Jeudi 16 avril 2020
- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -Audition de M. Adrien Taquet, secrétaire d'État à la protection de l'enfance
Mme Annick Billon, présidente. - Je remercie Adrien Taquet de s'être rendu disponible ce matin pour nous permettre de faire le point sur les risques de violences liés, pour trop d'enfants et d'adolescents, au confinement. Comme c'est le cas depuis le début de celui-ci, cette réunion a lieu en visioconférence.
La lutte contre les violences faites aux femmes est depuis toujours une préoccupation centrale pour notre délégation. Mais nous en sommes toutes et tous convaincus, les violences qui s'exercent dans un huis-clos familial ne se limitent généralement pas aux violences conjugales. Leurs victimes sont également les enfants, témoins ou eux-mêmes cibles des coups et des insultes. Notre délégation est plus que jamais sensibilisée à la fragilité des enfants actuellement.
En cette période de confinement, les dangers qui pèsent sur eux sont bien évidemment aggravés, comme en témoigne l'augmentation de 20 % du nombre d'appels au 119 pendant les trois premières semaines du confinement.
Ce constat exige une vigilance renforcée de tous les acteurs de la lutte contre ces violences, associations et institutions, dont je salue l'engagement.
Notre délégation a donc souhaité entendre le secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance.
Monsieur le secrétaire d'État, nous avons besoin de vous pour faire le point : quelle est la réalité statistique des violences faites aux enfants et aux adolescents en cette période de confinement ? Qui contacte le 119 : les enfants eux-mêmes, les voisins, les travailleurs sociaux ? Comment sont identifiés les enfants et adolescents victimes, alors que l'école ne peut plus jouer son rôle d'informateur ? Quelles sont les principales causes de tension au sein des familles ? Quelle est l'incidence de l'école à la maison sur ces violences ? Comment se fait le suivi des mineurs protégés alors que les travailleurs sociaux ne se déplacent plus dans les familles ?
Nos questions s'articuleront autour de trois thématiques : le signalement des violences en cette période de confinement, les difficultés causées par celui-ci et la réponse institutionnelle à ces défis.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé. - Au préalable, j'espère que vous vous portez tous bien, ainsi que les personnes qui vous entourent !
Madame la présidente, vous avez bien posé le cadre de notre réunion.
La situation actuelle est complexe et extraordinaire de par ses conséquences géographique, sanitaires (je salue le monde hospitalier et médico-social qui combat quotidiennement ce virus) et économique. Elle soulève de nombreux défis et enjeux pour les enfants, pour les parents - dans le cadre familial ou au sein des institutions de protection de l'enfance. Nous avons tous dû, collectivement, nous adapter, être réactifs, créatifs, ajuster nos actions à la situation et y apporter des réponses diverses, pragmatiques, en collaboration avec l'ensemble des acteurs et des professionnels de la protection de l'enfance, dont je souligne l'engagement, tout comme celui des travailleurs sociaux, qui contribuent très largement à ce que le système « tienne ».
Une fois passés l'effet de sidération et la légère désorganisation au début du confinement, nous avons mis en place de nouvelles mesures, car la protection de l'enfance ne pouvait être interrompue pendant cette crise. Je dirais même que c'est en cas de crise que la situation des enfants est la plus fragile, ce qui nous oblige à être vigilants pour jouer notre rôle de garants des droits fondamentaux des enfants. De nouveaux problèmes sont apparus, auxquels nous avons essayé de répondre ensemble - je pense en particulier à l'aide sociale à l'enfance (ASE) - de même que nous avons veillé à anticiper les problèmes qui pouvaient se poser. Et tout en continuant à gérer l'urgence, nous commençons à réfléchir à la sortie du confinement.
Je vous parlerai des violences intrafamiliales, et donc du 119, ainsi que du volet « prévention » et de tout ce qui a trait à l'accompagnement à la parentalité, quand les parents doivent être également professeurs, éducateurs de centre de loisirs, etc. Dans certains cas, des situations peuvent dériver vers la maltraitance ou vers des violences éducatives ordinaires. Je ferai donc un point sur le dispositif d'accompagnement des parents. Puis j'évoquerai l'aide sociale à l'enfance.
En temps normal, 80 % des violences faites aux enfants, qu'elles soient de nature psychologique, physique ou sexuelle, ont lieu dans le cercle familial. De fait, la fermeture des écoles peut mettre certains enfants en danger. C'est pourquoi nous avons veillé à la continuité du service puis au renforcement des dispositifs d'alerte existants, en premier lieu le 119, qui a dû s'adapter. À ce jour, il est joignable 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il compte une trentaine d'écoutants. Le Groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED) s'est organisé pour assurer la prise des appels au 119 afin de protéger les écoutants de l'épidémie : trente écoutants sont donc en télétravail et se relaient jour et nuit pour répondre aux appels.
Le 119 travaille en collaboration très étroite avec un certain nombre d'associations, plus particulièrement avec quatre d'entre elles : La voix de l'enfant, Enfance et partage, L'Enfant bleu et Colosse aux pieds d'argile. Certains appels, en accord avec l'appelant, en fonction de leur nature, en particulier si ce sont des parents qui appellent pour faire part de leurs difficultés - cela représente près de la moitié des appels - peuvent être rebasculés vers ces associations pour un accompagnement.
J'ai clairement indiqué que, en cette période de crise, rien ne ferait obstacle à la continuité de service du 119 - moyens humains et financiers. Dès avant celle-ci, j'avais déjà augmenté les moyens du 119.
Dans un courrier à l'ensemble des présidents de conseil départemental, j'ai demandé à ceux-ci que l'ensemble des cellules de recueil, de traitement et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP) assurent un plan de continuité de leurs activités. Les CRIP sont en relation constante avec les équipes du 119. Toujours est-il que les choses peuvent être améliorées et j'appellerai si c'est nécessaire les présidents des conseils départementaux à cette fin.
Concernant les forces de l'ordre - police et gendarmerie - le ministre de l'intérieur est très investi sur la question des violences faites aux femmes et aux enfants en cette période de crise et il les a donc sensibilisées sur ces questions.
La garde des sceaux, quant à elle, a dès le début déclaré que la justice des mineurs faisait partie des activités prioritaires devant être maintenues par les tribunaux, qui se sont adaptés. Des audiences pour mineurs se tiennent et des ordonnances de placement provisoire sont prises quand il est nécessaire de retirer un enfant à sa famille.
Nous avons fait en sorte de disposer de suffisamment de places au sein des foyers de l'ASE pour accueillir en urgence des enfants.
Il a fallu aussi démultiplier les canaux de signalement. On comprend aisément que, confiné chez lui avec son bourreau, il soit difficile pour un enfant d'appeler le 119. C'est pourquoi nous avons accéléré un projet en cours : il est donc possible depuis le 2 avril de faire un signalement en ligne à partir du site allo119.gouv.fr, qui permet à un enfant victime ou à un témoin, s'il ne peut alerter par téléphone, de faire un signalement par mail.
Le signalement auprès de son pharmacien des violences conjugales, ainsi que l'a annoncé le ministre de l'intérieur, vaut également pour les violences sur les enfants, qui peuvent aussi être signalées par SMS au 114. Le comité interministériel du handicap, qui gère le 114, m'a indiqué en milieu de semaine dernière qu'il avait reçu quatre SMS émanant d'enfants. Sachez enfin que nous travaillons à la création d'un tchat en ligne permettant aux enfants de signaler des violences.
Le troisième élément important, c'est la publicité faite autour de ces dispositifs. À cet égard, je salue l'ensemble des médias auprès desquels nous avons obtenu gracieusement l'équivalent de 1,5 million d'euros d'espaces publicitaires pour diffuser la campagne sur le 119, à la télévision, à la radio et sur Internet, Facebook, Twitter ou TikTok, très en vogue chez les enfants.
Cette stratégie fonctionne. Pendant les trois premières semaines du confinement, le 119 a enregistré une hausse de 20 % des appels par rapport aux trois semaines ayant précédé le confinement. À compter du lancement de la campagne, au début du mois d'avril, les appels ont augmenté de 50 %. Cela traduit à la fois une augmentation des violences sur les enfants, mais aussi la manifestation d'une plus grande vigilance, la nôtre, celle des Français : les appels passés par les voisins ont augmenté de 30 %, et ceux passés par les camarades, de 36 %. Les appels transmis à la police ou à la gendarmerie ont quant à eux augmenté de 35%. On a constaté une hausse de 60 % des appels considérés comme urgents par les écoutants et devant donner lieu à une enquête immédiate des services sociaux. L'augmentation de ces appels traduit le baromètre de notre propre vigilance : chaque Français doit être la vigie de la sécurité de nos enfants. Il faut poursuivre dans cette voie : au moindre doute, c'est une responsabilité collective, il convient de s'enquérir de la situation !
Entre le 2 et le 7 avril, soit en moins d'une semaine, on a enregistré 130 signalements via le formulaire en ligne du allo119.gouv.fr, canal qui est appelé à monter en puissance.
Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement et moi-même avons écrit à l'ensemble des bailleurs sociaux, aux syndics, aux acteurs de l'immobilier pour qu'ils apposent dans les halls d'entrée des immeubles des affiches informant sur le 119. Avec le ministre de l'éducation nationale, nous avons mis en place une communication sur le 119 sur les plateformes maclassealamaison. De même, nous travaillons en relation avec la Fédération du commerce et de la distribution pour envisager un affichage dans les grandes surfaces.
J'en viens à la prévention et au soutien à la parentalité.
Les parents sont soumis à une forte pression en cette période particulière. Même si la continuité éducative est importante, même si les inégalités scolaires peuvent s'accroître en cette période de confinement, ils ne doivent pas s'imposer trop de pression ! C'est parfois une trop grande rigidité qui est à la source des maltraitances. Il faut donc faire preuve de souplesse en cette période vis-à-vis des enfants en leur permettant de diversifier leurs activités.
Notamment avec la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), nous avons identifié quatre grands types de besoins exprimés par les parents : un besoin d'information sur la pandémie et la meilleure façon d'en parler aux enfants ; un besoin de suggestions d'activités éducatives pour occuper les enfants durant la journée - de nombreuses initiatives ont été prises en la matière - ; un besoin d'appui en matière d'accompagnement à la scolarité, et la chaîne de télévision France 4 fait beaucoup en la matière ; un besoin d'accompagnement à la parentalité, pour prendre du recul, pour souffler, pour trouver des réponses aux difficultés dans la gestion du foyer.
Plutôt que de réinventer ce qui existait déjà, nous avons voulu, avec la CNAF, agréger toutes les ressources disponibles. D'une part, à travers le numéro vert du Covid, le 0800 130 000, qu'on appelait au début pour avoir des informations sur le virus et qui est de moins en moins sollicité, il est possible désormais de joindre une cellule de soutien psychologique en relation avec la Croix-Rouge. Les parents qui appellent ce numéro peuvent être dirigés vers différentes associations, comme Les Pâtes au beurre, que la sénatrice Michelle Meunier connaît bien, Enfant présent, Enfance et partage, e-Enfance pour les cas de harcèlement en ligne, les Apprentis d'Auteuil pour les ados, ou Enfance et Covid, structure montée par Boris Cyrulnik avec d'autres professionnels de la commission des 1 000 jours. Ces associations vont donc pouvoir accompagner les parents en fonction des problématiques auxquelles ils sont confrontés.
Par ailleurs, le site de la CNAF www.monenfant.fr met à disposition des fiches thématiques et des vidéos diverses. Le même site propose un centre de loisirs virtuels.
Tous ces moyens coûtent de l'argent au secteur associatif. C'est la raison pour laquelle j'ai dégagé 500 000 euros pour les aider en cette période de crise. Ces besoins concernent plus particulièrement le fonctionnement des lignes téléphoniques existantes (recrutement de personnel supplémentaire, formation et supervision, etc.), l'équipement destiné au travail à distance (achat de logiciels...) et l'élaboration et la diffusion de supports de communication.
Les caisses locales d'allocations familiales sont particulièrement mobilisées pour entretenir actuellement un lien plus étroit encore avec les familles qu'elles suivent en temps normal. Les familles en situation de fragilité sont en effet confrontées à un contexte de confinement qui peut s'avérer particulièrement problématique, qu'il s'agisse des familles monoparentales, ou des familles concernées par le handicap ou par une séparation conflictuelle.
Dernier point : l'Aide sociale à l'enfance, qui faisait l'objet d'une inquiétude particulière de notre part au début du confinement. Les associations comme les départements attendaient qu'un certain nombre de principes directeurs soient fixés par l'État. Au début du confinement, des décisions sans doute un peu trop rapides ont été prises : par exemple, certains départements ont décidé de suspendre du jour au lendemain toutes les interventions à domicile. Nous avons diffusé très rapidement un certain nombre de fiches consignes à l'attention des acteurs de la protection de l'enfance, associations comme départements.
Une fois par semaine, je réunis en audioconférence l'ensemble des associations et grandes fédérations de la protection de l'enfance, les gestionnaires d'établissements intervenant à domicile, les représentants des assistants familiaux pour traiter les problèmes et anticiper ceux qui pourraient se présenter, et évaluer l'effet des mesures prises. En outre, je m'entretiens régulièrement avec le président de l'Association des départements de France (ADF) et avec un grand nombre de présidents de conseils départementaux pour identifier les bonnes pratiques ou essayer de trouver avec eux des solutions.
Parmi les consignes que nous avons données : les droits de visite et d'hébergement. Il fallait arbitrer entre l'intérêt supérieur de l'enfant, l'impératif sanitaire et les droits des parents. Nous avons préconisé une suspension des droits de visite et d'hébergement, décision très difficile à prendre et à vivre pour les enfants concernés, surtout dans la perspective d'un prolongement du confinement. Nous avons indiqué qu'il convenait de définir des formes alternatives d'échanges entre les parents et les enfants (par téléphone, par visioconférence, etc.)
Je souhaite maintenant que, dans le respect très strict des règles sanitaires, on réfléchisse à une reprise du droit de visite, en l'adaptant, c'est-à-dire en accordant la priorité aux situations les plus à risque.
S'agissant des mineurs non accompagnés, alors que tous les services d'évaluation des préfectures sont aujourd'hui suspendus, la priorité va à la mise à l'abri des enfants, mineurs ou non. Nous avons aussi demandé aux départements d'accorder une attention particulière aux enfants séjournant dans les hôtels, qui sont particulièrement isolés et qui requièrent un suivi particulier. De même, les centres de protection maternelle et infantile (PMI) doivent continuer à fonctionner, ce qui est le cas la plupart du temps.
J'ai obtenu, dès la deuxième semaine du confinement, que les enfants des personnels de la protection de l'enfance au sens large puissent aller à l'école : ces structures ont retrouvé entre 20 et 30 % de leur personnel. Pareillement, les associations ont salué la mise en place, avec Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, de la « réserve sociale », grâce à laquelle les étudiants en travail social viennent en appui des travailleurs sociaux.
Nous avons fait en sorte que la protection de l'enfance soit intégrée à la plateforme de bénévolat mise en place par Gabriel Attal, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse (jeveuxaider.gouv.fr) pour proposer du soutien scolaire, de l'activité physique, artistique ou culturelle dans les foyers de l'ASE. 80 structures de notre réseau s'y sont déjà inscrites, pour environ 800 bénévoles. Avec la ministre des sports, nous avons encouragé les éducateurs sportifs, qui sont largement en chômage technique, à s'inscrire sur cette plateforme.
S'agissant de la continuité éducative et du droit à la scolarité, les enfants de l'ASE, d'une manière générale, connaissent des difficultés scolaires. Cette période de confinement - et cela vaut aussi pour les enfants des familles précaire - va accroître les inégalités scolaires. Le ministre de l'éducation nationale a annoncé un dispositif de soutien. Nous avons identifié un problème matériel dans ces structures et ces familles : l'absence d'ordinateurs. Avec le secrétaire d'État chargé du numérique, nous avons lancé un appel à la générosité via le site www.desordispournosenfants.fr. À ce jour, nous avons collecté 2 000 ordinateurs et 4 000 ont été annoncés - le besoin total est de 10 000.
Voilà donc quelques-unes des mesures mises en place pour protéger au mieux les enfants et s'assurer qu'ils ne soient pas les victimes indirectes du virus. Tous les moyens de l'État resteront mobilisés pour combattre les conséquences de l'épidémie dans nos familles et nos établissements de protection de l'enfance.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup pour cet exposé très complet et dynamique. Vous avez évoqué, Monsieur le ministre, un fond de 500 000 euros : vous nous indiquerez comment est réparti cet argent entre des acteurs de terrain très nombreux. Passons sans plus tarder à nos échanges, en suivant le dérouleur qui vous a été transmis. Nous aborderons dans un premier temps les questions relatives au signalement des violences.
Mme Marta de Cidrac. - Monsieur le ministre, vous avez d'ores et déjà partagé avec nous un certain nombre de mesures et de préconisations, et je vous en remercie. Toutefois, alors que plusieurs cas m'ont été rapportés dans mon département, je souhaitais vous interroger sur les suites qui sont données aux signalements des actes de violence intrafamiliale.
Les associations ont constaté que les signalements ne sont pas toujours suivis d'effet. Les personnes qui signalent les actes de violence sont souvent réticentes à voir apparaître leur nom dans les procédures judiciaires, parce qu'elles ne veulent pas, par la suite, avoir de mauvaises relations avec leurs voisins par exemple, ce qui est compréhensible. Le signalement de fait donc, mais les poursuites judiciaires sont parfois abandonnées.
Or si le signalement est important, il reste vain s'il ne se concrétise pas par des suites judiciaires, condition pour faire cesser définitivement les actes de violence. Lorsque les policiers, les gendarmes se déplacent, la vision d'un uniforme calme les auteurs de ces violences... mais c'est souvent seulement temporairement.
Dans quelle mesure serait-il possible de préserver l'anonymat des personnes signalant les violences intrafamiliales dans le cadre de la procédure judiciaire ? Cette faculté passe-telle par modification de la loi ? Beaucoup de dispositifs de signalement ont été mis en place pendant cette période de confinement et sont donc devenus « grand public ». S'ils sont aujourd'hui connus de beaucoup, ils le sont également des agresseurs. Existe-t-il des procédures de signalement spécifiques plus confidentielles, et donc peut-être plus incitatives ?
M. Max Brisson. - En temps ordinaire, l'école joue un rôle majeur dans le signalement des enfants en danger. Les enseignants et les chefs d'établissement y contribuent largement. L'école doit maintenir ce rôle dans le contexte du confinement. Avec la continuité pédagogique mis en place par Jean-Michel Blanquer, il est prévu des rendez-vous réguliers téléphoniques ou par visioconférence entre les professeurs, les familles et les élèves. Ces échanges sont-ils une réalité ? Les enseignants ont-ils reçu des conseils sur la manière de déceler des situations de maltraitance ?
Comment utiliser les espaces numériques de travail pour permettre aux enfants en situation de détresse de se manifester ? Et a-t-on une idée, après un mois de confinement, de l'efficacité de l'école à distance pour le signalement des enfants en difficulté ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - La question relative à l'anonymat des personnes signalant les faits de violence relève plutôt de la garde des sceaux. Même si ce problème ne m'a pas été signalé, je tenterai de vous apporter une réponse ultérieurement.
Sur la confidentialité des dispositifs, quand vous dites qu'ils sont désormais connus par les auteurs de violences, vous pensez probablement aux pharmacies et aux dispositifs d'information destinés aux femmes dans les grandes surfaces, à la suite de l'initiative prise par ma collègue Marlène Schiappa. Les autres dispositifs tels que allo119.gouv.fr et le 114 sont gratuits, mais également anonymes. Ainsi, l'appel au 119 n'apparaît ni sur les factures de téléphone ni dans l'historique des appels, de même que la consultation du site allo119.gouv.fr n'apparaît pas dans l'historique de navigation.
Les enseignants, selon moi, attachent spontanément une attention plus grande aux élèves dont ils savent que, en temps normal, ils peuvent être confrontés à des difficultés dans leur cercle familial. Sans doute, dans le cadre de la continuité pédagogique, les appellent-ils plus régulièrement que les autres élèves. Pour autant, avec le ministre de l'éducation nationale, nous avons décidé de sensibiliser l'ensemble des enseignants aux risques que court un certain nombre de ces enfants au sein de leur famille. À deux reprises, des demandes ont été formulées en ce sens aux recteurs.
Le site maclassealamaison.fr fait, depuis la semaine dernière, la promotion du 119 en incitant les enfants à composer ce numéro en cas de violences. Il est encore trop tôt pour juger de son efficacité. Nous sommes également en train de développer d'autres outils.
Mme Annick Billon, présidente. - Je vous en sais gré de proposer d'apporter des réponses plus complètes ultérieurement ! Nous abordons les questions relatives aux conditions du confinement et leurs conséquences sur certains enfants.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour toutes ces informations. Hélas, ces mesures ne trouvent pas toujours de traduction concrète sur le terrain.
Je veux appeler votre attention sur les enfants en situation de handicap, en particulier de handicap mental, qui bien souvent, ne comprennent pas ce qu'est le confinement et n'ont pas accès aux soins, en particulier les soins dentaires. Il est nécessaire de soutenir ces familles. Vous avez évoqué l'appel aux bénévoles : c'est très important, mais il faut aussi encourager les éducateurs à reprendre le travail. Or ceux-ci ont souvent peur de la contamination, faute de masques. Et les familles sont désespérées face à ces enfants souvent hyperactifs. Je pense aussi aux familles établies hors de France confrontées au handicap d'un enfant : peut-être faudrait-il délivrer des informations aux consulats à ce sujet.
S'agissant de la continuité pédagogique, les enfants des familles défavorisées sont en plein décrochage. Vous avez lancé un appel au don d'ordinateurs, ce qui est très bien. Mais, comme je l'ai écrit à votre collègue Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique, il faut aussi prendre en considération l'accès à Internet pour permettre à ces enfants de suivre les cours. Il conviendrait de demander un effort aux fournisseurs d'accès. Pouvez-vous agir dans ce sens ?
Mme Laure Darcos. - Je souhaite pour ma part évoquer la situation spécifique des enfants dont les parents sont atteints de troubles psychiatriques ou psychologiques. Les services sociaux peuvent continuer à suivre ceux qui sont identifiés, notamment dans les hôpitaux psychiatriques. Mais j'ai l'exemple d'une adolescente qui s'est vu retirer l'ensemble de ses moyens de communication par sa mère atteinte de troubles psychiatriques et qui se trouve donc sans moyen de communication. La CRIP n'a rien pu faire.
Plus généralement, de nombreux psychologues et psychiatres ont suspendu leurs entretiens quand le confinement a débuté. Pourquoi ne pas maintenir les entretiens, via les outils technologiques, avec ces adultes fragiles qui peuvent dans certains cas faire une trop grande consommation de médicaments ? N'est-il pas envisageable d'en appeler à l'ensemble de ces médecins afin qu'ils entrent en contact avec ces patients ?
Mme Claudine Lepage. - J'aimerais appeler votre attention, Monsieur le ministre, sur l'exploitation prostitutionnelle des mineurs en cette période de confinement. Le proxénétisme des mineurs sévit particulièrement sur Internet et, même s'il n'existe aucune évaluation récente, on sait que c'est un phénomène en expansion. Qui plus est, en période de confinement, l'utilisation des outils numériques est forcément accrue. Ce sont les hébergeurs de sites facilitant l'exploitation sexuelle à distance qui tirent profit de la situation actuelle.
Une évaluation de ce phénomène est-elle prévue et, si oui, savez-vous dans quel délai les résultats en seront connus ? Par ailleurs, pouvez-vous nous informer sur les mesures spéciales envisagées par le Gouvernement pour lutter contre l'exploitation sexuelle des mineurs sur Internet ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - S'agissant des enfants en situation de handicap, c'est un des sujets les plus complexes auxquels nous avons été confrontés. On estime entre 25 % et 30 % la proportion des enfants pris en charge par l'Aide sociale à l'enfance qui sont en situation de handicap. Certains établissements - instituts médico-éducatifs (IME) ou instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP) - ont interrompu leur accueil en externat ; les enfants restent dans les foyers ou les familles d'accueil. Cette fermeture ne devait pas être « sèche » : une continuité de service devait être mise en place, par le biais, notamment, d'un suivi régulier des familles et des enfants, avec des interventions si nécessaire. Pourtant, dans de nombreux cas, cette continuité n'a pas été assurée. Ma collègue Sophie Cluzel, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, a demandé que, via les ARS, tous ces manquements soient répertoriés, afin de pouvoir y remédier, à défaut de quoi le financement des services non assurés serait suspendu.
Nous avons par ailleurs assoupli, dans les ordonnances récemment promulguées, certaines règles concernant les agréments, dans le respect de la sécurité des enfants, de manière notamment à ce que les internats puissent pratiquer l'accueil de jour de certains enfants, ou en recevoir un nombre plus élevé que d'ordinaire. L'association AIRe, qui fédère les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP), a proposé que ceux-ci interviennent de façon volontariste auprès des enfants qui en auraient besoin. La situation est complexe, au-delà de l'ASE, pour les parents d'enfants en situation de handicap. Pour certains enfants souffrant de troubles du spectre de l'autisme, la situation est terrible ; pour d'autres, au contraire, elle offre une certaine stabilité ainsi que le retour des repères familiaux. Sophie Cluzel et moi-même continuons de travailler pour nous assurer, avec les ARS, les conseils départementaux et les associations, que tout se passe bien sur le terrain. Il y a encore des progrès à faire. Dans la perspective du déconfinement, nous réfléchissons à la réouverture progressive de certaines structures. Merci de m'avoir rappelé la situation des Français de l'étranger : je m'assurerai que des consignes soient transmises aux consulats.
Quant à l'accès à Internet, des actions sont menées ; je pense notamment à l'initiative Emmaüs Connect. Certains opérateurs, notamment SFR, ont également offert des connexions à des familles en difficulté.
Concernant le maintien du lien des adultes avec leur psychiatre ou leur psychologue, il est en effet problématique que les soins ordinaires, jugés « périphériques », soient aujourd'hui trop souvent mis de côté tant par les patients que par les médecins. On a peur, comme patient, d'être contaminé, de gaspiller le temps des soignants. Ceux-ci, pour certains, se consacrent aux soins liés au Covid. On risque donc une recrudescence des besoins lors de la décrue de l'épidémie. Rappelons à ce propos aux parents et aux centres de PMI que onze vaccinations et leurs rappels restent obligatoires pour les jeunes enfants : il ne faut pas négliger de les faire ! Je ferai en sorte, en tout cas, que la problématique que vous évoquez soit prise en considération et j'étudierai la possibilité de pratiquer les alternatives que vous suggérez.
Quant à la prostitution des mineurs, j'ai tendance à penser qu'il est plus compliqué aujourd'hui pour les prostituées et les clients de se rencontrer, mais il n'en subsiste pas moins des problèmes sur Internet et sur les réseaux sociaux. Avant le confinement, la prostitution infantile était déjà un volet majeur au sein du plan de lutte contre les violences faites aux enfants que j'ai présenté le 20 novembre dernier. Décideurs publics, associations, magistrats, policiers sont très dépourvus face à ce fléau. J'ai alors décidé la création d'une task force à laquelle les parlementaires seraient associés, afin d'élaborer ensemble un plan d'action contre ce fléau, qu'il faut mettre en lien avec l'exposition croissante des enfants, de plus en plus jeunes, à la pornographie. J'avoue que la situation actuelle a retardé sa mise en place, mais nous y reviendrons au plus vite.
Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour ces réponses. Abordons à présent les questions relatives au volet institutionnel.
Mme Victoire Jasmin. - Les familles d'accueil d'enfants placés rencontrent des difficultés pendant cette période : les psychologues et autres professionnels qui suivent d'ordinaire ces enfants ne peuvent plus le faire. S'ajoute à cela la nécessité de faire l'école à la maison : les familles, parfois, ne sont plus en mesure de suivre.
On compte beaucoup sur les gendarmes en ce moment, mais on relève malheureusement des situations de conflit et des attitudes abusives de certains fonctionnaires : une mère qui se promenait avec son enfant autiste en respectant les règles a été abusivement verbalisée. Il faut former davantage les gendarmes et les informer de l'évolution des règles !
Dans les différents territoires d'outre-mer, enfin, les associations d'aide à l'enfance ne sont pas toujours les mêmes qu'en métropole. Il serait bon que vous informiez, par les médias, les familles des relais qui peuvent leur venir en aide sur place.
Mme Maryvonne Blondin. - Je voulais vous interroger, Monsieur le ministre, sur la situation des enfants en placement familial. Les départements ont mis en place des mesures innovantes : par quels moyens financiers l'État envisage-t-il de les accompagner ? Ainsi, on compte 2 000 enfants placés dans le Finistère ; un quart d'entre eux souffrent de problèmes multiples, de handicaps et de troubles du comportement. Il fallait prévoir des mesures d'allègement en direction des assistants familiaux, qui font un travail extraordinaire : le département a donc ouvert des lieux pour recevoir temporairement les jeunes en rupture d'accueil, mais aussi pour faire face aux comportements déviants de certains jeunes, car il y a un effet « cocotte-minute » dans le confinement ! Un troisième lieu a été ouvert pour les enfants dont les parents sont atteints du Covid-19. Ces lieux sont gérés par des personnels départementaux, mais ils ne sont malheureusement pas soutenus par l'Éducation nationale ; la continuité pédagogique n'est pas assurée et les médecins très peu présents. L'État peut-il apporter une aide, au moins budgétaire ?
Mme Michelle Meunier. - Je voudrais pour ma part revenir sur le Fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et violentes (Fijais). Vous nous avez présenté en février dernier votre stratégie de protection de l'enfance. Celle-ci retenait notamment l'une des recommandations de la mission commune d'information sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs commises dans les institutions, constituée au Sénat pendant la précédente session : étendre et systématiser le recours à ce fichier. Or les associations et institutions gérant l'accueil de mineurs voient leur recrutement bouleversé par le confinement. Elles doivent aller vite, mais il ne faut pas pour autant baisser la garde et se montrer négligent. L'accès au casier judiciaire B2 était auparavant automatisé ; maintenant, seul un accès manuel est possible. J'ai du mal à comprendre un tel recul !
Vous avez évoqué la PMI. À ce propos, je suis étonnée de votre silence au sujet des propos blessants de Boris Cyrulnik envers cette belle institution, qui a besoin de votre soutien. Le rapport Peyron reste d'actualité, nous attendons toujours des mesures !
Enfin, je constate un certain décalage entre votre discours et la réalité quant aux jeunes majeurs isolés étrangers. La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a consacré un document à la protection de l'enfance dans le cadre de l'observatoire de l'état d'urgence sanitaire et du confinement qu'elle a mis en place au début du mois d'avril 2020. Elle y constate qu'un certains de ces jeunes majeurs étaient encore à la rue.
Mme Frédérique Puissat. - On a remarqué en Isère que de nombreux intervenants stagiaires dans les établissements de la protection de l'enfance avaient vu leurs stages interrompus au début de la crise sanitaire ; ils n'ont pas été autorisés à y exercer en tant que bénévoles et de nouveaux recrutements de bénévoles ont été effectués, alors même que ces personnes ne présentaient pas les mêmes garanties que les stagiaires. Il est en effet difficile en ce moment d'obtenir les informations nécessaires à un recrutement offrant des garanties satisfaisantes. Est-il raisonnable de pallier l'absence de professionnels par la sollicitation de bénévoles, aux dépens de la nécessaire vigilance en matière de recrutement ?
L'approvisionnement en masques est sans doute le point qui suscite le plus d'attentes parmi les professionnels de la protection de l'enfance. Les mesures barrières ne peuvent pas suffire ; ils enchaînent les déplacements, se rendent souvent dans des appartements exigus. Leurs espoirs ont pour l'instant été déçus. Qu'en est-il ? Comment pourront-ils continuer à travailler dans des conditions de sécurité satisfaisantes ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Madame Jasmin, concernant les assistants familiaux, avant le début de la crise j'avais lancé une première négociation avec eux ; un groupe de travail leur avait été dédié dès l'automne. Ce métier admirable rencontrait en effet déjà des difficultés ; il faisait face à des problématiques démographiques et à un manque de reconnaissance. J'ai la volonté de revoir leur statut et de revaloriser ce métier. Cette démarche de négociation collective reprendra dès que possible.
Nous organisons par ailleurs des réunions spécifiques avec leurs fédérations professionnelles pour répondre aux problématiques spécifiques du confinement. La semaine dernière, 7 000 assistants familiaux ont répondu à une enquête « flash » : la plupart se disent très engagés et parviennent à faire face, même si la situation est difficile. Ils endurent des coûts supplémentaires, alimentaires ou autres. Il faudra s'en souvenir quand on parlera avec les départements des primes que doivent recevoir les travailleurs sociaux. Par ailleurs, il est apparu que plus de 80 % des assistants familiaux ont été régulièrement contactés par les services départementaux de l'ASE pendant cette période ; près de 60 % d'entre eux ont reçu au moins un appel d'un psychologue.
Quant aux gendarmes, je ferai passer votre message au ministre de l'intérieur. Il faut faire montre de souplesse et mieux communiquer, car les règles relatives aux autorisations de sortie changent souvent. Les préfets savent intervenir à bon escient quand les situations le nécessitent.
Je suis globalement préoccupé par la situation dans les outre-mer, où l'épidémie n'en est pas au même stade que dans la métropole, ce qui est heureux d'ailleurs car le système hospitalier connaîtrait des difficultés importantes. Ces territoires sont confrontés à des situations complexes particulières, notamment à Mayotte et en Guyane ; je suis en contact régulier avec les élus de ces collectivités. Je dois m'entretenir avec les représentants du réseau associatif que nous avons constitué dans les outre-mer lors de l'élaboration de la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance. Je me tiens à votre disposition pour évoquer la situation en Guadeloupe.
À l'attention de Madame Blondin, je voudrais préciser qu'avec Julien Denormandie, ministre chargé de la ville et du logement, et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), nous avons identifié tous les lieux - colonies de vacances, villages-vacances - qui sont disponibles pendant le confinement et pourraient être mobilisés dans les cas que vous évoquez, ou encore pour des enfants malades. Des initiatives locales sont prises ; on essaie de les partager. Ainsi, Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, utilise un internat pour l'accueil d'enfants atteints par le Covid-19. Quant au financement, je m'entretiendrai avec le président du conseil départemental du Finistère à ce sujet. Il y a eu un cas où les deux parents d'un enfant se sont trouvés gravement atteints par le Covid-19 et ont dû être hospitalisés ; en l'absence de famille proche, l'enfant a été pris en charge par les services sociaux du département.
Madame Meunier, la suspension de la consultation automatisée du bulletin n° 2 du casier judiciaire est une conséquence regrettable de la réorganisation des services du fait du confinement, et non le fruit d'une décision politique. Les difficultés causées par l'absence des personnels ont nécessité le recrutement d'éducateurs, bénévoles ou non. C'est dans l'urgence que, pour faire face à cette situation, on a rétabli au moins la consultation manuelle du fichier. Quant au Fijais, il doit explicitement être consulté indirectement pour l'emploi de bénévoles ; la consigne a été donnée aux préfectures de prêter une attention particulière à toutes les demandes qui émaneront de la protection de l'enfance. Car on le sait, les pédophiles sont là où se trouvent les enfants...
Je n'ai certes pas pris publiquement position sur les déclarations de Boris Cyrulnik, mais une réponse formelle a été faite à son courrier, qui m'avait surpris ; elle a été transmise à tous les centres de PMI, qui s'en sont montrées satisfaits.
J'ai lu le document de la CNCDH que vous avez évoqué. Je constate que cette analyse salue certaines initiatives du Gouvernement concernant les mineurs étrangers non accompagnés. Les associations nous ont fait part de situations anormales ; nous les avons passées au crible et beaucoup ont pu être réglées ; certains cas demeurent, notamment à Paris et dans le Sud, que nous essayons de régler.
Mme Puissat a évoqué la suspension de stages au début du confinement : nous les avons rétablis. Par ailleurs, nous avons créé la « réserve sociale » afin que les étudiants qui ne sont pas stagiaires actuellement puissent apporter une aide dans les foyers. Il s'est avéré très utile d'employer ces professionnels en devenir plutôt que de simples bénévoles au recrutement relativement incertain.
Enfin, concernant les masques, rappelons que la meilleure protection reste les gestes barrières. Aujourd'hui, dans la plupart des territoires, entre l'assouplissement des règles de réquisition et l'homologation des masques alternatifs, les commandes des départements et des associations permettent de mieux faire face à la demande. J'essaie de faire en sorte que la protection de l'enfance soit, après les Ehpad, prioritaire en la matière. Les masques ont commencé à arriver dans nos structures ; de plus en plus de professionnels en bénéficient.
Une difficulté particulière existe autour des interventions à domicile. On avait essayé de les réserver aux cas prioritaires, mais de plus en plus de situations les nécessitent : 80 % des visites avaient été suspendues à l'origine ; 50 % sont aujourd'hui assurées. Je souhaite un retour à la normale le plus rapide possible. Des professionnels sont réticents en ce moment à se rendre dans de petits appartements, sans masque. Les familles n'ont pas non plus envie de les recevoir dans de telles conditions... On peut penser que cela arrange certains de ne laisser entrer personne, mais ces craintes sont compréhensibles. C'est pourquoi les masques iront en priorité aux professionnels chargés des visites à domicile.
Mme Christine Prunaud. - Quelles mesures sont prises pour pallier le manque de professionnels, confinés, en arrêt-maladie, ou épuisés, dans les foyers d'accueil ? Comment garantir la sécurité des mineurs dans ces conditions ? Des retours d'enfants dans leurs familles ont été organisés. Quels critères ont été suivis pour ces décisions ? Comment ces jeunes sont-ils accompagnés ?
Enfin, d'importants problèmes subsistent concernant la mise à l'abri des mineurs étrangers isolés. Ils sont livrés à eux-mêmes dans des hôtels, sans accompagnement.
M. Max Brisson. - Je pose cette question au nom de notre collègue Françoise Laborde : Jean-Michel Blanquer a évoqué la mise en place de « colonies de vacances éducatives » cet été pour les jeunes qui auront été les plus éloignés de l'école. Quelles précautions seront prises concernant le recrutement des personnes qui seront au contact de ces enfants ? A-t-on l'assurance que le Fijais sera consulté ?
Mme Dominique Vérien. - Permettez-moi de vous dire combien le responsable des affaires sociales de l'Yonne apprécie l'action et le soutien de votre cabinet, Monsieur le ministre ! Pour autant, la situation dans les foyers accueillant des mineurs n'est pas simple. Les services sociaux de mon département rencontrent des problèmes avec l'Éducation nationale. Certains professeurs de sport s'étaient portés volontaires pour intervenir dans les foyers de l'ASE, mais il s'est avéré impossible d'obtenir une autorisation de détachement ponctuel de la part de leur administration. Le foyer concerné a dû avoir recours à des bénévoles, ce qui est plus risqué. Pourriez-vous aider à lever ces obstacles et ainsi mettre fin à ce gâchis ?
Par ailleurs, si le 119 est plus connu, il est également plus sollicité. Les associations craignent la sortie de crise. Comment éviter que la justice, qui fonctionne déjà au ralenti, ne soit submergée et ne puisse rattraper son retard ? La réforme de la justice, qui devait démarrer en septembre prochain, sera-t-elle décalée, comme cela me semble s'imposer ?
Mme Marie-Pierre Monier. - Je m'interroge sur le suivi des enfants en danger. Les services de protection de l'enfance de mon département, la Drôme, estiment que 9 % des enfants qu'ils suivent courent un risque important ; ils reçoivent plus de sollicitations directes qu'à l'accoutumée. Or le 119 est parfois saturé, d'après les informations qui me reviennent.
Un dispositif pilote a par ailleurs été expérimenté dans la Drôme pour les femmes victimes de violences, et les intervenantes sociales en gendarmerie sont allées directement solliciter les femmes qui avaient signalé des faits de violence au cours de l'année dernière, sans attendre des appels. Peut-on envisager une extension de ce dispositif aux enfants déjà connus comme victimes, ainsi que sa généralisation à l'échelle nationale ?
On me signale également une plus grande exposition des enfants aux violences conjugales pendant le confinement, ainsi que des difficultés rencontrées en ce moment par des parents face à leurs enfants adolescents devenus agressifs : la détresse psychologique croît au fur et à mesure que le confinement se prolonge, dans les foyers d'accueil comme dans les familles. Ne pourrait-on pas, là encore, chercher à prévenir les violences en prenant l'initiative de contacts ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - En réponse à Mme Prunaud, je précise qu'une problématique majeure pour les associations qui gèrent les foyers a bien été l'absence de nombreux éducateurs, qu'ils soient malades ou fragiles, ou qu'ils doivent assurer la garde de leurs propres enfants. C'est en assurant l'accueil de leurs enfants dans les écoles que l'on a maintenu dans les foyers un taux d'encadrement suffisant pour la sécurité des enfants ; la « réserve sociale » a également été bénéfique.
Quant aux mineurs étrangers, souvent non accompagnés, présents dans les hôtels, je veux rappeler qu'un drame dans les Hauts-de-Seine - un enfant en avait tué un autre - m'a conduit en décembre dernier à confier une mission à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur la situation dans les Hauts-de-Seine, et sur celle des jeunes dans les hôtels. Leur nombre a fortement diminué depuis un an, mais il en reste encore ; pour autant, je ne saurais vous dire exactement combien, parce que les informations précises manquent. Cette mission doit nous donner une réelle cartographie de la situation afin de trouver des solutions durables. J'alerte les départements, depuis le début de la crise, quant à l'attention particulière qu'il faut prêter à ces mineurs. Ils rencontrent beaucoup de difficultés concrètes : les lieux de restauration collective qu'ils fréquentaient sont fermés, ils ne peuvent se déplacer pour toucher l'argent de poche qu'ils perçoivent des départements. De nombreux départements se sont emparés du sujet : la Seine-Saint-Denis, en particulier, pour faire en sorte qu'il y ait une continuité de l'accompagnement, a organisé le portage de repas et mis en place une réserve financière spécifique ; les éducateurs se déplacent dans les hôtels, ce qui ne semble pas être le cas dans les Hauts-de-Seine. Je vous invite à nous faire part de situations qui demeurent insatisfaisantes.
À l'attention de M. Brisson, je souhaite indiquer qu'en effet, nous travaillons avec le ministre de l'éducation nationale et avec Julien Denormandie à ces « colonies éducatives ». Nous entendons bien nous assurer que les enfants de l'Aide sociale à l'enfance bénéficient de ces dispositifs. Toutes les précautions nécessaires seront évidemment prises quant aux adultes qui seront au contact de ces enfants : le contrôle du Fijais devrait être requis pour tout recrutement.
Madame Vérien, je suis déçu de la situation que vous décrivez autour des professeurs de sport volontaires dans les foyers. Nous avions évoqué ce sujet spécifique avec Jean-Michel Blanquer, des consignes avaient été transmises, mais elles ne sont manifestement pas appliquées partout ; je me manifesterai donc une nouvelle fois !
Je ne m'aventurerai pas quant à un éventuel report de la réforme de la justice, qui n'est pas du ressort de mon secrétariat d'État... Nous travaillons sur les effets du confinement ; nous aurons à traiter avec la garde des sceaux de ses conséquences sur l'application des décisions de justice, en particulier pour la justice des mineurs. Les jugements prennent du retard et les enfants sont ballotés de foyer en foyer. Tout prend du retard. À l'évidence, quand tout rouvrira, on découvrira bien des choses qu'on n'avait pu détecter. Des problèmes de violence, de malnutrition, d'obésité devront être traités. La liste sera longue, il faut anticiper ! Quant à la reprise de l'école après le 11 mai, on a bien compris qu'elle serait progressive, sous des formes inédites : bien des questions logistiques doivent être envisagées. En ce qui concerne l'ASE, il faudra prendre en compte le fait que les enfants n'auront probablement pas tous classe en même temps dans la journée, le fonctionnement de la cantine, etc.
Enfin, Madame Monier, s'il y a saturation du 119, je ferai en sorte qu'on y remédie. La police et la gendarmerie pratiquent en effet des interventions proactives sur les situations à risque. J'ai le sentiment qu'il y a une petite différence entre les femmes et les enfants victimes de violences : souvent, un enfant est déjà suivi par nos services s'il a été victime de violences par le passé. La problématique n'est donc pas tout-à-fait la même.
Vous avez raison quant à la détresse psychologique des jeunes pendant le confinement. On relève dans les foyers des addictions aux drogues ; elles ont été la cause de fugues au début du confinement ; c'est moins le cas maintenant. Un réseau de professionnels en addictologie vient en aide aux foyers. Mon homologue italienne me dit par ailleurs se préoccuper d'éventuels suicides d'adolescents ; il faut anticiper et réfléchir à cette grave question aussi.
Mme Laurence Rossignol. - Je voudrais revenir sur la prévention des violences, en particulier dans les familles monoparentales qui sont en ce moment particulièrement exposées à l'épuisement et à des situations matérielles compliquées. Avoir la responsabilité d'un ou de plusieurs enfants quand on est seule pendant la période actuelle peut soulever d'importantes difficultés.
Je vais vous adresser, Monsieur le ministre, une demande que je vous remercie de bien vouloir transmettre à ceux de vos collègues dont c'est la compétence : il faudrait que les familles monoparentales soit incluses dans la catégorie qualifiée de personnes vulnérables au regard des possibilités de visites pendant cette période de confinement afin qu'elles puissent bénéficier d'aide et de soutien, au même titre que ce qui existe pour les personnes âgées ou handicapées. Je crains en effet qu'il existe des situations de délaissement des enfants, de violences sur les enfants ou de défaillance du parent.
Je voudrais également attirer votre attention sur les violences intrafamiliales que constituent celles des adolescents violents avec leurs parents, notamment avec leur mère, sujet tabou s'il en est...
Je considère que ces enfants relèvent de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante : un enfant violent est un enfant délinquant, donc un enfant en danger qui relève de la protection de l'enfance. Je sais que c'est un sujet difficile. Mais il faut dire que ces situations existent car les parents, les mères en particulier, qui subissent ces violences, sont dans une dissimulation et une culpabilité encore plus grandes que lorsque l'auteur des violences est le conjoint. Il faudrait leur faire savoir qu'elles peuvent, elles aussi, se signaler dans les pharmacies et que la situation qu'elles vivent ne signifie pas obligatoirement qu'elles sont des mères défaillantes ou en échec.
Vous avez annoncé un abondement de 500 000 euros supplémentaires. Pourriez-vous nous préciser la provenance de ces fonds que je n'ai pas vus dans le projet de loi de finances rectificative ? S'ils proviennent des budgets du Fonds national d'action sociale (FNAS) ou de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), pourriez-vous faire en sorte que les conditions d'attribution aux familles soient assouplies ?
Les critères du FNAS ou de la CNAF n'incluent pas le réseau d'entraide des familles monoparentales, car il regroupe des associations locales. Il n'est pas éligible aux subventions de ces deux organismes et n'a donc pas de moyens pour se développer en réseau. Pourrions-nous, pendant cette période, adapter les critères - parfois un peu rigides - d'attribution de ces subventions, que satisfont plus facilement les organisations nationales et les « têtes de réseau » ?
En ce qui concerne le sujet de la prostitution des mineurs, je suis également très inquiète : les stocks de drogue pourraient être rapidement épuisés. Je crains donc que ce soit au travers de la prostitution de leurs soeurs, cousines ou copines que les dealers poursuivent leur trafic.
Décidément, les raisons pour lesquelles la police ou les pouvoirs publics persistent à ne pas mettre à profit la loi du 13 avril 20161(*) pour repérer les mineurs victimes de la prostitution m'échappent. Je ne cesse d'expliquer que si l'on applique la loi, c'est-à-dire si l'on verbalise les clients, on finit par repérer les mineurs dont ils sont les clients. Si l'on ne poursuit pas les clients, on passe forcément à côté de cette dimension de la prostitution. Si les parquets n'insistent pas, la police aura toujours mieux à faire qu'à appliquer cette loi !
Je sais que ce sujet de la prostitution des mineurs fait partie de ceux qui vous préoccupent mais j'insiste : plutôt que de créer de nouveaux outils, ne vaudrait-il pas mieux utiliser et maximiser ceux qui sont déjà à notre disposition ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - J'ai bien entendu la demande de Laurence Rossignol sur la possibilité que les familles monoparentales soient reconnues comme vulnérables en cette période de confinement. Je ferai part de votre demande à la secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et au ministre de l'intérieur.
Je reconnais que le sujet des adolescents violents envers leurs parents est un angle mort au sein des violences intrafamiliales. Nous allons réfléchir au moyen d'aborder cette question dans l'espace public.
En ce qui concerne ce montant supplémentaire de 500 000 euros, nous avons notamment interrogé les associations pour évaluer les besoins et la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) s'est chargée de créer cette enveloppe, constituée au moyen de redéploiement de fonds déjà existants ; c'est pour cette raison que ce montant n'apparaît pas dans le dernier collectif budgétaire.
J'ai entendu votre suggestion : sur d'autres types de financement, nous devrons veiller à adapter les critères d'attribution des subventions pendant cette période complexe.
En ce qui concerne la loi de 2016, plus particulièrement en ce qui concerne la prostitution des mineurs, je ne suis pas certain que nous parviendrons à mobiliser davantage les forces de l'ordre pendant la période que nous vivons pour verbaliser les clients, mais cette loi fera partie des outils que nous essaierons de mieux utiliser dès que nous serons sortis de cette crise.
Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie, Monsieur le ministre, au nom de la délégation, pour la précision des réponses que vous avez apportées à chacun et chacune d'entre nous.
Nous l'avons vu, le Gouvernement a su s'adapter pendant cette période difficile.
Nous l'avons entendu dans votre propos liminaire et dans vos réponses, les départements et les associations sont les acteurs essentiels pour mettre en application les politiques publiques générales, même si des difficultés persistent.
Je retiens de cette audition que le maximum est fait, que toutes les bonnes volontés et toutes les innovations qui peuvent être trouvées sont mobilisées pour la protection des jeunes enfants comme pour celle des jeunes adultes.
Je rejoins toutefois les remarques de Laurence Rossignol sur cet abondement de 500 000 euros : quels en seront les critères d'attribution et de répartition entre la métropole et les outre-mer ? Qui va en bénéficier ? À l'échelle du territoire, cette somme peut en effet paraître insuffisante compte tenu des besoins.
Où en sont vos réflexions sur l'après confinement ? Dans nos territoires, nous savons que les associations s'attendent à recevoir de très nombreuses demandes concernant les violences intrafamiliales, qu'elles concernent les femmes ou les enfants. Nous anticipons de très nombreux problèmes à gérer : ce défi impliquera de pouvoir disposer de moyens bien dimensionnés, tant humains - assistants familiaux et éducateurs notamment - que financiers.
M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. - Les 500 000 euros viennent abonder les moyens déjà à la disposition des associations. Nous adapterons les financements selon les situations qui nous seront signalées. Le président de la République l'a très clairement exprimé : les questions financières ne constitueront pas un obstacle face à certaines situations dramatiques vécues pendant cette période de confinement.
Nous avons aujourd'hui quatre étapes à franchir : le chemin vers le déconfinement, le moment du déconfinement et les conditions de sa réussite, les effets de ce confinement et le monde d'après. Nous devons réfléchir sur les enseignements que nous pouvons tirer de cette période de crise pour concevoir les choses différemment.
Vous le savez, un haut fonctionnaire a été chargé par le Premier ministre de préparer le déconfinement, en concertation avec les associations, les territoires et les collectivités territoriales. D'ici une quinzaine de jours, le Gouvernement présentera un plan du déconfinement.
Sur la question des outre-mer, nous avons prévu de nous réunir prochainement avec le président du conseil départemental de La Réunion et la sénatrice Nassimah Dindar.
Mme Annick Billon, présidente. - Nous arrivons au terme de notre réunion. Je vous remercie, Monsieur le ministre, pour votre disponibilité.
* 1 Loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées.