Jeudi 9 avril 2020
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La téléconférence est ouverte à 11 h 00.
Audition de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères (en téléconférence)
M. Christian Cambon, président. - Nous avons aujourd'hui le plaisir d'entendre en visioconférence Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez été en première ligne dans la gestion de la crise sanitaire et je voulais avant toute chose saluer la performance du quai d'Orsay, qui a rapatrié environ 150 000 Français en trois semaines. Je rends hommage à votre engagement personnel, à celui du ministre M. Jean-Yves Le Drian, au Centre de crise et de soutien, à tous nos diplomates, qui ont parfois accompli des exploits, ainsi qu'à nos sénateurs des Français à l'étranger. Chaque avion a été le fruit d'une négociation pour surmonter d'innombrables difficultés et nous pouvons être fiers de nos diplomates. Il reste quelque 5 000 Français bloqués, sans parler des Français résidents en Afrique et en Amérique Latine et qui souhaiteront peut-être rentrer quand la pandémie atteindra leur continent.
L'autre sujet de notre audition, c'est l'Afrique, dont la situation nous inquiète. Vous avez assisté hier à un Conseil européen affaires étrangères - développement, consacré prioritairement à ce continent. Nous savons que les risques liés à la progression du coronavirus y sont importants : les systèmes de santé de ces pays sont très fragiles, les conséquences économiques risquent d'être terribles et les retombées pour la France seront potentiellement très graves, notamment en termes sécuritaires dans la bande sahélo-saharienne.
Monsieur le secrétaire d'État, quelles décisions ont été prises à ce sujet lors du Conseil européen d'hier ? La France a-t-elle réussi à convaincre ses partenaires européens de la gravité de ces risques alors que ceux-ci sont eux-mêmes confrontés à des situations dramatiques ?
Après votre intervention liminaire, les rapporteurs des sujets à l'ordre du jour prendront la parole puis, conformément à la décision du bureau de la commission, un orateur par groupe politique s'exprimera avant que vous ne répondiez, puis nos collègues qui le souhaitent interviendront également.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. - Nous vivons un moment sans précédent, dans lequel se fait jour un besoin d'action rapide que nous nous employons à satisfaire, mais également la nécessité du maintien des mécanismes démocratiques. Je remercie votre commission de nous permettre de présenter notre action en ces temps houleux.
La réponse à cette crise inédite exige que nous actionnions simultanément tous les leviers de l'action publique, concernant la santé, la diplomatie, l'économie, le travail ou la sécurité, en plaçant la solidarité au coeur de notre action ; solidarité à l'égard de nos compatriotes qui se trouvent à l'étranger, de passage ou résidents, solidarité, également, aux niveaux national et européen pour soutenir l'Afrique. Nous abordons aujourd'hui deux sujets avec un message unique : il faut aider chacun pour tous nous protéger.
J'ai pris connaissance de la note de MM. Jean-Pierre Grand et Rachid Temal sur l'aide au retour de nos compatriotes bloqués hors de France et je salue ce travail. La fermeture des frontières a été brutale et s'est parfois faite sans préavis. Pour faire face au retour des frontières et au tarissement des lignes aériennes, l'appareil diplomatique a été sur le pont matin, midi et soir avec nos cabinets et le Centre de crise et de soutien (CDCS) du Quai d'Orsay. Je rends hommage à nos agents pour ce travail et le président de la République est d'ailleurs venu vendredi dernier les saluer pour le tour de force qu'ils ont réalisé.
Cette opération était en effet sans précédent par son volume et son étendue : au comptage d'hier soir, ce sont 155 000 Français de passage à l'étranger qui étaient rentrés en France ; en outre, tous les continents ont été concernés au même moment.
Avec M. Jean-Yves Le Drian, nous avons mis en place un dispositif de coordination étroit avec le ministère des transports et avec Air France, que je remercie particulièrement. N'oublions pas que le processus a commencé par le Maroc et que sa filiale Transavia a alors organisé une véritable noria aérienne depuis Marrakech, Casablanca et Rabat, vers la France, avec plus de 140 vols additionnels, pour ramener les 20 000 Français qui se trouvaient en vacances dans le pays.
Ce dispositif exceptionnel de rapatriement a fonctionné de la manière suivante : tous les matins, à onze heures, nos postes nous remontaient les besoins recensés sur leurs territoires et nous dialoguions avec les compagnies pour établir des plans de vol selon trois types de configurations. Parfois, les vols réguliers étaient maintenus, d'autres fois il a fallu mettre en place des vols commerciaux spéciaux avec des prix modérés, dans la mesure du possible. Sur ce plan, Air France a joué le jeu, plus que d'autres compagnies européennes et internationales. Quand cela n'était pas possible, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères affrétait directement des vols. Ce fut le cas pour les Philippines ou l'Australie, par exemple, destinations lointaines où se trouvaient des Français disposant de faibles moyens, au profil de « routard » ou, pour l'Australie, des jeunes partis en programme vacances travail (PVT) qui, ayant perdu leur emploi, se trouvaient sans ressources. Les bénéficiaires de ces vols ont signé un engagement à rembourser l'État à des tarifs raisonnables : 300 euros pour les Philippines et 800 euros pour l'Australie. Trente-quatre vols sont entrés dans cette catégorie ; certains dans le cadre du mécanisme européen de protection civile (MEPC), qui nous a conduit à embarquer également des ressortissants d'autres États membres. Des Français ont réciproquement pu profiter de vols allemands ou espagnols. Les Britanniques se sont également souvenus de l'utilité du MEPC.
Il reste aujourd'hui quelques milliers de Français bloqués, ou qui se « découvrent » bloqués et nous disent : « j'ai poursuivi mes vacances, mais désormais je veux rentrer ». Bien sûr, ce comportement interroge, mais nous sommes là pour faciliter leur retour. Des interventions politiques sont parfois nécessaires pour obtenir la réouverture de frontières ou l'autorisation d'atterrir sur des aéroports militaires quand les terminaux civils sont fermés. Ainsi, il y a quelques temps, le gouvernement de Nouvelle-Zélande ne souhaitait pas que les touristes étrangers soient rapatriés ; une intervention a donc été nécessaire pour régler cette difficulté.
Enfin, il reste des Français de passage bloqués, car ils ont été testés positifs au Covid-19, comme c'est le cas en Égypte ou au Cambodge. Nos compatriotes passent dans ces pays leur quatorzaine et reviendront à son terme sur le sol national.
Nous avons tiré des enseignements de cette expérience, laquelle a permis d'illustrer la valeur de notre réseau diplomatique universel. Nous devrons nous en souvenir à l'heure des choix. Les personnels des différents postes ont été de véritables héros du quotidien. Nous avons également établi une très bonne coordination interministérielle et mis en place des outils numériques nouveaux ou amélioré ceux qui existaient déjà. Ariane, par exemple, a vu ses inscriptions exploser, avec une augmentation de 25 %. Nous en avons fait la publicité pour que les touristes puissent recevoir les informations nécessaires et nous avons mis en place un site internet, SOSuntoit.fr, afin de faciliter l'hébergement des Français les plus démunis.
S'agissant de l'Afrique, cinquante-deux des cinquante-quatre pays du continent sont aujourd'hui touchés par l'épidémie, dont la dynamique est à l'heure actuelle moins forte qu'en Europe ou aux États-Unis, mais constitue un défi. Le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, M. Guterres, a d'ailleurs déclaré que la maladie reviendra du Sud vers le Nord. Il est donc dans notre intérêt d'investir massivement en Afrique : le Covid-19 est un problème mondial et les réponses nationales, européennes et globales doivent être cohérentes.
La réunion informelle des ministres du développement s'est tenue au lendemain de l'annonce par la présidente de la Commission européenne de la mobilisation de 15,6 milliards d'euros pour l'appui aux États tiers dans cette lutte, dont 502 millions consacrés aux réponses sanitaires et humanitaires à très court terme, 2,85 milliards dédiés au soutien et au renforcement des systèmes de santé et de recherche et 12 milliards pour l'accompagnement social et économique. En effet, le confinement va provoquer d'importantes difficultés quotidiennes dans des pays où, souvent, on gagne dans la journée de quoi se nourrir le soir. Ces sommes sont débloquées, en tenant compte du cadre financier pluriannuel, par redéploiement de fonds européens existants.
À cela s'ajoutent les actions des États membres. J'ai d'ailleurs invité la Commission à soumettre au Conseil un plan détaillé de son effort et j'ai annoncé la contribution de la France : 1,252 milliard d'euros, comprenant 1 milliard d'euros de prêts nouveaux et 150 millions d'euros de dons, par l'intermédiaire de l'Agence française de développement (AFD), dans le cadre de l'initiative « Covid-19 - Santé en commun » destinée à l'Afrique. Nous veillons à ce que cette réponse soit coordonnée avec le paquet européen, au sujet duquel j'ai, en outre, insisté pour que l'on communique de manière adéquate, car certains bailleurs émergents n'hésitent pas à se présenter comme des sauveurs du continent alors que les Européens sont les contributeurs majeurs à l'aide multilatérale en matière de santé à travers les grands fonds verticaux. Nous aidons d'ailleurs ces derniers à redéployer leurs moyens, comme c'est le cas pour le Fonds mondial.
S'agissant de la dette, la France soutient la mise en place dans les mois à venir d'une initiative en faveur des pays les plus fragiles, dans le cadre d'une action internationale. Nous sommes secrétaire du club de Paris, mais nous devons embarquer les bailleurs qui n'en sont pas membres mais qui détiennent une part importante de la dette de l'Afrique.
Dès le 26 mars, lors de la réunion des dirigeants du G20, le Président de la République a appelé à une initiative africaine et nous avons martelé ce message, car certains de nos partenaires européens souhaitent plutôt mettre l'accent sur nos voisins, comme les pays des Balkans, qui ne doivent pas être négligés, mais dont les besoins sont sans commune mesure avec ceux de l'Afrique, au regard des vulnérabilités de ce continent et des implications sécuritaires ou politiques susceptibles de se faire jour.
Il est important que notre réponse soit coordonnée dans les enceintes internationales comme sur le terrain, avec les organisations non gouvernementales locales, afin de déboucher sur des actions concrètes et tangibles. Dès le 13 mars la France a ainsi octroyé 1,5 million d'euros à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) pour renforcer la surveillance épidémiologique dans les pays d'Afrique subsaharienne francophones.
M. Jean-Pierre Vial, rapporteur de l'aide publique au développement. - L'Afrique est un axe fort de l'aide au développement, défendu par le Président de la République. Sa situation illustre le kaléidoscope du Covid-19 avec deux points d'interrogation : le risque d'effondrement du système de santé et le risque de faillite de certains pays. Le Gouvernement a-t-il prévu de redéployer les crédits destinés à l'aide au développement au profit de l'action d'urgence au sein du programme 209, par exemple en renforçant les moyens de la mission de stabilisation du Centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères ?
Quelle est le rôle de la France pour réorienter l'action des fonds multilatéraux auxquels elle contribue, comme le Fonds mondial, auquel nous avons promis 1,296 milliard d'euros pour 2020-2022 ?
Dans cette action importante, quelle coopération la France entend-elle mener avec les institutions africaines, européennes et mondiales ?
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, rapporteure de l'aide publique au développement. - Vous avez précisé l'importance du travail du Gouvernement en soutien à l'Afrique face à cet immense défi. Dans un combat comme celui que nous menons, l'élaboration de statistiques fiables dans le domaine de la santé est primordiale. Notre agence Expertise France avait déjà travaillé avec certains pays d'Afrique dans ce domaine, mais les retards restent immenses. Envisagez-vous d'accentuer cet effort ?
L'Afrique souffre des fake news, qui circulent énormément en ce moment et emportent de graves conséquences en matière de bonnes pratiques et de sécurité. Prenez-vous en compte ce paramètre ?
Enfin, la France aura-t-elle, si cela s'avérait nécessaire, la capacité de rapatrier en urgence nos concitoyens résidents en Afrique ?
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur des Français à l'étranger. - Comment préparez-vous l'éventualité d'une deuxième vague de retour de nos ressortissants venant de pays dont les structures sanitaires sont défaillantes ? Quelles dispositions préparez-vous en faveur des dizaines de milliers de jeunes en PVT, en Australie par exemple, qui se trouvent sans travail et sans ressources ? Combien d'entre eux ont exprimé le souhait de rentrer ?
À plusieurs reprises, en Nouvelle-Zélande, en Algérie ou au Costa-Rica, j'ai soutenu des personnes qui rencontraient des difficultés pour rentrer en France et j'ai apprécié l'efficience de notre réseau consulaire. Un de nos concitoyens originaire de mon département a malheureusement disparu en Nouvelle-Zélande depuis plusieurs semaines, je sais que vos services font le maximum à son sujet, mais cela devient très inquiétant.
La directrice des Français à l'étranger, le responsable des réseaux d'urgence et nos ambassadeurs sont remarquables et c'est, pour les Français en difficulté, un véritable bonheur de découvrir l'existence et l'efficacité de leur action à travers le monde.
M. Rachid Temal, rapporteur des Français de l'étranger. - Je salue, après mes collègues, le travail que vous menez ainsi que l'action du Centre de crise et de soutien et du réseau consulaire et diplomatique. Avez-vous pu dresser un premier bilan des réelles difficultés rencontrées dans cette opération ? Quels enseignements pouvons-nous en tirer ? Il est tôt pour cela, sans doute, mais quelles améliorations envisagez-vous de mettre en oeuvre ? À ce sujet, vous avez évoqué les outils informatiques, en particulier le site SOSuntoit.fr. Avez-vous mené une première réflexion pour améliorer les dispositifs existants, en lien avec les services consulaires, les opérateurs de tourisme et les compagnies aériennes ?
J'ai, enfin, une question plus large sur le réseau consulaire. Dernièrement, une réduction de 10 % de la masse salariale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères était envisagée. Est-on en train de revenir sur cette idée ? Disposer d'un corps diplomatique déployé comme l'est le nôtre sur les cinq continents nous a permis de réaliser cette opération en quelques jours. Nous avons entendu la directrice des Français à l'étranger à ce sujet, au cours d'une audition de grande qualité.
M. Ronan Le Gleut, pour le groupe Les Républicains. - Le président du Sénat a rappelé qu'il était primordial que la Haute Assemblée exerce son rôle de contrôle de l'action du Gouvernement et nous entendons assumer cette mission.
Je vous remercie de votre disponibilité, monsieur le secrétaire d'État, dans vos communications avec les parlementaires représentant les Français à l'étranger, notamment lors du rendez-vous hebdomadaire du jeudi. L'une des leçons qui doit être tirée de cette crise concerne, à mon sens, le développement rapide de réseaux de communication sécurisés. Au nom de notre groupe, je tiens à rendre hommage au personnel du Quai d'Orsay et à l'ensemble de notre réseau diplomatique et consulaire ainsi qu'à mes collègues sénateurs, et pas seulement à ceux qui sont élus des Français à l'étranger, car tous ont été mobilisés pour trouver des solutions à des situations humaines parfois dramatiques.
Dans les circonstances nées de la pandémie de Covid-19, qui nécessitent le rapatriement urgent de bon nombre de nos compatriotes, une vision globale est nécessaire pour appréhender la situation : nous devons analyser la notion de système de rapatriement et réfléchir à la relation entre l'État et les Français établis hors de France. La majorité de nos ressortissants bloqués à l'étranger a pu rentrer, mais les opérations ne sont pas terminées.
Le défi à relever concerne la deuxième vague, constituée de résidents qui voudront rentrer en raison du manque de structures sanitaires dans les pays où ils vivent. Nous sommes inquiets, également, pour ceux qui font face à des revirements de situation financière liés, par exemple, à des pertes d'emplois, de revenus ou de logements aux États-Unis. Les Français qui rentreront dans ces conditions bénéficieront-ils d'aides ?
Nous formons le voeu que, pour les étudiants intégrés dans les échanges universitaires ou bénéficiaires de bourses, cette année ne soit pas perdue. Enfin, qu'en est-il des 45 000 jeunes en PVT ?
En cas de retour massif, quel scénario envisagez-vous ? Des schémas doivent être imaginés et, en la matière, l'expérience de la planification militaire est sans doute un atout.
S'agissant du Conseil européen sur le développement, avez-vous pu identifier une volonté de stratégie commune des vingt-sept sur l'Afrique ?
M. Rachid Temal, pour le groupe SOCR. - Avez-vous des indications sur l'état d'esprit actuel des Français résidant à l'étranger et sur leurs attentes, notamment en matière médicale, d'aides sociales et de bourses scolaires ?
Par ailleurs, quelles sont les perspectives de redémarrage du secteur touristique, qui représente 7 % de notre PIB et 2 millions d'emplois directs et indirects ? Pour avoir participé au comité de filière à votre invitation, je connais votre engagement dans ce domaine, qui a déjà débouché sur la publication d'une ordonnance.
Sans esprit de polémique, je m'interroge sur le conseil donné aux Français par vos deux collègues chargés des transports : ne programmez pas de vacances ! Certes, il ne faut pas que nos concitoyens procèdent à des réservations mais, compte tenu de la situation sinistrée du secteur - la chute de l'activité atteint 90 % ! -, le redémarrage ne doit pas être perdu de vue.
M. Olivier Cigolotti, pour le groupe UC. - Au nom du groupe de l'Union Centriste, je m'associe aux éloges du président de notre commission sur l'efficacité de la cellule de crise et de soutien et des personnels de nos postes consulaires. Je salue votre implication personnelle, monsieur le secrétaire d'État, dans un certain nombre de dossiers.
La pandémie du Covid-19 pourrait être pour l'Afrique la crise de trop. En particulier, elle risque de déstabiliser durablement, voire de mettre à bas, des régimes fragiles, comme au Sahel, ou en bout de course, comme en Afrique centrale.
Dans ce contexte, la participation massive de la Chine à l'effort de soutien sanitaire et financier des pays africains les plus en difficulté s'inscrit dans une stratégie d'influence très habile. Alors que la France et l'Union européenne sont forcées de parer au plus urgent en Afrique, quelle stratégie de long terme permettrait de garantir la sécurité sanitaire sur ce continent, mais aussi de préserver nos partenariats dans la durée ?
D'autre part, quelle est la position du Gouvernement vis-à-vis de l'appel du secrétaire général des Nations unies à suspendre le remboursement de la dette publique des pays africains, voire à annuler une partie de celle-ci ?
M. Richard Yung, pour le groupe LaREM. - Au nom du groupe La République En Marche comme en mon nom personnel, j'appuie les félicitations adressées au ministère des affaires étrangères, à M. le secrétaire d'État et à tous ceux qui ont contribué au rapatriement de 150 000 Français dans des conditions exemplaires. S'agissant de la deuxième vague, tous les Français résidant à l'étranger ne chercheront pas à revenir, mais le nombre de retours pourrait toutefois être important - rien qu'en Afrique, nous comptons entre 200 000 et 250 000 compatriotes.
La participation de la France à l'aide de 20 milliards d'euros de la team Europe s'élève à 1,2 milliard d'euros : s'agit-il de fonds nouveaux ou d'un redéploiement ? Par ailleurs, les pays africains ont souvent du mal à gérer les fonds qu'on leur octroie, par manque de capacités humaines et techniques : comment les aider à cet égard ?
M. Jean-Noël Guérini, pour le groupe RDSE. - Alors que l'épidémie pourrait entraîner 20 millions de suppressions d'emplois dans les pays africains, l'Union européenne est-elle en mesure de mener une politique cohérente en faveur de l'annulation de dettes ? Quel crédit accorder au chiffre officiel de 4 000 cas de Covid-19 fourni par les gouvernements ?
M. Pierre Laurent, pour le groupe CRCE. - De nombreux camping-caristes français ont été bloqués au Maroc : leur situation est-elle définitivement réglée ? Quant à nos concitoyens restés en Nouvelle-Zélande faute d'avoir pu s'offrir des billets à prix prohibitif, quelle solution leur a-t-on proposé ?
S'agissant de l'Afrique, compte tenu des difficultés colossales qui s'annoncent, j'espère que nous pourrons débattre dès la rentrée de l'aide publique au développement. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez évoqué 2,85 milliards d'euros dégagés pour la santé et la recherche au niveau européen, mais à qui cet argent bénéficiera-t-il : instituts européens ou africains, grands groupes ou institutions publiques ?
M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants. - Dès le début de la pandémie, le Gouvernement s'est engagé à permettre aux Français qui se trouvaient à l'étranger de rentrer dans notre pays. Je félicite à mon tour tous ceux qui ont contribué à rendre possibles ces opérations - à l'instar de votre cabinet, très disponible chaque fois que je l'ai sollicité.
En revanche, j'ai été assez sidéré qu'on laisse les 150 000 Français rapatriés rentrer en France sans aucun contrôle. À cet égard, je suis très préoccupé par le risque d'un retour de l'épidémie au cas où nous aurions à rapatrier une part importante de nos compatriotes installés en Afrique, dont le nombre est d'ailleurs incertain : M. Yung parle de 250 000 personnes, d'autres de 600 000... Nos ressortissants seraient-ils testés avant leur départ, à leur arrivée à l'aéroport ? Où pourrions-nous confiner une population aussi nombreuse, peut-être jusqu'à 200 000 personnes ? Dans le cadre d'un confinement chez elles, seraient-elles géolocalisées ? Après avoir consenti un effort de confinement, nos compatriotes seraient très inquiets de voir se créer les conditions d'une résurgence de l'épidémie.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Nous travaillons avec les grands fonds à la réorientation d'un certain nombre de crédits vers la lutte contre la pandémie.
Ainsi le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme s'est-il rapidement engagé dans la riposte à l'épidémie, tout en assurant la continuité de son action : ses bénéficiaires sont incités à réallouer jusqu'à 5 % de leurs subventions à la lutte contre le Covid-19, et un mécanisme ad hoc, doté de 500 millions de dollars supplémentaires, doit être approuvé par le conseil d'administration.
Deux autres fonds importants se mobilisent : l'Alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation (GAVI) a décidé de permettre à ses pays bénéficiaires de réorienter jusqu'à 10 % de leurs fonds vers la lutte contre la pandémie, tandis qu'Unitaid affecte 30 millions de dollars à des projets liés au Covid-19, notamment en matière d'accès aux outils de dépistage.
S'agissant du programme 209, des redéploiements de crédits sont en cours au profit du centre de crise et de soutien, via le fonds d'urgence humanitaire, pour financer la mise en oeuvre par nos ONG partenaires de programmes à destination des populations vulnérables.
L'Agence française de développement a révisé son plan d'affaires pour lancer une initiative dotée de 150 millions d'euros en subventions et de 1 milliard d'euros en prêts, financés sur la mission Aide publique au développement ; dans ce cadre, 70 millions d'euros seront dépensés en dons-projets.
Quant à Expertise France, elle met en place une plateforme d'assistance technique sur le Covid-19 et conduira plusieurs projets à destination de l'Afrique subsaharienne.
Reste que les marges de redéploiement au sein du programme 209 sont limitées par de nombreux engagements juridiquement contraignants, à commencer par notre contribution au Fonds européen de développement.
Il est certain, madame Pérol-Dumont, que la mesure statistique est une dimension importante, notamment du point de vue de l'Agenda 2030, qui repose sur 232 indicateurs. Dès 2018, le comité interministériel de la coopération internationale et du développement avait prévu que la France se dote d'un plan d'action en matière de coopération statistique : cet objectif est évidemment plus actuel que jamais. Nous soutenons l'Observatoire économique et statistique d'Afrique subsaharienne, ainsi que le déploiement d'expertises techniques de l'Insee et d'Expertise France auprès des instituts nationaux de statistiques des pays africains.
Les rumeurs et fake news imposent aux Européens de promouvoir un récit qui contrecarre biais et manipulations. En la matière, la France soutient un certain nombre d'actions de vérification des nouvelles en Afrique : par exemple, notre ambassade au Mali finance un groupe de blogueurs qui lutte contre les fake news. Canal France International (CFI) mène un travail remarquable en matière de formation des journalistes, et RFI déploie également certains programmes qui contribuent à cet indispensable travail de veille et de riposte.
Les rapporteurs m'ont interrogé aussi sur les dettes publiques des pays africains. La France souhaite une action forte en la matière, du côté de la Banque mondiale comme du Fonds monétaire international. Le Conseil de développement de ces deux institutions débattra de ces questions le 15 avril. La France appelle de ses voeux une initiative sur la dette des pays les plus fragiles, mais une action coordonnée au niveau international est indispensable. De fait, les créanciers bilatéraux non membres du Club de Paris détiennent 37 % des dettes - la Chine, à elle seule, en détenant 11 %. Une action du Club de Paris serait donc incomplète si les autres créanciers ne s'y joignaient pas.
M. Grand et plusieurs autres orateurs ont soulevé la question d'une potentielle deuxième vague, du fait du retour des résidents et des jeunes du programme vacances-travail. Ces derniers sont environ 45 000, concentrés à 92 % dans trois pays : le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Certains ont retrouvé une activité, par exemple dans l'agriculture. Pour les autres, nous oeuvrons à faciliter leur retour.
S'agissant des Français résidant à l'étranger, nous leur recommandons de se protéger, notamment en évitant de se déplacer. Lorsqu'ils sont dans une situation de vulnérabilité particulière, notamment sur le plan sanitaire, nous leur demandons de se faire connaître de nos consulats et ambassade. Nous pourrions ainsi prendre, le moment venu, les mesures qui s'imposeraient.
Nous travaillons à l'instauration d'un dispositif de soutien sanitaire, à destination notamment de nos compatriotes les plus vulnérables ; il sera adapté aux besoins de chaque pays.
À la faveur de la boucle d'information qui réunit les parlementaires représentant les Français établis hors de France, les services du ministère et moi-même, il apparaît que l'accès aux médicaments commence à poser problème dans certains pays, comme l'Île Maurice et Madagascar. Nous serons aux côtés de nos compatriotes installés dans ces pays.
Monsieur Temal, les opérations de retour ont mis en lumière l'importance de notre réseau universel ; tout le monde en est plus que jamais conscient, alors que depuis plusieurs années le Quai d'Orsay paie largement son écot à la réduction de l'emploi public. Il est apparu aussi que le numérique fournit des outils de réponse particulièrement précieux, que nous devons continuer à perfectionner. Ainsi, le site « Conseils aux voyageurs », actualisé en temps réel, a battu des records de fréquentation, avec 7 millions de visites depuis le 1er janvier, contre 2,2 millions l'année dernière à la même période, non loin des 9,4 millions de visites enregistrées pour toute l'année 2019 ! Je pense aussi à la plateforme « SOSuntoit », mise en place en vingt-quatre heures, grâce au mécénat de compétences : dans le cadre de cette formule d'entraide, environ 7 000 places d'hébergement ont été proposées à des touristes français.
Nous avons institué une audioconférence hebdomadaire avec les parlementaires représentant les Français établis hors de France, ainsi qu'avec le président de l'Assemblée des Français de l'étranger. Le travail conjoint mené dans ce cadre nous permet d'être très réactifs.
À l'intention de nos compatriotes résidant à l'étranger qui seraient amenés à rentrer en France, par exemple à la suite de la perte de leur emploi, le Gouvernement a prévu, dans le cadre de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, la fin du délai de carence de trois mois en matière de sécurité sociale. En cette période d'épidémie, il était important de prévenir toute rupture d'accès aux soins et aux remboursements.
Nous préparons activement la deuxième vague, au sein du ministère comme au niveau interministériel, en travaillant à une réponse sanitaire adaptée pays par pays, presque cas par cas.
S'agissant de la stratégie commune de l'Union européenne, au-delà de la réunion ministérielle qui s'est tenue hier, une coordination étroite est assurée par les directeurs généraux du développement des vingt-sept pays. Nous entretenons également de nombreux échanges bilatéraux pour coordonner nos réponses nationales. Les échanges devront également être nourris avec les pays africains, entre les délégations de l'Union européenne et les postes nationaux.
M. Temal m'a interrogé sur le secteur touristique. Le comité de filière tourisme se réunit chaque semaine pour identifier les besoins des professionnels et agir. Dans le cadre des ordonnances, un dispositif d'avoirs a été mis en place, permettant aux Français de reporter un voyage réservé ou d'obtenir un remboursement après dix-huit mois ; plus de 85 % des professionnels ont mis en place ce dispositif, et seulement 2 à 3 % des consommateurs se sont dits mécontents. Plus largement, les professionnels du tourisme se sont massivement emparés des outils d'accompagnement économique mis en place par le Gouvernement, comme l'activité partielle.
Les perspectives de redémarrage sont très difficiles à tracer, car elles dépendront de l'évolution de l'épidémie. Nous devons d'abord surmonter la crise sanitaire ; d'ici là, la prudence est de mise. Le comité de filière hebdomadaire permettra d'affiner notre action au fur et à mesure.
J'ai déjà abordé l'allègement des dettes publiques, évoqué notamment par MM. Cigolotti et Guérini. J'ajoute que les moratoires ne doivent pas empêcher la mise en place de nouvelles aides, nécessaires à la montée en puissance du dispositif sanitaire en Afrique. Plusieurs États se sont déjà emparés des plans d'urgence.
Monsieur Yung, notre effort additionnel de 1,26 milliard d'euros consiste en 1 milliard d'euros de prêts distribués par l'AFD, 150 millions d'euros de dons et un certain nombre d'autres actions - réorientation vers la santé de contrats de développement et de désendettement (C2D), projets de recherche financés par le ministère de la recherche -, sans oublier l'aide humanitaire d'urgence.
M. Laurent m'a interrogé sur les camping-caristes bloqués au Maroc. Entre 700 et 800 ont pu rentrer grâce à deux rotations maritimes entre Ceuta et Sète. Environ 1 500 se trouvent toujours dans la région d'Agadir. Une dizaine seulement se sont embarqués sur le dernier ferry Tanger-Med-Sète, la plupart préférant pour l'instant rester sur place. Au besoin, une nouvelle rotation pourra être mise en place, surtout si les demandes atteignent une masse critique.
S'agissant de la Nouvelle-Zélande, il est exact que des compagnies aériennes étrangères ont proposé des tarifs assez prohibitifs. Nous avons affrété des vols, dont plusieurs sont prévus dans les prochains jours : un vol décollera d'Auckland le 11 avril, un autre de Christchurch le 14. Ceux qui le souhaitent pourront ainsi revenir en France au prix le plus abordable possible.
Quant aux plus de 2 milliards d'euros alloués à la santé par l'Union européenne, ils bénéficieront à tous les acteurs mentionnés par M. Laurent : instituts de recherche français, européens et africains, ONG locales, acteurs de la société civile africaine.
En cas de deuxième vague de l'épidémie, monsieur Guerriau, nous déploierons divers dispositifs dans les aéroports, au départ comme à l'arrivée. En la matière, une grande coordination européenne et internationale sera nécessaire.
M. Olivier Cadic. - Je vous remercie d'avoir travaillé avec les parlementaires représentant les Français établis hors de France. Je remercie l'engagement de toutes les équipes et adresse un salut particulier aux ambassadeurs qui, souvent, sont devenus de super consuls et qui m'ont aidé à régler un certain nombre de cas très difficiles.
Pour autant, un retour d'expérience, « retex » s'imposera. Les marges de progression sont nombreuses. Il faudrait par exemple associer les personnes extérieures pour renforcer localement les équipes en cas de crise. L'administration ne peut pas gérer toute seule, sur le terrain, des crises de cette ampleur. Nous devons envisager un process d'amélioration continue nous permettant de ne pas être trop rigides face à de telles situations.
Cette crise a fait apparaître un trou dans la raquette. Je pense à tous les jeunes Français à l'étranger qui ne sont pas inscrits dans les registres. Quand on part à l'étranger moins de six mois, il est recommandé de s'inscrire sur Ariane ; au-delà, il faut s'enregistrer auprès du consulat. Pour ce faire, il faut une attestation de justification de logement prouvant que l'on réside bien à l'étranger. Or, de nombreux jeunes sont en colocation ou en sous-location et ne peuvent donc s'inscrire. Ainsi, en Irlande, à l'occasion de cette crise, ont ressurgi des dizaines de milliers de jeunes, qui ne sont pas connus de nos services. Est-il prévu de faire évoluer le système d'enregistrement des Français résidant à l'étranger ?
Comme à l'île Maurice et à Madagascar, certaines situations sont dramatiques au Maroc : des ressortissants atteints de maladies de longue durée ne parviennent pas à obtenir leurs médicaments. Une réunion interministérielle doit se tenir sur le sujet : pouvons-nous nous attendre à une amélioration en matière d'approvisionnement en médicaments ?
M. Gilbert Bouchet. - Je m'interroge également sur le rapatriement des camping-caristes au Maroc.
À mon tour, je tiens à saluer l'action de votre cabinet, qui a été déterminante pour permettre certains rapatriements de l'étranger.
J'en viens à l'AFD. La semaine dernière, nous avons voté des aides pour l'Afrique. Seront-elles suffisantes pour aider ce continent, où la crise va certainement provoquer des ravages ?
M. Jean-Marie Bockel. - En tant que membre du conseil d'administration de l'AFD, je m'interroge également sur le rôle de cette agence.
Parmi les actions envisagées par un certain nombre d'antennes de l'agence en lien avec les ambassades, il y a celle de donner, en respectant bien sûr un certain nombre de règles strictes, du cash - de l'ordre de 50 euros par mois - aux populations les plus démunies de certains pays africains, notamment francophones, pour leur permettre de passer le cap et de ne pas mourir de faim. Si cette hypothèse n'a pas été validée, elle n'a pas non plus été écartée par le conseil d'administration. Qu'en pensez-vous, monsieur le secrétaire d'État ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Monsieur Cadic, il faudra bien évidemment réaliser un retour d'expérience précis. Dans certains pays, le nombre de Français en déplacement touristique ou en voyage d'affaires était tel que les standards téléphoniques ont sauté ! C'est ce qui s'est passé au Maroc, quand bien même les consuls ont déployé, avec la meilleure volonté du monde, des cellules de crise locales et mis en place des call centers au sein des consulats.
Il faut sans doute réfléchir à la possibilité d'étendre les capacités du centre de crise et de soutien (CDCS) pour soulager certains pays. Lorsque l'épidémie a démarré en Chine ou en Italie, le CDCS a parfois pris directement les lignes pour soulager les postes consulaires et apporter une réponse quelle que soit l'heure.
La solution qui consisterait à contracter avec un prestataire pour avoir un call center n'est pas opportune, car les éléments de langage vis-à-vis des personnes appelantes évoluent très rapidement. Il s'agit d'un métier lié à la gestion consulaire. Le CDCS est composé de personnels qui connaissent ces problématiques - diplomates, volontaires issus de la diplomatie et membres de la Croix-Rouge - et sont formés pour apporter une réponse sanitaire. Ce sont toutefois des sujets de réflexion pour l'avenir. Il faut toujours chercher à s'améliorer.
Un peu moins de 2 millions de Français sont inscrits au registre, alors même qu'ils sont entre 3 à 3,5 millions à résider à l'étranger. Il faut continuer à les inciter à s'inscrire. Cet appel a d'ailleurs été entendu, puisque 45 000 nouvelles inscriptions ont été enregistrées en quelques semaines. Je retiens la proposition de revoir la question de la domiciliation, qui peut se révéler bloquante et empêcher des jeunes de s'inscrire. Sur ce sujet, il faut être très pragmatique et s'adapter.
Je m'associe aux différents remerciements qui ont été adressés à tous les personnels, collaborateurs et membres des cabinets des ministres. Il est vrai que tout monde a pris sa part.
Les moyens dédiés sont-ils suffisants ? Il ne faut pas oublier qu'à l'action nationale s'ajoute l'action internationale : nous oeuvrons à la Banque mondiale et au FMI pour que la réponse soit massive. Au FMI, il est question de créer des centaines de milliards de droits de tirage spéciaux. Concrètement, c'est de la monnaie nouvelle qui aidera les pays les plus vulnérables. La Banque mondiale a annoncé de son côté un plan qui se chiffre en milliers de milliards.
Par ailleurs, il faut veiller à ce que ces moyens parviennent réellement à être mis en oeuvre sur le terrain. On le sait, dans l'aide au développement, se pose toujours la question de la capacité d'absorption ; il se pose d'autant plus lorsque l'on est dans un temps d'action et de réaction très rapide.
Si la proposition d'une distribution d'argent directement à la population, débattue au conseil d'administration de l'AFD, était retenue et qu'un tel dispositif devait voir le jour, il faudrait s'appuyer sur des programmes nationaux ou sur des ONG locales. Une distribution en direct pourrait donner lieu à interprétation. Il faudrait à tout le moins conclure un partenariat.
M. Robert del Picchia. - À mon tour d'adresser mes félicitations à toutes les équipes.
Je souhaite appeler l'attention sur l'avenir de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). Je sais que différentes réunions sont prévues à ce sujet, mais cela peut intéresser les membres de notre commission, car il s'agit d'un fantastique réseau à l'étranger pour la diplomatie et pour les Français l'étranger.
En revanche, je crains que l'AEFE ne se retrouve en très grande difficulté en septembre et octobre prochains, car de nombreux parents étrangers disent hésiter et envisagent d'inscrire leurs enfants dans les écoles locales.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Dans le prolongement de l'intervention d'Olivier Cadic, je souhaite appeler votre attention sur la situation des étudiants en médecine français actuellement en Roumanie. Ils sont très nombreux. Pour ne pas perdre leur année scolaire, ils sont restés en Roumanie et y sont confinés. Or la situation sanitaire y est très préoccupante.
Connaissez-vous le nombre d'étudiants concernés et avez-vous envisagé la possibilité de les rapatrier si la situation devenait critique ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie du travail que vous et vos équipes avez accompli.
Je soutiens ce qu'a dit Robert del Picchia au sujet de l'AEFE : le sujet est d'importance.
Vous avez parlé d'un soutien sanitaire par pays. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Je suis extrêmement inquiète sur cette deuxième vague, qui devrait en particulier arriver d'Afrique. Nous n'avons quasiment pas de moyens là-bas : nous avons fermé des centres médico-sociaux ces dernières années. Comptez-vous utiliser la réserve sanitaire et les réservistes sur place ? Des moyens financiers seront-ils débloqués pour acheter par exemple des respirateurs dans les pays où il n'y en a quasiment pas ?
M. Pascal Allizard. - Je vous remercie de ce qui a été mis en oeuvre par vos services pour rapatrier les Français de l'étranger. Même si nos collègues de l'étranger ont été en pointe dans ce combat, nous sommes en contact avec les familles dans nos départements et nous sommes également sollicités.
Qu'est-il prévu pour nos compatriotes à l'étranger testés positif, qui restent bloqués dans un certain nombre de pays ? Pouvons-nous trouver des solutions pour les exfiltrer, en accord les autorités locales, et les rapatrier en France, où ils resteraient confinés chez eux ou à l'hôpital ? Ces personnes subissent une forte pression psychologique.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je m'associe aux remerciements et félicitations qui ont été adressés au personnel du CDCS ainsi qu'aux membres de votre cabinet et à vous-même, monsieur le secrétaire d'État.
Chaque jour, des dizaines de milliers de Français traversent les frontières avec nos voisins. Aujourd'hui, la fermeture des frontières provoque des blocages et de très longues files d'attente. Des discussions à l'échelon européen sont-elles engagées pour résoudre ce problème ?
Une attestation nationale vient d'être créée. Permet-elle aux non-Français qui traversent la frontière quotidiennement de se rendre en France ? Quid des livraisons agroalimentaires de la France à l'étranger ?
Pourrions-nous disposer de l'interprétation des conventions fiscales bilatérales par la Direction des impôts des non-résidents (DINR) ? Aujourd'hui, de nombreux Français employés à l'étranger télétravaillent. Cette situation va-t-elle affecter leur lieu d'imposition ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Je n'ai à ce stade aucune remontée concernant nos étudiants en médecine qui se trouvent en Roumanie. Aucune alerte de leur part n'a encore été lancée. Je prends note et j'en parlerai à notre ambassadrice.
L'attestation internationale concerne les étrangers qui veulent venir sur le sol français, mais également les Français qui reviennent en France. Ces derniers doivent la remplir, mais ils n'ont pas à motiver la raison du passage de frontière.
Je n'ai pas la réponse concernant les conventions fiscales bilatérales. Si des clarifications doivent être apportées, il faut se pencher sur le sujet avec la DINR.
Nos compatriotes testés positifs à l'étranger doivent se soumettre aux prérequis sanitaires du pays dans lequel ils se trouvent. En Égypte, c'est assez astreignant : il est demandé d'être testé négatif à deux reprises avant de pouvoir repartir. Des touristes français qui faisaient une croisière sur le Nil sont concernés : certains ont pu revenir, notamment hier, mais trois se trouvent encore au nord du Caire. Mme le consul à Alexandrie se déplace régulièrement pour les rencontrer. Vous avez raison, psychologiquement, c'est parfois un peu dur.
Quelques compatriotes ont été débarqués du Zaandam, paquebot de croisière qui a finalement accosté en Floride. Ceux qui ont été testés positifs ont été pris en charge dans des structures de santé locales, quatre sont en observation, les autres ont pu rentrer en France la semaine dernière.
Les Français encore à l'étranger se conforment aux protocoles locaux. Nous faciliterons ensuite leur retour.
Nous travaillons à une réponse sanitaire. Je ne peux en dire plus à ce stade, mais, dans les prochains jours, nous aurons l'occasion d'apporter des précisions.
La question de l'AEFE est tout à fait importante. Nous avions pour ambition de doubler le nombre d'élèves et avions d'ailleurs déployé des moyens supplémentaires à cette fin - 25 millions d'euros en plus. Aujourd'hui, la crise épidémique emporte des conséquences économiques qui peuvent être dommageables au réseau dans son ensemble. C'est pourquoi j'ai tenu à ce qu'une première réunion de travail soit organisée mardi dernier avec les parlementaires représentant les Français établis hors de France de tous les groupes politiques, les représentants des comités de gestion et le président de l'AEFE.
Selon moi, il faut apporter trois types de réponses.
La première a trait aux familles. Certaines peuvent être touchées de plein fouet par la crise économique. Il faut donc prévoir un accompagnement exceptionnel, comme nous l'avons fait au Vietnam et en Chine ; il faut envisager une extension de ce dispositif. Par ailleurs, il faut revoir les modalités d'octroi des bourses pour l'année prochaine : s'appuyer sur les revenus l'année N-1 n'est sans doute pas pertinent, dans la mesure où les variations de revenus risquent d'être significatives.
La seconde réponse concerne les établissements. Ceux-ci vont être confrontés à des situations très disparates. Il faut donc une solidarité au sein du réseau.
Enfin, l'AEFE elle-même va être touchée par contrecoup. Moins d'élèves scolarisés signifie moins de recettes pour les établissements, donc pour l'agence.
Il faut articuler ces trois réponses. Nous sommes en train d'y travailler avec un sentiment d'urgence. Je suis également amené à m'entretenir avec les parents d'élèves ou avec le président de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), comme ce fut encore le cas hier soir, pour évaluer la nature de la réponse. Je serai amené à m'exprimer sur le sujet très prochainement devant les parents et les enseignants, qui ont permis d'assurer la continuité pédagogique. Tout le monde est au rendez-vous.
M. Jean-Marc Todeschini. - En Moselle, il est très difficile de passer en Sarre. Même si nous avons déjà obtenu la réouverture d'un cinquième point de passage, les Français sont contraints de faire des détours de trente à cinquante kilomètres dans le secteur de Bouzonville. Cela ne dépend pas du gouvernement de la Sarre mais de l'échelon fédéral. J'ai écrit à l'ambassadeur d'Allemagne en France, avec copie à Jean-Yves Le Drian. Il faudrait au moins rouvrir un autre poste frontière dans le secteur de Bouzonville.
Bien pis, aujourd'hui, les Français sont insultés au passage de la frontière - la numéro deux du gouvernement sarrois a même présenté ses excuses. Il ne faudrait pas que se développe un sentiment anti-allemand.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État. - Je prends note de cette remarque. Il faudra mobiliser notre homologue fédéral.
M. Christian Cambon, président. - Monsieur le secrétaire d'État, nous renouvelons nos remerciements pour votre implication personnelle ; nous avons été nombreux à vous solliciter ainsi que les membres de votre cabinet. J'ai une pensée particulière pour le conseiller parlementaire de votre cabinet, qui a fait preuve d'une très grande disponibilité et nous a dépanné dans plusieurs cas sensibles.
Je vous prie de bien vouloir transmettre au nom de la commission des affaires étrangères notre reconnaissance à tous les personnels diplomatiques. Nous nous battons à chaque budget contre la compression des personnels diplomatiques, mais je constate qu'avec des équipes très restreintes et des moyens très contraints ils ont réussi de véritables tours de force, notamment au Maroc et au Pérou. Nous nous en souviendrons lors de l'examen du prochain budget.
Cette réunion nous a permis d'aborder la question du rapatriement des Français résidant à l'étranger, qui va certainement se poser dans les semaines à venir, ainsi que nos préoccupations concernant l'AEFE.
Je rappelle que, demain, à 16 heures, la commission auditionnera Florence Parly sur l'opération Résilience et les différentes opérations dans lesquelles sont engagés les militaires français.
La téléconférence est close à 12h40.
Vendredi 10 avril 2020
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La téléconférence est ouverte à 16 h 15.
Audition de Mme Florence Parly, ministre des armées, et de Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées (en téléconférence)
M. Christian Cambon, président.- Mes chers collègues, je vous remercie d'être aussi nombreux et je remercie les ministres d'avoir accepté d'échanger par ce moyen de communication, afin de faire un point sur l'engagement de nos forces armées pour lutter contre cet épouvantable virus.
Notre commission, le Sénat et moi-même sommes reconnaissants à nos forces armées, et nous vous prions de leur transmettre l'expression de notre soutien et de notre confiance. Les marins-pompiers de Marseille ont déjà payé un lourd tribut à cette épidémie. Nous souhaitons que vous évoquiez l'opération Résilience - nous entendrons la semaine prochaine Mme Maryline Gygax Généro, directrice centrale du Service de santé des armées (SSA) - ainsi que la manière dont les opérations militaires se déroulent. Car ces opérations continuent, et malheureusement nous avons appris récemment la triste nouvelle d'un attentat au Tchad.
Vous connaissez la franchise de notre commission. Comment expliquer, voire justifier, à la lumière de la situation sur le porte-avions Charles-de-Gaulle, l'absence de dépistage des équipages embarqués ? Le bâtiment, situé en mer du Nord, nous semblait protégé.... Quelles décisions avez-vous prises pour protéger les équipages et les populations concernées ? Que se passerait-il si des soldats de la force Barkhane partaient au Mali avec le virus ? Les conséquences seraient graves pour nos relations avec ce pays...
Pensez-vous que le développement de la pandémie puisse déboucher sur la mise en difficulté du dispositif Barkhane - au plan opérationnel ou au plan politique ? La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) a suspendu ses relèves et ses rotations pour éviter toute mise en cause, mais pas Barkhane.
Qu'en est-il du maintien en condition opérationnelle (MCO), forcément affecté par la crise ?
Mme Florence Parly, ministre des armées. - Mme Darrieussecq et moi-même vous adressons tous nos voeux de santé pour vous et vos proches, et ce n'est pas une simple formule ; la maladie est entrée dans votre quotidien d'élus. Nous vivons tous des moments difficiles et ne savons pas quand la crise sera derrière nous. Nous savons juste que le chemin sera encore long. C'est pourquoi il est essentiel que les Français soient informés et que vous soyez tenus au courant de nos actions ; cette réunion y contribuera, et je vous remercie de votre initiative.
La crise nous plonge dans l'inconnu, mais pas dans l'inattendu. Aller vers des situations inconnues est le quotidien des militaires, formés et parés pour lutter contre l'imprévisible. Cette capacité d'adaptation est essentielle en opérations, mais aussi dans la lutte contre le virus.
Le 25 mars dernier, le Premier ministre a lancé une opération dédiée, Résilience, pour apporter de la cohérence, de la coordination et du commandement à l'ensemble de nos missions. Elle comprend trois piliers essentiels : d'abord le soutien médical et sanitaire, qui représente les deux tiers de la mission, avec la mobilisation de l'ensemble des hôpitaux d'instruction des armées (HIA), la création d'un hôpital de campagne à Mulhouse et de nombreuses évacuations sanitaires avec un A 330 équipé du kit Morphée, des hélicoptères et des porte-hélicoptères. Ensuite, nous apportons un soutien logistique avec des renforts aux hôpitaux, nous assurons le transport de matériel médical et la distribution de colis alimentaires, notamment à Mayotte. Enfin, nous assurons une mission de surveillance et de protection des biens - comme des entrepôts contenant des masques, des médicaments ou des respirateurs - et des personnes, en sécurisant par exemple le départ et l'arrivée des TGV médicalisés.
Même s'il est un peu trop tôt pour dresser un bilan, Résilience a permis de prendre en charge 139 patients évacués sur le territoire national ou à l'étranger pour alléger les hôpitaux éprouvés. Plus de 130 soignants ont aussi été transportés sur le territoire pour renforcer les équipes des hôpitaux qui se trouvaient dans des situations tendues. Au sein des HIA, plus de 6 000 personnes ont bénéficié d'une consultation. Selon la dernière situation connue, 176 patients étaient hospitalisés dans les HIA à titre conventionnel, y compris pour du Covid-19, mais sans réanimation, et 121 patients étaient en réanimation.
Un hôpital de campagne a été construit, de toutes pièces, en une semaine à Mulhouse. Mais notre médecin général des armées, Mme Gygax Généro, vous en dira plus. Cette opération, totalement inédite, ne souffre d'aucune comparaison avec ce qu'ont réalisé d'autres pays, comme les médias l'ont parfois tenté. Dans cet hôpital, 40 patients sont accueillis en réanimation.
Deux porte-hélicoptères viennent en aide aux outre-mer, en plus de celui évacuant les patients de la Corse vers Marseille : le Mistral est déployé entre Mayotte et La Réunion, tandis que le Dixmude est en cours d'acheminement vers les Antilles. Nos militaires sont également mobilisés partout sur le territoire.
J'insiste sur l'action de la direction générale de l'armement (DGA), moins visible, mais tout aussi importante, qui met son expertise et ses innovations au service de la lutte contre le virus. Depuis mi-mars, notre établissement de Vert-le-Petit, spécialisé dans les risques NRBC (nucléaires, radiologiques, biologiques, chimiques) est mobilisé pour définir un cahier des charges de masques à usage non médical, et pour tester les produits proposés par les industriels. Plus de 400 équipements ont déjà été testés. La DGA jouera donc un rôle majeur dans l'émergence d'une offre nouvelle de masques non médicaux. Au travers de l'Agence Innovation Défense (AID), nous apportons un soutien financier aux PME qui créent des tests virologiques ou sérologiques.
Résilience s'inscrit en plus des autres opérations dont nous assurons la continuité. Le Covid-19 change parfois nos plans, mais ne nous fait pas dévier de nos missions, et ne met pas à mal nos combats. Le virus ne fait pas disparaître les menaces contre la France, et la lutte contre le terrorisme reste une priorité, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de notre territoire. C'est pourquoi l'opération Résilience est distincte de Sentinelle, et que nous maintenons nos engagements au Sahel et au Levant.
Au Sahel, la France a un rôle de leader et nous avons fédéré nos partenaires. Le 27 mars, la task force Takuba a été officiellement lancée, et la coalition est sur de bons rails. Nos alliés européens sont à nos côtés. Actuellement, nul ne sait comment l'Afrique subira l'épidémie. Nous devons aider nos partenaires africains, et nous maintiendrons notre pression sur les terroristes.
Nos équipes ont été relevées en février, juste avant que la France ne soit touchée par le virus. Le mandat actuel des forces projetées pourrait être prolongé d'un ou deux mois si la crise sanitaire se poursuit jusqu'à l'été. Le poste de commandement de Barkhane à N'Djamena, relevé plus récemment, s'est adapté : le personnel a été mis, avant son départ, en quatorzaine.
La santé de nos militaires est, aujourd'hui comme hier, notre priorité. Nous voulons détecter et prendre en charge rapidement tout militaire contaminé pour le protéger et éviter une contamination de masse. Nous avons rapatrié plusieurs militaires et le Charles-de-Gaulle, qui aurait dû rentrer de mission le 24 avril, accostera à Toulon dans quelques jours.
Au Levant, les forces irakiennes ont suspendu leurs activités. Nous avons donc rapatrié l'ensemble de nos formateurs, bien entendu temporairement : nous n'abandonnons pas notre objectif de lutte contre Daech, et nous disposons toujours de notre capacité de frappe. La base aérienne H-5 en Jordanie est toujours opérationnelle, nos avions y volent tous les jours. Dans le Golfe, l'épidémie a affecté certaines relèves, repoussées en raison de la fermeture de frontières, notamment pour la task force Jaguar en Arabie Saoudite, créée à la suite de l'attaque de septembre 2019. En mer, la mission Agénor de surveillance du trafic dans le détroit d'Ormuz se poursuit avec nos partenaires néerlandais, qui y ont eux-mêmes un navire. L'opération Corymbe dans le golfe de Guinée est suspendue à cause de la fermeture des ports de la région, mais nous sommes en train de négocier des escales techniques avec un pays de la région.
Les opérations et leur préparation se poursuivent avec des adaptations, notamment des quatorzaines systématiques avant le départ en mission. Nous continuons aussi de protéger les Français par notre force de dissuasion nucléaire, la défense de nos espaces aériens et maritimes, et luttons contre les menaces cyber et terroristes.
Un mot sur l'Europe : alors que tous les pays sont éprouvés en même temps par le coronavirus, la solidarité européenne s'est exprimée à de nombreuses reprises - même si cela a été peu remarqué par la presse... L'Allemagne, le Luxembourg, l'Autriche et la Suisse ont accueilli des patients français. J'échange régulièrement avec mes homologues européens. Lundi dernier, j'ai assisté à une réunion informelle des ministres de la défense. Fin mars, avec les Pays-Bas et le Royaume-Uni, membres de l'initiative européenne d'intervention, nous avons lancé une mission de coopération européenne dans les Antilles : nos trois pays ont acheminé des navires dans les Caraïbes, et nous avons lancé une cellule de coordination tripartite à Fort-de-France avec des officiers des trois pays. L'Europe est donc capable de créer des projets concrets. Avec ma collègue allemande, nous avons écrit au Haut Représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, M. Josep Borrell, pour lui rappeler notre détermination à faire de cette crise une opportunité afin de renforcer la solidarité européenne.
Nous devons faire l'effort de nous projeter en avant pour savoir quelles valeurs nous voulons défendre : le repli sur soi ou la coopération ; l'oubli de nos partenaires ou la solidarité européenne ? Vous connaissez les réponses... Il nous faut être à la hauteur. Notre solidarité européenne apparaît de plus en plus comme le rempart nécessaire contre des puissances extérieures qui instrumentalisent la crise pour renforcer leur emprise chez nos voisins ou à l'intérieur de l'Europe. L'Union européenne devra jouer un rôle important dans la sortie de crise, et progresser vers une Europe plus résiliente et souveraine.
La continuité de l'industrie de la défense est essentielle à nos opérations. Lorsqu'elle le peut, elle doit continuer, dans le respect des consignes sanitaires données par le Gouvernement. Compte tenu de la récession, le ministère des armées, premier investisseur de l'État, sera un acteur clef, avec une responsabilité particulière.
Au sein du ministère, nous recensons les cas de Covid-19. La tâche n'est pas simple en raison du caractère évolutif de l'épidémie : chaque jour, les chiffres changent, et il y a beaucoup de cas asymptomatiques ou avec peu de symptômes. Le ministère ne fait pas exception, et notre personnel n'est pas plus testé qu'ailleurs. Il est pris en charge aussi bien par le SSA que par les services de santé publics, ce qui complique l'analyse. Le secret médical s'applique. Nous mettons en oeuvre les méthodes les plus rigoureuses pour nous assurer du nombre de cas au sein du ministère.
Le ministère ne voudrait pas pécher par manque de transparence. Il y a trois catégories de chiffres, et la méthode est importante : les cas confirmés concernent des personnes testées positives au Covid-19, surveillées de près par le SSA, qui est en charge du suivi épidémiologique au sein du ministère ; les cas déclarés, recensés par le commandement, sont des personnes déclarées malades ou absentes de leur poste en raison du virus - information dont nous ne disposons pas à 100 % ; enfin, les cas probables et les cas possibles sont les personnes ayant été en contact avec des personnes infectées ou des personnes présentant des symptômes, mais qui n'ont pas été testées positivement, du moins à ce stade.
Hier soir, nous avions au sein du ministère des armées 369 cas confirmés, 867 cas déclarés - ce chiffre n'est pas totalement précis, comme je vous l'indiquais - et nous estimons qu'il y a 3 800 cas probables et possibles. Ces chiffres seront actualisés dès ce soir. J'ai chargé le SSA de présenter ces chiffres dans le plus grand détail durant les prochains jours afin que chacun connaisse, en transparence, la situation sanitaire, tout en tenant compte des limites et des incertitudes actuelles.
M. Christian Cambon, président.- Je vous remercie pour ces précisions et pour avoir souligné les efforts appréciables de nos voisins européens afin de soulager la région Grand-Est notamment. On évoque souvent l'absence des Européens, mais tout n'est pas si noir... Mesdames les ministres, je vous remercie de votre action et de votre mobilisation auprès de nos forces.
M. Jean-Marie Bockel, rapporteur « préparation et emploi des forces ». - Je m'interroge sur la montée en puissance de l'opération Résilience. Certes, ce n'est pas simple. Dans le Grand-Est, région la plus touchée, il semble y avoir encore des unités très motivées, arme au pied, mais encore largement sous-utilisées, alors que les besoins sont énormes, tant sur le plan sanitaire que logistique. Cela pose des problèmes de coordination : les préfectures fonctionnent bien, les agences régionales de santé (ARS) plus ou moins bien, et les collectivités locales sont parties prenantes de ce qu'il faut faire. Il faut que les gens se parlent, avec méthode et coordination.
Renseignements pris, et même si je comprends bien que cela prend du temps, j'ai le sentiment qu'il reste encore un peu de travail à faire. Il serait dommage que, par manque de coordination sur le terrain, on ne puisse pas bénéficier davantage de l'opération Résilience. On évoque souvent la réserve sanitaire, mais pour certaines compétences, la réserve militaire, opérationnelle ou citoyenne, pourrait être mobilisée.
Sénateur, rapporteur, élu local, je suis très reconnaissant aux politiques et au SSA d'avoir mis en oeuvre un exploit : la conception d'un hôpital de campagne en quelques jours. C'est votre métier que de pouvoir être partout, de répondre à la demande, mais ce n'est pas votre feuille de route habituelle. Bravo ! Cet hôpital a su se positionner par rapport aux hôpitaux civils.
Mme Christine Prunaud reviendra sur les tensions sur le personnel du SSA, mais comment voyez-vous la suite ? À Mulhouse, nous avons bénéficié de la solidarité ; la situation s'améliore un peu, nous arrivons à un plateau. La solidarité doit pouvoir bénéficier aussi à d'autres, par exemple les ultramarins. Le jour où vous déciderez de le faire, j'espère que vous vous concerterez avec les autorités hospitalières locales afin que ce changement se déroule au mieux et au meilleur moment.
Les rumeurs se répandent à toute vitesse, et certains affirment que l'armée conserve ses stocks de masques rien que pour elle - ce qui ne semblerait pas anormal, même si elle doit faire preuve de solidarité. Qu'avez-vous à répondre pour stopper ces rumeurs ?
Mme Christine Prunaud, rapporteure « préparation et emploi des forces ». - Résilience est une opération inédite, exceptionnelle, consacrée à l'aide et au soutien aux populations, d'une part, et d'autre part à l'appui aux services publics pour faire face à l'épidémie, tant en métropole qu'en outre-mer.
L'ambition ainsi posée est haute. Est-elle compatible avec les dépassements des contrats opérationnels de nos armées, et avec l'engagement de nos soldats dans Sentinelle ? Comment nos armées peuvent-elles encore prendre en charge une nouvelle mission ? Et pourtant, la nécessité impérieuse de cette mission s'impose. N'aurait-il pas fallu, comme nous le demandions régulièrement, redimensionner Sentinelle ?
Mon collègue rapporteur et le président Cambon y ont fait référence, les services de soutien des armées sont exsangues, et particulièrement le SSA. Lors du débat sur la loi de programmation militaire (LPM), nous avions demandé une hausse du soutien financier au SSA. Ce service doit à la fois soutenir le service de santé public - il a apporté une espérance supplémentaire grâce à l'hôpital de campagne de Mulhouse -, mais aussi garantir la santé de nos soldats en opération et sur le territoire national.
Comment garantir la santé de nos soldats ? Quels tests sont prévus avant de les envoyer en opérations extérieures ? Quels procédés sont déployés pour garantir que les équipages embarqués ne connaissent pas le même sort que l'équipage du Charles-de-Gaulle ? Nous avions l'impression que notre porte-avions était hors de tout risque, mais le virus nous a, là-aussi, joué des tours...
Nous entendrons le médecin général, directrice centrale du SSA, mais nous avons besoin de savoir que ces questions de santé de nos militaires sont bel et bien prioritaires. Nous devons aussi penser aux moyens humains et financiers nécessaires à ce service.
M. Cédric Perrin. - Je veux d'abord rendre hommage aux militaires, qui démontrent une fois de plus leur professionnalisme face à cette crise. La gestion de crise militaire peut être un modèle pour les autres services publics et pour le reste du pays. Nous savons, dans l'est de la France, ce que nous devons à l'armée pour le désengorgement de nos hôpitaux ; merci.
Le Premier ministre a déclaré la semaine dernière devant l'Assemblée nationale que les armées avaient une mission de soutien à la santé, mais qu'elle pourrait, dans la limite de leurs compétences, soulager les forces de sécurité intérieure. Chez nos voisins européens, les militaires font respecter le confinement ; cela est-il envisagé chez nous ?
Sur l'équipement de nos forces sur le territoire national et en opérations extérieures (OPEX), la pénurie de masques dans le pays a entraîné un prélèvement sur les stocks militaires. Comment le reconstituerez-vous pour faire face à vos besoins et comment cela s'articule-t-il avec le ministère de la santé, qui avait détruit d'anciens stocks ?
Je souhaite également connaître l'impact de cette deuxième opération intérieure sur la loi de programmation militaire (LPM). Disposons-nous de premiers chiffrages sur le coût de l'opération Résilience ? En outre, le Parlement débattra la semaine prochaine d'un projet de loi de finances rectificative. L'État a besoin de plusieurs milliards d'euros ; nous espérons que les crédits de la défense seront préservés et que la LPM sera respectée.
Dernière question, d'ordre doctrinal : comment mieux intégrer le concept de sécurité sanitaire parmi les priorités du pays ? Envisagez-vous une montée en puissance du SSA, élément essentiel de la sécurité nationale ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je veux également rendre hommage aux forces armées, qui protègent nos vies au quotidien, sans être épargnées. De nombreux cas ont été détectés sur la base de Creil et sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. Il faudra tirer les leçons de ces contaminations, pour éviter une telle situation lors des prochaines épidémies. Les armées communiquent bien, notamment via Tweeter.
L'épidémie aurait-elle un impact sur nos capacités militaires, si nos troupes en OPEX étaient largement touchées ? Comment y répondre ? Quelle est notre résilience à l'étranger ? Quels moyens de protection sont prévus pour nos armées en OPEX ? La lutte contre le terrorisme ne diminue pas, puisque l'on note un regain d'activité dans le Sahel, donc on peut craindre une tension importante sur nos troupes dans la région. Comment nous y préparons-nous ?
Ma deuxième question porte sur l'engagement de l'armée dans le transport de malades, entre Paris et la province ou entre le Grand Est et l'étranger. Pourquoi avoir fait appel à l'armée et non à des opérateurs civils spécialisés dans le transfert sanitaire ? Les Français ont découvert l'existence de l'hôpital de campagne, mais pourquoi un seul et pourquoi de taille si modeste, en comparaison avec ceux de nos voisins européens, qui ont déployé les leurs plus rapidement et avec une plus grande capacité de lits ?
Dernier point : l'engagement des équipements de nos armées dépend-il d'un budget particulier ? Les rotations aériennes, supérieures à la normale, rentrent-elles dans le cadre d'exercices de toute façon prévus ? L'opération Résilience aura-t-elle une incidence sur le budget du ministère, notamment sur le programme 146 ?
M. Jacques Le Nay. - Je veux, moi aussi, rendre hommage aux armées pour leur soutien sanitaire, sécuritaire, logistique et en matière de recherche. Les efforts conjoints de recherche entre civils et militaires sont source d'avancées majeures.
Le coronavirus touche le porte-avion Charles-de-Gaulle, mais également les soldats de la force Barkhane, avec quatre cas officiellement dépistés. Vous avez précisé vos craintes et vos priorités. Comprenez-vous les voies de contamination, notamment sur le Charles-de-Gaulle ? Quel impact cela a-t-il sur notre base industrielle et technologique de défense (BITD) ? Tout retard n'est-il pas préjudiciable à notre indépendance stratégique ? De manière générale, quelles seront les conséquences sur l'emploi ?
Comment l'effort de recherche et d'innovation - vaccin ou nouveau type de masque - se coordonne-t-il avec les recherches civiles ?
Le désengagement d'Irak est-il lié à la situation sanitaire ? Un retour dans ce pays est-il prévu ?
M. Richard Yung. - Le groupe La République En Marche se joint à l'expression de notre reconnaissance à l'égard des forces armées.
Nous connaissons bien le volet militaire de l'opération Barkhane ; existe-t-il aussi un volet sanitaire, médical, vis-à-vis des populations du Niger, du Mali et du Tchad ? Pour gagner le coeur de celles-ci, il faut mener une action sur le terrain dans ce domaine.
Il y a un certain nombre de Français présents dans des pays difficiles, sans accès aux médicaments. Les forces armées pourraient-elles aider au transport de ces derniers ?
Enfin, y a-t-il une coopération européenne dans le domaine médical et de la recherche, par exemple dans le cadre de l'Agence européenne de défense ?
M. Raymond Vall. - Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen s'associe aux remerciements déjà prononcés. Nous sommes fiers de nos armées.
Nombre de mes questions ont déjà été posées ; nous nous inquiétons de nos forces armées, c'est normal.
Pouvons-nous avoir des détails sur l'action de la DGA et de l'agence de l'innovation de défense, qui soutiennent des PME innovantes pour réaliser des tests de dépistage ? Dans quels délais peut-on espérer avoir des résultats ?
M. Pierre Laurent. - Mon groupe salue également la contribution des armées au soutien sanitaire de notre pays.
Ma question porte sur la poursuite de nos OPEX. Le secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU) a lancé un appel à un cessez-le-feu mondial. Personne n'en attend de miracle, surtout de la part des acteurs non étatiques, mais il faut déminer le plus possible de conflits pour se consacrer à la lutte contre la pandémie, qui peut devenir, en Afrique, une question importante. Comment concilier, dans la durée, notre effort militaire avec un effort sanitaire et humanitaire d'ampleur ? Comment la France se situe-t-elle par rapport à cette question ?
M. Robert Laufoaulu. - Admiration et gratitude pour tous nos militaires !
Le déploiement de l'opération Résilience outre-mer, avec des moyens importants, constitue un signe de considération pour les outre-mer, qui suscite de la reconnaissance de la part de notre population.
Les bâtiments de la marine nationale situés dans l'Océan indien et dans les Caraïbes suffiraient-ils si les capacités des établissements hospitaliers des collectivités concernées faisaient défaut ?
Pour ce qui concerne les trois collectivités du Pacifique, voici un point de situation par rapport au Covid-19 : la Polynésie française compte 51 cas et aucun décès, la Nouvelle-Calédonie 18 cas et aucun décès et Wallis-et-Futuna n'est pas encore contaminée.
Dans l'éventualité d'une propagation non maîtrisée du virus outre-mer, quels moyens l'armée prévoit-elle d'engager pour soutenir ces collectivités ?
Le territoire de Wallis-et-Futuna a fait une demande pour assurer le transport de matériel médical et de médicaments en provenance de la Nouvelle-Calédonie. L'Airbus Military CN-235 basé à Tontouta pourrait-il répondre à cette sollicitation ?
Je veux enfin souligner l'assistance de l'armée française en faveur des populations des îles océaniennes touchées par le cyclone Harold, voilà quelques jours ; vous le disiez, nos forces armées poursuivent leurs missions traditionnelles ; hommage leur soit rendu.
Mme Sylvie Goy-Chavent. - Le Covid-19 cause des dommages collatéraux. Ainsi, les étudiants de l'école de santé des armées sont mobilisés ou confinés. Les cours sont perturbés. Comment se passeront les examens du second semestre de cette école ?
Les épreuves de l'examen national classant, que doivent passer les élèves de sixième année de médecine, seront-elles maintenues début juillet ?
Enfin, nos militaires et nos gendarmes de Sentinelle sont-ils bien équipés en masques ?
Mme Florence Parly, ministre. - Monsieur Bockel, vous m'interrogez sur la montée en puissance de Résilience et sur les pistes d'amélioration à envisager. Cette opération doit s'appuyer sur le dialogue institutionnalisé entre les officiers généraux des zones de défense et les préfets de zone. Ce réseau existe ; c'est d'ailleurs le point d'appui essentiel pour conduire l'opération Sentinelle depuis l'automne 2017 : c'est par ce canal que s'expriment les besoins des préfets et que les officiers généraux déterminent les moyens permettant de répondre aux demandes. Nous avons donc conservé ce mode de communication pour l'opération Résilience.
Je me suis rendue, hier, à Metz, où j'ai échangé avec le général Bailly, officier général de la zone de défense de la région Grand Est, la préfète de région, le préfet de département ; le général Bailly m'a indiqué que les armées sont disponibles pour en faire plus encore. Jusqu'à présent, nous étions en position d'écoute et de disponibilité pour répondre aux demandes - nous n'avons, je crois, jamais répondu négativement à des demandes -, mais nous sommes convenus d'être maintenant force de proposition.
Nous touchons là le caractère particulier de cette crise, qui n'est pas seulement sécuritaire ; elle est très interministérielle. L'ensemble des services de l'État doivent donc savoir qu'il existe non seulement des moyens et une bonne volonté, mais encore un engagement fort à participer à l'effort.
Pour cela il faut être créatif, inventif. J'ai vu, ce matin, à Rungis, des initiatives innovantes, prises par le service militaire volontaire, qui participe à des opérations de soutien à des personnes isolées ne pouvant faire leurs courses. Il faut être ouvert. Nous sommes volontaires et disponibles pour faire plus. Nous pouvons avoir des idées, mais les services de l'État et les autres doivent aussi exprimer leurs besoins.
Quelles suites donner à cette opération dans le Grand Est ? Cela fait partie des réflexions en cours au sein de l'État ; comment répartir au mieux notre effort en fonction de la dynamique de l'épidémie sur le territoire ? Le dispositif est amené à s'adapter, mais ni le ministère des armées ni, je pense, les autres ministères ne le feront évoluer sans se concerter avec ceux qui en bénéficient ou qui pourraient en bénéficier.
Quant aux rumeurs sur les stocks de l'armée, rien n'est plus faux. Quand s'est posée la question de la gestion du stock des masques, nous avons procédé à un inventaire et, en fonction de nos besoins - le SSA a les mêmes besoins que les services publics civils de santé -, nous avons donné 5 millions de masques afin de soulager le système de santé publique. Les armées ne conservent donc pas pour elles seules leurs moyens.
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées. - Plusieurs orateurs ont mentionné le SSA, qui est intervenu de façon intense dans cette crise sanitaire. Je veux mettre les dimensions de ce service en perspective : le SSA est, à l'heure actuelle, bien doté ; depuis 2017, nous en avons arrêté la déflation et en avons même augmenté les effectifs, à hauteur de 3 %. Les missions du SSA consistent à soutenir nos forces, dans les hôpitaux et dans les centres médicaux des armées, sur tout le territoire.
Le SSA représente 1 % de la santé publique de France et 0,7 % des lits du secteur public hospitalier. Il compte 14 900 personnes - 68 % de militaires et 32 % de civils -, 2 070 médecins, 6 700 infirmiers et 3 100 réservistes. Par comparaison, l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) compte 12 000 médecins et 50 000 soignants. Cela montre la part que nous pouvons prendre dans la réponse à cette crise.
Le SSA a été opérationnel dans trois secteurs. D'abord de manière très visible, avec l'hôpital de campagne, et avec le transport sanitaire ; les six évacuations par vol Morphée ont été prises en charge par le SSA, ainsi que certaines évacuations sanitaires réalisées avec la santé publique civile.
Deuxième niveau d'intervention du SSA : nos hôpitaux militaires - les hôpitaux d'instruction des armées (HIA) -, très mobilisés lors de la crise sanitaire. Ces établissements se sont transformés, comme tous les hôpitaux de France, pour créer des unités de traitement du Covid-19. Ils ont multiplié par trois leurs capacités d'accueil en réanimation et ont ouvert leurs services pour accueillir des malades du Covid-19. Tout le personnel est impliqué. Certains hôpitaux, qui étaient moins saturés, ont reçu des patients d'autres régions, qui l'étaient plus ; je pense par exemple aux hôpitaux de Brest et de Bordeaux.
Troisième point d'attention pour le SSA : les unités militaires des trois armées. Le SSA est associé au commandement de chaque unité, afin de mettre en oeuvre les mesures préventives requises - gestes barrières, adaptation des conditions d'entraînement - pour empêcher la contamination de nos forces, comme cela se fait dans toutes les entreprises.
Enfin, il est un autre domaine d'intervention : de nombreux médecins des centres médicaux des armées interviennent à l'extérieur de leur centre, pour soutenir les forces médicales locales et les hôpitaux, en prenant en charge des gardes ou en intervenant dans les plates-formes téléphoniques.
Il y a actuellement 267 soignants en OPEX pour prendre soin de nos soldats. En 2019, 2 000 militaires de la fonction santé ont été déployés en OPEX, dont 500 médecins.
Mme Florence Parly, ministre. - Les effectifs du service de santé des armées ont atteint leur point bas au début de l'année 2017, avec 14 487 équivalents temps plein (ETP). Nous avons mis fin à leur décroissance, qui a été très importante - 10 % en cinq ans - avant de les porter à 14 775 ETP en 2019. Nous devrons adapter notre système de santé en tirant les conséquences de cette crise.
Pour soulager les forces de sécurité intérieure, les armées prennent en charge des missions de protection d'un certain nombre de bâtiments dans le cadre de l'opération Sentinelle. C'est notamment le cas pour les lieux de stockage de biens précieux, tels les équipements de protection. Mais nous n'avons pas envisagé qu'elles participent à la surveillance du confinement. Notre cadre juridique ne donne pas aux armées, dans le cadre de l'opération Résilience, de pouvoirs de police judiciaire : elles ne peuvent pas plus procéder à des verbalisations qu'elles ne sauraient participer au maintien de l'ordre.
Y a-t-il eu une pénurie de masques outre-mer ? Nous avons mobilisé les moyens disponibles sur place, et le porte-hélicoptères Dixmude apporte aux Antilles plus d'un million de masques, que mon ministère achemine pour le compte de Santé publique France.
Il est un peu tôt pour parler du coût de l'opération Résilience, d'autant qu'il faudra apprécier l'impact de cette crise sur le budget global des armées : certaines activités ont été moins importantes que prévu, aussi. Le premier projet de loi finances rectificative (PLFR), adopté il y a quelques jours, n'a aucun impact sur le budget de mon ministère. Le second, qui sera présenté au prochain conseil des ministres, ne l'affectera pas davantage. En tous cas, nous veillerons à ce que les réflexions sur le système de santé publique prennent en compte le service de santé des armées.
L'engagement de nos armées est-il au bon niveau ? La question de Mme Conway-Mouret reprend les interrogations formulées par de nombreux médias, et qui, je dois vous le dire, me font du mal. L'hôpital de campagne déployé à Mulhouse, en particulier, a suscité nombre de commentaires négatifs, qui ont beaucoup heurté le personnel du système de santé des armées, le ministère en général, la secrétaire d'État et moi-même. On compare en effet des choses qui n'ont rien à voir. Il est facile de déployer des tentes contenant des lits de camp, mais ce n'est pas ce que nous avons fait à Mulhouse, qui n'a rien à voir avec ce qu'on a vu dans beaucoup d'autres pays - et qui n'est nullement inutile, par ailleurs. La directrice du service de santé des armées vous l'expliquera mieux que je ne saurais le faire, du reste.
Nous avons engagé des moyens qui auraient pu relever du secteur civil. Mais l'A-330 que nous avons mobilisé n'a pas d'équivalent, en termes de capacité, hors des armées. Et, au tout début de cette crise, nombre d'entreprises se sont arrêtées, faute que leurs salariés demeurent à leur poste. Il importait alors que le ministère des armées apporte son aide là où la situation était la plus tendue. La mobilisation actuelle de nouveaux acteurs est très bienvenue, elle nous permet de redéployer nos moyens. Public et privé doivent unir leurs forces pour répondre aux défis nombreux et difficiles que nous devons relever.
S'il est difficile de quantifier, à ce stade, l'impact de l'opération Résilience sur le programme 146, je souligne que mon ministère, premier investisseur de l'État, aura un rôle particulier à jouer lorsqu'il s'agira de relancer l'économie française. Il dispose, dans ce programme, de moyens importants pour faire travailler aussi bien nos grandes industries de défense que le tissu de PME qui les entourent. Lorsque nous examinerons le prochain budget, je ne doute pas que certains de nos crédits de paiements auront augmenté, afin d'amplifier la relance.
Pouvons-nous soutenir dès à présent les entreprises de notre BITD ? Oui : j'ai demandé au délégué général pour l'armement de porter une attention spéciale à la trésorerie des PME, et de réduire les délais de paiement. Nous avons dressé une cartographie précise de la situation des entreprises de la BITD. J'ai rendu visite récemment aux équipes de Nexter, sur le plateau de Satory, et cette entreprise pourra payer ses sous-traitants en moins de cinq jours. Outre la BITD, nous avons de nombreux fournisseurs. J'ai demandé à ce que toutes les factures de moins de 5 000 euros soient traitées selon une procédure accélérée. Depuis le 20 mars, nous en avons payé 22 000, pour un montant de 23 millions d'euros. Hier, à Metz, la personne en charge de cette procédure m'a dit que 1 500 des 2 000 factures qui étaient en stock au début de la crise ont été réglées en quelques jours. Les équipes de la direction générale des finances publiques se montrent très réactives et assurent rapidement le paiement final.
Nous ne savons pas comment les marins du Charles-de-Gaulle ont été contaminés. Aussi avons-nous demandé que des épidémiologues se rendent sur le navire, où une enquête approfondie sera menée sur la totalité de l'équipage. Beaucoup de porteurs du virus ne présentent pas de symptômes, surtout quand ils sont jeunes, ce qui est le cas de la majorité des marins... Mais nous avons besoin de certitudes, et l'étude épidémiologique sera menée jusqu'à son terme.
Les impacts de la crise sur l'emploi, dans l'industrie de défense, sont encore difficiles à évaluer. Ils dépendront de la durée du confinement, et de la force de notre réponse.
L'agence de l'innovation de défense, en lien avec la DGA, cherche à identifier des solutions innovantes dans tous les domaines, et notamment dans celui des tests. Elle a repéré une entreprise, NG Biotech, qui produira des kits de dépistage sanguin efficaces en quelques minutes. Nous en avons commandé 50 000, pour un montant d'un million d'euros. Les premières livraisons auront lieu fin avril. Ces tests nous seront très utiles pour organiser le dépistage à grande échelle. Nous avons également repéré l'entreprise BforCure, qui travaille avec l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), et dont le projet Nomorecov développe un automate mobile, modulaire et connecté pour effectuer un dépistage en moins de trente minutes. Nous lui apportons 1,8 million d'euros pour couvrir les phases de développement, de test et de qualification, jusqu'au prototype attendu dans quelques mois. Des centaines de projets ont été soumis à l'agence de l'innovation de défense, qui participe à l'effort de créativité et de coopération qui se déploie un peu partout, en France et à l'échelle internationale, pour lutter contre le virus.
En Afrique, nous avons poursuivi nos actions habituelles, mais en ralentissant le rythme. Les armées ont l'habitude de prodiguer des soins aux populations, et continuent à le faire. L'effort militaire est-il compatible avec notre oeuvre humanitaire ? Nous menons les deux de front depuis longtemps, et un plan de plus d'un milliard d'euros en faveur du continent africain s'ajoute à des initiatives multilatérales en cours ou à venir.
Dès le départ, nous avons estimé que les outre-mer devaient faire l'objet d'une attention particulière, compte tenu de l'état de leur système de santé. Aussi avons-nous mobilisé immédiatement les forces qui y sont positionnées. Le dialogue entre les commandants supérieurs des forces armées et les préfets a été renforcé pour prendre en compte cette crise. Des moyens spécifiques sont déployés ou vont l'être. Ainsi le porte-hélicoptères Mistral, entre la Réunion et Mayotte, met-il ses capacités de transport au service de l'approvisionnement de cette dernière. Dans les Antilles, le porte-hélicoptères Dixmude apportera des masques, des vivres et des moyens d'évacuation sanitaire, puisqu'il embarque quatre hélicoptères qui achemineront les patients là où ils pourront être pris en charge. Enfin, nous envisageons d'acheminer un A-400 M en Nouvelle-Calédonie. Bien sûr, ce dispositif a vocation à évoluer avec la crise.
Vous m'interrogez sur la date d'examen pour les étudiants en médecine relevant de l'école de santé de Lyon : elle ne diffèrera pas de celle prévue pour les autres étudiants.
Sentinelle et Résilience sont deux opérations bien distinctes. La première lutte contre le terrorisme sur le territoire national, quand la seconde est consacrée au soutien des services publics et de la population dans le cadre de la crise sanitaire. L'opération Chammal se poursuit, et nos aviateurs qui opèrent depuis la base H-5, en Jordanie, effectuent autant de missions que ces dernières semaines. L'objectif est de lutter contre Daech au Levant. Nous avons suspendu une opération de formation des forces armées irakiennes que nous menions avec les Britanniques, car l'Irak est touché par le virus, et il n'y a donc plus de stagiaires. Dès que possible, nous la reprendrons.
M. Christian Cambon, président. - Merci de votre participation, mesdames les ministres. Vous devez à présent nous quitter, mais nous nous reverrons prochainement.
Mme Florence Parly, ministre. - Avec plaisir.
M. Christian Cambon, président. - Mme Conway-Mouret précise que sa question ne visait aucunement à critiquer l'hôpital de campagne déployé à Mulhouse. Nous sommes à vos côtés et renouvelons notre confiance à nos forces armées. Pour autant, le Parlement doit exercer son pouvoir de contrôle. Merci pour ces échanges, qui nous ont éclairés, sur le service de santé des armées, la situation du Charles-de-Gaulle ou encore les débats européens. L'effort qu'a fait le Sénat en faveur d'une loi de programmation militaire susceptible de remettre à niveau nos armées ne doit pas être remis en cause par cette crise, et nous nous battrons avec vous pour cela. Fabriquer des masques et des hôpitaux, oui, mais les crises graves se préparent longtemps à l'avance !
Mme Florence Parly, ministre. - Merci. Nous transmettrons aux armées vos mots chaleureux à leur égard.
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