- Jeudi 4 juin 2020
- Institutions européennes - Relations entre la Grèce et l'Union européenne : rapport d'information de M. Simon Sutour (par téléconférence)
- Recherche - Audition de Mme Mariya Gabriel, commissaire européenne en charge de l'innovation, de la recherche, de la culture, de l'éducation et de la jeunesse (par téléconférence)
Jeudi 4 juin 2020
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 15.
Institutions européennes - Relations entre la Grèce et l'Union européenne : rapport d'information de M. Simon Sutour (par téléconférence)
M. Jean Bizet, président. - Je salue mes collègues présents ici au Sénat et ceux qui participent à notre réunion par téléconférence.
Nous allons d'abord entendre ce matin notre collègue Simon Sutour rendre compte du déplacement qu'il a effectué en Grèce en février dernier. Il était prévu qu'il nous fasse cette présentation en mars, mais la pandémie et le confinement qui a suivi nous ont obligés à la reporter. J'ai tenu néanmoins à ce qu'elle ait lieu aujourd'hui car il est important que notre commission poursuive son travail de suivi de la situation dans ce pays, passé tout près de la catastrophe en 2015.
La Grèce a traversé des années difficiles et Simon Sutour pourra nous dire si elles commencent à produire leurs fruits en matière de redressement des finances publiques, de croissance et d'emploi. J'observe que, même si la situation grecque reste aujourd'hui critique, avec une dette égale à 173 % du PIB en 2020, nous ne devons pas oublier que la dette française va sans doute dépasser 115 % du PIB en fin d'année...
L'autre point qui justifie notre attention à ce pays est sa position de frontière avec la Turquie. En février dernier, le président Erdogan, ignorant l'accord conclu avec l'Union européenne, ouvrait les vannes à une nouvelle vague migratoire afin d'exercer un chantage sur l'Union dans le conflit syrien. La Grèce, qui a toujours fait preuve d'une grande générosité à l'adresse des migrants, s'est à nouveau trouvée en première ligne : comment cet afflux a-t-il été géré ? L'agence Frontex a-t-elle été mise à contribution ? Comment la situation a-t-elle évolué avec la pandémie ?
Voilà les points sur lesquels Simon Sutour avait mission de porter son attention lors de son déplacement. Depuis, la Grèce s'est distinguée parmi les États membres comme « bon élève » de l'Europe dans la gestion de la crise du Covid-19, enregistrant « seulement » 165 décès pour 10 millions d'habitants - à population égale, la Belgique a connu 9 000 décès. Ce troisième sujet d'intérêt s'est ajouté aux deux premiers.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Je m'étais rendu en Grèce en juin 2015, à un moment particulièrement difficile pour le pays du fait des turbulences politiques engendrées par les négociations houleuses entre le gouvernement Tsipras et les institutions européennes, sur le troisième plan d'aide financière.
Le déplacement que j'ai effectué à Athènes, du 24 au 26 février dernier, s'est déroulé dans un climat plus serein - à cette date, l'Italie était le seul pays européen vraiment touché par le coronavirus. La pandémie m'a conduit à mettre à jour mon rapport initial, en particulier sur la gestion de la crise en Grèce et sur ses conséquences économiques.
Le paysage politique grec a connu une profonde recomposition en 2019. La Nouvelle Démocratie, dirigée par Kyriakos Mitsotakis, a largement supplanté Syriza dans les différents scrutins organisés l'année dernière. Elle a ainsi remporté les élections européennes puis les élections locales, s'imposant dans douze des treize régions du pays, à l'exception de la Crète qui est pourtant la région d'origine de la famille Mitsotakis ; enfin, elle a obtenu la majorité absolue aux élections législatives de juillet, avec 158 sièges sur les 300 que compte le parlement monocaméral grec, la Vouli. Deux faits politiques importants méritent d'être soulignés : d'une part, le parti d'extrême droite Aube dorée ne siège plus au Parlement, et, d'autre part, le gouvernement Mitsotakis a pris l'engagement de ne pas remettre en cause l'accord de Prespa, conclu par Alexis Tsipras en juin 2018, sur le nom de la Macédoine du Nord, qui ouvre les portes de l'Union à ce pays.
Ce déplacement a été pour moi l'occasion d'aborder plus spécifiquement deux dossiers : la crise économique et la situation migratoire.
Si l'on constate une amélioration économique, le pays est encore convalescent. La Grèce se trouvait, juste avant la propagation de l'épidémie en Europe, dans une période de sortie de crise. Depuis 2010, elle avait bénéficié de trois plans d'aide successifs pour un montant total de 243,7 milliards d'euros. Elle en est sortie en août 2018, mais continue de faire l'objet d'une « surveillance renforcée » de la part de la Commission européenne et doit poursuivre les réformes structurelles. Le cinquième rapport sur la Grèce, établi en février dernier au titre de la surveillance renforcée, est globalement positif et montre que la Grèce va mieux.
Le gouvernement Mitsotakis a été élu sur un programme de réformes. Sa politique économique suit trois orientations : d'abord, une politique budgétaire favorisant la baisse des impôts - il m'a été expliqué à Athènes que la fixation à 2,1 % de l'excédent primaire, au lieu de l'obligation de 3,5 % faite aujourd'hui au pays, ne compromettrait pas la soutenabilité de la dette publique grecque ; ensuite, la promotion des investissements pour favoriser la croissance, que le gouvernement escomptait à 2,8 % en 2020, même si 2,5 % paraissaient plus réalistes, mais, avec le coronavirus, les dernières prévisions envisagent une chute du PIB grec de 9,7 % ; enfin, la mise en oeuvre de réformes structurelles, dont des privatisations. Les autorités grecques considèrent que cette politique commence à donner des résultats au vu d'indicateurs dont l'évolution est favorable.
Pour autant, la situation reste fragile.
En premier lieu, des problèmes structurels demeurent, en particulier le niveau de l'endettement public, à 173 % du PIB, et le poids des « mauvaises dettes » qui lestent le secteur bancaire. Par ailleurs, la persistance du manque de performance du secteur public grec a des conséquences dommageables sur l'environnement des affaires, sur la conduite de réformes importantes, comme celle du cadastre, ou sur l'efficacité de la justice. En dépit d'indéniables améliorations, l'insécurité juridique constitue un vrai problème. Par ailleurs, la lenteur des procédures est telle qu'un procès peut durer vingt ans...
La faiblesse des investissements, dont le déficit est estimé à 100 milliards d'euros, et l'insuffisance des exportations montrent aussi que le chemin restant à parcourir est encore long. Enfin, le pays est en retard en matière de transition numérique et écologique. Sur ces différents aspects, il existe des perspectives d'approfondissement des relations économiques franco-helléniques, qui sont aujourd'hui très réduites. Au forum organisé à Paris, le 29 janvier dernier, étaient présents pas moins de dix ministres et secrétaires d'État grecs - c'est de bon augure. À cette occasion, une rencontre très intéressante avait été organisée au Sénat par Didier Marie, le président du groupe d'amitié France-Grèce.
En second lieu, le climat social est médiocre. La longue et profonde crise économique a laissé des séquelles sociales importantes : le chômage et la pauvreté ont beaucoup augmenté, tandis que le niveau de vie chutait. Phénomène très inquiétant, 500 000 jeunes Grecs ont quitté leur pays, alors que celui-ci est affecté par un net vieillissement démographique - la population pourrait passer de 11 millions d'habitants aujourd'hui à 8 millions en 2050. Ce sont les forces vives, les jeunes diplômés, qui partent, essentiellement au Royaume-Uni et en Allemagne.
Vous le savez, la Grèce a également été fortement touchée par la crise migratoire. En 2015, plus de 850 000 réfugiés et migrants en provenance, principalement, de Syrie, d'Afghanistan et d'Irak ont atteint les côtes grecques, avec un pic au mois d'octobre, lorsque plus de 210 000 personnes sont arrivées par la mer. Le pays n'a pu y faire face seul : des dizaines de milliers de réfugiés et de migrants vivaient dans des conditions indécentes dans des camps ouverts à la hâte, avec de graves problèmes d'insalubrité et d'insécurité. La Grèce a dû supporter une charge disproportionnée du simple fait de sa position géographique. La Commission et Frontex lui apportent donc une assistance, ce qui est normal. Depuis la crise de 2015, la Commission a déboursé 2,8 milliards d'euros au titre de l'aide européenne à ce pays pour les migrants et les réfugiés.
L'accord sur les migrants conclu entre la Turquie et l'Union européenne en mars 2016 a beaucoup contribué à réduire les flux. Pour autant, la Grèce a dû relever plusieurs défis, en particulier : le respect de la procédure d'asile, ce qui requiert un service d'asile efficace, l'accueil des demandeurs d'asile - le pays comptait 1 000 places d'accueil avant 2016, contre 48 500 aujourd'hui - et l'intégration des réfugiés - je rappelle qu'environ 115 600 étrangers arrivés de Turquie à l'été 2015, surtout des Pakistanais et des Albanais, sont restés dans le pays, dont plus de 40 000 dans les îles.
Or, depuis l'été 2019, la Grèce est de nouveau confrontée à d'importantes difficultés en matière migratoire.
D'une part, l'année dernière a été marquée par une hausse significative des arrivées de migrants par mer, depuis la Turquie, dans les îles grecques. Près de 60 000 arrivées ont été observées, en hausse de 84 % par rapport à 2018 et de plus de 100 % par rapport à l'année précédente, dont plus d'un tiers de mineurs. Sur le seul mois de janvier 2020, 3 136 arrivées par mer ont été enregistrées, et 850 sur le continent, soit nettement plus qu'au cours des deux années précédentes. Certes, les flux ont logiquement beaucoup diminué dans le contexte actuel, mais il est fort probable que ce phénomène ne soit que provisoire.
Sur les îles, qui sont les principaux points d'entrée des migrants, la situation devient intenable. Les cinq hotspots sont surpeuplés : ils avaient été conçus pour accueillir 8 000 personnes, mais en reçoivent effectivement 42 000. Dans ces conditions, le gouvernement Mitsotakis a adopté une nouvelle approche consistant à transférer davantage de migrants, les plus vulnérables en priorité, des hotspots surchargés vers le continent et à accroître le nombre de retours vers la Turquie - ce volet de l'accord de mars 2016 ayant toujours été très peu opérationnel.
D'autre part, depuis la fin février, la Turquie, dans le contexte de la guerre en Syrie, exerce un chantage migratoire sur la Grèce et, plus largement, sur l'Union européenne. Le président Erdogan a décidé d'« ouvrir » sa frontière avec la Grèce, provoquant l'afflux de milliers de personnes aux postes-frontière grecs.
Les institutions européennes ont réagi dès le tout début du mois de mars. Frontex a répondu favorablement à une demande du gouvernement grec de déclencher une intervention rapide aux frontières maritimes du pays, et a envoyé du personnel et des moyens matériels supplémentaires. La Commission a annoncé une aide financière de 700 millions d'euros, dont 350 millions immédiatement mobilisables, et a activé le mécanisme de protection civile de l'Union. Plusieurs États membres, dont la France, ont indiqué qu'ils prendraient en charge environ 1 500 mineurs non accompagnés se trouvant sur les îles grecques. Enfin, la présidente von der Leyen et le président Michel ont rencontré, à Bruxelles, le président Erdogan. Ils lui ont demandé de respecter les termes de l'accord de mars 2016, mais ont aussi chargé le Haut Représentant, Josep Borrell, et son homologue turc de clarifier la mise en oeuvre de cet accord de manière à ce que les deux parties en fassent la même interprétation.
Voilà où nous en sommes aujourd'hui. Il est certain que cette crise reste ponctuelle en comparaison de celle de 2015. Il n'en demeure pas moins qu'elle illustre, une fois de plus, l'urgence d'une révision en profondeur des règles européennes, à commencer par celle du règlement de Dublin, qui déterminent les politiques migratoire et d'asile de l'Union européenne. Les Grecs plaident pour un mécanisme de relocalisation obligatoire des migrants, afin de répartir la charge de façon équitable entre l'ensemble des États membres. Ils ne sont pas favorables à ce que certains d'entre eux puissent contribuer seulement de façon financière ou humanitaire. Ils réclament un mécanisme d'urgence permettant de répondre à de futures crises potentielles. En effet, il est indispensable de trouver des solutions pérennes à un problème qui est moins grec qu'européen.
J'en viens à la pandémie de Covid-19 et à ses conséquences en Grèce.
La Grèce avait connu une longue crise économique, dont les effets s'étaient également fait sentir très fortement sur son système hospitalier, affecté par ailleurs par un exode important de médecins vers l'étranger. Mais le pays fait figure de « bon élève » dans sa gestion de l'actuelle crise sanitaire. Au 20 mai dernier, la Grèce, qui compte environ 10,5 millions d'habitants, enregistrait 165 décès et 2 840 cas - la Belgique, pareillement peuplée, déplore plus de 9 000 morts, comme l'a souligné le président.
Cette situation favorable serait due à une grande réactivité des autorités grecques qui, sans jamais déclarer l'état d'urgence, ont pris des premières mesures dès le 25 février avant d'imposer un confinement général le 23 mars. Une bonne politique de communication et une population très disciplinée auraient également facilité la lutte contre la pandémie. Le déconfinement progressif a été engagé à compter du 4 mai. Le recours à une application de traçage numérique des contacts n'est pas envisagé.
En revanche, les conséquences économiques de la pandémie devraient être douloureuses pour la Grèce. Le total des mesures initiales s'établissait à 10 milliards d'euros, porté, le 20 mai, à 24 milliards, y compris les fonds européens. Didier Marie avait exposé la réponse grecque aux conséquences économiques de la crise sanitaire, le 6 mai dernier ; je n'y reviens donc pas.
Je l'ai dit, la récession pourrait atteindre - 9,7 % du PIB en 2020, soit la plus forte chute de la zone euro. L'emploi devrait également beaucoup souffrir. Ainsi, pour le seul mois de mars 2020, plus d'emplois ont été perdus que pour toute l'année 2012. Alors que le taux de chômage avait diminué, tout en restant élevé, aux alentours de 16 % de la population active, il devrait augmenter de 6 points cette année, pour s'établir à 22,3 %, le taux le plus haut de la zone euro.
Cette situation de l'emploi s'explique en grande partie par la structure de l'économie grecque. Le tourisme en est en effet le deuxième pilier derrière la marine marchande ; il représente 20,6 % du PIB et emploie un actif sur cinq. Or, la lutte contre la pandémie a exigé la fermeture des frontières et s'est traduite par la quasi-paralysie des transports maritimes et aériens. Dans ce contexte, la saison estivale risque d'être désastreuse, même si le gouvernement cherche à limiter les dégâts en voulant faire débuter l'activité touristique au 1er juillet. Les hôtels rouvriront le 15 juin.
La Grèce a bénéficié de la solidarité européenne, en particulier au titre du mécanisme de protection civile de l'Union européenne. Elle recevra également le soutien de la Banque centrale européenne (BCE) et du plan de relance européen. La Grèce a d'ailleurs pris position en faveur d'un dispositif de mutualisation de la dette, ce qui ne surprendra personne.
L'interrogation porte surtout sur la durée de la dépression. Néanmoins, la Commission européenne, dans son sixième rapport sur la surveillance renforcée de la Grèce, publié le 20 mai dernier, s'est montrée plutôt optimiste. Elle a en effet estimé que, « compte tenu des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie de coronavirus, la Grèce a pris les mesures nécessaires pour respecter ses engagements en matière de réformes ».
Notre commission devra rester attentive à la situation de ce pays.
M. Jean Bizet, président. - Le travail fait par Alexis Tsipras a été assez remarquable - je le dis d'autant plus clairement que j'étais inquiet de le voir prendre le pouvoir. Lors du colloque organisé à l'initiative de Jean-Yves Leconte sur la réunification de l'Union et les 30 ans de la chute du mur de Berlin, il nous a vraiment impressionnés. La situation actuelle est le reflet du courage politique qui a été le sien et celui de son parti.
M. Jean-François Rapin. - Je remercie Simon Sutour pour son rapport. Le gouvernement grec a-t-il pris des dispositions en matière fiscale ? On sait que le rapport des Grecs à l'impôt est difficile... La TVA est assez élevée, ce qui favorise le travail dissimulé, payé en argent liquide.
M. Jean-Yves Leconte. - Je remercie le rapporteur pour son travail et le président d'avoir évoqué le colloque dont j'ai été à l'initiative. On ne mesure pas assez l'importance des réformes faites par M. Tsipras pour renforcer la présence de la Grèce dans l'Union européenne, dans un contexte économique particulièrement difficile. Les sacrifices demandés au peuple grec étaient justifiés par le principe que le pays était plus fort avec l'Europe.
Sur la question migratoire, la Grèce n'a jamais failli. Il a été difficile de mettre en place une procédure d'asile, mais les demandes ont été correctement et sérieusement traitées. Si l'accord avec la Turquie n'a pas été complètement mis en oeuvre, c'est aussi parce que la Grèce n'a jamais transigé sur ses valeurs et a considéré que de nombreux étrangers méritaient l'asile. Pour autant, on peut se demander, au vu de ce qui s'est passé en février dernier, si le nouveau gouvernement suivra les mêmes principes. Car, si on peut dire beaucoup sur le comportement des policiers turcs, les gardes-frontières grecs ne sont pas non plus à l'abri de toute critique.
La situation doit être vue de manière globale. On ne peut pas considérer que tout relève de la responsabilité de la Turquie lorsque l'on voit la situation interne dans ce pays et la fuite des habitants de la poche d'Idlib, qui ont besoin de protection en raison des interventions russe et syrienne.
M. Didier Marie. - Je remercie Simon Sutour, un passionné de la Grèce, pour son rapport.
Je veux relever la résilience du peuple grec qui, de crise en crise, résiste aux difficultés, tout en étant discipliné. Les bons résultats obtenus dans la lutte contre le Covid-19 tiennent autant aux dispositions prises extrêmement tôt par le gouvernement qu'au comportement des Grecs, conscients de l'état de leur système de santé et respectueux des consignes données.
Les relations de la Grèce avec les autres pays restent très limitées : actuellement, toute personne arrivant de l'extérieur est soumise à un test Covid, placée en semi-quarantaine pendant vingt-quatre heures et confinée une ou deux semaines en fonction des résultats du test. On peut s'inquiéter des conséquences sur la saison touristique, tout en gardant en mémoire que l'économie informelle a encore un poids significatif.
Quand on regarde les dispositions prises par l'Union européenne et les États membres pour faire face à la crise économique et sociale liée au Covid-19, on ne peut que s'interroger sur les mesures imposées à la Grèce après la crise de 2008. Aujourd'hui, la règle relative aux déficits n'est plus la même, l'investissement public peut être massif... Si la Grèce n'avait pas connu les difficultés qui lui ont été imposées, elle n'en serait certainement pas là aujourd'hui. Le gouvernement de M. Tsipras a payé au prix fort son plan de sauvetage...
Les tensions avec la Turquie ne cessent de croître.
D'une part, la question migratoire reste extrêmement sensible, en termes tant de nombre de réfugiés que d'acceptation par la population. Pendant longtemps, les Grecs ont accueilli assez chaleureusement les réfugiés ; ce n'est plus le cas aujourd'hui.
D'autre part, les interventions de la Turquie en mer Égée et aux alentours de Chypre, dans les zones de production éventuelle de gaz, accentuent les tensions entre les deux pays. La France a participé à une déclaration commune condamnant l'activisme diplomatique et militaire de la Turquie. L'Union européenne doit faire preuve d'une plus grande solidarité à l'égard de la Grèce.
Mme Gisèle Jourda. - Je voulais également évoquer le rôle de l'Europe lorsque la Grèce était en crise. La France a joué à cette période un rôle positif : le soutien à la Grèce a été imposé à Mme Merkel par François Hollande.
Je félicite Simon Sutour pour son excellent rapport. S'agissant des réfugiés, quel rôle jouent le Haut-Commissariat aux réfugiés et les associations ? Les organismes internationaux étaient très durs avec les responsables grecs, alors que ceux-ci faisaient le maximum avec fort peu de moyens face à l'afflux des réfugiés sur les îles.
Le rapporteur a évoqué le retour des réfugiés sur le continent. Quel accueil leur est réservé ? Quand je me suis rendue dans les camps situés à Athènes dans le cadre d'une mission d'information, j'ai constaté qu'un accompagnement pédagogique et sanitaire était effectué, l'objectif étant d'intégrer les réfugiés à la vie locale.
M. Jean Bizet, président. - Dans le droit fil des questions de Jean-François Rapin, j'aimerais connaître l'importance des investissements étrangers en Grèce.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Les investissements étrangers viennent essentiellement de Chine. La Russie, qui est traditionnellement un pays ami de la Grèce, investit également : c'est ce qu'on appelle la « solidarité orthodoxe ». La France est assez peu présente, même si nos grands groupes sont représentés.
Monsieur Rapin, pour suivre la situation de la Grèce depuis longtemps, je peux vous dire que des progrès ont été faits. La task force de l'Union européenne, qui a aidé l'administration grecque à se remettre en route, a été utile. Le Premier ministre actuel était auparavant le ministre chargé des réformes administratives. On peut prendre l'exemple de l'impôt foncier qui a été instauré par le gouvernement de coalition : il ne produisait pas son plein rendement en raison de problèmes liés au cadastre. Des améliorations ont été apportées, le gouvernement Mitsotakis a augmenté de 15 % le rendement de cet impôt, qui atteint désormais 98 %.
Monsieur Leconte, les choses ne se passent pas toujours bien aux frontières. Des « bavures » ont eu lieu, mais elles sont le fait d'individus, et non le résultat de la politique du gouvernement. En février, les Turcs faisaient croire aux migrants que la frontière vers l'Union européenne était ouverte, alors que ce n'était pas le cas. M. Erdogan a une lourde responsabilité en la matière.
Je retiendrai des propos de Didier Marie sa réflexion sur la dureté de l'Union européenne à l'égard de la Grèce au moment de la crise. Cela fait dix ans, et l'on a exigé de ce pays ce que nous ne nous demandons pas à nous-mêmes aujourd'hui. Cela n'a pas favorisé la reprise de l'activité.
La Grèce et la France entretiennent depuis longtemps des relations étroites. Mme Jourda a évoqué le rôle de François Hollande - on peut aussi citer Pierre Moscovici - lorsque la crise a éclaté. M. Tsipras, qui s'est « social-démocratisé » depuis, avait une position très dure : il avait même organisé un référendum pour refuser les propositions de l'Union européenne...
Nous allons prendre position sur les propositions de relance de la Commission européenne avant le Conseil européen. Un montant de 22,5 milliards d'euros est prévu pour la Grèce.
Mme Jourda m'a interrogé sur les camps. J'en ai visité un à la frontière turque, et je peux vous dire que c'est une épreuve de voir des enfants derrière des grillages... Ces mineurs ne pouvaient sortir du camp que si des places se libéraient à Athènes. Pour l'immense majorité des migrants, la Grèce n'est que la porte d'entrée dans l'Union européenne : ils veulent aller dans les pays scandinaves, en Allemagne, au Royaume-Uni, et éventuellement en France.
La Grèce est un pays important pour l'Union. Il faut se souvenir que nous sommes des héritiers de la culture et de la démocratie grecques.
M. Jean Bizet, président. - Merci pour ce rapport. Nous savons combien vous, comme votre successeur à la présidence du groupe d'amitié, êtes attaché à ce pays.
Je retiendrai de vos propos que nous revenons de loin. La Grèce a fait d'énormes efforts dans une conjoncture difficile avec des règles d'hier qui, aujourd'hui, prennent une autre signification.
À l'issue du débat, la commission autorise à l'unanimité la publication du rapport d'information.
Recherche - Audition de Mme Mariya Gabriel, commissaire européenne en charge de l'innovation, de la recherche, de la culture, de l'éducation et de la jeunesse (par téléconférence)
M. Jean Bizet, président. - Nous auditionnons maintenant par visioconférence Mme Mariya Gabriel, commissaire européenne en charge de l'innovation, de la recherche, de la culture, de l'éducation et de la jeunesse, à laquelle je souhaite la bienvenue. Cette audition est ouverte à la presse et fait l'objet d'une captation vidéo consultable en vidéo à la demande.
La pandémie que l'Union européenne traverse actuellement focalise l'attention sur les capacités européennes en matière de recherche médicale, pour trouver un traitement ou un vaccin susceptible de protéger les Européens du Covid-19. Votre portefeuille est donc éminemment stratégique.
La force de l'Union européenne en matière de recherche, non pas seulement médicale, détermine sa place future dans l'économie mondiale. Aujourd'hui, l'Europe est en troisième position derrière les États-Unis et la Chine. Je tiens à saluer la promotion que fait l'Union européenne du principe d'innovation, que je défends moi-même avec ardeur en France, afin d'équilibrer le principe de précaution et de nous préparer aux défis à venir. C'était l'objet d'une proposition de loi que j'avais déposée au Sénat il y a quelques années.
Si aujourd'hui l'Europe occupe une part déterminante dans la recherche mondiale - avec 20 % des publications scientifiques mondiales -, elle est menacée, notamment par la Chine : ainsi, la part de l'Union européenne dans les dépenses mondiales en recherche & innovation (R&I) a baissé, entre 2000 et 2017, de 22 % à 17 %.
L'objectif de consacrer 3 % du PIB de l'Union européenne à la R&I - affirmé par la Stratégie de Lisbonne en 2000 et réaffirmé par la stratégie Europe 2020 en 2010 - est loin d'être atteint. La part du PIB européen consacrée à la R&I s'élevait à 2,2 % en 2018, ce qui correspond d'ailleurs au taux de la France, alors que la Suède, l'Autriche, le Danemark et l'Allemagne ont atteint les 3 %.
La recherche européenne souffre de faiblesses structurelles, notamment dans le passage au stade industriel : peinant à se traduire en innovations industrielles, elle manque de capital-risque - les États-Unis en ont huit fois plus - pour passer à l'échelle. À cet égard, le brevet unifié est très attendu et nous sommes très préoccupés par la décision récente du tribunal constitutionnel allemand, qui empêche son entrée en vigueur, alors même qu'il serait un outil formidable pour accélérer l'innovation en Europe et que nous y travaillons depuis de longues années. Quelles sont les perspectives pour sortir de cette impasse ?
Concernant la réponse à l'épidémie, notre commission a salué les efforts déployés au niveau européen pour accélérer la recherche médicale. Il y a certes eu des critiques et des polémiques : en avril, le président fraîchement nommé à la tête du Conseil européen de la recherche (CER) - chargé de financer les projets d'excellence en recherche fondamentale - a démissionné ; en mai, Sanofi a annoncé son intention de réserver son éventuel futur vaccin contre le Covid-19 aux États-Unis, au motif que ces derniers seraient moins frileux que l'Union européenne à partager le risque de la recherche. Mais je vois derrière ce dernier évènement plutôt une tactique pour interpeller malicieusement les instances communautaires.
En outre, si l'Union européenne peut s'enorgueillir d'avoir coordonné la recherche mondiale contre le virus, elle doit aujourd'hui gérer le retrait des États-Unis de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle va également se trouver amputée du Royaume-Uni, dont la recherche privée est particulièrement dynamique, en matière pharmaceutique notamment, et qui accueille la moitié des licornes européennes. Comment abordez-vous ce contexte difficile où l'action européenne en matière de recherche est mise en cause et où nos partenaires anglo-saxons se retirent ?
Je me suis entretenu récemment avec les dirigeants d'Edwards Lifesciences. Après le Covid-19, l'Europe devra aussi se pencher sur la question du bien-être et de la qualité de vie de la population senior qui mérite toute l'attention de l'Europe de la santé. Ce n'est pas une compétence de l'Union, mais certains États membres le demandent.
La nouvelle proposition de cadre financier pluriannuel, que la Commission européenne a publiée la semaine dernière, donne une priorité claire à la recherche sur notre continent. Le programme Horizon Europe verrait son budget accru de 40 % par rapport au programme-cadre actuel, ce qui serait une excellente nouvelle. Comment comptez-vous procéder pour que cet effort financier bénéficie prioritairement aux entreprises européennes et au développement de la souveraineté technologique de notre continent, en matière pharmaceutique, mais aussi numérique ?
Je vous laisse la parole. Sachez que nous apprécions beaucoup votre action.
Mme Mariya Gabriel, commissaire européenne en charge de l'innovation, de la recherche, de la culture, de l'éducation et de la jeunesse. - C'est un très grand plaisir et un honneur pour moi d'être présente aujourd'hui parmi vous pour cet échange de vues sur les mesures prises par l'Union européenne dans le cadre de mon portefeuille.
Nous sommes confrontés à un immense défi : une pandémie qui ne connaît pas de frontières et qui a eu un très fort impact sur nos modes de vie. Reconnaissons que, dans une première phase, la crise sanitaire a mis à rude épreuve la solidarité entre les États membres de l'Union européenne. Mais elle a aussi montré que l'Europe conserve une capacité de réaction rapide. Dans cette situation, nous avons pu trouver des solutions en restant unis et solidaires. L'envoi de personnel médical français dans d'autres pays, ou le transfert de patients français vers l'Allemagne ou le Luxembourg en sont de beaux exemples. Nous devons faire en sorte que les leçons de cette première phase, dans laquelle les intérêts nationaux ont primé, nous renforcent, et que nous ne refaisions pas les mêmes erreurs.
Dans une seconde phase, l'Europe a été sur tous les fronts, avec la mise en place de nombreuses mesures qui ont permis d'améliorer la situation, comme la réserve commune pour l'équipement médical, etc.
J'ai la profonde conviction que nous ne pourrons sortir durablement de cette situation que grâce à la science, la culture, la recherche et l'innovation, et je suis heureuse que nous n'ayons pas attendu la mi-mars pour agir : dès la fin du mois de janvier, un appel d'urgence pour la recherche a été lancé dans le cadre du programme Horizon 2020. 18 projets ont été identifiés, impliquant 151 équipes qui travaillent sur les vaccins, les tests et les traitements. D'ores et déjà, l'un de ces projets présente des résultats très encourageants : il s'agit d'un projet développé par une entreprise irlandaise pour développer un diagnostic portable en 30 minutes, qui contribuera à réduire drastiquement le risque de propagation du virus.
Le 4 mai, sous l'autorité de la Présidente de la Commission, Mme Ursula von der Leyen, nous avons organisé un marathon mondial des donateurs, afin de récolter 7,5 milliards d'euros et d'accélérer le développement, la production et la distribution de vaccins, de traitements et de tests diagnostiques. Nous ne reproduirons pas les erreurs du passé : nous offrirons un accès à tous. Avec plus de 10 milliards d'euros récoltés, nous avons dépassé notre objectif. Nous travaillons à présent à développer trois écosystèmes, concernant les vaccins, les traitements et les tests.
Le programme Horizon 2020 a montré son incroyable efficacité. Nous avons ainsi réussi par ce programme à mobiliser en quelques semaines 1 milliard d'euros, ce qui, vous le savez, est beaucoup pour une dernière année de période budgétaire. Depuis le lancement des dix-huit projets, nous avons multiplié les actions. Avec le Conseil européen pour l'innovation, qui est en quelque sorte notre fabrique de licornes pour la prochaine période, nous avons un instrument qui nous permet de soutenir rapidement nos start-up et nos PME. Ce sujet me tient énormément à coeur. Pendant la crise, nous avons lancé deux appels à projets successifs, pour un montant total de 314 millions d'euros. En une semaine, nous avons reçu 4 000 propositions, dont 1 400 étaient liées au Covid-19. Preuve, s'il en fallait, de la vivacité de nos PME et de nos start-up.
Le 7 avril, nous avons adopté, avec les ministres de la recherche, un plan d'action intitulé « ERAvsCorona » (Espace européen de la recherche contre le corona). Il prévoit dix actions très précises qui ont commencé à se mettre en place. Il s'agit tout d'abord de la création d'une plateforme européenne de données, qui permettra aux chercheurs d'échanger des données en temps réel. Cette plateforme est opérationnelle depuis le 24 avril.
Nous avons également organisé le plus grand hackathon européen jamais lancé : il a réuni, en 48 heures, 21 000 participants venant de tous les États membres de l'Union européenne et plus de 2 000 solutions ont été proposées - c'est un record mondial. Il a été suivi, un mois plus tard, d'un « matchathon » dont j'ai annoncé les gagnants il y a deux jours. Nous allons continuer à travailler très étroitement avec eux : ils intègreront une plateforme du Conseil européen de l'innovation (CEI) pour être mis en relation avec des financeurs, pour que les idées géniales nées en Europe bénéficient à l'Union européenne.
La prochaine étape sera de créer, avec les ministres de la santé et de la recherche, un réseau européen d'essais cliniques, qui nous permettra d'accélérer le processus de développement des vaccins et des traitements.
Je souhaite souligner le rôle majeur de l'Institut européen de l'innovation et de la technologie, dont on ne parle pas suffisamment. Il fonctionne sur un mode décentralisé, avec une forte dimension régionale et locale. Il a contribué à la lutte contre l'épidémie. Il faudrait qu'il puisse développer son offre de formations, car nous devons investir davantage dans les compétences et l'éducation. Il nous permettra aussi, au niveau régional, d'identifier les marchés du futur et les technologies disruptives, en lien avec les écosystèmes économiques.
Nous avons également travaillé en coopération internationale. Depuis trois mois, toutes les semaines, et désormais toutes les deux semaines, je participe à une réunion des ministres de la science de quinze pays, organisée par les États-Unis. Nous avons fait une déclaration conjointe au profit de la science ouverte. La science ouverte sera le modus operandi d'Horizon Europe ; l'ouverture des données et des publications scientifiques est un accélérateur pour la recherche et l'innovation. Le G7 est également un cadre dans lequel la coopération se déroule bien : nous avons fait une déclaration commune qui met en avant l'importance de la coopération internationale. Enfin, en marge du sommet Japon-Union européenne, j'ai signé, avec le ministre japonais, un accord de coopération scientifique et technologique sur la coopération et la science ouverte dans le contexte du coronavirus. Mais n'oublions pas que les intérêts de l'Union doivent primer. Les résultats de la recherche européenne ne doivent pas être partagées intégralement, ni sans aucune contrepartie. Aussi je résumerais notre état d'esprit sur l'ouverture de la science dans cette formule : « aussi ouvert que possible, aussi fermé que nécessaire ».
S'agissant maintenant du futur programme Horizon Europe, nous avons présenté un budget ambitieux, assorti d'un instrument de relance également ambitieux « Génération suivante de l'Union européenne ». Nous travaillons pour la génération suivante, mais avant cela, il faut aussi être là pour soutenir la génération qui va assurer la sortie de crise et la transition écologique et numérique. Nous avons des leçons à tirer de la crise : il faut plus de coopération, de flexibilité, de solidarité, d'égal accès et de synergies. Je suis satisfaite que le budget proposé pour Horizon Europe ait augmenté par rapport au programme précédent, mais pourquoi ne pas aller plus loin sur ces investissements stratégiques ? Il faut que les États membres mettent, au coeur de leurs stratégies, la nécessité d'investir dans nos chercheurs, dans nos entreprises, dans nos talents. Ceux-ci doivent sentir qu'ils peuvent rester en Europe, que c'est ici leur maison. Je compte sur les États membres pour défendre le budget d'Horizon Europe dans les négociations budgétaires, et - pourquoi pas ? - pour l'augmenter encore.
Dans le cadre du plan de relance, nous avons aussi proposé un nouveau programme, EU for Health, qui comportera un volet de recherche complémentaire à celui d'Horizon Europe, centré sur les essais, l'homologation et le déploiement des technologies de santé.
Grâce à Horizon Europe et à ces nouveaux programmes, nous pourrons conserver un leadership et répondre aux attentes des États membres.
Le programme Horizon Europe présente plusieurs nouveautés. En premier lieu, il préserve notre capacité de recherche menée par la curiosité, via le Conseil européen de la recherche, qui est pour moi très important : de tout ce que nous utilisons aujourd'hui dans notre vie quotidienne, quelle part étions-nous même capables d'imaginer il y a dix ans ? C'est le premier pilier.
Le deuxième pilier d'Horizon Europe sera structuré en missions autour de cinq sujets principaux : le cancer, le changement climatique, les villes intelligentes, la qualité des eaux et la qualité de l'agriculture. Sa mission sera un portefeuille d'actions déterminantes par leur impact positif dans la vie quotidienne des citoyens : pour la première fois, les citoyens européens doivent pouvoir se dire qu'il y a eu un changement dans leur vie grâce à un programme européen de recherche. Ces missions travaillent déjà depuis quelques mois. D'ici quelques semaines, elles vont rendre leurs premières recommandations. En effet, le Parlement européen a demandé à ce que des indicateurs mesurent l'état d'avancement des missions chaque année d'ici à 2024. Nous travaillerons ensuite ces priorités, avec les États membres, les institutions européennes, mais aussi les citoyens, avant de les présenter, en septembre, lors des deuxièmes journées de la recherche et de l'innovation.
À côté de ces missions, nous comptons aujourd'hui 120 partenariats public-privé. Leur nombre sera réduit par deux et des critères définis afin de les rendre plus efficaces. Je voudrais aussi proposer un nouveau partenariat sur la préparation face à de nouvelles pandémies. Nous avons des forces, mais aussi des leçons à tirer de la pandémie actuelle. Je ne pense pas que ce sera la dernière et nous devons nous préparer dès à présent.
J'en viens maintenant au troisième pilier du programme, consacré à l'innovation. Nous ne manquons pas de start-ups en Europe : nous en comptons plus que les États-Unis, mais nous manquons de licornes. Nous allons donc mobiliser 10 milliards d'euros, voire plus, pour créer une fabrique européenne de licornes, au sein du Conseil européen de l'innovation (CEI), avec deux instruments : un « éclaireur » (« path finder »), qui financera la première phase de développement - de l'idée au produit - et un « accélérateur » pour financer la seconde phase - du produit au marché. Environ 70 % de ce budget sera réservé aux PME. Notre coopération avec le commissaire Thierry Breton est excellente : nous devons en effet assurer de la cohérence et des synergies avec la stratégie industrielle de l'Union européenne pour soutenir l'épine dorsale de notre économie que sont les PME.
Une communication est prévue en juillet au sujet de l'espace européen de la recherche (EER). Cet espace est utile et pertinent, comme l'a montré le plan d'action « ERAvsCorona ». Il s'organisera désormais autour de trois axes :
- en premier lieu, la directionnalité - comment mieux canaliser les investissements publics et privés vers les domaines prometteurs ? - ;
- en second lieu, l'inclusivité, car quinze pays concentrent 94,4 % des fonds alloués par le programme Horizon 2020, tandis que le reste du financement concerne les treize pays les plus récemment entrés dans l'Union. Il y a certes des arguments objectifs à cette répartition, mais les instruments doivent aussi être à la disposition de tous, si l'on veut que l'Europe conserve son leadership en matière de recherche ; autrement, nos divisions risquent de se transformer en véritables fractures ;
- en troisième lieu, la connectivité : nous devons travailler à davantage de connexions entre connaissances et acteurs à travers l'Europe.
Je souhaite également dire quelques mots de l'éducation et de la culture, qui font partie de mon portefeuille de commissaire.
Le Covid-19 a impacté très durement le secteur de la culture, qui aura besoin de plus de temps pour se remettre de cette crise. C'est profondément injuste, car aucun d'entre nous n'aurait pu imaginer de traverser le confinement sans les contenus de nos artistes et de nos créateurs ! Ils nous ont permis de vivre différemment ces temps difficiles. Je serai toujours aux côtés de la France dans son combat pour faire avancer la reconnaissance des droits d'auteurs et la réflexion sur les services de médias audiovisuels (SMA). Ce n'est pas seulement le programme Europe créative qu'il faut renforcer : il faut aussi trouver d'autres sources de financements, y compris Horizon Europe, dans lequel est inclus un cluster sur la culture.
En ce qui concerne l'éducation, je tiens à dire un énorme merci, de la part de toutes les institutions européennes, aux enseignants, élèves et parents qui se sont mobilisés durant cette période. Mais ne fermons pas les yeux devant les difficultés : nous devons continuer à travailler sur la connectivité dans les zones rurales, mais aussi sur les équipements, sur l'éducation aux médias et la pensée critique pour combattre la désinformation, etc. Je crois au rôle clé de l'école et de l'éducation. C'est pourquoi je présenterai, en septembre prochain, un nouveau plan relatif à l'éducation numérique qui abordera ces sujets et nous travaillerons, pour la première fois, en septembre également, sur un espace européen de l'éducation.
Les universités européennes vont jouer un rôle majeur. Les universités françaises font partie de nos participants les plus actifs. Ensemble - chercheurs, universités, secteur privé, société civile -, nous allons dessiner les universités européennes du futur qui nous permettront de garder nos talents en Europe.
Face à l'incertitude, la recherche, l'innovation, l'éducation et la culture restent les outils essentiels que nous avons à notre disposition pour réaliser les transitions nécessaires (numérique, écologique, etc.) et stimuler l'emploi, la croissance et la compétitivité sur notre continent. C'est en ayant recours à ces outils que nous sortirons durablement de la crise. Nous avons besoin de plus de flexibilité et de coordination. L'Union européenne a joué un rôle fondamental dans la résolution de la crise : elle nous a permis d'être rapides, solidaires et coordonnés à grande échelle. Elle nous a montré qu'elle était à la hauteur des enjeux.
Je reste confiante : grâce à la force motrice de la recherche, de l'innovation, de l'éducation et de la culture, l'Europe pourra montrer un autre leadership dans la gestion de la crise et dans la sortie durable de la crise.
M. Jean Bizet, président. - Permettez-moi de saluer votre engagement et l'énergie que vous déployez en mettant en avant l'importance de la recherche en médecine, mais aussi dans l'agriculture, dans l'environnement et dans le secteur de l'énergie. Cette crise va nous permettre de créer de nouveaux partenariats pour nous préparer à faire face à de futures pandémies, et c'est une bonne chose. Sachez que nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey entament un travail sur l'Europe de la santé, en liaison avec notre commission des affaires sociales.
Je salue aussi la création de la plateforme européenne des données. Mais les données sont comme du pétrole brut, il faut ensuite les raffiner : nous avons donc besoin de faire émerger des entreprises européennes spécialisées dans le raffinage des données. Je me félicite enfin de l'esprit que vous insufflez à l'Union européenne en matière de recherche : « aussi ouvert que possible, aussi fermé que nécessaire. » C'est fondamental dans le monde très concurrentiel qui est le nôtre : même si le repli sur soi et le protectionnisme ne sont pas les voies à suivre, l'Europe ne doit pas être naïve.
Mme Pascale Gruny. - Chère Mariya Gabriel, je suis ravie de vous retrouver ici et je vous félicite de votre parcours. Je suis très heureuse de toute l'énergie que vous mettez dans le domaine de la recherche, qui me semble manquer de coordination et de partenariats. Selon vous, quels sont les principaux obstacles à la recherche commune d'un traitement et d'un vaccin contre le Covid-19 ? Comment expliquer les retards du programme Discovery auquel seuls la France et le Luxembourg participent ? Y a-t-il d'autres programmes européens de recherche ?
Je fais également partie d'une mission d'information sur la lutte contre l'illectronisme. Je suis heureuse d'apprendre que vous allez lancer un plan d'action en faveur de la connectivité dans la ruralité, car nous constatons des retards sur les équipements, mais aussi une certaine inculture numérique qui touche non seulement les personnes âgées, mais aussi des jeunes encore éloignés de ces outils.
Mme Laurence Harribey. - Je vous remercie pour votre enthousiasme et votre conviction profondément européenne. Nous préparons en effet un rapport sur l'Europe de la santé. Comment avez-vous sélectionné les projets de l'appel à projets de janvier ? Quels étaient vos critères de sélection et vos priorités ?
Comment voyez-vous la relation aux territoires ? La proximité me semble être l'une des conditions de la bonne réactivité ; nous avons mis en exergue le rôle des collectivités territoriales, et notamment des régions, dans le lien avec les PME. Il me semble que le lien avec les régions permettrait aux PME d'être plus efficaces pour atteindre les marchés.
Vous avez rappelé votre principe - « aussi ouvert que possible, aussi fermé que nécessaire » - qui pose la question de la souveraineté scientifique et technologique de l'Europe. Pouvez-vous nous apporter des précisions ? Car si l'on veut une solidarité européenne, il faut aussi une souveraineté européenne en matière de recherche.
M. Jean-François Rapin. - Le concept d'innovation ouverte est en effet un concept d'avenir.
Nous attendons des universités qu'elles se positionnent comme des acteurs essentiels de la reprise économique, tant au niveau local que national. Les plans de relance des États membres doivent être articulés avec le plan de relance européen et les écosystèmes développés par Thierry Breton. Je pense qu'il faut renforcer ces écosystèmes territoriaux au sein du troisième pilier et leur donner accès aux fonds structurels.
Les universités ont un rôle important à jouer dans les zones transfrontalières, tout particulièrement en cette période. Comment pourrait-on y renforcer leur activité ?
M. Jean-Yves Leconte. - Je ne suis pas certain que le raffinage des données, qu'évoque notre président, soit possible, compte tenu des contraintes et des protections posées par le règlement général sur la protection des données (RGPD).
J'ai été très frustré de constater l'incapacité des États membres de l'Union européenne à développer ensemble une application de type StopCovid, ainsi que de l'absence d'interopérabilité des fichiers sur les remontées des chaînes de contamination.
À l'occasion de la pandémie, j'ai constaté que les ministres de l'éducation ont fait face à la situation, chacun dans leur coin. Les règles de délivrance des diplômes permettant de passer dans l'enseignement supérieur ont été établies au niveau national, sans concertation avec les autres États membres, et sans prendre en compte les étudiants qui souhaitaient partir étudier dans un autre État. C'est très inquiétant.
L'Europe est aussi incapable d'envoyer un message clair aux étudiants extracommunautaires qui ont le projet de venir étudier dans nos universités. Si on attend trop longtemps, ils iront en Russie, en Chine ou en Turquie. Que peut-on faire à ce sujet ?
Nous avons vu les succès de Space X et le développement de l'exploitation de l'espace, y compris par des sociétés privées. Quels sont les moyens d'investissement européens dans le domaine de l'espace ? Aurons-nous enfin les moyens d'être un acteur du secteur spatial grâce au plan de relance de la Commission ?
Mme Mariya Gabriel. - Comment réduire les obstacles à la coopération entre nos chercheurs ? Ceux-ci doivent partager réellement leurs données sur la plateforme européenne prévue à cet effet. Les résultats obtenus par des projets financés sur fonds européens doivent être accessibles à tous sous trente jours, notamment pour que nos entrepreneurs en tirent profit. Il faut aussi continuer à renforcer les infrastructures de recherche, tout en popularisant ce que nous avons déjà fait. Ainsi, du projet Transvac, que nous finançons à hauteur de 20 millions d'euros, et qui offre gratuitement des services pour le développement de vaccins : tous les chercheurs européens connaissent-ils son existence ? De même, l'Ecrin - European Clinical Research Infrastructure Network - offre un soutien méthodologique pour la mise en place d'essais. Même remarque sur le projet Prepare - Platform foR European Preparedness Against (Re-)emerging Epidemics -, opérationnel depuis 2014 et qui a reçu 24 millions d'euros, et le projet European Virus Archives (EVA), dans lequel l'Europe aura investi 32 millions d'euros jusqu'en 2023 et qui a déjà donné suite à plus de 2 200 demandes venant de quatre-vingts pays. Avant de monter en puissance, nous devons faire connaître ce que nous avons fait et le rendre accessible.
J'aimerais aussi que se développent des synergies. La crise a révélé de grandes capacités de coordination, qui doivent continuer à unir les piliers du programme « Horizon Europe ». La recherche fondamentale, par exemple, doit contribuer à la mission contre le cancer, par exemple, ou aux partenariats public-privé (PPP). Lorsque le Conseil européen de l'innovation identifie une entreprise prometteuse, il n'est pas normal que celle-ci n'ait pas accès à un consortium préétabli et bien financé, pour l'aider à passer à l'échelle supérieure. Le mot « synergie » a été beaucoup prononcé ces dernières années ; je travaille beaucoup à le mettre en oeuvre dans la réalité. Pour cela, il faut développer la confiance entre les acteurs.
Je ne perds jamais de vue la question de l'illectronisme, notamment dans les zones rurales. Je vais lancer une initiative nommée Connectivity For Schools, similaire à ce que nous avons fait avec WiFi For EU, dont nous pouvons être fiers : avant de travailler sur les compétences numériques, il faut garantir une bonne connexion. Nous allons ouvrir la consultation publique ce mois-ci. N'hésitez pas à y participer, pour que l'on retrouve vos idées dans le plan d'action pour l'éducation numérique que je présenterai en septembre.
Quels critères de sélection des projets ? C'est un comité indépendant qui sélectionne. Il faut des projets prometteurs et qui peuvent être mis en oeuvre rapidement : nous avons ajouté le dix-huitième projet un mois après les dix-sept autres, et l'entreprise irlandaise concernée est la première à nous donner un résultat... Je veille à ce qu'on prenne en considération l'équilibre démographique, ce qui est indispensable pour travailler ensemble et ne pas reproduire dans nos politiques les fractures actuelles.
Et je veux aussi davantage de femmes dans la science et l'innovation. Au premier appel à projets du Conseil européen de l'innovation, seuls 8 % des projets retenus étaient portés par des femmes ! Ce n'est pas acceptable. Aussi avons-nous décidé, pour donner confiance aux femmes, de garantir que 25 % des candidats accédant à l'étape de l'entretien soient des femmes.
Je souhaite travailler davantage avec les régions sur les Seals of Excellence, que nous octroyons aux projets qui ont manqué de peu le financement : ces sceaux constituent une garantie européenne de qualité. La procédure de notification fait qu'ils sont souvent considérés comme une aide d'État. Je souhaite qu'on s'en dispense.
Nous allons aussi lancer une campagne d'information intitulée « La science à la rencontre des régions », car la confiance en la science décroît. Nous montrerons l'attractivité de la science européenne, pour attirer des jeunes et construire des partenariats, notamment avec les fonds de cohésion.
Il faut diffuser les bons exemples dans toute l'Europe. Certaines régions ont superbement utilisé le Fonds social européen (FSE) pour renforcer les compétences numériques des enseignants, par exemple. Le Fonds européen de développement régional (Feder) peut financer l'infrastructure d'un centre d'excellence payé par le programme « Horizon Europe », aussi. Dernier exemple : l'Institut européen d'innovation et de technologie doit réformer son fonctionnement : le kick-off digital fonctionne depuis plus de dix ans, et il n'y a que cinq centres de colocation en Europe ! Il faut que cet institut travaille mieux avec les régions, en offrant des formations au niveau local.
Vous évoquez la souveraineté scientifique. Pour la première fois, notamment grâce au Parlement européen, la défense des intérêts européens primerait. Le principe de réciprocité se double désormais, je l'ai dit, d'une volonté, d'être ouvert autant que possible, mais fermé autant que nécessaire. Cela pose la question de la relation avec la Chine. Nous devons nous pencher sur les droits de propriété intellectuelle et la réciprocité de l'accès aux financements publics, par exemple en termes de programmes de recherche ou de bourses. Il est temps aussi de cesser d'octroyer le même accès à tous dans nos programmes liés à Horizon Europe. Allons-nous donner à des pays tiers accès au Conseil européen de l'innovation ? Nous pourrions classer les niveaux d'accès par pilier. Notre budget au service de l'innovation est de 10 milliards d'euros sur sept ans, ce qui est peu par rapport à d'autres zones géographiques. Si nous voulons qu'il ait un impact, il faut le réserver aux entreprises européennes.
Le rôle des universités relève largement des États membres, certes, mais l'initiative que nous avons lancée est dotée d'un budget de 400 millions d'euros. Nous souhaitons développer des actions en la matière au niveau régional.
Pour les fonds structurels, la possibilité que vous évoquez existe. Reste à la populariser. Au début de la crise, nous avons rendu plus flexible leur utilisation. Or, tous les ministres de l'éducation ne sont pas au courant des possibilités actuelles. C'est pourquoi j'ai créé une plateforme pour que les États membres échangent leurs bonnes pratiques. Tous n'y ont pas encore eu recours. Je ferai en sorte de diffuser au maximum ces informations.
Pour les applications accompagnant la lutte contre la pandémie, l'interopérabilité reste notre grand défi, faute de confiance entre États membres, et entre citoyens. Le RGPD est pourtant respecté, mais il prévoit des exceptions en cas de crise sanitaire. Malheureusement, les États membres se focalisent sur la nature (centralisée ou non) du dispositif. Or il y a trois conditions pour sortir de la crise : reflux de l'épidémie, capacités suffisantes des systèmes de santé, et moyens permettant de suivre l'évolution de la situation.
La reconnaissance des diplômes, on en parlait déjà quand j'étais étudiante ! Je souhaite que les alliances universitaires européennes, qui suscitent beaucoup d'enthousiasme, n'attendent pas 2024 pour régler cette question, comme celle du statut de l'université ou la carte électronique d'étudiant : c'est pour faire ce travail, entre autres, que nous les finançons, à hauteur de 5 millions d'euros chacune. Nous voulons de véritables campus européens, où les étudiants passent chaque semestre dans un pays différent. Pour cela, il faudra traiter ces difficultés. Je le dirai aux 41 alliances, lorsque je les verrai en septembre. J'ai prévu un projet-pilote garantissant 2 millions d'euros par alliance pour y intégrer la dimension R&I.
Vous l'avez dit, nous sommes passés d'un projet d'enveloppe budgétaire de 14,4 à 13,2 milliards d'euros pour l'espace. Comme nous ne pourrons pas investir dans tout, il faudra le faire de manière stratégique. Sur ce point, M. Breton est d'accord avec moi. Déjà, nous pourrions mieux utiliser les données que nous avons, et parler davantage de nos réalisations, comme Copernicus et Galileo.
Je travaille continûment sur les fausses nouvelles. Je fais partie, avec M. Borell et la vice-présidente Jourovà, du groupe sur la désinformation, qui présentera la semaine prochaine une communication. Dans le cadre de mon portefeuille, je vais poursuivre le travail. Il faut un réseau européen de vérificateurs de contenus. Surtout, la désinformation sera un point principal du plan d'action pour l'éducation numérique. Jeunes et enseignants doivent proposer des moyens de la combattre par l'éducation. Et nous continuerons la campagne « A Safer Internet for EU », déjà rejointe par 11 millions de citoyens européens. J'ai constaté que les jeunes ont tendance à croire les jeunes : un enfant en primaire croit davantage un jeune en terminale qu'un commissaire européen comme moi ! Les ambassadeurs de cette campagne doivent donc être des jeunes.
Il faut aussi créer une grande plateforme européenne pour héberger des cours en ligne massifs (MOOCs): des cinq plus grosses actuellement, aucune n'est européenne ! Dans le nouveau programme Erasmus+, je proposerai des académies européennes d'enseignants. La désinformation y sera évidemment abordée.
J'ai participé à toute la négociation et aux trilogues pour le règlement du problème du géo-blocage. Pour le contenu audiovisuel, il y aura une révision deux ans après la mise en oeuvre. Il faudra sans doute hausser le ton pour savoir si l'étude d'impact a été faite. Au moment des négociations, tout n'a pas pu être inclus dans le texte, car ce sont des sujets sensibles pour certains États membres.
Sur les vaccins, les entreprises européennes ne sont pas en concurrence. Si j'ai soutenu la société CureVac, qui m'a appelée à l'aide, c'est uniquement parce que c'est une entreprise européenne. J'aurais fait la même chose pour toute entreprise européenne, et, avec la Banque européenne d'investissement (BEI), nous avons déjà soutenu des dizaines d'entreprises depuis le début de la crise. Nous sommes très bien positionnés sur le vaccin, avec deux des cinq premières entreprises au monde, dont l'une a commencé ses essais cliniques, qui passeront en phase 2 et 3 dès juillet. Ce qui m'inquiète n'est pas le développement du vaccin, mais sa production et sa distribution. Il va falloir anticiper : pour le moment, nous n'avons pas de capacités suffisantes de production. Et nous ne savons pas s'il faudra une chaîne de production chaude ou froide. Le marathon des donateurs organisé à l'initiative de la présidente de la Commission européenne nous a donné les moyens d'intervenir lorsqu'arrivera la phase de production, en août ou septembre - merci, d'ailleurs, pour l'importante contribution française ! La coalition pour l'innovation dans la recherche gèrera la partie consacrée au vaccin, mais je souhaite - et nous contribuons à hauteur de 1,2 milliard d'euros - que nous soutenions surtout nos entreprises. En tout cas, nous devrons identifier rapidement les projets les plus prometteurs. Quant à la distribution, l'Union européenne a affirmé clairement que l'accès devrait être universel. Mais nous devons rassurer les entreprises sur le fait qu'elles conserveront leur indépendance financière le moment venu.
Les jeunes sont très durement touchés par la crise, qui affecte leur accès au marché de l'emploi. La garantie jeunesse sera renforcée par le commissaire Schmit, je m'en réjouis. L'investissement dans la jeunesse doit faire l'objet d'un effort supplémentaire de la part des États membres. Dans le cadre du programme Erasmus+, comme la mobilité ne reviendra pas tout de suite, nous renforçons ce que l'on appelle la « blended mobility ». Il y avait 16 500 étudiants Erasmus hors de chez eux au début de la crise. Pour les programmes de longue durée, près de 70 % ont interrompu leur mobilité, et 30 % l'ont continuée en ligne. Pour la courte durée, ces chiffres sont de 60 % et 40 %. Nous avons appliqué la clause de force majeure : les étudiants ne perdent pas leur mobilité, ils peuvent la reporter jusqu'à dix-huit mois, et nous prendrons en charge les coûts supplémentaires.
Le patrimoine culturel me tient à coeur, comme je l'ai rappelé le jour de l'Europe. La culture est notre ADN : c'est le pont entre le passé et le futur, qui doit nous éviter de reproduire les erreurs de jadis. Une réunion est prévue la semaine prochaine avec le groupe d'experts sur l'héritage culturel que nous avons formé. Je lui demanderai de se pencher sur la sortie de crise.
Je me réjouis que ma demande de voir le tourisme culturel faire partie du paquet sur le tourisme ait été entendue. Presque 40 % du tourisme en Europe est culturel. Les trois quarts des Européens choisissent leur destination de vacances en fonction des monuments historiques, et six des dix musées les plus visités du monde sont en Europe. Ce secteur peut nous aider à sortir de la crise. Nous allons lancer une campagne incitant nos concitoyens à passer cet été en Europe, pour découvrir toutes les merveilles qui sont autour de nous, et que l'application Cultural gems signale. Le programme « Discover EU » aide les jeunes à voyager. Je souhaite le focaliser sur les richesses culturelles européennes, en l'assortissant d'accès gratuits aux musées et évènements culturels régionaux. Le budget d'Europe créative est restreint. Le programme « Horizon Europe » peut lui donner de nouvelles perspectives. Le 26 juin, je tiendrai une grande conférence pour fixer les prochaines priorités européennes dans le secteur culturel. Et, même si je ne suis plus chargée du numérique, je continue à suivre l'avancée de la taxation des Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft - et la question de l'article 17 de la directive sur les droits d'auteur. La culture doit être une priorité européenne majeure.
M. Jean Bizet, président. - Je vous remercie de votre intervention. Bravo pour votre énergie et votre engagement. Permettez-moi de revenir sur la proposition de loi sur le principe d'innovation que j'ai déposée il y a une dizaine d'années et qui a été largement adoptée par le Sénat, mais que l'Assemblée nationale n'a pas reprise. Il ne faut pas en rester là, car le principe de précaution nous place dans une posture trop défensive - attitude plus proche de celle des pays latins que de celle de nos voisins anglo-saxons ! Ce que la France n'a pas su faire, l'Europe l'a fait : merci. Je regrette que l'Allemagne se trouve à freiner la création du brevet unitaire. C'est grave, et j'interpellerai les présidents du Bundestag et du Bundesrat sur ce point. Ce projet remonte à 1975 et a fait l'objet d'une coopération renforcée de vingt-six États membres, dont seize ont ratifié le brevet unitaire.
Le sujet du Brexit me préoccupe également : il est indispensable de conserver l'esprit unitaire de la recherche européenne, en y conservant le Royaume-Uni.
Je souhaite, enfin, que nous vous aidions à faire valoir la primauté de la science sur les fausses nouvelles - non seulement en ce qui concerne la médecine, mais également en matière d'environnement, d'agriculture et d'énergie -, le respect de la propriété intellectuelle dans les échanges internationaux, et l'importance de la réciprocité. La Chine, surtout, doit tenir ses engagements sur ces deux derniers points. Nous ne pouvons pas nous immiscer dans les trilogues - je souhaiterais d'ailleurs que cela change -, mais nous les suivrons avec attention. Merci pour votre action.
Mme Mariya Gabriel. - Ce qui nous anime tous, ce sont nos valeurs européennes, et le fait que nous voulons que le projet européen dévoile toute sa beauté. Merci à vous.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 50.