Favoriser l'investissement, notamment par une politique fiscale adaptée, pourrait permettre d'accroître la production européenne. Il faut aussi prévoir de valoriser, par le biais des marchés publics, la capacité des entreprises à garantir les approvisionnements. La stratégie industrielle de l'Union doit désormais intégrer un objectif de souveraineté en matière sanitaire. Tout cela est possible dans le cadre juridique actuel et la question est plutôt celle du renforcement des moyens.
Voilà, tracées à grandes lignes, les perspectives futures qui nous semblent devoir orienter le développement d'une Union européenne de la santé. Nous aurons encore besoin d'approfondir le sujet et l'occasion nous en sera certainement donnée par la Conférence sur l'avenir de l'Europe, qui devrait être lancée à l'automne pour permettre aux Européens d'exprimer leurs attentes envers l'Union.
M. Jean-François Rapin. - Voilà un moment que l'on dit que la santé devrait être au coeur de l'Europe. Sentez-vous une volonté de tous les États membres d'avancer sur ce sujet pour parvenir à une véritable Europe de la santé ? De même, peut-on identifier un pilote : est-ce la commissaire européenne à la santé chypriote, que l'on a découverte avec la crise, ou bien les États membres ?
Mme Véronique Guillotin. - La santé est un sujet qui me tient à coeur. Elle est au coeur de notre vie quotidienne. Élue de Meurthe-et-Moselle, à la frontière entre la France, le Luxembourg et la Belgique, je sais que nos concitoyens attendent une Europe du quotidien qui facilite la vie de tous les jours, et apporte de la fluidité plutôt que des complexités administratives. Nous allons quotidiennement au Luxembourg pour travailler, acheter notre essence, faire nos courses, etc. Oui il faut maintenir la souveraineté nationale, mais j'ai vu l'effet de la crise sanitaire sur les frontières. Les décisions de fermeture des frontières ou de restriction des déplacements devraient être précédées d'une concertation en amont. Il faut éviter les décisions unilatérales, car ces mesures ont un fort impact sur la vie de nos concitoyens.
M. André Gattolin. - J'ai l'impression qu'il y a un trou dans la raquette dans les propositions de la Commission en matière de santé : nous manquons d'un instrument de régulation des coopérations médicales et sanitaires entre les États membres et des pays tiers. La France a ainsi fourni à la Chine un laboratoire P4 et formé les médecins chinois aux transplantations d'organes. Mais, la France a été progressivement exclue du pilotage. Aucun Français ne siège au conseil d'administration de l'Institut Pasteur à Shanghai ! Finalement, on a réalisé un transfert gratuit de technologies médicales, dont on peut s'interroger sur les usages en Chine. Si une enquête internationale était conduite sur la pandémie de Covid-19, la France pourrait sans doute être incriminée pour avoir coopéré avec la Chine sans transparence, ni conditionnalité, ni ou obligation de rendre des comptes (accountability). Il faut donc que l'Union européenne se dote de règles et protège ses États membres.
La France a fourni des moyens à la Chine, mais celle-ci n'a pas respecté les règles de la coopération. Le laboratoire P4 de Wuhan est aux mains des militaires et les experts internationaux de l'Organisation mondiale de la santé n'y ont pas accès. On a joué la carte de la coopération médicale gratuite en échange de contrats commerciaux, mais, finalement, cela va à l'encontre de nos intérêts. Je compte prendre une initiative sur ce sujet. La pandémie transnationale illustre la nécessité que nos coopérations soient respectueuses de l'éthique en matière de santé. Ces coopérations sont faites au nom de la science, pour sauver des vies et améliorer la santé dans le monde, mais elles ont donné lieu à des dérives : une industrie considérable du transfert d'organes s'est développée en Chine, toutefois nul ne sait où ils trouvent les organes... L'Union européenne ferme les yeux.
M. Jean Bizet, président. - Votre intervention dépasse le cadre de ce rapport, mais elle est fondamentale.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Votre rapport indique qu'en 2016, l'Union européenne estimait qu'avec 6,4 lits d'hôpital pour 1 000 habitants, contre 4,8 en moyenne dans les pays de l'OCDE, la France avait des surcapacités et pouvait faire des économies. L'Union européenne a-t-elle réalisé une évaluation plus récente ? La crise a montré que l'on manquait de places dans les hôpitaux. Il serait intéressant de disposer d'une étude comparative avec l'Allemagne, qui a accueilli beaucoup de nos patients.
Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Il n'est pas sûr que les États soient prêts à déléguer la compétence santé à l'Union européenne. Nous avons travaillé à partir du cadre juridique existant sans vouloir le bouleverser. L'Union européenne facilite la coopération entre les États, et intervient déjà sur de nombreux sujets comme la reconnaissance des qualifications des professionnels de santé. Aller plus loin semble difficile. C'est pourquoi nous avons préféré mettre l'accent sur les moyens : la politique européenne de la recherche, par exemple, passe par des appels d'offre tous les cinq ans, mais ceux-ci s'achèvent souvent à leur terme sans être reconduits, faute de moyens. C'est dommage.
Les frontaliers ont l'habitude de passer les frontières pour aller travailler, faire leurs courses, etc. Il faut évoquer aussi la question fiscale. J'ai écrit au ministre à ce sujet. De nombreux Français qui travaillent et résident au Luxembourg ont dû faire du télétravail à domicile pendant la crise, ce qui les a conduits à dépasser le plafond des jours autorisés par la convention fiscale, au risque de devoir être imposés en France. Le Luxembourg en est mécontent, d'autant que le pays a accueilli des patients français pendant la crise. Donc on réclame plus d'Europe, mais c'est toujours compliqué. La Commission a des prérogatives importantes, mais le Conseil reste toujours déterminant.
M. Gattolin a raison : nous devons nous protéger et exiger la réciprocité et le respect de l'éthique dans nos accords internationaux.
Enfin, je n'ai pas la réponse dans l'immédiat sur les lits à l'hôpital. La France manquait plus précisément de lits de réanimation.
Mme Laurence Harribey, rapporteure. - Il n'y a pas un pilote, mais deux, car la compétence est duale : une compétence d'appui d'un côté, une compétence dérivée liée au marché unique de l'autre. Une approche transversale est souhaitable, sur le modèle de l'interministériel en France. Une politique européenne de la santé ne suppose pas nécessairement une modification de la compétence : celle-ci doit rester d'appui, mais la crise a montré la nécessité d'une coopération entre les niveaux européen, national et infranational. Il faut donc plutôt réfléchir sur la méthode et les moyens.
La crise a aussi posé la question du sens de l'Europe ; il ne faut plus regarder la santé et les autres politiques européennes au travers du prisme des critères de Maastricht, mais en fonction du sens que l'on veut lui donner. C'est comme cela qu'il faut poser la question de l'articulation entre la souveraineté nationale et la souveraineté européenne. Il faut réaffirmer le modèle européen et dépasser une vision étriquée de la construction européenne. La suspension du Pacte de stabilité pendant la crise illustre ce point et remet en perspective la question des objectifs, même si on ne peut pas non plus s'abstraire totalement des impératifs économiques et financiers. Enfin, on voit apparaître chez les acteurs une prise de conscience de la nécessité de disposer d'un outil de régulation des accords internationaux en matière de santé et d'une structuration européenne de la filière sanitaire. Nous avons manqué de temps pour étudier la façon dont chaque pays a abordé la question européenne pendant la crise.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Vous avez évoqué les appels d'offre. Il faut dénoncer le poids de la charge bureaucratique européenne. Le directeur de l'Institut Pasteur au Cambodge me disait, il y a quelques années, qu'il avait besoin d'un collaborateur à plein temps pour répondre aux appels d'offre européens, tant les dossiers sont volumineux et complexes. La situation ne s'est pas améliorée depuis...
M. Jean Bizet, président. - Le concept d'Europe au quotidien est fondamental. Je relève par ailleurs que les décisions de certains États pour accompagner d'autres États extra-européens peuvent avoir des répercussions géopolitiques importantes.
À l'issue du débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information.
M. Simon Sutour. - C'est très bien d'autoriser la publication : le rapport imprimé sera diffusé à vingt ou trente exemplaires seulement. Pour le surplus, il sera sur internet, où nul n'ira le consulter : c'est la numérisation par l'absurde !
M. André Gattolin. - Pour économiser du papier !
M. Simon Sutour. - Oui, c'est l'air du temps, mais je le regrette, car les travaux de notre commission sont moins connus. Autrefois, on imprimait le rapport à des centaines d'exemplaires...
M. Jean Bizet, président. - Je comprends vos regrets. Il s'agit d'une décision des plus hautes autorités du Sénat qui évite des gaspillages. Nous pouvons réfléchir aux moyens d'assurer malgré tout la meilleure diffusion à nos travaux.
Environnement et développement durable - Classement du loup au sein de la Convention de Berne : examen du rapport de M. Cyril Pellevat, de la proposition de résolution européenne et d'un avis politique
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes saisis d'une proposition de résolution européenne (PPRE) qui a été déposée le 25 juin dernier par plusieurs de nos collègues : Sylviane Noël, Frédérique Puissat, Michel Savin, Jean-Pierre Vial, Colette Giudicelli, Cyril Pellevat et Martine Berthet. Ce texte vise à modifier le classement dont bénéficie le loup au sein de la Convention de Berne. Notre commission a confié son examen à notre collègue Cyril Pellevat, qui en est l'un des signataires et qui connaît déjà bien ce sujet, non seulement en qualité d'élu alpin confronté aux dégâts que font les loups sur les troupeaux, mais aussi parce qu'il en traite déjà à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, devant laquelle il vient de présenter un rapport sur l'application de la loi Montagne II.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Cette PPRE, dont je suis co-signataire, traite d'un sujet qui a déjà été abordé à plusieurs reprises au Sénat : la situation du loup. Je l'ai d'ailleurs évoqué hier, en effet, devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, à l'occasion de ma communication sur le développement économique de la montagne. Je vous rappelle que le loup bénéficie d'un niveau très élevé de protection en application, à la fois, de la Convention de Berne et de la directive européenne « Habitats, faune, flore ».
La convention de Berne de 1979 relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe, ratifiée par la France en 1989, assure la protection de certaines espèces de flore et de faune sauvages et de leurs habitats naturels. L'annexe II de cette convention classe le loup parmi les espèces strictement protégées. Toute forme de capture intentionnelle, de détention ou de mise à mort intentionnelle du loup est ainsi interdite.
Le loup est également une espèce d'intérêt communautaire, relevant de la directive européenne « Habitats, faune, flore » du 21 mai 1992 et de son annexe IV, transposée aux articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement. Il fait l'objet d'une protection stricte à ce titre.
La protection du loup n'est bien sûr pas absolue. En droit international, aux termes de l'article 9 de la Convention de Berne et, en droit européen, aux termes de l'article 16 de la directive « Habitats, faune, flore », il est possible de déroger à la protection du loup, sous réserve que trois conditions soient réunies : qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, que la dérogation ne nuise pas à la survie de l'espèce et que des dommages importants aux cultures ou à l'élevage soient constatés.
La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), comme elle l'a montré dans deux arrêts récents, exerce un contrôle vigilant des dérogations à la protection accordée au loup, octroyées en application de l'article 16 de la directive « Habitats, faune, flore ». En France, des arrêtés autorisent chaque année des dérogations à la protection du loup, en permettant des tirs de défense et, le cas échéant, des tirs de prélèvement, dans la limite d'un plafond.
Un dispositif expérimental a été mis en place depuis 2018, distinguant différents cercles en fonction des attaques dont les troupeaux font l'objet. En 2020, l'arrêté fixe ainsi un plafond global de destruction de loups de 19 % de l'effectif moyen de loup estimé annuellement.
Le régime de protection dont bénéficie le loup a indéniablement été un succès pour la survie de cette espèce. Alors qu'elle avait disparu du territoire national, elle est réapparue en passant par les Alpes et, année après année, le nombre de loups ne cesse de croître, pour s'élever aujourd'hui à plus de 580 individus, selon les données communiquées lors du dernier groupe national « loup » début juin.
Le plan national « Loup et activités d'élevage 2018-2023 » fixait un objectif de 500 loups, ce nombre étant considéré comme le seuil de viabilité démographique de l'espèce, à la suite d'une étude scientifique conduite en 2016 par le Muséum national d'histoire naturelle et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Le seuil de viabilité de l'espèce en France a donc été franchi de manière significative et avec beaucoup d'avance sur le cadre prévu.
En janvier 2020, l'Office français de la biodiversité faisait état de 97 zones de présence permanente du loup et de 80 meutes. Les derniers chiffres communiqués au mois de juin font état de 580 loups en France, soit une augmentation de 10 % par rapport à 2018. La dynamique de progression de l'espèce ralentit mais elle demeure significative. Et, même si la présence du loup est particulièrement concentrée dans les régions Provence-Alpes-Côte d'Azur et Auvergne-Rhône-Alpes, elle concernerait désormais les deux tiers du territoire national.
Il faut donc en tirer toutes les conséquences au niveau national, notamment en rehaussant, comme cela a été fait ces deux dernières années, les taux de destruction, mais aussi au niveau européen en ajustant le niveau de protection dont bénéficie cette espèce.
C'est un sujet très sensible en territoire de montagne, et particulièrement dans les Alpes, pour les éleveurs qui pratiquent le pastoralisme qui, je veux le souligner, fait partie de notre patrimoine et contribue de manière essentielle au maintien d'une agriculture extensive de qualité, au développement économique de la montagne, à l'entretien de nos paysages, à la préservation de la biodiversité et à la lutte contre certains risques naturels.
Le nombre d'attaques de loups ne cesse de progresser. Le dernier bilan exposé par le préfet coordonnateur du plan « loup et activités d'élevage » fait état de 3 742 attaques en 2019, en progression de 4 %, ayant occasionné 12 451 victimes, pour l'essentiel des brebis.
Cette évolution et ces tensions ne sont pas propres à la France. Il suffit pour s'en convaincre de lire les propositions de résolution déposées au Parlement européen par des députés européens italiens ou de consulter la presse allemande. Quant à la Suisse, elle a présenté il y a deux ans un amendement devant le comité permanent de la Convention de Berne pour tenter d'obtenir un déclassement du loup du niveau de protection le plus élevé.
Cet objectif, c'est aussi celui de cette proposition de résolution européenne, dont le titre est explicite. Elle me paraît aller dans le bon sens au regard des évolutions constatées. Je vous propose toutefois de l'amender pour bien préciser les différents niveaux d'intervention.
Je propose tout d'abord de compléter les visas, afin de faire référence aux textes applicables, à la jurisprudence de la CJUE, à la récente communication de la Commission européenne sur la stratégie en faveur de la biodiversité, aux travaux du Sénat, mais aussi à ceux du Parlement européen et du Comité européen des régions.
Au-delà de quelques amendements rédactionnels, je vous propose de renforcer les considérants en évoquant l'évolution du nombre de loups dans d'autres États membres et en développant les aspects positifs du pastoralisme. Sur ce point, j'ai repris, en les synthétisant, différents éléments que le Sénat avait adoptés dans sa résolution sur le pastoralisme du 2 octobre 2018.
S'agissant du dispositif lui-même, je propose plusieurs modifications, afin de bien distinguer les différents modes d'action de l'Union. Je vous rappelle en effet que la Convention de Berne est un traité international signé sous l'égide du Conseil de l'Europe et que, si l'Union y est partie, elle ne peut pas le modifier directement.
Je vous propose d'abord de prendre acte de la communication relative à la stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité à l'horizon 2030. La Commission y propose notamment de mettre en place, au sein de l'Union, un cadre de gouvernance global pour piloter la mise en oeuvre des engagements en matière de biodiversité contractés au niveau national, européen ou international, ce qui inclurait un mécanisme de suivi et de réexamen de ces engagements.
La Commission souligne notamment les enjeux de mise en oeuvre des dispositions relatives à la protection des espèces incluses notamment dans la directive concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et elle évoque, le cas échéant, un réexamen et une révision de la législation européenne ayant une incidence sur la biodiversité. Il y a donc une fenêtre d'opportunité pour réévoquer la situation du loup et il me semble qu'il faut la saisir.
Dans la perspective de ce réexamen, je vous propose, d'une part, d'appeler la Commission à développer un processus d'évaluation réactif afin de permettre de modifier le statut de protection d'une espèce dans une région donnée, dès que le niveau de conservation souhaité est atteint ; d'autre part, de demander en particulier une adaptation des annexes de la directive concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, afin de prendre en compte la croissance du nombre de loups dans certains États membres ou certaines régions. C'est en effet l'annexe IV de cette directive qui arrête la liste des « espèces animales et végétales d'intérêt communautaire qui nécessitent une protection stricte ». L'annexe V vise quant à elle les « espèces animales et végétales d'intérêt communautaire dont le prélèvement dans la nature et l'exploitation sont susceptibles de faire l'objet de mesures de gestion » : le loup est aujourd'hui inclus dans ce régime dans deux régions de l'Union européenne : en Espagne, au nord du Duero, et en Grèce, au nord du 39e parallèle.
Je me suis inspiré pour cette rédaction de la résolution du Parlement européen sur un plan d'action pour le milieu naturel, la population et l'économie, adoptée en 2017.
Je vous propose ensuite de préciser l'action qui pourrait être entreprise au niveau de l'Union européenne s'agissant de la Convention de Berne, à laquelle tous les États membres et l'Union en tant que telle sont parties.
C'est au comité permanent de cette Convention que revient le pouvoir d'évaluer l'état de conservation des espèces et, par conséquent, de revoir leur inscription dans les listes des annexes de la Convention. Tout amendement portant sur ces annexes doit être adopté à la majorité des deux tiers des parties contractantes.
Des amendements sont régulièrement déposés. La Norvège soutient ainsi l'abaissement du niveau de protection de la bernache nonette. La Suisse a de son côté présenté, en 2018, un amendement visant à abaisser le niveau de protection dont bénéficie le loup.
À l'époque, la Commission européenne avait adressé aux États membres, sur le fondement de l'article 218 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une proposition prônant le report de ce vote, jusqu'à ce que des données actualisées sur l'état de conservation du Loup gris dans l'Union soient disponibles. Elle considérait à l'époque que l'état de conservation du loup demeurait défavorable dans plusieurs États membres dans lesquels cette espèce bénéficie d'une protection stricte.
Compte tenu de l'évolution observée depuis lors, et au regard des compétences de l'Union, je vous propose d'amender la proposition de résolution afin d'inviter la Commission à proposer au Conseil de soutenir une proposition visant à transférer le loup de l'annexe II de la Convention de Berne (« Espèces de faune strictement protégées ») vers son annexe III (« Espèces de faune protégées »), lors d'une prochaine réunion du comité permanent de cette convention. Je souhaiterais évidemment qu'un tel amendement soit présenté par la France.
Enfin, je propose de préciser la fin du dispositif. Premièrement, en demandant à la Commission de reconnaître, au travers d'un plan d'action spécifique, l'importance de la contribution du pastoralisme au maintien d'une agriculture extensive de qualité, au développement économique de la montagne, à l'entretien des paysages, au maintien de la biodiversité ainsi qu'à la prévention des risques naturels. Deuxièmement, en appelant à un suivi scientifique des enjeux d'hybridation, et en en tirant les conséquences juridiques : c'est un point que j'avais souligné dans le rapport que j'avais rendu sur le plan loup au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Troisièmement, en appelant la Commission et les États membres à prendre rapidement des mesures concrètes afin de permettre le contrôle et la gestion de la prolifération des prédateurs dans certaines zones de pâturage. L'enjeu est clair : il s'agit de ne pas compromettre le développement durable des zones rurales, et il faut s'appuyer sur les possibilités offertes par l'article 16 de la directive « Habitats, faune, flore » en vue de prévenir notamment des dommages importants à l'élevage. Enfin, en soulignant la nécessité pour les États membres d'accorder les dérogations au régime de protection du loup prévues par la directive, et ce sans exclure a priori aucun territoire du champ de dérogation.
Des tirs de défense et de prélèvement sont nécessaires, mais la CJUE veille scrupuleusement à l'encadrement des dérogations à la protection du loup.
Ces rédactions font écho à des formules retenues par le Parlement européen dans ses résolutions de 2017 sur un plan d'action pour le milieu naturel, la population et l'économie, et de 2018 sur la situation actuelle et les perspectives pour l'élevage ovin et caprin dans l'Union.
Enfin, par coordination avec le fond du texte, je vous propose d'ajuster le titre de la proposition de résolution, afin de préciser que le régime de protection dont bénéficie le loup devra être adapté à la fois au sein de la Convention de Berne et dans la législation européenne.
M. Jean Bizet, président. - Ce sujet, d'apparence simple, est plus complexe qu'il n'y paraît.
M. Jean-Pierre Leleux. - Dans les Alpes-Maritimes, c'est un sujet très sensible, depuis des années. L'augmentation progressive de la présence du loup dans les arrière-pays ruraux et en zones de montagne fait que le moral est au plus bas dans l'activité pastorale. Les bergers manifestent, parfois violemment, tant ils sont exaspérés par les attaques régulières dont leurs troupeaux sont victimes. J'avais déposé une proposition de loi sur le sujet, il y a quelques années, qui s'était heurtée à la Convention de Berne, dont nous devons changer à présent le niveau de protection. Il est évident que des dérogations supplémentaires sont nécessaires. Il y a une vraie interrogation sur le comptage des loups en France. Le seuil de conservation est de 500, mais il serait bon que la comptabilité soit plus fiable. Bien sûr qu'il faut protéger le loup, qui était en voie d'extinction. À présent, il est à l'abri, et il faut protéger le pastoralisme : aujourd'hui, de nombreux bergers abandonnent, à la suite de trop nombreuses attaques. Certains disent qu'ils sont contents de toucher les indemnisations, mais c'est absurde. Chez nous, il y a de nombreuses réflexions sur le sujet, et la révision de la Convention de Berne arrive toujours en conclusion de nos débats. Un groupe de réflexion a aussi travaillé sur le sujet au Sénat. J'espère que cette proposition de résolution européenne aura un effet.
M. Simon Sutour. - Je ne vais pas hurler avec les loups... Je suis un défenseur de l'agropastoralisme, mais je trouve qu'il est un peu facile de s'attaquer à la Convention de Berne. Sur le fond, concernant la stratégie de l'Union européenne en faveur de la biodiversité, pourquoi se contenter de « prendre acte » de la volonté de la Commission ? Pourquoi ne pas la soutenir ? En Italie et en Espagne, il y a beaucoup plus de loups que chez nous ; les nôtres arrivent d'ailleurs de là-bas. J'aurais préféré un texte qui demande plus d'aide pour que les agriculteurs puissent faire face au phénomène. Au-dessus de chez moi, il y a une estive, avec un troupeau de plus de 500 têtes, gardé par un chien Patou. Les bergers me disent qu'il est très compliqué de toucher des aides de l'État pour financer des clôtures ou des protections. Au fond, le problème survient si on laisse les moutons vaquer sans surveillance. S'il y a un berger, il n'y a pas d'attaques. Chez moi, il y a des bergers, grâce à un financement tenant compte de la présence du loup. Je préfère cette approche : je ne suis pas un écologiste des métropoles ! S'attaquer à la Convention de Berne serait dangereux, et n'enverrait pas un bon signal. Mieux vaudrait demander de meilleures aides pour les agriculteurs. À titre personnel, je ne voterai pas cette proposition de résolution européenne.
M. André Gattolin. - Même avis.
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Lors de l'évaluation du « plan loup 2018-2023 », nous avions fait une quinzaine de propositions, parmi lesquelles figurait la volonté d'une déclassification du loup dans la directive « Habitats, faune, flore » et la Convention de Berne. Ces textes remontent au début des années 1980, à une époque où nous n'avions pas de loups en France. Actuellement, des agents de l'Office national de la biodiversité estiment que nous en avons peut-être 750. La comptabilisation est difficile car des associations environnementales ont tendance à supprimer les traces du loup pour empêcher le comptage. Nous avons aussi besoin d'une définition juridique du loup. Déjà, en 2018, le ministère de la transition écologique et celui de l'agriculture n'étaient pas d'accord entre eux. Quant aux patous, il faut les former pendant deux ans, et non six mois, si l'on ne veut pas qu'ils attaquent les touristes. La volonté de tous n'est pas l'extermination des loups mais la cohabitation, avec un objectif de zéro attaque. Les bergers disent aussi qu'ils ne peuvent pas rester en continu dans les alpages : ils ont des familles ! Les prochaines années apporteront sans doute des innovations techniques, comme les drones, qui aideront à protéger les troupeaux. Les bergers veulent protéger leurs bêtes, pas toucher des indemnisations. Mais le loup est une espèce intelligente et parvient toujours à passer à travers les mailles du filet. L'espèce étant viable en France, cette proposition de résolution européenne a pour but de faciliter la cohabitation, pour préserver l'agropastoralisme. Si les bêtes sont descendues en plaines, les alpages ne sont plus entretenus, sont envahis par les ronces, ce qui n'est pas bon pour les stations de skis, et on perd les appellations d'origine protégée, les circuits courts, de la biodiversité...
M. Jean Bizet, président. - Merci pour ces interventions, de sensibilités diamétralement opposées, mais exprimées avec modération, et pour les réponses apportées par le rapporteur. Tout le monde s'accorde pour dire que l'agropastoralisme est l'avenir de ces territoires et que la préservation de la biodiversité est essentielle. Je vous propose, comme le demande M. Sutour, de remplacer les mots « prend acte » par « soutient ».
M. Jean Bizet, président. - La modification de la Convention de Berne consisterait en un changement de ses annexes. Ce n'est pas neutre, mais c'est un message que nous pouvons adresser au Gouvernement. Je sais l'affection qu'un éleveur peut avoir pour ses bêtes. Les voir détruites, dépecées, est difficile à supporter.
M. Simon Sutour. - On s'en prend au loup, mais ce n'est pas toujours lui le coupable. Le vautour fauve, aussi, est redoutable. On dit qu'il crève les yeux des veaux... J'en ai vu récemment une centaine qui nettoyaient le cadavre d'une vache.
M. Jean Bizet, président. - C'est la nature.
M. Simon Sutour. - Puisque la rédaction a évolué, je ne voterai pas contre ce texte, mais m'abstiendrai.
À l'issue du débat, la commission adopte la proposition de résolution européenne suivante dans la rédaction issue de ses travaux ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
Agriculture et pêche - Agriculture et politique de concurrence : examen du rapport d'information de M. Jean Bizet
M. Jean Bizet, président, rapporteur. - L'agriculture, nous le savons, est une activité économique différente des autres : elle produit des biens, certes marchands, mais d'importance vitale. C'est pourquoi le marché agricole mérite une régulation spécifique appropriée, y compris dans le cadre du marché unique européen, pour garantir un revenu convenable aux producteurs et assurer notre autonomie alimentaire.
Tel n'est pourtant pas le cas. Car en Europe, contrairement aux États-Unis, le primat donné au droit de la concurrence l'emporte encore très nettement sur les objectifs de la Politique agricole commune (PAC). Notre commission a consacré à cette question pas moins de trois rapports d'information depuis 2012 et l'a aussi visée dans les quatre résolutions européennes adoptées par le Sénat au sujet de la PAC depuis juillet 2017.
Nous sommes amenés aujourd'hui à y revenir, car les agriculteurs français et européens pâtissent fortement de l'extrême réticence avec laquelle les institutions européennes s'engagent dans la voie d'une meilleure régulation. C'est cette voie que le présent rapport d'information se propose d'explorer.
L'histoire des rapports entre la PAC et la politique de la concurrence est celle d'un compromis déséquilibré à la complexité byzantine.
Le principe de primauté de la PAC sur les règles de concurrence figurait pourtant, dès l'origine, dans le traité de Rome de 1957. Mais ce principe a été rapidement vidé de sa substance. Aujourd'hui encore, les règles de concurrence ne sont applicables à la production et à la commercialisation des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Parlement et le Conseil, et compte tenu des objectifs de la PAC.
En dépit d'améliorations récentes, l'économie générale du règlement 1308/2013 dit « organisation commune des marchés » (OCM), clé de voûte de la mise en oeuvre sur ce point des traités, demeure restrictive, et ne protège pas suffisamment nos agriculteurs.
En résumé, les organisations de producteurs peuvent déroger au cadre général de la réglementation de la concurrence, sous la forme de décisions et de pratiques concertées, à condition de satisfaire l'un des objectifs de la PAC. Mais la détermination des prix demeure prohibée. Une étape importante aura été marquée avec l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 14 novembre 2017 dit « endives », qui a donné raison aux producteurs, qui s'étaient courageusement regroupés pour refuser de vendre leur production à perte.
Dans notre pays, la demande est concentrée sur la base de seulement quatre centrales d'achat. Cet oligopole dispose d'une puissance de négociation et d'achat incomparable, face à un secteur agricole atomisé, dont l'offre est peu concentrée et les filières, insuffisamment structurées.
En donnant le primat à la concurrence dans le fonctionnement de la PAC, on néglige le caractère de maillon faible des agriculteurs dans la chaîne de production et de commercialisation. Il en va tout à l'inverse du droit antitrust américain, depuis le Capper-Volstead Act du 18 février 1922. Ce texte de référence consacre un principe de faveur pour les associations agricoles. Il autorise aussi la fixation de prix communs de cession par les vendeurs, ce que le droit de l'Union européenne sanctionne en règle générale.
Le rapport d'information que je vous présente plaide résolument en faveur de la transposition du dispositif américain dans le droit européen.
La situation sinistrée de la filière viande bovine française représente, à elle seule, une illustration de l'impérieuse nécessité de sortir du statu quo en matière d'application des règles de concurrence à l'agriculture.
La filière bovine handicape par ricochet notre pays dans l'appréciation des résultats des négociations commerciales, menées par la Commission européenne pour le compte de la France et des autres États membres. On le voit particulièrement pour la ratification du traité CETA avec le Canada : certaines filières seraient gagnantes, mais nous sommes « tirés vers le bas » par la filière viande bovine, fragilisée par son incapacité à se réformer. Pourtant, l'agriculture française ne se résume pas à cette seule filière et l'économie française dans son ensemble, encore moins. En résumé, comme me l'a confié un grand responsable agricole français, il apparaît impossible de toujours se caler sur le maillon faible de notre agriculture, d'autant qu'il tarde à se réformer.
Un électrochoc est indispensable ! Il appartient donc aux pouvoirs publics français d'aller jusqu'à contraindre financièrement les producteurs de viande bovine à sortir du piège dans lequel ils sont pris, car leur production ne correspond plus aux attentes des consommateurs. Pour ce faire, il convient de privilégier des animaux moins lourds et plus jeunes, à l'origine d'une viande plus tendre et goûteuse, ce qui permettrait également de réduire l'empreinte carbone et, par là même, de contribuer favorablement au succès de la transition écologique, dans le cadre du Green Deal.
Plus précisément, on pourrait conditionner la perception de la totalité de l'Aide aux bovins allaitants (ABA) à l'abattage des animaux avant seize mois. Ainsi, le ministre de l'agriculture interviendrait utilement sur l'offre. Techniquement, il pourrait le faire par voie réglementaire, même s'il ne faudrait pas le faire de manière autoritaire. Les auditions nous ont montré que l'ABA est de facto directement perçue par les abatteurs ! C'est une déviance.
Pour conclure, je dois reconnaître que la question de l'application des règles de concurrence à l'agriculture se heurte encore à un très fort attachement de la Commission européenne au statu quo. Mme Vestager a tenu devant nous un discours si convenu, que je souhaite que nous auditionnions prochainement son chef de cabinet, l'un des rares Français tenant un poste-clé à Bruxelles.
Cette incapacité à trancher le noeud gordien figure au coeur de bon nombre de nos difficultés actuelles : aussi bien l'insuffisante réactivité et le manque d'efficacité des mécanismes de gestion des crises, que la faiblesse structurelle de plusieurs de nos filières agricoles, sans oublier la réforme mal engagée de la PAC 2021/2027, dont la crise de Covid-19 devrait logiquement conduire à reconsidérer les termes. Si l'on inversait la hiérarchie entre politique agricole et politique de la concurrence, nous aurions besoin de moins d'argent public pour le monde agricole... La Nouvelle-Zélande, dans les années 1990, a complètement bouleversé sa politique agricole, auparavant comparable à la nôtre. De même, Mme Vestager devrait songer à « accrocher » le volet agricole à la politique industrielle. Le rapport de force entre quatre acheteurs et des producteurs atomisés ne peut qu'être déséquilibré... Et les principes de bon sens de la loi Egalim sont systématiquement contournés par la grande distribution. Nous devons aller plus loin que la limite fixée par le règlement « Omnibus » du 13 décembre 2017, grâce en particulier à l'action déterminée de l'ancien député européen, Michel Dantin.
En dernière analyse, la concurrence en matière agricole mérite d'être considérée non pas comme une fin en soi, mais comme un instrument, au service de la réalisation des objectifs de la PAC, au nombre desquels figure la sécurisation de l'indépendance alimentaire de l'Europe. Un cadre juridique rénové donnerait assurément des armes nouvelles aux agriculteurs français et européens pour s'imposer dans la compétition économique : à eux ensuite de s'en emparer, pour en faire l'outil d'une reconquête de leur pouvoir de marché ! Je souhaite que l'on revienne à l'esprit du traité de Rome de 1957.
C'est le troisième rapport que nous consacrons au sujet. J'en ai parlé au ministre de l'agriculture cette semaine. Nous devons rendre aux agriculteurs la noblesse de leur métier, qui est de vivre directement du fruit de leur travail.
Mme Pascale Gruny. - Le revenu des agriculteurs, qui n'ont aucun poids sur les prix de vente - contrairement aux commerçants - est un vrai sujet. Vous dites que les budgets sont contraints. Depuis quelques semaines, la crise a donné le sentiment d'ouvrir grand les robinets, avec de l'argent que nous ne rembourserons pas ! Il faudrait que cela profite aussi aux agriculteurs. Pour le verdissement, il faudrait peut-être donner du temps au temps. Avant de supprimer un produit, il faut savoir par quoi le remplacer. Si l'on remplace un passage dans le champ par quatre ou cinq, avec un produit qui reste en suspension dans l'air, c'est encore plus dangereux pour la santé... À titre d'illustration, cette année, la jaunisse de la betterave va être une catastrophe. Elle découle de la suppression des néonicotinoïdes, sans produits de remplacement, et aboutira à des fermetures d'usines. Enfin, les circuits courts sont une bonne chose, aussi, pour la qualité de l'alimentation. Ils ont bien fonctionné pendant la crise, mais moins aujourd'hui. Là où l'on produit du blé et de la betterave, ils ont leurs limites.
M. Jean Bizet, président. - J'ai pris conscience récemment, en écoutant les professionnels, que la France avait pour originalité d'abattre des animaux lourds. Nous avons le plus grand nombre de races - qu'il faut conserver. Mais plus un animal est lourd, moins la viande est tendre. Les autres États abattent les animaux plus jeunes. C'est notamment le cas de l'Irlande, qui a transformé sa filière à la suite de la crise de la vache folle. Or, prolonger la vie d'un animal d'un an et demi, pour qu'il gagne plus d'une centaine de kilos correspond à une empreinte environnementale importante. Nous devrions utiliser l'ABA pour inciter à abattre les animaux plus jeunes, avec une marge d'adaptation selon les races. Cela correspondrait mieux aux goûts des consommateurs, et le revenu des agriculteurs serait supérieur.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La réunion est close à 10 h 15.
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 12 h 35.
Budget de l'Union européenne - Point d'actualité sur la négociation du cadre financier pluriannuel : communication de MM. Jean Bizet et Simon Sutour
M. Jean Bizet, président. - Mes chers collègues, nous avons aujourd'hui deux sujets à traiter, d'une part le cadre financier pluriannuel, d'autre part l'extraterritorialité des lois américaines. Ce n'est pas la première fois que nous abordons ce second sujet. Il prend cependant désormais une dimension particulière, compte tenu de la position récente des États-Unis.
Le Président du Conseil européen, Charles Michel, a présenté une nouvelle boîte de négociation en vue d'obtenir un accord sur le cadre financier pluriannuel et l'instrument de relance lors de la prochaine réunion du Conseil européen, les 17 et 18 juillet 2020. Les informations dont nous disposons ne sont pas très encourageantes. Il n'est pas impossible par conséquent que ce Conseil européen ne soit pas conclusif. Il faut dire que l'objectif est ambitieux compte tenu des divergences qui demeurent entre les États membres, même si tous semblent partager le souci de trouver un accord avant la trêve estivale, afin de ne pas retarder la mise en oeuvre des mesures de relance.
Je vous rappelle très succinctement le schéma que la Commission avait proposé le 27 mai dernier, qui comprenait deux volets, d'une part un cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027 arrêté à 1 100 milliards d'euros (de mémoire, ce montant excédait la proposition de la présidence finlandaise, mais restait inférieur à la proposition du Parlement européen), d'autre part un instrument de relance de 750 milliards d'euros destiné à faire face aux conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19.
Cet instrument de relance, baptisé « Next Generation EU », devrait venir compléter et renforcer, à titre exceptionnel et temporaire, pour des engagements au cours de la période 2021-2024, les dépenses inscrites dans le cadre financier pluriannuel. La Commission souhaite utiliser ces montants exceptionnels pour rendre l'Europe plus verte, plus digitale et plus résiliente.
Ces 750 milliards d'euros, répartis en 500 milliards d'euros de subventions et garanties et 250 milliards d'euros de prêts, devraient être financés par un endettement commun et être remboursés entre 2028 et 2058. Pour séduire les États frugaux, un remboursement plus précoce est évoqué dès 2024.
Dans la proposition de résolution européenne que nous vous avions présentée début juin 2020, nous avions appelé l'attention sur plusieurs enjeux. Nous avions appelé, en particulier, à la vigilance concernant le cadre financier pluriannuel « socle ».
Notre appel à la vigilance n'était pas inutile. Le président du Conseil européen entend en effet réaliser des économies sur le cadre financier pluriannuel « socle », qui pourrait avoisiner 26 milliards d'euros par rapport à la proposition présentée par la Commission fin mai 2020. Il espère ainsi vaincre les réticences des États frugaux et les convaincre d'approuver l'instrument de relance à la hauteur envisagée par la Commission, mais en le rendant plus concentré encore sur le début de période et en anticipant quelque peu les remboursements, pour parer leurs critiques sur ces points.
À ce stade des négociations, nous observons que le président du Conseil européen s'efforce de ménager les différents intérêts, en préservant notamment les enveloppes consacrées à la PAC et à la cohésion.
M. Simon Sutour. - La structure de la proposition formulée par Charles Michel est éclairante. Il traite en premier lieu de l'instrument de relance, qui constitue l'enjeu principal de la négociation, et ensuite du cadre financier pluriannuel (CFP) « socle », considérant que les précédents échanges au Conseil européen ont déjà permis de trouver des voies de sortie. Le CFP « socle » apparaît donc comme la variable d'ajustement de la négociation pour faire adopter l'instrument de relance.
La proposition du président du Conseil européen confirme les contours de l'instrument de relance, tels que la Commission les avait envisagés. Elle conserve une enveloppe de 750 milliards d'euros, comprenant 500 milliards d'euros de subventions et 250 milliards d'euros de prêts. La ventilation proposée par la Commission entre les différents programmes n'est aucunement modifiée. La facilité pour la reprise et la résilience, en particulier, conserve une enveloppe de 560 milliards d'euros, dont 310 milliards de subventions. Nous pouvons simplement signaler un changement de rubrique pour les crédits de relance destinés à l'aide humanitaire, qui se voient rattachés pour des raisons juridiques à la rubrique de l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale. Néanmoins, il ne s'agit pas d'un changement de fond.
Les modifications et précisions se trouvent ailleurs. Elles sont destinées à faire taire les critiques formulées par plusieurs États membres. Elles concernent le calendrier de l'instrument de relance, les critères d'allocation des aides, les ressources propres et le capital de la Banque européenne d'investissement.
Charles Michel propose ainsi de concentrer le plan de relance sur trois années au lieu de quatre. Les engagements de dépenses au titre de l'instrument de relance devraient ainsi prendre fin le 31 décembre 2023 au plus tard, tandis que les paiements devraient être effectués avant le 31 décembre 2026.
Les critiques sur les critères d'allocation des fonds et la juste prise en compte des effets de la crise de la Covid-19 ont été entendues. Charles Michel propose de conserver les critères d'allocation des fonds de la facilité pour la reprise et la résilience proposés par la Commission européenne pour 2021 et 2022, ces deux années devant représenter 70 % des dépenses. Il les modifie en revanche pour 2023, année qui verrait le déblocage des 30 % d'engagements restants. Le critère du taux de chômage constaté au cours des années 2015 à 2019 serait ainsi remplacé, pour l'attribution de l'enveloppe en 2023, par le critère de perte cumulée de PIB en 2020 et 2021. Les effets de la crise de la Covid-19 seront donc mieux pris en compte. La commission des finances avait mis en évidence cet enjeu. Nous pouvons par conséquent nous satisfaire de cette évolution. Je vous rappelle que les fonds seront versés aux États membres en contrepartie d'engagements à mener des réformes, dans le cadre du semestre européen.
De même, le président du Conseil européen souhaite anticiper d'un an le remboursement de l'emprunt contracté pour financer cet instrument. Il débuterait le1er janvier 2027, la dernière année de ce cadre financier pluriannuel, et non plus en 2028.
Pour atteindre cet objectif, Charles Michel propose d'avancer sur le dossier des ressources propres. Il présente un plan d'action en quatre phases, qui débuterait très rapidement. Sa boîte de négociation prévoit en effet qu'une nouvelle ressource propre assise sur la quantité de plastiques non recyclés serait introduite et appliquée dès le 1er janvier 2021.
La Commission est ensuite invitée à formuler, au premier semestre 2021, des propositions pour introduire un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et une ressource propre fondée sur le numérique, en vue de les mettre en oeuvre au plus tard le 1er janvier 2023.
Elle devrait également proposer une révision du système européen d'échange de quotas d'émission, en l'étendant le cas échéant à l'aviation et au transport maritime, sans qu'une date de mise en oeuvre soit spécifiée.
Enfin, le document précise que l'Union travaillera au cours du prochain CFP à la mise en place d'autres ressources propres qui pourraient inclure une taxe sur les transactions financières sur lesquelles les États membres n'ont jamais pu s'accorder.
Il s'agirait donc d'une nette accélération du calendrier opérationnel de développement des ressources propres de l'Union, qui interviendrait de manière graduelle, ce qui constitue une nouveauté. Notre commission a réclamé depuis longtemps des avancées sur ce dossier. Nous pouvons donc saluer la démarche et les objectifs fixés par le Président du Conseil européen, tout en restant extrêmement prudents. En effet, le passage des annonces aux actes est souvent plus difficile que prévu au niveau européen comme au niveau national. C'est particulièrement vrai en matière de ressources propres.
Enfin, la proposition de Charles Michel fait apparaître un point que la Commission n'avait pas mis en avant. Pour pouvoir assumer les missions que l'Union lui confie dans le cadre de la relance post-Covid-19, la Banque européenne d'investissement (BEI) doit bénéficier d'une augmentation de capital. Des apports directs des États membres seraient ainsi appelés à hauteur de 17,5 milliards d'euros. Pour la France, cela représenterait une dépense immédiate de l'ordre de 3,3 milliards, si nous nous référons à la clé actuelle de répartition du capital de la banque. Depuis le départ du Royaume-Uni, la France détient en effet 19,2 % du capital de la BEI.
En outre, le capital appelable serait augmenté de 175 milliards d'euros au maximum. Je vous précise que les circonstances dans lesquelles la BEI serait susceptible d'avoir recours à ce capital appelable sont rares. Cette procédure a vocation à couvrir une situation dans laquelle l'institution serait en difficulté majeure. La banque n'y a jamais eu recours depuis sa création. Le capital appelable assume néanmoins un rôle important puisqu'il permet, outre le capital appelé qui est réellement versé, de manifester le soutien des actionnaires. Il constitue ainsi un élément important de l'évaluation de la solidité financière de la Banque, ce qui n'est pas négligeable actuellement.
La crise de la Covid-19 aura mis en évidence le rôle majeur de la BEI et le soutien que les États membres lui apportent. En effet, au-delà de ces mesures, qui restent à confirmer, le troisième projet de loi de finances rectificative, que le Sénat examinera dans quelques jours, comprend un article qui prévoit l'octroi de la garantie de l'État à la BEI, à hauteur de 4,7 milliards d'euros au maximum, au titre du fonds de garantie créé pour soutenir l'économie dans le cadre de cette crise.
L'augmentation du capital appelé aura un impact budgétaire direct pour les États membres, qui devrait cependant être compensé par la baisse globale du montant du cadre financier pluriannuel proposée par le président du Conseil européen.
M. Jean Bizet. - Pour convaincre les États membres, y compris les États frugaux, d'accepter ce paquet de dépenses nouvelles, notamment ce montant de subventions, le président du Conseil européen propose en particulier deux mesures fortes concernant le cadre financier pluriannuel.
En premier lieu, il n'est plus question d'en finir avec les rabais, dont cinq États membres continueront à bénéficier, pour près de 6,5 milliards d'euros par an : l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède. Nous avions réclamé la suppression immédiate des rabais à l'occasion du départ du Royaume-Uni. Nous ne pouvons évidemment que déplorer cette position.
Ensuite, Charles Michel propose de réduire de 25,7 milliards d'euros l'enveloppe du cadre financier pluriannuel « socle », par rapport à la proposition présentée par la Commission européenne fin mai 2020. Très habilement, le président du Conseil européen ne se réfère pas à cette proposition, mais à celle qu'il avait lui-même formulée en février 2020 et qui était déjà plus basse de près de 5 milliards d'euros. Cette position lui permet notamment de ramener à l'étiage de février 2020 un certain nombre de programmes.
Dans le détail, la proposition de Charles Michel confirme ce que nous avions analysé en juin dernier lorsque nous avions examiné la proposition de la Commission. Nous observons des transferts de charges du cadre « permanent » que constitue le CFP vers l'instrument temporaire de relance.
À court terme, cette mesure peut paraître neutre, même si les fonds de l'instrument de relance devront être engagés durant les trois premières années du cadre financier pluriannuel. À moyen terme, elle ne l'est pas puisqu'il sera nécessaire d'augmenter le volume du prochain CFP pour conserver le même niveau de programmes. En outre, la proposition revient à faire financer par l'emprunt des dépenses qui ne relèvent pas nécessairement d'une politique de relance au sens strict. Ce point est à souligner. Il est quelque peu ennuyeux.
Le président du Conseil européen conserve le schéma retenu par la Commission pour Invest EU, désormais quasiment intégralement financé au travers de l'instrument de relance. Il ne restera plus que 1,3 milliard inscrit sur le CFP « socle », pour 30,3 milliards inscrits dans le cadre de l'instrument de relance.
Il réduit également les crédits destinés à Horizon Europe et à l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale, en justifiant ces coupes par les crédits dont bénéficieront ces programmes dans le cadre de la relance.
J'avoue que la démarche qui consiste à jouer entre les deux volumes est relativement astucieuse. Elle ne fonctionnera en revanche qu'à une reprise, car il ne sera prévu qu'un plan de relance dans la conjoncture qui nous attend.
Plusieurs programmes que la Commission avait proposé de relever font l'objet de réductions pour les ramener au niveau proposé en février dernier. Tel est notamment le cas du Fonds pour la transition juste (qui doit permettre aux pays d'Europe centrale et orientale d'accepter l'ensemble des programmes environnementaux face aux mutations lourdes qu'ils auront à mener), ramené de 10 à 7,5 milliards d'euros, d'Erasmus, qui perd 3,4 milliards d'euros, mais également du Fonds européen de défense, qui perdrait 1 milliard d'euros par rapport à la proposition de la Commission, pour s'élever à 7 milliards d'euros. Je rappelle qu'initialement, il avait été envisagé de le doter de 12 milliards d'euros. Malgré nos protestations, le Fonds européen de défense ne parvient toujours pas à atteindre un niveau satisfaisant.
L'aide à la pré-adhésion serait légèrement réduite, de 300 millions d'euros, par rapport à la proposition de la Commission, mais elle serait en augmentation par rapport aux préconisations de février 2020.
Au regard des débats que nous avons eus en commission, je voudrais vous préciser que 5 milliards d'euros seraient consacrés à ITER, montant identique à celui du mois de février 2020, mais inférieur de 400 millions à la proposition initiale de la Commission en mai 2018. Ce programme est quelque peu ménagé, montrant qu'il existe une dichotomie invraisemblable entre les investissements et la façon dont la filière nucléaire est passée sous silence au niveau européen.
M. André Gattolin. - Nous ne voulons pas d'une union de l'énergie. Nous en reparlerons dans le cadre du point suivant.
M. Jean Bizet. - Absolument. Par ailleurs, la politique spatiale européenne voit son budget stabilisé à 13,2 milliards d'euros. Elle gagne même 3 millions d'euros par rapport à la proposition de la Commission de mai 2020. Le montant de cette enveloppe est inférieur de 1 milliard à celui envisagé en 2018. Nous constatons cependant que les lignes se figent, cette fois à un niveau correct. J'avoue qu'il s'agit d'une excellente nouvelle. Nous devons en effet assurer notre maîtrise dans ce nouvel espace, porteur d'un nombre considérable d'effets induits.
Les crédits dédiés à Frontex seraient inchangés par rapport aux propositions du Conseil européen de février dernier. Ils s'élèveraient à 5,1 milliards d'euros. Parallèlement, le Fonds pour la gestion intégrée des frontières serait doté de 5,5 milliards d'euros, montant pour moitié inférieur à la préconisation de la Commission en mai dernier. Cette évolution est préoccupante au regard des propos qui nous ont été tenus par Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex, lorsque nous l'avons auditionné en avril dernier. L'Europe qui protège ne peut en effet se concevoir qu'avec des frontières sécurisées.
Les fonds consacrés à la cohésion et à la PAC apparaissent en revanche préservés par rapport à la proposition de la Commission, même si nous relevons une très légère baisse de 51 millions d'euros sur le premier pilier de la PAC. La communication que j'ai faite ce matin constitue un encouragement à faire évoluer la politique européenne de concurrence, sans laquelle il est inenvisageable de réduire les aides prévues dans le cadre financier pluriannuel au bénéfice des agriculteurs. Ce discours n'est toutefois pas entendu à Bruxelles, notamment par Mme Vestager. Cette situation est regrettable. Même au niveau national, j'ignore comment réagira le nouveau ministre de l'agriculture. Je l'ai vu pour la première fois sur le terrain chez moi, en Centre-Manche, où il m'a semblé être à l'écoute et attentif.
M. André Gattolin. - Qui connaît Jacques Mézard, comprend Julien Denormandie. On peut le considérer comme son fils spirituel et donc compter sur sa ruralité profonde.
M. Jean Bizet. - Toujours est-il que je suis soucieux concernant l'évolution de la politique de concurrence si elle n'intègre pas la donne agricole.
Je poursuis. La boîte de négociation apporte une précision importante concernant la déclinaison des objectifs de transformation écologique et digitale au travers de ces deux grandes politiques que sont la PAC et la cohésion.
Elle précise ainsi que 30 % des dépenses du cadre financier pluriannuel et de l'instrument de relance devront favoriser la lutte contre le changement climatique, ce pourcentage étant porté à 40 % pour ce qui concerne la politique agricole commune. Je vous renvoie à l'audition du commissaire européen à l'agriculture et à celle du vice-président Timmermans. Ce dernier devra détailler ses attentes dans le domaine agroalimentaire au travers du Pacte vert pour l'Europe.
M. Jean-François Rapin. - Il s'est peu exprimé sur le sujet.
M. Jean Bizet. - En effet. S'agissant de la digitalisation de l'économie, le document précise que la politique de cohésion devra contribuer à l'objectif de transformation numérique.
Enfin, la boîte de négociation rejette la perspective d'une révision du cadre financier pluriannuel à mi-parcours, que nous avions soutenue dans notre dernière résolution européenne.
M. Simon Sutour. - Je voudrais enfin souligner une nouveauté et une précision importantes.
La nouveauté réside dans la création d'une réserve d'ajustement « Brexit » au sein des instruments spéciaux, hors plafond du CFP. Elle serait dotée de 5 milliards d'euros pour parer les difficultés que pourraient rencontrer les États membres et les secteurs les plus affectés. La Commission devrait formuler une proposition de mise en oeuvre de cette réserve d'ici le mois de novembre prochain. La mise en place de ce nouvel instrument financier est bien le signe que la Commission se prépare à un Brexit dur.
La précision porte sur les conditionnalités, en particulier la conditionnalité relative à l'État de droit, dont nous avions débattu en janvier dernier notamment. La boîte de négociation précise qu'un mécanisme de protection du budget de l'Union en cas de défaillance généralisée de l'État de droit dans un État membre sera mis en oeuvre. Elle introduit toutefois un élément nouveau, en précisant que le dialogue annuel sur le respect de l'État de droit au sein du Conseil sera plus élaboré et bénéficiera notamment de l'appui de la Cour des comptes européenne. Nous verrons la manière dont cet ensemble se déclinera.
Globalement, nous constatons donc qu'un choix clair a été effectué pour faciliter l'adoption de l'instrument de relance à la hauteur prévue par la Commission et, en particulier, pour conserver le niveau élevé de subventions qui suscite les critiques des États frugaux. Le cadre financier pluriannuel « socle » se rétrécit. Ses lignes se cristallisent, même si chaque partie continue à pousser ses pions dans des négociations qui seront, à n'en pas douter, extrêmement difficiles. J'observe d'ailleurs qu'un créneau a été réservé les 27 et 28 juillet 2020 pour un nouveau Conseil européen, signe que celui des prochains jours pourrait ne pas être conclusif.
Le Parlement européen a critiqué le rétrécissement du CFP et ce qu'il considère être un manque d'ambition du Président du Conseil européen s'agissant des ressources propres. Plusieurs États membres ont également formulé des critiques, notamment l'Allemagne, sur le fonds européen de défense. Tout espoir de relèvement des crédits de ce fonds n'est donc pas perdu. Toutefois, même si nous avons appelé et continuons d'appeler de nos voeux certaines réévaluations à la hausse, des augmentations significatives seront vraisemblablement difficiles à obtenir.
M. Jean Bizet. - Les chiffres ne sont pas éloignés de la première annonce de l'ancien commissaire allemand Günther Oettinger : nous revenons aux fondamentaux.
M. André Gattolin. - Nous ne devons pas faire semblant de ne pas savoir comment fonctionnent les négociations. Nous croyons toujours que nous maintiendrons la PAC à un niveau identique. Nous savons cependant que cette politique est contestée depuis au moins quinze ans par l'ensemble des autres pays.
M. Jean Bizet. - La PAC est contestée par les autres pays, qui investissent cependant beaucoup financièrement pour leur propre agriculture. Nous devons par conséquent garder le souci de la faire évoluer dans le sens que j'ai présenté ce matin.
M. Jean-François Rapin. - Il est question d'une cristallisation. Selon moi, cependant, la négociation se paie chèrement par rapport à la fois précédente. La renonciation sur les rabais est significative. Nous étions encore en discussion la fois précédente quant à leur possible disparition. Finalement, une décision péremptoire est prise.
M. André Gattolin. - Aucune décision n'est encore prise. Il s'agit d'une proposition. Seuls deux pays souhaitaient réellement l'arrêt des rabais, la France et l'Italie. Ils y avaient intérêt puisqu'au prorata, ils payaient davantage que les autres pays.
M. Jean-François Rapin. - Je constate simplement que la négociation se paie chèrement. Par ailleurs, nous voyons apparaître, au niveau de la Banque européenne d'investissement, un appel à un abondement des fonds pour permettre les emprunts à hauteur de 4,7 milliards d'euros. S'agit-il pour nous d'éléments budgétaires ou non ?
M. Jean Bizet. - Il existe deux aspects. Le premier aspect en loi de finances concerne les garanties. Le niveau de risque étant élevé, il n'est pas exclu cependant que le montant de 4,7 milliards d'euros de garanties subisse une perte sèche. Par ailleurs, l'augmentation de capital de la BEI relève d'une sortie de cash.
M. André Gattolin. - L'augmentation de capital de la BEI en 2012 avait déjà permis au plan Juncker de fonctionner. J'avais pour ma part le plus grand doute quant au double effet de levier. Il a néanmoins fonctionné. Le plan de relance initial, prévu avant la crise sanitaire, passait par une prolongation du FIES ; le plan de relance en termes de prêts vient s'y ajouter, le nouvel abondement est normal. Je vous trouve bien lugubres. Pour la première fois, pourtant, un plan de relance conséquent est mis en place. Nous ne pouvons pas obtenir simultanément le maintien du cadre financier pluriannuel en l'état. Une demande dans ce sens signifierait que nous ne connaissons pas nos partenaires. Elle signifierait que nous pensons que l'Europe est napoléonienne et que nous décidons.
M. Simon Sutour. - Le traitement de la crise de la Covid-19 et la mise en place du fonds qui l'accompagne sont concomitants du Fonds pluriannuel. Si le cadre financier pluriannuel était acté, nous serions tranquilles pour plusieurs années. Il n'est pas acté. Des vases communicants se mettent par conséquent en oeuvre.
M. André Gattolin. - Nous n'obtiendrons sans doute pas un accord samedi soir. Un deuxième sommet pourrait être organisé la semaine prochaine. L'objectif est d'acter les décisions sur le cadre financier pluriannuel. En effet, les Pays-Bas viennent d'accepter l'idée de 100 milliards d'euros de subventions et d'aides, alors que nous demandons 500 milliards d'euros. Nous pouvons nous satisfaire de cette décision, qui entérine le principe même que des aides viennent de l'Union européenne. Je pense qu'après négociation, nous atteindrons un niveau de 400 milliards d'euros d'aides et de 350 milliards d'euros d'emprunts.
M. Jean-Yves Leconte. - Nous avons le sentiment que ce qui nous est présenté comme un moment particulier de l'Union européenne qui emprunte pour la première fois et change ainsi de dimension est en réalité un coup unique atténuant les actions pérennes.
M. Jean Bizet. - Je le répète. Je juge d'une belle habileté l'articulation entre le cadre financier pluriannuel et le plan de relance. La conjoncture a permis cette articulation, mais nous ne possédions pas d'autre solution. Globalement, cette solution est positive. Il est vrai que nous nous fondons sur des politiques traditionnelles, qui ne sont cependant pas nécessairement des politiques passéistes, dès lors que nous ne souhaitons pas changer certaines orientations (concernant la PAC, notamment). S'agissant du Fonds européen d'investissement stratégique, je dois dire que je doutais du coefficient multiplicateur mais suis admiratif : dans la réalité, le dispositif fonctionne.
M. André Gattolin. - J'étais également très critique. Je dois reconnaître effectivement que le dispositif fonctionne.
M. Jean Bizet. - L'abondement est aujourd'hui indispensable après le départ des Britanniques, qui voulaient rester, jugeant l'outil pertinent. Les Britanniques ont souhaité quitter l'Union européenne, mais voudraient continuer de participer aux politiques efficaces. La signature de la BEI sur les marchés est excellente. Le capital appelable, de surcroît, n'a jamais été sollicité.
Je souhaiterais en revanche une accentuation de l'effort au profit du Fonds européen de défense.
M. André Gattolin. - Avant d'entrer dans les politiques sectorielles, je souhaite répondre à mon collègue. Il ne s'agit pas d'un coup unique, pour deux raisons. Devant la faiblesse structurelle des États pour abonder le cadre financier pluriannuel, le plan Juncker a été mis en place jusqu'à 2018, puis prolongé jusqu'en 2020. La décision a été prise ensuite de le prolonger pour un montant de 650 milliards d'euros sur la période 2021-2027, montant auquel s'ajoute ou s'intègre le plan de relance. La réalité du plan de relance est qu'aujourd'hui, les pays frugaux souhaitent que l'ensemble des sommes post-Covid-19 soient dépensées en deux ans. La Commission argue de l'incapacité à mettre en place des projets structurels en deux ans. Elle plaide pour au moins trois ans de dépenses d'engagements, puis des dépenses de crédits de paiement sur six ans. De surcroît, compte tenu de l'échéance des remboursements, il sera possible de créer des ressources propres tout au long du cadre financier pluriannuel. En réalité, nous nous dirigeons, non pas vers un budget, mais vers des ressources mutualisées (ressources budgétaires, crédits, ressources propres) à 2 % au moins du PIB. Il s'agit d'une révolution. Certes, comme disait Nietzsche, la révolution arrive « sur des pattes de colombes ». Pour ma part, je suis favorable au triplement du budget européen à l'horizon 2050, sous peine de ne pas pouvoir résister à la compétition internationale et aux investissements réalisés par l'Amérique du Nord et la Chine. Il n'en demeure pas moins qu'aujourd'hui, nous avons trouvé une façon habile de « faire du 1+1 » et de le pérenniser.
M. Jean Bizet. - Je suis d'accord. La difficulté réside dans le fait que nous devons encore attendre la réaction demain et après-demain des pays frugaux. J'ai noté pour ma part des points positifs et des points négatifs. Parmi les points négatifs, nous sommes tous déçus de ne pas avoir réussi à régler la question des rabais. Dès lors que l'Allemagne qui est contributrice nette, présidait le Conseil, il était cependant impossible de régler la question. Par ailleurs, le fait que les États doivent faire preuve d'engagement dans un certain nombre de réformes apparaît en filigrane. Il n'y aura pas d'ouverture de crédits sans réformes. Il s'agit, à mon sens, d'un des meilleurs services à rendre à notre pays. Ayons l'honnêteté de le reconnaître. Côté ressources propres, la taxe sur les plastiques a vocation à s'éteindre, si nous sommes vertueux. L'annulation, il y a 48 heures, de l'injonction de la Commission à Apple de restituer 13 milliards d'euros à l'Irlande au titre des avantages fiscaux oblige à trouver d'autres ressources propres.
M. André Gattolin. - Il s'agit d'une question de solidarité européenne. L'opération de la Commission vis-à-vis de l'Irlande n'avait de sens que si l'Espagne et d'autres pays maintenaient leurs recours contre l'Irlande. Certes, le résultat est insupportable. Chaque pays doit cependant avoir le courage de se tourner vers l'Irlande pour obtenir sa part de la richesse produite.
M. Jean Bizet. - Il y a quelques années, tandis que l'Irlande était en situation extrêmement difficile, nous avions invité l'ambassadeur d'Irlande en France. Je lui avais indiqué qu'au titre de la politique de solidarité, il était logique que l'Union européenne vienne en aide à l'Irlande. Je lui avais cependant demandé d'entendre que le différentiel de taux en matière d'impôts sur les sociétés devenait insupportable. Je l'avais invité à envisager d'inscrire l'Irlande dans la moyenne européenne. Il avait répondu « Jamais », invoquant que c'était le seul atout de l'Irlande. Il avait été extrêmement raide.
M. André Gattolin. - J'étais présent. Il avait évoqué en retour nos crédits d'impôt recherche excessifs, en nous expliquant que toute la jeunesse diplômée, compétitive et éduquée dans le domaine de la recherche en Irlande venait en France de ce fait. Il avait indiqué que l'Irlande n'était pas hostile à revoir son taux en matière d'impôts sur les sociétés, à la condition que nous-mêmes soyons irréprochables en matière fiscale.
M. Jean Bizet. - Chaque pays possède en effet ses politiques d'attrait.
Personnellement, par ailleurs, je n'ai jamais cru au produit d'une taxe sur les transactions financières. Il restera extrêmement marginal.
Nous avons dressé, ce jour, un état des lieux. Nous en reparlerons probablement à l'avenir.
Énergie, climat, transports - Nord Stream 2 et extraterritorialité du droit américain : communication de M. Claude Kern, examen d'une proposition de résolution européenne et d'un avis politique
M. Jean Bizet, président. - Notre commission s'inquiète depuis déjà quelques années du comportement des États-Unis, qui tendent à imposer leurs règles au-delà de leurs frontières. En octobre 2018, notre collègue Philippe Bonnecarrère nous avait présenté un rapport sur l'extraterritorialité des sanctions américaines, ainsi qu'une proposition de résolution européenne. Le sujet ressurgit aujourd'hui dans le domaine de l'énergie, puisque les États-Unis envisagent des sanctions à l'égard des entreprises concourant à la réalisation du gazoduc Nord Stream 2 en Europe, notamment au travers d'un pays qui ne fait pas partie de l'Union européenne, la Suisse, propriétaire d'un bateau spécialisé dans l'implantation de ce type d'infrastructure. Ce sujet ressurgit d'une manière particulièrement aiguë, puisqu'il est désormais envisagé que ces sanctions américaines sur notre continent soient même appliquées à titre rétroactif. Je laisse notre collègue Claude Kern, rapporteur sur l'énergie, nous présenter la situation. En tant que Normand, j'adore évidemment les Américains, mais dans le cas présent, je dois reconnaître qu'ils se moquent de nous.
M. Claude Kern. - Merci, M. le Président, d'avoir ainsi introduit ma communication portant sur le forcing américain.
Chers collègues, en préambule, je vous prie d'excuser mon collègue et co-rapporteur Michel Raison. Empêché d'être présent aujourd'hui, il m'a demandé de présenter en notre nom commun les propositions d'avis politique et de résolution européenne. Le remerciant de sa confiance, j'entre sans plus attendre dans le vif du sujet qui a connu récemment un rebondissement spectaculaire.
Dès que l'ancien chancelier Schröder a conclu la première négociation portant sur la construction d'un gazoduc doublant la capacité de Nord Stream, le premier du nom, les autorités américaines ont invoqué la sécurité énergétique de l'Union afin d'entraver la réalisation du gazoduc Nord Stream 2. La vice-secrétaire d'État à l'énergie du président Obama avait notamment exprimé en mars 2016 une opinion ouvertement hostile à ce projet, affirmant que les alliés européens des États-Unis la partageaient.
Sous la présidence de Donald Trump, la loi du 2 août 2017 « contre les adversaires de l'Amérique » a imposé des sanctions contre plusieurs États, dont la Russie. Cette fois, la sécurité de l'approvisionnement énergétique européen n'était pas mentionnée. Le texte a été promulgué malgré l'hostilité du président Trump, soucieux de ne pas « rapprocher la Chine, la Russie et la Corée du Nord ». En fait, il n'avait guère le choix : la proposition de loi avait été adoptée par un Sénat unanime ou presque, écartant en pratique l'hypothèse d'un veto présidentiel. Appliqué à Nord Stream 2, le texte porte une atteinte directe aux intérêts des grands énergéticiens européens déjà engagés. L'objectif déclaré du texte consiste à empêcher la réalisation d'une infrastructure souhaitée par Nord Stream AG et ses cinq partenaires européens.
Le département d'État américain a publié le 31 octobre 2017 des lignes directrices délimitant le champ des sanctions, afin qu'elles visent deux catégories de personnes physiques ou morales. Viennent en premier lieu les personnes ayant réalisé à compter du 2 août 2017 un investissement contribuant à la réalisation d'un gazoduc russe d'exportation, lui-même initié à compter du 2 août 2017. Le critère d'appréciation est la signature du contrat. Viennent ensuite les personnes fournissant le service ou, à compter de la même date, contribuant à la construction, à la modernisation ou à l'expansion du gazoduc d'exportation, lorsque le maître d'oeuvre est la fédération de Russie. Sauf changement de la position du département d'État, la participation financière au gazoduc Nord Stream 2 devait donc échapper à la loi du 2 août 2017, puisque le dernier montage financier a été entériné le 24 avril 2019. Ce point est capital pour apprécier le changement de doctrine opéré hier par le département d'État. J'y reviendrai en fin de présentation, afin de respecter l'ordre chronologique.
La situation avait évolué une première fois avec la loi américaine du 20 décembre 2019, qui avait déjà une histoire avant son adoption. En effet, cette nouvelle étape avait débuté par une proposition de loi bipartisane déposée le 14 mai 2019 par un sénateur républicain du Texas, M. Cruz, à titre personnel et au nom de quatre membres de la commission des affaires étrangères. Cette proposition visait les navires utilisés par des opérateurs non américains pour construire Nord Stream 2. En pratique, le dispositif visait la société helvétique Allseas, propriétaire du Pioneering Spirit, bateau indispensable à l'achèvement rapide du chantier.
Sitôt connue la décision danoise du 30 octobre 2019 autorisant Gazprom à poser le gazoduc dans les eaux territoriales au large de Bornholm, cette proposition de loi fut intégrée in extremis dans le texte budgétaire consacré à la Défense. Les articles 7 501 à 7 503 de ce texte forment ainsi un ensemble dénommé « Protecting Europe's Energy Security Act of 2019 » ou « Loi de 2019 protégeant la sécurité énergétique européenne ».
La société Allseas a immédiatement mis fin à sa participation au chantier. Gazprom a donc dû se lancer seul dans l'achèvement de la pose. D'après l'entreprise, le nouveau gazoduc devrait être opérationnel à la fin de l'année 2020, lorsqu'auront été terminés les tests indispensables à son utilisation effective.
Devant cette perspective, une nouvelle initiative a réuni les mêmes sénateurs que l'année précédente, pour déposer, le 4 juin dernier, une seconde proposition de loi dont la motivation officielle consiste également à défendre la sécurité énergétique de l'Europe. Prétendant vouloir clarifier le texte de 2019, la nouvelle proposition élargit le champ des activités menacées de sanctions en ajoutant l'assurance des navires utilisés sur le chantier de Nord Stream 2, l'assistance technique à leur fonctionnement et la participation au test ou à la certification du gazoduc.
L'autre caractéristique de ce texte est particulièrement inquiétante pour l'Union européenne. Il s'agit de l'entrée en vigueur à titre rétroactif des dispositions du texte, ce qui constitue une première en matière de sanctions internationales unilatérales. En effet, la proposition du 4 juin 2020 serait applicable dès l'entrée en vigueur de façon simultanée de la loi de 2019, promulguée il y a plus de six mois.
Cette nouvelle proposition met en jeu la souveraineté européenne, en matière énergétique ou non.
La loi de 2019 exprime déjà une volonté de tutelle énergétique américaine sur l'Union européenne. Avec la rétroactivité inscrite dans la proposition du 4 juin 2020, l'Union européenne risque de vivre sous la menace permanente de sanctions ciblées envers des activités jugées licites par les Américains lorsqu'elles ont été menées, mais rétroactivement sanctionnées par eux, qui les auraient, dans l'intervalle, déclarées contraires à leurs intérêts. Pourtant, les activités en cause concernent l'Union européenne et sont conduites sur le territoire de l'Union et respectent le droit de l'Union et celui des États membres directement concernés. Il s'agit d'énergie, mais tout autre secteur pourrait subir des dispositions comparables.
Le dernier épisode de la lutte engagée par Washington contre le gazoduc Nord Stream 2 a eu lieu hier, 15 juillet 2020, lorsque le département d'État, c'est-à-dire le ministère des affaires étrangères des États-Unis, a publié une mise à jour des lignes directrices concernant la mise en oeuvre de l'article 232 de la loi du 2 août 2017 sur les adversaires de l'Amérique, texte que j'évoquais précédemment. Sous couvert de simples mises à jour, de nouvelles sanctions sont en réalité introduites, qui visent la poursuite au-delà du 15 juillet 2020 des activités que la première mouture des lignes directrices avait épargnées, au motif que l'exécution de contrats ou d'accords entrés en vigueur avant le 2 août 2017 n'était pas concernée par le dispositif. Cette clause du grand-père est explicitement désormais supprimée. S'exposent ainsi à des sanctions non seulement les participants directs ou indirects au chantier, mais également les entreprises qui, à l'avenir, pourraient contribuer à l'entretien du gazoduc, y compris sur le territoire allemand et même si l'entreprise concernée est elle-même allemande.
Avant de vous soumettre une proposition de résolution européenne, je souhaite ajouter trois éléments.
En premier lieu, la Commission européenne a proclamé fermement son opposition aux « sanctions américaines visant des entreprises européennes » pour des activités « légales au regard du droit européen ». Ces mots sont extraits d'une réponse adressée le 25 juin dernier par le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, M Josep Borrell, au député européen Emmanuel Maurel, qui l'avait interrogé le 23 mars dernier. Le Haut représentant a repris des formulations incluses dans le programme de travail de la Commission européenne publié le 20 janvier 2020 sous le titre « Une Union plus ambitieuse ».
Ensuite, la diplomatie française s'efforce discrètement à Washington d'obtenir le retrait des sanctions américaines dirigées contre Nord Stream 2.
Enfin, une audition organisée le 1er juillet 2020 au Bundestag au sujet des sanctions américaines contre le gazoduc Nord Stream 2 a mis en lumière une volonté transpartisane de combattre frontalement toute sanction extraterritoriale américaine.
Il me semble utile d'ajouter que la Commission européenne, les autorités allemandes et des membres de la commission des affaires économiques du Bundestag ont évoqué des sanctions de rétorsion, destinées à défendre la souveraineté de l'Union et de ses États membres.
M. Jean-Yves Leconte. - Cette affaire incroyable m'inspire plusieurs remarques.
Nous avions échangé avec un certain nombre d'élus allemands au sujet des sanctions extraterritoriales américaines liées à l'accord sur le nucléaire iranien. Ils avaient vite choisi entre la coopération avec les États-Unis et la coopération avec l'Iran. Ils ne nous ont donc pas aidés dans notre opposition à ces sanctions extraterritoriales, tandis que nous invoquions souveraineté et crédibilité. Il serait donc positif aujourd'hui d'agréger les Allemands à notre position. J'espère que la situation en Europe pourra ainsi évoluer sur ce plan.
Toutefois, nous ne pouvons pas négliger les controverses qui ont entouré ce gazoduc : il a profondément divisé l'Europe. Quand les États-Unis utilisent ce chantier pour imposer des sanctions, ils divisent l'Europe. Certains d'États membres s'en réjouissent, car ils considèrent fondamentalement que l'investissement est contraire à leurs intérêts.
M. André Gattolin. - Nous pouvons même affirmer que l'investissement est contraire aux intérêts européens.
M. Jean-Yves Leconte. - Nous pouvons peut-être l'affirmer ; certains pays de l'Union européenne y sont hostiles. Aujourd'hui, ils considèrent donc favorablement les sanctions américaines.
Malgré tout, la position des États-Unis reste une atteinte nouvelle et inacceptable à la souveraineté européenne, car il est question d'un investissement européen en Europe. Nous devons par conséquent réagir de la manière la plus claire, indépendamment du projet lui-même. Il s'agit de deux points distincts. Il est probable que certains pays n'envisagent pas la situation de cette manière. Si nous souhaitons les agréger à une démarche de défense de la souveraineté européenne, nous devrons également revoir en profondeur cet investissement, qui a toujours été contesté.
Quand nous avions évoqué le sujet iranien, j'avais déjà suggéré que, même si nous nous élevions contre les sanctions extraterritoriales, nous ne pourrions pas nous opposer à un tel instrument. Si nous souhaitons défendre un certain nombre de valeurs et un certain nombre d'intérêts, les sanctions extraterritoriales font partie des dispositifs inévitables. Par exemple, en termes de politique de concurrence, tant que nous n'aurons pas une vision mondiale, avec des sanctions éventuellement extraterritoriales hors du territoire européen, nous n'irons pas au terme de la réflexion.
M. Jean Bizet. - Vos propos supposent que nous nous dotions également en Europe d'une politique extraterritoriale.
M. Jean-Yves Leconte. - Il est question aujourd'hui d'une atteinte directe inacceptable à la souveraineté européenne. Sur le fond, cependant, l'Europe sera impuissante si elle ne se dote pas elle-même, sur un certain nombre de sujets, de moyens de défendre ses intérêts, y compris avec des outils de cette nature. Lorsque nous avons évoqué ces sujets avec Philippe Bonnecarrère et l'ambassade américaine dans le cadre du groupe d'amitié France-Iran, l'ambassade américaine a souligné qu'elle ne recevrait jamais la visite de parlementaires européens qui viendraient lui parler sérieusement de ces sujets. J'ai tendance à penser que nous devons prendre soit une initiative européenne, soit une initiative au niveau du triangle de Weimar, pour évoquer ces sujets avec nos collègues sénateurs américains. Le sujet dure depuis plusieurs années. Nous devons y travailler.
M. André Gattolin. - Il est question des États-Unis. Nous nous adressons à l'administration américaine et à l'ambassadeur. En réalité, l'article 2 de la Constitution des États-Unis confère en ce domaine un pouvoir considérable au Congrès. Quand Donald Trump ne souhaite pas ratifier un texte, il risque d'être contredit par un second vote et de se le voir imposer par le Congrès. Le Hong Kong Human Rights and Democracy Act a par exemple été mis en oeuvre il y a 24 heures, alors que Donald Trump ne voulait pas le signer. Le texte lui a été imposé par les deux Chambres. Il l'a finalement ratifié pour éviter un second vote. Il serait donc intéressant pour nous de parler avec les parlementaires américains.
Je fais partie d'un groupe consacré à la défense et la surveillance, dont sont membres également des sénateurs américains. Je participe régulièrement à un webinaire avec eux. Nous évoquons ces questions. Attention à ne pas nous enfermer dans une vision franco-gallo-centrique de la politique. Nous parlons avec les ambassadeurs, au lieu de parler à nos homologues. Les sénateurs américains, républicains notamment, ont besoin de parler avec l'Europe. Ils parlent avec les Allemands, les Italiens, les Belges, pas avec les Français, qui ne leur adressent pas la parole.
Je serai clair. Je ne voterai pas le texte que le rapporteur nous propose. Sur la forme, je reconnais que la façon d'agir des Américains est scandaleuse. Sur le fond, les Américains ont en revanche totalement raison. Nous parlions précédemment du nucléaire. Il n'existe pas d'Union de l'énergie. Je me suis opposé à plusieurs reprises au projet Nord Stream 2 dans cette commission, le jugeant scandaleux. Nous avions voté une résolution lorsque la Commission européenne avait souhaité obtenir un droit de regard ex ante sur les accords énergétiques stratégiques concernant le gaz et le pétrole. Le scandale vient aujourd'hui du projet Nord Stream 2, qui évite l'approvisionnement traditionnel de l'Allemagne via la Pologne. Un ex-chancelier allemand est en effet devenu aujourd'hui un grand responsable de Gazprom. Gerhard Schröder, qui avait peut-être beaucoup de talent en tant qu'homme politique, s'est recyclé en homme d'affaires. Il avait signé un pré-accord lorsqu'il était chancelier, en faveur d'un projet dont il est devenu aujourd'hui le principal lobbyiste. Pour la chancelière allemande actuelle, il est extrêmement difficile de prendre position contre, pour des questions de bienséance.
De leur côté, les Russes ont prévu de vendre le gaz aux Allemands 40 % moins cher qu'ils ne le vendent aux Polonais. Nous pouvons critiquer nos amis polonais sur leur absence de solidarité sur certains sujets. Nous-mêmes ne faisons pourtant preuve d'aucune solidarité avec eux. L'Allemagne est la première à ne pas être solidaire avec la Pologne. Le projet Nord Stream 2 est un abus et une erreur. En termes d'indépendance énergétique, il est absurde. La France s'est tournée depuis quelques dizaines d'années vers la Norvège, qui paraît plus sure en termes d'indépendance énergétique que la Russie de Poutine, même si le coût du gaz norvégien est supérieur.
Enfin, je partage l'avis de M. Leconte quant à la nécessité de créer un dispositif d'extraterritorialité européen.
M. Jean-Yves Leconte. - Nous pourrions par exemple l'utiliser pour défendre les acquis de la COP 21. Les entreprises européennes qui travaillent dans le gaz de schiste aux États-Unis encourraient ainsi des sanctions.
M. André Gattolin. - Dans le cadre de la COP 21, nous négocions avec les États, par exemple la Californie, qui en appliquent les critères. Nous avons raison d'éviter l'État fédéral. Pour le reste, nous sommes trop franco-français. Nous nous plaignons que les États-Unis nous agressent, mais le danger, c'est la Chine ! La plupart des sociétés chinoises qui opèrent en France ne respectent pas les règles. Le nouveau réseau social TikTok, notamment, ne respecte absolument nullement le Règlement général pour la protection des données. Qui s'en préoccupe ? Ce réseau social appartient à une société chinoise. Il s'est développé uniquement dans les pays occidentaux, avec l'ambition de devenir le premier média auprès des jeunes. L'objectif est de devenir d'une part un média de mesure des données personnelles de ces jeunes - donc de leurs parents -, d'autre part un média d'influence sur le fonctionnement de notre société auprès des plus jeunes. Les Américains m'ont déjà interpellé, me demandant : « Que fait le Président de la République française sur TikTok ? ». Je lui ai relayé le message.
Nous avons « des pudeurs de jeune fille ». Je ne voterai pas le texte proposé aujourd'hui. Concernant l'union de l'énergie, nous n'obtiendrons jamais l'accord des Européens sur le nucléaire. Comment mettre en place une union de l'énergie quand chaque pays décide de faire cavalier seul, à l'image de l'Allemagne, qui décide seule de s'approvisionner directement en gaz auprès des Russes ?
M. Jean Bizet. - Avant de redonner la parole au rapporteur qui nous présentera sommairement la proposition de résolution, je souhaite saluer la qualité du débat. Pour ma part, je juge de nouveau inacceptable l'extraterritorialité des lois américaines. En revanche, je reconnais que nous pouvons battre notre coulpe quant à notre manque de propension à dialoguer. Sur ce type de sujet, en cas de contentieux, nous devons dialoguer. Il nous faut dialoguer déjà avec les députés européens mais aussi établir un dialogue avec nos partenaires américains. Par ailleurs, nous ne pouvons que déplorer le manque d'unité européenne sur une possible union de l'énergie. Si nous souhaitons réindustrialiser l'Europe, l'énergie doit en effet être compétitive. L'importation de gaz des États-Unis par des méthaniers ne serait pas pertinente.
Le seul point de désaccord que j'ai avec André Gattolin concerne notre positionnement face à un adversaire, en l'occurrence la Russie. Je pense que nous ne devons pas l'ostraciser ni éviter tout commerce. Si les Russes ne vendent pas leur gaz, nous les asphyxierons. Je préfère commercer avec mon adversaire, en essayant de discuter.
M. Claude Kern. - J'ajoute que le projet implique des investisseurs français, notamment Engie, ainsi que des investisseurs autrichiens, allemands ou néerlandais directement concernés. Nous vous soumettons aujourd'hui une proposition de résolution européenne pour préserver la souveraineté de l'Union européenne et pointer l'intrusion américaine.
M. André Gattolin. - Je m'abstiens. Nous avons eu la discussion à plusieurs reprises en commission. Je pense que le projet Nord Stream 2 constitue une erreur stratégique, notamment vis-à-vis de nos partenaires est-européens.
M. Claude Kern. - Il n'est pas écrit dans la résolution que le projet soit formidable.
M. Jean Bizet. - Je propose d'accepter la proposition de Claude Kern, en prenant note de l'abstention d'André Gattolin. Nous rédigerons un communiqué de presse reflétant nos échanges. Nous retenons en outre l'idée d'interpeller nos homologues américains, pour leur indiquer que nous ne pouvons pas accepter l'extraterritorialité, mais souhaitons dialoguer.
M. André Gattolin. - Je me permets de souligner que les décisions du Congrès américain, c'est-à-dire la Chambre des représentants et le Sénat, sont souvent prises dans une unanimité bipartisane et que Donald Trump, en l'occurrence, ne pilote pas la politique étrangère du pays.
M. Simon Sutour. - Il s'agit d'un vrai régime parlementaire, quand la France est un vrai régime présidentiel !
M. Jean-Yves Leconte. - Barack Obama n'avait d'ailleurs pas pu faire ratifier l'accord iranien au Congrès. Il avait trouvé d'autres voies, car une majorité du Congrès voulait maintenir les sanctions.
La commission des affaires européennes adopte la proposition de résolution européenne disponible en ligne sur le site du Sénat, à l'unanimité, M. André Gattolin s'abstenant, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.
La réunion est close à 13 h 45