- Lundi 4 mai 2020
- Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions - Nomination d'un rapporteur
- Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
- Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions - Examen de la motion d'irrecevabilité
- Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions - Examen des amendements au texte de la commission
- Communications diverses
- Mercredi 6 mai 2020
- Mesures prises dans le cadre de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 - Audition de M. Jean Castex, coordonnateur national à la stratégie de déconfinement (par téléconférence)
- Mesures prises dans le cadre de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 - Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales (par téléconférence)
Lundi 4 mai 2020
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 10 h 15.
Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions - Nomination d'un rapporteur
La commission désigne M. Philippe Bas rapporteur sur le projet de loi n° 414 (2019-2020) prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
- Présidence de M. François-Noël Buffet, vice-président -
Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions - Désignation des candidats pour faire partie de l'éventuelle commission mixte paritaire
La commission soumet au Sénat la nomination de MM. Philippe Bas, François-Noël Buffet, Alain Milon, Philippe Bonnecarrère, Mme Laurence Rossignol, MM. Jean-Pierre Sueur et Alain Richard comme membres titulaires, et de M. Mathieu Darnaud, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Vincent Segouin, Hervé Marseille, Jean-Luc Fichet et Mmes Maryse Carrère et Esther Benbassa comme membres suppléants de l'éventuelle commission mixte paritaire réunie pour examiner les dispositions restant en discussion du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions.
Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Philippe Bas, rapporteur. - Mes chers collègues présents et virtuellement présents, nous sommes saisis d'un projet de loi dont l'objet principal est la reconduction, pour deux mois, de l'état d'urgence sanitaire. À cette occasion, le Gouvernement nous propose également deux séries de dispositions importantes : la première concerne la mise en quarantaine et le placement à l'isolement de certaines personnes infectées ou susceptibles d'avoir été infectées par le virus ; la seconde concerne la mise en place d'un système d'information centralisé alimenté par les médecins, les laboratoires d'analyses biologiques et les services de l'assurance maladie. Par ailleurs, le texte qui nous est présenté ne comporte aucune mesure relative à la responsabilité pénale des personnes qui, à raison de leurs fonctions, vont être amenées à prendre des décisions d'organisation destinées à ralentir ou à éviter la propagation du Covid-19.
La prolongation de l'état d'urgence est nécessaire pour passer de la phase de confinement à la phase de déconfinement. La reprise de l'activité - des écoles, des entreprises et des services publics - va entraîner une multitude de décisions individualisées en termes d'organisation. Je vous proposerai de ne prolonger l'état d'urgence sanitaire que jusqu'au 10 juillet prochain, afin de ne pas aller au-delà d'un délai de deux mois après le début du déconfinement. Quoi qu'il en soit, il est probable que le Gouvernement nous demandera au mois de juillet de prolonger cet état d'urgence sanitaire, le cas échéant pour prendre des mesures beaucoup plus souples. Mais, compte tenu de l'importance des demandes formulées par le Gouvernement à l'occasion de ces projets de loi, il me semble indispensable que le contrôle du Parlement s'exerce dans un délai un peu plus court que celui qui est prévu par le Gouvernement.
La plupart des mesures que le Gouvernement est susceptible de prendre au cours de la période de déconfinement ne sont d'ailleurs pas d'ordre législatif. En effet, la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 permet au Gouvernement de prendre de très nombreuses mesures. C'est ainsi qu'il pourrait tout à fait décider que le confinement est maintenu dans les départements rouges et prescrire des mesures réglementaires en ce sens. Nous ignorons d'ailleurs totalement, sauf s'agissant de l'ouverture des parcs et jardins, les conséquences qui seront tirées du classement des départements en plusieurs catégories de couleurs différentes - cela n'a pas été dévoilé dans la stratégie de déconfinement présentée à l'Assemblée nationale. Nous avons donc déjà donné l'essentiel des pouvoirs nécessaires. Le Gouvernement n'en demande pas plus, sauf pour la question de la quarantaine et de l'isolement ainsi que pour la mise en place de ce système d'information.
Pour l'organisation de ce déconfinement progressif, une multitude de décisions vont être prises par des autorités privées et publiques - maires, chefs d'entreprise, autorités organisatrices de transport (AOT) -, dans une multitude de lieux. Se pose alors la question de leur responsabilité. Il m'a paru indispensable d'introduire, à l'article 1er, des dispositions visant à prendre en compte la situation des personnes qui se verraient reprocher pénalement d'avoir indirectement contribué à la propagation du virus, alors même qu'elles auraient scrupuleusement respecté, non seulement les obligations et interdictions édictées au titre de l'état d'urgence sanitaire, mais aussi les autres consignes particulières de prudence imposées par les lois et règlements. Je me suis longuement interrogé sur l'étendue de cette exonération. Les autorités qui organisent le déconfinement - celles qui exercent, sur le fondement du code de la santé publique, un pouvoir de police administrative spéciale, c'est-à-dire les ministres et les préfets - ne doivent pas échapper à leur propre responsabilité ; en revanche, toutes les autres autorités, qui ne tirent pas du code de la santé publique de responsabilités en matière de police administrative, se verraient protégées, dans une certaine mesure. Bien évidemment, si la contamination est intentionnelle ou s'il y a violation des lois et règlements ou des mesures individuelles de police sanitaire, il y aura délit, voire crime - il ne saurait y avoir d'exonération de responsabilité.
Le texte comporte également des dispositions assez redoutables, mais absolument nécessaires, sur les systèmes d'information. Elles impressionnent par leur caractère massif. Le Premier ministre a évoqué les chiffres : jusqu'à 3 000 personnes sont contaminées chaque jour ; chacune d'entre elles a rencontré en moyenne 20 à 25 autres personnes dans les jours précédant sa consultation chez le médecin ; ce qui nous fait un total de 525 000 tests de dépistage à effectuer chaque semaine ; disons 700 000 pour avoir de la marge. Ces 525 000 personnes vont être l'objet d'un suivi via un fichier.
Si la création de ce fichier est soumise à un vote du Parlement, c'est qu'il comportera des données médicales auxquelles des non-médecins et des non-professionnels de santé devront avoir accès. C'est donc, juridiquement, la question du secret médical que nous traitons aujourd'hui, même si, politiquement, nous traitons aussi d'autres questions, inextricablement liées : du respect de la vie privée et de l'efficacité de la lutte contre le Covid-19. Hors cette question du secret médical, le dispositif souhaité pourrait entrer en vigueur sans qu'il soit besoin pour le Gouvernement de recourir à la loi, puisque le règlement général sur la protection des données (RGPD) le permet. Il est ainsi expressément prévu que les fichiers comportant des données personnelles concernant la santé et destinés à la poursuite d'un intérêt supérieur - comme peut l'être la lutte contre l'épidémie de Covid-19 - puissent être mis en oeuvre sur cette base juridique et pour cette finalité. Néanmoins, nous sommes saisis de cette question et je vous proposerai d'aller très au-delà de la simple question du secret médical.
Concrètement, le dispositif qui est proposé commence par la visite d'un patient présentant des symptômes du Covid-19 chez un médecin : le médecin lui prescrit un test de dépistage et doit en principe entrer des informations sur le système d'information qui le relie déjà à l'assurance maladie. Le médecin doit aussi demander au patient quelles ont été les personnes qu'il a rencontrées dans les jours précédant la consultation, que l'on appelle les « cas contacts ». Ces noms doivent aussi être intégrés au fichier. Les médecins généralistes auront droit à une prestation tarifée particulière pour cette consultation. Le laboratoire d'analyses médicales sera, quant à lui, appelé à renseigner le fichier avec le nom du patient et le résultat du test. Une plateforme de l'assurance maladie, composée très largement de non-médecins, qui aura reçu l'information via le laboratoire d'analyses médicales, appellera alors le patient pour lui demander quelles sont les personnes qu'il a rencontrées les jours précédents. Ces personnes seront contactées, elles devront faire un test de dépistage sous 24 heures et entrer en quatorzaine, et ce même si le test de dépistage est négatif, car les tests ne sont pas encore totalement fiables et la personne peut être dans une période d'incubation dont la durée est inconnue. Il ne s'agit pas ici d'obligations légales, ni de décisions de police administrative, mais bien de prescriptions médicales : le dispositif repose sur le civisme et l'esprit de responsabilité de chacun.
De proche en proche, nous allons donc être amenés à suivre de très nombreux Français. Le dispositif n'est pas de nature différente de ce qui se passe aujourd'hui pour une méningite. Quand j'étais ministre de la santé, j'avais été surpris d'apprendre que, en cas de méningite dans une école primaire, j'étais très largement informé et que je pouvais donner des consignes. Nous sommes donc déjà organisés dans la lutte contre les contagions pour traiter ces informations. La différence aujourd'hui, c'est qu'il s'agit d'un système massif, avec la manipulation d'informations via un fichier centralisé, ce qui préoccupe légitimement beaucoup d'entre vous. C'est pourquoi je vous proposerai d'apporter plusieurs garanties concernant l'alimentation et l'utilisation de ce fichier.
Comme le suggère la commission des affaires sociales, que je suivrai, il ne faudrait pas que toutes les pathologies de la personne testée - problème cardiaque, surpoids, hypertension artérielle, maladie respiratoire, etc. - se retrouvent dans ce fichier. Ce sont des informations certes utiles pour soigner spécifiquement cette personne, mais pas pour limiter la propagation du virus et lutter contre l'épidémie. Il nous paraît donc nécessaire de préciser que les informations médicales contenues dans le fichier se rapportent directement à l'infection par le Covid-19. Je vous proposerai également de garantir un droit d'accès et d'information pour les personnes dons les données sont inscrites dans ce fichier à l'initiative de tiers, un droit de rectification d'une information erronée et un droit d'opposition, afin d'éviter d'éventuelles dénonciations malveillantes de faux cas contacts. Il faut protéger celui qui proteste d'avoir été inscrit à tort, car quatorze jours sans aller travailler sur la base d'une dénonciation mensongère, cela n'est pas acceptable. Le Sénat doit être à la hauteur de son rôle de gardien des libertés publiques et individuelles.
Je vous proposerai aussi d'exclure que ce dispositif puisse servir de fondement juridique au développement de l'application Stop-Covid. Cela n'est pas indispensable, mais il faut donner un coup d'arrêt aux spéculations sur le mésusage de ce système d'information.
Je ne m'étendrai pas sur les dispositions de mise en quarantaine et d'isolement des personnes venant de l'étranger ou quittant l'Hexagone à destination de l'outre-mer. J'ai toutefois été stupéfait de constater que la Corse était soumise au même régime que l'outre-mer. Je vous proposerai donc quelques modifications.
La commission des affaires sociales prévoit un système contraignant en cas de réitération de l'inobservation des recommandations médicales. Mon avis diverge cependant de celui de la commission des affaires sociales.
Enfin, quelques questions subsistent sur la liste des agents verbalisateurs, mais nous y reviendrons au moment d'examiner les articles.
M. Alain Richard. - Je partage l'approche de notre rapporteur. J'ai toutefois une première réserve au sujet des citoyens réfractaires et une seconde réserve, toute personnelle, sur l'immunité pénale. Votre dispositif me semble en effet délicat à soutenir devant le juge constitutionnel, car la protection contre les plaintes abusives est déjà assurée par la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, dite loi Fauchon, et la Cour de cassation l'encadre parfaitement depuis vingt ans. Il y a certes besoin de réassurance et d'accompagnement moral des décideurs, et tout particulièrement de nos collègues maires, mais nous sommes un peu loin du droit. Je me plierai néanmoins à la très large majorité et je tiens à rendre hommage au travail accompli.
M. Philippe Bonnecarrère. - Pourquoi ne pas avoir prévu de déclaration obligatoire de la maladie ? Cela aurait été une voie de droit commun.
Un arrêté publié au Journal Officiel du 22 avril dernier autorise la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) et le Health Data Hub à collecter un large éventail de données. Comment cette nouvelle base de données s'articulera-t-elle avec le système d'information prévu à l'article 6 ?
À l'article 1er, je n'ai pas d'observation à formuler quant au délai de prorogation de l'état d'urgence sanitaire. S'agissant de la responsabilité, l'observation de notre collègue Alain Richard me semble justifiée. Mais il faut aussi tenir compte du caractère atypique de la situation : il est demandé aux décideurs de prendre des mesures dont une partie est contraire à l'avis du comité de scientifiques Covid-19.
Permettez-moi enfin de vous faire part de mon étonnement concernant vos propositions à l'article 6. Tout comme le président Bas, je suis attentif aux libertés. Mais les garanties que vous nous proposez sur la limitation du champ des pathologies et le droit d'accès - avec probablement très peu de recours - sont loin d'être le coeur du sujet. Pourquoi l'identité du patient devrait-elle figurer dans le fichier central ? Pourquoi ne pas anonymiser ce fichier ? Et ne risque-t-on pas de priver la recherche d'informations importantes en supprimant la mention des pathologies du patient ? Je suis favorable à ce qu'une enquête épidémiologique soit menée localement, mais pourquoi la plateforme devrait-elle révéler l'identité du patient aux cas contacts ? Dès que l'on quitte la communauté médicale de proximité, les données doivent être anonymisées. À rebours, je ne vois aucune objection à ce que la science dispose de toutes les caractéristiques médicales du patient anonymisé.
Mme Maryse Carrère. - Je remercie notre rapporteur pour ses explications concises. Nous partageons les mêmes préoccupations : nous n'avons eu qu'un jour et demi pour étudier un texte qui n'est pas anodin dans la mesure où il traite certes de l'état d'urgence sanitaire, mais, surtout, il comporte plusieurs mesures de nature à porter atteinte aux libertés individuelles.
Notre commission assure actuellement un suivi des mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire : quelles leçons pouvons-nous tirer des questions que nous avons posées dans ce cadre ?
Mon groupe a déposé plusieurs amendements qui nous semblent essentiels, notamment sur la question du délai de prorogation. Nous proposons de faire démarrer ce délai à compter du vote de la loi, donc probablement à partir de jeudi prochain.
Nous avons de sérieux doutes sur les articles 2 et 3, notamment sur la question des mineurs : dans quelles conditions les mineurs pourront-ils être mis en quarantaine ? Tout est flou à ce stade. La réquisition prévue par le texte concerne-t-elle seulement les brigades médicales ? En outre, nous ne disposons d'aucune précision sur les personnes qui pourraient être réquisitionnées dans le cadre de ces brigades médicales. Nous avons aussi beaucoup de questions sur les outre-mer. Notre collègue Stéphane Artano, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon, devra-t-il subir une quatorzaine s'il souhaite revenir siéger parmi nous, au motif qu'il doit passer par le Canada pour revenir ? Les zones de transit sont-elles des espaces neutralisés pour l'application de ces dispositions ?
Il ne nous semble pas facile de dédouaner les maires de leurs responsabilités, comme le souligne notre collègue Alain Richard. Soulignons néanmoins qu'à une semaine de l'échéance du déconfinement, les maires ne sont toujours pas associés au plan de déconfinement, alors même que l'on prône le couple maire-préfet depuis quelques mois ! Les maires ont été uniquement associés sur le sujet des écoles.
M. Jean-Pierre Sueur. - Au nom de mon groupe, je tiens à m'associer aux propos de notre collègue Maryse Carrère : les conditions dans lesquelles nous travaillons sont exorbitantes. Nous examinons ce lundi matin un texte qui a été adopté par le conseil des ministres samedi dernier : c'est sans précédent ! Nous avons mobilisé des personnes toute la nuit pour rédiger des amendements. Ce sont des conditions inacceptables, même dans la situation que nous connaissons. Nous aurions pu bénéficier de quelques jours de plus. Ces conditions sont difficiles à admettre pour le fonctionnement du Parlement.
Nous partageons la position de notre rapporteur sur la question de la responsabilité. S'agissant des élus, nous sommes tous en contact avec de très nombreux maires. Un de nos amendements, auquel nous tenons absolument, a malheureusement été déclaré irrecevable, mais nous le modifierons afin de le redéposer en vue de la séance publique.
Nous proposons de limiter la prorogation de l'état d'urgence à un mois, afin de respecter les droits du Parlement.
À l'article 6, nous avons eu de grands débats autour des nécessités sanitaires, de la liberté et du respect de la vie privée. La synthèse est difficile, mais nous refusons le recours à toute nouvelle ordonnance : cela n'est pas acceptable sur un sujet aussi sensible. Nous veillerons aussi à ce que ce dispositif ne soit pas l'occasion de faire passer subrepticement le système Stop-Covid.
La demande de prorogation de l'état d'urgence appelle une série de questions sur des sujets que nous avions évoqués dans la loi du 23 mars 2020 et qui ne sont pas dans le texte qui nous est soumis aujourd'hui. C'est le cas des élections municipales, au sujet desquelles nous avons déposé un amendement, car l'élection des maires et des adjoints des communes dont le conseil municipal a déjà été intégralement renouvelé est très attendue. Et de nombreux sujets - sur le droit du travail, la détention provisoire, etc. - ne sont pas non plus traités dans ce texte. Nous avons donc déposé des amendements.
M. Vincent Segouin. - Vous avez évoqué le contrôle de la quatorzaine, soit par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) soit par le médecin traitant. Comment pourrons-nous nous assurer du respect de cette mesure ? Si le porteur du virus est une personne seule, qui assure sa prise en charge - sont-ce les élus ?
Vous proposez que les élus soient soumis à une obligation de moyens, et non de résultat. Quid des chefs d'entreprise ? Je rappelle qu'en moyenne, chacun d'entre eux emploie six salariés dans notre pays. S'ils étaient soumis à une obligation de résultat, il leur serait très compliqué de mettre en place un dispositif de protection. Ils ne peuvent pas, par exemple, prendre la température de leurs salariés.
M. Pierre-Yves Collombat. - Avec le recul, on peut dire que le Gouvernement et le Président de la République ont commencé par daigner reconnaître le problème avant de se lancer dans une série d'improvisations, avec des mesures de bricolage, et de défausses. Avec ce projet de loi, on continue dans la même voie.
L'improvisation, d'abord : s'agissant du suivi des personnes susceptibles d'avoir été contaminées, on nous a d'abord vanté une méthode - l'application Stop Covid -, avant de reconnaître qu'elle n'était pas opérante. On s'en tient donc, comme on le constate avec ce texte, à des généralités. L'exécution posera problème : qui assurera le suivi des personnes contaminées ? L'assurance maladie ? C'est une plaisanterie ! M. Delfraissy l'a dit devant la commission, il faut des brigades sanitaires, pour lesquelles 30 000 personnes sont requises. Mais où sont-elles ?
On ne peut pas donner un blanc-seing au Gouvernement sur la base de préconisations générales. Le travail réalisé par la commission est positif, mais nous ne devons pas éternellement nous contenter de limiter les dégâts.
La défausse, ensuite, sur un plan tant pratique - que les élus se débrouillent pour appliquer les recommandations ! - que pénal et politique. Si la situation s'améliore, ce sera grâce aux mesures du Gouvernement ; si ce n'est pas le cas, ce sera évidemment la faute de ceux qui ne les ont pas fait appliquer !
Il faut régler certains problèmes, notamment celui de la responsabilité des élus, lesquels ne peuvent pas être mis dans le même sac que tous les autres. Puisque ce sont des bénévoles qui exercent des fonctions gratuites, il faut les exonérer de responsabilité pénale s'ils appliquent les lois et règlements pris dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. J'ai déposé un amendement sur ce point.
M. François-Noël Buffet, président. - Mes chers collègues, je vous rappelle que nous devons examiner 170 amendements. Je vous demande donc d'être concis.
M. Loïc Hervé. - Je rejoins mes collègues qui ont dénoncé les conditions de travail du Parlement. Il a été matériellement impossible d'organiser des auditions pour préparer l'examen de ce projet de loi, qui ne se contente pas simplement de prolonger l'état d'urgence sanitaire.
Le Gouvernement avait déployé des trésors de pédagogie pour nous convaincre de l'intérêt de l'application Stop Covid, qui n'est pour l'instant pas mise en place. Il ne peut faire de même s'agissant de l'article 6, dont il ne connaît pas les implications matérielles.
J'approuve le raisonnement de M. Bonnecarrère : nous devrons définir la ligne de crête entre l'urgence sanitaire et la préservation des libertés publiques, dont le Sénat est le défenseur.
Comment seront menées les enquêtes épidémiologiques ? Dans quel cadre juridique et numérique se dérouleront-elles ? Dans un certain nombre de clusters, elles ont été conduites par des médecins et par les agences régionales de santé (ARS).
Le dispositif prévu à l'article 6 relevait du règlement. Le Gouvernement a fait le choix de l'élever au niveau législatif. Est-ce une garantie supplémentaire ? Si tel est le cas, je comprends la logique du rapporteur, qui a rappelé les règles fondamentales de la loi du 6 janvier 1978 sur le droit d'accès, de rectification et de suppression des données collectées.
Des contrôles supplémentaires sont-ils prévus ? Seront-ils le fait du Parlement, de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), d'une commission ad hoc ?
Les réponses à ces questions détermineront notre positionnement sur l'article 6.
M. Alain Marc. - De nombreuses questions sur la responsabilité juridique des maires se posent, notamment dans la perspective de la réouverture des écoles. Ceux-ci ont une obligation de moyens : ils ont procédé à des enquêtes pour savoir combien d'enfants seront présents en classe à partir de la semaine prochaine. L'organisation des classes devra être revue, et il est important pour les maires de prouver qu'ils ont respecté leurs obligations. Peut-on leur conseiller, pour éviter une mise en cause juridique ultérieure, de tourner une vidéo tous les matins pour montrer que le protocole a bien été respecté, voire de faire venir un huissier ?
M. Jean-Yves Leconte. - Ce projet de loi vise à mettre en musique l'intervention du Président de la République du 13 avril dernier. Alors que le Gouvernement a eu jusqu'au 2 mai pour préparer son texte, le Sénat a 48 heures pour l'examiner... Durant cette période, on nous a « amusés » avec le système Stop Covid pour finalement mettre en place un dispositif beaucoup plus intrusif, sur lequel nous n'aurons pas autant travaillé. Nous déposerons un amendement visant à rendre ce fichier interopérable avec ceux de nos partenaires européens qui respectent les mêmes conditions de sécurité.
Les dispositions prévues aux articles 2 et 3 ne sont pas très claires : quelle est la différence entre une quarantaine et un placement à l'isolement ? S'agissant de la quarantaine, la question des garanties, particulièrement pour les mineurs, devrait relever du domaine législatif.
Depuis plusieurs mois, de nombreux pays ont mis en place des contrôles aux frontières, notamment des questionnaires de santé ou la prise de la température. La France n'a jamais pris de telles dispositions. Il est paradoxal de mettre en place des quarantaines au moment où l'épidémie est moins virulente, à l'inverse de ce qu'ont fait d'autres États, qui ont décidé de ce genre de mesures au début de l'épidémie.
Les Français qui vivent hors de notre pays ont été incités par le Gouvernement à ne pas rentrer - seules les personnes qui étaient de passage à l'étranger ont été rapatriées. Après le déconfinement, ils seront soumis à une quarantaine... Cette mesure ne devrait s'appliquer que si ces personnes refusent de se soumettre à des tests ou à un examen médical ; sans infection avérée, il n'y a pas de raison de les priver de liberté. Avec ce type de disposition, il n'y aura plus un seul touriste en France d'ici à la fin de l'année.
M. André Reichardt. - Je m'offusque qu'aucune disposition ne soit prévue pour exonérer les élus et les chefs d'entreprise de leur responsabilité, à tout le moins pénale. Je me félicite que le rapporteur ait prévu un amendement en ce sens.
Il n'y a rien non plus dans le texte sur le rôle des élus locaux dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Depuis l'entrée en vigueur de la loi d'urgence du 23 mars 2020, les maires ont perdu une grande partie, si ce n'est la totalité, de leurs pouvoirs de police administrative générale. Lorsqu'on leur demande leur avis, il est très peu pris en compte. Nombre d'entre eux se voient comme des spectateurs dans la gestion de cette crise, et ne l'acceptent pas.
Par une décision du 17 avril 2020, le Conseil d'État a estimé, me semble-t-il, que le maire pouvait prendre des mesures plus protectrices de la santé publique que celles qui sont adoptées sur l'ensemble du territoire à condition, notamment, que des circonstances locales particulières le justifient. Nous pourrions ajouter cette possibilité dans le texte par amendement.
Sur l'article 6, j'approuve complètement les observations de M. Bonnecarrère sur l'absence d'anonymisation, en particulier pour les cas contacts. Là encore, nous pourrions améliorer le texte.
Enfin, stop aux ordonnances ! Si nous confions, comme le texte le prévoit, au Gouvernement le soin de modifier, par ordonnance, le cadre légal de cette nouvelle application, il ne faudra pas s'étonner que cela aboutisse à un dispositif qui ne satisfasse pas le Sénat, le protecteur des libertés publiques.
Mme Esther Benbassa. - Je rejoins nombre de remarques faites par mes collègues. Avec mon groupe, nous nous interrogeons sur le bien-fondé de la prorogation de l'état d'urgence sanitaire. Il y a bien sûr nécessité à agir pour enrayer l'épidémie, mais l'état d'urgence, tel qu'il a été voté le 23 mars, n'est pas satisfaisant et a conduit à une gestion de crise désordonnée. Le président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a évoqué un risque d'accoutumance aux mesures de contrôle. Nous demandons plutôt plus de masques, de tests, de lits d'hôpital. L'état d'urgence sert simplement de bouclier à l'exécutif.
L'article 6 mériterait d'être profondément remanié, et le rapporteur a présenté quelques éléments allant en ce sens. Mon groupe demande la suppression de cet article dans sa rédaction actuelle.
Mme Marie Mercier. - Aux termes de l'article L. 3113-1 du code de la santé publique, les médecins doivent informer les autorités compétentes s'ils diagnostiquent chez un patient une maladie contagieuse. Je ne pense pas que la mesure prévue par le texte soit véritablement une nouveauté.
Mme Sophie Joissains. - Le groupe de l'Union centriste est d'accord pour écourter la durée de l'état d'urgence prévue à l'article 1er. L'article 2 ne pose pas problème. Nous avons déposé un amendement de suppression de l'article 6, et un amendement de repli. Celui-ci prévoit une enquête de terrain pour déterminer les contacts et recueillir les données, lesquelles devront ensuite être anonymisées avant d'être saisies dans le système d'information.
La CNIL a rendu un avis sur l'arrêté du 21 avril 2020, qui met déjà en place une plateforme des données de santé, le Health Data Hub. Elle a soulevé la question des contrats de sous-traitance, dont l'un mentionne la possibilité d'héberger certaines données aux États-Unis, ce qui est en contradiction avec notre position sur le RGPD. L'État devrait s'impliquer sur cette question.
Enfin, je rappelle qu'Hervé Maurey a déposé une proposition de loi sur la responsabilité des maires. Ceux-ci attendent avec impatience une clarification sur le sujet.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Mes chers collègues, j'ai pris bonne note de l'ensemble de vos observations. Pour éviter de répéter mon propos liminaire ou d'anticiper les avis que je donnerai sur les amendements, je répondrai au fur et à mesure de l'examen des articles du texte.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Comme c'est l'usage, je voudrais commencer par évoquer le cadre dans lequel la commission a examiné la recevabilité des amendements au titre de l'article 45 de la Constitution, sur la base du protocole adopté à cette fin par la Conférence des présidents.
La commission a considéré que le périmètre du projet de loi incluait des dispositions liées à la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et au système de verbalisation, le dispositif d'isolement et de quarantaine ainsi que le traitement dématérialisé d'un certain nombre d'informations médicales. Ne sont donc pas recevables les amendements relatifs au droit électoral, aux règles de fonctionnement des collectivités territoriales, ainsi qu'à des mesures budgétaires, fiscales, économiques et sociales - autant de domaines qui ne sont pas traités dans le texte du Gouvernement.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous ne sommes pas d'accord avec la liste que vous venez de dresser, pour une raison de bon sens. Le projet de loi prorogeant les dispositions d'un texte antérieur, il nous semble donc que celles-ci peuvent donner lieu à des amendements.
M. Alain Richard. - L'article 45 a récemment fait l'objet d'une analyse très complète du secrétaire général du Conseil constitutionnel dans Les nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel. La tâche est malaisée, mais il me semble que les dispositions de la loi du 23 mars 2020 relatives à la continuité des activités nationales pourraient faire l'objet d'amendements dans le texte qui prolonge cette loi. Je pense notamment aux missions éducatives. Je reconnais que le débat est ouvert.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Lors de l'examen des amendements, je ferai preuve de souplesse dans l'appréciation du périmètre que je vous ai donné à titre indicatif.
Monsieur Richard, je n'ai pas exclu la continuité des activités nationales du périmètre de recevabilité des amendements, mais je ne l'ai pas non plus inclus. Ce point mérite discussion.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Lorsque nous avons examiné la loi du 23 mars 2020, nous avons décidé de ne pas appliquer l'article 45 de la Constitution. Nous avions considéré que les conditions dans lesquelles le Parlement légiférait justifiaient cette décision, même si le champ du texte était large. Il devrait en être de même aujourd'hui, vu les conditions invraisemblables, et même inacceptables, dans lesquelles nous avons travaillé.
À part le droit électoral, tous les domaines que vous avez cités relèvent de l'état d'urgence sanitaire. Nous ne devons pas brider la contribution du Parlement au-delà de ce que le Gouvernement nous impose déjà.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je prends acte de toutes ces observations. Nous ferons de notre mieux ensemble.
J'évoquerai maintenant les amendements déclarés irrecevables au titre de l'article 40 de la Constitution. Il s'agit des amendements COM-24 rectifié, COM-27 rectifié, COM-52, COM-53 rectifié, COM-58, COM-75, COM-76, COM-77, COM-78, COM-86, COM-91, COM-97 et COM-102.
M. Philippe Bas , rapporteur. - L'amendement COM-20 tend à supprimer la prolongation de l'état d'urgence sanitaire. Je propose de maintenir cette prorogation, mais de modifier la date d'expiration. L'avis est défavorable.
L'amendement COM-20 n'est pas adopté.
M. Philippe Bas , rapporteur. - L'amendement COM-124 vise à mettre en place une dégressivité de l'état d'urgence sanitaire. J'y suis défavorable : en cas de deuxième vague de l'épidémie, il sera nécessaire de prendre certaines mesures. Il faut garder de la souplesse.
L'amendement COM-124 n'est pas adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-59 vise fixer au 23 juin la date d'expiration de la prorogation de l'état d'urgence. Je proposerai, pour ma part, la date du 10 juillet. Je suis donc défavorable à cet amendement.
L'amendement COM-59 n'est pas adopté.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Nous ne disposons que de peu de temps pour examiner les amendements. Le rapporteur devrait d'abord nous présenter les siens, nonobstant le dérouleur : nous les adoptons s'ils nous conviennent, sinon le débat s'engage.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Mon amendement COM-159 réduit la durée de la prorogation de l'état d'urgence sanitaire et anticipe sa date de fin au 10 juillet, soit deux mois après le 11 mai.
L'amendement COM-159 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-55 vise à éviter que les dispositions relatives à l'allongement de la durée de la détention provisoire ne soient prolongées jusqu'au 24 juillet prochain. Il est vital que la justice se remette au travail. La détention du fait de la loi avait été mise en place pour ne pas libérer des détenus en instance de jugement réputés dangereux.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je me réjouis de l'initiative du rapporteur. Nous avons déposé à ce sujet un amendement qui n'aura plus de raison d'être.
M. Alain Richard. - À quelle date cette disposition prendra-t-elle effet ?
Ce texte sera soumis au Conseil constitutionnel après son adoption, ce qui laisse un peu de temps à l'appareil judiciaire pour se préparer.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous avons fixé la date au 24 mai prochain.
Mme Sophie Joissains. - Nous avons aussi déposé un amendement visant à revenir au droit commun en matière de détention. Nous voterons celui du rapporteur.
L'amendement COM-55 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-123 prévoit la remise d'un rapport par le Gouvernement. Mais nous lui adressons des courriers chaque semaine dans le cadre du comité de suivi et nous multiplions les auditions... Nous demandons des informations de manière plus régulière et plus approfondie. Nous mettrons la baïonnette dans les reins du Gouvernement s'il le faut ! Je suis défavorable à cet amendement.
Mme Maryse Carrère. - Je le retire !
L'amendement COM-123 est retiré.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-125 est déjà satisfait par le droit en vigueur. Retrait ?
Mme Maryse Carrère. - Je le retire également.
L'amendement COM-125 est retiré.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je suis défavorable à l'amendement COM-126.
L'amendement COM-126 n'est pas adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Au moment d'aborder l'amendement COM-51, et sur les conseils de Mme de la Gontrie, je vous propose de débattre, dans un même temps, de tous les amendements portant sur la responsabilité pénale.
Ma proposition vise à modifier le régime de responsabilité pénale, uniquement pour l'épidémie du coronavirus SARS-CoV-2 et pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire, par une disposition applicable à tous, et notamment aux maires, aux présidents de conseil départemental ou régional, mais aussi à toutes les autorités organisatrices d'une collectivité de travail. D'après mon amendement, et dans cadre précis, nul ne pourrait voir sa responsabilité pénale engagée pour, soit avoir exposé autrui à un risque de contamination, soit avoir causé ou contribué à causer une telle contamination. Mais des exceptions sont prévues si les faits ont été commis intentionnellement ou en violation manifestement délibérée d'une mesure de police administrative prise en application du code de la santé publique ou d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement.
Cette mesure s'inspire de la loi Fauchon, tout en étant plus protectrice. En revanche, le droit commun s'appliquerait aux autorités de l'État - ministres et préfets - en cas d'imprudence ou de négligence dans l'exercice des pouvoirs de police spéciale qui leur sont confiés au titre de l'état d'urgence sanitaire. Je n'ai pas voulu que l'on puisse parler d'un « amendement d'amnistie » à l'égard de ceux qui sont responsables de définir l'organisation de la protection des Français face à l'épidémie.
Mme Catherine Di Folco. - Quelle définition donnez-vous du mot « imprudence » ? Quelle distinction faites-vous avec le terme « négligence » ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - La disposition s'applique à tous, y compris aux personnes privées. Nous sommes très au-delà de la loi Fauchon !
Mme Sophie Joissains. - Nous avons, sur l'initiative d'Hervé Maurey, présenté un amendement plus restrictif, précisant que « les décisions prises au cours de l'état d'urgence sanitaire et en lien avec lui ne sauraient être constitutives d'une faute caractérisée ». À ce stade, nous le maintenons.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous avions, quant à nous, proposé un amendement qui incluait aussi la responsabilité civile. Selon celui-ci, dès lors qu'un maire - nous nous étions restreints aux élus locaux, mais c'est une bonne chose de prendre en compte tous ceux qui exercent une responsabilité - fait ce que l'État lui demande de faire, sa responsabilité ne peut être engagée. Je ne sais pas si l'amendement que propose le rapporteur couvre ce cas de figure... Mais, compte tenu des difficultés de mise en oeuvre que soulèvent certaines règles fixées pour les écoles ou le transport, c'est une question que l'on nous soumet tous les jours.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je n'arrive pas à comprendre pourquoi le Sénat, représentant des collectivités territoriales, s'évertue à mettre sur le même plan la situation des élus, surtout des maires, et celles où les responsabilités sont exercées par des personnes dont c'est le métier. On ne cesse de rappeler la gratuité du mandat, de saluer le dévouement de nos élus et, quand il s'agit de prendre en compte ce qu'on leur impose dans ce contexte si particulier, avec des réglementations dignes du père Ubu, on ne veut pas les exonérer de responsabilités, notamment en matière pénale !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio et M. Vincent Segouin. - Il s'agit du même sujet.
M. Pierre-Yves Collombat. - Avec ma collègue Éliane Assassi, nous avons présenté des amendements qui revisitent légèrement les dispositions du code pénal issues de la loi Fauchon, en précisant que nous sommes dans la même situation qu'en cas de force majeure. Je ne comprends pas cette volonté de « dilution » au moment où la situation de nos élus, très spécifique en raison de leur champ d'intervention plus large et de leurs moyens plus faibles, appelle un traitement en urgence.
M. Alain Richard. - Les mesures d'élargissement de la protection proposées par Philippe Bas s'inscrivent dans un article hors de tout code, ce qui est normal pour une disposition temporaire. Toutefois, la logique en droit voudrait que l'on précise qu'elles s'appliquent « nonobstant toute disposition contraire du code pénal ». Je ne pousserai pas l'argumentaire pour réclamer cette insertion, mais il faut que ce soit très explicite au moment du vote de l'article.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Rendons hommage au travail réalisé par Hervé Maurey ! Même si l'amendement qu'il présente aujourd'hui est légèrement différent, il est le premier, avec sa proposition de loi, à avoir ouvert le débat sur la responsabilité pénale des maires. Mais il nous faut tout regarder à la loupe : dans la rédaction de l'amendement COM-2, il est question des « décisions prises au cours de l'état d'urgence sanitaire et en lien avec lui ». Lesquelles ? Prises par qui ? À quel moment ? Quant au lien, est-il direct ou indirect ? Si l'on veut satisfaire pleinement M. Maurey et les cosignataires de l'amendement, il vaut mieux opter pour la formulation que je défends et qui me semble plus aboutie. C'est, en quelque sorte, un amendement « Maurey plus ».
Mme Sophie Joissains. - Il faut le dire en séance !
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous nous abstiendrons sur l'amendement COM-51 : il est si large que nous craignons qu'il n'ait pas l'effet recherché. En ce sens, les propos de Pierre-Yves Collombat méritent sans doute d'être entendus.
Mme Esther Benbassa. - Je ne comprends pas bien non plus qu'une telle amnistie soit prévue pour les employeurs ou pour les fonctionnaires, dont les policiers. Des clarifications s'imposent pour que cela ne parte pas dans tous les sens !
M. Hervé Marseille. - À ce stade du débat, le problème est juridique, mais aussi politique : nous attendons une marque de confiance envers tous ceux qui s'engagent. En effet, même avec un texte parfaitement bordé, on n'empêchera jamais un magistrat d'instruire au pénal : en son temps, le directeur de cabinet de Mme Roselyne Bachelot et, plus tard, le conseiller de l'Élysée avaient été entendus pour une commande trop importante de produits ; ce pourrait être l'inverse pour la situation actuelle ! Mais vous avez emporté notre conviction, monsieur le président-rapporteur, et nous nous rallions à votre position.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Il s'agit bien d'exonérer de toute responsabilité pénale ceux qui auraient commis une infraction non intentionnelle tout en appliquant les règles fixées par l'État. Mais il n'y a pas d'amnistie ! Mon dispositif n'exonère pas les personnes qui commettraient un délit intentionnel ou violeraient de manière délibérée la loi ou les règlements.
M. Collombat tient à distinguer le cas des employeurs, dont ce serait le métier que d'assurer la sécurité de ceux qui sont sous sa direction. Mais le maire, c'est sa fonction ! La première fonction que l'on ait attribuée aux maires au XIXe siècle est celle de l'hygiène et de la sécurité publiques. Nous proposons de les protéger s'ils n'ont pas intentionnellement commis de délit, mais ils ont, comme n'importe quel employeur, une fonction à assumer.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - L'amendement s'applique donc à tout le monde...
L'amendement COM-51 est adopté.
Articles additionnels après l'article 1er
L'amendement COM-2 est retiré.
Les amendements COM-21, COM-36, COM-37 et COM-39 rectifié quater sont devenus sans objet.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-3 rectifié ter subordonne la réouverture des écoles à un accord exprès du maire. C'est faire peser sur ce dernier une responsabilité qui n'est pas la sienne, puisqu'elle incombe au directeur de l'école sous l'autorité de sa hiérarchie. Je demande le retrait.
Mme Sophie Joissains. - Je le retire.
L'amendement COM-3 rectifié ter est retiré.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Dans le même ordre d'idée, l'amendement COM-26 rectifié prévoit que le maire demande validation de la conformité au protocole sanitaire en vue de la réouverture d'une école. Que l'on ne mêle pas le maire à cela ! L'Éducation nationale doit assumer sa responsabilité !
M. Jacques Bigot. - Je souhaite intervenir au titre de l'amendement COM-25 rectifié, déposé par mes soins, que nous allons examiner. Celui-ci n'enlève rien à l'amendement du rapporteur, qui porte sur la responsabilité pénale, puisqu'il concerne la responsabilité administrative. Je rappelle que l'État ne peut être poursuivi au pénal, contrairement à une commune, un département ou une région. Il me semble donc essentiel de bien établir sa responsabilité administrative exclusive en matière de réouverture des établissements scolaires.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - J'entends les remarques du rapporteur quant au fait de ne pas imposer aux maires un rôle qui n'est pas le leur. Mais, jusqu'à présent, les directeurs d'école avaient plutôt compris qu'il était question d'une coordination par les maires ; ils pourraient s'inquiéter que l'on revienne dessus. En outre, en voulant éviter de mettre les maires dans la boucle, on y met les directeurs d'école. L'État entend-il se dédouaner, simplement avec la diffusion d'un protocole sanitaire long de 63 pages ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Ce problème est réglé en droit. L'article L. 411-1 du code de l'éducation fixe les pouvoirs du directeur d'école, lequel les exerce sous l'autorité de l'inspecteur d'académie, lui-même placé sous celle du recteur. L'État est donc pleinement responsable ; inutile de le préciser. On n'a pas attendu le Covid-19 pour répartir les responsabilités entre le directeur d'école et le maire !
L'amendement COM-26 rectifié n'est pas adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Pour les mêmes raisons, avis défavorable sur les amendements COM-28 rectifié et COM-29 rectifié.
Les amendements COM-28 rectifié et COM-29 rectifié ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-25 rectifié n'est pas adopté, de même que l'amendement COM-127.
Articles additionnels avant l'article 2
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je demande le retrait de l'amendement COM-70. À défaut, l'avis sera défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Cela risque peut-être d'engendrer quelques lourdeurs, mais il me paraît nécessaire que, dans la période actuelle, les actes pris au titre de l'état d'urgence sanitaire nous soient transmis.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Dans le cadre de la loi du 23 mars 2020, nous avons voté un article L.3131-13 du code de la santé publique, prévoyant une information sans délai du Parlement sur les mesures prises, et le Gouvernement honore cette obligation.
M. Jean-Pierre Sueur. - Y compris s'agissant des décisions préfectorales ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - La transmission des actes des autorités administratives n'avait-elle pas été écartée en CMP ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous nous voyons transmettre, chaque semaine, toutes les mesures prises par les autorités, y compris préfectorales. Nous avons même eu communication d'arrêtés pris par les maires. Le Gouvernement joue le jeu.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous ne demandons pas à recevoir une copie de tous les actes émis, mais il est important que nous puissions y avoir accès si nécessaire. Au bénéfice de vos explications, nous retirons cet amendement.
L'amendement COM-70 est retiré.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Sous réserve d'une modification rédactionnelle, l'avis est favorable sur l'amendement COM-84.
M. François-Noël Buffet, président. - La modification demandée consiste à préciser que le conseil de scientifiques est celui qui est prévu par l'article L. 3131-19 du code de la santé publique.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous l'acceptons.
L'amendement COM-84 rectifié est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution, l'amendement COM-103, portant sur le droit au logement opposable, est en outre satisfait par le moratoire général sur les délais de recours créé par l'ordonnance du 25 mars 2020.
M. Jean-Pierre Sueur. - On applique l'irrecevabilité au titre de l'article 45 à toutes les mesures sociales découlant de la première loi d'urgence sanitaire !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Néanmoins, l'amendement est satisfait.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je le retire.
L'amendement COM-103 est retiré.
L'amendement COM-104 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Avis défavorable sur l'amendement COM-30.
M. Jean-Pierre Sueur. - Outre que, d'un point de vue général, nous n'avons pas la même conception de ce qui est irrecevable, je tiens à dire que la préoccupation exprimée par les auteurs de l'amendement COM-30 n'est pas imaginaire. Actuellement, alors que nous sommes dans un contexte électoral, certains élus distribuent masques et autres objets avec leur signature, voire leur photo, apposée dessus. C'est indécent ! Même si l'amendement est déclaré irrecevable, j'insiste sur la réalité de cette préoccupation.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je n'ai pas déclaré cet amendement irrecevable. J'y suis défavorable en raison de son caractère général. Il tend à interdire toute inscription sur les masques délivrés et fait porter le soupçon sur toutes les collectivités qui en ont achetés. Cela nous semble exagéré.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il y a une différence entre apposer le logo de la commune, du département, de la région et le nom d'un élu, surtout s'il est encore en lice pour une élection.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vous voulez des exemples ?...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Une dépense assumée, dans un intérêt électoral, par une collectivité publique est illégale. Elle entraîne l'annulation des comptes de campagne et l'inéligibilité. Vous avez donc les moyens de dénoncer de tels abus.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous maintenons l'amendement.
L'amendement COM-30 n'est pas adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-128 est satisfait. Avis défavorable.
Mme Maryse Carrère. - Pour quelle raison est-il satisfait ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'obligation, ou non, du port du masque dans l'espace public relève des larges pouvoirs attribués au Premier ministre par la loi du 23 mars dernier. Nous avons déjà énuméré huit cas de figure pour lesquels il serait justifié de prendre des décrets. Il ne nous semble pas nécessaire d'aller au-delà.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vous pourriez le retirer après engagement du Gouvernement en séance ?
Mme Maryse Carrère. - Je pense que Véronique Guillotin présentera à nouveau cet amendement en séance et expliquera sa position. Le sujet est important : certaines communes ayant pris des arrêtés pour rendre le port du masque obligatoire dans l'espace public se retrouvent soumises à la pression des préfets pour les retirer.
L'amendement COM-128 n'est pas adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - S'agissant de l'amendement COM-160, le Gouvernement a fourni des explications oiseuses concernant les « lieux de regroupement », une notion dont on ne trouve aucune référence dans le code de la sécurité intérieure. Il nous a semblé que, parce qu'il aurait rencontré des difficultés ici ou là, il cherche à interdire qu'une communauté puisse se réunir dans un lieu privé. Je n'ai pas envie de faire un saut dans l'inconnu en introduisant ce nouveau concept.
L'amendement COM-160 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - C'est un objectif légitime que de vouloir mettre en place une réglementation spécifique dans les transports publics d'Île-de-France. Mais rendre obligatoire, dans la loi, la présentation d'une attestation de déplacement, comme proposé dans l'amendement COM-1, impliquerait qu'une nouvelle disposition législative intervienne pour revenir sur cette obligation. Laissons donc les autorités préfectorales adapter la réglementation en fonction de l'évolution de la situation sanitaire. Avis défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Très bien.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté, non plus que l'amendement COM-9.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Outre une difficulté rédactionnelle, sur laquelle je passe, l'amendement COM-38 tend à ce que puisse être prise, par décret, une dérogation au secret fiscal qui devrait être prévue par la loi. Avis défavorable.
L'amendement COM-38 n'est pas adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Quand le Gouvernement s'est rendu compte qu'il devait employer des médecins des agences régionales de santé en dehors du cadre de leurs fonctions, il a réussi à le faire, mais au prix de quelques acrobaties juridiques. Il n'a donc pas strictement besoin du pouvoir de réquisition des personnes prévu à l'alinéa 6 de l'article 2. Mais la modification demandée vise à clarifier le cadre légal et à sécuriser les opérations de réquisitions. L'avis est donc défavorable sur les amendements COM-8, COM-62, COM-71, COM-129 et COM-79.
Les amendements COM-8, COM-62, COM-71, COM-129 et COM-79 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-95 n'est pas adopté.
L'amendement COM-101 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-130 n'est pas adopté.
L'amendement COM-131 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous en arrivons à la discussion commune sur les amendements COM-161, COM-168, COM-16 rectifié, COM-49, COM-35, COM-60, COM-80, COM-132, COM-133, COM-134, COM-61 et COM-23 rectifié.
Dans un premier élan, le Gouvernement voulait que l'on puisse, par arrêté du préfet, mettre en quarantaine ou à l'isolement des personnes récalcitrantes, ne voulant pas respecter des consignes de quatorzaine données. Il y a renoncé, mais nos collègues de la commission des affaires sociales nous demandent de rétablir cette mesure. Je ne suis pas favorable à cette proposition, mais je vais laisser M. Alain Milon nous l'exposer.
M. Alain Milon, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. - Limiter l'isolement prophylactique à une simple recommandation nous paraît insuffisant, compte tenu de la dangerosité du virus, en particulier de sa contagiosité très performante. Si nous n'isolons pas les malades porteurs du Covid-19, nous allons avoir une recrudescence de la maladie. Or, même si 86 % des patients touchés sont asymptomatiques, il en reste 14 % qui ne le sont pas, parmi lesquels environ 25 % mourront de la maladie.
Nous comptabilisons environ 26 000 morts en établissements, soit en milieu hospitalier, soit en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). En dehors, l'ordre des médecins a estimé leur nombre à 9 000 voilà quinze jours. On peut donc considérer que le nombre de morts avoisine 40 000 personnes avec confinement de la population.
Si l'on se contente de préconiser aux porteurs du virus de rester chez eux, certains le feront, d'autres non. Dans ce dernier cas, ils transmettront la maladie, avec, à la clé, la possibilité d'une deuxième vague épidémique submergeant les hôpitaux. Les praticiens hospitaliers que nous avons auditionnés sont donc, en majorité, très favorables à un confinement des malades porteurs du Covid-19, y compris les porteurs sains.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Les arguments de la commission des affaires sociales ne sont pas minces, et méritent d'être considérés attentivement. Pour autant, j'estime, comme le Gouvernement - dont je ne suis aucunement le porte-parole, naturellement - que la plupart des gens respecteraient la prescription, alors que le président Milon, lui, craint que la plupart des gens ne la respectent pas. Celle-ci, je le rappelle, s'appliquerait aussi à des personnes ayant effectué un test de dépistage dont le résultat serait négatif, car ce résultat pourrait ne pas être fiable, ou le test aurait pu être fait pendant leur période d'incubation.
Dans Le Petit Prince, si le roi donne un ordre qui ne peut être obéi, il est désavoué. Aussi ne donne-t-il que les ordres que ses sujets lui réclament. Il me semble que si nous voulions faire respecter l'isolement par la coercition, nous ne pourrions pas le faire. Les Français n'auront plus à produire d'attestation pour sortir, et il serait impossible de les faire tous surveiller. Même pour des personnes soupçonnées de liens avec le terrorisme, le mieux qu'on ait pu faire jusqu'à présent a consisté en une forme d'assignation à résidence : interdiction de sortir plus de douze heures par jour, obligation de pointer trois fois par semaine et périmètre de sortie limité. Comme nous ne pouvons pas mettre un gendarme ou un gardien de la paix devant chaque personne susceptible d'être affectée, l'État n'a pas les moyens de mettre en oeuvre un système autoritaire et bureaucratique.
La symbolique de l'arrêté préfectoral peut faire réfléchir les récalcitrants, peut-être. Mais nous risquons surtout de susciter des stratégies de contournement de la règle par ceux qui ne voudront pas être pris dans les filets, ce qui accroîtra autant la diffusion de l'épidémie que l'éventualité que des personnes ne respectent pas des mesures non coercitives. Nous aurons ce débat, nécessaire, en séance. Pour ma part, si je vous propose d'en rester au système qui repose sur le civisme, l'esprit de responsabilité et la confiance, c'est aussi pour des motifs qui sont aussi d'efficacité sanitaire. Un dispositif contraignant serait très difficile à appliquer : comment savoir, en voyant quelqu'un dans la rue, qu'il fait l'objet d'un arrêté préfectoral lui interdisant de sortir de chez lui ?
Mme Brigitte Lherbier. - Nous n'avons pas les moyens de contrôler les récalcitrants en effet. On le voit déjà dans les zones à urbaniser en priorité (ZUP), où le confinement n'est pas respecté. Dans ces conditions, c'est l'autorité elle-même qui serait menacée.
M. Vincent Segouin. - Dire qu'on ne peut pas contrôler est une réponse assez rapide : la CPAM peut passer des appels sur une ligne fixe, et l'application reposant sur le Bluetooth peut être mobilisée à cette fin.
M. Alain Richard. - Nous entrons dans une phase de déconfinement, partiel, très risquée et inédite : les mouvements de personnes seront imprévisibles. Je défends la formule proposée par le président Milon, car je n'aimerais pas que nous ayons à prendre cette décision dans un mois et demi après avoir constaté qu'il aurait fallu la prendre aujourd'hui.
M. Alain Milon, rapporteur pour avis. - Tout à fait.
M. Alain Richard. - J'entends bien que le contrôle sera difficile à effectuer. Mais si l'interdiction se fonde sur un constat médical de contagiosité, on peut concevoir quelque chose d'analogue à ce que l'on pratique depuis longtemps avec l'internement d'office, et il serait logique que la liste des personnes concernées figure temporairement au fichier des personnes recherchées.
Mme Catherine Troendlé. - Je partage les inquiétudes de MM. Milon et Richard. Je ne pense pas que nous puissions simplement demander aux Français contaminés de rester chez eux, en faisant confiance à leur civisme ou à leur sens des responsabilités. La situation est trop grave. Il faut une mesure coercitive. Même si nous n'avons pas les moyens de la faire respecter, le symbole de l'obligation motivera davantage chacun à faire preuve de civisme.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Actuellement, un porteur du virus n'est soumis à aucun régime particulier. Si nous considérons qu'il doit être mis en quarantaine, pourquoi ne l'avons-nous pas fait le 23 mars dernier ? Il y avait des raisons, que j'ai rappelées. Si nous imposons un arrêté préfectoral, les personnes qui redouteront l'enfermement ne vont pas se déclarer, et ne contamineront pas moins les autres que celles qui ne respecteraient pas des mesures facultatives. Bref, ce serait créer une fausse sécurité, puisque le respect des arrêtés préfectoraux ne pourrait pas être contrôlé. Le contrôle téléphonique par la CPAM aura lieu, certes. Mais sans attestation, il sera difficile de contrôler un porteur de virus qui sort de chez lui, sauf dans les cas, anecdotiques, où il aura été interpellé pour avoir commis une infraction. Mieux vaut miser sur un accompagnement que sur un système de contrainte qui resterait virtuel et irréaliste, puisque le déconfinement nous désarme, et provoquerait des stratégies de contournement. Actuellement, madame Troendlé, les malades ont le droit de sortir, et s'ils ne le font pas, c'est qu'ils respectent ce qu'a dit le médecin - heureusement !
M. Patrick Kanner. - Le débat entre sécurité sanitaire et libertés individuelles est un débat impossible, mais nous ne devons pas diverger des principes républicains : je soutiens la proposition de M. Bas.
L'amendement COM-161 est adopté ; les amendements COM-168 et COM-16 rectifié deviennent sans objet.
M. Christophe-André Frassa. - La mise en quatorzaine des personnes qui arrivent en France pose problème. D'ailleurs, devant le tollé suscité par son annonce, le Gouvernement a limité la mesure aux personnes arrivant de l'extérieur de l'espace Schengen, dont les frontières sont fermées au moins jusqu'à la mi-mai, sauf pour les nationaux souhaitant revenir chez eux - il est vrai qu'on les en empêche depuis deux mois, et parfois plus s'ils vivent en Asie... La plupart des compagnies aériennes exigent un certificat de non-infection au coronavirus à l'enregistrement et à l'embarquement. La seule à ne pas l'exiger est Air France. Avant de mettre à l'isolement les passagers débarquant en France, nous pourrions inciter notre compagnie nationale à adopter cette pratique et, au lieu d'appliquer indistinctement la même mesure à tous les voyageurs, effectuer des tests à l'arrivée. J'ajoute que certains pays situés hors de l'espace Schengen ont été plus stricts que l'Italie ou l'Espagne, dont les ressortissants pourront circuler librement en France. C'est inquiétant et difficile à comprendre pour nos compatriotes qui vivent hors de l'espace Schengen. D'où mon amendement COM-16 rectifié.
Mme Jacky Deromedi. - En effet, les Français résidant à l'étranger doivent tous être traités de la même manière. Un Français qui habite dans l'Union européenne n'est pas moins à risques qu'un autre qui habite ailleurs dans le monde. Pas de discrimination, donc ! D'ailleurs, beaucoup ont déjà été soumis, dans leur pays d'accueil, à des quarantaines très strictes.
M. Jean-Yves Leconte. - Pourquoi l'amendement COM-16 rectifié deviendrait-il sans objet ? Je soutiens les deux orateurs précédents.
M. Alain Richard. - Y a-t-il dans les textes en vigueur une disposition spécifique pour les frontaliers ? S'il n'y en a pas, il faudra alerter le Gouvernement.
M. François-Noël Buffet, président. - En effet.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je crois avoir pris en compte ces objections, mais je n'ai pas encore eu l'occasion de développer la question. L'information selon laquelle tous nos compatriotes vivant à l'étranger seraient mis en quarantaine à leur retour a beaucoup ému ces derniers, mais elle est fausse. La quarantaine n'est qu'une faculté donnée à l'autorité administrative. Quand elle est décidée, elle est obligatoire, mais on n'est pas obligé de la prescrire. D'ailleurs, le Gouvernement a déjà annoncé qu'il en exempterait nos compatriotes revenant des pays de l'espace Schengen ne posant pas de problèmes sanitaires - il y aura une liste des pays non sûrs. Enfin, j'ai prévu que le Français revenant de l'étranger puisse être confiné chez lui : s'il habite à Bordeaux par exemple, il pourra s'y rendre. De plus, la mise en quatorzaine ne lui interdira pas absolument de sortir. Au fond, cette mesure est surtout faite pour ne pas contaminer nos compatriotes d'outre-mer. Nos îles, notamment, sont relativement préservées ; il s'agit d'éviter qu'elles ne connaissent, à leur tour, une vague importante de contamination. Le Gouvernement a voulu traiter de même la Corse. J'ai ajouté une modification, pour que les Corses venant sur le continent ne soient pas soumis à une quarantaine - pas davantage que les habitants des autres départements « verts ».
Les amendements COM-49, COM-35, COM-60, COM-80, COM-132, COM-133, COM-134, COM-61 et COM-23 rectifié deviennent sans objet.
Les amendements COM-81, COM-135 et COM-136 ne sont pas adoptés.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Mon amendement COM-162 est assez technique. Le Conseil d'État a distingué les régimes contentieux des mesures d'isolement et de quarantaine selon que celles-ci permettent ou non de sortir de chez soi pour faire ses courses. Dans un cas, c'est une restriction de liberté, donc une mesure administrative, sous le contrôle du juge administratif, dans l'autre, une privation totale, qui relève du juge des libertés et de la détention, donc d'un contentieux judiciaire. Mon amendement prévoit de placer tous les cas sous le régime judiciaire. Ce n'est pas que le juge administratif ne soit pas capable de protéger les libertés individuelles. Mais, pour des mesures finalement peu nombreuses, cela induirait des complications. D'ailleurs, le régime d'exception que je vous propose est plus protecteur des libertés que le régime de quarantaine et de l'isolement qui existait dans le code de la santé publique. Du coup, je vous propose également que nous adaptions ce dernier en l'alignant sur celui que nous concevons actuellement.
L'amendement COM-162 est adopté ; les amendements COM-66, COM-87, COM-140, COM-141, COM-93, COM-142, COM-64, COM-67 et COM-69 deviennent sans objet.
M. Jean-Pierre Sueur. - L'amendement COM-69 était strictement conforme aux déclarations du Premier ministre, qui fait reposer sa politique « sur la responsabilité individuelle et la conscience que chacun doit avoir de ses devoirs à l'égard des autres ». Il nous paraissait bon d'inscrire ces mots dans la loi.
M. François-Noël Buffet, président. - Mais il est tombé.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Il s'agit du régime de la quarantaine et de l'isolement qui existe déjà dans notre code et se fait sous la contrainte - d'autant plus facile à exercer que c'est en général au passage de la frontière qu'elle se déclenche. Une quarantaine facultative n'aurait pas de sens.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je comprends. Alors, si vous permettez, je retire mon amendement.
L'amendement COM-69 est retiré.
M. François-Noël Buffet, président. - L'amendement COM-17 rectifié est devenu sans objet avec l'adoption d'un amendement à l'article précédent.
L'amendement COM-17 rectifié est sans objet.
Les amendements COM-85, COM-137, COM-138 et COM-139 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-169 est adopté.
Les amendements COM-143 et COM-19 rectifié ter ne sont pas adoptés.
Article additionnel après l'article 3
L'amendement COM-170 est adopté.
Article 4
L'amendement de coordination COM-163 est adopté.
L'amendement COM-63 n'est pas adopté.
Articles additionnels après l'article 4
Les amendements COM-72, COM-73 et COM-56 ne sont pas adoptés.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Mon amendement COM-166 étend les garanties apportées par ce texte aux autres régimes de quarantaine et s'isolement dont le Gouvernement est susceptible de faire application après la fin de l'état d'urgence sanitaire.
L'amendement COM-166 est adopté.
Article 5
L'amendement COM-164 est adopté.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-144. Il y a déjà eu tant d'écarts d'appréciation par les forces de l'ordre entre les départements qu'il n'est pas opportun de donner à agents disposant d'une moindre qualification judiciaire le pouvoir de verbaliser, d'autant qu'il devrait, en principe, y avoir moins de contrôles dans le cadre du déconfinement que du confinement. Je suis favorable, à l'inverse, à ce que les agents des exploitants de transport guidé ou ferroviaire qui ont l'habitude de dresser des procès-verbaux puissent le faire dans le cadre de la lutte contre l'épidémie, à l'exception des agents d'accueil, qui ne font que contrôler les billets à l'entrée du quai et ne sont pas assermentés.
L'amendement COM-144 n'est pas adopté.
L'amendement COM-165 est adopté.
Division additionnelle après l'article 5
L'amendement COM-99 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous ne comprenons pas cette irrecevabilité. En séance, on l'évoquera en prenant la parole sur l'article.
Articles additionnels après l'article 5
Les amendements COM-31, COM-11 rectifié, COM-18, COM-33, COM-34 et COM-48 ainsi que les amendements identiques COM-50 et COM-54 rectifié ne sont pas adoptés.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-82 prolonge le mandat du Défenseur des droits. Il n'y a pas de raison liée au Covid-19 pour le faire.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Avis défavorable ou irrecevabilité liée à l'article 45 ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Avis défavorable. Voulez-vous dire que j'aurais dû opposer l'article 45 ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je ne doute pas que vous auriez pu trouver autre chose encore pour vous y opposer. Le mandat du Défenseur des droits, comme celui du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, arrive à échéance le 17 juillet. En cette période, il importe d'être vigilant pour que les rares instances qui agissent dans ce domaine puissent continuer à le faire.
M. Philippe Bas, rapporteur. - La République continue à fonctionner normalement pendant l'état d'urgence sanitaire, et les nominations se feront selon les règles ordinaires. Nous ne pouvons pas partir du principe que les conditions actuelles ne permettraient pas de garantir les compétences, l'indépendance et l'impartialité d'un éventuel successeur.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il n'est pas exorbitant de demander que le mandat soit prolongé jusqu'au terme de l'état d'urgence sanitaire.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je note que vous n'avez pas déposé d'amendement pour qu'on nomme rapidement un Premier président de la Cour des comptes...
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est que la Cour a la chance d'avoir une excellente Première présidente par intérim...
L'amendement COM-82 n'est pas adopté, non plus que l'amendement COM-100.
L'amendement COM-83 est retiré.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-98 est irrecevable en application de l'article 41 de la Constitution.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vraiment ? Nous avons voté la même chose dans la loi du 23 mars... Il s'agit de reporter le délai de la trêve hivernale.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Oui, mais nous parlons d'une habilitation à légiférer par ordonnances. L'ordonnance a un caractère réglementaire jusqu'au dépôt du projet de loi de ratification.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - C'est pour cette même raison, je suppose, que votre amendement sur la détention provisoire, qui a suivi exactement le même itinéraire législatif, a été voté tout à l'heure.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Sa rédaction est différente.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vous me suggérez de mieux le rédiger ?...
L'amendement COM-98 n'est pas adopté.
Article additionnel avant l'article 6
L'amendement COM-92 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 6
Les amendements identiques de suppression COM-14, COM-22 et COM-41 rectifié ne sont pas adoptés.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-42 supprimerait toute donnée personnelle du traitement pour que celui-ci ne serve qu'un objectif de recherche épidémiologique. Pour créer un tel système d'information destiné à la recherche, nul besoin de passer par la loi. Mais justement, le dispositif que le projet de loi met en place doit servir à contacter les personnes concernées, pour leur demander de se soumettre à un test et de se mettre en quatorzaine. Ce n'est que par surcroît qu'on peut se servir des données ainsi recueillies pour faire des enquêtes épidémiologiques, sous réserve de leur anonymisation préalable. Refuser de faire entrer des données personnelles dans ce système d'information, c'est refuser le système lui-même, puisqu'il n'a pas d'autre objet que de traiter des données personnelles.
M. Philippe Bonnecarrère. - Il y a le niveau de l'enquête épidémiologique de terrain, à partir de la consultation du médecin traitant, qui se fait avec les données personnelles, celles-ci pouvant être partagées avec l'équipe médicale. Et il y a le fichier national, qui a vocation à s'inscrire dans la durée. Prévoir qu'y figurent des données personnelles me paraît très excessif pour les libertés individuelles, et peu raisonnable en termes d'efficacité. Oui à l'identification pour l'équipe de terrain, mais pas dans le fichier central !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Mais il n'est pas possible d'avoir un fichier nominatif limité à un périmètre territorial trop restreint, et qui ne serait alimenté que par des médecins. D'ailleurs, la seule raison juridique impérieuse pour laquelle le Gouvernement demande au Parlement de statuer, c'est qu'il ne sait pas mettre en oeuvre un dispositif de traçage des personnes exposées au virus en le plaçant sous la responsabilité exclusive du corps médical. Celui-ci, du reste, ne souhaite pas entrer dans un tel dispositif et insiste beaucoup pour ne pas avoir à donner des informations sans l'accord du patient. Or, comment organiser le traçage sans lever le secret médical et y associer des non-médecins ? Nous parlons de 700 000 personnes par semaine... Les quelques milliers de médecins généralistes ne suffiraient pas à réaliser l'enquête pour chaque cas. Je partage votre réticence à ce dispositif, et voudrais que nous dérogions le moins possible au secret médical. Mais je crois qu'il n'est pas possible de ne pas y déroger.
Cela étant dit, je souhaite un strict respect du principe de minimisation des données personnelles de santé recueillies, et qu'une personne estimant qu'elle n'est pas un cas de contact ayant exposé quelqu'un à la contamination puisse bien se soustraire au fichier. Votre amendement réduirait à néant la possibilité même de contacter tous les cas contacts et de leur demander de suivre les prescriptions d'isolement. Nous avons écarté tout à l'heure un dispositif contraignant, passant par des arrêtés préfectoraux. Nous ne pouvons le faire que s'il existe un dispositif, plus souple, permettant d'alerter les personnes exposées pour qu'elles modifient à leur tour leur comportement pendant leur période d'incubation pour ne pas contaminer les autres.
M. Philippe Bonnecarrère. - Je ne demande pas que les médecins remontent la filière des contacts ; je demande simplement que, dans le cadre de leur échange avec leurs patients, ils en élaborent la liste. Et je n'exclus pas que des non-médecins passent ensuite les appels nécessaires. Mais le pire serait de communiquer aux personnes appelées le nom du patient à partir duquel on est remonté jusqu'à elles. Ce serait totalement liberticide.
M. Pierre-Yves Collombat. - Ne trouvez-vous pas irréel de discuter des conditions d'application d'un système dont on ne sait pas si nous aurons les moyens de le faire fonctionner ? Le bon sens serait de nous laisser quelques jours, voire quelques semaines, pour mettre en place un dispositif efficace qui n'empiéterait pas sur nos libertés, au lieu de se livrer à un bricolage perpétuel. Sous prétexte d'urgence, on essaie de trouver des palliatifs alors que la raison voudrait qu'on ne décide rien sur le dépistage et le contrôle avant d'avoir eu une réflexion approfondie sur la question. Déjà, ce qui était prévu initialement a été complètement abandonné : notre discussion est assez irréelle...
M. Philippe Bas, rapporteur. - La question de notre collègue Pierre-Yves Collombat est judicieuse. Je me demande aussi quand le dispositif prévu par le Gouvernement pourra être opérationnel, car il a devant lui plusieurs étapes : il devra en préciser la définition, les outils de traitement vont devoir être homologués, le dispositif présenté à la CNIL et les personnels formés. Cela fait beaucoup de conditions à réunir...
Je comprends des objections de notre collègue Philippe Bonnecarrère qu'il est d'accord pour l'existence d'un fichier, mais pas d'accord pour que ce fichier soit national. Mais quelle serait alors sa dimension idéale ? Quid des personnes qui n'habitent pas le département si le fichier était départemental ? Je pense que, pour des raisons techniques, nous avons besoin d'un fichier national. Et certaines objections de principe seront les mêmes, que le fichier soit territorial ou national. Je pense que nos positions peuvent se rapprocher, si l'on admet que la finalité de ce fichier n'est pas de faire de la recherche épidémiologique.
Lorsque la plateforme de l'assurance maladie appellera les cas contacts pour les informer qu'ils ont été en contact avec une personne infectée, il faut impérativement que l'identité du patient ne soit pas révélée, car cela n'est pas utile. Peut-être nous faudrait-il le préciser explicitement.
Mme Catherine Di Folco et M. Vincent Segouin. - Mais comment pourra-t-on alors faire usage de son droit d'opposition ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Le droit d'opposition pourra s'exercer grâce au lieu et à la date de l'éventuelle contamination. L'essentiel est qu'il ne faut pas dévoiler contre son gré la situation médicale d'un individu auprès de ses voisins et de son entourage. Après avoir été informée de la présence de ses données dans le fichier des cas contacts, la personne concernée pourra user de son droit d'opposition auprès du responsable du traitement. C'est ainsi que fonctionne classiquement le droit d'accès dans le cadre de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
M. Jean-Pierre Sueur. - On voit bien qu'il s'agit là d'un point important. Ne pourrait-on pas suspendre notre réunion de commission pour la reprendre dans l'après-midi ?
M. François-Noël Buffet, président. - Cela est malheureusement impossible, car notre texte de commission doit être prêt pour la séance et nous devons permettre à nos collègues de déposer d'éventuels amendements sur ce texte finalisé.
M. Loïc Hervé. - Notre droit positif comporte déjà un cadre juridique pour les études épidémiologiques : quelle est donc l'utilité de cette innovation juridique ? Le dispositif actuel fonctionne selon une logique décentralisée et c'est ainsi que l'ARS a procédé en Haute-Savoie, à La Balme-de-Sillingy et aux Contamines-Montjoie.
Comme pour Stop Covid, nous sommes face à une contradiction majeure : l'application coréenne est une application de confinement, mise en place au début du confinement, au moment où les libertés publiques sont le plus réduites ; or nous nous apprêtons à mettre en place un dispositif juridique et technique au moment du déconfinement. C'est incohérent ! Il aurait fallu le prévoir au début du confinement.
La protection de l'identité du patient que l'on pourrait appeler « patient zéro », c'est celle du cas contact n° 1 et tous les cas contacts des cas contacts. Il s'agit d'une véritable difficulté technique dont j'ai bien conscience. Nous devons à la fois veiller à l'efficience du système et protéger les libertés publiques.
Mme Catherine Troendlé. - Comment la personne contact peut-elle exercer son droit de recours sans connaître le nom de la personne contaminée ? Ce point mérité d'être clarifié.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Le cadre juridique évoqué par notre collègue Loïc Hervé est bien établi : il comporte une liste de maladies pour lesquelles la déclaration est obligatoire. Celle-ci est faite par un médecin et a vocation à être anonymisée à l'échelon de l'ARS. Les personnes concernées, identifiées par un numéro, ont un droit d'accès aux informations contenues dans le fichier, qui sont détruites passé un certain délai. Ce cadre juridique ne nous permet pas de remonter de façon aussi massive la filière des contaminations du Covid-19, dans le but d'alerter individuellement chaque personne exposée à un risque avéré. Je comprends la répugnance que suscite un système d'information national. Néanmoins, si vous le supprimez, il faudra assumer clairement auprès de nos concitoyens que vous ne voulez pas d'un dispositif de traçage. Des fichiers départementaux qui ne seraient pas connectés entre eux ne permettraient pas d'agir avec la rapidité nécessaire pour lutter contre le virus.
Il faut sauter le pas. Si l'on veut un dispositif opérant, il faut que ce soit un système d'information automatisé national auquel auront accès des professionnels non médecins. Prévoyons alors un droit d'opposition, qui pourra être mis en oeuvre par les cas contacts, et ne leur dévoilons pas l'identité du patient zéro sans son accord. La plateforme, déconcentrée, permettra un contact téléphonique individuel avec les personnes concernées.
Le droit de rectification, classique en droit de la protection des données, s'exerce auprès du responsable du traitement, ici l'assurance maladie. Si l'on a été dénoncé à tort, on pourra être retiré de la liste des personnes contacts. La CNIL pourra même être saisie en cas de problème.
Ce n'est pas de gaité de coeur que j'accepte ce système centralisé et la dérogation au secret médical. Je suis prêt à examiner tout de suite un système alternatif. Mais un amendement qui prévoit le traitement de données anonymisées à des fins épidémiologiques ne répond pas au problème que nous avons à régler.
M. Jean-Pierre Sueur. - Ne pourrait-on pas examiner en priorité les amendements proposés ou acceptés par le rapporteur ? Le système qu'il propose me semble le meilleur.
M. François-Noël Buffet, président. - Procédons ainsi.
M. Philippe Bas, rapporteur. -L'amendement de M. Milon définissant le périmètre des données de santé est fondamental : il prévoit qu'aucune information autre que la contamination ou non au Covid-19 ne figure dans le système. Cette garantie est très importante.
Je vous propose de mettre en place d'autres garde-fous : le fichier doit cesser à la fin de l'état d'urgence ; un droit d'information, de rectification et d'opposition est garanti ; l'application Stop Covid ne pourra pas être créée sur le fondement de cet article ; une instance indépendante chargée du contrôle, dans laquelle siégeraient des parlementaires, sera créée.
Enfin, nous avons été échaudés par le fait que certaines ordonnances aient modifié des dispositions législatives de fond de la loi du 23 mars dernier. Les ordonnances remords, ça suffit ! Nous supprimons l'habilitation donnée au Gouvernement.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Les préconisations énoncées par le président Philippe Bas nous conviennent en grande partie. Mais nous souhaiterions un avis conforme de la CNIL et, pour une partie des membres de notre groupe, le maintien du consentement de l'intéressé. Ce sont les deux points qui distinguent notre position de l'architecture proposée par le rapporteur.
Mme Esther Benbassa. - Pourquoi accepter ce dispositif intrusif ? Il ne faut pas que ce soit une usine à gaz.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement COM-74 rectifié n'est pas compatible avec mes amendements. Avis défavorable. Concernant l'avis conforme de la CNIL, je propose que vous déposiez un amendement en ce sens en séance, auquel cas j'émettrai un avis favorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Cet ensemble d'amendements présente des garanties utiles. Nous sommes un certain nombre à penser qu'il aurait fallu intégrer le consentement de l'intéressé, mais ce n'est pas une position unanime du groupe. Nous prenons acte de la position du rapporteur sur l'avis conforme de la CNIL. Compte tenu de ces points, nous voterons pour les amendements du rapporteur et du président de la commission des affaires sociales.
Les amendements COM-114, COM-115, COM-116, COM-117, COM-171, COM-118, COM-172, COM-119, COM-173, COM-120, les amendements identiques COM-121, COM-43 et COM-65, ainsi que l'amendement COM-122 sont adoptés.
Les amendements COM-74 rectifié, COM-106, COM-13, COM-46, les amendements identiques COM-145 et COM-12, COM-47, COM-146, COM-107, COM-108, COM-6 rectifié quater, COM-109, COM-45, COM-15 rectifié, COM-110, COM-57, COM-147, COM-148, COM-157, COM-111, COM-149, COM-7 rectifié ter, COM-150, COM-151, COM-112, COM-152, COM-68, COM-153, COM-154, COM-113, COM-105 et COM-158 ne sont pas adoptés.
Articles additionnels après l'article 6
L'amendement COM-40 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-88 n'est pas adopté.
L'amendement COM-89 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-90 n'est pas adopté.
L'amendement COM-94 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Articles additionnels avant Chapitre III
Les amendements COM-155 et COM-156 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
Article 7
L'amendement de coordination COM-167 du rapporteur est adopté.
Articles additionnels après l'article 7
M. Philippe Bas, rapporteur. - Les amendements en discussion commune COM-4 rectifié quater, COM-32 et COM-44 sont irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Philippe Bonnecarrère. - L'installation des conseils municipaux a été reportée dans le cadre de la loi du 23 mars 2020. Dès lors que l'on prolonge l'état d'urgence sanitaire, il y a un lien direct entre ce qui a été traité dans cette loi et ce qui est proposé ici.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je partage entièrement cette position. Nous sommes fondés à examiner diverses mesures figurant dans la loi du 23 mars 2020, aujourd'hui prorogée. Les élus nous interrogent : si l'activité reprend dans les écoles, les transports, les entreprises, pourquoi ne peut-on pas élire le maire et les adjoints au sein des conseils municipaux ? Le Sénat ferait preuve de bon sens en se prononçant en faveur de la tenue de cette élection dans les meilleurs délais. Ce serait bien perçu par les élus locaux.
M. Alain Richard. - Je ne serais pas étonné que le Premier ministre évoque ce sujet dans la présentation qu'il s'apprête à nous faire.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous avons écrit au président du conseil de scientifiques. Nous avons obtenu le soutien du ministre de l'intérieur dans cette démarche. Malheureusement, dans son discours de mardi dernier, le Premier ministre a écarté l'hypothèse de dissocier les travaux concernant l'organisation éventuelle du second tour des élections municipales en juin et l'installation des maires et de leurs adjoints. Je ne peux donc que vous proposer d'être porteur de l'exigence que les maires soient élus le plus rapidement possible. Les sénateurs, je crois, y sont unanimement favorables.
Les amendements COM-4 rectifié quater, COM-32 et COM-44 sont déclarés irrecevables en application de l'article 45 de la Constitution.
L'amendement COM-5 rectifié quater n'est pas adopté.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion, suspendue à 14 h 15, est reprise à 18 h 10.
Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions - Examen de la motion d'irrecevabilité
M. François-Noël Buffet, président. - Nous examinons la motion présentée par Éliane Assassi et les membres de son groupe tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
M. Philippe Bas, rapporteur. - J'émets un avis défavorable.
La commission des lois émet un avis défavorable à l'adoption de la motion d'irrecevabilité.
La réunion, suspendue à 18 h 15 est reprise à 20 h 30.
Projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions - Examen des amendements au texte de la commission
Les amendements nos 66 et 113 ont été retirés avant la séance.
EXAMEN DES AMENDEMENTS DU RAPPORTEUR
Article 2
L'amendement de coordination n° 195 est adopté.
Article additionnel après l'article 2
L'amendement de coordination n° 200 est adopté.
Article 3
L'amendement de coordination n° 196 est adopté.
Article 3 bis
L'amendement de coordination n° 197 est adopté.
Article 5
L'amendement de coordination n° 198 est adopté.
Article 7
Les amendements de coordination nos 201 rectifié et 199 sont adoptés.
EXAMEN DES AMENDEMENTS AU TEXTE DE LA COMMISSION
M. Philippe Bas, rapporteur. - Sauf si certains collègues veulent débattre de tel ou tel amendement, et comme nous avons déjà examiné la plupart des amendements, je me contenterai juste de préciser que la plupart des amendements sont contraires à la position de la commission, et que l'avis sera donc défavorable, pour la plupart.
Articles additionnels après l'article 1er
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n° 171 rectifié est irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Pour quelles raisons ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Il n'entre pas dans le périmètre du projet de loi.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Les difficultés de recours à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) sont pourtant une conséquence sanitaire de l'état d'urgence. Certes, la commission est souveraine lorsqu'elle se prononce sur les irrecevabilités...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Vous avez raison. C'est la commission qui se prononce.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Cet amendement traite de la composition du collège de médecins pour l'accès à l'interruption médicale de grossesse (IMG). Je ne comprends pas que vous estimiez qu'il n'y ait pas de lien avec l'état d'urgence sanitaire. C'est en raison de ce contexte que le Gouvernement reconnaît justement qu'il faille garantir le recours à l'IVG...
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous avons échangé nos points de vue.
M. Patrick Kanner. - Ce désaccord sera constaté.
M. François-Noël Buffet, président. - Nous constatons donc ce désaccord. Ce point a été tranché ce matin sur des questions similaires.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Est-il possible de statuer par un vote sur l'application de l'article 45 de la Constitution à cet amendement ?
M. François-Noël Buffet, président. - Bien sûr.
L'amendement n° 171 rectifié est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je propose de demander l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 129 rectifié, avec un préjugé plutôt favorable. Si l'avis du Gouvernement nous satisfait, j'émettrais alors un avis favorable.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 129 rectifié.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Malheureusement, l'amendement n° 66 relatif à la contrainte est contraire à l'avis de la commission des lois. Nous l'avons refusé ce matin après un long débat.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 66.
M. François-Noël Buffet, président. - Demandons-nous l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 112 relatif aux lieux d'hébergement ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Pourquoi ne pas émettre directement un avis favorable ? Cela nous fera gagner du temps...
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous en sommes ravis.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 112.
M. François-Noël Buffet, président. - L'amendement n° 98 relatif à l'hébergement temporaire en cas de violences conjugales, pour lequel il y avait un risque d'irrecevabilité au titre de l'article 40 de la Constitution, a finalement été déclaré recevable par le président de la commission des finances.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je propose de demander l'avis du Gouvernement.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 98.
Articles additionnels après l'article 4
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous n'allons pas demander de modifier à nouveau la composition du conseil de scientifiques, dont la liste des membres a été adoptée il y a un mois... Avis défavorable à l'amendement n° 77.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 77.
Articles additionnels après l'article 5
M. François-Noël Buffet, président. - Proposez-vous le retrait de l'amendement n° 36, ainsi que de l'amendement n° 175 en discussion commune ?
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous devons avoir un débat. Demandons l'avis du Gouvernement sur ces amendements très importants pour les départements littoraux - et j'en connais...
Il semblerait que les auteurs des mesures d'interdiction de l'accès aux plages ne connaissent que les plages de Royan, des Sables-d'Olonne ou de Saint-Palais... Mais je connais un département qui a 365 kilomètres de littoral. Il est absurde d'interdire l'accès au littoral pour les promenades dans le voisinage. Pour les habitants, le littoral, c'est le voisinage ! J'aimerais comprendre les raisons du Gouvernement...
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - En réalité, vous êtes favorable à l'amendement !
La commission demande l'avis du Gouvernement sur les amendements nos 36 et 175.
M. Philippe Bas, rapporteur. - MM. Michel Magras et Mathieu Darnaud veulent que les autorités régionales de santé (ARS) des collectivités d'outre-mer puissent créer des systèmes d'information spécifiques. Je propose de demander l'avis du Gouvernement sur leur amendement n° 185. Ces systèmes, potentiellement différents du système métropolitain, pourraient être plus efficaces localement.
La commission demande l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 185.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n° 38 rectifié ter prévoit l'interdiction du recours à des traitements algorithmiques. Je proposais de demander l'avis du Gouvernement. Mais après, que dirons-nous ? Allons droit au but, et émettons un avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 38 rectifié ter.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Les amendements nos 99 et 176 demandent un avis conforme de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Préférons l'amendement qui, pour des raisons légistiques, répond mieux à nos conventions.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Ce ne sont pas des raisons légistiques : nous parlons juste d'un « avis public » de la CNIL.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Oui, vous avez tout à fait raison.
M. Philippe Bonnecarrère. - Mon amendement sera rectifié pour être identique à l'amendement n° 99.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 99, sous réserve de rectification.
Article additionnel après l'article 7
M. Philippe Bas, rapporteur. - Mme Sylviane Noël souhaiterait que le Gouvernement revoie les délais pour ses ordonnances, mais nous avons déjà adopté ces délais. Pour des raisons juridiques, avis défavorable. En application de l'article 38 de la Constitution, le Parlement ne peut pas forcer le Gouvernement à prendre une ordonnance.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 193.
M. François-Noël Buffet, président. - Nous venons de recevoir un amendement du Gouvernement sur lequel nous devons nous prononcer.
M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n° 194 supprime les alinéas 3 à 7 de l'article 1er, deux alinéas qui concernent la responsabilité pénale. Vous êtes contre ?... Moi aussi.
M. Jean-Pierre Sueur. - Le Gouvernement fait fort !
M. Philippe Bas, rapporteur. - Nous allons nous défendre collectivement.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 194.
Le sort des amendements du rapporteur examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission donne les avis suivants sur les autres amendements de séance :
Communications diverses
Mme Catherine Di Folco. - En sait-on davantage sur l'organisation de la séance publique ce soir ? Finirons-nous d'examiner les amendements cette nuit ?
M. Philippe Bas, rapporteur. -En fonction de l'évolution des débats, si nous ne voulons pas forcer le passage afin de ne pas avoir des discussions de mauvaise qualité, nous pourrons poursuivre le débat demain après-midi et en soirée après un repos bien mérité - mais c'est mon avis personnel.
Nous avons été saisis de ce texte samedi midi, et avons énormément travaillé depuis. Nous avons dû examiner un grand nombre d'amendements dans des délais très resserrés, que nous impose le Gouvernement. Ne bâclons pas le débat dans l'hémicycle. Le travail de nuit est exceptionnellement acceptable si l'ordre du jour parlementaire est très chargé. Or cette semaine, nous n'avons que ce texte, assez court, à examiner.
L'Assemblée nationale l'examinera probablement avec une position proche de celle du Gouvernement. Cela ne la gênera pas de commencer l'examen en commission mardi soir, elle aura également les journées de mercredi et jeudi. Et si nous ne pouvons pas réunir une commission mixte paritaire jeudi, elle se tiendra vendredi ou samedi...
M. Jean-Pierre Sueur. - Ne pouvons-nous pas nous réunir le matin, après les réunions de groupe ?
M. François-Noël Buffet, président. - La séance n'est pas ouverte demain matin, mais l'après-midi et le soir.
M. Philippe Bas, rapporteur. - Je ne souhaite pas, après toutes les contraintes que nous avons subies, de forcer le Sénat à siéger jusqu'à 4 h 30 du matin... Nous nous ajusterons en fonction des débats importants qui méritent d'avoir lieu. Nous l'avons vu en commission, ce sera encore plus vrai dans l'hémicycle.
La réunion est close à 21 h 10.
Mercredi 6 mai 2020
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Mesures prises dans le cadre de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 - Audition de M. Jean Castex, coordonnateur national à la stratégie de déconfinement (par téléconférence)
M. Philippe Bas, président. - Nous auditionnons aujourd'hui M. Jean Castex, coordonnateur national à la stratégie de déconfinement.
M. Castex est un grand serviteur de l'État : il a exercé les plus hautes fonctions au sein des administrations et des institutions de la République et présente l'avantage d'être vacciné contre l'esprit technocratique, car il est également maire d'une commune de plus de 6 000 habitants, Prades, où les électeurs lui renouvellent régulièrement leur confiance.
Nous avons le privilège de vous auditionner, Monsieur le coordonnateur national, alors que, jusqu'à présent, nous ne voulions pas vous détourner, même une heure, de cette priorité qu'est la préparation du déconfinement progressif ; maintenant qu'il est quasiment là, nous avons estimé qu'il était plus que temps de vous entendre. Notre but est non pas de vous entendre répéter les annonces faites par le Premier ministre, ce qui ne saurait être de votre registre, mais de vous faire préciser la façon dont vous envisagez concrètement l'organisation du déconfinement à compter du 11 mai.
Cette audition s'inscrit dans le cadre des travaux du comité de suivi de notre commission sur les mesures prises dans le cadre de l'épidémie de covid-19. Une partie seulement de mes collègues du comité sont physiquement présents, les autres étant reliés à nous par visioconférence. J'invite chacun à la plus grande concision, notre réunion devant impérativement se terminer à 11 heures.
M. Jean Castex, coordonnateur national à la stratégie de déconfinement. - Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très honoré de m'exprimer devant vous. C'est la première audition à laquelle je suis convié depuis qu'il y a un mois, j'ai pris, à la demande du Premier ministre, mes fonctions de coordonnateur national. Mon travail consistant à préparer « l'après 11 mai », je n'ai donc pas eu à gérer la crise sanitaire. Cette séparation est tout à fait judicieuse, tant cette crise est lourde et occupe pleinement ceux qui ont à la gérer directement.
Ma mission est interministérielle, rattachée au Premier ministre, signe que, même si les considérations sanitaires sont prédominantes dans la préparation du 11 mai, nous nous intéressons à tous les aspects de la vie de la Nation et que notre approche est globale. Nous préparons des éléments clés : quelle doctrine et quels moyens pour le déconfinement ?
Dans le cadre de ma mission, je propose et le pouvoir politique dispose : je ne suis pas décisionnaire et, comme certains points ne sont pas encore arbitrés, je vous précise d'emblée que je ne serai peut-être pas en mesure de répondre à toutes vos questions.
Je me suis entouré d'une toute petite équipe - il ne s'agit pas de nous substituer au service public -, avec des personnalités chevronnées comme le professeur Didier Houssin, dont chacun connaît l'expérience lors de la grippe aviaire H5N1, un préfet, un directeur général de centre hospitalier universitaire (CHU), ainsi que des techniciens qui tiennent la plume. Nous avons également un réseau de chercheurs en sciences sociales, car la compréhension des éléments sociaux et psychologiques sera décisive dans la période de déconfinement. La peur, souvent irrationnelle, est notre ennemie, mais elle peut également être notre alliée : il est donc essentiel que, aux côtés des sciences exactes, de la recherche d'un vaccin et de médicaments, les sciences humaines viennent en relais : nous les incluons dans le plan de déconfinement. Enfin, j'ai pris langue avec mes homologues étrangers, sachant que, devant cette crise inédite, chacun de nos partenaires a mis en place une équipe pour préparer le déconfinement. Nous avons de nombreux échanges, et nous comparons les mesures mises en place, leur efficacité et les facteurs de réussite.
Où en sommes-nous ? J'ai fait des propositions sur le cadre général du déconfinement qui vous a été présenté par le Premier ministre. Nous sommes désormais en phase d'affinement pour la mise en oeuvre opérationnelle. Le Premier ministre a rappelé que nous nous appuierons largement sur les acteurs territoriaux, qui sont chargés des responsabilités locales, en particulier sur le « couple » maire-préfet, mais aussi sur les partenaires sociaux dans les entreprises. Il est indispensable que l'État fixe les prérequis sanitaires et que de la souplesse soit laissée pour la mise en oeuvre concrète du déconfinement.
La sortie du confinement n'est pas la fin de la crise sanitaire. Nous commencerons, jusqu'au 2 juin prochain, par une première étape qu'on appelle parfois un « sas de déconfinement », pendant laquelle les contraintes sanitaires restent lourdes parce que nous devons assurer la protection de nos concitoyens, mais où nous cherchons aussi à faire redémarrer la vie de la Nation, car nous savons que les inconvénients du confinement sont lourds sur notre économie, sur notre société. Nous recherchons cet équilibre, comme le font nos homologues étrangers, entre le strict respect de la doctrine sanitaire et le redémarrage de la vie de la Nation. Nous avons « territorialisé » nos propositions et veillé à la cohérence d'ensemble. Les mesures que nous proposons s'expliquent par la conciliation entre cette double exigence : la santé de nos concitoyens et la reprise de la vie économique et sociale du pays. On ne peut faire comme avant, tout le monde ne peut pas aller partout tout le temps : il faut faire des choix, ce qui nous a conduits à fixer des priorités, comme la réouverture des écoles avant les lycées, la reprise de certaines activités plutôt que d'autres. Ces activités correspondent mieux au redémarrage de la Nation, lequel est nécessaire tant le confinement prolongé peut produire des conséquences aussi désastreuses pour notre pays que la pandémie elle-même.
M. Philippe Bas, président. - Nous comprenons bien le moment particulier que constitue la fin du confinement et le début du déconfinement. Car si le confinement est simple à comprendre - c'est une décision nationale et générale -, le déconfinement passe par le comportement individuel de chacun d'entre nous et par des dizaines de milliers de décisions qui contribueront à la sécurité ou à l'insécurité sanitaire de notre pays. Pour autant, cela rend plus nécessaire un cadre national clair et lisible, et c'est une bonne chose que vous abordiez votre mission non pas seulement sous son seul angle administratif, mais dans sa réalité humaine, sociale, psychologique. Dans cette étape du déconfinement, où le comportement de nos concitoyens est décisif, cette compréhension est une clé de la réussite.
Cela dit, nous savons, en tant que sénateurs représentant des territoires, combien est grande la distance entre Paris et Villedieu-les-Poêles, pour ne pas citer Prades. Serons-nous prêts le 11 mai ? Et les entreprises ? Nos écoles ? Nos maires ? Nos transports en commun ? J'en suis personnellement inquiet, car on ne peut se permettre de l'approximation, surtout au début, dans cette période de « rodage » où les risques sanitaires sont les plus élevés.
M. Jean Castex. - Je suis bien d'accord avec vous Monsieur le président : le comportement de nos concitoyens est la clé de la réussite et cela est vrai aussi pour la période de confinement, en France comme ailleurs. La Première ministre néo-zélandaise l'a dit, alors que son pays est en pointe dans la lutte contre la pandémie : les avancées sont d'abord le résultat de l'action non pas du gouvernement et de l'État, mais des habitants eux-mêmes, en l'occurrence des Néo-Zélandais.
J'en profite pour signaler un petit relâchement dans le confinement, qui dure pourtant jusqu'au 11 mai : ce n'est pas bon, car si un tel relâchement se prolongeait après cette date, si les gestes barrières devaient être moins bien respectés alors que leur efficacité est la seule certitude que l'on ait contre la pandémie, on risquera une rechute. Voyez comment nos voisins allemands, qui commencent le déconfinement avant nous, font preuve de prudence dans cette période cruciale.
Serons-nous prêts le 11 mai, Monsieur le président ? Si vous attendez de moi la garantie que le dernier bouton de guêtre sera bien mis, je crains de vous décevoir, sachant combien de décisions sont à prendre dans la déclinaison territoriale du plan. Il y aura forcément des jours de calage. Mais s'il faut prendre trois jours de plus pour faire respecter toutes les règles sanitaires dans les écoles, on les prendra - il est très important que la machine redémarre, même si ce n'est pas exactement le 11 mai. Le Président de la République l'a même dit hier, lors de son déplacement dans un établissement scolaire, si le maire estime que l'école n'est pas prête, elle ne sera pas rouverte contre sa volonté.
Le sujet le plus délicat me semble être celui des transports collectifs dans les grandes collectivités, surtout en Île-de-France. Le métro est souterrain. Il y a beaucoup de monde mais peu de ventilation, ce qui rend la distanciation sociale très difficile. Mais comment la vie reprendrait-elle sans transports collectifs ? Et si chacun prend sa voiture, quels seront l'état des routes et la qualité de l'air ? Le maître-mot doit donc être la progressivité, il faut le dire clairement. Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) recommande, et nous avons proposé d'en faire une obligation, le port du masque dans les transports collectifs, en plus des gestes barrières.
L'offre de transports collectifs ne sera pas complète dans un premier temps ; il y aura une montée en charge graduelle. Nous préparons, avec les préfets et les partenaires sociaux, par bassin d'emploi, une organisation des flux pour que certains horaires soient réservés à ceux qui doivent se rendre à leur travail parce qu'ils ne peuvent pas télétravailler. Nous demandons aux entreprises des horaires décalés de reprise et le maintien du télétravail partout où cela est possible. Les ministres compétents en débattent avec les partenaires sociaux.
En Île-de-France, le préfet de région a été chargé de préparer un plan de reprise avec la présidente de la région. Je n'entre pas dans le détail puisque ce plan n'est pas encore adopté, mais il est probable que l'on s'achemine vers un déploiement échelonné des transports publics après le 11 mai.
Si je vous disais qu'il n'y aura aucune difficulté, vous seriez en droit de ne pas me croire, mais il est clair que les transports publics sont essentiels et qu'ils seront ouverts - ils le sont d'ailleurs actuellement, en période de confinement. C'est l'un des sujets majeurs et des plus difficiles pour les semaines à venir.
M. Philippe Bas, président. - Merci pour ces réponses. Je demande à mes collègues d'être concis dans leurs questions : je donne d'abord la parole à ceux qui sont présents au Sénat, puis à ceux qui sont en visioconférence.
Mme Catherine Di Folco. - Que disent vos homologues des pays qui ont déjà amorcé leur déconfinement : quelles sont leurs difficultés rencontrées et les enseignements qu'ils ont pu en tirer ?
Vous évoquez un « sas de déconfinement » jusqu'au 2 juin prochain. Commencez-vous déjà à préparer la période suivante, et de quelle manière ?
M. Alain Richard. - L'outil statistique que nous utilisons pour compter les nouvelles contaminations est-il fiable ? De l'échange que j'ai eu hier avec le préfet de mon département, j'ai compris que le compteur n'était pas fiable. La façon dont les urgentistes dénombrent les cas suspects de Covid-19 n'est pas homogène, et les médecins de ville n'y contribuent pas. Un protocole précis se met en place, mais il sera opérationnel depuis à peine une semaine quand, fin mai, le Gouvernement devra prendre des décisions importantes pour les mois à venir, en particulier ceux de l'été. Le Gouvernement sera-t-il certain de savoir si le compteur sera à la hausse ou à la baisse ?
Ensuite, disposez-vous d'une piste pour prendre en charge les surcoûts de la crise sanitaire dans le bâtiment et les travaux publics ? Ces surcoûts sont constatés, mais mal évalués, ils relèvent le plus souvent de contrats privés ; mais même pour les contrats publics, l'État n'a pas défini de règles. C'est un facteur de retard qui risque de perdurer et de rendre les entreprises réticentes à reprendre leur activité.
Enfin, considérez-vous possible et raisonnable d'organiser le deuxième tour des élections municipales le 21 juin ou le 28 juin 2020 dans les seules communes de moins de 1 000 habitants, à condition qu'elles s'organisent pour ne pas avoir plus 500 électeurs inscrits par bureau de vote ?
M. Philippe Bas, président. - Je précise que M. Castex n'a pas d'intérêt lié à cette question des élections municipales puisqu'il a été élu dès le premier tour...
M. Patrick Kanner. - Je voudrais évoquer le changement de braquet intervenu entre le Premier ministre, déclarant mardi devant les députés qu'on prolongerait le confinement si les chiffres n'étaient pas satisfaisants pour le 11 mai, et le Président de la République, énonçant un choix politique en déclarant hier : « On y va ! ». Je ne vous demanderai pas de juger ce changement de discours mais, puisque le Président de la République annonce qu'on passe au déconfinement, avez-vous défini des critères qui nous conduiraient à devoir nous reconfiner ? Je ne cherche pas à ajouter de l'anxiété, mais c'est notre responsabilité politique de connaître et de faire connaître ces critères.
Enfin, ma région des Hauts-de-France a été classée en orange hier soir, dont acte. Néanmoins, je suis étonné que toute la région le soit, alors que la situation dans le Pas-de-Calais n'est pas celle de l'Oise : pourquoi un tel classement pour la région tout entière ?
M. François-Noël Buffet. - Quelles différences existera-t-il entre le déconfinement dans les départements rouges et et les départements verts, au-delà de l'ouverture des parcs et jardins publics ou des collèges ? Pourra-t-on se déplacer d'un département vert à un département rouge ? Comment seront définis les 100 kilomètres autorisés pour les déplacements : à vol d'oiseau ou par voie terrestre ?
Ensuite, le Gouvernement a mis l'accent sur la nécessité des tests. Le « couple » préfet-maire est censé s'en occuper, mais serons-nous en capacité de le faire ? Faut-il dépister toute la population, ou bien une partie seulement ? Il faut répondre précisément, c'est une attente de nos concitoyens.
Je m'inquiète, également, des difficultés accrues du fonctionnement de la justice. Des mesures d'urgence ont été rapidement prises, c'est normal, mais le fonctionnement aurait pu être maintenu à un niveau un peu plus élevé, alors que l'institution paraît aujourd'hui bloquée. C'est particulièrement inquiétant pour la justice civile, qui rend habituellement 2,5 millions de décisions chaque année. Après la grève des avocats il y a quelques mois, la sortie de la crise sanitaire risque d'être extrêmement difficile.
Enfin, nous ne parlons pas assez de la situation outre-mer, en particulier à Mayotte, où l'épidémie se développe alors que la situation matérielle y est très précaire.
Mme Françoise Gatel. - Vous avez rappelé que le 11 mai serait le début du déconfinement et pas l'aboutissement, et que le chemin sera sinueux et difficile.
Chargée, par notre commission des lois, de suivre l'impact de la crise sanitaire sur les collectivités territoriales, je commencerai par deux constats.
La différenciation entre les territoires, d'abord, est au coeur des préconisations : le cadre national doit être adapté aux réalités locales. Hier, nous avons eu un débat très intéressant concernant la différenciation du droit applicable sur les plages et les littoraux.
Ensuite, la coordination de l'action de l'État est un gage de réussite dans cette crise protéiforme, qui est à la fois économique, sanitaire et sociale : comme vous le faites à l'échelon national, il faut, à l'échelon départemental, une task force autour du préfet pour harmoniser l'action des services déconcentrés et des agences de l'État, en particulier l'agence régionale de santé (ARS). Sinon chacun y va de ses initiatives, ce qui n'est jamais bon en période de guerre...
Trois questions précises, ensuite. Comment pensez-vous possible de bien sécuriser l'action des élus locaux pendant cette période, notamment sur le plan de leur responsabilité pénale ? Pourquoi ouvrir les écoles maternelles et primaires avant les lycées, alors que la mise des gestes barrières y semble plus difficile ? Le protocole transmis par l'Éducation nationale vous paraît-il applicable partout, dans tous les établissements de toutes les communes ?
M. Jean Castex. - Je vais tout d'abord essayer de clarifier la situation s'agissant des indicateurs.
Le comité de scientifiques formalisé par la loi d'urgence du 23 mars 2020 a établi des indicateurs pour déterminer la date à laquelle, globalement, à l'échelle du pays, il serait possible de sortir du confinement. Ces critères scientifiques, similaires à ceux qui sont employés dans les pays voisins, portent sur les flux d'hospitalisation, les capacités en lits de réanimation et le taux de reproduction de la maladie. Sur cette base, nous sommes assurés qu'à la date du 11 mai, les conditions seraient réunies pour passer à la phase suivante. Nous avons par ailleurs fait le choix d'un déconfinement territorialisé.
Nous suivrons au jour le jour, ou presque, l'évolution de la situation épidémiologique. J'ai entendu les remarques quant à la robustesse des critères employés. Pourquoi, par exemple, prendre en compte le nombre de passages aux services d'urgence, et non les remontées des médecins généralistes ? Toutes ces questions sont très techniques. La direction générale de la santé ou Santé publique France sont sans doute plus à mêmes que moi d'y répondre. Mais l'idée est bien d'effectuer un suivi épidémiologique le plus fin possible et territorialisé.
Le succès du confinement a effectivement été variable selon les territoires. Demain, certains départements seront classés en vert et d'autres en rouge. Nous allons essayer d'éviter que le virus ne circule entre ces territoires, d'où la règle des 100 kilomètres. Cette distance devrait être calculée à vol d'oiseau, mais nous avons encore toute une série de mesures à affiner. Je pense, par exemple, au fait que l'on puisse circuler à l'intérieur d'un même département, y compris au-delà de 100 kilomètres. L'idée principale, qui explique notamment les décisions concernant les plages, est d'éviter les translations massives, les migrations de personnes, non pas parce que nous n'en voulons pas, mais parce que nous craignons la circulation du virus.
Pourquoi toute une région passe, d'un coup, du rouge au vert ? L'enjeu est de reconstituer les capacités hospitalières en réanimation. Or l'appréciation de ce critère ne peut se faire qu'à une échelle régionale. Sans cela, certains départements disposant de très peu de lits en réanimation, comme l'Ariège ou le Gers, resteraient en permanence en rouge. Mais les indices seront affinés à l'observation.
Je le précise, car, comme beaucoup, je suis frappé de voir à quel point la doctrine scientifique elle-même évolue. En discutant avec les scientifiques, j'ai fini par comprendre qu'ils passent, au fil de la progression de la pandémie, d'une connaissance par modélisation théorique à une connaissance tirée de l'observation, ce qui les conduit à revoir leurs positions. C'est peu sécurisant pour le pouvoir politique, sans doute inquiétant pour la population, mais cela démontre que l'on peut - et qu'il faut - s'adapter. Il est donc normal que les indicateurs s'affinent au fil des jours. C'est d'ailleurs pourquoi la différence entre départements en vert et départements en rouge se résume, pour la première phase du déconfinement, à l'ouverture des collèges et des parcs et jardins. Nous espérons ensuite non seulement avoir plus de départements classés en vert, mais aussi pouvoir accroître leurs marges de manoeuvre.
M. Philippe Bas, président. - De manière symétrique, pourrait-on envisager que les marges de manoeuvre soient diminuées dans les départements demeurant en rouge ? Pourrait-on rétablir localement le confinement en cas de circulation plus forte du virus ?
M. Jean Castex. - À partir du 11 mai, nous allons progressivement introduire l'exploitation des résultats des tests virologiques dans les critères. Au titre de cette politique de dépistage, dès que l'on constatera un nombre anormalement élevé de tests positifs, de patients atteints au-delà des cas contacts, il faudra se donner les moyens d'agir immédiatement. Au-delà d'une situation très localisée, on peut aussi imaginer, pour les départements en rouge, qu'il faille prendre des mesures adaptées aux circonstances si la circulation du virus est trop intense.
Ainsi, dans le plan de sortie du confinement, j'ai proposé la mise en place éventuelle d'un reconfinement. Ce n'est pas notre objectif mais cela se prépare et, si besoin, nous aurons un plan de reconfinement prêt.
Néanmoins, le meilleur moyen d'éviter ce scénario, c'est que tous, sur le territoire, nous respections les règles essentielles : gestes barrières, lavage des mains, port du masque dans certaines circonstances, test dès l'apparition de symptômes. C'est la clé de voûte, et un aspect intéressant de cette crise : la mobilisation nationale, la confiance dans le comportement des citoyens, constituera un facteur déterminant pour faire évoluer tous les départements vers un classement en vert.
Un mot sur le changement significatif qui sera opéré la semaine prochaine : nous allons mettre en place une politique massive de tests. Désormais, une personne qui ressentira un symptôme ressemblant au coronavirus devra immédiatement entrer en contact avec un médecin et sera systématiquement testée. Nous avons prévu, à partir des modélisations scientifiques, environ 700 000 tests par semaine et, au moment où je m'exprime, nous devrions être au rendez-vous.
Les personnes testées positives seront invitées à rester confinées chez elles. Elles seront contactées pour établir avec quelles personnes elles ont été en relation dans les heures précédant la survenue des symptômes. En fonction des circonstances, les cas contacts seront à leur tour testés et, si des porteurs de la maladie figurent parmi ces derniers, on reprendra le même processus avec eux. Ce dispositif permet de rompre la chaîne des contaminations.
M. Philippe Bas, président. - Pourquoi ne l'a-t-on pas fait voilà deux mois ?
M. Jean Castex. - Durant le confinement, la règle était que les gens restent chez eux. À partir du 11 mai, la règle sera qu'ils n'y restent plus. C'est pourquoi il faut tester très rapidement, renvoyer les personnes positives à leur domicile ou, quand ce n'est pas possible, dans des centres adaptés à cet effet, et effectuer des recherches systématiques sur les cas contacts. Cela conditionne la réussite du déconfinement, et demande la mobilisation d'une artillerie lourde. En effet, non seulement nous préconiserons aux porteurs de rester à domicile, mais nous les accompagnerons aussi, notamment en mobilisant les acteurs de terrain. Nous avons élaboré une circulaire pour décrire l'ensemble de ce dispositif. Sa réussite dépend toutefois des acteurs de terrain, sur lesquels nous allons nous appuyer.
La politique de tests étant une politique sanitaire, donc une politique d'État, nous souhaitons passer par le préfet de département, qui, bien sûr, devra travailler avec les maires. Ce sera l'autorité unique, même si l'ARS lui apportera légitimement son expertise technique et son concours. Il faut, certes, rapprocher la mise en oeuvre du terrain, mais aussi conserver une chaîne de commandement claire, lisible et unique.
S'agissant des enseignements tirés de nos voisins, les quelques pays qui sont en avance ne le sont pas de beaucoup. Mais les mêmes constats remontent partout : plus les gestes barrières sont respectés, plus les citoyens sont responsables, plus la politique de tests est efficiente et introduite dans les indicateurs de suivi du déconfinement, mieux ça marche !
Une majorité des pays qui nous entourent ont décidé de rouvrir leurs établissements d'enseignement, mais les positions sont très variées. Certains ont opté, comme nous, pour commencer par les petites classes, d'autres ont panaché, etc. Dans ce domaine, il n'existe pas de ligne directrice clairement établie. Le principe reste toutefois inchangé : comme on ne peut pas déconfiner tout le monde en même temps, il faut faire des choix, en s'appuyant sur des critères à la fois médicaux, pédagogiques et économiques.
Sur le plan de la santé, la littérature scientifique est à peu près claire : les plus petits sont parmi les moins malades. M. Blanquer et les services de l'éducation nationale ont constaté que le confinement avait aussi des effets dramatiques en matière d'éducation, notamment avec des phénomènes d'aggravation du décrochage scolaire, dont les conséquences seront démultipliées pour les plus petits. Un lycéen peut se garder, pas un enfant de 9 ans dont les deux parents ne peuvent pas télétravailler. Telles sont les raisons du choix que nous avons fait, mais les collèges reprendront aussi dans les départements en vert et nous verrons si les lycées peuvent reprendre en juin.
Certains estiment que nous ne sommes plus à un mois près pour la réouverture des établissements scolaires... On peut tout renvoyer à septembre, mais, dans ce cas, on n'est plus dans l'effort qui est le nôtre de remettre le pied à l'étrier. Évidemment, les maires râlent, notamment quand ils voient arriver le protocole sanitaire de l'Education nationale. Mais il n'y a pas d'autre solution, et ils savent qu'il n'est pas question de mettre le moindre enfant en danger en France. Les conditions de reprise des écoles doivent donner lieu à une discussion entre eux et les autorités académiques locales, avec le plus de souplesse possible, comme l'a précisé le ministre. Ce sera probablement plus facile en Lozère qu'en Seine-Saint-Denis, mais les remontées de terrain de ce département montrent que ce n'est pas infaisable.
Je connais la position du Sénat concernant la sécurisation de l'action des élus locaux, comme celle du Premier ministre, d'ailleurs. Cette question n'est ni facile à traiter ni négligeable. J'attire votre attention sur le fait qu'elle peut aussi concerner d'autres pans de notre société, notamment le monde de l'entreprise.
M. Philippe Bas, président. - Nous avons traité cette question de manière globale. Je rappelle, à ce titre, que la décision d'ouvrir une école relève, non pas du maire, mais du directeur d'école, sous l'autorité de l'inspection d'académie.
Mme Jacky Deromedi. - Mon propos concerne les Français résidant hors de notre pays qui souhaitent cet été rentrer en France, après avoir connu des périodes de confinement très strictes dans leur pays d'accueil. J'espère qu'aucune discrimination ne sera faite entre eux, qu'ils résident dans l'Union européenne ou ailleurs dans le monde.
Certes, la situation va évoluer en fonction de la propagation du virus. Il serait cependant souhaitable d'informer les Français résidant hors de France des mesures prévues pour l'instant. Je pense en particulier à la quatorzaine : pourra-t-elle être effectuée dans un lieu qu'ils auront choisi ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Vous avez dit que la réussite du confinement dépendait du comportement de nos concitoyens. Certes, mais c'est aller un peu vite en besogne... Cette réussite dépend aussi de la capacité d'anticipation des pouvoirs publics - il a fallu attendre le 17 mars pour que ceux-ci reconnaissent qu'il ne s'agissait pas d'une simple « grippette » -, des moyens mis en oeuvre et de la cohérence de l'action menée.
Sur ce dernier point, estimez-vous que l'État doit se contenter de « pondre » des circulaires, recommandations et protocoles ? La réussite du déconfinement ne dépend-elle pas aussi de la capacité réelle de tests ?
M. François Grosdidier. - Comme Françoise Gatel, je m'étonne que le Gouvernement ait choisi de déconfiner les écoles maternelles et primaires avant les lycées. Nos voisins allemands font le contraire. Si la priorité est l'égalité des chances et la lutte contre le décrochage scolaire, pourquoi ne pas avoir systématisé l'enseignement à distance, en s'appuyant sur l'expertise du Centre national d'enseignement à distance (CNED) ?
Le président Bas a précisé que la responsabilité de la réouverture des classes incombait aux directeurs d'école, et non aux maires, mais quid des activités périscolaires et du soutien scolaire ? Quelle règle sera appliquée : celle des 15 élèves maximum ou celle des 10 personnes maximum, enseignants et animateurs compris ?
Mme Muriel Jourda. - Vous avez indiqué que le préfet serait l'autorité unique dans le département - c'est une bonne chose. Quelle en sera la traduction concrète ? Le préfet aura-t-il une forme de pouvoir hiérarchique sur les autres services de l'État, comme l'ARS et l'Éducation nationale ?
Le comité de scientifiques a indiqué que les brigades de suivi du covid-19 devrait compter 30 000 agents. Ces brigades seront-elles prêtes pour le 11 mai ?
Mme Brigitte Lherbier. - La région des Hauts-de-France est passée de rouge à orange. Quelles seront les conséquences pour les frontaliers belges ? Vous avez évoqué vos homologues dans des pays étrangers. Connaissons-nous les étapes que suivront nos voisins directs, comme la Belgique ou l'Italie ? Une communication précise sur ce point pourrait rassurer les habitants de notre région, car les 100 kilomètres nous mènent de l'autre côté de la frontière...
M. André Reichardt. - Mon département, le Bas-Rhin, a été particulièrement touché. Les malades ont fait un test de « guérison » ; ils sont porteurs d'anticorps. Dans votre stratégie de déconfinement, tenez-vous compte de ces tests ?
Nos concitoyens ont programmé des vacances, pour certains dès juin. Vont-ils être autorisés à rejoindre leur lieu de villégiature en France ?
M. Jean-Yves Leconte. - La liberté de circulation dans l'Union européenne est nécessaire pour que des dizaines de milliers de personnes se rendent à leur travail ou en retrouvent un. Auriez-vous des informations à nous communiquer sur ce point ?
Les passages aux frontières terrestres françaises ne donnent pas lieu, jusqu'à présent, à des contrôles de température ou à l'obligation de remplir des formulaires de contact. Avec le déconfinement, nous allons mettre en place la quatorzaine. Comment sera-t-elle mise en place ? À quelles frontières ? Avec quels contrôles et sanctions ?
M. Éric Kerrouche. - Que se passera-t-il si le nombre de familles volontaires pour remettre leurs enfants à l'école est plus important que le nombre de places disponibles ? Comment faire en sorte que l'école bénéficie prioritairement aux élèves « décrocheurs » ?
Le 11 mai, les activités sportives de plein air pourront reprendre. J'ai entendu votre propos sur les plages, mais les habitants des littoraux ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas reprendre leurs activités comme ils en avaient l'habitude. Le concept de « plage dynamique » peut répondre à cette situation. Qu'en pensez-vous ? Il ne faut pas voir uniquement le risque de migration vers les littoraux : les habitants de ces territoires ont leur propre vie.
Mme Catherine Troendlé. - Dans mon département situé en zone frontalière, les habitants comparent leur situation à celle de leurs voisins allemands. Dans ce pays, les enfants doivent porter des masques à partir de 6 ans. Pourquoi ne pas faire de même ?
S'agissant de la réouverture des écoles, vous avez évoqué le délai de deux à trois jours dont disposeront les élus après le 11 mai pour s'adapter aux contraintes sanitaires. Certains maires ont décidé de ne pas rouvrir les écoles. Qu'en pensez-vous ?
Le Gouvernement a fait le choix de proposer des hébergements temporaires pour isoler les malades. Combien de personnes pourront être accueillies ? Le dispositif sera-t-il opérationnel dès le 11 mai ?
M. Jean Castex. - Je ne peux pas répondre aux questions concernant la circulation des personnes en provenance de pays étrangers et la quatorzaine, ces points n'ayant pas encore été arbitrés par l'autorité politique.
S'agissant de l'école, les décisions sont prises après avis des autorités sanitaires, en particulier du Haut Conseil de santé publique (HCSP). La doctrine est la suivante : le masque est fortement décommandé pour les enfants de moins de 6 ans ; pour les 6-12 ans, le masque est recommandé - nous en mettrons à la disposition des écoles - et obligatoire dans le cas où un élève présente des symptômes.
Le ministre de l'éducation nationale a demandé aux enseignants et aux directeurs d'école de contacter les familles dont les enfants sont des « décrocheurs scolaires » afin de les inciter à les remettre à l'école. C'est une priorité. Le choix du volontariat est le bon, car vos questions ont montré qu'il s'agissait d'un sujet anxiogène. S'agissant de la responsabilité des maires pour la réouverture des écoles, le Président de la République a été assez clair hier. Le CNED et les cours à distance continueront, car moins de la moitié des enfants reprendront le chemin de l'école dès la semaine prochaine.
Vu la limitation du nombre d'élèves par classe, tous les enfants ne pourront suivre en même temps des enseignements scolaires, ce qui nécessitera le recours aux activités périscolaires, lesquelles devront respecter exactement les mêmes normes que l'école. Les solutions seront trouvées localement : il pourra, par exemple, être fait appel à des associations pour renforcer les activités périscolaires de droit commun de la commune. Puisque le périscolaire devient une condition de l'effectivité de l'accueil du scolaire, le coût supplémentaire pour les collectivités territoriales sera à la charge de l'État.
S'agissant des plages, la question de M. Kerrouche est pertinente, mais il a fallu faire des choix. L'Espagne a aussi fermé ses plages. La nécessité d'éviter les grandes migrations nous a conduits à cette décision. En revanche, le sport en plein air individuel sera autorisé dès lors que les mesures de distanciation sociale seront respectées, que le nombre de participants n'excèdera pas dix et qu'il sera pratiqué en extérieur.
Si les écoles ouvrent et que les gymnases restent fermés, c'est parce que l'on considère que le retour des élèves est une condition plus importante de la reprise de l'activité que le sport individuel - en tant que président de l'Agence nationale du sport (ANS), je mesure mes propos. De plus, les écoles font l'objet d'une surveillance, contrairement aux gymnases.
Durant la première phase du déconfinement, nous devons être très précautionneux. Les décisions relèvent d'une logique cohérente. Il est plus facile de confiner que de déconfiner... Le déconfinement progressif nous permettra assez vite, en trois semaines, d'établir, grâce aux indicateurs épidémiologiques, un bilan qui soit le plus transparent possible. Le Gouvernement a fait le choix de mettre en ligne tous les avis du HCSP et du comité de scientifiques. La transparence est un gage de réussite de la gestion des crises. À la fin du mois de mai, nous verrons si nous pouvons passer à une nouvelle phase du déconfinement.
Le Gouvernement a annoncé que les grands rassemblements seraient interdits jusqu'à la fin du mois d'août, afin de permettre aux organisateurs de leurs dispositions. Des dispositifs d'accompagnement ont été mis en place et seront prolongés pour tous les secteurs qui ne rouvriront pas durant la première phase du déconfinement. Il faut offrir des perspectives. Je ne peux pas vous dire si les bars, cafés et restaurants rouvriront le 2 juin, mais nous devons nous y préparer.
Si nous ne faisons pas bien les choses, nous devrons passer la marche arrière. Alors, faisons tout pour passer la marche avant.
M. Philippe Bas, président. - Monsieur le coordonnateur national, je vous remercie de cette audition passionnante. Nous vous inviterons de nouveau dans quelques semaines afin d'évoquer les premiers résultats du déconfinement.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion, suspendue à 11 h 10, est reprise à 17 heures.
Mesures prises dans le cadre de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 - Audition de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales (par téléconférence)
La réunion est ouverte à 17 heures.
M. Philippe Bas, président. - Dans le cadre de notre mission de suivi de l'état d'urgence sanitaire, nous accueillons Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
La crise actuelle a remis en pleine lumière l'urgence de franchir un nouveau palier dans la décentralisation. Le sentiment s'est répandu que les collectivités territoriales agissaient plus vite que l'État : elles furent les premières à mettre des masques à la disposition du public ; ce sont les départements qui ont permis l'augmentation du nombre de tests, avec le recours aux laboratoires départementaux d'analyses biologiques et vétérinaires ; le rôle des maires ou des présidents d'intercommunalités est absolument déterminant pour la réouverture des écoles. Et à chaque fois, rapidité de décision, souplesse d'exécution, force de l'engagement... Comme si, dans notre pays, l'État était ankylosé, ce qui affecte sa capacité de réaction en gestion de crise. Je ne formule pas là une critique à l'encontre du Gouvernement, mais une interrogation sur la nécessité de donner plus d'agilité à notre organisation territoriale. Que pensez-vous de cette urgence d'une nouvelle étape de la décentralisation ?
Hier, la commission des finances du Sénat vous a interrogée sur les ressources, question importante si nous voulons que nos collectivités locales rendent les services attendus par la population. Je regrette que jusqu'à présent, le Gouvernement n'ait pas décidé d'instituer un moratoire sur la suppression de la taxe d'habitation. Les recettes des départements, notamment les droits de mutation immobilière, ont chuté, tandis que leurs ressources de substitution, dont une part de TVA, sont également procycliques et devraient diminuer. Au contraire, leurs dépenses augmentent radicalement à cause de l'explosion du chômage de longue durée, qui se traduit par une hausse des dépenses d'insertion. Comment prévoyez-vous de compenser la hausse des dépenses des départements consacrées au revenu de solidarité active (RSA) ? Vous savez que leur budget doit être voté en équilibre. Or ils n'ont plus les moyens d'augmenter les impôts puisqu'ils n'auront quasiment plus de pouvoir de taux l'année prochaine.
Le processus électoral entamé le 15 mars dernier, avec le premier tour des élections municipales, a dû être doublement interrompu : d'une part, dans les communes dont le conseil municipal a été intégralement renouvelé, il n'a pas pu être procédé à l'élection du maire et de ses adjoints, ni à l'installation des conseils communautaires ; d'autre part, le second tour n'a pas pu avoir lieu dans près de 5 000 communes.
Quelles sont les réflexions en cours ? Le Premier ministre a annoncé hier l'élection en mai des maires et des adjoints là où le premier tour des élections municipales a été conclusif. Pour le second tour, nous attendrons le rapport du conseil de scientifiques - qui doit être rendu avant le 23 mai - et nous apprécierons ensemble ce qu'il convient de faire. Cela ne nous empêche pas d'évoquer des hypothèses de travail et d'en discuter.
Votre audition est très attendue par nos collègues, et nous vous remercions de nous consacrer ce temps.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. - Merci de votre invitation à venir dialoguer avec vous.
Vous avez qualifié les collectivités locales de « plus agiles » que l'État. Toute ma vie, et lorsque j'étais sénatrice aussi, je n'ai cessé de penser qu'il ne fallait pas opposer l'État et les collectivités territoriales. Vous ne l'avez pas fait, mais vous l'avez présenté d'une manière plus positive pour les collectivités...
M. Philippe Bas, président. - Vous pouvez dire que je l'ai fait. Je peux me le permettre, car j'ai longtemps servi l'État...
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je pense toujours à cela lorsque je vous écoute. J'ai l'âge de vous avoir connu ministre ou secrétaire général de l'Élysée, et je sais que vous avez servi l'État. C'est pourquoi nous devons reconnaître que nous avons besoin des uns et des autres, ce qui n'empêche pas d'identifier les avantages des actions de terrain des collectivités territoriales et, parfois, les avantages de l'État. Les Français sont attachés aux libertés locales et à la reconnaissance des spécificités territoriales, mais aussi à un État fort. Or cet État fort n'est pas forcément un État central fort, il peut être aussi un État territorial fort. Nous pourrons sans doute tirer des conclusions de cette crise sanitaire pour améliorer l'organisation territoriale de l'État.
J'ai toujours cette obsession : n'opposons pas l'État et les collectivités territoriales. Les Français sont attachés aux deux. J'ai la même position sur l'opposition entre ville et campagne. J'ai toujours voulu être équilibrée dans mes décisions. Nous avons besoin de la politique de la ville, qui existe depuis quarante ans, avec un budget important, mais aussi de la campagne, d'où la mise en place de l'agenda rural et d'une politique renforcée envers le monde rural.
La crise actuelle, avec le confinement, va faire prendre conscience à nos concitoyens de l'importance de la qualité de vie. Ceux qui en avaient les moyens se sont réfugiés à la campagne, signe culturel très fort chez les Français. Malheureusement, d'autres ont dû rester confinés dans de petits appartements en ville, où la situation n'était pas facile. Un grand journal du soir soulignait que les villes moyennes avaient le vent en poupe. Tout le monde reconnaît le succès des actions « Coeur de ville » que nous avons mises en oeuvre. Cela fera partie des éléments de réponse à la crise.
M. Philippe Bas, président. - Mme Françoise Gatel et M. Pierre-Yves Collombat sont membres de notre mission de suivi et suivent de près les questions concernant les collectivités territoriales et leurs liens avec l'organisation générale de l'administration. Selon vous, c'est grâce à une collaboration entre l'État et les collectivités que les choses se passeront au mieux. Mais parfois, il y a des interrogations sur l'organisation territoriale de l'État. À Paris, l'État est un ; localement, il est parfois multiple. Nous aurions besoin de le réunifier un peu ; cela satisferait les élus locaux.
Mme Françoise Gatel, co-rapporteur sur la thématique « collectivités territoriales, administration déconcentrée de l'État et accès aux services publics au niveau local » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. - Nos concitoyens attendent que l'action publique soit efficiente pour que l'État soit garant de la sécurité et qu'il exerce ses fonctions régaliennes.
Je reviendrai sur les situations particulières où l'exécutif sortant est prolongé, ce qui crée parfois des difficultés lorsque le maire a été battu par son opposition... Comment sécuriser les décisions des 30 000 maires, qui, dans quinze jours ou trois semaines, quitteront leurs fonctions ? Les nouveaux exécutifs devront assumer des décisions importantes prises par leurs prédécesseurs - concernant, par exemple, la sécurité sanitaire des enfants -, sans y avoir été associés.
Pour suivre de près la gestion de la crise localement, je suis frappée par l'efficacité préfectorale et par l'excellente coopération entre les élus et les préfets. Mais parfois, la prise de décision est ralentie, car l'État territorial n'est pas unifié. Le ministre de l'intérieur nous a répondu que le préfet anime et coordonne. Cependant, lorsque l'avion traverse une zone de turbulences, il faut un pilote, un chef : une fois les réunions de coordination passées, évitons les décisions un peu flottantes.
Au cours des auditions que j'ai menées avec M. Collombat, deux positions se sont fait jour sur les actions des collectivités locales. Certaines parmi elles, ont été amenées à travailler sur tous les sujets, et souhaitent réinstaurer une forme de compétence générale. D'autres ne veulent pas de confusion, et que chacun garde son domaine d'expertise. Ces dernières souhaitent cependant pouvoir contractualiser, lorsque cela est nécessaire, afin d'aller plus loin sur la coopération ou la délégation de compétence. Nous en avions beaucoup débattu lors de l'examen du projet de loi Engagement et proximité. On tire toujours des leçons de la crise, mais elle ne doit pas aboutir à oublier le passé.
M. Patrick Kanner, co-rapporteur sur la thématique « Juridictions judiciaires et administratives » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. - Selon des articles de presse, le Conseil d'État serait en train d'examiner un projet de loi visant à reporter les élections municipales. Qu'en est-il ?
Lors de mes anciennes responsabilités relatives à la politique de la ville, nous avions beaucoup travaillé, avec Mme Gatel, sur le projet de loi Égalité et citoyenneté. Je m'en souviens bien ; vous présidiez alors la séance publique. Quel est l'état des quartiers sensibles ? Il y a eu des incidents - et non des révoltes, je pèse mes mots - dans certains quartiers. Avez-vous des informations sur les conséquences du confinement dans ces quartiers et sur la manière dont s'y déroulera la sortie du confinement ? Ces quartiers, parfois, se retirent d'eux-mêmes de la République et peuvent subir les pressions de milieux antirépublicains. Nous devons les regarder avec attention.
M. Pierre-Yves Collombat, co-rapporteur sur la thématique « collectivités territoriales, administration déconcentrée de l'État et accès aux services publics au niveau local » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. - À l'occasion de cette crise, tout le monde a vérifié la solidité et l'efficacité des relations entre le corps préfectoral et les collectivités territoriales. Cela pose question sur les relations entre l'État central et les collectivités, et sur la responsabilité des élus. Ceux-ci ont l'impression que l'État est le donneur d'ordre et que les élus doivent exécuter, à leurs risques et périls. J'ai du mal à comprendre votre acharnement à refuser toute modification de la loi pour protéger les élus. La situation actuelle n'a rien à voir avec la situation ordinaire.
Actuellement, les élus doivent assumer leurs responsabilités habituelles ainsi que d'autres, supplémentaires, dans le cadre de contraintes imposées par l'État. C'est surprenant de voir le Gouvernement déposer un amendement pour supprimer des propositions de la commission des lois en la matière. On prête au Premier ministre des propos selon lesquels il n'est pas question d'avoir une loi d'immunité ou d'amnistie, comme si les élus étaient des coupables. C'est inacceptable et même injurieux !
L'installation des équipes municipales élues ne pose pas de problème et doit se faire le plus rapidement possible. Qu'est-ce qui empêche de différencier ces communes de celles où un second tour est absolument nécessaire ? Pourquoi mettre autant de temps à décider dans ce domaine, où il n'y a aucun problème de légitimité ou de légalité ?
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie de cette question, qui devait être abordée. M. Mathieu Darnaud suit les questions relatives aux collectivités territoriales au sein de notre commission. Il est aussi le premier vice-président de la délégation aux collectivités territoriales, que vous avez bien connue...
M. Mathieu Darnaud. - Dans certaines communes de moins de 1 000 habitants, la majorité des conseillers municipaux a été élue dès le premier tour, et il reste encore un ou parfois deux conseillers à élire. Cela pose problème, surtout s'il faut reporter les deux tours à la rentrée de septembre. Il me semble avoir lu un entretien que vous avez donné à Ouest-France sur ce sujet.
Quant aux intercommunalités, comment leur permettre de fonctionner si les élections municipales sont reportées après le mois de juin ? Elles ont des compétences économiques, d'aménagement de l'espace, qui ont trait à la relance et à la commande publique. Il faut installer les exécutifs intercommunaux au plus vite.
Je savoure les propos qui mettent en avant l'État territorial. Nous avons besoin d'un couple collectivités-État territorial qui fonctionne pleinement. La crise le révèle encore un peu plus. Mais cet État territorial souffre parfois, dans certains départements, d'une sous-dotation en moyens humains, et il a quelques difficultés, en matière d'urbanisme notamment, pour répondre avec agilité. Or, il constitue une forme de garantie et d'équité sur les territoires qu'il faut conforter. Nous sommes à quelques mois du fameux projet de loi 3D - décentralisation, différenciation et déconcentration. Ce texte s'imprégnera-t-il pleinement de la crise pour traiter du sujet de la proximité, des libertés locales, du renforcement de l'État territorial ? Nous sommes tous convaincus qu'il est un apport essentiel à la vitalité démocratique de nos territoires et à cette nécessaire complémentarité entre les villes et les campagnes.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Cette crise a validé mon intuition initiale : l'évolution des relations entre l'État et les collectivités territoriales passe par de nouvelles décentralisations, mais pas seulement : nous avons également besoin d'une déconcentration plus forte de l'État, et il faut introduire de la différenciation - cela semble une évidence dans cette crise sanitaire. Ces trois piliers sont fondamentaux et doivent être traités ensemble.
Aujourd'hui, seules les communes ont la compétence générale, même si elles ont parfois transféré certaines de leurs compétences à l'intercommunalité. L'état d'esprit qui est le mien n'est pas de revenir sur cette compétence générale. Certains départements revendiquent la compétence économique. Quant aux régions, elles souhaitent rester dans le cadre actuel. Au cours des réunions sur le futur projet de loi 3D que j'ai menées, et que j'espère pouvoir reprendre, certaines régions nous ont fait savoir qu'elles étaient prêtes à déléguer certaines de leurs compétences en matière économique. Je suis favorable à de tels accords entre collectivités, qui ne sont pas des transferts de compétence, mais une capacité d'agir en bonne intelligence. Il faut conserver un peu de clarté dans l'action des collectivités territoriales.
Je suis également favorable à un État territorial réorganisé et renforcé autour du rôle central du préfet. J'entends que les collectivités souhaitent que le préfet soit pleinement le représentant de l'État sur les territoires, et que son pouvoir hiérarchique s'étende aux agences. Nous avons besoin d'un État qui parle d'une voix unique sur les territoires.
Je tiens également à rendre hommage aux fonctionnaires de l'État central : leur rôle est important. Je me méfie d'une vision trop manichéenne : la proximité est importante, mais l'administration centrale, que je remercie pour son action dans cette crise, est, elle aussi, déterminante.
S'agissant du calendrier du projet de loi 3D, nous sommes toujours en pleine crise sanitaire et nous ne savons pas encore quels dossiers seront prioritaires dans les prochaines semaines. Néanmoins, la crise a montré que des réformes étaient nécessaires.
Les décisions prises par les maires actuellement en fonction sont totalement légitimes, et il y aura une continuité républicaine avec les maires suivants, issus de l'élection du 15 mars dernier.
Nous avons été très attentifs, et tout particulièrement mon collègue Julien Denormandie, à la continuité des services publics dans les territoires fragiles au titre de la politique de la ville. Chaque semaine, Julien Denormandie réunit en visioconférence une vingtaine de maires de ces quartiers pour faire le point. Il a également beaucoup travaillé avec le ministre de l'intérieur pour que ces quartiers restent paisibles au cours du confinement. Contrairement à ce que l'on a pu entendre, d'une manière générale, tout s'y est bien passé et les familles ont respecté le confinement. Il n'y a pas eu de problème majeur. Nous devons y poursuivre notre action.
Sur chacune des ordonnances, nous avons échangé avec les associations d'élus. J'espère que ce travail s'est ensuite décliné en direction des collectivités.
Au Sénat, le Premier ministre a dit sa volonté d'aller plus vite dans la mise en place des 30 000 conseils municipaux élus dès le premier tour. Il a ainsi annoncé qu'il allait demander au comité de scientifiques de rendre rapidement son avis pour leur installation. Plus vite ils seront installés, mieux cela vaudra, car tout ne se passe pas toujours très bien dans certaines communes. Le Premier ministre a annoncé ces installations pour le mois de mai. Une ordonnance devrait être prise dans huit jours afin de rappeler que cette élection doit se faire physiquement, à bulletins secrets, conformément à l'article 3 de la Constitution. En outre, toutes les facilités seront données pour que cette élection se passe dans les meilleures conditions, en termes de salle, de quorum, de procurations et de huis clos.
S'agissant du deuxième tour, aucune décision n'a été prise à ce jour. Nous allons attendre le 23 mai et le rapport qui sera remis au Parlement. Tout dépendra de la crise sanitaire.
M. Patrick Kanner, co-rapporteur. - Pouvez-vous nous certifier, qu'à ce jour, aucun projet de loi n'a été transmis au Conseil d'État ?
M. Philippe Bas, président. - Pas même un avant-projet de loi, qui aurait pu être transmis officieusement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je ne le sais pas. Ce que je sais, c'est que nous devons imaginer que les élections pourraient avoir lieu après l'été et, qu'alors, il nous faudra un texte de loi. Nous sommes un peu obligés d'y penser... Mais personnellement, je n'ai pas vu de texte.
M. Philippe Bas, président. - Le contraire serait étonnant, et même regrettable. En effet, à ce stade, plusieurs hypothèses sont sur la table. Mais s'il y avait déjà un avant-projet de loi, cela serait le signe que le Conseil d'État étudie une hypothèse unique, et nous préférerions que le Gouvernement en discute d'abord avec nous, parlementaires.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je vous le répète, les yeux dans les yeux : à ce stade, aucune décision n'a été prise sur la date des élections municipales. Nous prendrons cette décision en fonction des données sanitaires. Nous avons cependant intérêt, notamment pour la relance économique, à ce que les choses ne traînent pas trop, car les intercommunalités doivent aussi se mettre en place. Gouverner, c'est prévoir, et nous devons anticiper.
M. Hervé Marseille. - Les élections municipales dans les villes où il y a eu ballotage sont susceptibles de ne pas avoir lieu en juin. Si elles ont lieu plus tard, deux tours seront à nouveau nécessaires, si l'on en croit le Conseil d'État.
Cela pose la question des comptes de campagne : clôture des comptes, réunion de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), délais inhérents à la procédure contradictoire et aux recours... Sans parler des nouveaux financements que devront trouver les candidats qui se représenteront, alors même qu'ils n'auront même pas reçu de remboursement ! Permettez-moi d'attirer votre attention sur ces difficultés.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Je vous remercie de cette intervention.
Aujourd'hui, légalement, un deuxième tour est obligatoire dans les communes dont le conseil municipal est incomplet à l'issue du premier tour. Certains maires de communes de moins de 1 000 habitants demandent que les conseils municipaux puissent être installés lorsqu'il manque seulement quelques conseillers municipaux. L'Association des maires ruraux de France (AMRF) a par exemple posé la question. L'Association des maires de France (AMF), notamment son président François Baroin, y est très opposée. Je connais le cas d'une commune dans laquelle le seul membre de la liste à n'avoir pas été élu au premier tour est le maire... Installer un exécutif provisoire dans ces conditions me semble délicat. Mais votre avis m'intéresse.
M. Philippe Bas, président. - Vos arguments me paraissent mériter d'être pris en considération. En effet, nous ne savons pas comment sont composés ces conseils municipaux incomplets : il peut s'agir de membres d'une même liste, ou de membres de listes antagonistes. Même avec un seul siège à pourvoir, il peut arriver que l'on ne sache pas quel serait le résultat de l'élection du maire. Un maire intérimaire ainsi installé ne risque-t-il pas de prendre des mesures qui marqueront l'opinion communale et aideront ses colistiers en vue du second tour ? Du point de vue de la sincérité du scrutin, c'est problématique.
Nous n'avons le choix qu'entre de mauvaises solutions, car la poursuite de la gestion intérimaire par l'ancien maire n'est pas idéale non plus et entraîne parfois des tensions. Le débat n'est pas facile à trancher. Nous avons déjà établi, dans la loi d'urgence du 23 mars 2020, un premier régime, qui est un pis-aller ; nous ne simplifierions pas la situation en créant un second régime intérimaire, qui serait lui aussi un nouveau pis-aller dans l'attente de la situation définitive. C'est un débat intéressant sur le plan des principes, mais cela ne concerne pas énormément de communes - même si cela touche beaucoup les habitants des communes concernées.
S'agissant des finances locales, je regrette que vous n'ayez pas annoncé, compte tenu des difficultés financières, un moratoire sur la suppression de la taxe d'habitation. Les recettes des départements, principalement tirées des droits de mutation, mais aussi leurs futures recettes de TVA, qui doivent prendre le relais en 2021, risquent de s'écrouler. Or, ils sont dans une situation très difficile, car leurs dépenses sociales montent en flèche à cause de la crise. Je ne peux que vous inviter de manière très pressante, au nom de tous mes collègues, à conserver temporairement le système actuel, qui est bien moins mauvais pour l'équilibre financier de nos collectivités.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Cela n'a pas été le choix du Gouvernement. Nous sommes tout à fait conscients des difficultés financières que certaines collectivités territoriales vont rencontrer à l'issue de la crise sanitaire. D'une manière ou d'une autre, elles risquent d'être confrontées à de moindres recettes et à des dépenses en augmentation. Nous avons identifié un certain nombre de collectivités qui rencontrent des problèmes immédiats, alors que d'autres connaîtront des difficultés en 2021 : certains départements, qui connaissent une baisse très importante des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et une augmentation de leurs dépenses sociales, les communes d'outre-mer, en difficulté au regard de l'octroi de mer, et certaines communes touristiques. Nous devons traiter ces sujets dès maintenant. À titre d'exemple, dans mon département, la commune de Chenonceaux est une très petite commune rurale, qui vit entièrement du tourisme : elle peut se retrouver très rapidement en difficulté pour payer les salaires de ses agents municipaux si nous ne l'aidons pas. En revanche, les questions qui se posent sur d'autres ressources comme la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ou la TVA, pourront être traitées dans le projet de loi de finances pour 2021.
Le Premier ministre a confié une mission à M. Jean-René Cazeneuve pour évaluer la situation des finances locales. Nous allons travailler en lien avec les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, et regarder de près comment aider les collectivités qui en ont le plus besoin. Pas plus tard qu'hier, j'ai signé une circulaire, avec plusieurs de mes collègues ministres, qui rappelle aux préfets de département les outils qu'ils peuvent mobiliser pour venir en aide aux collectivités qui en ont besoin, grâce à des versements anticipés de dotation et de fiscalité locale : c'est ainsi que la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui est versée d'ordinaire par douzième, pourrait être versée plus rapidement, sous la forme d'avances ; des acomptes seront également possibles pour les impôts locaux, ainsi que des avances de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), afin de favoriser l'investissement local si les dossiers sont prêts ; en cas d'urgence, les commissions DETR seront plus souples sur les priorités. Nous avons également élargi les possibilités de dérogations des préfets. Elles ne concernaient jusqu'à présent que les préfets de trois régions et d'une douzaine de départements ; désormais, le décret du 8 avril 2020 étend cette faculté à tous les préfets de France. Naturellement, les 2 milliards d'euros de la DSIL et de la DETR, prévus en loi de finances, sont maintenus. Avec mes collègues, je rencontrerai demain et lundi toutes les associations d'élus afin de voir avec elles si d'autres décisions doivent être rapidement prises. Il est possible que nous déposions un troisième projet de loi de finances rectificative si des mesures urgentes étaient nécessaires. Nous devrons ensuite bâtir le projet de loi de finances pour 2021 pour soutenir les collectivités territoriales. Nous sommes pleinement conscients des difficultés.
M. Philippe Bas, président. - Je suis heureux que vous manifestiez ce souci de comprendre les préoccupations des collectivités territoriales. Quelle réponse faites-vous à la question de M. Collombat sur la responsabilité pénale des maires dans le strict cadre de la lutte contre l'épidémie ? Je crois qu'il y a une certaine incompréhension sur la finalité du texte que le Sénat a adopté hier. Il s'agit d'un régime non d'exonération, mais de clarification de la responsabilité pénale, qui prévoit que celle-ci peut être ouverte pour deux motifs principaux : un acte intentionnel qui provoque la contamination, et un acte pris en violation manifeste d'obligations de prudence déterminées par la loi et les règlements adoptés pour lutter contre l'épidémie. La responsabilité pénale est une chose fondamentale, évidemment, et il ne viendrait à l'esprit de personne - et certainement pas au Sénat, qui se veut le gardien des droits fondamentaux de nos concitoyens - de la supprimer. Mais la loi pénale n'est pas intangible, et nous avons parfaitement le droit de la faire évoluer pour la préciser.
J'ai aussi entendu des propos qui m'ont beaucoup surpris, qui résultent peut-être de l'examen superficiel d'un texte qui a été adopté il y a trop peu de temps pour que les uns et les autres en aient pris une connaissance suffisamment approfondie. On a dit, en effet, que le texte voté par le Sénat vise à protéger spécifiquement les maires. Mais ce n'est pas le cas. Les dizaines de milliers de Français qui, sans avoir aucune connaissance particulière du virus ni de ses modes de propagation, vont devoir ouvrir des ateliers, des écoles - car ce n'est pas le maire qui ouvre les écoles, mais le directeur d'école, sous l'autorité de l'inspecteur d'académie -, il faut les protéger ! Ils sont de bonne foi, ils ne sont pas censés être des spécialistes du Covid-19, et s'ils respectent les lois, les règlements et toutes les consignes qui sont données, je ne vois pas, sauf s'ils ont commis un délit intentionnel, sur quelle base on pourrait normalement les poursuivre. C'est pourquoi le Sénat a voulu faire oeuvre de clarification, et nous avons beaucoup regretté que cela n'ait pas été immédiatement compris.
Enfin, le Sénat a protégé, d'une certaine façon, les milliers ou les dizaines de milliers de Français qui vont devoir prendre la responsabilité d'une collectivité, privée ou publique. Mais il n'a pas voulu exonérer ceux qui définissent les règles de protection. C'est la raison pour laquelle il a écrit noir sur blanc que la clarification - temporaire - de la responsabilité à laquelle nous avons procédé ne s'applique ni aux ministres, ni aux préfets, ni aux directeurs d'agences régionales de santé (ARS). Elle ne s'applique pas aux puissants qui ont comme responsabilité de définir les précautions à prendre, et de les imposer. En revanche, ceux qui ne sont que des exécutants, si loin de la décision et de l'information, nous devons éviter qu'ils ne puissent à tout moment être mis en cause.
En effet, nous allons entrer dans une période qui ne sera plus celle d'un régime unique, celui du confinement pour tous les Français, mais sera celle de la reprise de l'activité. Sans cette protection, il y aura une très forte inhibition pour faire redémarrer l'activité, car chacun se sentira inquiet. C'est un peu comme la sécurité sociale, qui a été créée pour que les Français prennent des risques. Si vous voulez que ceux qui ont quelques responsabilités vis-à-vis des autres, dans une communauté de travail ou dans une commune, prennent le minimum de risques nécessaire, il ne faut pas que vous suspendiez au-dessus de leurs têtes une épée de Damoclès.
Nous avons vécu comme insultants certains propos que nous avons entendus, qui ont évoqué une amnistie. Une amnistie, c'est une exonération totale de responsabilité après les faits commis. Nous n'avons jamais envisagé cela : au contraire, nous avons été d'une très grande prudence en maintenant la responsabilité pénale, en l'éclaircissant et en évitant que les puissants, pour employer un langage populaire, ne soient protégés, alors que ce n'est pas eux que nous cherchons à protéger, mais l'ensemble des micro-décideurs, qui, localement, vont avoir à prendre des responsabilités. Je vous sais sensible à la situation des maires. Vous les rencontrez, des groupes de travail se réunissent. J'aimerais beaucoup connaître votre sentiment personnel sur cette question, et que vous soyez porteuse de cette parole que je veux être une parole apaisante, tout en vous disant notre extrême détermination, parce que ce combat nous paraît juste et nécessaire à ce stade précis de la crise sanitaire, pour passer du confinement au déconfinement.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Le Premier ministre s'est exprimé encore cet après-midi sur le sujet lors des questions d'actualité au Sénat. Il a répété que sa position n'était pas d'empêcher une adaptation, mais qu'il était contre toute logique d'atténuation de la responsabilité. Au même moment, un amendement a été voté à l'Assemblée nationale, dont je ne connais pas le contenu exact. Personnellement, je peux vous dire que je suis intervenue au conseil des ministres quand le sujet a été abordé - sous l'angle de la responsabilité pénale des élus. J'ai eu le sentiment que, dans toutes ces discussions, certains avaient oublié qu'il existe une loi, que je connais bien car à l'époque, en 2000, c'est Pierre Fauchon qui était sénateur de Loir-et-Cher. Il a beaucoup travaillé, en consultant très largement, pour aboutir à un texte aussi équilibré que protecteur. J'ai donc tenu à le rappeler. Quand j'étais sénateur, j'ai vu maintes tentatives de revenir sur la loi Fauchon, sans que celle-ci s'en trouve modifiée, tant l'équilibre qu'elle avait atteint était sensible. On sait bien, dans une société qui se judiciarise de plus en plus, qu'il y a des inquiétudes. Ce que demande le Gouvernement, c'est que, si amélioration il doit y avoir, elle se fasse non pas sur le fond de la loi Fauchon, mais sur son adaptation aux circonstances actuelles. En tout cas, je ne fais pas de procès d'intention à qui que ce soit. Je sais que le Premier ministre tient à ce que l'équilibre actuel soit respecté dans ses grandes lignes.
M. Alain Marc. - Beaucoup de maires s'interrogent sur les attributions ultérieures de la DETR. Ils se disent que l'État, qui a maintenu la DETR pendant deux ou trois ans à un certain niveau, risque de réduire ce type d'aide, alors qu'on sait à quel point les communes sont importantes pour la reprise économique. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point ?
Nous étions quelques-uns, lorsque l'on a parlé de remplacer certains impôts départementaux par une TVA prétendument dynamique, à demander que la loi prévoie un cliquet garantissant que, en cas de crise, les départements soient dotés, au minimum, de la même somme que celle qu'ils avaient perçue l'année précédente. Nous n'étions pas devins, et nous n'avons pas envisagé une telle crise... Mais il faut toujours anticiper. Allez-vous instaurer une telle règle, de sorte que les départements soient assurés de disposer chaque année d'au moins la même somme que l'année précédente ?
M. Jean-Pierre Sueur, co-rapporteur sur la thématique « Organisation des forces de sécurité » pour la mission de contrôle et de suivi des mesures liées à l'épidémie de Covid-19. - Dans les communes de moins de 1 000 habitants où le conseil n'a pas été élu complet, vous avez dit qu'il n'était pas possible d'élire un maire et des adjoints, et je partage totalement ce point de vue, qui est conforme à la loi.
J'ai lu le rapport que notre commission a publié la semaine dernière. Philippe Bas et Alain Richard, co-rapporteurs des questions électorales, y formulent une proposition concrète. Dans certaines communes de moins de 1 000 habitants, il pourrait ne pas être nécessaire, même s'il y a un report des élections municipales, d'organiser un deuxième tour, puisque ceux qui sont élus le sont de toute façon. Dans 70 % de ces cas, il faut désigner au maximum trois ou quatre personnes. Pourrions-nous organiser, courant juin, un deuxième tour dans ces seules communes ? Il n'y aura pas plus de 500 électeurs par bureau de vote. Ce serait compatible avec le respect des gestes barrières et cela mettrait ces communes en ordre de marche.
M. Éric Kerrouche. - Nous voyons tous des maires qui prennent beaucoup de responsabilités, notamment dans la réouverture des écoles. La petite musique qu'on entend depuis hier, sur une volonté d'exonérer ces maires de leurs responsabilités, alors qu'ils essaient de faire au mieux, est plus que désagréable, elle est quasiment insultante. Comprenez-vous les décisions de reporter l'ouverture des écoles qui sont prises par certains maires ?
Dans l'hypothèse où le deuxième tour des élections municipales n'aurait pas lieu le 21 juin, il faudrait réélire un exécutif intercommunal pendant une période transitoire. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait mettre en place une mesure dérogatoire, par exemple l'élection de cet exécutif « en bloc », pour qu'on puisse faire la différence entre la période normale et cette période particulière de transition ?
Mme Maryse Carrère. - Les intercommunalités se bornent actuellement à assurer les services essentiels à la population, ce qui est normal en période de confinement. Demain, elles exerceront leur compétence économique et seront des acteurs majeurs dans la reprise de l'activité. Or elles se trouvent dans une instabilité complète, avec des conseils communautaires anciens, qui deviendront dans quelques semaines hybrides, puisqu'ils comporteront des anciens délégués des communes où le premier tour n'a pas été conclusif, et des nouveaux délégués pour les communes qui ont eu la chance d'élire un conseil municipal au complet dès le premier tour. Qu'advient-il des présidents d'intercommunalité qui, issus des communes ayant entièrement renouvelé leur conseil municipal, n'auraient pas été réélus ? Vont-ils continuer à siéger sans en avoir la légitimité, pour un temps aussi court que possible ? Ou faut-il absolument élire une nouvelle gouvernance ? C'est une situation politiquement inextricable dans certains territoires.
Vous avez parlé du décalage des difficultés financières à l'année 2021. Sera-t-il possible de revoir le pacte financier dit de Cahors, sur les dépenses de fonctionnement des collectivités ?
M. Philippe Bas, président. - J'ajoute qu'il est urgent d'accélérer la numérisation de nos territoires et l'accès au très haut débit, en particulier dans les territoires ruraux.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Il est impossible de figer des enveloppes par départements, monsieur Marc, parce qu'il y a des évolutions : la DETR a été calculée en fonction de besoins qui peuvent changer, par exemple avec l'augmentation de la population. La DETR est une enveloppe globale qui se répartit, selon un certain nombre de critères, entre les départements. Naturellement, cette année, la DETR est toujours très élevée, et nous n'avons pas l'intention de la diminuer. En tout cas, je me bats toujours pour que les enveloppes de la DSIL et de la DETR soient maintenues à un très haut niveau. Avec la crise sanitaire, nous aurons besoin d'un redémarrage économique et de l'investissement des collectivités territoriales, qui représente 70 % de l'investissement public. Je ne peux pas vous assurer du montant de l'enveloppe ni vous garantir qu'il sera au moins égal à celui de l'an dernier, mais je peux vous dire qu'il sera important.
J'ai vu la proposition évoquée par M. Sueur concernant le second tour des élections municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants. Sur le plan constitutionnel, il me semble difficile d'organiser deux fois des élections municipales...
M. Philippe Bas, président. - Alain Richard, qui n'a jamais été pris en défaut quand il s'agit d'examiner la constitutionnalité d'un texte, considère que c'est tout à fait possible et que rien ne s'y oppose - cela ne veut pas dire qu'il faut le faire. Cette hypothèse nous a séduits, mais se heurte à des objections que nous connaissons.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Dans les débats sur la responsabilité pénale des élus, il ne faut pas se méprendre. Je ne crois pas qu'il y ait eu beaucoup d'excès de langage - en tout cas, je n'en ai pas entendu dans la bouche du Premier ministre. Pour avoir été maire pendant vingt-cinq ans, monsieur Kerrouche, je sais très bien ce qu'est la responsabilité. Quand on dit que l'ouverture et la fermeture de l'école relèvent de la responsabilité de l'État, c'est du pur droit. Cela n'enlève pas les responsabilités que prend le maire en tant que patron de l'exécutif de sa commune, qui fait de lui le responsable de tout l'aspect matériel, y compris pour les activités des centres de loisirs. Le ministre de l'éducation nationale a évoqué quatre solutions : la classe, une étude surveillée, l'enseignement au domicile, à distance, ou des activités sportives ou ludiques. Ces dernières seraient placées sous la responsabilité du maire. Ne vous méprenez pas sur le respect total que le Gouvernement a pour les maires et leurs responsabilités - ils sont d'ailleurs parfois agents de l'État.
Il était déjà prévu, madame la sénatrice Carrère, de faire le bilan du pacte de Cahors en 2021. Comme le Gouvernement en a suspendu l'application, nous allons devoir reparler de tout cela l'année prochaine, d'autant que beaucoup de collectivités vont être affectées financièrement en 2021.
M. Philippe Bas, président. - Et que fait-on, dans les intercommunalités, en attendant la fin des élections municipales ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Dès que les équipes municipales seront mises en place, les élus communautaires seront installés dans les conseils communautaires. Les communes qui ont besoin d'un deuxième tour conserveront leurs délégués communautaires sortants. Pendant une période, des délégués communautaires élus le 15 mars dernier siégeront avec des délégués communautaires des communes dont l'élection n'a pas été conclusive. Après le deuxième tour des élections municipales, tout rentrera dans l'ordre.
Pour les exécutifs, la loi d'urgence a prévu de conserver les équipes en place. Il peut y avoir des présidents d'exécutif qui ne se sont pas représentés ou qui ont été battus. Si c'est le cas, nous pourrions envisager qu'ils soient remplacés par quelqu'un qui a été élu. Mais la discussion est ouverte, et chacun apporte sa pierre à l'édifice. À Blois, par exemple, la communauté d'agglomération regroupe 46 communes, dont 44 ont entièrement renouvelé leur conseil municipal. Il en manque donc deux. Au fond, je ne sais pas quelle est la bonne solution. Dans les communes rurales et moyennes, les positions ne sont pas les mêmes que dans les grandes communes, qui doivent souvent faire deux tours de scrutin. Les grandes villes pèsent dans l'intercommunalité. Réélire un exécutif sans elles les lèserait. Bref, c'est un vrai sujet, mais la loi en vigueur prévoit que ce sont les exécutifs sortants qui restent en fonction.
M. Mathieu Darnaud. - Si l'on reporte les élections après l'été, il faudra légiférer de nouveau. Dans votre exemple, pour ceux des conseils municipaux qui ont été élus le 15 mars dernier et qui siégeront par fléchage dans les conseils communautaires, il va de soi que, si l'on proroge les exécutifs jusqu'en novembre, on imagine difficilement conserver les mêmes exécutifs, dès lors que plusieurs de leurs membres n'auront pas été réélus.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Que préconisez-vous ?
M. Mathieu Darnaud. - Que, dans ce cas précis, le membre de l'exécutif n'ayant pas été réélu ou ne s'étant pas représenté soit remplacé.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - Si on légifère, il faudra sans doute prévoir ce cas. En principe, c'est l'ordre du tableau qui vaut pour l'exécutif. Dans une intercommunalité que je connais, le président ne s'est pas représenté aux élections municipales, et le premier vice-président continue à être délégué communautaire, mais minoritaire dans sa commune. Il se retrouverait président de l'intercommunalité alors que sa liste a été battue...
M. Philippe Bas, président. - On ne trouve que des situations anormales, faiblement ou gravement, car la période est anormale. Si nous devons statuer sur ces questions, il n'y aura pas de meilleure solution technique que d'organiser le second tour des élections municipales le plus rapidement possible. Sinon, il faudra vivre dans l'à peu près, avec des situations qui seront nécessairement non optimales. Dans mon département, sur huit communautés de communes, deux continuent à être présidées par des élus de très grande qualité, mais qui n'étaient pas candidats aux élections municipales, et dont l'un a pris des activités professionnelles très lourdes et l'autre aspire à une retraite légitime.
Ce qui est préoccupant dans tout cela, c'est le risque de mettre en panne l'investissement public de nos intercommunalités alors qu'il joue, souvent avec l'aide des départements et parfois avec celle des régions, un rôle majeur dans les infrastructures locales. Forcer les gens à faire preuve d'un peu de bonne volonté, pendant une période temporaire où chacun doit dépasser ses intérêts politiques pour servir la collectivité, cela ne me gêne pas tant que cela. Mais mettre en panne la collectivité, c'est beaucoup plus ennuyeux.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. - S'il faut légiférer, il faudra un toilettage, je vous en donne acte, pour clarifier certaines situations. Je vous remercie pour votre accueil, en tout cas.
M. Philippe Bas, président. - Nous apprécions beaucoup d'avoir eu avec vous un dialogue approfondi.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 50.