Mercredi 1er juillet 2020

- Présidence de M. Philippe Bas, président -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Audition de M. Jean-Philippe Vachia, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques

M. Philippe Bas, président. - Je salue mes collègues reliés à nous par visioconférence, de même qu'un nouveau membre de la commission des lois, Catherine André, qui prend la succession de Jacques Genest.

Nous recevons Jean-Philippe Vachia, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).

Monsieur Vachia, la commission des lois a souvent eu l'occasion de travailler avec vous, puisque, comme président de chambre à la Cour des comptes, vous suiviez notamment les questions de la justice. Dans notre long parcours de réflexion qui a donné lieu au rapport sur le redressement de la justice en avril 2017, vous avez été d'une aide tout à fait précieuse et je tenais à le dire publiquement.

En application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, votre nomination à la présidence de la CNCCFP ne peut intervenir qu'après audition par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est publique et donnera lieu à un vote à bulletin secret.

L'Assemblée nationale procédera à la même audition aujourd'hui, à 11 heures : nous attendrons donc 12 h 30 pour dépouiller simultanément les bulletins. Le Président de la République ne pourra pas procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs dans les deux commissions représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Monsieur Vachia, vous êtes aujourd'hui président de chambre honoraire à la Cour des comptes, et membre, depuis 2018, de la Commission de contrôle du redécoupage électoral. Vous avez également participé à la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle, en 1988 et en 2017.

Je vous laisse la parole pour un propos liminaire. Vous répondrez ensuite aux questions des membres de la commission.

M. Jean-Philippe Vachia, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. - Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est pour moi un grand honneur de me présenter devant votre commission dans le cadre de la procédure prévue par le dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution.

Je rappellerai en quelques mots mon parcours professionnel, avant de vous indiquer comment j'envisage le rôle qui pourrait m'être confié.

Je suis aujourd'hui président de chambre honoraire à la Cour des comptes - j'ai donc pris ma retraite de cette institution. J'ai été entre 1999 et 2005 président de la chambre régionale des comptes de Midi-Pyrénées, alors installée à Toulouse. En tant que parisien, j'ai voulu vivre une expérience de terrain en province : j'ai vécu six ans à Toulouse. Cette expérience très enrichissante m'a mis en contact avec la vie publique locale et m'a amené à rencontrer à peu près tous les élus du territoire dans le cadre du contrôle des comptes et de la gestion des collectivités territoriales. La fin de cette période a été marquée par la publication d'un rapport consacré à l'intercommunalité, dont j'ai été le maître d'oeuvre. Ce rapport a été présenté par le Premier président Philippe Séguin lors du congrès des maires de novembre 2005. Je garde un souvenir très marquant de ce travail avec Philippe Séguin.

Je n'évoquerai pas ici le rôle que j'ai eu dans la mise en place de la certification des comptes du régime général de sécurité sociale à la Cour des comptes, si ce n'est pour vous dire que les questions de comptes publics ne me sont pas tout à fait étrangères. Je voudrais aussi rappeler que, sous l'impulsion du Premier président Didier Migaud, j'ai mis en place en 2011 la première formation interjuridictions - Cour des comptes et chambres régionales des comptes - sur les finances publiques locales, dont le premier rapport est paru en octobre 2013. Jusqu'alors, il n'y avait pas de rapport public spécifique sur ce sujet. À cette occasion, nous avons établi un dialogue structuré avec les quatre grandes associations d'élus locaux.

J'ai présidé la quatrième chambre de la Cour des comptes, de septembre 2013 à ma retraite en mai 2018. Vous le savez, puisque la commission des lois est destinataire de ses productions, il s'agit de la chambre chargée du contrôle des ministères régaliens, dont ceux de l'intérieur et de la justice. Vous l'avez rappelé, monsieur le président, j'ai eu l'honneur et le plaisir de travailler avec votre commission des lois sur la question du redressement de la justice, question qui reste pleinement d'actualité. J'ai apporté une petite pierre à ce rapport si important du Sénat.

En tant que magistrat à la Cour des comptes, j'ai eu à porter la mission de certification des comptes des assemblées, dont le premier rapport est paru en 2015. À la quatrième chambre, j'ai réalisé une enquête à la demande du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale sur l'accès des usagers aux services publics numériques - je vous l'indique, car la dimension numérique me paraît tout à fait essentielle dans le cadre de ma candidature.

Mon parcours est marqué par les sujets de finances publiques locales et de comptabilité - cette dernière entendue comme une condition de meilleure transparence financière - et par une approche concrète de la vie institutionnelle des territoires, dans le nécessaire dialogue avec les élus.

C'est vous dire combien est grand mon intérêt pour la présidence du collège de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP). Les deux grandes missions de cette autorité administrative indépendante sont le contrôle des comptes de campagne à l'issue des élections et l'admission des comptes annuels des partis politiques - deux aspects essentiels du fonctionnement concret de notre démocratie.

Je souhaite modestement mettre au service de cette mission mes compétences professionnelles, ma pleine disponibilité et ma capacité à la conduire en toute indépendance. Le président de cette institution exerce à plein temps ses fonctions et préside un collège de neuf membres. Présider un organe collégial est une responsabilité que je crois connaître et qui est exigeante.

Ma qualité de magistrat honoraire à la Cour des comptes et le fait que cette présidence ne soit pas, compte tenu de mon âge, reconductible sont une garantie de la pleine indépendance qui devra être la mienne dans l'exercice de ces fonctions.

J'en viens aux perspectives de la CNCCFP. Je m'inscrirai dans une continuité, celle résultant de la jurisprudence du juge de l'élection et des pratiques édifiées par les collèges successifs, dans un cadre législatif qui a beaucoup évolué, encore ces toutes dernières années. Il est frappant de noter qu'il y a eu, jusqu'en 2019, des modifications de textes législatifs importantes pour le fonctionnement de cette commission. Certaines sont issues des propositions du sénateur Alain Richard.

Les plus récentes mesures législatives, d'une part, et l'évolution des pratiques à l'heure de la digitalisation de notre société, d'autre part, nécessitent une approche dynamique, renforcée, ouverte, de l'accomplissement des missions confiées par le législateur, et sans doute encore des évolutions.

S'agissant du contrôle des comptes de campagne, je rappelle que les comptes des candidats ayant obtenu au moins 1 % des suffrages exprimés doivent être soumis à la CNCCFP, qui arrête le montant du remboursement forfaitaire prévu par le code électoral dans la limite d'un plafond de 47,5 % du plafond légal et qui ne peut excéder le montant de l'apport personnel du candidat. Le remboursement forfaitaire n'est possible qu'après approbation du compte de campagne par la commission, qui peut le moduler. En cas de non-dépôt du compte, de dépôt hors délai ou de rejet, la CNCCFP doit saisir le juge de l'élection qui peut prononcer, le cas échéant, l'inéligibilité du candidat.

Un mot de l'enjeu financier : les dépenses électorales de l'élection présidentielle étaient d'environ 75 millions d'euros, de même que celles des élections législatives, et le remboursement forfaitaire accordé aux candidats était de 45 millions dans chaque cas. Pour les élections européennes, les dépenses électorales étaient de 45 millions d'euros, et le remboursement forfaitaire d'environ 28 millions.

L'enjeu immédiat pour la CNCCFP, c'est l'examen des comptes de campagne des élections municipales. Dans le cadre de la « législation de la crise sanitaire », si je puis dire, un certain nombre de mesures spécifiques ont été adoptées, dont le report du dépôt des comptes des premier et second tours. Les comptes des listes présentes au premier tour, aussi bien dans les communes dont la municipalité a été élue que dans celles où ces listes ne pouvaient pas être présentes au second tour, doivent être déposés au plus tard le 10 juillet 2020, et ceux des listes présentes au second tour doivent être déposés au plus tard le 11 septembre.

Par ailleurs, je rappelle que le législateur a prévu le relèvement du plafond des dépenses autorisées pour les listes présentes au second tour, dans la limite d'un coefficient de 1,5. Le décret du 27 mai dernier a arrêté ce coefficient à 1,2.

Nous aurons à tenir compte des nouvelles obligations résultant notamment de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, notamment en ce qui concerne l'examen des dons des personnes physiques plafonnés à 4 600 euros par campagne, et les nouvelles dispositions sur la justification des emprunts auprès de personnes morales. Cette loi indique que les emprunts ne peuvent être contractés avec aucune personne morale, sauf bien sûr les banques de l'Espace économique européen ou, dans des conditions assez strictes, les partis politiques eux-mêmes. Par ailleurs, ce texte a introduit toute une série de dispositions sur les prêts pouvant être consentis par les personnes physiques. Il va falloir que la CNCCFP complète son arsenal pour assurer cette mission.

La deuxième mission est celle que la CNCCFP exerce à l'égard des comptes de campagne de partis politiques. Je me garderai bien de parler de contrôle car la commission, pas plus qu'aucune institution en France, n'a pas le droit de contrôler les comptes des partis politiques. Elle a un certain nombre d'attributions : elle reçoit les comptes, vérifie qu'ils sont bien certifiés par deux commissaires aux comptes, ou un seul pour les comptes de moins de 230 000 euros, et qu'ils sont complets. Là encore, la loi du 15 septembre 2017 a renforcé les obligations en contraignant notamment les partis politiques à introduire dans leurs comptes ceux de leurs organisations territoriales. Ce n'est sans doute pas facile, je le reconnais. Une première vague de comptes - ceux de l'année 2018 - a été déposée. Relevant certaines difficultés, la CNCCFP a fait oeuvre de pédagogie. Pour les comptes des partis de 2019, qui auraient dû être déposés le 30 juin 2020 mais dont la date limite a été reportée au 11 septembre, il faudra également faire preuve de compréhension et de pédagogie.

L'enjeu essentiel pour le nouveau président et le nouveau collège, largement renouvelé, de la CNCCFP sera la dématérialisation complète de nos procédures, laquelle n'est pas simplement destinée à rendre plus souple le dépôt des comptes aujourd'hui réalisé sous forme papier. Il faut faire évoluer les méthodes de contrôle, tant pour le contrôle des comptes de campagne que pour l'examen des comptes des partis politiques. La plateforme numérique qui doit être mise en place à l'horizon de 2022 devrait considérablement faciliter la tâche pour les mandataires et les candidats aux élections, d'une part, et pour les partis politiques, d'autre part.

Cette opération permettra d'améliorer et d'enrichir très fortement les conditions du contrôle des comptes de campagne des candidats et les modalités d'examen des comptes des partis politiques.

Pour terminer, vous avez signalé, monsieur le président, que j'étais membre de la commission de l'article 25 de la Constitution sur le redécoupage électoral. Bien entendu, je démissionnerai de cette fonction dès que je serai nommé président de la CNCCFP. Je démissionnerai également des autres fonctions que je remplis actuellement à temps partiel, puisque je préside la Commission de récolement des dépôts d'oeuvres d'art et suis également membre du comité d'éthique du Comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques, toutes ces fonctions étant exercées ès qualités de magistrat de la Cour des comptes, désigné par le Premier président. Je me consacrerai entièrement aux fonctions de président de la CNCCFP.

M. Philippe Bas, président. - Merci de ces dernières précisions, car je souhaitais vous poser la question.

Nous avons un sujet de préoccupation récurrent : avant le contrôle du financement des campagnes électorales, il s'agit de leur financement tout court. Le premier garde des sceaux du quinquennat, qui aura laissé une certaine empreinte sur ce ministère malgré la brièveté de sa mission, avait présenté une loi de moralisation de la vie politique, la trentième depuis 1985. Cette loi comportait des dispositions visant à créer ce qu'on avait appelé une « banque de la démocratie », un objet non identifié qui n'a d'ailleurs jamais volé. Malgré les mises en garde du Sénat, une habilitation à légiférer par ordonnances pour la création de cette banque avait été finalement adoptée, mais le Gouvernement n'a pas été en mesure de la créer.

Si l'idée était quelque peu vaporeuse, le problème auquel elle entendait répondre était bien réel. De plus en plus de candidats rencontrent des difficultés pour mobiliser des financements bancaires pour leur campagne électorale.

M. Alain Richard. - Et même pour ouvrir un compte !

M. Philippe Bas, président. - C'est tout à fait exact !

Le médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, qui devait permettre d'améliorer les choses, se révèle une institution très largement impuissante. Avez-vous des propositions à faire dans ce domaine ?

M. Jean-Philippe Vachia. - Le sujet est effectivement très important.

Le premier problème, que j'ai évoqué avec le président actuel de la CNCCFP, François Logerot, est celui de l'ouverture du compte en banque pour les mandataires lors des élections. La CNCCFP s'en est émue : il est inadmissible qu'on fasse « lanterner » des candidats sous des prétextes divers et au nom d'une conception trop rigide et mal comprise des dispositifs de lutte contre le blanchiment. À ce titre, on se croit autorisé à prendre des précautions totalement excessives en matière d'ouverture des comptes. Ce problème est important, car il peut concerner beaucoup de candidats.

Le deuxième est l'emprunt bancaire ou auprès d'une institution financière.

S'agissant de l'ouverture des comptes, je ne suis pas sûr qu'il faille une loi pour régler le problème. Il faut sans doute faire une mise au point avec la Fédération bancaire française, et peut-être prévoir des textes réglementaires ou une disposition dans le code monétaire et financier pour faciliter l'ouverture du compte en banque. Car c'est une gêne pour tout le monde, y compris pour la CNCCFP, puisque le mandataire n'a plus qu'un temps très limité pour faire toutes les opérations.

S'agissant de l'emprunt, la voie choisie par le Gouvernement a été de créer le médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques. Cette fonction est exercée par l'un de mes collègues de la Cour des comptes, Jean-Raphaël Alventosa. Je ne suis pas en mesure de commenter son action. Pour régler les problèmes, soit on parvient à trouver des moyens de contraintes, soit on reprend cette idée de banque de la vie publique locale, une solution extrêmement lourde. Je n'imagine pas qu'on crée une banque ex nihilo : qui serait alors chargé de porter cette banque ? La Banque Postale, la Caisse des dépôts et consignations ? Avec quelles obligations ?

Il faudrait prévoir un cahier des charges pour s'assurer que cette banque poursuive son objectif : permettre à tout parti politique de contracter un emprunt qui pourra être remboursé par le candidat à la suite de la décision de la CNCCFP. Il ne suffit pas de créer un établissement qui sera soumis à toute la réglementation bancaire, que je connais par ailleurs puisque j'ai siégé à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, le superviseur bancaire. Sinon, je crains que l'on ne retombe sur les mêmes difficultés.

Il ne m'appartient pas de me substituer au législateur : je vous fais plutôt part des conditions qu'il me semble nécessaire de réunir. Cela est valable pour les candidats aux élections et pour les partis politiques, sachant que les deux sujets se recoupent puisque la loi du 15 septembre 2017 prévoit que les candidats peuvent emprunter aux partis politiques - un emprunt « miroir » de l'emprunt contracté par le parti.

M. Jean-Yves Leconte. - Le Conseil d'État a rendu un avis en mars 2019 sur la participation des partis politiques européens à la campagne des élections européennes. Les règlements européens entrent quelque peu en contradiction avec notre conception du financement de la vie politique et des campagnes. Considérez-vous que cela engendre des complications et déstabilise l'architecture du financement de la vie politique en France ?

S'agissant des moyens de la CNCCFP, depuis quelques années, nous avons plafonné le montant maximum des dons possibles pour une personne physique, mais cet élément est très difficile à contrôler. Pensez-vous que ce contrôle soit réellement possible ?

Des comptes ont été validés par la CNCCFP avant d'être réformés par le Conseil constitutionnel, notamment lors des dernières élections sénatoriales. Cela signifie-t-il que la CNCCFP n'a pas les moyens d'exercer sa mission ?

M. Jean-Pierre Sueur. - Vous paraît-il vraisemblable - j'espère que vous répondrez sans langue de bois - qu'une élection présidentielle soit annulée pour des raisons de financement ? En 1995, la presse évoquait l'affaire Karachi ; en 2007, des questions libyennes ; en 2012, un organisme qui s'appelait Bygmalion.

Dans un rapport d'information de février 2020, notre collègue Jacques Genest indiquait que l'activité de la CNCCFP a « un "temps de retard" dans son oeuvre de régulation » et qu'il « conviendrait que la CNCCFP puisse désigner un ou deux délégués auprès de chaque candidature habilités à se faire présenter des comptes provisoires sur la base d'une fréquence régulière ».

La particularité de l'élection présidentielle impose que des contrôles soient possibles pendant l'élection, à moins d'accepter le risque d'une crise constitutionnelle, s'il fallait annuler cette élection, ce que peu de personnes jugent vraisemblable.

Deuxièmement, les flux financiers entre formations politiques et comptes de campagne me paraissent un vrai sujet. Comme le montrait la dernière « affaire » que j'ai citée, ces flux ne sont pas forcément bien appréhendés par la CNCCFP, alors qu'ils peuvent jouer un rôle significatif dans une élection et sont source de risques quant au respect des règles électorales.

Ne serait-il pas souhaitable que la CNCCFP puisse accéder aux comptes des partis lors de l'examen ex post des comptes du candidat afin de connaître les flux entre tel parti et tel candidat ?

La Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) estime que les documents produits ou reçus par la CNCCFP constituent des documents administratifs et qu'ils sont donc communicables. Or, il apparaît qu'il est, en pratique, très difficile pour un citoyen ou une association d'accéder aux comptes de campagne. Je sais qu'il existe des contraintes matérielles, mais faut-il faciliter cette communication ?

Ma dernière question, qui ne contribuera pas à me faire bien voir par les partis politiques, porte sur les organismes de formation des élus. Lorsqu'a été adoptée la loi du 3 février 1992, j'étais de ceux qui souhaitaient que la formation des élus ne puisse pas dépendre des partis. J'étais très minoritaire, et je pense l'être toujours. Mais ne vous paraîtrait-il pas souhaitable que la CNCCFP puisse exercer pleinement un contrôle sur ces organismes, afin de s'assurer qu'ils fournissent des formations de haute qualité qui ne puissent jamais être détournées en financements de partis politiques ?

Mme Marie Mercier. - Monsieur Vachia, je voudrais vous remercier de vos propos. Votre carrière est absolument époustouflante, et je suis sûre que vous remplirez au mieux votre fonction. Ma question est assez personnelle, mais elle est dictée par le propos liminaire de notre président.

Quand nous partons en campagne électorale, nous désignons un mandataire, lequel reçoit un mail contrariant de la banque qui lui fait part de son refus d'ouvrir un compte mais aussi de prêter de l'argent. Nous ressentons alors un sentiment mélangé d'humiliation et de colère...

En tant que citoyen, avez-vous déjà fait une campagne électorale ou été mandataire d'un élu ?

M. Jean-Philippe Vachia. - Je répondrai tout de suite à Marie Mercier : je n'ai jamais été candidat à une élection. Le seul mandat électoral que je détiens, c'est celui de président du conseil syndical de mon immeuble, et je peux vous assurer que ce n'est pas une sinécure !

La participation des partis politiques européens au financement électoral n'est pas possible dans le droit national, mais le Conseil d'État l'a autorisé pour les élections européennes. D'après François Logerot, la question ne s'est pas vraiment posée in concreto. Sinon, la CNCCFP aurait bien entendu suivi l'avis du Conseil d'État. Pour l'avenir, même si ce n'est pas une nécessité juridique, il serait préférable d'amender les textes afin d'éviter des errements lors de la prochaine campagne des élections européennes. Aujourd'hui, le sujet est donc réel, mais théorique.

S'agissant des moyens, la CNCCFP dispose en 2020 de 58 équivalents temps plein travaillé (ETPT), qui ne seront finalement pas complètement consommés en raison du report des dates limites de dépôt des comptes de campagne pour les élections municipales. Comme la commission a six mois pour examiner les comptes de campagne, ses travaux vont s'étaler jusqu'en 2021.

Par ailleurs, les moyens budgétaires ne sont pas négligeables, notamment pour financer le projet de dématérialisation, d'une part, et l'installation dans les nouveaux locaux, d'autre part, puisque le bail actuel des bureaux rue du Louvre vient à expiration à la fin de cette année. Pour ce que j'en connais, les moyens de la commission me semblent adéquats. L'impératif et le pari des années à venir, c'est la mise en place de cette dématérialisation, qui n'est pas seulement une fin en soi : celle-ci doit nous permettre de faire faire autre chose, notamment dans le domaine de la digitalisation de la vie publique, à des personnes qui, aujourd'hui, réalisent des tâches physiques répétitives.

Vous avez évoqué des décisions de la CNCCFP réformées par le Conseil constitutionnel. Je peux me tromper, mais il me semble que, dans l'immense majorité, le juge électoral confirme les décisions de la commission.

Jean-Pierre Sueur, je me pose la même question que vous concernant les flux entre les partis et les candidats. La situation est la suivante : au cours de l'année N, un candidat dépose son compte de campagne. Nous disposons de 6 mois pour l'examiner : même si ce délai déborde au début de N + 1, lorsque nous examinerons le compte de campagne de l'année N, nous n'aurons pas, par définition, le compte du parti politique pour l'année N puisqu'il est déposé, au plus tard, le 30 juin de N + 1, et cette année le 11 septembre.

Très clairement, cette situation n'est pas satisfaisante. Il faut organiser un dispositif qui permettrait d'avoir un accès, au titre de l'examen du compte de campagne, aux écritures comptables - je ne parle pas du compte puisqu'il n'est pas clôturé - du parti politique soutenant le candidat. Il faut nécessairement prévoir ce dispositif dans un texte de loi, puisque cela donnerait à la CNCCFP un pouvoir d'intrusion dans le compte d'un parti politique dont elle n'a pas, a priori, le droit de contrôler les dépenses.

En ce qui concerne les comptes de la campagne présidentielle, l'une des modifications de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel prévoit une annexe aux comptes de campagne des candidats, retraçant de manière détaillée les flux financiers avec les partis politiques. Mais il serait assez logique d'avoir un droit de suite pour vérifier que ce que l'on nous présente dans l'annexe du compte de campagne se retrouve bien dans le compte du parti politique. C'est la principale innovation à envisager, sachant que l'écriture en sera très délicate. Il faudra sans doute avoir recours à l'assistance des commissaires aux comptes du parti politique concerné.

Vous m'avez demandé, Jean-Pierre Sueur, s'il fallait aller plus loin et avoir une sorte d'observateur ou de délégué au sein de l'équipe de campagne pour surveiller les dépenses électorales. Cela me paraît assez intrusif et délicat, car cela fait peser sur les épaules de cette personne de très lourdes responsabilités. Je préférerais m'en tenir à un examen in vivo du compte de campagne. On pourrait imaginer, quand on examine le compte de la campagne présidentielle, de se faire communiquer une situation des recettes et des dépenses du parti politique au 30 mai ou au 30 juin, et ensuite de vérifier si cela répond aux exigences de tout compte, qui sont notamment la sincérité, l'exhaustivité et le respect de la séparation des exercices. Je suis désolé de vous faire une réponse comptable ! Il est vrai que, dans l'absolu, le système n'est pas bouclé - c'est la première réaction qui me vient à l'esprit.

Sur les décisions de la CADA, le problème qui se pose à la CNCCFP porte en réalité non pas sur les comptes en eux-mêmes, qui tiennent en trois ou quatre pages, mais sur les pièces comptables et les factures annexées. Ces documents sont sous forme papier pour l'instant et ne sont communicables que s'ils sont anonymisés. Des agents de la CNCCFP sont aujourd'hui employés à faire des photocopies et à anonymiser le nom du fournisseur Dupont ou de l'imprimeur Durant sur chaque facture avant de pouvoir la communiquer. Ce système est d'une lourdeur effroyable, et d'un coût pour les finances publiques qui doit être relevé.

Il faudrait dématérialiser les pièces comptables des partis ou des candidats, ce qui n'est pas nécessairement une mince affaire, surtout si on s'adresse à de petites entreprises locales. Le sujet est difficile.

Sur le contrôle des reçus-dons, la situation est différente selon qu'il s'agit des dons aux partis politiques ou des dons des personnes physiques aux campagnes électorales.

Dans le premier cas, la liste complète des donateurs personnes physiques, d'une part, et les souches des dons, d'autre part, doivent être remises avec les comptes des partis. Des contrôles sont faits, notamment pour veiller à ce que le plafond de 7 500 euros ne soit pas dépassé.

Le second cas est plus compliqué. La dématérialisation devrait rendre beaucoup plus facile ce type de contrôles : il suffira de veiller à ce que telle personne n'ait pas fait plusieurs dons. Les choses ne sont tout de même pas si simples, parce qu'une même personne physique pourrait employer des comptes différents, avec des intitulés bancaires différents.

J'attends beaucoup de la dématérialisation pour avancer sur ces sujets, sachant que le système est en partie bouclé par le fait que les dons sont plafonnés pour obtenir l'avantage fiscal prévu par l'article 200 du code général des impôts. Un foyer fiscal de deux personnes ne peut pas bénéficier de la réduction de 66 % au-delà de 15 000 euros de dons : ce contrôle relève de la direction générale des finances publiques (DGFiP), avec laquelle la CNCCFP a des échanges.

Il existe une centaine d'organismes de formation dans le domaine politique, mais seuls huit ou neuf sont des « filiales » de partis. Tout ce que peut faire la CNCCFP, c'est regarder si le compte de la filiale se trouve bien dans celui du parti politique : elle n'a le droit de regarder ni les dépenses du compte de formation ni les dépenses du parti lui-même. Faut-il avoir une capacité de « contrôle » des dépenses de l'organisme de formation ? La question est pertinente, mais je la présenterai de manière différente : pourquoi s'arrêter à l'organisme de formation ? La véritable question, c'est le pouvoir de veille qui doit être exercé en cas d'élection pour s'assurer qu'il n'existe pas d'autres personnes morales qui, d'une manière ou d'une autre, consentiraient à toutes sortes d'avantages aux candidats : rabais, prise en charge de dépenses, etc.

Je préférerais avoir une équipe plus complète qui s'occupe de la veille sur les réseaux sociaux que d'avoir des agents employés à noircir des noms sur des factures photocopiées...

Mme Muriel Jourda. - Mes deux questions sont liées entre elles.

Le seuil de dépôt des comptes de campagne est aujourd'hui fixé à 1 % des suffrages exprimés, ce qui conduit la CNCCFP à examiner de nombreux comptes de campagne. Serait-il opportun de le relever d'une façon qui, bien sûr, pourrait rester modeste ?

À ma connaissance, mais vous ne l'avez pas cité tout à l'heure, il existe dans le personnel de la CNCCFP de nombreux rapporteurs vacataires, recrutés ponctuellement et qui connaissent un roulement assez important. L'avantage est qu'ils n'ont pas beaucoup de préjugés et d'habitudes, mais ils n'ont pas non plus beaucoup d'expérience, ce qui peut les conduire à appliquer les règles d'une façon qui soit parfois un peu automatique, en oubliant leur sens. Serait-il possible de « fidéliser » ces vacataires de façon à ce qu'ils aient une connaissance encore plus fine des règles qu'ils doivent appliquer ?

Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Des décisions contradictoires de la CNCCFP et du juge de l'élection sur un compte de campagne existent bel et bien - j'ai une jurisprudence bien précise en tête, mais il y en a d'autres. Dans ce cas, la décision du juge de l'élection intervient évidemment après le remboursement par l'État. Il faut nécessairement mener une réflexion sur ce sujet.

Je partage le point de vue de Jean-Pierre Sueur sur les organismes de formation que je ne relie pas simplement, comme vous l'avez fait, à la question des campagnes. C'est du financement public, donc cela ressort totalement de la compétence de la CNCCFP. Il s'agit d'un point « aveugle » mais, comme mon collègue, je suis sûre que je ne vais pas me faire beaucoup d'amis en disant cela, y compris dans mon parti politique...

J'aurais aimé que vous évoquiez les relations de la CNCCFP avec les autres structures ou autorités chargées de veiller au respect des règles de financement par les élus. Que souhaitez-vous améliorer dans vos relations avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et avec le Parquet national financier (PNF) ?

La CNCCFP ne devrait-elle pas bénéficier d'un pouvoir d'autosaisine et d'investigation ? À plusieurs reprises, elle a dû reconnaître qu'elle n'avait pas les capacités nécessaires, ce qui fragilise sa légitimité. On a pu lui reprocher de ne pas avoir identifié d'énormes affaires.

M. Jean-Philippe Vachia. - Les candidats qui ont obtenu plus de 1 % des voix exprimés et/ou qui ont reçu des dons donnant droit à des avantages fiscaux sont obligés de déposer un compte de campagne. Le Conseil constitutionnel, comme d'ailleurs la Cour des comptes, a proposé de relever ce seuil à 2 %. Pour la CNCCFP, cela réduirait mécaniquement le nombre de comptes à examiner, même s'il faudra toujours examiner ceux donnant droit à des avantages fiscaux. La plupart des comptes sont simples et ne comportent que quelques lignes. C'est au législateur qu'il appartiendra de décider. La CNCCFP peut également « proportionner » ses contrôles.

Notre équipe de personnels permanents est renforcée au moment des élections par deux catégories de personnes. D'une part, des chargés de mission adjoints : il s'agit de jeunes juristes en contrat à durée déterminée. D'autre part, des rapporteurs supplémentaires pour instruire les dossiers : ce sont des magistrats, notamment des tribunaux administratifs ou des chambres régionales des comptes, ou des hauts fonctionnaires retraités. Ils sont souvent renouvelés au fil des campagnes. Nous avons ainsi un vivier d'environ 200 personnes susceptibles d'exercer la fonction de rapporteur.

Le défi est de veiller à un traitement équitable et homogène des dossiers. Notre service juridique réalise un premier filtrage et un des neuf membres de la CNCCFP revoit systématiquement le travail de base. C'est le rôle du président de s'assurer que tout fonctionne bien.

Je n'ai pas d'objection de principe à un contrôle sur les organismes de formation des partis politiques, mais, dès lors, la porte sera ouverte à un contrôle sur d'autres organismes. Il faudrait donc définir une vision plus large.

Il n'est pas anormal que le juge de l'élection réforme parfois une décision de la CNCCFP, mais, dans l'immense majorité des cas, il suit notre avis. Je rappelle aussi que le juge de l'élection est le seul habilité à prononcer l'inéligibilité d'un candidat. Celle-ci n'est pas automatique.

En ce qui concerne les liens avec la HATVP et le PNF, j'ai participé à la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle de 2017, qui comportait six membres issus du Conseil d'État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation. L'ensemble des autres institutions de contrôle y étaient associées. Je pense donc, de même, que les relations avec des institutions comme Tracfin, la HATVP, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ou la CADA pourraient être améliorées.

Vous avez parlé d'autosaisine de la CNCCFP, même si ce n'est pas le terme que j'emploierais, car nous sommes saisis sur des comptes. Il s'agit plutôt du pouvoir d'enquête et des diligences en termes d'enquête sur un compte de campagne. Il est vrai que l'on pourrait approfondir la réflexion dans certaines voies. Un des défis des années à venir est la digitalisation de la vie publique et le développement des réseaux sociaux. Nous devons nous adapter dans une démarche proactive.

M. Philippe Bas, président. - Les candidats ou les mandataires peuvent commettre des erreurs de bonne foi. C'est d'ailleurs le cas la plupart du temps. Tout ce qui peut contribuer à améliorer leur formation et renforcer l'information sur la jurisprudence de la CNCCFP est donc utile. Ne serait-il pas envisageable que celle-ci publie des rescrits qui préciseraient sa position sur les questions juridiques les plus complexes ?

M. Jean-Philippe Vachia. - Le sujet est délicat. Le site internet de la CNCCFP comporte déjà un guide du mandataire et du candidat, régulièrement actualisé, et des informations sur le fonctionnement de notre système dans le contexte de l'épidémie de Covid-19. On trouve aussi des réponses aux questions que nous posent les mandataires.

Le rescrit relève d'une autre logique. Il est utilisé essentiellement dans le domaine fiscal, dans des conditions très précises. En matière électorale, le risque serait que la question que l'on nous pose vise une situation qui ne correspondrait pas exactement à la réalité. On pourrait alors découvrir, lors de l'examen du compte de campagne, une opération différente de celle sur laquelle on se serait prononcé. C'est la raison pour laquelle je n'y suis pas très favorable. De plus, la CNCCFP prend des décisions sous le contrôle du juge de l'élection et il ne faut pas entraver son pouvoir d'appréciation. Il convient toutefois de faire preuve d'autant de pédagogie qu'il est possible de le faire et d'apporter toute notre aide aux mandataires.

M. Alain Richard. - Sans aller jusqu'au rescrit, qui consiste une prise de position ayant force légale, pourquoi ne pas s'inspirer du Conseil constitutionnel qui publie un cahier de commentaires de ses décisions ?

M. Philippe Bas. - Monsieur Vachia, je vous remercie pour vos réponses. Nous attendrons votre audition à l'Assemblée nationale pour dépouiller le scrutin qui va s'ouvrir dans quelques instants.

Vote sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Philippe Vachia aux fonctions de président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques

M. Philippe Bas, président. - L'audition de Jean-Philippe Vachia étant désormais achevée, nous allons à présent procéder au vote.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l'article 19 bis du Règlement du Sénat, et les délégations de vote ne sont pas autorisées, en vertu de l'article 1er de l'ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote.

Le dernier alinéa de l'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait pas procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

Il est procédé au vote.

Mission d'information relative aux moyens d'action et aux méthodes d'intervention de la police et de la gendarmerie - Audition de M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale

M. Philippe Bas, président. - Nous entendons maintenant M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, dans le cadre de notre mission d'information sur les moyens d'action et les méthodes d'intervention de la police. Cette mission a été créée à la suite des polémiques qui ont éclaté ces dernières semaines. Nous voulons mettre à plat les problèmes et les difficultés, comprendre comment concilier le recours à la contrainte lorsque cela est nécessaire et la protection de nos concitoyens. Les policiers doivent faire face à des actes de rébellion, tout en gardant leur sang-froid et en appliquant des méthodes appropriées. Toute méthode entraîne des risques.

Ce matin, six policiers de Seine-Saint-Denis ont été placés en garde à vue à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). Il ne faut pas que ces cas portent atteinte à l'image de la police. Les sanctions montrent que la police est vigilante. Vous nous expliquerez donc comment préserver la capacité d'action de nos forces tout en évitant les dérives qui sont, je le crois, exceptionnelles, mais qui doivent, en tout état de cause, être sanctionnées.

M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale. - En tant que directeur général de la police nationale, j'ai la lourde et passionnante charge des 146 000 hommes et femmes qui composent cette belle institution et qui assurent à tout moment, quelles que soient les circonstances, la sécurité des personnes et des biens. Je suis accompagné de Mme Céline Berthon, contrôleure générale de la police nationale, qui exerce les fonctions de préfiguratrice des nouvelles fonctions de directeur de cabinet du directeur général de la police nationale, puisque nous avons enfin obtenu la création d'un poste de directeur général adjoint, de M. Bertrand Chamoulaud, contrôleur général et conseiller à mon cabinet, et de M. Philippe Lutz, directeur central du recrutement et de la formation.

Je m'exprime aussi comme un policier qui comptera bientôt quarante années d'expérience, dont plusieurs à la tête d'unités opérationnelles, qui a dirigé de nombreux dispositifs sur le terrain et procédé à beaucoup d'interpellations, dont certaines difficiles. Je n'oublie rien de ces moments exposés aux risques physiques et juridiques, pour moi-même, mais surtout pour les femmes et les hommes dont j'avais la responsabilité.

Depuis le 3 février 2020, date de ma nomination, les décisions que je prends et les réflexions que je conduis se nourrissent à la fois des instructions du ministre de l'intérieur, des règles strictes qui commandent et qui encadrent notre action, de mon expérience acquise et de l'idéal qui m'anime depuis que je suis entré dans la police : assurer la protection de tous en tout lieu du territoire national.

L'action de la police nationale dans les missions de voie publique s'exerce de manière soutenue, dans le respect de cadres juridiques et déontologiques stricts. Cette présence de la police sur le terrain peut être illustrée par les 6,7 millions d'appels reçus par Police secours et les 1,4 million d'interventions de Police secours réalisées en 2019.

Fort heureusement, l'usage de la force n'est nécessaire que pour maîtriser des individus menaçants, récalcitrants, agités ou se trouvant en état de crise.

Les différentes techniques déployées par les agents, en fonction des situations rencontrées, visent à parer une agression, immobiliser et menotter un individu dangereux, contrôler une personne non coopérative, dans le but de faire cesser un trouble à l'ordre public ou de procéder à une interpellation, en faisant toujours preuve de gradation et de proportionnalité.

Ces techniques sont enseignées dès la formation initiale et retravaillées lors des séances de formation continue. Elles doivent nécessairement rester simples, car elles s'adressent à l'ensemble des policiers, sans considération de leur force physique et de leur expérience.

Malgré la qualité des apprentissages, leur mise en oeuvre en situation réelle dépend du rapport de force existant, de l'état physique et émotionnel du policier, du niveau d'entraînement, des effectifs qui interviennent et de la nature de l'environnement qui peut être hostile.

Les mouvements de saisie ou de clé destinés à maîtriser un individu peuvent conduire dans certaines occasions à l'amener au sol et à l'immobiliser par pression sur certaines parties du corps en position de plaquage ventral, en vue d'un menottage. Cette technique de « l'amener au sol » vise seulement à neutraliser la mobilité de la personne interpellée, à limiter la portée de ses coups et à éviter sa fuite.

Pour être efficaces tout en préservant la sécurité des agents, la plupart de ces techniques reposent sur la création d'une douleur momentanée. La pression n'est appliquée que le temps nécessaire à la maîtrise de la personne, la douleur ne devant se ressentir qu'en cas de résistance et ne pas produire de traumatismes irréversibles.

Au sol, la personne est généralement positionnée face contre terre, le temps strictement nécessaire à son menottage, avant d'être placée sur le côté pour l'exécution des palpations et enfin relevée. Toute pression sur les vertèbres cervicales est proscrite.

Cette doctrine n'a pas vocation à fournir une réponse unique et uniforme répondant à chaque situation ; elle doit d'abord permettre de faciliter la décision individuelle ou collective pendant l'intervention. Le discernement demeure le principe qui doit guider les policiers dans leur choix. Si la phase de dissuasion échoue et que l'intervention ne peut pas être différée, les techniques de contraintes peuvent être mises en oeuvre, considérant qu'elles permettent aussi de ne pas avoir recours aux armes de force intermédiaire et aux armes létales.

Tous les personnels actifs de la police nationale sont formés aux techniques d'intervention au cours de leur formation initiale. L'instruction est conçue pour couvrir un maximum de cas de figure en amenant les stagiaires à réagir individuellement ou collectivement, lors d'exercices de mises en situation réalistes ou de parcours de restitution.

La formation continue aux techniques et à la sécurité en intervention comporte des séances d'entraînement obligatoires pour les personnels actifs et les adjoints de sécurité, pour un volume annuel minimum de douze heures.

Le 23 janvier 2020, le ministre de l'intérieur a adressé un courrier au directeur général de la police nationale et au directeur général de la gendarmerie nationale, demandant « de procéder à une revue des gestes et techniques enseignés et utilisés sur le terrain [...] en examinant tout particulièrement les techniques consistant à saisir les personnes par le cou, à les coucher sur le ventre ou à les soumettre à des clés de bras ». Un groupe de travail commun aux deux directions générales a été constitué, qui a rendu ses conclusions en juin.

Des mesures susceptibles de limiter la portée du risque ont ainsi été identifiées. Plusieurs propositions ont été faites, dont certaines communes aux deux forces de sécurité intérieure. La première est de développer la sensibilisation aux risques de décès par asphyxie positionnelle et à la détection des signes de détresse physique, tant dans les programmes de formation initiale aux techniques d'intervention que dans les séances de formation continue, en parallèle de l'enseignement au secourisme dispensé à tous les élèves policiers et gendarmes. Il faut aussi impliquer les médecins pour leur expertise. Enfin, la dernière préconisation concerne le développement du recours au pistolet à impulsion électrique dont l'effet dissuasif est démontré. En mode tir ou contact, son impact incapacitant instantané réduit les risques de confrontation physique et donc de blessures de part et d'autre. Les études de l'IGPN démontrent toute son utilité. Son emploi est régi par une instruction commune de la police et de la gendarmerie. En augmentation constante, son utilisation révèle une absence de dommages corporels notables.

D'autres préconisations concernent plus particulièrement la police nationale : mettre en place des réunions sur la sécurité en intervention avec les responsables hiérarchiques ; organiser des retours d'expérience pour l'adaptation des référentiels techniques et des formations ; insister sur les règles déontologiques au cours des différentes formations ; instaurer un suivi rigoureux des séances obligatoires de formation continue aux techniques de défense et d'interpellation pour chaque policier intervenant sur la voie publique ; poursuivre la révision des gestes techniques en intervention, en lien avec un médecin légiste, en associant les médecins de la police nationale ; évaluer l'usage de la caméra piéton tant d'un point de vue technique que pratique. Le recours à la vidéo par la police est nécessaire, car il réduit le risque de conflit, et donc de confrontation physique, protège les protagonistes et permet une traçabilité des interventions. Une fiabilisation technique des matériels, assortie d'une révision de la doctrine d'utilisation pour un déploiement généralisé, est sans aucun doute nécessaire.

Enfin, dernier point qui a suscité une réaction forte de la part des policiers, j'ai aussi pris la responsabilité de proposer au ministre de l'intérieur d'abandonner le recours à la technique dite de l'étranglement ; cette proposition ne vise pas à priver les policiers d'un moyen d'agir ou à les ennuyer. Comme toujours, depuis que je dirige des services qui engagent les personnels dans des missions à risques, j'ai fait ce choix avec le souci uniquement de protéger les policiers, physiquement bien sûr, mais aussi et surtout juridiquement.

Cette technique peut prendre deux formes : respiratoire - la pression exercée sur la trachée réduisant, voire supprimant, la circulation de l'air vers les poumons -, ou sanguine - la compression simultanée des jugulaires empêchant la circulation du sang vers le cerveau.

Le ministre a annoncé son abandon au cours de sa conférence de presse du 8 juin. À l'issue de rencontres bilatérales avec les organisations syndicales représentatives les 11 et 12 juin, il a précisé qu'elle n'était plus enseignée.

Les déclarations du ministre ont été déclinées par une instruction du directeur du recrutement et de la formation, le 12 juin, et une instruction de ma part, le 15 juin : cette mesure pourra continuer à être appliquée avec mesure et discernement jusqu'à ce que la technique de remplacement soit enseignée aux personnels.

Un groupe de travail a été constitué dont j'ai confié la responsabilité au contrôleur général Frédéric Lauze, directeur départemental de la sécurité publique du Val d'Oise, composé de formateurs, de médecins, d'un policier judoka et de représentants des syndicats, afin de proposer une solution alternative avant le 1er septembre.

Je suis conscient que l'engagement prolongé des personnels en maintien de l'ordre a conduit trop souvent à reléguer au second plan la formation continue, notamment celle des gestes de défense et d'intervention. Ce déficit de formation continue, couplé à la fatigue physique et morale accumulée au fil des engagements de ces derniers mois, expose sans aucun doute au risque de gestes inadaptés de la part des membres des forces de l'ordre. Il relève donc de ma responsabilité de trouver des solutions.

La sanctuarisation des périodes de formation pour les gestes de défense et d'interpellation s'avère primordiale, au même titre que l'obligation de formation au tir.

Je pense connaître ces hommes et ces femmes qui font preuve, vous le savez et vous le rappelez régulièrement, d'un très grand dévouement et de beaucoup de courage, dans des conditions qui me semblent beaucoup plus difficiles aujourd'hui qu'hier. Ils suscitent mon admiration. Je connais les valeurs qui les animent. Je sais ce que leur engagement représente pour eux en termes de sacrifices personnels et familiaux. Il n'est donc pas acceptable d'entendre ou de lire certains propos caricaturaux, qui pourraient laisser croire que la police est violente et raciste. Dans la police nationale, ces déclarations nous heurtent, nous scandalisent et conduisent malheureusement certains d'entre nous à s'interroger parfois sur le sens de leur action.

Il n'est pas non plus acceptable que des policiers soient agressés physiquement, menacés, injuriés, jetés en pâture sur les réseaux sociaux, à l'occasion de leur travail, mais aussi dorénavant ès qualités dans un cadre privé.

Il ne faut donc pas négliger la protection à laquelle ont droit les policiers. Nous y réfléchissons à la demande du ministre de l'intérieur.

Protéger, défendre et secourir celles et ceux qui sont en situation de faiblesse est une belle et noble mission, mais difficile, car même en étant bien formé et préparé à toutes sortes de situations, un policier peut se retrouver à devoir décider seul en un quart de seconde comment il doit intervenir. Les circonstances conduisent donc les policiers à agir parfois comme ils le peuvent, loin des techniques enseignées et des codes, simplement pour se défendre ou pour que force reste à la loi. C'est ce qui fait à la fois la difficulté et tout l'intérêt de ce travail. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles je suis et je serai le défenseur infatigable des policiers de notre pays.

M. Philippe Bas, président. - Nous partageons la préoccupation que vous exprimez. Nous avons pleinement conscience de la difficulté de la tâche, dans le contexte marqué par le terrorisme, les manifestations des gilets jaunes ou celles qui ont suivi le déconfinement. Les policiers et les gendarmes exposent leurs vies pour en sauver d'autres. Leurs conditions de travail et leurs missions les exposent à de grands dangers. Ils doivent aussi savoir maîtriser leurs émotions. Les mises en cause, souvent inspirées par des motifs idéologiques ou qui reposent sur des événements isolés ou accidentels, sont particulièrement insupportables dans ce contexte. Cela ne signifie pas autant que les manquements ne doivent pas être durement sanctionnés. Nous cherchons la ligne de crête.

Je comprends votre décision de ne plus recourir à l'étranglement, mais les autres techniques sont-elles aussi efficaces pour maîtriser des individus « récalcitrants » ou « agités » ? La police ne risque-t-elle pas d'être privée de moyens??

M. Frédéric Veaux. - Vous formulez là l'inquiétude qui est apparue lorsque ces annonces ont été faites. Certains policiers craignent d'être démunis face à des situations complexes. Heureusement, on enseigne d'autres techniques qui n'impliquent pas nécessairement une intervention du policier sur des points sensibles du corps humain. Nos techniques s'adressent à des policiers généralistes. Les forces de l'ordre comportent des personnes de profils divers, aussi bien des personnes sportives, très bien entraînées, adeptes des arts martiaux, que d'autres qui ont des profils physiques différents, moins d'expérience ou d'ancienneté, et pour qui le rapport en corps à corps peut être compliqué. Nous devons donc enseigner des techniques susceptibles d'être bien maîtrisées par tous et qui, si elles ne l'étaient pas, n'entraîneraient pas de conséquence pour la personne interpellée.

Le plus difficile pour un chef est souvent de dire : « on ne fait pas », car cela peut laisser entendre que l'on n'a pas le courage d'accomplir la mission. Mais un chef a des responsabilités, tant vis-à-vis des personnes qu'il dirige qu'envers ceux à qui s'adresse la mission de police. J'ai donc pesé toutes les options avant de prendre cette décision. Je crois que conserver ces gestes potentiellement incapacitants expose aussi bien ceux qui les pratiquent que ceux qui les subissent. D'autres techniques existent et sont enseignées. On peut aussi évoquer le pistolet à impulsion électrique, qui semble insuffisamment utilisé, car il n'est pas seulement un instrument incapacitant, mais possède aussi un effet dissuasif. Il n'existe pas de solution parfaite permettant de faire face à toutes les situations partout sur tout le territoire, mais nous disposons d'une gamme de techniques adaptée et le groupe de travail nous fera aussi des propositions.

M. Philippe Bas, président. - C'est bien ce que nous voulons vérifier ! Cette volonté légitime de protection des policiers, en leur retirant la possibilité de recourir à l'étranglement, ne leur fait-elle pas courir le risque d'être moins efficaces lors d'une interpellation ?

M. Frédéric Veaux. - Mieux vaut renoncer à une interpellation que vouloir réaliser une interpellation à tout prix, en pratiquant un geste susceptible d'aboutir à une catastrophe ! Il faut savoir renoncer au risque et trouver d'autres solutions pour mener à bien notre mission.

M. Philippe Bas, président. - Votre réponse a le mérite de la clarté. Depuis combien de temps la technique de l'étranglement est-elle pratiquée ?

M. Frédéric Veaux. - Elle existait déjà lorsque je suis entré dans la police il y a quarante ans ! Je vous adresserai plus de précisions sur ce point. Elle n'est pas pratiquée par la gendarmerie ni dans tous les pays d'Europe.

Mme Catherine Di Folco, co-rapporteur. - Je veux d'abord rendre hommage au travail réalisé par les forces de l'ordre pour assurer la sécurité de nos concitoyens dans des circonstances qui peuvent être très violentes.

Le ministre de l'intérieur a annoncé la création d'un groupe de travail pour définir une technique de substitution d'ici au début du mois de septembre. Son champ d'études est-il limité à la police nationale ? Les différentes approches constatées entre la police et la gendarmerie ou les personnels surveillants pénitentiaires sont-elles prises en considération ? Sera-t-il possible d'avoir copie des conclusions de ce groupe de travail ?

L'enseignement sera arrêté, mais la technique continuera-t-elle à être appliquée ? Le ministre n'a pas été très clair sur ce point lorsque nous l'avons auditionné. Vous semblez dire qu'elle sera pratiquée « avec mesure et discernement » en attendant d'autres techniques. Avez-vous donné des instructions précises en ce sens et pourrions-nous en avoir copie ?

Mme Maryse Carrère, co-rapporteure. - Vos propos ont le mérite de faire connaître à nos concitoyens la réalité du quotidien difficile et ingrat de nos forces de l'ordre.

Les forces de l'ordre ont été très sollicitées en 2019. Pourriez-vous nous fournir des éclairages sur les rythmes de travail et les heures effectuées ? La fatigue peut influer sur les comportements.

En 2018, le rapport de notre commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure faisait état de la nécessité d'améliorer l'accès des policiers à la protection fonctionnelle. La mise en place d'un groupe de travail sur la sécurité juridique des forces de l'ordre a été annoncée par le ministre de l'intérieur. Quand rendra-t-il ses conclusions ? Avez-vous d'ores et déjà des pistes pour améliorer cette protection fonctionnelle ?

Depuis 2013, policiers et gendarmes peuvent être équipés de caméras mobiles. Combien de policiers en sont aujourd'hui équipés ? Le ministre a évoqué un chiffre de 11 000 caméras. L'activation des caméras est laissée, en l'état du droit, à l'appréciation des agents. Dans la pratique, sont-elles régulièrement utilisées et activées ? Vous paraîtrait-il souhaitable de systématiser leur activation en intervention ? Les matériels déployés sont-ils, techniquement, adaptés aux usages ? Le ministre a évoqué des problèmes techniques. Enfin, le recours à cet outil vous paraît-il devoir être accru pour limiter le nombre d'incidents ? Si oui, de quelle manière ?

M. Frédéric Veaux. - Le groupe de travail dirigé par M. Frédéric Lauze a déjà commencé ses travaux. Comme la technique dite « de l'étranglement » n'est pratiquée que par la police, il ne comprend que des personnes en lien avec la police : représentants des organisations syndicales directement intéressées par ces techniques, un médecin urgentiste du RAID, un médecin légiste, etc. Il consultera au cours de ses travaux la gendarmerie, l'administration pénitentiaire et les services qui sont amenés à utiliser d'autres techniques pour maîtriser des personnes.

Le groupe de travail commun à la police et à la gendarmerie, qui avait été créé pour répondre à la commande du ministre de l'intérieur passée en janvier, avait déjà été le lieu d'échanges approfondis, avec l'objectif d'harmoniser les pratiques entre les deux forces. Je serais évidemment ravi de vous transmettre les documents, mais dans la mesure où ils sont adressés au ministre de l'intérieur, seul ce dernier pourrait vous les communiquer.

Le 8 juin, le ministre a annoncé l'arrêt immédiat de l'enseignement et que la technique dite « de l'étranglement » ne serait plus appliquée, mais sans précision sur le calendrier. Le 12 juin, le directeur central du recrutement et de la formation de la police a rédigé une instruction. Le 15 juin, j'ai aussi adressé une instruction à l'ensemble des directeurs et chefs de service précisant le cadre de mise en oeuvre de cette technique jusqu'au 1er septembre, en tout cas jusqu'à ce qu'une nouvelle technique soit définie et enseignée et que chacun puisse être formé. En attendant, cette technique doit être mise en oeuvre uniquement dans des circonstances qui l'exigent, avec mesure et discernement.

Les forces de l'ordre sont très mobilisées depuis 2015 : actes de terrorisme, opérations de maintien de l'ordre, crise sanitaire, etc. Cela a évidemment un effet sur le temps de travail des policiers, entraînant un dépassement du temps de travail plus qu'une modification des cycles de travail. Les amplitudes horaires sont parfois très élevées. C'est pour cela que le ministre de l'intérieur a pris une initiative pour essayer de payer les heures supplémentaires. Fin 2019, le volume des heures supplémentaires est ainsi revenu à son niveau de 2016. La question des rythmes de travail est très sensible. Une discussion est en cours entre la direction générale de la police nationale et les organisations syndicales représentatives. Elle reprendra le 3 juillet et portera sur le travail de nuit, les cycles horaires de travail, etc. Une étude a été conduite à ce sujet par l'IGPN.

Vous avez également évoqué la nécessaire amélioration de l'accès à la protection fonctionnelle, à laquelle, dès ma prise de fonction, le ministre de l'intérieur m'a demandé de réfléchir. Le sujet apparaît, en effet, majeur : des policiers sont blessés en intervention, mais aussi de plus en plus fréquemment pris à partie dans leur vie personnelle, parfois même la nuit et le week-end. Nous avons réfléchi à un dispositif disponible sept jours sur sept pour les policiers, sous la forme d'une plateforme téléphonique et d'une application sur le site intranet de la police nationale, afin de faciliter l'accès à la protection fonctionnelle. Sa mise en oeuvre devrait être effective dans les prochains jours.

Quelque 10 400 caméras mobiles équipent la police nationale, mais leur qualité n'est pas jugée satisfaisante. Les policiers aspirent à disposer de telles caméras, mais le matériel choisi dans le cadre d'un marché public rencontre de regrettables difficultés pratiques lors de l'accrochage à l'uniforme, du déclenchement ou du changement de batterie, laquelle ne bénéficie par ailleurs que d'une autonomie limitée. Le ministre de l'intérieur a chargé les trois inspections de la police et de la gendarmerie de dresser un état des lieux. Le marché public nous lie jusqu'en 2022, mais nous aimerions remplacer ces caméras. Celles-ci ne sont nullement considérées comme un outil de flicage par les policiers, mais comme un moyen de protection : souvent, les personnes interpellées se calment à la vue d'une caméra. Nous fondons donc beaucoup d'espoir sur la mission en cours et sur le lancement d'un nouveau marché public.

Mme Catherine Di Folco, co-rapporteur. - Envisagez-vous un nouveau marché public avant 2022 ?

M. Frédéric Veaux. - Il y a effectivement urgence, car, à mon sens, les problèmes sont devant nous et les policiers auront d'autant plus besoin d'un équipement performant et d'un accès simplifié aux images. Ces caméras doivent constituer un véritable outil de protection et d'investigation.

Mme Catherine Di Folco, co-rapporteur. - Pour faciliter l'accès aux images des caméras mobiles, convient-il de modifier la loi ?

M. Frédéric Veaux. - Effectivement.

M. Philippe Bas, président. - Vous avez indiqué que la clé d'étranglement n'était, dès maintenant, plus enseignée, mais que le groupe de travail chargé de proposer une technique de remplacement n'avait pas encore rendu ses conclusions. Votre décision n'était-elle pas prématurée ?

M. Frédéric Veaux. - Quand vous avez conscience qu'il existe un danger, tant pour le policier que pour la personne interpellée, il est de votre responsabilité, comme directeur général, de n'exposer personne à ce danger. Même si certains policiers, notamment au sein des brigades anti-criminalité (BAC), maîtrisent bien la technique de la clé d'étranglement, l'entraînement sur un dojo n'est pas comparable à la réalité d'une intervention en milieu hostile, où la maîtrise ne peut plus être seulement théorique.

Privés de clé d'étranglement, les policiers ne se trouvent pas pour autant démunis : ils peuvent attraper quelqu'un par le cou sans l'étrangler en appuyant sur la trachée. L'objectif reste de maîtriser la personne interpellée sans exercer une pression sur les points dangereux du corps, afin de la menotter puis de la relever.

Certes, des exemples peuvent toujours être cités pour justifier de la nécessité de la clé d'étranglement, mais je préfère y renoncer plutôt que de prendre un risque supérieur à l'objectif poursuivi. Policier de terrain, j'ai assisté à des vols à main armée lors desquels, si nous intervenions en flagrant délit, existait un risque de fusillade. Parfois, il est préférable de ne pas intervenir à chaud et d'interpeller les contrevenants quelques heures plus tard. En revanche, s'il s'agit de sauver une vie, il ne faut pas hésiter à prendre tous les risques. Ce n'est pas le cas lorsqu'il s'agit seulement d'avoir le dernier mot et d'afficher que la loi et l'ordre doivent prévaloir.

Mon rôle n'est pas d'autoriser les policiers à agir sans songer aux conséquences. Certains se trouvent ainsi dans des situations juridiques inextricables et moralement difficiles, alors qu'ils n'ont fait que leur devoir. Vous pouvez estimer ma décision insatisfaisante, mais elle résulte de l'arbitrage en conscience d'un policier de terrain confronté à cette réalité.

Mme Muriel Jourda. - Ma première question concerne la formation continue, dont vous avez estimé qu'elle n'était pas encore réalisée convenablement. Quoi qu'il en soit, les douze heures prévues vous semblent-elles suffisantes ?

Ma seconde interrogation porte sur les armes de force intermédiaire. Vous avez regretté le trop peu d'usage fait du pistolet à impulsion électrique, mais qu'en est-il des lanceurs de balles de défense (LBD) ? La semaine dernière, à Bayonne, un policier a été condamné pour avoir infligé, lors d'une manifestation, des blessures avec un LBD. Faut-il l'interdire et, le cas échéant, comment le remplacer ? L'arme est-elle vraiment moins dangereuse avec un canon rayé ?

M. Philippe Bas, président. - Le ministre de l'intérieur a indiqué récemment devant notre commission que les policiers qui n'auraient pas effectué un nombre minimum d'heures de formation continue seraient écartés de la voie publique. Au regard des besoins sur le terrain, cet engagement ne vous semble-t-il pas problématique ?

Mme Marie Mercier. - Les incidents liés aux techniques d'intervention sont-ils vraiment en augmentation ? Font-ils systématiquement l'objet d'un signalement auprès de l'IGPN, de poursuites judiciaires et de procédures disciplinaires ?

Je souhaiterais également connaître votre sentiment sur les relations entre la population et la police. Lors d'un déplacement, un policier a défini sa mission comme celle d'un ouvrier d'État fier de servir son pays et ses concitoyens. Pourtant, les agressions de policiers se multiplient. À votre avis, quelles en sont les causes ?

M. Henri Leroy. - Notre commission présente chaque année un avis sur les crédits consacrés à la police et à la gendarmerie par le projet de loi de finances. À cette occasion, elle effectue des déplacements pour réaliser un focus sur un sujet particulier. L'an passé, nous nous sommes intéressés à la formation ; nous nous sommes rendus à Dijon et, prochainement, nous irons à Nîmes. Par ailleurs, le Sénat a créé, en 2018, une commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure qui, après six mois d'investigation, a rendu ses conclusions.

Le constat de ces travaux est sans appel. L'utilisation de certains moyens et techniques recule, non pas à cause d'une moindre qualité du personnel, mais d'une formation insuffisante. Les directions générales de la police et de la gendarmerie ne sont pas en mesure de garantir une formation initiale d'une qualité constante depuis que sa durée a été réduite. Les moyens manquent également pour la formation continue. Ainsi, certains policiers ne tirent pas, faute d'entraînement ! Certes, avec des moyens réduits, les policiers parviennent à être efficaces, mais il n'en reste pas moins que les techniques doivent s'entretenir, au risque, sinon, de régresser sur le terrain.

M. Jean-Luc Fichet. - Ma question concerne également la formation. En termes de lieux, d'équipements et de personnel, disposons-nous des moyens pour faire face aux exigences de formation ?

M. Frédéric Veaux. - Madame Jourda, nous pouvons toujours, bien entendu, faire davantage que les douze heures imposées de formation continue. Sachez qu'existent également des formations spécialisées. Notre objectif est que chaque policier puisse a minima suivre une formation continue. Le respect de cette obligation est, hélas, en deçà de nos attentes. Ce constat relève d'une responsabilité partagée par tous au sein de l'institution : les chefs de service doivent accorder les facilités nécessaires au suivi des formations, mais la charge de travail prend souvent le pas sur les autres impératifs, tandis que les policiers ne considèrent parfois pas la formation continue comme une priorité. Preuve de l'importance du sujet, nous disposons désormais d'une direction chargée de la formation au sein de la direction générale. Sans doute n'avons-nous pas non plus mis suffisamment en valeur la fonction de formateur. D'aucuns estiment que les 1 600 formateurs ne sont pas assez nombreux, mais un audit de l'IGPN a récemment estimé leur nombre suffisant pour assurer les douze heures de formation continue obligatoire.

S'agissant des armes de force intermédiaire, une formation préalable, distincte de la formation continue, est nécessaire à leur usage. Je ne suis pas favorable à l'interdiction des LBD : il s'agit d'une arme adaptée, entre le corps à corps et le recours aux armes létales, et son usage est strictement encadré. Le sujet sera abordé dans le cadre de la réflexion engagée sur le schéma national du maintien de l'ordre.

Madame Mercier, il existe plusieurs façons de connaître les incidents impliquant des policiers : la plateforme de signalement auprès de l'IGPN ouverte aux citoyens ou le dépôt de plainte. Dans ce cas, des poursuites judiciaires sont engagées et, souvent, une enquête administrative est parallèlement ouverte. Au premier semestre, la plateforme a enregistré 2 671 signalements, lesquels n'ont pas systématiquement conduit à une procédure disciplinaire : 32 % d'entre eux concernent des violences policières, 20 % un manque de respect et 15 % un refus de plainte. En 2019, les procédures disciplinaires ont conclu au prononcé de 1 600 sanctions.

Mme Catherine Di Folco, co-rapporteur. - De quel ordre étaient ces sanctions ?

M. Frédéric Veaux. - Elles peuvent aller de l'avertissement à la révocation. Je vous apporterai davantage de précisions.

Le sujet des relations entre la population et la police est vaste. La police de sécurité du quotidien marque la volonté du Gouvernement de rapprocher la police et la gendarmerie des élus locaux et des autres partenaires sur les territoires, à l'instar des bailleurs sociaux. La mission de sécurité n'a de sens que si elle est comprise et acceptée par les citoyens. D'aucuns évoquent le désamour entre ces derniers et la police, mais en se fondant sur des sondages de la fin de l'année 2015 lorsque, après la vague d'attentats, la popularité des forces de l'ordre était au plus haut. J'estime, pour ma part, que, pour une institution essentiellement chargée de réprimer, un soutien de deux tiers des Français constitue un résultat appréciable, même si nous souhaitons toujours l'améliorer. Dans les territoires, les policiers sont intégrés à la vie locale - à l'école, au marché, dans les clubs de sport -, ce qui est moins le cas dans les grandes métropoles et explique un lien plus distendu.

Monsieur Leroy, je ne peux approuver complètement votre diagnostic sévère. Nous avons réalisé de nombreux recrutements ces trois dernières années pour renforcer l'encadrement. Je salue le travail remarquable réalisé dans les écoles de formation. Tous les aspects du métier de policier y sont enseignés, avec, depuis peu, un accent mis sur la déontologie. Je ne refuserais bien entendu pas une augmentation de notre budget destiné à la formation, mais nous parvenons à assurer cette mission ainsi, même si la formation continue mériterait d'être renforcée, notamment grâce aux outils de e-formation.

Monsieur Fichet, vous avez aussi évoqué les moyens destinés à la formation. L'importance du numérique, dans ce domaine, s'accroît. Son utilisation renforcée nécessite une évolution des mentalités et une modernisation de nos outils informatiques.

M. Philippe Bas, président. - Vous n'avez pas répondu sur l'évolution du nombre d'agressions dont sont victimes les policiers, ni sur la difficulté qu'il pourrait y avoir à retirer du terrain ceux qui n'auraient pas rempli leur obligation de formation continue.

M. Henri Leroy. - J'ai dit non pas que les directions générales de la police et de la gendarmerie n'étaient pas en capacité d'assurer la formation de leur personnel, mais que les moyens financiers destinés à cette tâche étaient insuffisants. De mémoire, la loi de finances pour 2020 a acté une diminution à deux chiffres des crédits dédiés à la formation des forces de l'ordre. En outre, des gels de crédits sont fréquemment appliqués.

M. Jean-Luc Fichet. - Ma question faisait référence à l'audition des syndicats de policiers par la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure. Ils se plaignaient du faible nombre de lieux destinés à l'entraînement et à la formation - tir et conduite notamment - qui nécessitent de grands espaces.

M. Frédéric Veaux. - Nous n'observons pas d'augmentation significative des agressions sur les policiers, mais une multiplication des guets-apens. Au-delà des statistiques, je suis préoccupé par les images de policiers filmés en exercice diffusées sur les réseaux sociaux. Certains sont suivis à la sortie de leur travail ; leur domicile et leur voiture font parfois l'objet de dégradations. Désormais, ceux qui exècrent la police ne se cachent plus pour le montrer. Nous devons donc nous montrer vigilants, accompagner les policiers victimes et protéger leur identité sur les réseaux sociaux.

Tous les policiers concernés par l'obligation de formation continue ne sont pas en poste sur la voie publique. En revanche, la formation aux techniques d'interpellation doit impérativement être suivie par les policiers sur le terrain. Comme lorsqu'ils se voient confier une arme, ils doivent acquérir une compétence. Du reste, le suivi d'une formation peut aussi permettre de constater qu'un policier n'est plus apte à exercer sur la voie publique.

S'agissant de la qualité et de la quantité des lieux de formation, la situation varie d'un territoire à l'autre, mais chaque policier peut se rendre dans un stand de tir pour effectuer ses trois tirs annuels réglementaires. Des gymnases sont également disponibles pour des entraînements réguliers sur des gestes techniques, qui n'ont nul besoin d'être organisés en dojo. Enfin, la fédération sportive de la police nationale travaille au développement du sport dans l'institution. Nous avons lancé en partenariat une campagne de mécénat pour améliorer la qualité des salles de sport qui servent aussi aux formations.

M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie d'avoir répondu si précisément à nos questions.

- Présidence de Mme Catherine Di Folco, vice-présidente -

Projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire - Examen, en nouvelle lecture, du rapport et du texte de la commission

Mme Catherine Di Folco, présidente. - Après une commission mixte paritaire non conclusive, nous examinons en nouvelle lecture le rapport et le texte de la commission pour le projet de loi organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire, adopté hier soir à l'Assemblée nationale.

M. Philippe Bas, rapporteur. - En réalité, il y a toujours eu une ambiguïté profonde dans ce projet de loi, dont les mesures constituaient dès son dépôt un copier-coller de celles permettant, pendant l'état d'urgence, aux autorités publiques de restreindre les libertés publiques et individuelles en application de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. Il nous était difficile d'admettre leur reconduction dans un texte destiné à sortir de l'état d'urgence. Nous avons pourtant essayé de nous montrer coopératifs et de tenir compte des besoins et des contraintes du Gouvernement après la date du 10 juillet 2020 en proposant des rédactions adaptées. La commission mixte paritaire, hélas, ne nous a pas donné satisfaction : le rapporteur et la majorité de l'Assemblée nationale ont certes renoncé à certaines de leurs rédactions, mais pour les rétablir ensuite par de nouveaux détours.

En définitive, le Gouvernement s'est montré intraitable : il souhaite pouvoir exercer ses pouvoirs de contrainte sans rétablir l'état d'urgence sanitaire, afin de ne pas infliger de nouveau traumatisme à la population. Mais il faut appeler les choses par leurs noms ! Si l'état d'urgence doit être déclaré, un décret peut suffire. Nous ne pouvons accepter de telles méthodes. Je vous propose donc d'adopter une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.

M. Jean-Pierre Sueur. - Nous partageons l'appréciation de notre rapporteur : ce texte est un faux-semblant ; il annonce la fin de l'état d'urgence, mais en attribue les compétences au Premier ministre. Dans la mesure où il n'existe aucune chance que l'Assemblée nationale fasse évoluer le projet de loi dans le sens souhaité, il nous semble raisonnable de voter la question préalable, bien qu'elle rende nos amendements sans objet. Du reste, nous ne les redéposerons pas en séance publique.

La motion COM-5 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.

L'ensemble des amendements devient sans objet.

Mme Catherine Di Folco, présidente. - Compte tenu de l'adoption de cette motion, il nous revient, par cohérence, de ne pas adopter de texte. Dès lors, en application de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. Les amendements qui avaient été déposés pourront l'être de nouveau en vue de la séance publique. Dans l'hypothèse où la question préalable ne serait pas adoptée par notre assemblée, l'examen des articles porterait sur le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Le projet de loi n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Motion tendant à opposer la question préalable

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. BAS,
rapporteur

5

Motion tendant à opposer la question préalable.

Adopté

Article 1er

M. SUEUR

1

Suppression de l'article 1er.

Satisfait ou
sans objet

M. SUEUR

2

Suppression de la faculté d'interdire la circulation des personnes et des véhicules.

Satisfait ou
sans objet

M. SUEUR

3

Suppression de la possibilité de fermer des catégories d'établissements recevant du public.

Satisfait ou
sans objet

Article additionnel après l'article 1er

Mme CONCONNE

4

Obligations de présentation des résultats d'un test de dépistage avant certains déplacements aériens.

Satisfait ou
sans objet

Dépouillement simultané au sein des commissions des lois des deux assemblées des scrutins sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Philippe Vachia aux fonctions de président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques

La commission procède au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Jean-Philippe Vachia aux fonctions de président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), simultanément à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale.

M. Philippe Bas, président. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale :

Nombre de votants : 16

Bulletins blancs : 0

Bulletin nul : 0

Suffrages exprimés : 16

Pour : 15

Contre : 1

La réunion est close à 12 h 30.