Jeudi 16 avril 2020
- Présidence de M. Michel Magras -
Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du Covid-19 - Audition de M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM)
M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, la semaine dernière, lors de notre première visioconférence, il a été décidé que notre délégation se réunirait chaque semaine, le jeudi, afin de poursuivre ses travaux malgré cette période de confinement, conformément à sa triple mission institutionnelle d'information, de veille et d'évaluation des politiques publiques concernant les outre-mer.
Après avoir échangé la dernière fois sur la gestion de l'urgence sanitaire, nous entamons aujourd'hui un travail de réflexion sur la question cruciale des effets économiques de la crise sanitaire actuelle.
Comme beaucoup nous nous préoccupons du marasme économique sans précédent qui s'annonce, avec la menace d'une contraction du PIB national estimée à près de 10 % en 2020 !
Comment les économies ultramarines déjà très fragilisées pourront-elles affronter un tel choc ? Quelles conséquences sur le tissu économique et sur l'emploi devons-nous anticiper ? Comment les décisions annoncées par les autorités publiques s'appliqueront-elles concrètement à nos territoires ? Ce sont quelques-unes des questions que nous souhaitons poser à notre invité, M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises des outre-mer (FEDOM).
Je le remercie d'avoir répondu très vite à notre invitation ce qui nous permettra de bénéficier d'un large tour d'horizon en préambule à notre étude.
Je vous rappelle que la commission des affaires économiques a constitué des « cellules de veille, de contrôle et d'anticipation sectorielles » et a désigné des pilotes en charge d'organiser des auditions thématiques.
Notre collègue Viviane Artigalas suit la thématique « tourisme » et nous sommes heureux de la compter parmi nos trois rapporteurs qui ont accepté de réorienter l'étude économique que nous devions entreprendre ces jours-ci sur l'aide publique aux investissements outre-mer, compte tenu des nouveaux enjeux constitués par cette crise.
Outre Viviane Artigalas, nous avons en effet confié la conduite de cette étude à Stéphane Artano et Nassimah Dindar que je remercie chaleureusement.
En effet, nous pensons que les outre-mer ne doivent pas être « les oubliés » des dispositifs annoncés tant de la part des autorités françaises que des instances européennes.
Le pilotage et la gestion locale de ces décisions nous préoccupent également beaucoup, car nous avons vu dans le cadre de notre étude sur les risques naturels majeurs combien cette question était essentielle pour sortir de la phase d'urgence.
De plus, nous considérons qu'il faudra appréhender la situation territoire par territoire pour tenir compte de leurs particularités.
Nous pourrons ainsi comme à notre habitude formuler des propositions de la délégation au Gouvernement.
Je cède à présent la parole à chacun des rapporteurs, qui poseront leurs questions au président de la FEDOM. Ce dernier répondra dans un second temps.
M. Stéphane Artano, rapporteur. - Je souhaite aborder cinq points. Tout d'abord, les prêts sont garantis par l'État à hauteur de 90 %, mais cette mesure peine à se concrétiser dans les outre-mer en raison des conditions d'éligibilité. Comment rendre davantage d'entreprises ultramarines éligibles à ce dispositif ?
Un fonds de solidarité a en outre été créé par l'État et les régions pour prévenir la cessation d'activité pour les très petites entreprises (TPE). Ce fonds comprend deux étages, le premier à 1 500 euros et le second à 2 000 euros, cette somme pouvant être portée à 5 000 euros. Il s'adresse aux micro-entrepreneurs, aux indépendants et aux professions libérales, mais de nombreuses autres entreprises en difficulté, notamment celles qui sont en redressement judiciaire ou qui ne sont pas à jour de leurs cotisations au 31 décembre 2019, pourraient ne pas en bénéficier. Quels critères proposeriez-vous pour élargir le dispositif permettant de toucher le plus grand nombre de TPE ultramarines ?
Le Gouvernement a également annoncé un doublement du plan d'urgence économique, de 45 à 100 milliards d'euros. Qu'attendez-vous en termes d'annulation de charges pour les mois de confinement, voire au-delà ?
Qu'attendez-vous de la future loi de finances rectificative, qui sera bientôt soumise à l'examen du Parlement ?
Enfin, l'application des mesures d'urgence économique à destination des collectivités autonomes telles que Saint-Pierre-et-Miquelon et la Nouvelle-Calédonie est-elle pleinement efficace selon vos informations ?
Mme Viviane Artigalas, rapporteure. - Mes questions portent sur la suite du plan de soutien à l'économie, sur le redémarrage.
Quels sont les secteurs prioritaires nécessitant selon vous des mesures spécifiques pour les outre-mer ? Quels contours pourrait prendre un plan stratégique spécifique de redémarrage de ces secteurs ?
Pour que ce redémarrage ait lieu, il faut que les mesures actuelles puissent permettre aux entreprises de tenir ce cap. Or une enquête de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Guadeloupe montre qu'un tiers des entreprises ignore les mesures gouvernementales. Partagez-vous ce constat et, si oui, dans quels territoires en particulier ? Estimez-vous que l'action publique locale est suffisamment efficace de ce point de vue ?
Avez-vous par ailleurs évalué l'impact de la crise sur le secteur touristique en outre-mer ? Quelles mesures de soutien à destination des entreprises du secteur touristique doivent être mises en place ?
Je m'interroge sur la situation des compagnies aériennes. L'activité économique ultramarine ne pourra redémarrer que si les liaisons aériennes reprennent. S'agissant de la situation des compagnies aériennes desservant les outre-mer, que préconisez-vous pour éviter leur faillite et maintenir un minimum de concurrence afin de garantir des prix raisonnables ?
Enfin, considérez-vous que la question essentielle de la continuité territoriale (aéroports et ports) soit suffisamment prise en compte par les pouvoirs publics ?
Mme Nassimah Dindar, rapporteure. - Je rejoins Viviane Artigalas concernant les secteurs prioritaires. Nous avons évoqué le tourisme, mais j'ajouterai l'agriculture et le numérique, puisque la crise nous a montré que nous avions besoin de réseaux et d'outils performants, notamment dans le domaine de l'éducation.
Concernant les dispositifs d'aide fiscale à l'investissement outre-mer, quels secteurs devraient-ils être encouragés à la suite de la crise sanitaire ? Quel aménagement permettrait d'assurer la poursuite des investissements en outre-mer, sur les moyen et long termes ?
Ma troisième question concerne les investissements massifs dont pourraient bénéficier les outre-mer dans le secteur du réseau d'eau et de la production de matériels médicaux. Comment par exemple pourrions-nous redevenir producteurs de masques et de gel ? Comment s'appuyer sur nos laboratoires et les développer dans ce but ?
Quelles mesures permettraient-elles de renforcer l'autonomie alimentaire des territoires ultramarins et de sécuriser les filières d'approvisionnement ? En période de crise, les prix peuvent augmenter énormément...
Enfin, nous ne pourrons pas faire fi des aides européennes. L'Union européenne a annoncé un plan d'aide pour soutenir les économies. Comment la FEDOM envisage-t-elle l'utilisation de ces fonds ? Comment les entreprises ultramarines pourront-elles bénéficier de ces dispositifs ?
M. Jean-Pierre Philibert, président de la FEDOM. - Vos questions correspondent à nos préoccupations.
Je commencerais par répondre à celle de M. Stéphane Artano, qui soulignait que le PGE semblait moins bien fonctionner outre-mer qu'ailleurs. Je vous le confirme. Je ne dispose pas de chiffres actualisés, mais j'ai fait le point il y a huit jours sur ce sujet avec le responsable des outre-mer à la BPI et les chiffres qu'il m'a donnés étaient terrifiants. Sur l'ensemble des prêts accordés, représentant 5,7 milliards d'euros, 16 millions d'euros seulement concernaient les outre-mer. Dans le seul territoire de La Réunion, les prêts directs consentis par les BPI se montaient à 50 millions d'euros. Il s'agit de prêts sur cinq ans, à 2,5 %, alors que le prêt garanti par l'État est à 0,25 % la première année. Quelles sont les raisons de cette situation ? Certaines banques, pour de multiples raisons, ne jouent pas le jeu. Dans nos territoires, les taux de sinistralité sont plus importants et la non-garantie de 10 % de ces prêts par l'État peut aussi expliquer ces retards.
Comment davantage d'entreprises ultramarines pourraient-elles être éligibles à ces prêts ? Des assouplissements à ces dispositifs sont prévus, notamment par le projet de loi de finances rectificative voté hier à l'Assemblée nationale. Ces assouplissements portent notamment sur l'éligibilité des entreprises. En outre-mer, il faudrait que ces prêts soient garantis en totalité par l'État, et pas simplement à hauteur de 90 %. Les 10 % restants à la charge des entreprises expliquent la frilosité des banques car si une entreprise venait à être liquidée pendant la durée du prêt, les banques auraient ces 10 % à leur charge et pourraient même se faire refuser la garantie des 90 % par l'État, au motif qu'elles auraient pris des risques.
Sur le fonds de solidarité, qui passera à 7 milliards d'euros, un deuxième volet est créé, variable selon le chiffre d'affaires de l'entreprise et pouvant atteindre 5 000 euros. Ces sommes pourront se cumuler avec le premier fonds. Or dans les outre-mer, nous rencontrons deux difficultés majeures. Ce deuxième volet est réservé aux entreprises qui disposent d'au moins un salarié. Or notre tissu d'entreprises ultramarin est largement constitué d'entreprises unipersonnelles, dont le seul emploi est celui du chef d'entreprise. Le deuxième critère est la nécessité pour une entreprise d'être à jour de ses cotisations sociales et fiscales. Or vous savez tous que nos territoires vivent régulièrement des crises sociales, climatiques et parfois institutionnelles. À La Réunion, de nombreuses entreprises ne sont pas à jour en raison de la crise des gilets jaunes. Aux Antilles, nous pouvons ajouter Irma, puis Maria, en Guyane, des événements cycloniques que vous connaissez bien. De nombreuses entreprises sont donc déjà aujourd'hui en difficulté et ne vont pas bénéficier de ce fonds de solidarité. Il est très regrettable que la solidarité ne joue pas davantage pour les outre-mer. Nous avons soulevé ce point majeur auprès de la ministre, et déploré que l'on ne parle pas suffisamment des outre-mer. Sans les interpellations parlementaires, je ne suis pas certain que l'on se préoccuperait de nous. Dans une telle période, alors que le président de la République a appelé la France à faire nation, cette situation nous préoccupe gravement.
La FEDOM s'est en outre beaucoup mobilisée pour que les collectivités de l'article 74 soient éligibles au fonds de solidarité, alors qu'elles ne l'étaient pas, de même qu'elles n'étaient pas éligibles au PGE. Nous avons dû mettre en place un dispositif de SIREN (système d'identification du répertoire des entreprises) avec la Banque de France, pour que leurs entreprises puissent en bénéficier.
Monsieur Stéphane Artano a posé une question relative au doublement du plan d'urgence économique, qui sera acté dans le projet de loi de finances rectificative. Ce dernier prend en compte le passage du fonds de solidarité à 7 milliards d'euros, ainsi que la situation de la Nouvelle-Calédonie et ses dispositifs spécifiques, relatifs notamment au chômage partiel, aux avances consenties aux entreprises, etc. Il augmente aussi le plafond de l'assurance-crédit export de court terme, pour protéger les PME et les ETI contre le risque d'impayés et porte à 20 milliards d'euros le renforcement des participations financières de l'État dans les entreprises stratégiques. Son article spécifique relatif à la Nouvelle-Calédonie ne concerne pas la Polynésie française. Cette garantie se monte à 250 millions d'euros, alors que les montants engagés par le gouvernement de Nouvelle-Calédonie sont beaucoup plus importants, de l'ordre de 460 millions d'euros. Nous constaterons donc une extrême fragilisation des gouvernements de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française lors de la reprise.
Madame Viviane Artigalas a évoqué des points très importants. Le tourisme est un secteur prioritaire pour les outre-mer. C'est un cataclysme qui va se produire, surtout en Polynésie française, car sur ce territoire, il se double d'un autre cataclysme, la fermeture des frontières aux ressortissants non-européens. Or pour plus de 80 %, la clientèle de la Polynésie française correspond à des touristes américains, australiens et japonais. Pendant des mois, l'industrie touristique va donc s'arrêter.
Pour La Réunion, même si la part du tourisme dans le PIB n'est pas aussi importante que sur d'autres territoires, cette île ne peut pas faire l'impasse sur cette activité. Nous sommes également particulièrement inquiets pour les Antilles.
Ces craintes sont de plusieurs ordres. Le tissu hôtelier, de restauration, les gîtes, les maisons d'hôtes, etc., sortiront exsangues de la crise si on ne les aide pas. De plus, nous n'avons aucune visibilité sur la reprise. Après le confinement, nos concitoyens pourraient ne pas avoir la tête à partir en vacances. Les difficultés devraient donc se prolonger dans nos territoires, alors que, dans de nombreux territoires, la situation avant pandémie était déjà difficile. À Saint-Martin par exemple, de nombreux hôtels devaient encore être reconstruits. À la Guadeloupe et en Martinique, l'offre touristique devait également être tonifiée.
Vous l'avez évoqué : quid des avions qui amènent nos touristes ? Dans un secteur déjà fragilisé, nous sommes effectivement inquiets pour plusieurs compagnies aériennes. L'année dernière, une compagnie a déjà disparu. Une autre compagnie, Air Austral, vient de recevoir une bouffée d'oxygène. Corsair nous préoccupe. La situation d'Air Caraïbes et de French bee est moins préoccupante, car ces compagnies sont adossées à un groupe solide. Néanmoins, en deux mois seulement, un groupe auparavant solide peut se retrouver en grande difficulté. French bee continuera-t-elle demain à desservir La Réunion et la Polynésie ? Je l'ignore. Quand je me suis entretenu récemment avec le président d'Air Caraïbes, il était optimiste, mais la situation a évolué depuis lors.
Le secteur du BTP est également majeur pour nous et il est aussi fragile. Depuis plusieurs années, ce secteur est dans une situation complexe, car, plus qu'ailleurs, la raréfaction de la commande publique s'y est fait sentir. Or les capacités de la commande publique se heurtent à une difficulté de nos collectivités d'outre-mer, qui, pour beaucoup d'entre elles, sont exsangues. Dans les années à venir, elles n'auront pas la capacité à soutenir un secteur en difficulté. Il faudra donc adapter certains dispositifs, concernant notamment l'aide à l'investissement, comme l'a évoqué Madame Nassimah Dindar. J'y reviendrai tout à l'heure.
Tous les secteurs de la continuité territoriale nous préoccupent également, notamment le secteur maritime. Dans un certain nombre de territoires, notamment en Polynésie française, celui-ci rencontrera de grandes difficultés. Bien avant le confinement, toute l'activité de transport de touristes avait déjà été interdite. Ces compagnies sont ainsi désormais en très grande difficulté.
Par ailleurs, le secteur de l'agriculture est sensible, et nous devrons faire des propositions en vue de la sortie de crise.
Nous avons réalisé un questionnaire que nous avons soumis à l'ensemble des entreprises d'outre-mer, pour identifier leurs difficultés. 500 à 600 entreprises y ont répondu et je vous en communiquerai la synthèse.
S'agissant de l'hébergement et de la restauration, les pertes sont estimées à plus de 1 million d'euros pour les grands hôtels des Antilles, ce qui est considérable. Les entreprises qui apparaîtraient les moins impactées ont tout de même perdu de l'ordre de 50 000 euros. La petite restauration, comme les petits restaurants de plage, est aussi concernée. En Guadeloupe, une perte de 50 000 euros contraint à mettre la clé sous la porte. Nous sommes donc très inquiets pour nos structures hôtelières et l'accompagnement des structures touristiques.
Je vous ferai donc parvenir ce document, qui concerne également l'agriculture, dès la fin de notre réunion.
Madame Viviane Artigalas a aussi fait référence à la continuité territoriale. Sur ce sujet, je souhaiterais attirer votre attention sur la question du fret. Sans compagnie aérienne, point de fret. Or pour une filière très importante telle que la filière avicole, les poussins d'un jour sont livrés par avion. Dans nos territoires, le fret aérien est souvent alimentaire.
S'agissant du fret maritime, aux Antilles on ne transporte plus que du matériel sanitaire, des denrées alimentaires, mais plus de mobilier ni d'autres articles nécessaires à la vie de tous les jours. Certains équipages n'ont pas été relevés depuis 2 mois et demi.
Je constate en outre que le prix du fret a augmenté considérablement selon certains territoires. La question doit donc être étudiée dans le détail pour comprendre cette situation.
Néanmoins, de nombreux chefs d'entreprise ont mis à disposition de leurs concitoyens des masques et du gel hydroalcoolique sans réaliser de bénéfices. À La Réunion par exemple, une entreprise spécialisée dans la production de rhum réalise désormais du gel hydroalcoolique, qu'elle vend à prix coûtant. Or ces produits sont vendus trois fois plus cher en pharmacie. Il conviendra de s'interroger sur ces dysfonctionnements à la sortie de la crise.
M. Victorin Lurel. - J'ai personnellement adressé des propositions au Gouvernement et aux ministères : au Premier ministre, au président de la République, aux ministres Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Olivier Dussopt et Agnès Pannier-Runacher. J'ai transmis de nouvelles propositions ce matin par un nouveau courrier à Bruno Le Maire.
Ils m'ont tous indiqué que le PLFR répondrait en grande partie à nos demandes, notamment sur le PGE et le fonds de solidarité. J'ai remarqué que nous souffrions de difficultés d'accès aux crédits bancaires et que les banques faisaient beaucoup de difficultés pour les 10 % de garantie non couverts par l'État. Il conviendrait donc à mon sens de revoir les critères de ce dispositif. Les cotations Banque de France doivent de même être allégées.
Enfin, concernant l'accès au fonds de solidarité, M. Gérald Darmanin m'a indiqué que, sous réserve de vérification, même les entreprises ne comptant aucun salarié pouvaient être éligibles. Je ne partage pas ce point de vue cependant. Il semble ainsi qu'il faille disposer d'au moins un salarié pour bénéficier de ce dispositif. 78 % des entreprises de Guadeloupe ne comptent aucun salarié. Il conviendrait donc de prévoir une articulation entre le premier volet, instruit par l'État, et le second volet, instruit par la région, ce deuxième volet réservant ce dispositif aux entreprises d'au moins un salarié. Ne laissons pas la liberté aux collectivités locales sur ce sujet. L'État doit ainsi décider que l'éligibilité est identique pour les deux volets. Dans le cas contraire, 78 % de nos entreprises seraient exclues.
M. Michel Magras, président. - Il sera difficile de modifier le PLFR sur ces points ?
M. Victorin Lurel. - Nous pouvons à titre individuel déposer des amendements jusqu'à samedi. J'ai d'ailleurs moi-même déjà préparé plusieurs amendements avec mon groupe, pour améliorer ce texte. Nous devons réagir très rapidement.
Je souhaiterais en outre attirer l'attention du président Philibert sur les créances aux collectivités territoriales. De nombreuses collectivités doivent de l'argent aux entreprises, alors que, souvent, les collectivités payent avec retard. En 2012, alors que j'étais ministre, nous avions fait adopter des circulaires au sein de la Direction de la sécurité sociale (DSS), pour permettre aux Caisses générales de sécurité sociale (CGSS) d'escompter les créances détenues sur les collectivités. La première circulaire permettait ainsi de reporter les dettes ou de les annuler partiellement pour les cotisations salariales. En ce qui concerne les cotisations patronales, nous avions demandé que ces reports ou annulations partielles portent sur six mois.
J'ai soulevé ce point auprès de M. Gérald Darmanin, qui m'a expliqué que cela n'était pas possible. Celui-ci souhaite en effet récompenser les entreprises qui sont à jour et les entreprises citoyennes, pour ne pas faire bénéficier de la solidarité nationale les entreprises potentiellement frauduleuses.
Je demande pour ma part que toutes les créances non payées par les collectivités puissent être mobilisées par les CGSS en guise de paiement des charges patronales et salariales de ces entreprises. L'État peut agir sur ce point.
De même, sur les 10 % du PGE, les banques et la BPI font payer des frais de dossier et des intérêts tant que la collectivité ne s'est pas acquittée de sa dette. Elles font également porter les intérêts sur l'intégralité du dossier jouant sur un effet d'aubaine, la Banque a objectivement intérêt à refuser un prêt pour que l'entreprise sollicite la région. La région Guadeloupe a mis en place un fonds de garantie de prêt bancaire, ce qui incite une fois de plus la banque à se défausser sur la région. Elle garantit également un prêt rebond.
Pour toutes ces raisons, les banques ont objectivement intérêt à se défausser sur les collectivités. Or ces pratiques sont illégales et il faut trouver la bonne articulation entre les banques et les collectivités, pour éviter ces effets d'aubaine.
Le dispositif de chômage partiel me semble très intéressant. En 2008, les Allemands ont mis en place une organisation de chômage partiel en cas de diminution d'activité, en avançant les fonds aux entreprises. En l'état, le dispositif de remboursement des salaires choisi par la France pose des problèmes de trésorerie. Un fonctionnaire m'a indiqué que, si l'entreprise ne peut pas verser ses salaires, elle peut s'adresser à sa banque pour demander un PGE. Or si le PGE n'est pas accordé, l'entreprise ne pourra même pas payer les salaires et devra licencier.
J'ai aussi demandé que l'État aide mieux la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. M. Gérald Darmanin m'a répondu qu'il n'avait pas reçu de demande de la part du président Édouard Fritch et qu'il ne peut agir sans. Je lui ai toutefois demandé d'aider la Polynésie à mettre en place un chômage partiel, de façon exceptionnelle, afin que le principe d'égalité prévale sur les statuts.
Au cours de ces discussions, j'ai beaucoup insisté sur la situation des compagnies aériennes.
Enfin, concernant le secteur de la production et de la distribution de l'eau à Mayotte et en Guadeloupe, une controverse m'a publiquement opposé au préfet de la Guadeloupe. J'ai porté cette controverse au meilleur niveau et ai demandé un effort exceptionnel à l'État sur ce sujet. Plutôt que d'accuser les collectivités qui n'ont pas fourni le travail escompté depuis 40 ans (ce dont nous sommes tous responsables), l'État ne peut pas passer son temps en Guadeloupe à distribuer de petites bouteilles d'eau. Si un lien est établi entre la cartographie de la mortalité en Guadeloupe et le manque d'eau, tous seront responsables, y compris l'État. Un préfet a considéré qu'il était criminel de ne pas distribuer d'eau, mais je lui ai répondu qu'il comptait lui aussi au nombre des criminels, comme nous tous. L'État doit en effet attribuer une subvention de 200 millions d'euros, pour nous permettre de régler ce problème sur 5 ans, et non sur 15 ans. Il doit aussi garantir 300 à 400 millions d'euros, sur des prêts de 30 ans. L'État doit prendre conscience qu'il n'est pas acceptable de se contenter de punir des élus qui n'ont pas fait ce qu'ils devaient il y a trente ou quarante ans.
M. Michel Magras, président. - Concernant le deuxième étage du fonds de solidarité, le volet régional, il me semblait en effet que, dès lors que l'entreprise était éligible au premier, elle l'était aussi au deuxième.
M. Victorin Lurel. - La région peut décider de ne verser l'aide qu'aux entreprises disposant d'au moins un salarié. Si ce critère est appliqué, ce sont 78 % des entreprises qui sont exclues.
Il est aussi possible de demander des avances remboursables, si les entreprises ne sont pas à jour de leurs cotisations sociales. Il faut donc l'adapter pour les outre-mer.
M. Jean-Pierre Philibert. - M. Victorin Lurel a conforté plusieurs informations que j'avais.
Néanmoins, je souhaite préciser que pour la mise en oeuvre du PGE, au cours de la première année, les banques ne peuvent pas demander de frais de dossier ni contraindre l'entreprise à souscrire des assurances. Elles doivent ainsi proposer ces prêts sans aucune rémunération. L'éventuel prolongement du prêt reste à l'initiative de l'entreprise. Dans ce cas, les banques reprennent la main pour négocier d'autres taux que le taux initial de 0,25 %. Avec son prêt Atout, la BPI assurait un prêt à 2,5 % pour cinq ans, ce qui peut représenter un certain confort pour les entreprises.
Je vous propose maintenant de répondre aux questions de Madame Dindar, qui évoque la réorientation de l'aide fiscale à l'investissement outre-mer. Nous sommes en discussion avec Bercy concernant les modalités d'instruction des dossiers avec agrément et l'allègement des contraintes qui pèsent sur les entreprises dont les dossiers n'ont pas été agréés. De ce point de vue, Bercy semble jouer le jeu, mais des dispositions législatives devront être modifiées. Nous aurions souhaité que ces dispositions figurent dans le PLFR mais d'autres textes pourraient suivre et Bercy nous a confirmé par courrier que ces modalités devraient faire l'objet d'une validation législative.
Pourrons-nous continuer comme auparavant et permettre à tous les secteurs de notre économie de bénéficier de l'aide fiscale à l'investissement ? Cette question doit être posée. Cette aide fiscale à l'investissement pourrait être affectée aux priorités définies territoire par territoire. Nous avons défini plusieurs secteurs prioritaires, comme le tourisme. La rénovation hôtelière doit ainsi pouvoir continuer de bénéficier de l'aide fiscale à l'investissement. De même, le secteur du BTP et de la construction de logements, ceux qui assurent la continuité territoriale, comme les compagnies aériennes, les compagnies maritimes, les navires de croisière, etc., doivent pouvoir bénéficier de l'aide fiscale à l'investissement. Ces sujets sont très importants et nous contraignent à revoir notre mécanisme global. Cela suppose aussi que nous discutions avec Bruxelles, pour corriger l'impossibilité de défiscalisation pour les entreprises en difficulté. En effet, toutes les entreprises seront en difficulté à la sortie de la crise.
Il faut reposer la question des exonérations de charges sociales dans certains secteurs. Les charges pourraient ainsi être exonérées pour la production locale et l'industrie. Par exemple, toute l'industrie ne figure pas en zone franche nouvelle génération. Pour disposer d'une industrie dans nos territoires, et pas uniquement d'une industrie agroalimentaire, nous devrons disposer d'outils adaptés.
Certaines restrictions ne se justifient plus aujourd'hui. Les ETI d'outre-mer comptant plus de 250 salariés ne sont aujourd'hui pas éligibles à un certain nombre de dispositifs d'aides. Or c'est tous ensemble que nous sortirons de cette crise. Nous aurons besoin de toutes ces entreprises. Qui peut prétendre qu'une PME de 300 salariés à La Réunion est une multinationale qui n'a pas besoin d'être aidée ?
Les paramètres de tous les dispositifs d'aide devront être revus. Je vous remercie, Madame Nassimah Dindar, d'avoir soulevé ce point. Pour prendre l'exemple de la recherche et du développement, le taux du crédit d'impôt recherche (CIR) dans les DROM est à 50 %, contre 30 % dans l'hexagone. Cependant, lorsqu'un groupe qui oeuvre dans la recherche et le développement s'intéresse à l'outre-mer et qu'il réalise plus de 100 millions d'euros de dépenses, le taux du crédit d'impôt est de 5 % et non plus de 50 %.
Dans le domaine de la santé, nous pourrions jouer un rôle d'antenne. Il y a quelques années, il était ainsi question de faire du CHU de La Réunion une université médicale. Ces exemples peuvent être multipliés. Si, demain, une grande entreprise pharmaceutique veut s'installer outre-mer, la règle de 50 % de crédit d'impôt doit lui être appliquée véritablement. Nous proposerons ce type de différenciations positives en outre-mer lorsque nous discuterons avec le gouvernement de l'adaptabilité des outils.
Madame Nassimah Dindar, vous avez cité le numérique parmi les secteurs prioritaires. En effet, pendant cette crise, nous mesurons que notre offre n'est pas à la hauteur des attentes de nos concitoyens, ce qui engendre de véritables difficultés pour les économies.
Monsieur Victorin Lurel a rappelé la nécessité d'investir massivement dans les réseaux d'eau. J'ajouterai la production de matériels médicaux. Nous avons en effet la chance d'évoluer dans des territoires qui représentent des atouts, dans des zones où de nombreux pays souffrent de multiples fléaux, notamment l'insuffisance de la réponse médicale. Il serait donc tout à fait utile que nous développions des activités de cette nature dans nos territoires, avec l'aide de l'État.
Vous avez encore évoqué le problème de la sécurisation des filières d'approvisionnement, comme la pêche ou la production locale. Ces secteurs sont aidés par les dispositifs agricoles au niveau européen et en France. Il a fallu beaucoup argumenter pour maintenir des dispositifs de cette nature, pour aider cette filière. Une partie de la réponse est là, et pas uniquement dans l'aide extérieure du Gouvernement. Pour beaucoup d'entre elles, les filières ont commencé à entreprendre une démarche d'excellence, que je tiens à saluer. La banane française produite aujourd'hui aux Antilles n'a rien à voir avec ce qu'elle était il y a quelques années. La filière se restructure dans de formidables conditions et ces mouvements doivent être accompagnés.
Il faudrait en outre que cette crise nous amène à payer le juste prix d'un certain nombre de produits issus de nos filières agricoles. Nous sommes dotés d'une très belle filière porcine et de transformation de la viande en Guadeloupe. Sur ce territoire s'est tenu il y a quelques jours un débat tout à fait étonnant sur le prix des oignons pays, qui sont plus chers que les oignons arrivant en vrac sur un container. La question de la cherté de la vie est majeure outre-mer, mais cette crise devrait amener nos concitoyens à prendre en compte l'importance de la sécurité alimentaire, qui a un coût. Ce débat est essentiel.
Concernant les fonds structurels européens, il n'est plus question du budget de l'UE ni du maintien dans ce budget des enveloppes, pour une PAC qui tienne compte de nos outre-mer. Ce débat n'est plus vraiment d'actualité aujourd'hui, mais il demeure important. Les informations étaient positives avant la crise. J'espère qu'elles seront confirmées par la suite.
M. Michel Magras, président. - Je vous remercie, Monsieur le président. Je souhaitais revenir à la question de Nassimah Dindar relative aux fonds européens et à la pêche. Une modification est intervenue récemment pour aider les pêcheurs dans leurs opérations de stockage et de conditionnement de leurs produits. J'ai évoqué ce sujet avec le ministre Didier Guillaume, qui m'a répondu que l'organisation de la pêche dans les outre-mer ne permettait pas d'étendre cette modification, mais que le Gouvernement français s'engageait à compenser cette différence par des aides nationales.
M. Jean-Pierre Philibert. - Nous étions très inquiets en ce qui concerne l'éligibilité aux aides européennes du renouvellement de nos flottes de pêche. L'UE semblait ainsi très réticente sur ce sujet. Je rencontre régulièrement le Secrétaire général de la mer, Denis Robin, avec qui j'ai évoqué ce sujet. Ce point semble ainsi moins fermé que par le passé. Les bateaux de pêche sont très importants à La Réunion et à Mayotte. Eurodom est à la manoeuvre sur ce dossier, pour lequel quelques pistes pourraient s'ouvrir.
Mme Victoire Jasmin. - Merci pour toutes vos réponses. Je souhaitais revenir sur les problèmes relatifs au numérique. À la fin de l'année 2019, le Défenseur des droits a identifié ces difficultés dans un rapport. Or la situation ne s'est guère améliorée, alors que de nombreuses entreprises ont recours au numérique dans la situation de confinement. Dans cette situation, les petites entreprises ne peuvent pas travailler de façon décentralisée, malgré la solidarité qui s'opère. Ces questions constituent des urgences.
Par ailleurs, j'ai interpellé le Préfet de la Guadeloupe concernant les délais de paiement. Ne pouvons-nous pas demander que les collectivités facilitent les relations des très petites entreprises avec les banques ? De nombreuses entreprises connaissent des difficultés, alors que les collectivités leur doivent de l'argent.
Au sujet de l'agriculture, sur quels leviers pourrions-nous nous appuyer ? Nous constatons aujourd'hui un engouement pour les produits locaux, ainsi qu'une sérieuse concurrence, alors que les directives européennes nous demandent de privilégier les circuits courts. De nombreux produits nous parviennent par fret, mais il faudrait définir une alternative nous permettant de protéger toutes nos filières d'agriculture. Nos agriculteurs connaissent en ce moment de grandes difficultés pour certaines filières, comme le melon, la canne à sucre, etc.
Les sociétés de transport rencontrent de grandes difficultés, en l'absence de recettes due au confinement. Nos territoires connaissaient déjà d'importants problèmes de transport et la situation actuelle n'améliore pas les choses.
M. Guillaume Arnell. - Je voudrais également remercier le président Philibert pour l'éclairage très argumenté dont il nous a fait bénéficier et je tenais à vous faire part de mes préoccupations, concernant Saint-Martin.
Je souligne notre forte dépendance vis-à-vis de notre voisin hollandais s'agissant de notre approvisionnement, maritime ou aérien. Aujourd'hui, la frontière hollandaise est fermée, alors que notre voisin a mis en place des mesures drastiques, avec la fermeture des grandes surfaces et des grossistes qui alimentent notre territoire en produits alimentaires. Ceci pose le problème de cette dépendance alimentaire, sur lequel nous devrons réfléchir. Ne serait-il pas possible d'envisager des modalités de fret direct depuis l'Hexagone, avec des rotations maritimes plus régulières ?
Je souhaite aussi évoquer notre difficulté en matière d'hôtellerie, dans la perspective d'une saison qui sera très compromise et alors que nous commencions tout juste à nous remettre des précédents événements cycloniques. J'ignore si nous aurons la capacité de tenir, alors que si peu d'hôtels ont pu rouvrir.
Le président Philibert a fait état des difficultés rencontrées par les petites entreprises, sous toutes leurs formes, notamment la petite restauration. Ces établissements bénéficieront-ils des aides financières ?
Par le passé, Saint-Martin a utilisé la totalité des fonds dévolus aux rénovations hôtelières. Parce que la Guadeloupe et d'autres territoires avaient sous-consommé ces fonds, nous avons été victimes de l'arrêt de ce dispositif. Il faudrait donc le relancer.
Le BTP pâtit des difficultés de la commande publique et il semble nécessaire de stimuler la reprise de ce secteur, l'un des principaux de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, avec le tourisme.
J'ai choisi pour ma part de ne pas prendre d'initiatives personnelles, mais je souhaite apporter ma pierre à l'édifice et faire entendre la voix de Saint-Martin au plus haut niveau.
Mme Vivette Lopez. - J'ai cru comprendre que nous commencions à souffrir de manques de produits de première nécessité dans les outre-mer, ainsi que d'une inquiétante flambée des prix. Pourrons-nous compter sur le bouclier qualité-prix sur l'ensemble de ces territoires ?
Par ailleurs, le secteur de la pêche souffre-t-il de la même façon qu'en métropole, où nous avons constaté une importante baisse de la consommation de poisson ?
Vous avez fait référence à un producteur de rhum qui s'est reconverti dans la production de gel hydroalcoolique. D'autres entreprises se sont-elles reconverties dans d'autres domaines sanitaires, comme la production de masques ?
Effectivement, d'une façon générale, on parle beaucoup de l'hexagone, mais très peu des outre-mer. La relance économique sera très difficile dans ces territoires, ce qui m'inquiète.
M. Abdallah Hassani. - J'ai alerté le ministère concernant la situation délicate des petites et moyennes entreprises, qui ne savent pas comment bénéficier des aides proposées par le Gouvernement pour sortir de la crise. Les collectivités doivent en effet de l'argent à ces entreprises, qui n'ont pas toujours régularisé leurs charges sociales, ce qui constitue cependant une condition pour bénéficier de ces subventions. Nombre de ces entreprises connaissent de grandes difficultés à Mayotte.
M. Michel Magras, président. - Cette question a en effet été évoquée à plusieurs reprises. Je cède la parole à nouveau au président Philibert.
M. Jean-Pierre Philibert. - Je souscris à de nombreux éléments mis en avant par M.Victorin Lurel. En Guadeloupe, à l'initiative du préfet, du président de la CCI et de la Direction régionale des finances publiques (DRFIP), un projet a été mis en place pour examiner comment les collectivités pourraient régler les entreprises. MM. Georges Patient et Jean-René Cazeneuve ont produit un rapport sur ce sujet et un autre rapport a été réalisé par la Cour des comptes voici quelques semaines.
M. Victorin Lurel a rappelé qu'une entreprise à qui on doit de l'argent peut se tourner vers la BPI. Néanmoins, cette procédure coûte cher et n'est pas définitive. Il propose un dispositif d'aide aux collectivités, pour permettre aux entreprises de payer leurs charges salariales. Cette piste mérite d'être creusée. En Guadeloupe, de nombreuses entreprises doivent récupérer des sommes correspondant à un an de chiffre d'affaires.
Je rebondis ensuite sur l'intervention de M. Guillaume Arnell. Dans les précédentes lois de finances, nous avons défendu des mesures permettant de bénéficier de défiscalisations pour la réhabilitation hôtelière dans les territoires le nécessitant particulièrement, comme Mayotte et la Guyane. Nous avions demandé l'inclusion de Saint-Martin dans ce dispositif, ce qui avait été refusé. Il est très important que ce territoire puisse bénéficier d'un outil de réhabilitation de ses hôtels, notamment ceux d'une taille modeste. Il faudrait apporter une réponse territoriale sur ce sujet, tenant compte des besoins particuliers.
Mme Vivette Lopez a évoqué le bouclier qualité-prix, qui a été élargi. La ministre en a fait son cheval de bataille. Nous sommes très attachés à éviter tout abus sur ce point. Plusieurs entreprises sollicitent des PGE à 0,25 %, alors qu'elles n'en ont pas besoin, pour mobiliser ces sommes sur des placements rémunérateurs. Il faudra donc que le Gouvernement reste vigilant afin que certaines entreprises ne profitent pas de la situation pour améliorer leur position de trésorerie.
De nombreuses entreprises de très petite taille, notamment celles qui ne comptent aucun salarié, sont condamnées à mourir dans la situation actuelle. Il faut tenir compte de cette réalité ultramarine.
Dès le début de la crise, j'ai alerté la ministre sur quatre points très importants pour nous. Le premier consiste à assurer la continuité territoriale, notamment la continuité de fret. Je lui ai ainsi demandé de réquisitionner des compagnies aériennes à ce titre. Cela a été le cas avec Air Austral, entre Mayotte et La Réunion, ainsi qu'Air Antilles et Air Tahiti nui, pour des liaisons avec la métropole. Le gouvernement doit utiliser cet outil.
Il importe aussi que le Gouvernement s'attache à étudier les conditions dans lesquelles le statut peut être dépassé. Il ne s'agit plus maintenant d'effectuer des arbitrages pointillistes en fonction du degré d'autonomie. De nombreuses entreprises vont mourir et des salariés vont connaître de très grandes difficultés, ce qui entraînera une explosion de la pauvreté. Les réponses doivent à présent être adaptées à l'urgence et non au statut.
Nous avions de plus demandé au Gouvernement de se pencher sur les contraintes du fonds de solidarité.
Enfin, pour des entreprises qui vont mourir, le report de charges n'est pas suffisant. Il faut des annulations de charges et de dettes. Aujourd'hui, en raison de l'absence de recettes, de simples reports ne suffiront pas à régler les difficultés. Les charges doivent être annulées jusqu'à la prochaine saison, car l'activité ne repartira pas avant l'hiver, au mieux. Ne regardons pas les outre-mer avec une règle strictement budgétaire, mais avec davantage d'humanité, comme des territoires comportant des hommes et des femmes qui souffrent déjà et qui souffriront plus encore.
Le Gouvernement a déjà levé de nombreux verrous pour sauver l'économie. Il faut peut-être tenir davantage compte de la réalité de nos économies, de nos réalités sociales, pour faire redémarrer notre BTP, pour que les Guadeloupéens puissent bénéficier d'eau, pour que la Guyane soit dotée d'infrastructures, pour que les hôtels soient reconstruits à Saint-Martin, pour qu'à La Réunion, nous retrouvions des conditions de vie normales.
Dans quelques semaines, nous reviendrons vers vous, pour vous présenter les solutions de sortie de crise sur lesquelles nous avons travaillé. Je vous remercie pour vos questions, qui étaient très pertinentes. Nous y apporterons des réponses chiffrées et argumentées.
J'ai été très touché par votre nombre, dans des conditions de travail difficiles. J'indiquerai dans quelques minutes aux chefs d'entreprise que la Délégation sénatoriale aux outre-mer est mobilisée pour les écouter et répondre à leurs interrogations, leurs doutes et leurs angoisses.
M. Michel Magras, président. - Nous sommes également très satisfaits de la qualité de nos échanges. Nous connaissons votre engagement, Monsieur le président. Vous connaissez le nôtre.