Vendredi 26 juin 2020
- Présidence de M. Jean-Jacques Lozach, président -
La visioconférence est ouverte à 15 h 15.
Étude annuelle du Conseil d'État de 2019 : « Le sport : quelle politique publique ? » - Audition de Mme Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d'État, et de M. Frédéric Pacoud, rapporteur général adjoint de la section du rapport et des études
M. Jean-Jacques Lozach, président. - Je vous remercie pour votre présence. Nous allons être très attentifs à votre discours. Je remercie d'ailleurs le Conseil d'État pour avoir choisi la thématique du sport pour une série de conférences données entre 2018 et 2019 qui a débouché sur le rapport « Vingt-et-une propositions pour une politique publique du sport en France ». Parmi ces propositions, certaines concernent la gouvernance du sport en général, le modèle sportif français que nous réinterrogeons actuellement, et en particulier le thème central de nos travaux qui est l'organisation et le fonctionnement des fédérations.
Mme Martine de Boisdeffre, présidente de la section du rapport et des études du Conseil d'État. - Je vous remercie monsieur le président. Je vous propose une présentation brève et générale de notre approche et spécifiquement des points concernant les fédérations. Ensuite M. Pacoud et moi-même nous soumettrons à vos questions.
Dans le cadre de notre étude, nous nous sommes interrogés sur la gouvernance et les grands acteurs du sport en France. Nous avons regardé ce qu'il en est du mouvement sportif et des fédérations. Nous avons décrit, tout d'abord, les différents statuts des fédérations, qu'elles soient agréées ou délégataires, pour en préciser les subtilités juridiques et les compétences juridictionnelles qui en découlent.
Nous avons surtout insisté sur trois défis auxquelles les fédérations nous semblent confrontées aujourd'hui et qui, bien sûr, ont orienté nos propositions. Premièrement, les fédérations sportives doivent aujourd'hui faire face à la concurrence de pratiques sportives individuelles d'une part, et d'offres commerciales présentées par des acteurs indépendants d'autre part. En effet, seulement un pratiquant sur quatre est licencié. Ainsi, les trois quarts des Français pratiquant le sport ne relèvent pas des fédérations. Concernant les offres commerciales assurées par d'autres acteurs, nous en avions eu une parfaite présentation lors de la conférence du président de la fédération française de canoë-kayak, qui nous avait interpellés sur cette problématique.
Le deuxième défi s'exprime en un besoin de compétences en matière de gestion et de développement des fédérations et des clubs qui concernent des aspects administratifs et de gestion mais aussi économiques et financiers. Nous avons constaté, pour nous en féliciter, le rôle crucial des bénévoles en activité au sein des clubs et fédérations, qui s'accompagne parfois d'un enjeu encore plus accru de développement des compétences en matière de gestion administrative ou financière. Et cela, dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques de 2024.
Enfin, le troisième défi concerne les exigences de démocratie, de transparence, de déontologie et d'éthique, et j'ajouterai, de féminisation car rares sont les femmes présidentes de fédérations sportives. Nous avons abordé ce problème de démocratie sous l'angle des modalités d'élection des dirigeants, sous l'angle également du nombre de mandats sans limite aujourd'hui, sous celui du respect des exigences d'éthique et de déontologie, renforcées aujourd'hui par les risques de corruption et d'autres pratiques en dérive.
À partir de ces constats, nous avons formulé des propositions exposées dans ce rapport. Je soulignerai les propositions 6 à 9, centrées sur des réponses apportées à ces défis, ainsi que celle portant le numéro 12 concernant l'exigence d'honorabilité des éducateurs bénévoles. Enfin, et plus généralement, nous avons souhaité évoquer un renouvellement des liens entre le ministère des sports et les fédérations pour responsabiliser davantage ces dernières, ainsi qu'un contrôle de certains aspects économiques et financiers par le ministère.
M. Jean-Jacques Lozach, président. - Rentrons dans le détail de ces propositions. Lorsque vous évoquez la nécessaire démocratisation des procédures et modes électoraux, quelles sont vos préconisations ?
Mme Martine de Boisdeffre. - D'abord, nous considérons que les élections devraient être directes permettant ainsi à tous les clubs de voter. Par ailleurs, nous recommandons l'introduction d'une limitation du nombre de mandats.
M. Frédéric Pacoud, rapporteur général adjoint de la section du rapport et des études du Conseil d'État. - L'élection directe par les clubs des dirigeants de fédération et la limitation des mandats dans le temps sont des questions récurrentes en matière de gouvernance des fédérations sportives.
Notre idée principale est que la fédération doit être la plus représentative possible des membres qui la composent. D'après le diagnostic dont nous disposons, les présidents sont majoritairement élus par l'assemblée générale, sur proposition du comité directeur, sachant qu'environ la moitié des assemblées générales est composée de représentants de clubs élus aux niveaux départemental et régional. Il s'agit donc bien d'une représentation indirecte. Toutefois, on remarque que plusieurs fédérations ont déjà recours au mode d'élection directe. Parmi elles, certaines ont des effectifs importants, telles que la Fédération française d'équitation (FFE), la Fédération française de volley (FFV) ou encore la Fédération française de rugby (FFR). Ce point est notable car souvent les fédérations évoquent les coûts et la lourdeur de l'organisation des élections directes comme un frein. Je citerai l'exemple de la fédération française de rugby qui a organisé une élection directe, en 2016, pour renouveler ses instances dirigeantes : près de 1 900 clubs ont été appelés à voter, avec un nombre de voix proportionnel, pour chaque club, au nombre de licenciés.
Cette aspiration à une meilleure représentativité nous paraît cruciale, surtout dans ce contexte où la consommation du sport évolue vers un sport bien-être, avec des licenciés qui se détachent de la vie de la fédération, et des sportifs qui s'éloignent des clubs. Il nous semble nécessaire de renforcer les liens entre les licenciés, les clubs et les fédérations afin que celles-ci aient plus conscience de la demande et de son évolution. Pour nous, cette aspiration entraîne d'autres préoccupations éthiques et déontologiques, notamment. Il nous semble indispensable, pour renforcer la démocratie, d'envisager de nouveaux types de structures et de s'affranchir de modes d'élection restreints. C'est la raison pour laquelle nous avons retenu la proposition d'avancer vers l'élection directe. Est-ce adapté à l'ensemble des fédérations eu égard au nombre de clubs affiliés ? Il convient d'être pragmatique et la marche vers une meilleure représentativité peut se faire avec des aménagements ou des étapes transitoires.
Mme Martine de Boisdeffre. - Il nous paraît très important d'insister sur le fait que d'importantes fédérations ont organisé spontanément des élections directes, ce qui prouve que cette solution est praticable.
M. Alain Fouché, rapporteur. - Je cite, à titre d'exemple, le manque cruel de démocratie au niveau du football français où seulement 216 votants sur environ 15 000 clubs se sont exprimés pour élire leur président. Ce n'est pas acceptable, ni accepté sur le terrain. Selon vous, est-il nécessaire de prévoir plusieurs types d'électorat, parmi les clubs, les ligues, les districts, ou bien tous les clubs doivent-ils prendre part à l'élection ?
Mme Martine de Boisdeffre. - Nous proposons que tous les clubs participent au vote, pour que chacun se connaisse et que les préoccupations de terrain puissent remonter. Les clubs locaux sont ceux qui développent la pratique du sport, ceux qui assurent le maillage du tissu social, ceux qui repèrent et font émerger les grands joueurs de demain. Ils doivent pouvoir agir et être entendus. Toutefois, nous sommes ouverts à des solutions intermédiaires.
M. Alain Fouché, rapporteur. - Je soutiens vos propos.
M. Frédéric Pacoud. - J'ajouterai qu'en termes de modalités, il est possible d'envisager des votes électroniques ou des procurations, pour alléger les dispositifs.
Mme Martine de Boisdeffre. - Notre étude prône que le sport doit être l'affaire de tous. Certes, il est l'affaire des sportifs de haut niveau, mais pour jouer son rôle en matière d'éducation, de santé, de cohésion sociale, il doit concerner tout le monde. Ainsi, associer au maximum les personnes de terrain à l'élection des dirigeants nous semble tout à fait naturel.
M. Michel Savin. - Sur cette question de l'élection directe des présidents de fédération, préconisez-vous de mettre en place des règles d'élection, avec un calendrier et des plafonds de financement ? Ces mesures éviteraient de privilégier le président sortant et permettraient aux candidats de mener de vraies campagnes sur le terrain, à l'écoute des clubs.
Mme Martine de Boisdeffre. - Nous n'avons pas réfléchi précisément à ce point. Toutefois, vous avez raison : s'il est important d'assurer l'égalité des électeurs, l'égalité des candidats ne doit pas être laissée de côté.
M. Frédéric Pacoud. - Nous n'avons pas étudié ce point en effet. Et je vous rejoins, il conviendra de travailler aux différentes modalités et règles à respecter et de proposer un dispositif sécurisé afin d'éviter tout risque de contentieux, ou encore un désordre électoral qui ternirait l'image du mouvement sportif.
L'État dispose d'un certain nombre d'outils. Il a une logique partenariale avec les fédérations. Il passe des conventions. Certaines fédérations ont une délégation de service public. L'État doit s'appuyer sur ces outils pour faire émerger une logique de certification. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) pourrait s'emparer de ces sujets pour parvenir, en accord avec le mouvement sportif, à l'adoption de règles claires.
Mme Martine de Boisdeffre. - Cela recoupe notre proposition en matière d'éthique et de déontologie, par laquelle nous suggérons que le CNOSF investisse ce domaine. Vous évoquiez l'égalité des candidats. Nous soulignons par ailleurs la sincérité du scrutin, qui ne doit pas être altérée : faire élire les instances dirigeantes par tous les clubs peut faciliter cette sincérité du scrutin en limitant les moyens de l'altérer.
Mme Marie Mercier. - J'ai beaucoup apprécié vos propos concernant le rôle des bénévoles dans les clubs sportifs en général, et le rôle des femmes en particulier, et globalement de ce mouvement sportif qui anime nos communes. On parle toujours de lien social. Or, les clubs sportifs ont un rôle essentiel dans l'animation des villes et dans la prévention de la santé.
Mme Martine de Boisdeffre. - Je voudrais indiquer qu'une de nos propositions tend à développer la formation au sein des clubs, de façon à accompagner les bénévoles qui souhaiteraient s'investir dans la gestion. Des outils existent, tels que le Compte personnel de formation (CPF). Nous le rappelons dans notre étude.
M. Alain Fouché, rapporteur. - Au niveau des finances, la Cour des comptes a soulevé un débat concernant les fédérations pour lesquelles le financement public est inférieur à 50 % : les prérogatives de l'État envers les fédérations sportives doivent-elles fonder leur soumission au code des marchés publics ? Qu'en pensez-vous ? Par ailleurs, quelles sont vos recommandations pour rendre plus transparentes les rémunérations des dirigeants de fédérations sportives ? Le montant des indemnités des dirigeants nous a été donné globalement. Nous n'en connaissons pas le détail. Selon vous, les rémunérations doivent-elles être soumises à une obligation de publication plus importante ?
Mme Martine de Boisdeffre. - Nous allons vous apporter une réponse prudente motivée par trois points. Tout d'abord, cette question n'a pas été traitée dans l'étude, notre réponse sera donc personnelle. Ensuite, aucune jurisprudence du Conseil d'État n'existe, ce dernier n'ayant pas tranché la question de la soumission des fédérations au code des marchés publics. Or, en matière de commande publique, le Conseil d'État se livre généralement à une appréciation au cas par cas. Enfin, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union Européenne est particulièrement subtile.
Sur la question de la transparence des rémunérations des dirigeants de fédérations, je n'engage que moi. Je pense qu'il existe une très grande diversité en matière de rémunérations. Je souligne que certains dirigeants de fédérations ne sont pas rémunérés. J'estime qu'il convient d'être très prudent sur ce point.
M. Frédéric Pacoud. - Concernant le point de la rémunération, je n'engage que ma propre personne, l'Assemblée générale du Conseil d'État ne s'étant pas prononcée sur ce sujet. Je relève qu'une enquête du CNOSF avait montré, il y a quelques années, que la moitié des fédérations avaient prévu la possibilité de rémunérer un ou plusieurs de leurs dirigeants, comme le leur permettaient les textes. Dans les faits, un tiers des fédérations avait réellement mis en oeuvre un dispositif de rémunération. La situation est donc extrêmement variable, les moyens et organisations des fédérations sont très inégaux et disparates.
Sur ce point de la publication des rémunérations les plus importantes, j'évoquerai la loi de transformation de la fonction publique de 2019 qui prévoit la publication de la somme des dix rémunérations les plus élevées de chacune des entités concernées, collectivités et administrations, afin de préserver l'anonymat. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a rappelé, à l'occasion des lois relatives à la transparence de la vie publique en 2013, les limites à la publication de certains éléments liés aux déclarations d'intérêts et d'activités, qui ne doit pas porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
Qu'en est-il des dirigeants de fédération qui exercent des fonctions électives et non des fonctions publiques administratives ? Cette question mérite un examen en soi. De façon générale, nous étions surtout attachés à la prise en charge, par le mouvement sportif lui-même, de cette question de gouvernance éthique et de déontologie, que nous devons encourager. Rappelons qu'une loi de 2017 a prévu que toutes les fédérations délégataires se dotent d'un comité d'éthique et de déontologie. Or, selon le rapport sur la nouvelle gouvernance du sport rédigé en 2018 par Patrick Bayeux et Laurence Lefèvre, seulement un cinquième des fédérations avait mis en place un tel comité à cette date. Ainsi, il y a certes la question des rémunérations, mais aussi bien d'autres questions que les fédérations doivent prendre en compte pour améliorer leur gouvernance.
Pour répondre à votre question plus technique de la soumission des fédérations au code des marchés publics, je me permets de rentrer dans une mécanique juridique. Nous touchons le sujet du pouvoir adjudicateur qui relève du droit européen. L'article L 1211-1 du code de la commande publique stipule en effet que si un organisme reçoit moins de 50 % de son financement de la part de l'État ou des collectivités territoriales et si ses membres ne sont pas nommés pour plus de la moitié d'entre eux par un pouvoir adjudicateur comme l'État, il reste deux conditions à remplir pour que cet organisme puisse être considéré comme un pouvoir adjudicateur. La première condition concerne son objet, qui doit satisfaire spécifiquement les besoins de l'intérêt général et donc avoir un caractère autre qu'industriel ou commercial. Il s'agit d'une condition difficile à cerner, qui a fait l'objet de nombreuses jurisprudences et qui renvoie à la diversité de situation des fédérations, qui sont d'abord des personnes morales de droit privé, relevant de la loi de 1901.
Le deuxième critère est celui du contrôle de gestion. Pour que les fédérations soient reconnues comme des pouvoirs adjudicateurs, il conviendrait que leur gestion soit soumise à un contrôle par le pouvoir adjudicateur principal, en l'espèce par l'État. En découle la question de la tutelle et du degré de dépendance entre le pouvoir adjudicateur et l'organisme. Et cette notion est, là encore, difficile à apprécier dans la mesure où nous tombons dans ce que nous appelons « les faux-semblants de la tutelle de l'État ». Le code du sport affirme que l'État exerce la tutelle des fédérations sportives, mais il rappelle aussi l'indépendance des fédérations sportives, personnes morales de droit privé. Néanmoins, on trouve des éléments d'un contrôle de gestion à l'annexe 1-5 de l'article R 131-3 du code qui cite les dispositions obligatoires devant figurer dans les statuts des fédérations. On retrouve la nécessité d'envoyer chaque année au ministère des sports des rapports financiers de gestion. Par ailleurs, la loi affirme la possibilité pour l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche, de contrôler les fédérations agréées. Ainsi, il existe des éléments de contrôle de gestion. Pour autant faut-il asséner que toutes les fédérations devraient être regardées comme des pouvoirs adjudicateurs ? La question est compliquée. D'ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne considère que le contrôle a posteriori ne suffit pas nécessairement. Il faut d'autres conditions, comme un réel examen de gestion de la part du pouvoir adjudicateur principal, et le pouvoir d'influencer les décisions de l'organisme considéré.
Ainsi, comme le précisait Mme la présidente, on ne peut formuler de conclusion générale sur cette question ; la qualification de pouvoir adjudicateur résulte nécessairement d'une analyse au cas par cas.
Mme Martine de Boisdeffre. - J'ajoute deux points. Sur l'aspect rémunération, nous sommes dans une logique de responsabilisation des fédérations sportives, à l'initiative du mouvement sportif, du CNOSF. Cette logique nous semble plus efficace que celle reposant sur la contrainte. Le deuxième point à cet égard est qu'il existe, comme vous le savez, une obligation pour les présidents de fédérations de transmettre une déclaration d'intérêts, une déclaration patrimoniale, auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. De ce fait, des éléments existent effectivement.
Par ailleurs, concernant le pouvoir adjudicateur, vous voyez que le sujet est très subtil et complexe. Vous comprendrez que nous ne pouvons y répondre de façon ferme. Comme l'a suggéré Frédéric Pacoud, nous pourrons vous envoyer des textes de référence.
Je souhaite alors évoquer la première question qui nous a été adressée, celle de la nécessité de demander aux fédérations de formaliser un règlement financier. Je tiens à rappeler à cet égard, comme mentionné à la page 145 de notre étude, que le point 5-3 de l'annexe 1-5 de l'article R 131-3 concernant les aspects de surveillance, indique la possible communication, sur réquisition du ministère, à tout fonctionnaire des documents administratifs, des pièces de comptabilité dont le règlement financier. Par ailleurs, est prévue l'obligation d'envoyer tous les ans au ministère le rapport de gestion. Ce rapport financier est donc d'ores et déjà prévu pour les fédérations agréées. Il me paraît important de souligner l'existence de cette disposition. Peut-être faudrait-il qu'elle soit plus utilisée dans le cadre du contrôle que peut exercer le ministère, à travers la direction des sports et l'inspection générale.
M. Jean-Jacques Lozach, président. - J'ajoute une question dans la continuité de ce sujet des politiques publiques. Avez-vous le sentiment que l'État devrait être plus exigeant, voire intrusif dans le contrôle du fonctionnement interne des fédérations ? Vous avez évoqué la dimension éthique et déontologique, or nombreux sont les présidents de fédérations qui témoignent que ces critères servant de référence à ce qui relie les fédérations à l'État, c'est-à-dire les conventions d'objectifs, ne concernent que l'évolution du nombre de licenciés ou les résultats. Ne faut-il pas aller plus loin, en diversifiant ces paramètres et en intégrant des critères de déontologie ? Le dernier point que je souhaite vous soumettre concerne ce cadre nouveau apporté par la création de l'Agence nationale du sport (ANS). Dans ce contexte, pensez-vous que certaines missions ou fonctions assumées jusque-là par les fédérations pourraient être supprimées ? D'autres pourraient-elles être renforcées ? Ou encore créées ? Je pense là notamment à une fonction de recherche de financement ou de mécénat d'entreprise. Selon votre étude, des évolutions méritent-elles d'être abordées ?
Mme Martine de Boisdeffre. - Pour répondre au premier point, c'est en effet un des axes que nous proposons. Nous considérons que les conventions liant l'agence et les fédérations doivent introduire des critères liés à la déontologie, à la gouvernance, à l'éthique, en plus des critères quantitatifs.
Par ailleurs, il nous semble primordial, si l'on souhaite responsabiliser les fédérations, de pouvoir vérifier que cette responsabilisation soit bien prise en compte et bien prise en main par les fédérations. Aujourd'hui, l'État, à travers le ministre des sports, doit être plus attentif au respect de ces obligations, mais en aucun cas intrusif. Nous l'avons écrit, cet aspect déontologique et éthique doit être une part entière de l'héritage des Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024. Les fédérations doivent prendre cela en main sur la base d'éléments qui seront élaborés sur des orientations claires et communément partagées par le mouvement sportif. En contrepartie, l'État doit vérifier que ces directives sont bien appliquées et que la gestion et la gouvernance sont en conformité avec ces grandes orientations. Notre étude va complètement dans ce sens. Je suis donc tout à fait d'accord.
M. Frédéric Pacoud. - Je me permets de revenir sur le premier point. Vous avez évoqué, monsieur le président, ce contexte nouveau de la création de l'ANS qui rejaillit sur les deux questions. Il en résulte que l'agence donne aux fédérations agréées les fonds qui doivent ensuite être redistribués aux clubs, en application du projet sportif fédéral. Les fédérations se retrouvent dotées d'une mission de redistribution de l'argent public, pour un total de 40?millions d'euros. Il paraît donc essentiel que cette responsabilisation soit vraiment affirmée, soutenue, portée par l'État dans sa mission de tutelle même si celle-ci n'est pas précisée dans les textes. Nous pensons qu'il est possible d'envisager une forme de conditionnalité des conventions de performance passées par l'agence avec les fédérations. En Angleterre, un code de gouvernance du sport a été édité, que les fédérations doivent respecter pour bénéficier des subventions de l'agence UK Sport. Nous pensons à ce type de dispositif par lequel on redonnerait du sens aux outils partenariaux de l'État. Concernant les paramètres et critères, il nous semble indispensable de les diversifier et de donner un sens à ces relations contractuelles que le mouvement sportif appelle de ses voeux dans cette logique d'autonomisation.
Concernant le second point, celui des sources de financement, cette même logique s'applique. Elle renvoie à la question cruciale de la solidarité entre le sport professionnel et le sport amateur, et à la question de l'argent dans le sport. On a pu constater, depuis trois mois, une grande fragilité du système, puisque les ressources s'appuient en grande partie sur des droits de rediffusion, sur du sponsoring... Nous en venons donc à d'autres propositions structurelles qui consistent à armer les fédérations et les clubs en matière de formation. Par ce biais, les fédérations et les clubs pourraient acquérir la capacité de développer des fonctions commerciales, et ainsi ne pas laisser des opérateurs indépendants moins soucieux des questions de service public occuper le terrain. Je souligne l'exemple de la fédération française de canoë-kayak, qui a développé une offre de services, pour ses clubs ainsi que pour les collectivités, d'ingénierie pour la mise en place de structures de pratiques sportives. Cet exemple renvoie à la question de la mutualisation des moyens. La France compte un grand nombre de fédérations sportives et eu égard à la liberté d'association nous ne proposons pas d'en limiter le nombre. Nous suggérons donc de tendre vers une mutualisation des moyens, notamment au sein des petites fédérations, pour partager l'ingénierie, la gestion. Par ailleurs, la direction des sports pourrait développer ses missions d'évaluation et d'orientation stratégique en soutien aux fédérations qui doivent s'inscrire dans un milieu concurrentiel.
Mme Martine de Boisdeffre. - Nous évoquons notamment l'intérêt du statut de société coopérative d'intérêt collectif qui a, notamment, été très étudié dans un avis du Conseil économique, social et environnemental du 9 juillet 2019 et dont Bernard Amsalem était rapporteur. Ce statut pourrait être utile aux fédérations car il leur permet d'impliquer les différents acteurs et de développer des activités marchandes.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Nous auditionnons beaucoup de monde depuis que cette mission nous a été confiée. Je tenais à vous dire que, de mon point de vue, votre audition est la plus claire sur ce sujet. Elle est extrêmement sérieuse. Deux points me frappent tout particulièrement. D'abord votre extrême prudence. Aucune de vos propositions et remarques ne tombe sous le coup d'une vindicte populaire. Certaines fédérations puissantes sont en ce moment stigmatisées, caricaturées, sans toujours mettre en avant ce qu'elles apportent aux clubs et au sport amateur. À l'inverse, vos propos sont modérés et sérieux, je m'en réjouis. Vous avez évoqué un sujet éminemment important : chaque fédération est unique et il est impossible de les comparer. Ainsi, la question du statut est une notion primordiale. Par ailleurs, la question de l'argent public, aux yeux d'un élu local ou d'un conseiller d'État, est aussi très importante. Mais je tiens à la relativiser eu égard à la participation minime de l'État dans le sport. Les fédérations sont indépendantes. Être intrusif me paraîtrait très risqué car l'État n'a pas les moyens de l'être, ou alors il devrait intervenir à la hauteur de son niveau d'exigence.
Il est impossible de défendre une cause générale pour toutes les fédérations, car elles sont très différentes les unes des autres.
Mme Martine de Boisdeffre. - Je me permets de réagir à vos propos. Comme je l'ai souligné, l'État doit être attentif mais surtout pas intrusif. Il doit l'être dans un certain nombre de domaines comme la déontologie, la prévention de la corruption ou de certains phénomènes dont malheureusement le sport est victime. Le sport est une vitrine à la fois de ce qu'on peut faire de mieux dans une société et des aspects plus pathologiques de celle-ci. L'État a pour mission de vérifier le respect des orientations et des règles mises en place en matière de gouvernance, au service du bien commun et de l'intérêt général.
Je tiens à le souligner, vous l'avez dit, les fédérations sont très dissemblables. Des rapprochements sont possibles, tout comme une mutualisation de moyens pour faire face à telle ou telle responsabilité.
Enfin, comme nous l'avions mentionné dans l'avis consultatif que nous avions rendu au sujet de la création de l'ANS, celle-ci doit avoir pour objet de décliner une politique nationale du sport avec tous les acteurs, dont les collectivités territoriales, principal financeur du sport, et les acteurs économiques. Cela nous a paru un objectif souhaitable, de grande valeur. Nous avons insisté sur ce point dans notre avis sur le projet, au niveau de l'étude car nous ne réussirons à faire que le sport devienne l'affaire de tous que si les acteurs à tous les niveaux territoriaux débattent ensemble, construisent ensemble une politique en matière d'équipement, d'accès au sport, d'accompagnement de ces pratiques individuelles, pour jouer son rôle de curation, de prévention en matière de santé.
M. Alain Fouché, rapporteur. - Vous avez été précise, prudente, claire. Je salue votre travail remarquable qui, pour nous, est très intéressant. Je vous remercie beaucoup de toutes ces précisions très utiles. J'ai bien noté la volonté d'une vraie démocratie et d'un vote.
Mme Martine de Boisdeffre. - Merci, nous sommes très touchés par vos paroles, et nous vous souhaitons une bonne continuation de vos travaux.
M. Jean-Jacques Lozach, président. - Merci pour votre intervention.
La réunion est close à 16 heures 20.