Jeudi 18 juin 2020
- Présidence de M. Michel Magras, président -
Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du Covid-19 - Table ronde sur les données statistiques et perspectives économiques
M. Michel Magras, président. - Face à la gravité des conséquences économiques de la crise sanitaire, la délégation sénatoriale aux outre-mer a décidé de se saisir de ce sujet pour apporter son éclairage sur la situation des outre-mer et faire des propositions. Trop souvent, des dispositions prises à l'échelon national se sont révélées insuffisamment adaptées, voire complètement inadaptées, aux particularités des outre-mer dans leur diversité.
La délégation a en outre souhaité s'inscrire dans une perspective de redémarrage et de résilience des territoires.
Avec nos trois rapporteurs, Stéphane Artano, Viviane Artigalas et Nassimah Dindar, nous avons procédé à une première série d'auditions transversales qui nous ont permis d'avoir un large panorama des défis à relever. Nous avons ainsi entendu la Fédération des entreprises des outre-mer (FEDOM), l'Association des chambres de commerce et d'industrie des outre-mer (ACCIOM) et quatre institutions financières très investies dans les outre-mer : l'Agence française de développement (AFD), la Caisse des dépôts et consignations-Banque des territoires, Bpifrance et l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE).
Après l'audition de Mme la ministre des outre-mer, le 14 mai dernier, un premier point d'étape a été dressé par nos rapporteurs et transmis au Premier ministre.
Nous avons lancé dans la foulée une nouvelle série d'auditions axées sur des thématiques sectorielles : le transport aérien, le BTP, le logement social, l'agriculture, la pêche, le numérique et, la semaine prochaine, le tourisme.
Nous vous remercions, madame le président, messieurs les directeurs, d'avoir répondu à notre invitation pour cette table ronde sur le thème des données statistiques et des perspectives économiques.
Cette question est apparue à plusieurs reprises lors de nos travaux, certains de nos interlocuteurs regrettant de ne pouvoir disposer de données actualisées concernant leurs territoires. C'est un handicap pour les acteurs économiques, les décideurs publics et vis-à-vis des autorités européennes, qui subordonnent généralement le maintien de leurs aides à des bilans chiffrés.
La situation des territoires ultramarins est hétérogène en matière de données disponibles. L'absence de données actualisées pour certains territoires, l'accès à des indicateurs en nombre limité ou calculés différemment pour d'autres territoires sont un handicap. Un rattrapage est donc essentiel pour améliorer les facteurs de reprise et de réussite pour les économies ultramarines. Nous pensons que la crise actuelle doit être une opportunité d'améliorer les choses.
Vous nous direz quelles améliorations attendre de ce côté-là et les perspectives que vous discernez avec les instruments dont vous disposez.
Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Nous avons de nombreuses questions à adresser aux économistes sur la portée de cette crise inédite. Quelles sont les conséquences du confinement sur les économies ultramarines : recul global de l'activité, secteurs les plus touchés, conséquences sur l'emploi ? Quelle est l'ampleur du ralentissement par rapport à l'année 2019 ? Quels sont les territoires les plus touchés ?
De quelles données disposez-vous sur le déploiement des mesures d'urgence dans les territoires d'outre-mer : recours au chômage partiel, nombre de prêts garantis par l'État octroyés, aides du fonds de solidarité versées ? Disposez-vous de tableaux de bord par collectivité ? Le cas échéant, quelles difficultés rencontrez-vous dans votre travail statistique ?
La place importante du secteur public en outre-mer a-t-elle permis d'atténuer les effets de la crise ? A contrario, la forte dépendance aux échanges extérieurs ainsi que l'importante proportion de TPE en outre-mer, plus vulnérables aux chocs conjoncturels, ont-ils été des facteurs aggravants ?
Quelles sont les perspectives économiques sur l'exercice 2020 et à moyen terme ? Jusqu'à quand les effets de la crise devraient-ils se faire ressentir ? Quels sont les chiffres actuels du chômage en outre-mer et quelle projection peut-on faire pour les mois à venir ?
Selon vous, sur quels leviers faut-il baser la reprise économique : soutien à la consommation des ménages, baisse significative des prélèvements obligatoires, réinjection dans le circuit économique de l'épargne accumulée lors du confinement... ? Pouvez-vous faire un état des lieux du secteur du tourisme ? Dans quelle mesure les investissements publics pourraient-ils constituer un levier de croissance dans les outre-mer ?
Quel pourrait être le modèle économique des outre-mer de demain ? Pour chaque territoire ultramarin, quels sont les axes de développement économique prioritaires ? Comment progresser encore dans l'éradication de la vie chère, dans la résorption des inégalités et dans l'amélioration des gains de productivité ? Quelle place pour l'économie verte et la transition énergétique dans les territoires d'outre-mer ?
Mme Marie-Anne Poussin-Delmas, président de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directeur général de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM). - Ma présentation s'appuiera sur la conférence de presse annuelle de conjoncture de l'IEDOM-IEOM du 14 mai 2020 sur la situation des outre-mer en 2019 et les perspectives pour 2020.
Quelle était la situation des outre-mer avant la crise du Covid-19 ? Si l'année 2019 a été relativement favorable, la crise sanitaire pourrait compromettre le rattrapage constaté et accentuer les fragilités structurelles de ces territoires. D'ailleurs, au regard des premières analyses d'impact, les perspectives pour 2020 paraissent très dégradées.
Quels ont été les mécanismes de propagation économique de la crise sanitaire ? Le confinement, qui a commencé au début de l'année 2020 pour les premiers pays touchés, a provoqué un choc sur l'offre externe, c'est-à-dire une baisse des approvisionnements dans les entreprises françaises et une baisse de la production, qui s'est inévitablement traduit par un choc sur l'offre interne, que la propagation de l'épidémie en France a aggravé. La mise à l'arrêt forcée des salariés qui s'est ensuivie a eu une incidence sur la fourniture de biens et de services ainsi que sur la demande intérieure. Un choc sur la demande en a découlé. Certains secteurs ont connu une mise à l'arrêt quasi complète.
Le bilan est assez lourd et il est envisagé, pour la France entière - en l'absence de seconde vague -, un recul du PIB annuel de plus de 10 %, avec une reprise de 7 % en 2021 et de 4 % en 2022. Les effets de la crise du Covid-19 ne seraient donc résorbés qu'à la fin 2022. Le pic du chômage devrait se situer aux alentours de 2021, avec un niveau annoncé à 11,5 %.
Dans ce cadre général, comment se situent les outre-mer ?
Avant de répondre à cette question, je dresserai un panorama de la situation de 2019, année où la conjoncture a été plutôt favorable - on ne dit pas assez souvent ce qui va bien en outre-mer. Trois indicateurs en attestent.
Premièrement, l'évolution du PIB par habitant a été supérieure à celle qui a été constatée en métropole dans les trois bassins (océan Atlantique, océan Indien, océan Pacifique), même si le rythme est moins important qu'avant la crise de 2008. Il faut noter deux exceptions : la Polynésie française, qui a beaucoup souffert de la crise de 2008 dont l'effet sur le long terme se fait toujours ressentir, et la Guyane, qui a connu un décrochage à partir de 2014 ; dans ce territoire, le rattrapage économique ne commence à se faire sentir qu'avec le plan d'urgence qui a été décidé et mis en oeuvre.
Deuxièmement, l'emploi a connu une amélioration sensible. Le nombre de demandeurs d'emploi est en recul sur l'ensemble du bassin Antilles-Guyane comme à la Réunion. Dans les collectivités du Pacifique, l'emploi salarié privé progresse.
Troisièmement, l'indice des prix à la consommation a augmenté moins fortement qu'en métropole : + 0,7 % contre + 1,2 %. Cela tient essentiellement au prix des produits manufacturés.
La crise du Covid-19 pourrait accentuer les fragilités structurelles des outre-mer - tissu entrepreneurial, rentabilité, délais de paiement, importations - et compromettre ce rattrapage en 2020.
D'abord, le tissu entrepreneurial, qui est composé à plus de 95 % de TPE, est beaucoup plus sensible aux chocs conjoncturels.
Ensuite, ces entreprises connaissent des taux de rentabilité parfois très faibles dans les secteurs de la construction, des transports et des services marchands.
Par ailleurs, les délais de paiement sont plus importants et plus dégradés qu'en métropole, ce que nous soulignons chaque année dans notre rapport. En 2018, les délais clients s'établissaient à 62,2 jours, légèrement meilleurs qu'en 2017, mais bien supérieurs à ceux de l'Hexagone, de 44 jours ; les délais fournisseurs s'établissaient quant à eux à 72,6 jours, contre 51 jours pour l'Hexagone. Le solde commercial s'établit à 15,4 %, contre 11,5 % pour l'Hexagone. Tout cela fragilise les trésoreries des entreprises. Nous savons que la crise du Covid-19 aura un impact négatif sur les recettes des collectivités locales et pouvons donc imaginer que les délais de paiement, qui sont encore plus importants dans le secteur public local et hospitalier, s'accentueront. Cela aura un impact sur le secteur de la construction, très souvent dépendant du secteur public local et hospitalier.
Enfin, la dépendance des outre-mer à la métropole pour ce qui concerne les importations et la faible intégration régionale risquent de s'accentuer. Malgré les efforts engagés, la part du commerce régional dans le total des importations baisse dans toutes les géographies, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, dont l'intégration régionale est significativement plus forte.
Sans surprise, au regard des premières analyses d'impact, les perspectives pour 2020 sont dégradées.
Premièrement, on observe un plongeon très net de l'indicateur de climat des affaires, bien plus marqué que ce que l'on a observé lors de crises sociales comme celles des gilets jaunes ou de 2008. Cet indicateur trimestriel qui mesure la confiance des chefs d'entreprise dans l'avenir et dans leur activité s'est toujours révélé assez bien corrélé à la progression du PIB enregistrée par la suite.
Deuxièmement, les pertes instantanées d'activité consécutives à la crise sanitaire sont estimées à 33 % pour l'Hexagone, 44 % en Nouvelle-Calédonie, 34 % en Polynésie et 30 % pour l'ensemble des géographies. C'est considérable et sans précédent.
Troisièmement, l'impact de la crise en termes d'emploi concernera d'abord le tourisme, l'hébergement, la restauration et le transport, dont la part dans l'économie outre-mer est supérieure à celle de l'Hexagone. Dans ces secteurs, la reprise sera longue.
Le secteur de la construction, qui pèse également plus lourd outre-mer que dans l'Hexagone, sera également touché. La reprise risque en outre d'être entravée par des perturbations des sources d'approvisionnement.
Pour le secteur du commerce, dont le poids est là encore supérieur à ce qu'il représente dans l'Hexagone, la reprise pourrait être plus rapide.
La part du secteur public outre-mer, plus importante que dans l'Hexagone, peut servir d'amortisseur et jouer un rôle favorable sur l'emploi.
Quatrièmement, les effets impayés ont connu une hausse spectaculaire au mois de mars. Les chiffres du mois de mai sont rassurants : le montant des effets impayés est revenu à des niveaux meilleurs que ceux de mai 2019.
J'évoquerai maintenant le secteur du tourisme qui est essentiel. La reprise sera probablement plus rapide dans les départements et collectivités d'outre-mer de la zone euro que dans les collectivités du Pacifique, car la part du tourisme affinitaire y est beaucoup plus importante, entre 69 % et 80 % en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. La reprise est toutefois plus que compromise en Guyane, compte tenu de la situation sanitaire. Elle sera de toute évidence plus lente dans les collectivités du Pacifique, beaucoup plus dépendantes du tourisme international.
Le trafic aérien est un autre indicateur. Il s'est contracté de 50 % en mars 2020 par rapport à mars 2019. La baisse des flux entre la métropole et l'outre-mer est moindre en raison du maintien des vacations au titre de la continuité territoriale.
Dans l'ensemble, l'impact de la crise sanitaire sur l'outre-mer devrait être du même ordre que dans l'Hexagone. Le PIB annuel pour 2020 devrait régresser de 10 %, voire un peu plus, avec des différences selon les territoires. Cette régression risque d'être plus forte dans les territoires où le tourisme occupe une place plus centrale, comme en Polynésie française, où la régression pourrait être de 15 % à 18 %, ou en Guadeloupe.
La régression du PIB pourrait être plus forte dans les territoires où le confinement est prolongé, en Guyane et à Mayotte, moins forte en Nouvelle-Calédonie, où le confinement n'a duré qu'un petit mois. Le tissu industriel y est en outre plus diversifié et développé et le tourisme y occupe une place plus réduite.
De nombreuses incertitudes demeurent bien sûr. Ce scénario devra être actualisé en fonction de l'ampleur et de la rapidité du rebond et de l'impact, lequel devrait être décisif, des mesures prises pour l'Hexagone et déployées en outre-mer. Je pense notamment au plan de soutien massif de l'État aux entreprises et à l'action des collectivités, qui doivent permettre un redémarrage de l'offre. Je pense aux mesures de chômage partiel et à celles en faveur des ménages, qui doivent redonner de la confiance et faire redémarrer la demande. Je pense également à l'action de la Banque centrale européenne, qui a accentué sa politique accommodante au profit des banques de la zone euro, actives dans les départements et collectivités d'outre-mer de la zone euro.
J'évoquerai maintenant l'action conduite par les instituts d'émission d'outre-mer auprès des banques, des entreprises et des particuliers.
Pour les banques, nous sommes intervenus au titre de la politique monétaire de l'IEOM dans les collectivités du Pacifique, nous avons assuré la circulation du fiduciaire pendant toute la période du confinement, qu'il s'agisse des prélèvements ou des versements. En revanche, nous avons dû, pour des raisons sanitaires, suspendre le tri, ce qui nous a obligés à faire des approvisionnements fiduciaires pendant le confinement. À cet égard, je remercie le ministère des outre-mer, qui, dans le cadre d'une délégation de service public, nous a aidés à organiser ces approvisionnements, dans des conditions parfois délicates.
Pour les entreprises, nous avons assuré le suivi des prêts garantis par l'État (PGE), grâce à l'action de nos correspondants TPE, et la médiation du crédit. Pour les particuliers, nous avons étendu les possibilités d'effectuer les démarches en ligne. Nous avons également conduit un certain nombre d'études économiques destinées à éclairer les acteurs.
L'IEOM a mis en place des mesures de soutien au secteur
bancaire des collectivités du Pacifique. Jusqu'à présent,
nous utilisions un instrument unique, le réescompte de crédit,
que nous déployions à hauteur de 12 milliards de francs
Pacifique en moyenne. En décembre, à la suite des accords de
Nouméa, nous avons ouvert pour la première fois une ligne de
refinancement à six mois, à hauteur de 11,5 milliards, au
taux de 0,20 %. Compte tenu de la crise, nous avons augmenté ces
lignes de refinancement en mars à hauteur de 18 milliards. Nous
sommes allés encore plus loin en déployant en mai une ligne de
refinancement à 24 mois, à hauteur de 50 milliards,
avec des taux négatifs oscillant entre
- 0,10 et
- 0,30 %. Il s'agit d'inciter les banques à soutenir les
économies du Pacifique, à maintenir, voire à faire
progresser leur encours de crédit aux entreprises.
Parallèlement, nous avons étendu nos garanties, jusque-là centrées exclusivement sur les créances aux entreprises, aux créances immobilières privées résidentielles. Cette semaine, nous renouvelons une ligne de refinancement à douze mois, à hauteur de 25 milliards. Au total, on est passé d'une moyenne de 10 milliards de francs Pacifique d'intervention en décembre 2019 à plus de 100 milliards. Dans le sillage de la Banque centrale européenne, l'IEOM, la banque centrale de la zone Pacifique, a aussi été présente pour soutenir les banques des géographies ultra-marines.
Dans le domaine des prêts garantis par l'État, l'action des instituts a été double. Nous avons tout d'abord suivi la mise en place des PGE dans les départements et les collectivités d'outre-mer de la zone euro en organisant régulièrement des réunions de banquiers. Deux réunions ont été organisées en mai, à la demande du ministère des outre-mer, afin de vérifier que tout était en place pour la diffusion des PGE et que les montants accordés étaient conformes au poids des outre-mer dans l'économie française.
Notre action a ensuite consisté à adapter les PGE aux collectivités du Pacifique, car Bpifrance n'était pas en mesure de le faire - d'une part parce que les entreprises de cette zone disposent non pas d'un numéro Siren mais d'un numéro Tahiti ou d'un numéro Ridet, d'autre part parce que les prêts sont exprimés en XPF. Nous avons donc travaillé avec Bpifrance, avec le ministère des outre-mer et la direction générale du travail et sommes rapidement parvenus à attribuer des numéros Siren dérogés aux entreprises du Pacifique qui souhaitaient bénéficier d'un PGE et à nous organiser pour le reporting de ces prêts.
Au 5 juin, les outre-mer, départements et collectivités d'outre-mer confondus, représentait 2,4 % des bénéficiaires de PGE et 2,3 % des montants accordés, sachant qu'ils comptent pour 2,4 % du PIB de la France entière. L'aide apportée aux entreprises ultra-marines dans le contexte de la crise du Covid-19 est donc proportionnelle au poids des outre-mer dans l'économie française.
Dans toutes nos agences, un correspondant TPE est à la disposition des dirigeants des entreprises. Durant la crise, nous avons été sollicités par 161 dirigeants en deux mois, ce qui est bien plus que d'habitude.
Nous effectuons également dans toutes nos agences de la médiation du crédit. Durant la crise, cette médiation a été principalement orientée vers les entreprises n'ayant pu, pour diverses raisons, bénéficier de PGE. Nous avons été sollicités par 234 entreprises en un mois et demi. C'est beaucoup, mais la courbe s'aplatit, car les entreprises trouvent des réponses grâce aux PGE et au fonds de solidarité. On s'attendait à un nombre de saisines beaucoup plus élevé. Cela signifie que les entreprises arrivent à trouver des réponses auprès de leurs banques ou des apporteurs de capitaux.
Pour les particuliers, nous suivons de très près l'inclusion bancaire, c'est-à-dire le droit au compte, les dispositifs de traitement du surendettement et l'infobanque. Nos guichets étaient fermés pendant la pandémie, mais les services en ligne ont été sollicités : le nombre de demandes est passé de 416 en janvier à 487 en avril. Les commissions de surendettement se sont bien tenues, en visio-conférence. Aujourd'hui, nos guichets sont rouverts, de façon plus limitée que par le passé, mais nous incitons les usagers à déposer leur dossier de surendettement sur internet.
Pour conclure, je vous invite à vous reporter aux différentes études locales qui ont déjà été publiées. Les liens pour y accéder figurent en dernière page de ma présentation.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie Madame le président pour cet exposé très clair et très précis.
Vous l'avez rappelé, l'économie des outre-mer a été mise à l'arrêt. Je pense malheureusement que la relance y sera bien plus difficile qu'en métropole.
Vous avez évoqué les délais de paiement, qui constituent en effet un véritable problème, mais ce sujet est une arlésienne.
Vous avez par ailleurs signalé la forte dépendance des outre-mer vis-à-vis de la métropole et leur faible intégration dans le milieu régional. Les outre-mer devront à l'avenir avoir une économie plus intégrée.
La plupart des territoires ultramarins sont des îles ; certaines vivent du tourisme international. Tant que le trafic aérien n'aura pas repris, le tourisme sera donc à l'arrêt. Selon un professeur de droit, l'État était de toute évidence seul compétent pour décider du confinement des populations, mais les territoires étaient l'échelon le plus pertinent pour décider du déconfinement.
Le statut des territoires du Pacifique a été un motif d'inquiétude pour les élus. Unanimement, ils souhaitent faire entendre à l'État que l'autonomie d'un territoire ne signifie pas la rupture avec la Nation. La solidarité nationale est un bien commun, je suis content qu'elle ait pu s'exercer dans les territoires du Pacifique, qui, du fait de leur statut, n'étaient pas éligibles à certains dispositifs mis en place par l'État.
M. Bertrand Savoye, chargé de programmes de recherches au département diagnostics économiques et politiques publiques de l'Agence française de développement (AFD). - J'évoquerai tout d'abord le bilan du confinement. L'Agence française de développement finance actuellement des enquêtes à La Réunion et à Mayotte sur la perception des effets sociaux de la crise sanitaire. De telles enquêtes sont réalisées en métropole depuis plusieurs mois. Elles ont notamment alimenté le Conseil scientifique, au sein duquel siégeait un sociologue. Elles ont permis de juger de l'acceptation des mesures de distanciation, des politiques publiques, d'évaluer l'évolution de l'opinion. Nous étendons nos enquêtes à La Réunion et à Mayotte afin de ne pas avoir uniquement des références métropolitaines.
La première série d'enquêtes a lieu en ce moment, les résultats devraient être disponibles d'ici à la fin du mois. Une deuxième série sera réalisée en septembre pour mesurer les évolutions de l'opinion.
L'impact du premier mois de confinement a été légèrement inférieur dans les économies d'outre-mer, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie. Cela s'explique pour l'essentiel par le poids du secteur public dans ces territoires, supérieur à ce qu'il est en métropole. Nous avons l'impression - mais cela reste à vérifier une fois connues les données du deuxième trimestre - que l'impact porte sur un champ productif plus restreint, le secteur non marchand étant plus important dans les territoires d'outre-mer, mais que l'incidence de la crise est plus forte sur certaines activités marchandes particulièrement exposées que sur les mêmes activités en métropole. C'est lié à la nature du tissu d'entreprises, mais aussi, de manière plus générale, à l'ultra-périphéricité et à ses contraintes.
À court terme, la baisse d'activité devrait être de l'ordre de 30 %, contre 34 % pour l'ensemble de la métropole. L'INSEE a publié une étude intéressante début mai sur l'ensemble des régions françaises : on voyait très clairement que les départements d'outre-mer étaient moins impactés que les régions de la métropole.
On peut en revanche être plus inquiet sur la relance et les perspectives à court et à moyen termes. Nous n'avons pas encore fait de simulations sur l'année 2020 et au-delà. Nous aurons cet automne une vision plus fiable de l'ampleur de l'impact de la crise sur l'ensemble de l'année. Pour l'instant, les travaux réalisés reposent sur des enquêtes menées au tout début du confinement, fin mars et début avril. Nous publierons à l'automne une étude sur l'impact de la crise sur l'ensemble des territoires d'outre-mer, pour le comparer à celui qui est observé en métropole, voire, si l'on obtient des données, sur d'autres territoires - je pense aux régions ultrapériphériques espagnoles et portugaises -, pour voir si des spécificités se dégagent.
L'incidence du choc sectoriel nous semble plus prononcée, mais elle porte également sur un champ productif plus restreint.
L'AFD finance également une étude sur la perspective d'une relance à la fois décarbonée et socialement juste, confiée au cabinet Carbone 4, dirigé par Jean-Marc Jancovici. Le travail a commencé depuis plus d'un mois sur cinq sites : La Réunion, Mayotte, Guadeloupe, Guyane et Nouvelle-Calédonie. Les premières recommandations sont attendues d'ici l'été. Seront notamment débattus l'évolution des dispositifs de défiscalisation, la mise en place d'un livret d'épargne populaire 5.0, les investissements à prévoir sur un horizon de trente ans, les réglementations, les mesures transverses et les contreparties « bas carbone » à exiger des entités bénéficiant du soutien de l'État.
Une autre étude d'envergure porte sur la dynamique du modèle de croissance à long terme des outre-mer, sujet déjà abordé lors de notre conférence CEROM (Comptes économiques rapides pour l'outre-mer) fin 2019.
La problématique de la convergence des outre-mer et de la métropole a pour l'instant été abordée essentiellement en termes de PIB par habitant. Depuis les années 1960, on constate un grand rattrapage sur cet indicateur. La moitié du chemin a été parcourue, mais un écart de 35 % subsiste encore entre les DOM et la métropole. Cet objectif a-t-il toutefois du sens ? Au cours des vingt dernières années, les travaux d'économie ont montré, pour les régions métropolitaines, une réelle déconnexion entre l'évolution du PIB par habitant et celle du revenu disponible brut des ménages. Paradoxalement, les régions où le PIB par tête a augmenté le plus vite sont aussi celles où le revenu brut disponible par habitant a progressé le plus lentement. Cette déconnexion est particulièrement notable pour l'Île-de-France, par exemple. Il faut prendre en compte l'effet des transferts sociaux, mais aussi de « l'économie résidentielle », avec un découplage croissant des lieux de résidence et des lieux d'activité professionnelle. Les revenus générés par la production ne sont pas forcément consommés sur le lieu même de cette production.
Pour les outre-mer, il me semble donc essentiel de s'intéresser, non seulement au PIB, mais aussi à l'évolution à long terme du revenu disponible brut par habitant, en intégrant bien évidemment la question des transferts de la métropole. Finalement, quel couple transferts publics-gains de productivité permettrait-il de contribuer à cette convergence des revenus disponibles bruts ?
D'ores et déjà, la convergence est nettement plus marquée en termes de revenu disponible brut qu'en termes de PIB par habitant, la Martinique ayant presque rejoint les Hauts-de-France sur le premier critère.
Au niveau de la productivité, il faut certes considérer les facteurs classiques portant sur le travail et le capital - le gap entre les outre-mer et l'Hexagone est encore important en la matière -, mais aussi des facteurs organisationnels et qualitatifs. Il ne faut pas tant raisonner en volume qu'en qualité de la dépense publique et de l'investissement.
L'AFD a enfin mené un exercice sur les perspectives à moyen terme de la Nouvelle-Calédonie. Les simulations réalisées dans le rapport du cabinet DME nous inspirent certaines inquiétudes. Le choc sur l'année 2020 devrait être légèrement inférieur à celui enregistré en métropole, le confinement intérieur n'ayant duré qu'un mois. On peut imaginer un rebond de la croissance en 2021, mais, à partir de 2022, on ne voit pas bien comment l'économie de l'île pourrait emprunter un sentier de croissance plus dynamique que celui de la quasi-stagnation qu'il connaît depuis cinq ans. Dans ces conditions, on retrouverait le niveau d'activité de 2019 au mieux en 2025 ou 2026, selon des estimations partagées par DME.
M. Michel Magras, président. - À titre personnel, je m'étonne que l'on se réfère toujours, en 2020, à la notion de « convergence ». « Converger » signifie aller vers le même point. Il me semble que les outre-mer, éparpillés à travers le monde, n'ont pas vocation à converger, mais plutôt à mener un destin parallèle, dans lequel l'État doit jouer pleinement son rôle d'accompagnateur.
M. Aurélien Daubaire, directeur régional de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) La Réunion-Mayotte. - La Réunion et Mayotte partent de plus loin en termes économiques et sociaux, et elles ont vécu de fortes tensions fin 2018 avec la crise des gilets jaunes.
Mme Marie-Anne Poussin-Delmas et M. Bertrand Savoye ont cité les travaux fructueux que l'AFD, l'IEDOM et l'INSEE mènent dans le cadre du CEROM. La compréhension même de la crise a demandé aux statisticiens bon nombre d'innovations. Les statistiques conjoncturelles sont généralement trimestrielles ou mensuelles et, pour avoir dès avril les premières estimations de l'impact économique de la crise, nous avons dû nous fonder sur des indicateurs à haute fréquence, moins robustes du point de vue méthodologique.
Après la grande récession de 2008-2009, La Réunion a connu une reprise économique selon un rythme de 3 % par an en moyenne, bien en deçà de la progression de 5 % observée dans les années 2000. L'année 2018 fut mauvaise, en raison de différents facteurs - récolte de canne à sucre, regain d'inflation -, avec seulement 1,7 % de croissance. Les chiffres parus ce matin montrent un petit regain de croissance pour 2019, à 2,2 %. La crise sanitaire est intervenue dans ce contexte, marqué aussi par un taux de chômage de 21 % en 2019 et des tendances préoccupantes sur le marché du travail. Même si l'emploi a rebondi en 2019, la population active est en baisse depuis quatre ou cinq ans. Dans toutes les tranches d'âge, en particulier chez les jeunes, de plus en plus de personnes ont renoncé à chercher effectivement un emploi.
À La Réunion, l'impact moyen de la crise sanitaire, tous secteurs confondus, s'est traduit par une perte sèche instantanée d'activité de 28 %. Quelques indicateurs conjoncturels concrets confirment ce chiffre en termes de valeur ajoutée. L'IEDOM a constaté une baisse de moitié environ des versements de billets, et la consommation d'électricité a également chuté.
Les statistiques douanières sur les importations mensuelles montrent que la chaîne d'approvisionnement n'a pas été totalement rompue. Mais elles confirment une demande bien moins forte de l'industrie et du BTP en mars et avril. La baisse de la consommation des ménages est également attestée, avec une diminution des importations de véhicules automobiles et de vêtements.
Par ailleurs, entre fin décembre 2019 et fin mars 2020, l'emploi a chuté brutalement de 1,3 %, soit 2 000 emplois en moins. Le nombre de demandeurs d'emplois de catégorie A inscrits à Pôle emploi a augmenté de 7 % entre fin février et fin avril, soit 2 500 personnes supplémentaires. Ces mouvements sont plus forts que lors de la récession de 2008-2009.
La notion de chômage n'avait toutefois plus exactement le même sens pendant la période de confinement. Grâce à l'enquête emploi de l'INSEE, nous savons que de plus en plus de personnes, tout en voulant travailler, ne se déclaraient pas en recherche d'emploi, car elles devaient garder leurs enfants ou n'avaient aucun espoir d'embauche. Nous avons aussi constaté que la baisse de l'emploi au mois de mars était essentiellement liée, au moins dans un premier temps, à une diminution de l'intérim et des renouvellements de CDD, des indicateurs qui peuvent rapidement se relever avec la reprise. Toutefois, l'emploi s'ajuste généralement avec retard aux évolutions de l'activité économique. Les pertes pérennes se traduiront par des baisses d'emplois quelques trimestres plus tard. Le consensus estimant que le retour à un niveau d'activité économique normal prendrait au moins deux ans, on peut s'attendre à des impacts très forts sur le marché du travail.
La Réunion avait connu une très forte hausse du tourisme, presque surprenante, en 2018, puis un léger retrait en 2019. Ce secteur s'est évidemment totalement arrêté pendant le confinement.
Concernant Mayotte, on enregistre 18 % d'activité économique instantanée en moins pendant le confinement. Mais, sans doute plus encore que pour La Réunion, ce chiffre est en trompe-l'oeil. Le confinement a été plus long à Mayotte - trois mois contre deux -, et la structure du tissu productif y est très différente. Le secteur marchand est moins développé qu'en moyenne nationale et les deux tiers des entreprises mahoraises, qui produisent 9 % de la valeur ajoutée et représentent 6 600 emplois, sont informelles. Ces petites entreprises sont particulièrement fragiles face à la crise actuelle. Elles ne sont pas destinataires des aides allouées aux indépendants ou aux salariés, elles sont concentrées dans les secteurs les plus directement touchés par la crise - commerce de détail, construction, restauration, petits transports terrestres et manutention -, elles sont plus jeunes que les autres, souvent dirigées par des personnes peu qualifiées et 90 % d'entre elles ne tiennent aucune comptabilité.
Tout concourt donc pour que la crise économique ait des conséquences sociales très importantes à Mayotte, sachant que deux tiers des adultes étaient déjà sans emploi avant la crise. La moitié de la population est mineure, il y a beaucoup de familles nombreuses et plus des trois quarts des Mahorais vivent sous le seuil de pauvreté national.
L'INSEE n'a pas encore réalisé de prévisions macroéconomiques pour l'année 2020. Certains organismes s'y sont risqués, mais l'exercice est pour l'instant assez héroïque. Le consensus qui se dégage est celui d'une reprise en « racine carrée ». L'activité reprend rapidement depuis le mois de mai, sans revenir exactement à la normale. On assisterait ensuite à un très lent retour à la normale, sur deux ans ou plus.
Il est important d'identifier les facteurs de reprise d'activité, de même que les freins et les aléas qui pèsent sur elle. Pour le moment, il existe une incertitude fondamentale sur l'épidémie elle-même et sur d'éventuels traitements. C'est pourquoi les prévisions économiques sont hasardeuses.
La reprise de la consommation est une question majeure. Dans un contexte de hausse du chômage, les ménages ont tendance à constituer une épargne de précaution. Certains n'ont pas dépensé tous les revenus qu'ils ont perçus pendant le confinement, et le retour du taux d'épargne à un niveau normal est un enjeu fondamental pour la reprise d'activité, notamment dans le secteur du tourisme.
L'investissement risque d'être freiné par les incertitudes pesant sur le rythme de reprise de la demande domestique, mais aussi mondiale, pour les entreprises qui exportent. Les entreprises craignent aussi que la crise ne génère des surcoûts.
La courbe de l'emploi suit en général celle de l'activité, mais avec un retard. À moins d'un rebond qui viendrait compenser le manque de valeur ajoutée produite durant la crise sanitaire, l'activité ne reviendra que très lentement à la normale ; l'emploi ne devrait donc que très faiblement évoluer dans les prochains trimestres.
Mayotte est sortie du confinement le 2 juin ; aucun indicateur n'atteste encore de la reprise de l'activité. À l'échelle nationale, après une activité inférieure d'un tiers à la normale en avril, la différence n'est plus que de 11 % au début de juin : la reprise est donc très rapide, mais on reste bien en deçà du niveau habituel. À La Réunion, les premières informations disponibles évoquent aussi une reprise d'activité. Ainsi, 467 entreprises ont été créées en mai, contre 269 en avril ; pour autant, ce n'est pas encore le niveau normal : en mai 2019, on relevait 532 créations d'entreprise.
Pour que le marché du travail reparte, il faut de l'offre mais aussi de la demande. Pendant le confinement, les inscriptions à Pôle Emploi s'étaient effondrées, les gens ne cherchaient même pas d'emploi, faute d'espoir ou de disponibilité. À La Réunion, la tendance s'est inversée : on relève 1 551 nouvelles inscriptions dans la dernière semaine de mai, presque autant qu'au même moment de 2019. La population active revient sur le marché du travail, c'est un premier pas.
La consommation d'électricité est également revenue à la normale en mai ; quant aux dépenses courantes des ménages, elles ne sont plus inférieures que de 10 % au niveau ordinaire au cours des trois dernières semaines de mai.
Le sujet des inégalités économiques et de la vie chère, à La Réunion comme à Mayotte, est lié à l'emploi et aux revenus du travail, dont une grande partie de la population ne dispose pas. L'enjeu principal des pouvoirs publics est de limiter les effets à moyen et long terme de la crise conjoncturelle : il faut que les ménages et les entreprises passent le cap. Pour les ménages, on se concentre sur le marché du travail et la formation professionnelle, pour éviter le chômage de longue durée ; l'insertion des nouveaux diplômés sur le marché du travail est également cruciale. Quant aux entreprises, il faut préserver le tissu productif en évitant autant que possible les faillites et fermetures liées au choc conjoncturel.
Plus largement, que faire pour l'avenir ? L'investissement, public ou privé, sera essentiel. La croissance dépend largement des gains de productivité, qui se réalisent surtout dans les secteurs innovants et à forte valeur ajoutée ; cela peut constituer un axe de politique publique. Clairement, les acteurs économiques publics comme privés sortiront de la crise plus endettés qu'ils n'y sont entrés : il faudra de la cohérence entre les choix d'investissement de court terme et les nécessaires orientations de long terme, parmi lesquelles on peut citer la transition énergétique ou encore la réponse au vieillissement de la population, qui ne fait que commencer à La Réunion.
M. Michel Magras, président. - Merci de nous avoir décrit la situation à Mayotte, qui nous inquiète beaucoup. Un travail remarquable est entrepris à destination des travailleurs de l'économie informelle inéligibles aux aides d'État par l'Association pour le développement de l'initiative économique (ADIE) qui les accompagne ainsi vers la normalisation de leur situation professionnelle.
M. Olivier Léna, directeur régional de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) Antilles-Guyane. - Nous avons établi les données que nous vous présentons en collaboration avec le CEROM en exploitant les projections économiques sur une période infra-annuelle.
En Guadeloupe, le recul observé de l'activité a été de 20 % par rapport à la normale. Cela correspond à un impact de 3 % sur le PIB. Cette crise a été essentiellement causée par la baisse drastique, de 28 %, de la consommation des ménages. Les investissements sont aussi en net recul, de 19 %. La production des entreprises baisse aussi, et donc le besoin en consommation intermédiaire. La baisse de la consommation des ménages entraîne celle des importations, mais la balance commerciale est restée déficitaire du fait de l'effondrement des exportations, qui chutent de 83 %.
La consommation des ménages est en temps normal le moteur de la croissance en Guadeloupe. Sa contraction, due au confinement et à la fermeture des commerces non essentiels, représente 80 % de celle de l'économie. La baisse des revenus reste quant à elle contenue, du fait de l'augmentation des prestations sociales et du recours au chômage partiel, rapidement mobilisé par les employeurs afin de réduire leurs effectifs tout en maintenant les contrats de travail. Dès lors, on observe logiquement une forte hausse de l'épargne, estimée à 57 % sur la période de confinement. Le taux d'épargne s'est accru de 18 %.
En Guadeloupe, la baisse de l'activité économique pendant le confinement s'avère quelque peu inférieure aux projections antérieures. La valeur ajoutée du secteur industriel a chuté de 80 % en valeur, ce qui est énorme ; dans le commerce, cette baisse est de 36 % ; dans la réparation automobile, de 50 % ; dans le transport et l'entreposage, de 56 %. Quant à la balance commerciale, elle est restée dégradée. L'activité portuaire s'est poursuivie afin d'éviter les pénuries alimentaires, malgré quelques tensions sur la farine, le lait ou les oeufs. La diminution de la production a entraîné une chute de 33 % des importations en valeur ; les importations de carburant ont chuté de 60 %, seules celles de denrées alimentaires sont en hausse, de 11 %. L'effondrement des exportations correspond en valeur absolue à la baisse plus limitée des importations, autour de 165 millions d'euros : l'effet du confinement sur la balance commerciale est donc à peu près neutre.
La reprise économique après le confinement reste incertaine en Guadeloupe ; elle dépendra de la consommation des ménages, du nombre de défaillances d'entreprises et de la reprise du tourisme.
La situation structurelle de la Martinique est voisine de celle de la Guadeloupe ; le recul de l'activité économique y est de 18 %. La consommation des ménages a chuté. Les investissements ont reculé de 24 % et les importations de 22 % ; le déficit de la balance commerciale baisse légèrement en dépit d'une chute de moitié des exportations.
La consommation des ménages est le moteur de la croissance en Martinique comme en Guadeloupe ; elle y est donc également le principal facteur de contraction de l'économie. Elle a diminué de 27 %, soit 215 millions d'euros. Cela correspond à un impact de 2,4 % sur le PIB pour 2020. Les revenus des ménages ont également diminué, même si cette baisse a été contenue, grâce notamment au chômage partiel. Là encore, l'épargne a donc augmenté, de 66 %, pendant le confinement.
Le recul de l'activité a constitué un choc d'ampleur variable suivant les secteurs. La valeur ajoutée du secteur industriel s'est effondrée de 80 % ; dans le commerce, cette chute est de 34 % ; dans le transport et l'entreposage, de 49 % ; dans la réparation automobile, de 56 % ; dans la construction, de 32 %. De nombreuses mesures de soutien aux entreprises ont été mises en place, des PGE aux moratoires sur les remboursements d'emprunts, ce qui a atténué les effets de la crise.
Les échanges extérieurs sont en net recul, du fait du recul de la demande intérieure et de la consommation intermédiaire des entreprises. Les importations de carburant ont chuté de 72 % ; celles de denrées alimentaires ont en revanche augmenté de 35 %. Les exportations ont baissé de moitié, soit 90 millions d'euros. La balance commerciale est légèrement moins dégradée - de 6 millions d'euros - qu'à la normale, ce qui diminue l'impact de la crise.
À la Guyane, où certains établissements ont dû suspendre ou diminuer fortement leur activité, l'entrepreneuriat a été fortement touché : en avril et en mai, le nombre de créations d'entreprise a chuté de 68 % par rapport à 2019. Le ralentissement de l'activité économique est estimé à 25 %, soit un impact négatif sur le PIB pour 2020 de 3,9 %. La consommation des ménages a diminué de 22 % en volume, les exportations - l'activité spatiale du centre de Kourou étant complètement suspendue - ont chuté de 75 % et l'investissement a diminué de 20 %. La baisse de la valeur ajoutée produite est de 22 % dans le transport et l'entreposage, de 36 % dans le commerce, de 59 % dans la réparation automobile et de 75 % dans l'industrie. Les importations diminuent également, de 17 %. La balance commerciale fortement déficitaire a un impact négatif de 2,4 % sur le PIB annuel ; les lancements spatiaux programmés pour la suite de l'année devraient l'atténuer. Par ailleurs, la baisse des revenus est, là aussi, contenue grâce à l'augmentation des prestations sociales et au recours au chômage partiel, ce qui entraîne une hausse de 52 % de l'épargne.
La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane connaissent donc des situations similaires. La reprise économique y est incertaine ; elle dépend de nombreux facteurs, à commencer par la capacité de chaque territoire à juguler la pandémie. La circulation du virus reste active en Guyane et l'on craint partout une nouvelle vague.
La crise du Covid-19 risque d'accentuer les fragilités structurelles des outre-mer, où le tissu entrepreneurial est essentiellement constitué de TPE dont la situation financière dépend pour beaucoup de la trésorerie disponible. Des mesures de soutien aux entreprises semblent donc nécessaires.
Par ailleurs, le taux de pauvreté est trois fois plus élevé dans ces collectivités qu'en métropole : une personne sur trois est sous le seuil de pauvreté en Guadeloupe et en Martinique ; une sur deux en Guyane. La pauvreté touche singulièrement les chômeurs, les familles monoparentales et les jeunes ménages. Le niveau de vie reste inférieur à celui de la métropole et les inégalités y sont plus fortes ; les prestations sociales restent la principale composante du revenu disponible des ménages les plus modestes. En outre, l'économie informelle y tient une place importante. De ce fait, le confinement aura pu encore aggraver les inégalités.
La reprise économique dans ces territoires dépend aussi du redémarrage du tourisme et du trafic aérien. L'économie locale et, en particulier, le secteur du commerce ont par ailleurs un caractère oligopolistique ; la concurrence réduite peut causer une hausse des prix. Enfin, l'impact de la crise sur l'emploi devrait être concentré sur les secteurs des services et du commerce, mais il devrait être amorti par la part importante de l'emploi public. Tout l'enjeu des politiques publiques est donc d'accompagner les différentes composantes de l'économie locale de manière à ne pas aggraver ces fragilités structurelles.
Par ailleurs, la crise aura en 2020 un impact sur les finances des communes de ces territoires, à la santé financière déjà fragile. Cela affectera au premier chef leur capacité à soutenir le secteur privé au travers de la commande publique. Par ailleurs, leur capacité de désendettement se voit dégradée. Les mesures d'urgence prises par le Gouvernement pour les collectivités locales devraient limiter l'impact de la crise sur leurs recettes, mais ce dossier ne doit pas être oublié.
Quel modèle économique d'avenir pour les outre-mer ? C'est en tant qu'économiste et connaisseur des îles antillaises, mais aussi de la Corse, dont le développement est quelque peu similaire, que je voudrais offrir quelques pistes de réflexion.
La croissance de long terme dépend des infrastructures, logistiques, portuaires, ou encore numériques. Elles doivent être confortées pour améliorer la compétitivité des entreprises implantées dans les collectivités d'outre-mer. L'accès au réseau 4G est de ce point de vue crucial. Les transports locaux doivent aussi être améliorés. Enfin, l'infrastructure réglementaire doit être conçue de manière à accompagner les exportateurs.
Un second élément essentiel pour la croissance est la formation qualifiante. Les jeunes les mieux formés quittent ces territoires. Il faut trouver le moyen de capter cette jeunesse tentée par la métropole, de soutenir les projets innovants et d'accompagner les jeunes entrepreneurs.
Les secteurs à forte valeur ajoutée, ceux qui bénéficient d'avantages comparatifs, doivent faire l'objet d'investissements : le développement durable, l'agriculture biologique ou de haute qualité, ou encore le tourisme haut de gamme, pour lequel manque encore trop souvent le service à la personne. Dans tous les cas, il faut favoriser l'innovation.
Enfin, le vieillissement est un problème croissant en Guadeloupe et en Martinique ; la proportion de jeunes actifs dans la population y diminue. En 2016, un quart de la population martiniquaise avait plus de 60 ans, 23 % en Guadeloupe. Les politiques publiques en direction des personnes âgées devraient de ce fait évoluer.
M. Olivier Fagnot, directeur de l'Institut de la statistique et des études économiques Nouvelle-Calédonie (ISEE). - Si vous le permettez, je vais vous présenter l'ISEE. Il s'agit d'un établissement public de la Nouvelle-Calédonie, dont les missions sont très proches de celles des directions régionales de l'INSEE (bien que nous n'ayons juridiquement aucun lien avec cet institut). Nous réalisons ainsi des comptes économiques rapides, des indices à la consommation, des enquêtes auprès des ménages, l'immatriculation des entreprises, etc.
Nous assurons également une mission un peu particulière : la gestion des listes électorales dont le maître d'ouvrage est l'État. La compétence de l'état civil revient en effet à la Nouvelle-Calédonie, qui gère son répertoire électoral. Outre les listes classiques (pour les élections municipales, législatives et présidentielles), la Nouvelle-Calédonie dispose de listes spéciales (pour élire les membres du Congrès) et d'une liste spéciale « consultation » où figurent les électeurs pouvant participer aux référendums sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.
Outre l'état civil, nous avons aussi des compétences en matière d'impôts, de droit du travail, de protection sociale, de commerce extérieur, de transports, de santé ou encore d'enseignement. Bien que juridiquement indépendant de l'INSEE, nous en sommes très proches puisque nous disposons des mêmes outils, des mêmes méthodes et des mêmes approches. Nos travaux peuvent donc être immédiatement comparables.
Avant de présenter le bilan économique de la crise du Covid-19, quelques éléments de contexte sur la situation calédonienne avant la crise sont nécessaires. Le territoire se situait dans une phase de croissance ralentie, arrivant sans doute à maturité en termes d'équipements publics et d'équipements des ménages et des entreprises. De nombreux investissements ont été réalisés dans les années récentes. Selon les données CEROM (Comptes économiques rapides outre-mer), la croissance calédonienne a été de 0,6 % en 2018 contre une moyenne de 3 % entre 2005 à 2015.
Il y a un changement notable dans la nature de cette croissance. Alors que la consommation des ménages en était le moteur traditionnel, ce rôle est désormais de plus en plus assuré par l'investissement. Dans les 0,6 points de croissance en 2018, la consommation compte ainsi pour 0,5 point, l'investissement pour 0,8 point et le commerce extérieur pour - 0,7 point. Par ailleurs, les finances publiques locales étaient en tension, ce qui augurait déjà une réduction de l'investissement public. Le résultat du recensement montrait en outre une croissance démographique en berne. Pour la première fois en 30 ans, le solde migratoire est négatif de 10 000 personnes entre 2014 et 2019.
Trois éléments de satisfaction sont à noter. D'abord, le nombre d'emplois salariés privé a augmenté de 0,3 % en 2019 (hausse modeste mais notable, tirée en grande partie par l'industrie et les services). Le deuxième motif de satisfaction est le niveau de chômage. Établi entre 11 et 12 %, il s'agit toujours du taux de chômage le moins élevé des outre-mer. Enfin, un record a été enregistré en matière de touristes, leur nombre atteignant 130 000. Le tourisme calédonien présente un profil particulier par rapport aux autre outre-mer. 1/3 seulement des touristes viennent de la Métropole ; la majorité vient pour découvrir le territoire ; et le tourisme affinitaire compte pour 22 %.
S'agissant de la crise du Covid-19, il existe plusieurs éléments de satisfaction. La Nouvelle-Calédonie est tout d'abord un des rares territoires à ne pas avoir connu de cas autochtones. Les 18 cas sont des cas importés et ont été immédiatement maîtrisées, grâce à la mise en place d'une quarantaine. Les mesures prises ont permis de préserver la population de l'arrivée du virus. Le temps de confinement n'a duré qu'un mois.
Les effets économiques du confinement sont de deux ordres : des effets immédiats (facilement chiffrables grâce à un simple exercice comptable) et des effets induits (plus difficilement mesurables et observables sur plusieurs mois).
S'agissant des effets immédiats, on estime que la croissance calédonienne en 2020 est en baisse de 3,6 points par rapport au niveau qu'elle aurait dû atteindre sans le coronavirus. Les pertes totales se chiffrent à 287 millions d'euros, le recul d'activité étant de 44 %. Il s'agit des effets les plus aisés à évaluer.
Plus difficile en revanche est l'évaluation des effets induits, qui dépendent de la réaction future de chaque acteur économique (ménages, entreprise, secteur public). S'agissant des ménages, les interrogations sont nombreuses. On ne sait comment ils se comporteront : vont-ils surconsommer pour compenser la faible consommation du confinement ou au contraire garder un niveau normal de consommation ? Garderont-ils une épargne de précaution ? Tout dépend en réalité de la situation de chacun, selon qu'il a continué à travailler, s'est mis à télétravailler, a pris des congés exceptionnels ou a dû prendre des congés forcés. La consommation représentant encore 2/3 du PIB calédonien, les attitudes de consommation seront donc capitales pour la croissance future.
Pour les entreprises, trois cas peuvent être distingués. L'arrêt de la production a concerné les secteurs du tourisme, de la restauration, des transports, des loisirs, de l'hôtellerie et de l'évènementiel. Les secteurs en mode dégradé voire très dégradé sont ceux du BTP, des industries et du commerce. À l'inverse la pharmacie, l'agriculture, l'administration et les mines métallurgiques sont des secteurs épargnés.
La reprise complète d'activité est difficile à estimer, la mesure de l'impact des aides versées par l'État étant au préalable nécessaire. La situation pourrait se dégrader vite avec des défaillances d'entreprise, un moindre investissement public et privé et une moindre consommation des ménages.
Le troisième acteur est le secteur public. Les finances publiques concourent aujourd'hui aux mesures de soutien ; elles font face à des dépenses imprévues (coût de la quarantaine pris en charge par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, coût du rapatriement des ressortissants calédoniens établi à 21 millions d'euros...). Il y a eu un effritement des recettes et les collectivités vont devoir s'endetter et réduire la voilure des investissements prévus. Des aides aux entreprises ont été apportées par l'État et par la Nouvelle-Calédonie. Du côté de la Nouvelle-Calédonie, le maintien des effectifs a été obtenu grâce à l'indemnisation du chômage partiel. Le taux d'indemnisation en vigueur en Nouvelle-Calédonie a été relevé pour arriver au standard métropolitain. Des reports de cotisations et de charges fiscales ont également été adoptés. Des aides provinciales ont aussi été décidées (aides à la trésorerie des TPE et indépendants pour la Province Sud ; prise en charge partiel de l'assurance maladie par la Province Nord, aides diverses aux entreprises pour les îles Loyauté).
Du côté des aides de l'État, le territoire a pu bénéficier du fonds de solidarité et des Prêts garantis par l'État (PGE). À ce stade, l'utilisation des différentes aides est moins avancée qu'estimé. Par ailleurs, il n'est pas certain que le prêt de l'AFD avec garantie de l'État (de 28 milliards de francs Pacifique, soit 235 millions d'euros) soit intégralement consommé.
S'agissant du rôle d'amortisseur des services non marchands, celui-ci joue moins en Nouvelle-Calédonie par rapport aux autres outre-mer. Le secteur public représente 24 % du PIB contre 35 % dans les outre-mer. La structure économique de la Nouvelle-Calédonie est en réalité plus proche de la métropole que celle des autres outre-mer. C'est donc plus la durée du confinement que la structure de l'économie qui déterminera l'impact de la crise en Nouvelle-Calédonie.
Des secteurs ont d'ores et déjà repris et largement repris. C'est ainsi le cas pour le bâtiment où le redémarrage est rapide (le secteur n'a été d'ailleurs totalement à l'arrêt qu'une partie du confinement). Pour ce secteur, le manque à gagner sera probablement compensé dans l'année, de même pour l'immobilier et l'automobile
Les activités fiduciaires ont été en recul de 60 % mais devraient revenir rapidement à leur niveau normal. Ce devrait être aussi le cas pour l'activité bancaire, relativement épargnée.
La relance devra sans doute passer par une reprise de la consommation des ménages, en débloquant l'épargne forcée accumulée pendant le confinement. J'y ajouterai cependant un bémol. La situation d'incertitude politique et institutionnelle, avec la perspective des deux prochains référendums dont le premier se tiendra en octobre, peut être un frein à la consommation.
S'agissant du tourisme, je titrerais mon développement ainsi : « repartir mais repartir différemment ». Après les 500 000 croisiéristes enregistrés en 2019, le modèle du tourisme calédonien atteint ses limites. D'abord du fait des capacités hôtelières du territoire : la Nouvelle-Calédonie n'est pas prête à les multiplier par deux. Par ailleurs, quoi que nous fassions, il s'agit d'une destination éloignée, aux tarifs qui resteront élevés. Il ne faut pas oublier non plus la forte concurrence dans la zone Pacifique, qui présente d'autres destinations très attirantes.
Pour repartir, le tourisme calédonien devra probablement se tourner vers le tourisme local, le tourisme résidentiel, en incitant les calédoniens à redécouvrir la Nouvelle-Calédonie. Une deuxième piste serait d'insister sur la « bulle covid free » que représente le territoire. Comme Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie n'a aujourd'hui aucun cas de Covid-19 sur son territoire. Grâce à cette bulle, le tourisme peut se faire sans contrainte, sans quarantaine. Des discussions sont en cours avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande et Wallis-et-Futuna pour établir une stratégie de « bulle covid free » à quatre.
Le tourisme de masse a montré ses limites en Nouvelle-Calédonie. Il faut donc sûrement se tourner davantage vers un tourisme plus qualitatif et plus écoresponsable. Il faudrait peut-être abandonner le modèle des navires de croisière avec 1 000 personnes et privilégier davantage les croisières de luxe, à haute valeur ajoutée.
Un deuxième levier essentiel à la reprise est l'investissement public. Tout porte à croire qu'il va se réduire. Il permettrait pourtant d'éviter nombre de défaillances d'entreprises et de limiter un chômage qui coutera cher à la collectivité
S'agissant du modèle économique d'avenir, un large consensus se dégage autour de deux pistes : l'économie verte et l'économie bleue.
L'économie verte a encore un poids limité en Nouvelle-Calédonie. Ainsi, 80 % de l'électricité est produite par des usines thermiques (hydrocarbures et charbon) et moins de 10 % par le solaire et l'éolien. La Nouvelle-Calédonie est un haut lieu de biodiversité, aujourd'hui insuffisamment valorisée. Celle-ci offre un potentiel immense de création de richesses. Pour préserver cette biodiversité, des investissements importants et la création de nouvelles activités sont en effet nécessaires.
Concernant l'économie bleue, il est vrai que la mer a longtemps été considérée par le territoire comme un facteur d'isolement. Aujourd'hui, elle est heureusement davantage perçue comme un outil potentiel de croissance. Le développement des infrastructures portuaires pourrait être une piste. Actuellement, un grand navire public ou privé doit faire son carénage en Nouvelle-Zélande ou en Australie. C'est un exemple assez parlant. La Nouvelle-Calédonie a l'avantage d'avoir le premier port autonome des outre-mer avec Nouméa, grâce à l'exportation du minerai. Elle pourrait étoffer son action et servir de port intermédiaire dans la zone Pacifique.
La vie chère est en effet une question importante tant les facteurs explicatifs de cette vie chère sont concentrés en Nouvelle-Calédonie. La population y est faible avec 271 000 habitants sur un territoire très important de 18 500 km2. L'isolement, l'éloignement, la dépendance aux transports et aux importations, l'étroitesse du marché local limitent la compétitivité des entreprises. La question même d'une concurrence des entreprises dans un si petit marché se pose. Il s'agit là de sujets ouverts sur lesquels il faudra continuer de travailler.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie d'avoir mis l'accent sur le tourisme et sur la Nouvelle-Calédonie. Lorsqu'on lit les documents statistiques sur le tourisme, une destination qui réussit prend en général un tiers de sa clientèle dans son bassin géographique. Vous avez bien dit que la part du tourisme affinitaire et les relations avec la métropole ne comptaient que pour un tiers. Cela me rappelle un rapport que j'avais fait sur la Guadeloupe, qui soulignait que pour être rentable sur le long terme, le tourisme doit être diversifié.
La crise ne doit être vécue comme entièrement négative mais doit être aussi une opportunité de pointer les forces et faiblesses du développement économique des outre-mer. Nous devons notamment concilier satisfaction de la demande et consommation responsable des produits.
M. Nicolas Prud'homme, directeur de l'Institut de la Statistique de la Polynésie Française (ISPF). - Je vais essayer d'être complémentaire par rapport aux interventions précédentes. L'ISPF n'a pas du tout le même statut que la direction générale de l'INSEE ou que l'ISEE de Nouvelle-Calédonie. Nous sommes un établissement public administratif qui dépend du pays et non pas une direction du ministère des finances comme l'INSEE peut l'être en métropole.
Par rapport aux différents échanges, je tiens aussi à préciser que le système d'informations en Polynésie, les données ne sont pas forcément prises en compte avec la même sensibilité, capacité, et comparabilité que dans un DOM « classique ». Je pense qu'il y a un petit peu de retard sur la prise de conscience de l'intérêt d'avoir des indicateurs pertinents, continus, fiabilisés et de qualité.
La crise sanitaire, un peu comme en Nouvelle-Calédonie, n'a pas touché aussi fortement le territoire. Nous avons eu deux-trois hospitalisations et soixante cas. L'ouverture du ciel est programmée à partir du 1er juillet, avec le souhait de pouvoir supprimer le sas sanitaire. Ainsi, à partir du 15 juillet 2020, il n'y aura plus de quarantaine en Polynésie française. Le tourisme est composé de 65 % de touristes américains et de français.
Il y a un point de vigilance sur la situation de la Caisse de prévoyance sociale qui risque d'être en défaut de paiement à partir du mois de septembre 2020. Comparé à l'Hexagone, il s'agit d'une unique caisse qui gère à la fois les minimas sociaux, l'aide, les salariés et le financement de l'hôpital public.
Concernant le chômage, je souhaite attirer l'attention sur une enquête « emploi » que nous avons réalisé en Polynésie. Nous avons un taux de chômage de l'ordre de 14 % mais il est faible dans la mesure où les gens ne recherchent pas forcément un emploi et ne sont pas considérés comme chômeur au sens du BIT. Il s'agit d'un chiffre en trompe-l'oeil qui cache une réalité de difficultés d'accès à l'emploi et de quantités d'emploi par rapport aux actifs présent sur le territoire.
L'enquête « budget des familles » démontre que la Polynésie est un des territoires les plus inégalitaires, qui peut se rapprocher de la Guyane ou de la Nouvelle-Calédonie, avec un système d'imposition indirect, via la TVA, qui permet d'avoir des crédits et des recettes du pays disponibles rapidement. En revanche, l'inconvénient en cas de crise, comme c'est le cas actuellement, est que les recettes fiscales sont en chute car il n'y a plus de consommation.
Il n'y a pas non plus d'amortisseurs sociaux comme on peut le voir dans l'Hexagone. Il y a une prise de conscience du pays qui a souhaité mettre en place un plan de sauvegarde de l'économie avec notamment une aide de 800 euros par mois à tous les salariés qui étaient impactés au moment de la crise. Tout cela soulève la question du financement de ces mesures si l'économie ne redémarre pas.
Une baisse d'activité de 34 % a été enregistrée avec trois points de PIB en moins par mois de confinement. À la demande du Haut-Commissariat, nous avons réalisé un modèle de scénario pour anticiper les effets de la crise. Nous envisageons une perte de PIB de - 22 % pour 2020 avec une reprise étalée sur six à huit ans. En effet, les effets sur l'emploi sont en décalage par rapport à la baisse d'activité. Ainsi, lorsqu'on commence à descendre à - 18 % à - 20 % d'impact négatif sur la croissance économique, cela peut présager une chute de - 10 points voir - 15 points de destruction d'emplois mais aussi un manque à gagner important des recettes fiscales.
Je suis inquiet lorsque j'entends le pays faire état de rigueur budgétaire. D'un point de vue économique, il est important de dépenser et de pouvoir alimenter la consommation des ménages car il s'agit du principal moteur de l'économie.
Sur les politiques de relance, nous avons mis en place, avec le CEROM, une enquête réalisée en juin sur la base du mois de mai et qui va être reproduite en juillet. Cela nous a permis d'interroger les entreprises pour anticiper leur vision, les licenciements potentiels et leur prévision de chiffres d'affaires. Nous n'avions pas forcément un système d'informations qui était prêt à être réactif face à ce genre de crise. Nous avons dû innover en mettant en place des enquêtes, en consultant (par exemple le MEDEF) et en essayant de pouvoir récupérer toute la donnée possible pour apprécier au mieux la situation économique.
Sur les leviers, les acteurs économiques locaux souhaitent davantage d'indépendance alimentaire. Cela risque d'être compliqué d'être totalement autonome mais en tout état de cause il est nécessaire de réduire cette dépendance en développant efficacement le secteur agricole en Polynésie. La question du foncier est essentielle puisque peu de terres appartiennent au pays. De ce fait, la gestion de l'aménagement du territoire est plus compliquée que dans l'Hexagone. Écologie, développement durable et biodiversité sont mis en avant en Polynésie de la même façon qu'en Nouvelle-Calédonie.
Au regard du bilan démographique, le vieillissement de la population et le non-renouvellement des générations risquent d'impacter la prise en charge des plus anciens. La question de la « silver économie » sera un sujet majeur et pertinent dans les années à venir notamment pour le financement de la prestation sociale et de la Caisse de prévoyance sociale.
Tout ce qui représente la technologie de la donnée à forte valeur ajoutée est fondamentale avec par exemple les idées de « data center ». Avec les douze heures de décalage avec la métropole, nous pourrions assurer une continuité de service pour la Polynésie.
Cela nécessite inéluctablement le développement des compétences. Pour vous fournir un exemple concret, je suis passé par la Martinique. Comparé aux DROM où les fonctionnaires d'État vont être formés en formation initiale et continue, le statut de fonctionnaire en Polynésie date de vingt ans, avec très peu de formation. Il y a donc un réel souci de capital humain au niveau du territoire.
Concernant les inégalités, les positions dominantes sont davantage marquées car c'est un petit territoire. Cela ne facilite pas la libre concurrence et accentue la vie chère. La Polynésie peut servir de laboratoire, par rapport à l'Hexagone, avec des expérimentations qui pourraient être menées sur certains territoires.
Le fait de pouvoir attirer les capitaux étrangers est un sujet récurrent car la Polynésie, placée au milieu du Pacifique, n'est pas une ligne commerciale et donc le transport coûte cher. Il y a la question de développer des zones franches et d'améliorer la valeur ajoutée des produits du pays destinés à l'exportation. Par exemple, les perles sont exportées sans valeur ajoutée c'est-à-dire qu'elles sont vendues en brut vers la Chine qui s'occupera de la transformation produisant de la valeur.
L'Autorité de la concurrence a été mise en place dans le pays depuis quatre ans afin d'éviter les situations de monopole et d'abus de position dominante. Elle n'est pas toujours soutenue au niveau local, ce qui cause des difficultés.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie d'avoir mis l'accent sur la fragilité financière des collectivités, en particulier celles relevant de l'article 74 de la Constitution qui ont mis en place une fiscalité indirecte. Ce mode de fiscalité, basé sur la consommation, devient pour certaines d'entre elles une source de difficultés insurmontables en cas de crise économique. Il faudra peut-être réfléchir, à l'avenir, à élargir la palette de leurs ressources pour surmonter des épreuves comme celle que nous subissons. Nous attendons avec intérêt les conclusions du député Jean-René Cazeneuve, président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale, sur les conséquences de la crise sur les finances des collectivités ultramarines.
Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Je remercie tous les intervenants pour la qualité et l'exhaustivité de leurs présentations. Elles mettent en lumière les inégalités territoriales. Les spécificités de chacun des outre-mer doivent être prises en compte dans le plan de relance. Nous avons un peu trop tendance, en France, à édicter des mesures qui ne sont pas territorialisées. La nouvelle phase annoncée de décentralisation donnera peut-être plus de possibilités aux territoires de se développer en fonction de leurs spécificités et d'obtenir les aides dont ils ont besoin.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je remercie également nos invités pour leur description très précise de la situation de nos territoires. Les données statistiques nous sont très utiles car elles nous permettent de mieux les faire connaître. Pendant longtemps, Mayotte a été exclu des statistiques. Le travail très important entrepris par l'INSEE et l'IEDOM n'est pas achevé mais je tiens à souligner la qualité du travail des intervenants. À la différence d'autres, Mayotte est un jeune département, en train de se construire.
J'aimerais revenir sur le sujet du travail informel évoqué par M. Aurélien Daubaire. À Mayotte, environ 10 % de la population active intervient dans le secteur informel et c'est un enjeu majeur de la sortie de crise sanitaire. Par ailleurs, cette année marque l'entrée en vigueur sur notre territoire du statut d'autoentrepreneur. Vous connaissez la pression migratoire qui s'exerce sur notre territoire et ses conséquences. Pourriez-vous nous donner des précisions sur la manière dont les travaux de l'INSEE sur le travail informel vont se poursuivre ? Ne faudrait-il pas les intensifier ? Vos perspectives établies avant la double crise du Covid-19 et de la dengue seront-elles maintenues ?
Enfin, pourriez-vous me donner des informations sur l'enquête « Cadre de vie et sécurité » (CVS) programmée cette année à Mayotte ? Elle a pour objectif de mesurer le sentiment d'insécurité. La double crise qui a frappé le 101ème département a malheureusement été accentuée par la montée de l'insécurité qui a « pourri » la vie des habitants. Des résultats sont attendus car la population considère que les chiffres qui sont avancés sur la délinquance et la sécurité ne correspondent pas à la réalité. Nos collectivités sont souvent bousculées par des événements qui freinent leur développement économique.
Je me veux optimiste et suis persuadé que nous pouvons mettre à profit la crise actuelle pour repartir d'un bon pied. Ce matin, j'ai participé à une visioconférence organisée par la Chambre régionale de l'économie sociale et solidaire de Mayotte, avec Mme Annick Girardin, la ministre des outre-mer, et M. Christophe Itier, haut-commissaire à l'économie sociale et solidaire et à l'innovation sociale. La problématique portait sur les voies à inventer pour sortir le département de ses difficultés chroniques grâce au vecteur de l'économie sociale et solidaire. Sur place, les gens sont prêts à s'investir dans cette filière.
Mme Victoire Jasmin. - Il est important pour les élus de disposer de données statistiques pour mieux évaluer et adapter - en fonction des moyens - les politiques publiques et impulser une nouvelle dynamique. Cela est vrai pour les données démographiques comme celles sur l'agriculture. Pendant la période de confinement, nous avons vu que nos agriculteurs ont pu - tant bien que mal - mettre leur production à disposition. Le transport aérien était interrompu et nous avons privilégié les circuits courts. L'interprofession guadeloupéenne de la viande et de l'élevage (IGUAVIE) a innové et tous les commerces ouverts ont pu distribuer des produits du territoire. Les commerces de première nécessité ont parfaitement rempli leur rôle. Les données que vous nous avez communiquées montrent que les gens ont même pu constituer une certaine épargne en consommant différemment.
Nous devrions prochainement procéder à une nouvelle étape de la décentralisation. Si la République est « une et indivisible », il faut cependant prendre en considération chacun des territoires qui la constituent. Les intervenants ont évoqué leurs points forts et leurs points faibles. Il faut définir une autre approche, basée sur la différenciation.
Trop de nos jeunes partent vers l'Hexagone suivre certaines formations. Nous disposons d'un lycée agricole et notre agriculture devrait être davantage valorisée. Les produits de nos territoires qui doivent respecter des normes européennes contraignantes sont concurrencés par des produits étrangers qui ne les respectent pas et, de plus, leur consommation entraîne des conséquences négatives pour la santé.
Je voudrais enfin évoquer la filière de la canne à sucre. Les planteurs ont subi les restrictions de circulation dues au confinement. À l'issue de celui-ci, ils ont été bloqués par des usines en panne, notamment à Marie-Galante. La situation a été rétablie mais, pour tenir compte de ces difficultés, des annonces avaient été faites pour indiquer que les usines cannières pourraient fonctionner jusqu'à la fin du mois de juillet. Il semblerait que le délai supplémentaire soit finalement réduit à la fin du mois de juin, dans quelques jours, alors que les cannes sont encore debout. Ceci serait très préjudiciable pour les planteurs, et plus particulièrement pour les plus petits d'entre eux qui ne pourront pas survivre. C'est une façon de nous maintenir à genoux. Nous ne pouvons pas continuer à accepter d'en être réduits à tendre la main du fait de personnes qui ne connaissent pas nos différents territoires et ne comprennent pas que la situation actuelle ne peut plus durer. Les planteurs de canne font beaucoup de sacrifices et si on réduit la coupe et la durée d'ouverture des usines leur situation sera catastrophique. Monsieur le président, j'aimerais que toutes les personnes qui nous écoutent et sont en capacité de faire quelque chose agissent pour que les usines ne ferment pas à la fin du mois de juin.
Je félicite tous les intervenants car les données qu'ils nous ont communiquées nous permettent de mieux prendre en compte nos spécificités, d'être en mesure de valoriser chacun de nos atouts pour que nous puissions exceller.
M. Michel Magras, président. - J'entends l'appel qui est lancé et que nous allons relayer en tant que parlementaires même si certaines décisions venant de l'État sont difficiles à modifier. Monsieur Aurélien Daubaire voulez-vous apporter des éléments de réponse ?
M. Aurélien Daubaire. - S'agissant de Mayotte, je peux confirmer que l'enquête de l'INSEE sur le cadre de vie et la sécurité cherche à aller bien au-delà des chiffres déclarés sur la délinquance, notamment par les institutions judiciaires. On interroge la population pour avoir une vision d'ensemble, y compris des violences intrafamiliales. Cette enquête a débuté début 2020 et va reprendre dans les mois qui viennent. L'enquête sur le secteur informel, nous en avons parlé récemment avec la DGOM, devrait être réalisée début 2022 afin de disposer de points de mesure réguliers ; les choses évoluent très vite à Mayotte. On voit lors des enquêtes auprès des entreprises que l'économie se formalise et on a besoin de mesurer jusqu'à quel point. Ces enquêtes thématiques, que ce soit à Mayotte ou dans les autres départements ou régions d'outre-mer, sont réalisées pour la plupart dans le cadre d'un accord-cadre et d'un cofinancement avec l'INSEE et le ministère des outre-mer. Sur Mayotte et les autres départements, vous aurez bientôt les résultats actualisés du niveau de vie et des inégalités dans chacun des territoires d'outre-mer, c'est en cours d'achèvement. On a réalisé une enquête santé en 2019 et on pourra comparer les différents territoires en fonction de la moyenne nationale, ou entre eux, et ceci en fonction des caractéristiques socio démographiques des ménages. Et on envisage dans les années à venir, je peux me permettre de le dire, à nouveau une enquête pour mesurer l'illettrisme technique - ou illectronisme -, les compétences à l'écrit et à l'oral, en français, le calcul et certainement une enquête sur le logement dans les années à venir. Et j'en profite pour signaler également qu'à Mayotte l'outil statistique se construit ; l'INSEE y avait créé une antenne en 1997 avant la départementalisation. Nous étions des pionniers. Le travail d'enquête s'est transformé en service qui a pris de l'ampleur car nous mettons en oeuvre avec les communes de Mayotte, pour la première fois un recensement, ce qui représente beaucoup de travail. J'en profite pour saluer le travail des enquêteurs de Mayotte ont été les plus rapides lors du déconfinement à retourner sur le terrain avec les masques, etc., pour faire les opérations de cartographie.
M. Thani Mohamed Soilihi. - Je voulais vous remercier, Monsieur le directeur pour ces réponses. Le recensement annuel est issu de l'un de mes amendements à la loi Égalité réelle. Est-ce que la date de 2022 n'est pas trop éloignée ? Parmi les choses dites sur Mayotte, on a oublié de préciser que c'était l'un des rares territoires où il y a encore des perspectives de croissance. C'était le cas avant cette crise mais il n'y a pas de raison pour que subitement on passe d'un extrême à l'autre. Est-ce qu'il n'y a pas là une occasion à saisir, pour raccourcir ce délai. Je sais que cela suppose des moyens et que vous n'avez pas seul la réponse. Est-ce que l'on ne peut pas avancer cette date ?
M. Aurélien Daubaire. - Le recensement est bien prévu début 2021. L'inconvénient du recensement annuel c'est qu'il s'opère sur cinq ans mais il est bel et bien lancé.
M. Michel Magras, président. - Madame le président, puis-je vous passer la parole pour quelques mots de conclusion ?
Mme Marie-Anne Poussin-Delmas. - Il a été beaucoup question dans cette table ronde du rôle des territoires dans cette crise du Covid-19 et des scénarios possibles de sortie de crise. On a aussi évoqué le modèle économique d'avenir pour les outre-mer, certainement le sujet le plus complexe.
Je valide ce qu'a dit Olivier Léna : il ne faut pas perdre de vue les lignes de force de long terme. La mise à niveau des infrastructures dans les domaines du transport, des équipements portuaires et surtout du numérique - on le voit avec les dispositifs du télétravail - est indispensable afin de maintenir des activités partout où cela est possible.
Le second axe à souligner est celui de la formation et du capital humain. Nous avons des populations vieillissantes - je pense en particulier à la Martinique, à la Guadeloupe - avec un marché intérieur qui se rétracte. La Martinique perd 4 000 consommateurs par an et ces territoires perdent, du coup, en attractivité pour les jeunes. Tout ceci va pénaliser les entreprises en termes de recrutement. Je veux soulever comme point de vigilance l'importance de la politique d'attractivité des territoires. Elle existe mais il faut l'amplifier et l'inscrire dans une vision intégrée avec des actions dirigées pour la formation, la recherche, l'innovation, le développement des start-up dont on n'a pas parlé mais qu'il faut mettre en lumière. Les outre-mer ont un certain nombre de start-up innovantes, même très innovantes, qui commencent à avoir une certaine légitimité au plan national, voire international. Il faut les soutenir et éviter qu'elles ne passent sous des pavillons autres que nationaux à la faveur des difficultés du Covid-19. Les plus avancées ont accès à des business angels et à des fonds d'investissement étrangers. Un certain nombre de start-up innovantes sont encore aux mains des régions qui les aident via des subventions. Je voudrais passer un message pour que nos start-up prometteuses, qui sont en voie de développement, puissent continuer à bénéficier de ces soutiens, ce qui sera compliqué puisque les financements publics seront sollicités pour bien d'autres sujets.
Il faut agir pour formation, l'apprentissage, le développement d'incubateurs ; c'est toute cette chaîne qui permet à la recherche et à l'innovation de se projeter dans un cycle de production. Les formations doivent être pensées pour pouvoir offrir des débouchés sur place, en outre-mer. C'est une approche intégrée qui doit prévaloir. L'apprentissage en outre-mer est par ailleurs relativement peu développé. A l'heure où les formations métropolitaines intègrent des cursus en Chine ou dans des destinations étrangères, il y a probablement une carte à jouer pour proposer aux jeunes des stages pratiques en outre-mer.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie, Madame le président, pour avoir mis l'accent sur tous ces points très importants pour les réflexions de nos rapporteurs. Cela montre que nous sommes sur le bon chemin puisque vous avez cité les start-up ultramarines. Nous avions organisé, il y a quelques années déjà, des conférences économiques par bassin avec un succès remarquable. Il faudra peut-être les relancer de manière différente, mais ô combien utiles, et adaptée à nos différents territoires.
M. Olivier Léna. - Je partage pleinement l'avis de la présidente, il faut une politique d'attractivité et une vision intégrée ; les deux volets sont très importants. La Corse a strictement les mêmes problématiques. Au-delà du constat, j'ai eu plaisir à échanger avec vous et à avancer ensemble.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie. La Délégation a besoin de documents statistiques et il est important que nous ayons des données fiables pour affiner notre réflexion.