- Mardi 25 février 2020
- Audition de M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques au ministère de la transition écologique et solidaire
- Audition de MM. José Caire, directeur « Villes et territoires durables », et Benjamin Roqueplan, chef de service adjoint « Sites et sols pollués » de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie
- Mercredi 26 février 2020
Mardi 25 février 2020
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 14 h 35.
Audition de M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques au ministère de la transition écologique et solidaire
M. Laurent Lafon, président. - Nous commençons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête par l'audition de M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques au ministère de la transition écologique et solidaire, également délégué général aux risques majeurs. Cette audition devrait nous permettre de poser les contours du cadre réglementaire applicable en matière de prévention et de gestion de la pollution des sols résultant d'activités industrielles ou minières.
La direction générale de la prévention des risques participe en effet à la définition de notre politique de prévention et de gestion de l'impact environnemental et sanitaire des installations industrielles et minières. Elle est appelée, à ce titre, à élaborer une méthodologie de gestion des sites et sols pollués ayant accueilli de telles installations.
Elle influe donc sur l'approche adoptée par les services déconcentrés de l'État, en l'espèce les préfectures et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), dans l'autorisation et l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE).
À cet égard, il sera utile de recueillir votre éclairage, monsieur le directeur général, sur l'articulation, dans le dispositif d'autorisation et de contrôle des ICPE, entre les objectifs de soutien à l'activité et l'emploi et les exigences de protection de la santé et de respect de l'environnement. Ces objectifs sont-ils toujours concurrents et ont-ils été arbitrés au détriment des préoccupations sanitaires et environnementales ?
Je souhaiterais également vous interroger sur l'articulation de votre action avec celle d'autres ministères, en l'espèce le ministère des solidarités et de la santé et le ministère de l'éducation nationale. Comment évaluez-vous la capacité d'anticipation des services de l'État sur les risques sanitaires associés à la pollution des sols et la qualité de la coordination et du dialogue entre ces services, des préfectures aux agences régionales de santé (ARS), en passant par les agences sanitaires ? Je prends l'exemple des établissements scolaires construits sur des sols pollués : comment expliquez-vous que leur liste ait été établie aussi tardivement qu'en 2017 alors que le passé industriel des sites sur lesquels ils étaient bâtis était connu des autorités ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire d'une dizaine de minutes, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Cédric Bourillet prête serment.
M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques au ministère de la transition écologique et solidaire. - Être le premier à témoigner et à apporter son éclairage devant cette commission d'enquête est un redoutable privilège.
Je soulignerai tout d'abord que la pollution des sols par l'homme est un sujet extrêmement vaste. La direction générale de la prévention des risques est chargée du pilotage de la politique publique concernant la pollution d'origine industrielle ou minière. Mais il existe de nombreuses autres causes de pollution des sols qui sont liées à l'activité militaire, nucléaire, ferroviaire, maritime, fluviale, commerciale, et surtout agricole, qui peuvent affecter une grande partie de notre territoire, notamment en outre-mer.
Notre première mission est de faire de la prévention au cours de l'activité industrielle ou minière, par le biais de la police spéciale de l'État, afin d'éviter au maximum les pollutions et, si elles sont inévitables, de prévoir la dépollution et la réparation le plus rapidement possible.
Pour ce faire, nous disposons de deux outils principaux, les ICPE - pour les activités industrielles - et le code minier, mais ils n'existent que depuis 1810. Les dommages plus anciens relevaient donc de la police générale du maire.
D'autres outils sont apparus progressivement, tels que l'obligation de remise en état d'un site pour une installation classée à la cessation d'activité, le principe des garanties financières apparu dans les années 1990 pour les carrières et le stockage des déchets, ainsi que la mise en place plus générale, depuis la loi de 2003 et un décret datant seulement de 2012, de garanties financières en vue d'éventuelles dépollutions en fin d'activité. Aujourd'hui, près de 850 sites sont assurés, pour un total de 650 millions d'euros disponibles que l'État peut mobiliser, même si celui-ci éprouve parfois des difficultés à appeler les fonds en cas de défaillance de l'exploitant dans sa mission de dépollution.
La réglementation s'est ensuite enrichie, notamment à la suite des errances ou de la complexité de certains dossiers. Pour les ICPE, le préfet a désormais la possibilité de prescrire régulièrement des actions de diagnostic et de suivi de la dépollution en cours de vie de l'installation. Il a notamment pris, à partir des années 2000, des arrêtés en vue de la dépollution de certaines nappes phréatiques. En outre, la directive 2010/75/UE relative aux émissions industrielles, dite « IED », a répertorié les principaux secteurs concernés, aussi bien dans l'air que dans l'eau, et imposé lors de la mise en service d'une installation l'élaboration d'un rapport de base établissant un diagnostic de l'état des sols à l'état zéro ou des eaux souterraines, puis la mise en place d'un suivi régulier tous les cinq ou dix ans.
Autre progrès pour les ICPE, depuis 2004 le maire est associé à la définition de ce que devrait être l'état du site après la cessation de l'activité. Le système est donc désormais très rigoureux pour les nouvelles installations ou les extensions, mais reste hybride avec une simple consultation du maire pour les installations plus anciennes. Ce meilleur encadrement doit encore monter en puissance.
Le dernier outil que je citerai sera examiné lors de l'examen, imminent, du projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP). Nous avons proposé que la cessation d'activité soit encadrée par l'intervention de bureaux d'études agréés au niveau tant du diagnostic des opérations de mise en sécurité à réaliser que du constat de leur bonne réalisation.
J'en viens à l'arbitrage entre l'emploi et la protection de l'environnement.
En théorie, peu d'arbitrages sont possibles en vertu des articles L. 511-1 du code de l'environnement et L. 161-1 du code minier, car la préservation de l'emploi ou l'opportunité ne font pas partie des éléments juridiques que le préfet peut prendre en compte pour fonder sa décision. Ainsi, ne peut-il refuser l'installation d'un site au motif qu'il n'est pas opportun ; à l'inverse, il n'est pas censé évaluer l'équilibre entre les bénéfices économiques et les risques liés à la pollution à l'aune de l'intérêt général. En définitive, le préfet, s'il bénéficie tout de même d'une certaine marge d'appréciation, ne peut se fonder que sur la maîtrise des risques et des pollutions ; toute autre décision serait aisément attaquable devant la juridiction administrative. Cela n'exclut pas une marge d'appréciation lorsqu'on se retrouve dans une zone « grise ». Mais, dès lors que des enjeux substantiels existent en termes de pollution ou de risque, le préfet est bien en compétence liée et se trouve bloqué par le droit.
Il existe néanmoins des cas pour lesquels une pollution est constatée et peut perdurer, soit parce qu'il s'agit de cessations d'activité intervenues avant 1976 ou avant la pleine mise en oeuvre des outils de prévention que je décrivais, soit, et c'est le cas le plus fréquent, parce que la cessation d'activité fait suite à une faillite ou une liquidation et que l'exploitant n'a pas été capable d'assumer ses obligations. La pollution alors constatée peut être très variée : déversement sur les sols ou dans la nappe souterraine, enfouissement de déchets, réapparition de sédiments à la suite d'un événement climatique exceptionnel ou retombées d'émissions atmosphériques, par exemple de métaux lourds, d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ou de dioxines, sur des terrains voisins qui deviennent alors impropres à des activités agricoles ou à des usages d'habitation.
Si le responsable est encore solvable, des poursuites administratives par le préfet sont possibles durant trente ans, mais seulement dans le cas d'un site d'une installation classée. Le code minier, dans sa rédaction actuelle, ne permet pas de telles poursuites. Seuls les dommages miniers peuvent faire l'objet d'une action civile depuis la loi du 30 mars 1999, une loi qui répondait initialement aux affaissements et remontées de gaz intervenus en Lorraine. Il faudra démontrer un dommage immédiat à la sécurité de l'habitat qui peut être victime d'un événement soudain ou qui constate des fissures sur ses biens. Les enjeux de santé publique ne sont pas envisagés dans la lecture qui est faite aujourd'hui des dommages miniers envisagés par la loi de 1999. Non seulement on ne peut pas aller rechercher administrativement l'exploitant, mais la notion même de « santé publique » par rapport aux dommages miniers n'est pas complètement prise en compte. Les termes de « santé publique » ne figurent pas dans le code minier qui ne fait référence qu'à la salubrité publique et à la sécurité publique.
Il est également possible de remonter la chaîne des responsabilités. Ce recours permet ainsi de se retourner contre la maison mère, mais seulement dans le cas des installations classées, et si l'on peut démontrer que cette société a joué un rôle clé dans la façon d'exploiter et de conduire la cessation d'activité, la mise en liquidation ou faillite. Les conditions fixées par le droit des sociétés étant restrictives, je ne suis donc pas sûr que nous soyons parvenus à mobiliser jusqu'ici ce type de recours, mais nous n'hésiterons pas à le faire si la situation se présente.
Un autre moyen d'obtenir réparation consiste à prouver que le propriétaire du terrain pollué a fait preuve d'une véritable négligence, dans la mesure où il ne pouvait pas ignorer la situation, et à lui demander de concourir à la dépollution. Cela permet aussi de rétablir les véritables propriétaires, qui minimisent parfois leur rôle. Nous avons déjà réussi à mobiliser à plusieurs reprises cet outil, notamment lorsqu'est organisé un montage entre une société civile immobilière (SCI) qui serait propriétaire du terrain et un exploitant qui serait une société distincte mais que les deux structures partageraient en réalité les mêmes propriétaires, actionnaires ou dirigeants.
Enfin, si des déchets sont constatés sur le site après la cessation de l'activité, une action peut être intentée contre le producteur initial du déchet en remontant toute la chaîne de production. Le principe de la police des déchets est qu'elle ne s'éteint pas. Si la personne en charge de la gestion des déchets est défaillante, le producteur initial peut être recherché. Grâce à cela, nous parvenons au moins régulièrement à faire évacuer un certain nombre de déchets dangereux présents sur les sites.
Une fois les possibilités de recours épuisées, on se retrouve avec un site orphelin qui peut néanmoins présenter des dommages. L'action est alors entre les mains de la puissance publique. Pour les anciennes installations classées, l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) dispose d'un fonds pour assurer la mise en sécurité, qui pourra être mobilisé si les ARS ou les agences sanitaires identifient des situations dans lesquelles les mesures de gestion ne suffisent pas à protéger les populations - cela peut impliquer, entre autres, le relogement des personnes, des travaux d'assainissement ou la pollution d'une nappe phréatique qui menace de s'étendre. Ces ressources peuvent également être libérées en cas d'urgence environnementale, notamment une pollution, par infiltrations, de la nappe qui menace le captage d'eau potable. Le budget de ce fonds, qui était de 10 millions d'euros jusqu'en 2009, avant de passer à 30 millions d'euros pendant une période faste après le Grenelle de l'environnement, est actuellement de 20 millions d'euros par an environ.
Concrètement, des traitements sont en cours dans près de 220 sites, une vingtaine entrent chaque année dans le dispositif, et 80 sont sur la liste d'attente, avec un délai de quatre ans résultant de cette enveloppe quelque peu étriquée. Il s'agit seulement, pour l'Ademe, de veiller à ce que l'environnement aux alentours des sites ne soit pas dégradé et que personne ne connaisse des difficultés sanitaires. Cela ne veut pas dire que le terrain mis en sécurité peut être utilisé pour accueillir d'autres usages comme une crèche... Toutefois, si des actions de dépollution s'imposent pour assurer la mise en sécurité, l'Ademe s'en charge.
Quant aux exploitations minières, le département de la prévention et de la sécurité minière (DPSM), au sein du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), dispose d'un budget de un million à 2 millions d'euros par an pour procéder à des actions de cette nature.
Les deux ministères avec lesquels nous allons être le plus en collaboration sont le ministère de la santé - l'ARS donne son avis au sujet des actions à mettre en oeuvre sur le plan sanitaire - et le ministère de l'agriculture, car les pollutions peuvent atteindre les sols agricoles et entraîner la contamination de la chaîne alimentaire. Malheureusement, et c'est l'un des points faibles de notre politique actuelle, nous disposons d'outils pour protéger les populations et l'environnement mais pas d'outils financiers pour indemniser les agriculteurs. Des mesures de restriction d'usage peuvent être décidées par les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) pour les cultures végétales ou les directions départementales de la protection de la population (DDPP) chargées de la production animale. Les agriculteurs sont donc susceptibles de perdre à la fois la valeur de leur terrain et une partie de leurs revenus, sans aucune indemnisation. Le fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE) ne peut être mobilisé pour indemniser les agriculteurs qu'en cas d'accident ponctuel, comme l'accident de Lubrizol récemment, mais pas en cas de pollution chronique de la production agricole.
Ensuite, le ministère de l'éducation nationale ou les collectivités territoriales agissent en lien avec le ministère de la santé, si l'on constate après coup qu'un établissement a été construit sur un terrain posant problème ou encore quand, sur une friche, l'on envisage de construire un établissement scolaire.
Enfin, j'évoquerai la question de la transparence. Notre ministère demande aux préfets et aux directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de mettre en ligne toutes les informations disponibles quant à la pollution des sols. Ainsi, la base Basol répertorie, à la date d'hier, 7 253 sites pollués ou présentant une suspicion importante de pollution. L'état de la connaissance en la matière est décrit, de même que les mesures en cours ou prévues. Cette liste est régulièrement mise à jour.
La loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) a créé les secteurs d'information sur les sols (SIS). Par voie d'arrêtés préfectoraux, il est ainsi possible de dresser l'état cartographique de la pollution des sols pour une parcelle et d'établir les enquêtes à mener en fonction des usages envisagés. Ces données sont annexées aux plans locaux d'urbanisme (PLU) ; ainsi, l'on assure une transmission des connaissances afin d'éviter une utilisation malheureuse de parcelles qui ont connu une pollution industrielle.
Il ne faut pas confondre la base Basol et la base Basias (inventaire historique des sites industriels et activités de service), établie par le BRGM pendant les années 1990 et 2000 à partir de toutes les archives départementales afin d'identifier tous les sites dont on a eu connaissance un jour qu'ils ont accueilli une forme d'activité industrielle, quand bien même cela remonterait à des centaines d'années avant la création des ICPE ou avant les décrets impériaux de 1810, sans se poser la question de savoir si cela relevait de la police de l'État ou de la police du maire. Cette dernière recense 218 000 sites, qui ne sont pas forcément pollués ou en friche ; elle met à disposition un ensemble d'informations, même grossières, fondées par exemple sur des archives médiévales.
À l'heure actuelle, il existe une multitude de bases de données, telles la base Mimausa (mémoire et impact des mines d'uranium : synthèse et archives) utilisée notamment par l'institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ou la base Sisop (sites et sols pollués) recensant les 7 000 à 8 000 sites militaires pollués relevant du ministère de la défense. Les SIS permettront de réunir, dans une seule base de données, l'intégralité des informations disponibles. Cet outil est encore en devenir ; à ce jour, il ne comprend encore que 2 824 secteurs notifiés par les préfets et annexés aux PLU.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - À mon sens, la capacité de l'État à recenser les sols pollués et à informer les populations est la question majeure. À cet égard, comment expliquez-vous les insuffisances de la base de données Basol, dont les informations, si parcellaires, ne sont pas systématiquement actualisées ? En outre, le « jargon », que nous employons couramment, est illisible pour la majorité de la population. C'est un problème pour la compréhension des données figurant, notamment, sur les sites des préfectures dans le porter à connaissance.
Je me fonde sur les informations dont je dispose dans le département de l'Aude, en particulier sur la pollution de la vallée de l'Orbiel. Certes, la mine d'or de Salsigne a été source de richesse ; mais elle a aussi entraîné bien des nuisances. On nous a affirmé que la situation était stable depuis 2011. Or, lors des inondations de 2018, on a vu de l'arsenic charrié par les cours d'eau ; et une soixantaine d'enfants ont été surexposés.
La coordination de votre action avec le ministère de la santé est un autre enjeu. Quel regard portez-vous sur la réactivité des ARS quant aux risques sanitaires que présentent certains sites ? Font-elles preuve de la même diligence pour le suivi épidémiologique des riverains sur tout le territoire ? Il semblerait que tel ne soit pas le cas.
Par ailleurs, quand bien même les analyses révèlent une teneur anormalement élevée de certains sols en agents toxiques, il semble que les services du ministère de la santé ne déclenchent pas nécessairement un suivi de la santé des résidents, au prétexte qu'il n'existe pas de consensus scientifique sur le seuil de dangerosité de l'agent toxique. Cette position est-elle tenable ? Au contraire, n'est-il pas préférable de mettre en oeuvre un principe de précaution et d'engager plus systématiquement un suivi épidémiologique ?
Enfin, les diagnostics sont souvent réalisés trop longtemps après le départ de l'exploitant industriel. Pour exiger la dépollution, c'est alors vers le nouveau propriétaire que l'État se tourne, qu'il s'agisse des collectivités territoriales, qui se trouvent bien esseulées, ou des particuliers. Trouvez-vous cela normal ? N'existe-t-il pas de stratégies de la part des industriels pour contourner leurs responsabilités ? Quand l'exploitant ne peut être retrouvé, ne faut-il pas prévoir un dispositif de prise en charge de la dépollution par l'État et d'indemnisation des occupants ? La mise en place d'un fonds de dépollution des sols, suggérée par une proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale, vous paraît-il un outil pertinent ?
En définitive, n'oublions pas que les hommes et les femmes dont il s'agit sont placés dans des situations très difficiles. Je pense notamment aux nombreux élus démunis que j'ai pu rencontrer dans mon département ; faute de cadre général, ces situations se multiplient sur l'ensemble du territoire, en métropole comme outre-mer.
M. Cédric Bourillet. - La capacité à recenser les sites et à informer les populations est effectivement un enjeu essentiel ; avec la base Basol et les SIS, nous sommes sur le bon chemin. L'absence de base unique a été un handicap, mais le nouvel outil commun à l'ensemble des ministères sera un gage de qualité.
Je souscris tout à fait aux réserves que vous inspire le « jargon ». Nos équipes d'ingénieurs font preuve de beaucoup de bonne volonté pour la mise à disposition des données sur les pollutions physiques et chimiques ; mais nous ne sommes pas forcément à même de formuler ces données de sorte qu'elles soient parfaitement utilisables par le grand public ou encore par les élus. À ce titre, il existe des marges de progrès.
Je ne sais si je peux vous livrer un diagnostic légitime quant à la réactivité des ARS. Toutefois, j'entends régulièrement les mêmes échos que vous : le ministère de la santé ne donne pas toujours suite aux suivis épidémiologiques, au nom d'arguments scientifiques que je ne connais pas nécessairement. Il faudra probablement poser cette question aux représentants du ministère de la santé.
Vous mentionnez les diagnostics trop tardifs pour la dépollution. Le projet de loi ASAP devrait permettre d'y remédier, avec l'obligation d'effectuer un diagnostic des sols dès la cessation d'activité et de disposer d'un plan de mise en sécurité vérifié par un bureau d'études agréé. Quant au contournement par les industriels, il peut effectivement survenir ; nous nous efforçons de le limiter.
Enfin, l'indemnisation est une véritable question de fond. Jusqu'où va la responsabilité administrative de l'État dans la préservation de la santé publique et de l'environnement ? Où commence la solidarité nationale et comment s'exprime-t-elle ? Les outils législatifs et budgétaires en vigueur visent à faire cesser une pollution environnementale ou une situation présentant des risques sanitaires. En revanche, nous ne disposons pas d'outils d'indemnisation des personnes qui voient baisser la valeur de leur terrain ou souffrent d'une restriction d'usage, comme l'interdiction des jardins potagers, ou encore des agriculteurs, qui, lorsque leurs terres sont polluées, perdent à la fois en capital et en revenus.
C'est un vrai choix à faire. Aujourd'hui, au travers des interventions de l'Ademe et du DPSM, la politique publique consiste à confiner la pollution. En résultent des terrains mis en sécurité qui ne sont néanmoins pas réutilisables, notamment pour accueillir des crèches. On peut vouloir aller plus loin, notamment par des mécanismes de coopération public-privé. Il s'agit d'enjeux économiques importants, mais la question est ouverte.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - N'oublions pas les collectivités territoriales - je pense notamment aux terrains sportifs, aux crèches et aux écoles. Face à la baisse des subventions, bien des collectivités se demandent comment elles pourront faire face à de telles situations.
M. Cédric Bourillet. - Nous sommes conscients de cet enjeu ; il s'agit également des parcs de loisir et des aires de jeux pour les enfants.
M. Laurent Lafon, président. - Voilà quelques années, a été lancé un recensement des établissements sensibles - crèches, écoles, collèges et lycées - installés sur le terrain d'une ancienne activité industrielle. Or un millier des 2 300 établissements recensés n'ont pas encore été diagnostiqués, situés notamment en zone urbanisée : où en est-on à cet égard ? Par ailleurs, pour les établissements diagnostiqués, comment les résultats ont-ils été communiqués, en particulier aux collectivités territoriales gestionnaires ?
Sur le plan fiscal, les exploitants responsables d'une pollution acquittent la taxe générale sur les activités polluantes. La collecte en est-elle satisfaisante ? Ne conviendrait-il pas de la renforcer pour certains déchets toxiques ?
M. Cédric Bourillet. - Il est exact que, voilà plusieurs années, un croisement a été entrepris par le BRGM des 318 000 sites recensés sur Basias et des établissements sensibles dont vous avez parlé : ce sont, au total, 2 800 établissements qui ont été identifiés. La moitié d'entre eux ont été diagnostiqués, pour un coût de 32 millions d'euros. La démarche ayant paru onéreuse pour le ministère, surtout s'agissant d'établissements ne relevant pas spécifiquement de sa compétence, le choix a été fait de ne pas la poursuivre. Pour ce qui est des établissements diagnostiqués, les résultats ont été transmis aux collectivités territoriales gestionnaires.
En ce qui concerne la taxation des émissions de polluants dans l'air, la TGAP, du fait de sa construction historique, vise principalement des polluants atmosphériques génériques, pas forcément ceux qui peuvent occasionner des retombées. Ainsi, ne prend-elle pas en compte ni la dioxine, ni les métaux lourds, ni les HAP, non plus que les abandons de polluants au sol, notamment par manque d'étanchéité des cuves, et les infiltrations qui peuvent en résulter.
Mme Sonia de la Provôté. - Dans ce domaine, les compétences techniques, l'expertise, sont une ressource capitale. À cet égard, il est regrettable que les administrations ne communiquent pas toujours suffisamment entre elles, ni en temps réel - alors qu'il faut parfois agir en urgence - ni dans la durée - alors qu'un suivi des situations sur plusieurs années est souvent nécessaire.
À l'heure de l'objectif « zéro artificialisation nette », qui suppose notamment de combler les dents creuses dans les villes, nous devons dépolluer des terrains pour les remettre en usage. Pour cela, il convient de mettre en place, en interaction entre l'État, les collectivités territoriales et des cabinets d'expertise habilités, des structures capables de réaliser des diagnostics de qualité, notamment en identifiant avec précision les secteurs concernés et la nature des pollutions, qui n'existent parfois que sous forme de poches.
Lors des débats sur l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), la question de la compétence en la matière avait été posée. Nous avions, à l'époque, essuyé un refus du Gouvernement, mais il n'est peut-être pas définitif.
Mme Brigitte Lherbier. - Ma région est fortement touchée par les pollutions industrielles, tout particulièrement le Pas-de-Calais - une situation encore aggravée par les inondations, qui font ressortir de nouveaux polluants.
Alors que certaines zones sont notoirement à risque, raison pour laquelle les terrains s'y achètent à bon marché, le fatalisme domine : les propriétaires pensent qu'il n'y a rien à faire... Comment leur répondre ? Comment les choses peuvent-elles changer ?
Par ailleurs, existe-t-il un protocole de communication ? Les propriétaires sont-ils suffisamment informés des incidences possibles sur leur santé, et comment mieux les avertir des comportements à éviter ?
M. Pascal Savoldelli. - Je constate qu'il n'y a pas de réglementation sur la qualification des sols dépollués : comment l'expliquer ?
Par ailleurs, je rappelle que la charge de l'aménagement pèse sur le constructeur. Les coûts peuvent être très lourds à assumer pour les collectivités territoriales. Si nous voulons que nos villes puissent continuer à être repensées et équilibrées, peut-être faut-il faire évoluer les choses en la matière.
Votre administration a-t-elle des contacts avec l'union des professionnels de la dépollution des sites ? Les responsables professionnels que j'ai rencontrés se sentent un peu orphelins - quel que soit, d'ailleurs, le gouvernement.
Enfin, nous attendons des garanties sur l'unicité de la base de données. Dans une République une et indivisible, les règles, les diagnostics doivent être les mêmes partout !
M. Cédric Bourillet. - Pour les terrains comme les dents creuses et les friches, nous sommes confrontés à cette question : alors que, aujourd'hui, le rôle de l'État s'arrête aux enjeux de santé publique et de protection de l'environnement, comment mettre en place un accompagnement au-delà, notamment sur des enjeux d'urbanisme et d'aménagement ? De fait, de nombreuses collectivités territoriales ont sur les bras - si je puis dire - des zones complexes à gérer. Il y a, à cet égard, un choix important à faire.
Sur le plan financier, le « tiers demandeur », un dispositif issu de la loi Alur, monte en puissance dans les zones tendues où une valorisation économique est possible. Dans ce cadre, un tiers aménageur prend à sa charge la dépollution d'un site en vue d'y réaliser un projet immobilier, commercial ou industriel, parce qu'il considère que l'opération sera intéressante pour lui. L'opération est encadrée par l'État, le préfet s'assurant que les travaux de dépollution et l'usage escompté sont compatibles. On compte une cinquantaine de dossiers en cours d'instruction.
S'agissant des compétences techniques, beaucoup de collectivités s'appuient sur les établissements publics fonciers qui ont une grande habitude de ces questions, c'est vrai dans plusieurs régions, notamment le Grand-Est et l'ancien Nord-Pas-de-Calais. Il me paraît important que les collectivités territoriales puissent s'appuyer sur une solide expertise locale.
À la lumière des connaissances données, les documents SIS décrivent les pollutions et prescrivent les études et le type de dépollution à mener selon les usages envisagés. De fait, un bureau d'études, un établissement public foncier ou, le cas échéant, l'ANCT dans sa mission d'accompagnement n'aurait pas à repartir de zéro au regard des futurs usages envisagés.
S'agissant des effondrements de sols, ils sont reconnus comme dommages miniers par le code minier et il y a une prise en charge à 100 % par l'État, qui se substitue aux anciens titulaires des concessions minières. Les secteurs d'information de ces sols sont censés être annexés au PLU et donc fournis à chaque vente. S'agissant de l'information sanitaire, il faudra interroger le ministère de la santé et si des progrès en la matière sont possibles.
S'agissant de l'absence de réglementation sur la qualification de sol dépollué, les agences sanitaires, grâce à un financement de notre ministère et du ministère de la santé, ont entrepris un travail pour définir des valeurs de référence. La notion de sol pur ou propre n'existe pas : la qualité des sols diffère selon la nature géologique des sols. Ce qui importe, c'est de disposer de valeurs toxicologiques de référence, que la pollution soit naturelle - cas de l'arsenic dans l'Aude - ou non - par exemple les épandages de boues de station d'épuration -, pour savoir s'il faut adopter des précautions particulières. À ce jour, il existe 450 valeurs toxicologiques de référence et le mouvement suit son cours en fonction des besoins qui apparaissent.
Nous avons de nombreux contacts avec l'union des professionnels de la dépollution des sites et nous nous appuyons beaucoup sur ces bureaux d'études pour faire des diagnostics en cessation d'activité ou dans le cadre de changements d'usage. Cela implique que leurs compétences soient vérifiées, par exemple par la délivrance d'un agrément.
M. René Danesi. - Vous connaissez certainement le dossier de la mine StocaMine, à Wittelsheim, dans le Haut-Rhin. Sous le contrôle de l'État, des déchets de toute nature ont été stockés au fond de cette ancienne mine domaniale de potasse. Un incendie survenu voilà quelques années a créé un magma de produits plus ou moins toxiques. Une partie des déchets enfouis ont été traités par des centres spécialisés. Au même endroit, on trouve la plus grande nappe phréatique d'Europe, et beaucoup de spécialistes craignent qu'elle ne soit polluée à défaut d'une évacuation complète de ces déchets. Votre ministère, à l'évidence, tente de gagner du temps. Pendant ce temps, la voûte de la mine descend inexorablement, si bien que dans quelques années personne ne pourra y accéder, fût-ce avec des robots. Que pensez-vous de cet état de fait ?
M. Joël Bigot. - Il existe beaucoup de dents creuses dans nos villes, et l'on manque d'outils pour dynamiser ce foncier immobilisé. Le mieux est de déclarer le site orphelin ; auquel cas, l'Ademe met à disposition des fonds pour mener des actions de réhabilitation.
On compte de très nombreux espaces ainsi immobilisés, parfois depuis très longtemps. Il a été dit précédemment qu'il fallait au moins trente ans pour pouvoir poursuivre quelqu'un ayant abandonné un site d'accueil d'une activité industrielle polluante. Aussi, si la loi n'est pas modifiée, ce foncier invalide perdurera un certain temps.
Cette année, l'Ademe perdra vingt postes budgétaires, comme en perd le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Dans ces conditions, il est difficile de mener à terme un certain nombre d'études.
Voilà peu, nous discutions à la préfecture de mon département de discuter avec des élus de la fameuse loi 3D : décentralisation, déconcentration, différenciation. En matière de différenciation, les élus insistaient sur les moyens d'adapter la loi. La question de l'urbanisme a souvent été évoquée, de même que la prévention des risques. Il faudra trouver les moyens d'accompagner les collectivités pour remobiliser le foncier abandonné et limiter au maximum l'artificialisation. De fait se pose la question des moyens d'État ou de la création de fonds dédiés.
M. Alain Duran. - Certains industriels adoptent des stratégies pour échapper à leurs obligations. Dans le cas d'une fin d'activité, il existe une obligation de diagnostic et de dépollution. Que se passe-t-il en cas de fin partielle d'activité ? Les obligations sont-elles les mêmes ?
Mme Maryse Carrère. - Le code minier ne prend pas en compte l'aspect sanitaire et il faudra sans doute corriger cela.
Les outils que vous avez décrits sont surtout des outils de mise en sécurité d'urgence. Quid de ces pollutions plus diffuses, plus sournoises ? J'ai en tête l'exemple précis, qui n'est pas recensé dans la base des sols pollués, d'une ancienne mine dans mon département des Hautes-Pyrénées qui menace de s'effondrer et pollue en métaux lourds le gave de Pau. Le « donné acte » de la fin de l'exploitation a été délivré à l'entreprise, Metaleurop, et ce sont donc les collectivités qui doivent financer les actions de dépollution, l'État ne voulant pas en entendre parler.
M. Laurent Lafon, président. - On a bien compris que, dans le dispositif de prévention, les fameux SIS sont fondamentaux. Vous avez dit qu'on en comptait 2 824, ce qui paraît peu compte tenu du nombre de sites. Où en est-on dans cet inventaire ?
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Il est nécessaire de disposer d'une cartographie précise et évolutive des sites pollués.
Autre point : certains bureaux d'études ont pu être gestionnaires de l'activité minière et se retrouvent aujourd'hui juge et partie.
Enfin, ne serait-il pas possible d'évoluer vers une reconnaissance officielle des sites pollués suivant une nomenclature nationale ?
M. Cédric Bourillet. - La situation de StocaMine est complexe. Les galeries se referment et chaque décision doit être mûrement réfléchie. La dernière position, exprimée par François de Rugy, est la suivante : le confinement au fond doit être mené pour éviter toute remontée vers la nappe phréatique ; une étude sera remise en milieu d'année pour déterminer s'il est possible de remonter d'autres déchets en plus de l'opération de confinement.
Sur la question des dents creuses, je fais le lien entre l'artificialisation et ces sols pollués, souvent situés dans des lieux choisis judicieusement, lors de l'implantation de ces anciennes entreprises, par rapport aux axes de communication. De fait, ce foncier pourrait être très valablement valorisé pour d'autres activités.
Emmanuelle Wargon a lancé un groupe de travail piloté par la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) du ministère pour étudier la manière de remobiliser les friches de toute nature, non seulement celles qui ont pu connaître des pollutions industrielles, mais aussi les friches commerciales, etc. Il rendra ses conclusions au printemps. À titre personnel, je ne serais pas choqué que, par principe, l'artificialisation paye la dépollution. Je ne sous-estime pas les difficultés de l'exercice. Les outils juridiques ou budgétaires qui existent d'aujourd'hui sont destinés à prévenir les risques sanitaires et environnementaux et ne sont donc pas pensés dans une logique de mobilisation du foncier, d'immobilisation de terrains ou d'indemnisation. Par conséquent, le problème de la pollution reste entier si l'exploitant est insolvable.
S'agissant de la règle des trente ans, le principe est le suivant : en installation classée, dans les trente ans qui suivent la cession d'activité, on peut se retourner vers l'exploitant si apparaissent des pollutions qui n'ont pas été identifiées lors de la cessation d'activité.
Dans le cas d'une fin d'activité partielle, s'il ne reste plus que des équipes techniques ou des équipes de recherche, la cessation d'activité est réelle au sens du code de l'environnement. En revanche, si seuls quelques ateliers de fabrication ont cessé leur activité et qu'il demeure impossible de vérifier l'état de la nappe phréatique, alors il faut attendre la fin de l'exploitation pour mesurer le degré de pollution du site. Ce point peut sans doute être amélioré.
M. Alain Duran. - On peut garder une unité et les autres restent vides. Est-ce considéré comme un départ entier ou partiel ?
M. Cédric Bourillet. - Une papeterie qui garde une machine à papier sur les trois qu'elle avait parce qu'elle a réduit son activité reste une papeterie en activité.
Certains cas sont plus complexes, et il faut clarifier les textes. Par ailleurs, il existe des enjeux techniques : l'ensemble peut être sur une même dalle de béton ou sur des espaces distincts, ce qui correspond à deux situations différentes en termes de diagnostic.
On peut jouer au jeu des sept différences entre le code minier et le code de l'environnement : l'expression « santé publique » n'apparaît pas dans le code minier ; la possibilité de se retourner pendant trente ans contre l'exploitant n'existe pas... Différents gouvernements ont relevé l'utilité de rénover le code minier. Pour les installations classées qui peuvent présenter des pollutions particulières, il existe un système de garanties financières ; dans le code minier, cela n'est valable que pour le stockage de déchets : ce qui se passe dans la mine n'est pas couvert...
Les SIS, actuellement au nombre de 2 824, doivent couvrir l'ensemble des pollutions connues, y compris les bombardements dans le Calvados, les activités militaires et nucléaires, les pollutions agricoles... Notre base de données Basol recensant 7 253 sites, notre objectif est donc d'avoir, à terme, d'ici à la fin de 2021, entre 7 000 et 8 000 SIS.
Sur les 2 824 SIS, 2 816 sont issus de nos services, les Dreal, et le reste de toutes les autres sources de connaissance des pollutions de sol que je vous ai citées. Nous devons faire porter nos efforts sur le ministère de la défense, les autorités chargées de la sûreté nucléaire, celles qui ont connaissance de pollutions agricoles... Comme c'est notre ministère qui a porté cet outil, il est logique que nous y soyons plus sensibles.
Est-il normal que l'industriel choisisse le bureau d'études ? Nous avons des bureaux d'étude agréés, dont nous espérons que l'agrément assure la qualité et la compétence. Nous estimons que l'industriel peut choisir qui il veut et qu'il est préférable que l'État n'intervienne pas dans ce marché privé pour répartir les parts de marché entre bureaux d'étude.
Vous avez en tête le cas d'un bureau d'études qui a joué un autre rôle auparavant. Vu de l'extérieur, on peut s'interroger, mais je ne connais pas suffisamment l'historique de ce dossier pour avoir un avis pertinent : je ne ferai donc pas de commentaire.
J'espère que la combinaison entre les 450 valeurs toxicologiques de référence, que nous allons continuer à enrichir au fur et à mesure des besoins en mettant des moyens à disposition des agences sanitaires et environnementales pour établir ces valeurs, et les SIS, qui se veulent être une cartographie terrain par terrain, va permettre d'atteindre l'objectif de reconnaissance de la pollution et de la surpollution.
M. Pascal Savoldelli. - Puisque nous allons examiner la loi 3D, je m'interroge sur les équipes administratives. Il y a certes de la bonne volonté et des compétences, mais les collectivités doivent être dotées de capacités d'expertise et d'une organisation administrative qui leur permettent d'être réactives. Constater ne suffit pas ; il faut pouvoir réagir.
M. Laurent Lafon, président. - Merci pour les réponses que vous avez apportées à nos questions orales et que vous apporterez à notre questionnaire écrit.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de MM. José Caire, directeur « Villes et territoires durables », et Benjamin Roqueplan, chef de service adjoint « Sites et sols pollués » de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'audition de MM. José Caire, directeur « Villes et territoires durables », et Benjamin Roqueplan, chef de service adjoint « Sites et sols pollués » de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe).
L'Ademe est chargée d'assurer, pour le compte de l'État, la mise en sécurité et la dépollution des sites industriels pollués dont les exploitants ne peuvent être identifiés ou sont insolvables. Pourriez-vous nous indiquer si la situation de notre stock de sites orphelins s'améliore, notamment en termes de coût pour l'État ? Devons-nous nous attendre, dans le futur, à une augmentation du nombre de ces sites, au fur et à mesure des diagnostics effectués après le départ des exploitants ?
Par ailleurs, vous êtes appelés à vous retourner vers les exploitants défaillants afin d'obtenir le remboursement des frais engagés. Comment évaluez-vous ces procédures ? Pourriez-vous nous détailler les stratégies que mettent en place certains exploitants pour contourner leurs responsabilités en matière de dépollution ? Quelles seraient les pistes d'amélioration à envisager afin de les prévenir ?
Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite, et dites « je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. José Caire et Benjamin Roqueplan prêtent serment.
M. José Caire, directeur « Villes et territoires durables » de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. - Je souhaite rapidement resituer l'intervention de l'Ademe dans cette problématique.
Il s'agit surtout d'une intervention de type « pompier ». Elle n'intervient que sur demande de l'État, et ne prend aucune initiative propre dans ce domaine. Il s'agit d'une intervention opérationnelle de mise en sécurité en cas de menace grave pour les populations et l'environnement. Ce terme est régulièrement confondu avec les notions de dépollution ou de remise en état.
L'Ademe n'intervient que lorsque le responsable de site est dit « défaillant ». Son domaine d'intervention est précis et restreint sur la problématique des sols pollués.
M. Benjamin Roqueplan, chef de service adjoint « Sites et sols pollués » de l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. - La notion de mise en sécurité, sur laquelle se concentre l'action de l'Ademe, est définie par le code de l'environnement. Elle renvoie à différentes opérations : l'évacuation de produits dangereux, les interdictions ou limitations d'accès au site, la suppression des risques d'incendie et d'explosion, la surveillance des effets de l'installation sur son environnement ainsi que l'ensemble des mesures nécessaires pour placer le site dans un état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts visés dans ledit code, comme la commodité du voisinage, la santé, la sécurité, la salubrité publique, l'agriculture... L'ensemble des études et des travaux de dépollution menés par l'Ademe sur les sites qui lui sont confiés par l'État le sont au titre de ces opérations.
La remise en état va plus loin. Elle comprend la mise en sécurité, mais également l'ensemble des travaux permettant un usage futur du site. L'Ademe se concentre sur la mise en sécurité.
La notion de défaillance évoquée précédemment vise un manquement constaté aux obligations du responsable, au titre de la législation ICPE. Elle trouve la plupart du temps son origine dans l'insolvabilité de la société. Dans de très rares cas, le responsable refuse délibérément d'obtempérer aux injonctions de l'administration.
Nous disposons aujourd'hui d'un portefeuille de 221 dossiers en cours. Leur nombre a augmenté de manière significative sous l'effet du Grenelle de l'environnement en 2009. Nous en comptions à l'époque 70, et 270 aux alentours de 2014-2015. Une décroissance s'est opérée au cours des dernières années et depuis, leur nombre s'est stabilisé autour d'un peu plus de 220.
Avant 2009, notre budget avoisinait les 8 à 10 millions d'euros. Il a depuis augmenté significativement pour atteindre un peu moins de 30 millions d'euros en 2012. Depuis 2014, il s'est stabilisé autour de 20 millions d'euros annuels.
M. José Caire. - Les 221 dossiers mentionnés représentent les sites sur lesquels nous avons été missionnés par l'État. Ils ne donnent pas une vision globale du sujet. Nous intervenons en quelque sorte sur un échantillon de sites.
M. Benjamin Roqueplan. - Aujourd'hui, il nous est très difficile d'anticiper les situations de défaillance et de sites qui pourraient présenter une menace grave. Nous sommes sollicités par l'État, en l'occurrence par les Dreal au travers de leurs actions de police de l'environnement lorsqu'ils constatent des menaces graves pour les populations et l'environnement, associées à une défaillance. L'administration fait alors appel à l'Ademe pour réaliser un chiffrage et des propositions techniques. Nous n'avons aucune visibilité au-delà de l'année en cours.
Vous souleviez un point sur les créances et les procédures. Notre action en la matière se déroule en deux temps. À l'exécution des prestations, nous notifions et déclarons nos créances auprès du responsable, lorsqu'il est identifié. Cette action nous permet de recouvrer environ 5 % des montants engagés en dépenses. Si ces actions demeurent infructueuses, nous pouvons engager des actions en justice, lorsque nous le jugeons opportun. Je rappelle que dans l'immense majorité de nos interventions, la défaillance est liée à une insolvabilité de la société, ce qui explique ce faible taux de recouvrement, qui représente tout de même environ un million d'euros par an.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Messieurs, merci pour vos exposés.
Permettez-moi de m'interroger sur la qualité des prestations des sociétés auxquelles vous confiez le soin d'assurer les opérations de dépollution.
Avez-vous toujours été satisfaits de la qualité de ces opérations de dépollution ? Je pense notamment à certains sites des anciennes mines de Salsigne. Vous en avez confié la dépollution au BRGM, avec lequel vous avez passé une convention. Au regard des contaminations successives aux inondations et aux épisodes venteux à répétition, pouvons-nous considérer que les objectifs en termes de mise en sécurité ont été remplis ? Qui est responsable de l'échec du confinement des déchets : l'Ademe, en tant que maître d'ouvrage, ou le BRGM ?
Pourriez-vous par ailleurs nous préciser l'investissement de l'Ademe dans la réhabilitation des anciennes friches industrielles ? Auriez-vous des exemples de solutions innovantes illustrant la manière dont il serait possible de leur donner une seconde vie ? Quels sont selon vous les principaux obstacles dans le montage et la réalisation des projets de reconversion de friches polluées ?
Enfin, quel regard portez-vous sur les opérations ayant consisté, pour certaines collectivités, à céder pour un euro symbolique des terrains pollués et abandonnés à des sociétés de réhabilitation. En contrepartie, ces dernières s'engageaient à en assurer la dépollution et la réhabilitation. Devons-nous répliquer ce modèle ? Ne prenons-nous pas le risque de ne pas maîtriser l'usage futur de ces terrains cédés pour une bouchée de pain ? Comment s'assurer que les nouveaux usages resteront compatibles avec un aménagement durable du territoire ?
Quel est votre process dans la sélection de sociétés auxquelles vous souhaitez confier ces opérations de dépollution ?
M. José Caire. - Concernant la qualité des prestations des sociétés que nous faisons intervenir, nous respectons les dispositifs prévus par les réglementations du code des marchés publics. Nous procédons à des consultations avec cahier des charges. Nous disposons d'une commission des marchés publics. Les prestataires sont choisis ainsi, après une mise en concurrence. Ils respectent une norme de qualité. Nous en sommes globalement satisfaits.
Nous appliquons le code des marchés : si certaines prescriptions ne sont pas respectées, nous appliquons les clauses de pénalité ou de mise en conformité. Nous devrons revenir en détail sur le sujet des mines de Salsigne, puisque l'Ademe n'a jamais commandé de prestation au BRGM. L'Ademe n'a pas de convention avec le BRGM. Une certaine confusion demeure entre notre domaine d'intervention et celui du BRGM sur ce site.
M. Benjamin Roqueplan. - Effectivement, certains pensent que Salsigne représente un unique site. Or il s'agit d'une multiplicité de sites, comme vous le savez certainement. L'Ademe a été missionnée uniquement sur le site de La Combe du Saut afin de démanteler et mettre en sécurité l'ancien four de pyrométallurgie. S'y est ajouté l'enlèvement de quelques milliers de tonnes de déchets, que nous avons confinés. Ce confinement est bien distinct de celui qui a été mis en place par la société MOS (Mines d'or de Salsigne) ayant exploité les mines jusqu'en 2004. C'est bien ce dernier qui est régulièrement remis en cause dans la presse.
Il n'y a pas de lien entre l'Ademe et le BRGM. Notre intervention sur le site s'est terminée en 2010, et a été suivie par un programme de recherche jusqu'en 2012, afin de procéder à une évaluation. Ensuite, l'État a jugé pertinent de ne conserver qu'un seul opérateur public sur site. Compte tenu de l'implication du BRGM en termes de suivi sur les autres mines, c'est lui qui a pris la suite de l'Ademe pour la maintenance et la surveillance du site de La Combe du Saut. Aucune délégation ou convention n'a jamais été passée entre ces deux opérateurs. C'est bien l'État qui a missionné le BRGM pour cette intervention.
M. José Caire. - Nous intervenons dans un autre domaine : le soutien à la reconversion d'anciennes friches industrielles polluées. Nous avons pour habitude d'identifier trois familles de sites. Tout d'abord, certains sites sont situés dans des contextes urbains permettant à l'opération économique d'avoir toutes les chances d'aboutir, puisque le prix des terrains est élevé ou que le marché immobilier est actif et rémunérateur. Des reconversions sont alors possibles. À l'autre bout du spectre, certaines reconversions sont extrêmement difficiles, voire impossibles, du fait du coût de remise en état des terrains ou du manque de dynamisme du marché. Enfin, nous rencontrons dans une zone intermédiaire des opérations possibles si elles sont un peu soutenues. L'Ademe intervient sur ce troisième cas, avec une aide à la dépollution de ces sites, de manière à en faire des opérations économiquement réalisables. Des appels à projets annuels ou bisannuels nous permettent d'aider trois, quatre ou cinq sites chaque année. Nous y consacrons un budget de l'ordre de deux à trois millions d'euros par an. Un site peut recevoir une aide atteignant au maximum 500 000 euros. Depuis 2009, une centaine de sites ont ainsi pu être soutenus. Leurs usages ont été pensés en adéquation avec la qualité des sols après intervention.
M. Benjamin Roqueplan. - Les solutions étudiées visent avant tout à donner un modèle économique à ces friches, qui sont à ce jour hors marché. La question centrale porte donc sur les financements. Notre activité de recherche et développement nous permet de mener des travaux sur le sujet afin de donner une seconde vie à ces sites.
M. José Caire. - Lorsque les sols sont pollués, il est vivement conseillé de réaliser une étude approfondie, avec de nombreux sondages. Malgré tout, nous ne pouvons constater l'état réel du sol que le jour où nous creusons la zone vraiment polluée. Il y a donc toujours une prise de risque.
L'un de nos enjeux serait de mettre en place, à un coût raisonnable, un système de garantie permettant de couvrir ces risques. Aujourd'hui, si une société s'engageant dans une restructuration fait une mauvaise découverte, son budget en sera impacté.
Nous pouvons évoquer la question des usages. Traditionnellement, les projets sont situés en milieu urbain, et bien desservis. Il s'agit bien souvent d'opérations d'aménagement au travers de logements ou d'espaces verts urbains. Nous nous intéressons à des utilisations de type « renaturation ». Les questions de présence de nature en ville sont en effet de plus en plus présentes. Les espaces verts en milieu urbain peuvent être tout à fait intéressants en situation de canicule. Il existe également des solutions de production d'énergies renouvelables, notamment du photovoltaïque ou de la production de biomasse sous certaines conditions. Nous essayons d'explorer ces nouveaux usages au travers de notre appel à projets.
M. Benjamin Roqueplan. - Le prix du foncier est lié au marché du foncier local, et à l'état du site dont la présence de bâti ou non, la vétusté, la présence éventuelle d'amiante, la pollution des sols et, le cas échéant, des eaux souterraines. Dans certains cas, nous constatons que son coût de remise en état est très nettement supérieur à sa valeur intrinsèque, lui donnant une valeur négative. De ce fait, la vente à l'euro symbolique ne nous choque absolument pas.
M. José Caire. - Le coût de remise en état doit être absolument pris en compte.
M. Benjamin Roqueplan. - La méthodologie nationale des sites pollués prévoit, lors d'un changement d'usage, que le porteur de projet procède systématique à des études rendant compatibles l'usage futur du site et la qualité des terrains.
En cas de nécessité, des restrictions d'usage peuvent être instituées, de façon à garder la mémoire de pollution résiduelle dans certaines zones du site, ou à interdire des excavations dans ce secteur. Des restrictions peuvent également concerner l'usage des eaux souterraines. Peuvent également intervenir des prescriptions en matière constructive de façon à ce que soit mis en place un vide sanitaire. Un arsenal de mesures peut être mis en oeuvre pour gérer le passif de ces sites et en permettre un usage futur en adéquation avec la qualité des milieux.
M. Laurent Lafon, président. - Nous cherchons, dans cette commission d'enquête, à clarifier la chaîne des responsabilités dans la prévention et la gestion des risques sanitaires et écologiques de l'exploitation passée d'un site industriel ou minier. De votre point de vue, la réglementation vous semble-t-elle suffisante, ou existe-t-il des angles morts et des insuffisances ?
De plus, notre pays continue de disposer d'exploitations minières en activité, notamment en outre-mer. Quelle évaluation faites-vous de la prévention des risques sanitaires et écologiques dans les territoires ultramarins ?
Enfin, vous évoquiez 221 dossiers en cours. Le nombre de 80 dossiers en attente nous a été communiqué. Est-il exact ? Combien coûte en moyenne une mise en sécurité ? Combien en traitez-vous par an grâce à votre budget de 20 millions d'euros ?
M. Benjamin Roqueplan. - Nous intervenons sur une trentaine de nouveaux sites par an - avec une équivalence en achèvement d'intervention - représentant chacun un budget de quelques dizaines de milliers d'euros à plus d'un million d'euros. Le montant total de l'intervention à Salsigne avoisinait par exemple les 24 millions d'euros pour des travaux exécutés il y a un peu plus de quinze ans. Le panel d'intervention est très divers, tant en volume d'activité qu'en nature : enlèvement de déchets dangereux, contrôle de qualité de milieu, dépollution ou encore démolition. Le pas de temps des interventions est lui aussi très divers, des actions de surveillance pouvant s'étaler sur quatre ans quand un enlèvement de déchets peut nécessiter un mois.
Les 80 dossiers que vous évoquiez représentent certainement les identifications remontées chaque année par les Dreal auprès de la direction générale de la prévention des risques (DGPR). Ces sites potentiels identifiés font l'objet d'une demande de première visite de l'Ademe, afin d'identifier s'ils remplissent les conditions d'entrée dans le dispositif de mise en sécurité de sites orphelins. Ce sont donc des sites potentiels, n'ayant pas encore fait l'objet de visites. Le croisement des expertises des DREAL et de l'Ademe déterminera la suite à donner aux dossiers.
Nous n'avons aucune compétence en matière d'exploitations minières en outre-mer. Sur les 350 sites sur lesquels nous sommes intervenus au cours des vingt dernières années, le domaine minier a représenté cinq à six interventions. Nous intervenons systématiquement après la phase de cessation d'activité, ou du moins après le constat de défaillance de l'exploitant dans la mise en sécurité du site.
M. José Caire. - La réglementation des installations classées (ICPE) constitue notre cadre d'intervention. Les sites miniers sur lesquels nous sommes intervenus comportaient des ICPE.
M. Benjamin Roqueplan. - À Salsigne, la mise en sécurité du four a amené l'État à faire appel à l'Ademe.
Notre champ d'intervention est très restrictif. Nous n'intervenons que dans des cas de défaillance constatée et de menace grave. Nous ne portons pas un regard global sur l'ensemble des cas de pollution de sols à l'échelle nationale.
Au travers de nos actions, nous constatons que la mise en oeuvre des recherches de responsabilité de la part de l'administration est systématique avant la saisie de l'Ademe. Après constat de la défaillance de l'ensemble des responsables, qui peuvent être le dernier exploitant, le propriétaire du site, la société mère ou le producteur de déchets, l'Ademe est missionnée par l'État. Il n'existe qu'un cas dérogatoire à cette mécanique, en situation d'urgence impérieuse. Nous sommes alors missionnés dans des délais d'intervention beaucoup plus courts, ne permettant pas de mener l'ensemble des procédures à leur terme.
Dans l'exécution de nos actions de recours, nous rencontrons notamment des difficultés vis-à-vis des propriétaires et des sociétés mères.
M. José Caire. - Nous aimerions améliorer le taux de recouvrement de 5 % évoqué précédemment, qui mériterait d'être nettement plus élevé.
Mme Sonia de la Provôté. - J'aimerais évoquer les conventions Duflot et la vente de patrimoine de l'État, parfois anciennement utilisé à des fins militaires, pour un euro symbolique moyennant la mise en place dans les coeurs de ville d'une proportion importante de logements sociaux. Vous avez souligné l'importance d'une garantie pour la prise de risque. Dans ces situations, elle n'est pas du tout prise en compte.
Il serait peut-être possible de s'appuyer sur une évolution de ce type de convention, pour que l'État montre la voie et innove, afin que cette prise de risque soit également acceptée par le propriétaire. Rappelons que dans cette situation, l'État est propriétaire. J'ai pu suivre quelques dossiers ayant montré de nombreuses surprises. Peut-être pourriez-vous innover avec plusieurs interlocuteurs dans la contractualisation avec l'État ?
Concernant l'innovation, je voudrais vous interroger sur le traitement des terres polluées et les évolutions dans ce domaine. Nous avons considéré pendant de nombreuses années que nous pouvions les envoyer à l'étranger. Nous cherchons des solutions alternatives depuis trop peu de temps. Vous ne les avez pas citées. Pourtant, dans notre traitement des questions de dépollution, un certain nombre de projets et d'aménagements sont rendus parfaitement viables économiquement. Cette question est-elle suivie dans vos appels à projets ? Avez-vous l'intention de lui donner une dimension supplémentaire ?
M. Pascal Savoldelli. - Nous rencontrons un réel problème de définition des déchets. Comme l'a souligné ma collègue, nous envoyons des terres en Belgique et aux Pays-Bas, où elles font l'objet d'une réutilisation. Vous nous avez précisé que votre champ d'intervention se cantonnait à la remise en sécurité. Cependant, quelles sont vos idées face à cette problématique ?
Vous évoquiez un budget de 30 millions d'euros en 2012, redescendu à 20 millions d'euros depuis 2014. Les 10 millions d'euros de différence ont-ils été réaffectés autrement ?
Vous nous indiquez que vous intervenez sur la mise en sécurité. Devons-nous faire évoluer ce concept ? Quelle est la marge de différence entre la mise en sécurité et la conformité ? Dans le Val-de-Marne, les Ardoines et Ivry Confluences sont des sites industriels en reconversion. Rassemblés, ils représentent le plus grand projet de reconversion industrielle d'Île-de-France. Que pouvons-nous faire évoluer ? Cela pèse fortement sur les projets d'aménagement des collectivités territoriales. Certains élus se positionnent sur des reconversions de sites industriels pour d'autres aménagements mêlant activité privée et gestion de l'espace public. Les surcoûts de mise en conformité sont alors exorbitants. Que faire dans ce domaine ?
Enfin, j'ai une dernière question, sans savoir si elle vous concerne réellement. J'ai appris qu'il y avait des problèmes de certification officielle des dépollueurs. J'aimerais m'assurer que la possibilité de faire n'importe quoi n'est pas laissée à n'importe qui.
Mme Brigitte Lherbier. - Vous évoquiez une centaine de mises en sécurité. Ce chiffre, bien que positif, me semble assez faible sur l'ensemble du territoire. J'ai compris que moins les sites étaient pollués, meilleure était la situation. Comment devons-nous dans ce cas agir face aux sites extrêmement pollués ? Ils me semblent prioritaires.
Vous avez mentionné des actions en justice pour récupérer de l'argent. J'aimerais que la priorité porte sur la façon d'intervenir sur le plus grand nombre de sites possibles, en faisant intervenir les propriétaires et les collectivités, mais surtout l'État afin de dépolluer un maximum de sites sur le territoire. La situation devient, à mon sens, dramatique.
De plus, les universités sont-elles aspirées dans les appels à projets que vous évoquiez ? Je suis certaine qu'un grand nombre d'étudiants et de doctorants seraient utiles pour nous tous, et apporteraient un regard frais à cette situation. Certes, chaque acteur pense à sa rentabilité. Toutefois, le Sénat doit porter un regard extérieur dans l'objectif de dépolluer un maximum de sols français le plus rapidement possible.
M. Alain Duran. - Vous avez évoqué votre portefeuille comptant 221 sites. Vous en accueillez chaque année une trentaine de nouveaux, et intervenez sur le même nombre sur demande de l'État. Aujourd'hui, l'enveloppe de 20 millions dont vous disposez est-elle suffisante ? Le faible nombre de dossiers traités chaque année est-il causé par le montant de ce budget accordé ?
M. José Caire. - Les coûts de dépollution sont frappants. Il est révoltant de constater le décalage entre l'origine de la pollution, pouvant résulter d'une simple négligence - comme, par exemple, la fuite d'une machine dans un pressing pendant des années et qui a imbibé le sol de trichloréthylène -, et le coût de la recherche du polluant dans le sol, requérant des techniques pointues très coûteuses.
Dans la plupart des cas, il est illusoire d'imaginer qu'il serait possible de revenir à l'état d'origine du site. La logique que nous suivons est la suivante : quel montant sommes-nous prêts à engager, et quels sont nos savoir-faire techniques, pour revenir à l'état le plus souhaitable possible ? La dépollution est compliquée. Nous sommes loin de maîtriser complètement le sujet.
Concernant les universités, un volet de recherche et développement important concerne la dépollution des sols. L'Ademe est active et anime de manière structurante la recherche sur ce sujet en France. Nous avons animé au mois de novembre les rencontres nationales de la recherche, et finançons des programmes de recherche. Plusieurs années sont nécessaires pour mettre au point les techniques de dépollution, qu'il s'agisse de physique, de chimie, ou encore de phytoremédiation. Si des jeunes sont intéressés, les débouchés sur le sujet sont nombreux. Ils sont d'ailleurs présents dans nos projets.
Nous sommes l'un des principaux financeurs de la recherche sur les sols pollués en France, à hauteur de deux millions d'euros par an. Le travail est conséquent. En matière de dépollution, il ne suffit pas de passer un coup de bulldozer pour rendre à un terrain son état d'origine. De nombreux sondages sont nécessaires afin de comprendre ce qu'il se passe dans le sol.
La notion de mise en sécurité est très conditionnée par ces aspects. Nous pourrions par exemple adapter les curseurs et demander une intervention lorsque la menace est moins grave. Dans ce cas, nous traiterions davantage de dossiers, ce qui nous coûterait plus cher. Des arbitrages financiers doivent être réalisés, ce qui est très prégnant. Nous essayons de réaliser une expertise pointue afin d'identifier les sources de pollution, et ainsi intervenir au bon endroit dans le sol, sans tâtonner. Notre enjeu est de savoir dépenser l'argent public au meilleur endroit pour dépolluer le plus efficacement possible.
Concernant l'utilisation des terres, la réutilisation et le traitement sur place ne sont pas innovants pour l'Ademe.
M. Benjamin Roqueplan. - Nous distinguons trois familles de traitement : in situ, où nous laissons les sols en place, sur site, où nous sortons les sols que nous traitons sur la parcelle, et enfin hors site. Il existe, vous l'avez mentionné, des filières d'envoi à l'étranger, mais également en France.
Nous privilégions des modalités d'intervention in situ ou sur site, mais nous sommes parfois dans l'obligation d'envoyer les sols hors site. Au travers de notre appel à projets, nous soutenons des opérations dites exemplaires. Nous visons notamment l'exemplarité technique, en favorisant les porteurs de projet visant un projet in situ, ou a minima sur site.
Un travail de recherche et développement important est mené. Nous animons et orientons fortement la recherche au niveau national.
Mme Sonia de la Provôté. - J'estime qu'il sera nécessaire d'afficher des principes de base. Nous sommes tout de même sur un rapport de un à trois au niveau des coûts. C'est par exemple le cas de friches aéroportuaires. Des millions d'euros sont en jeu. Je considère que nous devons passer le cap de la recherche et développement et de l'innovation. Au stade où nous en sommes, nous devrions moins tâtonner, et innover sur d'autres sujets.
M. Benjamin Roqueplan. - Un certain nombre de techniques in situ sont aujourd'hui très robustes, et fonctionnement parfaitement - le venting/sparging, le traitement thermique... L'objet est plutôt, à ce jour, de les optimiser, les contrôler et les suivre.
Le traitement thermique, le phytomanagement et autres techniques biologiques sont aujourd'hui parfaitement opérationnels et mis en oeuvre. Les délais de ces techniques peuvent toutefois pousser l'aménageur à privilégier un envoi hors site des sols.
Mme Sonia de la Provôté. - Je note un problème législatif de définition sur la notion de site. À l'échelle d'une intercommunalité, certains peuvent estimer qu'il s'agit d'un site entier, et donc se considérer comme vertueux en cas de réemploi. Une réflexion doit être menée à ce sujet.
M. José Caire. - À l'échelle d'une agglomération, il arrive effectivement qu'une plateforme de traitement soit mise en place pour accueillir et réutiliser les terres.
M. Benjamin Roqueplan. - Concernant l'enveloppe, nous adressons une demande de budget à l'administration en nous basant sur le prévisionnel observé à mi-année. Elle est donc directement en lien avec les demandes exprimées au regard des sollicitations de la part des Dreal.
M. José Caire. - L'enveloppe peut être revue à la hausse ou à la baisse en fonction des circonstances. Il y a quelques années, l'intervention sur un site important a coûté 19 millions d'euros. Le ministère les a versés, puisque l'évacuation du tas de déchets qui brûlaient était impérative. À l'inverse, il a pu nous arriver certaines années de rendre de l'argent, car certaines opérations avaient pris du retard.
La régulation se fait en amont, au niveau de la DGPR, à partir des éléments dont elle dispose. En cas de besoin imprévu, elle a toujours fait face en termes de financement.
M. Benjamin Roqueplan. - Pour traiter un site pollué, il est indispensable de procéder de façon itérative, et de produire des études robustes, qui demandent du temps. Si nous nous intéressons aux eaux souterraines par exemple, nous devons les observer en période de hautes et basses eaux, ce qui représente déjà une année d'observation. Il est généralement nécessaire de poursuivre sur une deuxième année. Nous avons besoin d'acquérir de nombreuses connaissances. L'ensemble de ces études peut durer plusieurs années, mais donne un maximum de chances de réussir la dépollution. Entre la sollicitation reçue et la sortie du site de notre portefeuille après sa mise en sécurité, il se déroule en général plusieurs années.
M. Pascal Savoldelli. - J'ai bien compris le mécanisme de constitution de l'enveloppe. Néanmoins, vous avez mentionné un abondement de l'État pour mise en sécurité en cas de péril.
Quels ont été, lors de ces dix dernières années, les sites hors de cette enveloppe ayant fait l'objet d'une ouverture de crédits par l'État pour mise en sécurité. Nous devons avoir la garantie que ce qui était considéré comme « mise en péril avec danger de sécurité » soit évalué de la même manière sur l'ensemble du territoire. L'enjeu est extrêmement important.
M. Benjamin Roqueplan. - Le sujet de la conformité est important. Dans la réglementation française, il n'existe à ce jour aucun objectif de valeur dans la teneur des sols concernant tel ou tel polluant, contrairement à ce qui peut être observé pour les eaux ou l'air. La politique de gestion dépend en réalité des usages du site, qui détermineront le degré d'exigence en matière de dépollution. L'objectif de mise en sécurité reste en revanche le même sur l'ensemble du territoire : placer le site dans un état tel qu'il ne représente plus de risque pour l'environnement ou les riverains.
Nous pouvons orienter nos études lorsqu'un porteur de projet identifié a déjà une idée de l'utilisation future du site, et si nous pouvons apporter un petit soutien à la dépollution, nous n'allons bien sûr pas nous en priver. Dans la majorité des cas auxquels nous sommes confrontés, l'usage futur n'étant pas connu, nous nous arrêtons à la mise en sécurité.
M. José Caire. - Nous partageons avec le ministère une grille de critères d'analyse pour conclure de la gravité de la menace, et donc de l'intervention ou non de l'Ademe.
M. Benjamin Roqueplan. - Au travers de notre action, nous cherchons à assurer une seconde vie au site. Un système d'aide permet, lorsqu'un porteur de projet est identifié, de lui confier la mise en sécurité, pouvant être financée jusqu'à 100 % par l'Ademe sur la partie « mise en sécurité ». Nous essayons de favoriser par tous les moyens la reconversion du site.
M. Didier Mandelli. - Ma question peut paraître marginale, et concerne les boues de dragage des ports maritimes. Il en existe un stock important. Avez-vous eu à intervenir sur ce genre de sujet, préoccupant un certain nombre de régions ?
M. Joël Bigot. - Vous évoquiez précédemment la possibilité d'un soutien à la reconversion dans la réhabilitation des friches, via un appel à projets. S'agissant d'un soutien de l'Ademe, j'imagine que celle-ci examine et retient les projets en fonction de leur qualité environnementale. Or j'ai cru comprendre que les régions souhaitaient s'emparer de certaines missions qui vous sont pour l'instant réservées. J'aimerais savoir si la décision est partagée, ou si elle vous revient pleinement in fine.
Enfin, pourriez-vous nous donner un exemple de solution innovante concernant le travail sur le financement ?
M. Laurent Lafon, président. - J'avais compris qu'il existait des valeurs de référence. Pourtant, vous venez d'indiquer que la notion de conformité s'appréhendait selon l'usage du site. Existe-t-il alors des valeurs différentes selon l'usage futur du site ? Et quelles sont nos garanties quant à la pérennité de cet usage ?
M. Benjamin Roqueplan. - Il existe en effet des valeurs de référence dans l'air ou dans l'eau. S'agissant des sols, l'approche retenue est une approche de calculs sanitaires. Elle permet d'établir les objectifs à atteindre au niveau des sols et des eaux souterraines afin de garantir le respect des valeurs au sein d'une habitation, par exemple.
Les objectifs seront déclinés au cas par cas dans le cadre d'un projet de dépollution. Ils ne sont pas les mêmes sur l'ensemble du territoire, du fait de la diversité de la géologie, ou de la différence des occupations des sols - en milieu urbain ou en zone avec une faible densité d'habitations par exemple. Les cas de figure sont très divers.
M. Laurent Lafon, président. - Qui décide de ces objectifs ?
M. Benjamin Roqueplan. - L'Ademe intervient dans un cadre très particulier de défaillance associée à une menace grave. Dans l'immense majorité des cas, un dialogue a lieu entre la Dreal, l'inspecteur des installations classées et l'exploitant du site en fonctionnement. L'essentiel du traitement des questions de sols pollués se produit du temps de l'exploitation du site. Le préfet dispose de tous les moyens pour imposer la réalisation d'études et de travaux en cas de nécessité. La situation est plus compliquée en cas de cessation d'activité. Dans de très rares cas, l'intervention de l'Ademe devient impérative.
M. José Caire. - Concernant les valeurs de référence, celle du trichloréthylène est par exemple la valeur dans l'air respiré. Elle peut être atteinte avec des concentrations différentes dans les sols, en fonction de leur géologie. Certains sont plus perméables que d'autres.
M. Benjamin Roqueplan. - Les solutions adoptées seront totalement différentes selon les configurations auxquelles nous ferons face.
Certains cas exigeront une dépollution pour en retirer la source, d'autres peuvent entraîner la mise en place de mesures constructives en travaillant sur le bâti, en étanchéisant une dalle ou en travaillant sur l'extraction d'air d'une habitation, par exemple. Les solutions sont nombreuses et doivent être adaptées à la typologie du site.
Les sédiments n'entrent pas dans le champ d'intervention du service en charge des sites pollués.
M. José Caire. - Nous avons essayé d'approcher le sujet avec les investissements d'avenir au titre de la recherche. Aucun projet déposé n'a prospéré.
M. Benjamin Roqueplan. - Nous ne ressentons aucune concurrence des régions, au contraire : nous nous réjouissons de les voir s'emparer du sujet. Certaines, dont le Grand-Est, l'Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes et la Nouvelle-Aquitaine, sont motrices sur le sujet. Nous participons dans certains cas à leurs travaux, en appartenant par exemple au comité de sélection. Nous disposons même de modalités de financement croisées au travers de ces dispositifs. En plus de notre appel à projets national, nous nous investissons dans des appels à projets régionaux.
M. José Caire. - Nous avons en particulier travaillé sur une idée simple avec les Hauts-de-France : chaque maître d'ouvrage paierait une cotisation d'assurance, le couvrant dans le cas où un risque surviendrait. Nous y avons trouvé une complexité administrative et financière ne nous ayant pas permis de conclure ce dispositif. Nous n'avons à ce jour pas trouvé de solution opérationnelle.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je souhaiterais obtenir des précisions concernant l'exploitation de Salsigne et votre relation avec le BRGM.
Il était fait état d'une convention entre l'Ademe et le BRGM dans un rapport de surveillance de ce dernier pour la période 2007-2010, rendu au préfet de l'Aude. Il semblerait que cette relation a existé. Je demande donc davantage de clarté sur ce sujet.
M. José Caire. - Nous vous préciserons par écrit que l'Ademe n'a jamais confié, par convention depuis le 1er janvier 2009, l'entretien des installations et la surveillance au BRGM.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Lorsque vous menez vos processus, comment vous articulez-vous avec les autres services de l'État en cas de précautions à prendre sur la santé ? Je pense par exemple aux écoles maternelles à déplacer, aux stades n'étant plus utilisés, ou à d'autres sites n'étant plus en activité. Opérez-vous au cas par cas, ou suivez-vous une procédure ?
Il arrive que des sites en cessation d'activité subissent une réactualisation due à la prégnance de la pollution immédiate. C'est le cas de Salsigne, où les élus sont démunis face à des infrastructures à remettre en état, des jardins devenus non utilisables, et surtout des enfants ayant été affectés par cette pollution. La pollution est quelque chose qui vit, et se développe au jour le jour. Nous devons en établir la cartographie.
M. José Caire. - Nous parlions tout à l'heure de menace grave pour l'environnement et la santé. Nous sommes donc bien dans le périmètre de l'Ademe. Je rappelle que nous n'intervenons que sur sollicitation de l'État, et que nous avons quitté le site de Salsigne il y a dix ans.
M. Benjamin Roqueplan. - L'Ademe intervient sur arrêté préfectoral. Traditionnellement, face à des situations sensibles telles que celle que vous venez d'évoquer, le préfet nous réunit avec ses équipes. Nous avons un rôle de production de données et de propositions. Il revient aux autorités sanitaires de prendre les décisions qui s'imposent.
M. José Caire. - Concrètement, nous devons émettre des propositions d'intervention permettant d'atteindre les seuils définis par les autorités de santé. Nous n'avons pas à définir les objectifs de santé.
M. Laurent Lafon, président. - Merci pour les réponses que vous avez apportées à nos questions orales et que vous apporterez à notre questionnaire écrit. Au terme de notre processus, nous aurons peut-être besoin de vous revoir.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 45.
Mercredi 26 février 2020
- Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La réunion est ouverte à 16 h 45.
Audition de Mme Michèle Rousseau, présidente-directrice générale du bureau de recherches géologiques et minières
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons aujourd'hui nos travaux par l'audition de Mme Michèle Rousseau, présidente-directrice générale du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).
Le BRGM compte, parmi ses missions, la sécurité minière et la gestion de l'après-mine. À ce titre, il assure pour le compte de l'État la mise en sécurité des ouvrages miniers lorsque l'exploitant est défaillant ou disparaît. Il alimente également le renseignement minier qui doit permettre, notamment, d'informer le potentiel acquéreur d'un terrain de l'exploitation passée du sous-sol de ce terrain par l'industrie extractive.
À cet égard, il sera intéressant, Madame la présidente-directrice générale, que vous nous éclairiez sur la capacité de l'État à recenser de façon exhaustive les anciens sites miniers et à identifier ceux qui présentent un risque de pollution des sols. Des cas nous ont en effet été rapportés de terrains acquis par des particuliers ou des collectivités territoriales et pour lesquels des diagnostics des sols n'ont révélé que plus tard qu'ils avaient été pollués en raison d'une activité minière. Survient alors une situation pour le moins étrange où c'est le particulier propriétaire qui doit en assurer la dépollution alors que son information, au moment de l'acquisition, était tronquée.
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Michèle Rousseau prête serment.
Mme Michèle Rousseau, présidente-directrice générale du bureau de recherches géologiques et minières. - Le BRGM est un établissement public industriel et commercial (EPIC) crée en 1959 sous la tutelle du ministère de l'industrie. Il s'occupait, à l'époque, de cartes géologiques, d'un côté, et d'inventaires miniers d'explorations minières réalisées essentiellement en Afrique, de l'autre. En tant que service géologique national, il s'occupe bien sûr toujours des cartes. Concernant la partie minière, il a eu un grand passé d'explorateur minier jusqu'au début des années 80. Il n'a été que rarement exploitant. Puis son activité fluctue. En 1998, il passe sous tutelle principale du ministère de la recherche. Depuis 2004, le BRGM est sous tutelle des ministères de la recherche, de l'écologie et de l'industrie, la tutelle de ce dernier ministère devenant très discrète.
Le BRGM dispose d'un effectif d'environ 1 000 personnes dont 750 basées au siège, à Orléans. Nous sommes présents dans toutes les régions et dans les départements d'outre-mer. Notre activité concerne la recherche et l'expertise, à part égale. Les sites et sols pollués représentent environ 10 % des activités du BRGM et l'après-mine environ 20 %. L'après-mine consiste dans la gestion pour le compte de l'État des anciens sites miniers qui ont été rendus à l'État. Le département prévention et sécurité minière (DPSM) est chargé de la surveillance d'environ 1 600 objets et de la réalisation de travaux. Il dispose d'un budget d'environ 30 millions d'euros, par an, dont huit millions d'euros pour les travaux et le reste pour la surveillance.
Nous déclinons les sciences de la terre avec tous ses enjeux sociétaux.
Concernant l'information que donne le BRGM sur l'état des sols et l'inventaire des sols ayant accueilli des activités minières, cela relève de Geoderis qui est un groupement d'intérêt scientifique (GIS) constitué pour moitié d'effectifs du BRGM et pour l'autre moitié d'effectif de l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris). Geoderis apporte à l'État et, en particulier, aux directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et aux collectivités territoriales son appui technique en matière d'après-mine. Cette activité s'exerce sur les ordres de l'État et est financé à 100 % par le ministère de l'écologie.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Nombreux sont les élus locaux à réclamer une plus grande réactivité des autorités de l'État dans la surveillance des sites miniers, en particulier ceux dont les dépôts de déchets présentent des failles en termes de confinement. Existe-t-il un mécanisme permettant aux responsables de collectivités territoriales d'alerter directement le BRGM en cas de doute sur la sécurité d'un site minier et de requérir son intervention dans les meilleurs délais ? Ou seul l'État, via le préfet, peut-il saisir le BRGM ? D'une façon générale, quelles sont les pistes d'amélioration à envisager afin de mieux répondre aux inquiétudes exprimées tant par les riverains que par les élus locaux dans la mise en sécurité des sites miniers face aux risques naturels et climatiques ?
Par ailleurs, lorsque le BRGM doit intervenir pour assurer la sécurité et la dépollution d'un site, parfois en urgence, prend-il systématiquement le soin a posteriori de se retourner vers l'exploitant afin d'obtenir au moins un remboursement partiel des frais engagés ? Les procédures engagées en ce sens sont-elles couronnées de succès ? Avez-vous observé, de la part d'exploitants miniers, la mise en place de stratégies leur permettant d'échapper à leurs responsabilités en matière de dépollution et de remise en état du site après son exploitation ?
Toujours sur le sujet de la responsabilité, lorsque l'exploitant a disparu ou est insolvable, ou que la pollution des sols n'est découverte que bien trop tard, comment peut-on envisager d'indemniser un dommage minier avec des conséquences sanitaires ou écologiques ? L'État semble considérer qu'il n'a pas à indemniser au motif que c'est l'exploitant qui est responsable : mais comment fait-on lorsque l'exploitant est introuvable ou défaillant et ne peut indemniser ?
Enfin, au regard des difficultés dans la réhabilitation de certains sites miniers, la réforme du code minier ne doit-elle pas être l'occasion de faire évoluer notre politique de gestion de l'après-mine ? Cette question me tient particulièrement à coeur eu égard au département auquel j'appartiens. Dans l'Aude, cette question vient de se poser suite aux inondations auxquelles nous avons été confrontés tant pour la pollution des sites que sur les équipements publics qui ont été touchés. Le projet de réforme comporte-t-il des dispositions à cet égard ? Il nous a en effet été rappelé hier que les garanties inscrites dans le code minier en matière de responsabilité des exploitants étaient inférieures à celles prévues pour les exploitants d'installations classées. Par exemple, le code minier ne semble pas évoquer les dommages miniers pour la santé. Il ne prévoit pas non plus la possibilité pour l'État de poursuivre en responsabilité un ancien exploitant dans un délai de 30 ans. Alors que c'est possible pour un site industriel. N'est-il pas urgent de répondre à ces asymétries entre le code minier et le code de l'environnement ?
Mme Michèle Rousseau. - En l'état des textes, il n'existe pas de possibilité pour les collectivités territoriales de s'adresser directement au DPSM du BRGM, car nous travaillons uniquement sur instruction de la direction générale de la prévention des risques (DGPR). Toutefois, nous réagissons en cas d'urgence, pendant un week-end lorsque par exemple une fissure est constatée sur un cimetière par exemple.
Sur la réponse aux inquiétudes des élus, le DPSM est un organisme technique qui réalise des études. Le BRGM établit ensuite un compte rendu de l'étude, qui doit être le plus pédagogique possible envers les élus et la population. Au cours de réunions locales, le BRGM doit expliquer de façon la plus claire possible les difficultés techniques rencontrées.
Sur la question de remboursement, le BRGM et son DPSM n'interviennent que lorsque l'exploitant a rendu le site minier à l'État. Le BRGM travaille pour l'État et est payé par lui. Il n'a donc pas à se faire rembourser. Quand un exploitant est défaillant sur un site pollué, c'est l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) qui gère la situation et qui essaye, en effet, de se faire rembourser.
Le BRGM est bien placé pour constater le passif minier. Les exploitations minières anciennes ont, en effet, laissé des séquelles dans l'environnement. Depuis la création du DPSM en 2006, les choses se sont améliorées. Un exploitant qui veut rendre sa mine à l'État doit auparavant remettre le site en état. Quand il passe la main à l'État, l'exploitant doit payer une soulte pour assurer la surveillance du site pendant une dizaine d'années. Il existe toute une procédure et Geoderis doit appuyer la Dreal pour vérifier la réalisation des travaux de remise en état. Dans le cadre de ces vérifications, le BGRM-DPSM peut être interrogé. Depuis 2006, les remises en état se sont bien passées. Mais le passé c'est une autre chose.
Enfin, concernant la réforme du code minier, elle est pilotée par les services du DGPR. Je sais juste que la tendance est au rapprochement du code minier et du code de l'environnement.
M. Laurent Lafon, président. - J'ai une question complémentaire sur les solutions innovantes. Le BRGM participe-t-il à l'élaboration de solutions innovantes de réhabilitation pour rendre une seconde vie aux anciens sites miniers ? La dépollution de certains sols par des plantes capables de les retraiter constitue-t-elle une solution viable et pleinement opérationnelle ?
Toujours sur le sujet de la réhabilitation, quel regard portez-vous sur la montée en puissance des sociétés de réhabilitation qui proposent d'acquérir à bas prix des sites industriels ou miniers en déshérence et d'en assurer, en contrepartie la dépollution avant de les réhabiliter ? On voit en effet émerger des projets de reconversion en écoparc mais aussi des projets à vocation plus commerciale : a-t-on les moyens de s'assurer que les intentions de ces sociétés de réhabilitation sont toujours vertueuses ? L'État et les collectivités territoriales sont-ils en capacité de poser les verrous nécessaires pour contrôler les usages futurs des sites ainsi réhabilités ?
Mme Michèle Rousseau. - Le BRGM est un organisme de recherche et nous travaillons bien sûr sur les solutions innovantes de dépollution des sols. 60 % de notre activité sur les sols est consacrée à la recherche. Nous venons d'inaugurer une plateforme d'expérimentation pour la remédiation et l'innovation au service de la métrologie environnementale (Prime) d'aide pour la remédiation des sites et sols pollués. C'est unique en Europe. Le but est de reconstituer une situation réelle. Nous espérons faire de grands progrès grâce à cette technologie.
La réhabilitation par les plantes est une technique parmi d'autres et peut tout à fait jouer un rôle. Nous savons que les plantes peuvent absorber certains polluants, comme le plomb par exemple. Il faut regarder au cas par cas quel est le meilleur dispositif.
Concernant la montée en puissance des sociétés de réhabilitation, la réponse est plus difficile. On retrouve maintenant des friches à l'intérieur des villes. On peut voir cela comme une verrue ou comme une chance de faire renaître un quartier. S'il n'y a pas de projets de réhabilitation, que faut-il faire ? Confiner le terrain au risque de voir la pollution se diffuser dans le sol et atteindre les nappes souterraines ou bien faire intervenir une société spécialisée dans le cadre d'un cahier des charges très strict ? Cela se discute. Le regard sur les friches est en train d'évoluer. Il faut être très vigilant sur le cahier des charges sachant que lors de la réhabilitation de sols pollués, on a souvent des surprises. Cela s'avère souvent plus compliqué et plus cher que prévu.
M. Joël Bigot. - Je vous remercie de bien vouloir m'expliquer certains acronymes, comme DPSM ou Geoderis.
Mme Michèle Rousseau. - Le DPSM est le département prévention et sécurité minière qui gère l'après-mine pour le compte du BRGM.
Geoderis est un groupement d'intérêt scientifique créé pour servir d'appui technique aux Dreal. Il dispose d'un budget de 6 millions d'euros et d'un effectif de 30 personnes provenant pour moitié du BRGM et pour moitié de l'Ineris. Ce dernier apporte ses compétences en matière de géotechnique et de gaz, le BRGM apportant des compétences sur la géologie et l'environnement.
M. Joël Bigot. - Ma collègue a relayé les inquiétudes des élus locaux et les difficultés à cerner l'interlocuteur pour réhabiliter certains sites. Vous nous dites que vous récupérez des sites où l'Ademe certifie la non-nocivité du site. On nous a dit hier qu'il y avait trois niveaux de pollutions : il y avait des sols où il fallait une attention rigoureuse, d'autres pour lesquels existaient des solutions intermédiaires et enfin des sols où l'on pouvait attendre.
De mémoire, il y a environ 220 sites orphelins qui font l'objet d'une attention particulière avec une liste d'attente d'environ 80 sites, l'État prenant en charge la dépollution et assurant la mise en sécurité sanitaire. Par conséquent, à l'échelle du pays, un certain nombre de sites doivent être inventoriés avant d'être confiés au BRGM et cela peut prendre un certain temps. Je m'interroge sur la procédure et l'urgence de certaines situations.
Mme Michèle Rousseau. - Quand un exploitant veut arrêter son exploitation, il doit remettre son exploitation minière en état. Quand les travaux sont jugés satisfaisants par le Dreal, la mine est alors transférée à l'État qui en transfère la gestion au DPSM pour la surveillance et les travaux nécessaires.
S'il n'y a plus d'exploitant, l'Ademe va remettre en état la mine avant qu'elle ne soit rendue à l'État qui ensuite la confie au DPSM.
Depuis 2006, date de la création du DPSM, les installations rendues à l'État sont dans un état correct. En revanche, avant cette date, nous avons hérité d'installations dans une situation très variée.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Georges Vigneron, chef du département prévention et sécurité minière du BRGM, prête serment.
M. Georges Vigneron, chef du département prévention et sécurité minière du BRGM. - Depuis 2006, nous n'avons eu que deux sites qui ont fait l'objet de réhabilitation par l'Ademe et qui nous ont été transférés. Pour qu'un site nous soit transféré, il faut qu'il y ait des mesures de surveillance associées à ce site et que ce site soit minier. On dépend du code minier, il ne s'agit donc pas d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). Mais dans certains cas, si la responsabilité de l'État le justifie et s'il y a une surveillance, les sites sont transférés. Cela a été le cas de Salsigne et du site de Châtelet dans la Creuse où l'Ademe a fait des travaux de remédiation, qui ont ensuite été transférés au BRGM au titre du code de l'environnement et non du code minier.
Actuellement, un inventaire est réalisé par Geoderis sur un certain nombre de sites. Nous n'intervenons qu'à la demande de l'État s'il le juge utile en fonction de la réglementation qui s'applique sur ces sites.
Au titre du code minier, nous attendons des transferts de sites dans les prochaines années où il s'agit de gérer les risques classiques miniers (inondation, stabilité du terrain...) ce qui correspond à 90 % de notre travail. Le code minier prend très peu en compte l'environnement. Tant que l'exploitant existe, il garde la gestion du site.
M. Jean-François Husson. - Je souhaite avoir une précision sur les sites pollués. Au-delà de la réglementation, quelle est la part de la négociation ? Le BGRM peut-il être sollicité pour la recherche de solutions ?
Mme Michèle Rousseau. - S'il y a un contrat pour délivrer une expertise technique, pour définir l'état du site et voir les pistes de traitement, nous sommes présents. En revanche, nous ne faisons pas de reconnaissance juridique pour remonter aux responsables. Nous n'abordons que le domaine technique.
M. Alain Duran. - Pour revenir à l'activité minière, jusqu'où va votre expertise dans l'après-mine ? Votre travail d'expertise est-il limité à la mine ou bien allez-vous sur le terril ? S'agit-il d'une simple surveillance ou bien vous intéressez-vous au contenu des terrils, les modes d'exploitation ayant beaucoup évolué au cours du temps ? Pouvez-vous rendre compte de la nature du terril ?
Mme Michèle Rousseau. - Si nous constatons une pollution, se pose alors la question du type de travaux à effectuer. Nous pouvons faire des propositions à l'État mais c'est la DGPR qui choisira la solution à mettre en oeuvre.
M. Georges Vigneron. - Nous ne surveillons que les terrils qui présentent un certain nombre de risques. Les terrils sont des résidus d'exploitation et non de traitement. Ce sont des déchets miniers. Nous surveillons les terrils en combustion qui présentent un risque d'échauffement avec une oxydation de la pyrite, notamment dans le Pas-de-Calais. Tous les terrils ne nous sont pas transférés, certains d'entre eux étant à nouveau repassés en exploitation. Lorsque quelqu'un montre un intérêt pour un de ces objets, il vient vers nous, on relaye vers la Dreal qui instruit le dossier et parfois nous demande notre avis par rapport au risque existant sur le terril. Nous avons un rôle purement technique par rapport au risque que l'on surveille. Nous ne faisons pas d'analyses économiques, ni d'analyses d'opportunité.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Nous nous inscrivons dans la vallée de l'Orbiel dans une situation particulière. Si le BRGM d'avant a accompagné la liquidation du site minier de Salsigne, il était également impliqué dans l'exploitation du site. Il a participé à la dépollution du site. Il est très difficile pour les collectivités territoriales concernées qui sont nombreuses, car il s'agit de toute une vallée qui plus est très touristique, de trouver les bons interlocuteurs. Dans le cadre de la mission de surveillance, je m'inquiète de l'accompagnement et du rendu de cet accompagnement au fil des années, sur l'évolution du confinement des polluants. Je tiens à vous alerter sur le suivi. L'information doit être audible et compréhensible.
Puis vient l'impact financier. En termes de responsabilité et de rendu, on ne sait pas toujours qui fait quoi. Avez-vous eu une convention avec l'Ademe ou non ? Je souhaite une réponse claire.
Nous sommes de plus en plus liés aux risques naturels. C'est un risque naturel, l'inondation de 2018, qui a fait remonter à la surface la pollution du site de Salsigne. Or la pollution n'a jamais été officiellement reconnue sur ce site. Dans mon département, certaines communes ne peuvent plus utiliser leur stade, leur piscine... Ce sont des choses connues bien avant 2004. Pour pouvoir avancer, nous devons clarifier les rôles et établir une temporalité. Actuellement, nous avons un risque sanitaire dans notre vallée et l'articulation avec l'agence régionale de santé (ARS) est essentielle.
M. Georges Vigneron. - L'Ademe a effectivement fait des travaux dans les années 2004 à 2007, et depuis 2006 le BRGM a exercé son rôle de surveillance sur les sites miniers. Du point de vue de la surveillance, l'État a souhaité la présence d'un seul opérateur sur le site. La convention signée entre l'Ademe et le BRGM en 2009 ne concerne que ce transfert de surveillance. Cette convention a fixé un cadre technique qui identifiait les ouvrages sur lesquels faire des analyses, les rendus et la participation financière de l'Ademe.
Concernant la transparence et la compréhension, nous avons certainement des efforts à réaliser. Nous sommes opérateur technique mais également au contact du terrain et je comprends votre préoccupation. Il faut trouver des moments d'échanges apaisés. Expliquer notre travail au quotidien aux élus locaux et aux parties prenantes est essentiel.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je souhaiterais savoir si les travaux que vous préconisez peuvent ne pas être considérés comme prioritaires et vos préconisations pas suivies. Nous pouvons nous retrouver avec des mises en sécurité qui peuvent tarder. Quelle est l'appréciation du risque par rapport à la santé ? Ainsi des doutes surgissent-ils dans une partie de la population qui n'a pas toujours la culture minière ou industrielle du site. Avez-vous toute latitude pour exercer vos missions ?
M. Georges Vigneron. - Il existe en effet un cadre contraint. Nous pouvons juste hiérarchiser un certain nombre d'actions au niveau national puis l'État pose le curseur. C'est vrai par rapport à la diversité de l'appréciation du risque à l'échelle du territoire. Certains territoires houillers comme le Nord-Pas-de-Calais ou la Lorraine ont l'expérience de la gestion de ces risques et n'ont pas la même perception ou attitude par rapport au passé. Il n'existe pas d'après-mine « heureux » ! Certains territoires ont plus de résilience que d'autres.
Mme Michèle Rousseau. - Nous avons toujours des progrès à faire en pédagogie. Nous pouvons nous améliorer. Et en effet, il y a débat de nos propositions à la DGPR pour le programme de travail de l'année.
M. Laurent Lafon, président. - Nous avons reçu la DGPR hier et nous avons été étonnés par leur contrainte budgétaire. Le budget de l'Ademe est passé de 30 à 20 millions d'euros. Avez-vous senti un impact de cette contrainte budgétaire dans cette phase de discussion entre l'apport de votre expertise et vos recommandations et les décisions de l'État ?
Mme Michèle Rousseau. - Notre budget est stable. Mais la contrainte budgétaire a évidemment des conséquences sur l'ampleur des travaux.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - J'insiste sur l'alerte sur le risque car dans mon département nous avons bien vu qu'un danger apparaissait avec la pollution à l'arsenic. Quels sont vos outils pour alerter ?
Mme Michèle Rousseau. - Le DPSM intervient dans une emprise très précise. On trouve de la pollution également hors de ce périmètre. On arrive alors sur des considérations de champ géochimique et les questions relèvent plus de l'unité « Sites, sols et sédiments pollués ». Je reconnais que tout cela est fortement compartimenté.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Hubert Leprond, responsable de l'unité « Sites, sols et sédiments pollués » du BRGM, prête serment.
M. Hubert Leprond, responsable de l'unité « Sites, sols et sédiments pollués » du BRGM. - La présence d'éléments de type arsenic se pose largement mais il y a une attention plus vive sur certains sites comme à Salsigne. On retrouve de l'arsenic dans plein de massifs en France. Dans la vallée de l'Orbiel, c'est ce qui a été rajouté qui pose problème.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Nous savons que la nature contient des toxines partout. La question est la protection de la population par rapport à ces toxines.
M. Hubert Leprond. - Ces pollutions existent sur d'autres sites industriels. Nous avons une sensibilité technique, scientifique mais depuis plusieurs années nous organisons des journées portes ouvertes destinées à un large public. Cela nous oblige à faire des efforts en matière de pédagogie.
Nous n'avons pas encore parlé de la conservation de la mémoire, les mentalités changent, notre sensibilité aussi. Nous mettons aussi beaucoup d'informations à disposition du public. Nous avons des bases de données qui sont largement consultées notamment par les notaires lors de transactions. C'est le paradoxe de gérer des informations très techniques qui sont encore peu exploitées par le grand public.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Il faudrait évoluer vers des cartographies plus claires et une meilleure circulation de l'information. On a tous des outils informatiques, des bases de données, mais faut-il encore pouvoir les lire. Elles doivent être compréhensibles. Les gens veulent savoir ce qu'ils peuvent faire concrètement en cas de pollution, et les élus comment réhabiliter ces sites.
Mme Michèle Rousseau. - Le BRGM est compétent pour les analyses de terrain et les techniques de remédiation, mais n'est pas compétent pour indiquer quelles sont les conséquences sanitaires.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Dans une période de réchauffement climatique, nous sommes particulièrement attentifs à la nécessité d'apporter des réponses pour améliorer notre législation.
Mme Sonia de la Provôté. - J'aimerais savoir s'il est envisagé un processus de transmission de l'information de façon régulière, comme il en existe pour les élus soumis à un plan de prévention des risques technologiques (PPRT). Si non, est-il envisageable de mettre en place une organisation sur ce modèle en lien avec l'agence régionale de santé (ARS) ? Il y a manifestement une carence.
Concernant votre vocation de recherche, est-ce que vous vous ouvrez à différentes universités et travaillez en collaboration avec ces dernières ? Et y a-t-il, notamment en matière de dépollution, une organisation européenne qui traite de ces sujets, la question minière à l'échelle européenne étant très importante ?
Mme Michèle Rousseau. - Sur le devoir d'information des collectivités envers leur population dans le cadre du PPRT, nous sommes sur des sites miniers qui appartiennent à l'État. La question est de savoir quel degré d'information l'État doit donner de façon régulière au public. L'État peut se retourner vers le DPSM et lui demander de transmettre l'information ou de le faire lui-même. L'État reste notre donneur d'ordre.
Concernant la recherche, nous disposons de notre propre équipe mais nous travaillons également en coopération avec d'autres équipes de recherche, avec notamment des laboratoires du CNRS comme à Salsigne.
M. Hubert Leprond. - Chaque fois que nous montons un projet de recherche, des universités variées sont parties prenantes selon les disciplines. Nous sommes également très impliqués dans les formations et nous travaillons aussi dans le développement de nouvelles techniques de dépollution ou dans l'optimisation de technologies existantes. Nous sommes très ouverts sur l'extérieur et nous avons des projets de recherche de montage européen auprès de l'agence nationale de la recherche.
Mme Sonia de la Provôté - L'objectif « Zéro artificialisation nette » implique des fonciers actuellement délaissés qu'il faut reconquérir et qui sont pour un grand nombre concernés par les questions de dépollution minière. Ces recherches sont vitales pour assurer le devenir de ces fonciers et une façon aussi d'accélérer la mise en sécurité sanitaire.
Mme Michèle Rousseau. - Il n'existe pas à ma connaissance d'organisme européen sur l'après-mine. Nous avons en revanche développé des relations étroites avec l'Allemagne, la Scandinavie et les Pays-Bas. Nous répondons à des appels d'offres européens parfois en coopération avec des Finlandais ou des Allemands.
Enfin, je vous signale que le DPSM publie un rapport d'activité annuel consultable sur notre site.
M. Hubert Leprond. - Sur l'information et la cartographie, on se rend compte que les gens et les élus veulent l'information au niveau de la parcelle. Ces données sont disponibles dans les inventaires historiques urbains (IHU). Cet objectif de pouvoir disposer de l'information au plus près est utile pour orienter l'aménagement de futurs projets et connaître les potentielles contraintes. Le lien avec la pollution n'est pas encore forcément disponible. Casias est la cartographie des anciens sites industriels en activité, qui est plus large.
M. Laurent Lafon, président. - Merci pour les réponses apportées à nos questions orales. Nous vous avons également transmis un questionnaire écrit avec tout un volet ultra-marin que nous n'avons pas eu le temps d'aborder aujourd'hui.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Table ronde des représentants d'associations de défense des populations et de protection de l'environnement
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par une table ronde de représentants d'associations de protection des populations et de l'environnement, parmi lesquels M. Pascal Boury, président de « l'Association citoyenne ! », Mme Maryse Arditi et M. Nicolas Husson, membres du réseau « Risques et impacts industriels » de France Nature Environnement, MM. André Picot et Jean-François Narbonne, respectivement président et membre de l'association Toxicologie-Chimie.
Cette table ronde doit être l'occasion de recueillir le regard que les associations portent sur l'action de l'État et des industriels dans la prévention et la gestion des risques de pollution des sols à la suite d'activités industrielles ou minières. Votre appréciation et votre vécu de la gestion des risques sanitaires et écologiques, mais aussi les évolutions que vous pourrez proposer nous seront très précieux.
Il sera notamment intéressant que vous partagiez votre sentiment sur la qualité du suivi sanitaire mis en place lorsque des agents toxiques sont découverts dans des sols et sur la réactivité des agences sanitaires et des agences régionales de santé (ARS) à cet égard. Cette réactivité est-elle d'ailleurs, de votre point de vue et compte tenu des sites que vous connaissez, la même sur tout le territoire ?
Dans un premier temps, je propose de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de quatre minutes par association, puis nous procéderons à une séquence de questions-réponses. Je rappelle qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. J'invite chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Pascal Boury, Mme Maryse Arditi, MM. Nicolas Husson, André Picot et Jean-François Narbonne prêtent serment.
M. Pascal Boury. - Je tenais tout d'abord à remercier la commission de m'avoir invité. C'est un honneur de représenter devant vous l'Association citoyenne. Ce sujet concerne l'intérêt général ; il est d'une importance majeure. Une étude parue dans Le Monde il y a un an et demi faisait état d'un mort sur six aux États-Unis à cause des pollutions au plomb, soit 400 000 décès par an.
Je suis ici pour dénoncer un certain nombre de choses, notamment le scandale des sols pollués, mais aussi pour formuler des propositions et informer les sénateurs et tous les citoyens qui sont à l'écoute, comme nous essayons de le faire à travers notre site Internet. J'ai écouté attentivement l'audition du directeur général de la prévention des risques hier et j'ai noté un certain nombre de sujets.
L'information constitue un sujet majeur. Elle doit être compréhensible par toutes et tous. Or il n'existe pas ou quasiment pas de balisage des zones polluées, notamment des zones dangereuses. Les exemples sont nombreux. J'en citerai trois : l'ancienne mine de Saint-Félix-de-Pallières, la mine de Salsigne ou la plage de Samena, à Marseille, où il suffit pour les enfants de passer deux heures par semaine pour être atteints du saturnisme, comme le démontre l'étude dont je dispose.
Au-delà de l'information officielle, il faut une information sur les sites qui mettent en danger la santé des citoyens. Pour moi, certaines informations relatives à l'environnement et à la santé sont de nature constitutionnelle, mais les administrations les retiennent de façon anticonstitutionnelle. Nous y reviendrons à propos des ARS notamment.
La problématique tient aussi à la dynamique des terrains pollués, à l'utilisation qui est faite de ces terrains. Je prendrai l'exemple d'un écoquartier évoqué dans une émission de grande écoute. Il est dit que l'ARS a pris des précautions : dans les jardins privatifs, pas de culture de produits de consommation alimentaires. Ces servitudes sont à inscrire dans les documents transmis aux propriétaires. Le journaliste interroge un couple qui vient d'acquérir un logement dans ce quartier. La mention de ne pas cultiver de légumes dans son jardin, le couple déclare ne l'avoir jamais lue dans son contrat de vente. Seules des mises en garde orales ont été formulées lors de l'achat de leur appartement. L'épouse précise : « la première fois, le notaire nous a expliqué qu'il ne fallait pas faire de jardin potager dans notre jardin, mais si elle nous a accordé la vente de notre bien immobilier, je pense qu'il y a un moindre risque. On fait quand même confiance à ces personnes. Pour moi, il n'y a aucun risque, puisque des études ont été faites. La préfecture a justement donné des autorisations pour la construction, donc je fais confiance à l'État ».
Dans ce même reportage, un avocat spécialisé dans ce domaine indique : « aujourd'hui, vous pouvez acheter un terrain pollué sans le savoir et surtout sans pouvoir vous en plaindre. Pire, avec les nouvelles dispositions législatives, et puisque l'on ne va pas retrouver le pollueur pour faire appliquer le fameux principe pollueur-payeur, c'est le propriétaire qui, malgré lui, va, de façon inéluctable, devenir le payeur de la dépollution ». Je pense que ce raisonnement est totalement erroné pour des terrains ou des biens achetés à des professionnels. Je suis bien placé pour le savoir, puisque cette situation m'est arrivée.
Il existe des contradictions énormes, notamment entre les écrits de l'ARS et ceux du Haut Conseil de la santé publique, l'organe situé pourtant au plus haut de la hiérarchie de la santé en France, ce qui est quand même très étonnant. Par ailleurs, les informations de l'éducation nationale et du ministère de la santé, concernant notamment des problèmes sanitaires dans les écoles restent difficilement accessibles. Lors de l'audition d'hier, vous avez évoqué par exemple les études lancées en 2012 sur les écoles construites sur des terrains pollués.
Vous avez également abordé hier la question de la responsabilité et du dédommagement. Il faut appliquer le principe du pollueur-payeur, mais pas seulement. La garantie des vices cachés existe, notamment pour les bâtiments privés achetés par des particuliers à des professionnels.
M. Laurent Lafon, président. - Je suis obligé de vous interrompre pour que chacun puisse s'exprimer. Vous avez mis l'accent sur les problèmes d'information et d'accès à cette information, les contradictions dans les discours tenus par les différents organismes publics et la question de la responsabilité. Nous reviendrons sur ces points à travers nos questions.
Mme Maryse Arditi. - France Nature Environnement (FNE) est une fédération qui regroupe 3 000 petites associations locales implantées sur l'ensemble du territoire, y compris en outre-mer, et représentant l'équivalent de 600 000 à 700 000 personnes individuelles.
Je viens de l'Aude. Sur Salsigne, en complément des actions proposées par le préfet dans son plan de 25 propositions, FNE formule les demandes suivantes. Nous voulons tout d'abord une cartographie. Nous ne pouvons plus continuer sans. Ce site est extrêmement vaste ; il comprend des zones plus ou moins polluées. Il est donc indispensable de le cartographier. Par ailleurs, il convient d'engager la dépollution des quelques lieux sur lesquels l'arsenic à l'état pur est directement accessible. Les locaux appellent le site « la montagne de la belle-mère ». Cette dépollution se révèle très importante, car elle constituerait la première action concrète sur le site.
En outre, une station d'épuration reçoit toutes les eaux souterraines et récupère 90 % de l'arsenic. Je pense qu'elle est capable d'en récupérer 99 %, ce qui permettrait de réduire par dix l'arsenic partant dans l'Orbiel. Enfin, une alerte a été donnée par des chercheurs de Toulouse qui sont venus effectuer des mesures. Les inondations de novembre 2018, qui ont fait plusieurs dizaines de morts, ont recouvert de nombreuses zones qui n'étaient pas polluées jusqu'alors. À la suite de cela, nous avons découvert de l'arsenic y compris dans des cours d'école. Ces chercheurs ont élaboré un grand programme qui permettrait de comprendre le fonctionnement du site, les écoulements d'eaux souterraines et d'identifier les solutions les plus pertinentes. Il faut absolument que ce programme soit mené et donc financé.
Je souhaiterais également évoquer le code minier. En 2013, un groupe de travail dit « groupe Tuot » a travaillé durant un an à raison d'une fois par semaine, avec une représentation très vaste, y compris de la société civile. Or le résultat auquel ce groupe a abouti n'a pas été pris en compte. Il existe, en France, un passif minier phénoménal que nous ne connaissons pas. Il faut absolument mener une étude complète de l'ensemble de ces passifs miniers. Lorsque les anciennes mines se sont effondrées, l'État a commencé à légiférer afin qu'une vérification des mines soit réalisée. Il devrait aujourd'hui faire de même pour la pollution des sols. Par ailleurs, le code minier est en révision. Le peu du projet dont nous avons pris connaissance ne parle pas du tout de l'après-mine. Encore une fois, on dit comment on ouvre les mines, mais pas comment on les ferme. Aucune mine ne pourra s'ouvrir en France si nous ne parvenons pas à résoudre le passif minier.
M. Nicolas Husson. - Ingénieur en sites et sols pollués, je suis le référent pour FNE sur cette thématique. Je voudrais attirer votre attention d'une part sur la considération de la biodiversité dans les politiques de gestion des sites et sols pollués, et d'autre part sur le projet de loi d'accélération et de simplification de l'action publique, dit « ASAP », et une évolution potentielle d'un article du code de l'environnement.
Jusqu'à présent, les sites et sols étaient essentiellement gérés sur la base de critères sanitaires. Ces critères sont indispensables ; ils commencent à être bien encadrés par la méthodologie et la réglementation, mais il faut désormais aller au-delà et prendre en considération des aspects problématiques liés à la biodiversité. Il ne s'agit pas de développer une écologie punitive, comme nous l'entendons trop souvent, mais une écologie porteuse d'espoir, de reconversion de foncier dégradé et de suppression de ces friches en déshérence à travers le territoire.
Deux angles d'approche peuvent être envisagés. La première option consisterait en une approche réglementaire qui s'appuierait sur une analyse symétrique des risques écologiques par rapport aux risques sanitaires. Ces évaluations des risques écologiques pourraient se greffer sur le préambule de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016 qui n'a pas connu, pour l'instant, de déclinaison réglementaire. Il n'existe aujourd'hui ni décret ni arrêté ministériel pour outiller les inspecteurs des installations classées et les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) et leur permettre d'imposer la réparation du préjudice écologique sur la base du principe du pollueur-payeur en cas d'atteinte au milieu naturel, qu'il s'agisse d'habitat, de faune ou de flore. Cette démarche s'inscrirait aussi dans la logique du Plan biodiversité établi par le ministère de la transition écologique et solidaire en 2018, qui comprenait un objectif de zéro artificialisation nette.
La deuxième option résiderait dans des solutions fondées sur la nature qui visent à une reconversion du foncier dégradé, qu'il s'agisse de puits de carbone, de réduction d'îlots de chaleur, d'usages récréatifs pour les populations, etc.
Je souhaitais également attirer votre attention sur l'évolution potentielle, à travers le projet de loi ASAP, de l'imposition de bureaux d'études certifiés pour la cessation d'activité des ICPE. Deux régimes sembleraient être introduits par la secrétaire d'État en charge de l'étude de ce projet de loi qui pourrait passer en procédure accélérée. En l'état, le projet introduit une grande disparité entre le régime de déclaration, qui exigerait de passer par un bureau d'études, mais se traduirait seulement par des mesures de mise en sécurité de l'ICPE en fin d'exploitation, et le régime d'autorisation/enregistrement, qui exigerait en complément la réhabilitation et la dépollution, comme c'est le cas aujourd'hui pour toutes les ICPE. Nous demandons qu'une symétrie soit appliquée à la cessation d'activité pour l'ensemble des ICPE.
M. André Picot. - Je suis le président de l'association Toxicologie-Chimie. Les mines n'étaient pas vraiment notre spécialité de départ. Voilà trente ans, avec Henri Pézerat, j'ai interrogé des mineurs et constaté leurs conditions de travail catastrophiques.
Depuis, nous avons été sollicités par trois régions de France. Saint-Félix-de-Pallières continue de nous préoccuper fortement, tout comme Salsigne, où les médecins ignorent quelle conduite à tenir face aux patients touchés par l'arsenic. Nous pouvons d'ailleurs nous interroger sur la formation en toxicologie des médecins. Nous avons également été sollicités en Bretagne, en particulier dans les Monts d'Arrée, à Lopérec. Grâce à notre intervention et celle de la population, la société franco-australienne Variscan a abandonné le projet. Cet exemple montre que le travail d'une association peut produire un résultat positif. Enfin, notre collègue Annie Thébaud a travaillé sur la mine de tungstène de Salau en Ariège. Cette intervention a également eu un résultat positif, puisque ce projet est pour l'instant laissé un peu en sommeil.
Jean-François Narbonne. - Je suis professeur de toxicologie. Après l'université de Bordeaux, je travaille désormais à l'université Saint-Joseph de Beyrouth avec une équipe de bio-monitoring chargée d'étudier les pollutions au Liban et en Syrie, avec les bombardements.
J'ai longtemps siégé au Conseil supérieur d'hygiène publique de France. J'ai participé à la fondation de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) avec Martin Hirsch, puis de l'agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) pour l'environnement du travail. Dans mon enseignement, je traite à la fois de l'environnement et de l'alimentaire, en particulier le transfert des polluants de l'environnement à l'homme via l'alimentation. J'ai aussi beaucoup travaillé sur les pollutions marines. J'ai été l'un des pionniers du bio-monitoring et de la biosurveillance. Je siégeais au comité scientifique de l'institut national de veille sanitaire (INVS) lors du lancement des premières études d'imprégnation aux dioxines.
Dans notre association, nous avons une vision particulière des choses. Nous ne sommes pas centrés sur la défense des populations, nous nous préoccupons surtout du management des risques. Durant 28 ans, j'ai travaillé comme expert dans les différentes agences. J'ai notamment participé à l'expertise sur le chlordécone en Martinique. En tant que professeur, j'expliquais à mes étudiants comment évaluer les risques et comment les gérer avec des procédures de dépollution des sols. Durant trois ans, j'ai ainsi dispensé à Abu Dhabi des cours sur la réhabilitation et la dépollution des sols dans un master international avec des étudiants venant de tous horizons, ce qui permettait d'appréhender les approches des différents pays en la matière.
Saint-Félix-de-Pallières constitue un véritable cas d'école. Rien n'y est réalisé convenablement, comme si les administrations n'avaient jamais suivi un seul cours de management de risque et de communication sur les risques. Le problème vient du fait que la pollution est abordée du point de vue de la santé en premier alors que cet aspect devrait passer à la fin. Une crise de pollution des sols ne doit pas être gérée par des médecins. Ces derniers n'interviennent qu'en fin de course.
J'ai participé à l'élaboration de la réglementation sur la présence de métaux lourds dans les légumes. Si les légumes de votre jardin sont pollués, vous n'avez pas le droit de les vendre, mais vous avez le droit de les manger. L'approche de l'évaluation des sols repose sur les modèles de l'institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris). Ces modèles peuvent ressembler parfois à une usine à gaz, mais ils expliquent bien que les sites doivent être à usage commercial. Le Stade de France, par exemple, est construit sur un site qui a été mal dépollué, mais personne n'y vit. Il est interdit d'y construire des habitations, des zones récréatives, des jardins.
Tout ceci figure dans la réglementation. Or celle-ci n'est pas appliquée ; elle est même niée. Dans les DOM-TOM, parce qu'il existe une sensibilité colonialiste très forte, l'État mobilise des moyens colossaux pour la réhabilitation des mangroves. En métropole, en revanche, rien ne se fait.
Nous dispensons des cours aux médecins et aux équipes des ARS pour essayer d'élever leur niveau de connaissance sur ces sujets. La pollution des sols dépasse aujourd'hui le seuil de compétence des ARS, car elles n'ont aucune formation dans ce domaine. Pour gérer une catastrophe, la première action à mettre en oeuvre consiste à étudier le comportement des animaux. Or les ARS ne comptent même pas de vétérinaires. Pour la pollution des sols, elles auraient besoin d'hydro-géographes. La pollution des sols et le management des crises ne doivent pas être vus uniquement par le prisme de la santé publique, car cela revient à occulter un grand nombre d'aspects essentiels.
Le code minier traite de la partie physique, mais il ne faut pas oublier l'industrie chimique qui extrait et purifie. Souvent, les trous dans les galeries servent à stocker des déchets radioactifs ou des fûts de polychlorobiphényles (PCB) et de dioxine, et le problème ne vient pas de la pollution de la mine, mais de tous les déchets toxiques industriels stockés depuis les années 70.
M. Laurent Lafon, président. - Vous avez face à vous des sénateurs, élus locaux qui ont connu des gestions de crise. Vos propos renvoient chacun de nous à des situations vécues. Je passe immédiatement la parole à notre rapporteure pour une première série de questions.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Je vous remercie tous pour la clarté de vos exposés. Même s'ils ont été brefs, nous avons senti combien ces problématiques vous tiennent à coeur. Pour faire évoluer les choses dans ce domaine, je crois qu'il faut faire preuve de beaucoup d'abnégation et de conviction.
J'aimerais que vous puissiez préciser l'analyse que vous faites de la qualité du système d'inspection et de contrôle périodique des installations classées. La périodicité de ces inspections vous semble-t-elle satisfaisante ? Les investigations conduites sont-elles suffisamment complètes et solides pour identifier les sources de risque en termes de pollution des sols et sous-sols ? Avez-vous le sentiment que les mesures de correction parfois proposées par ces inspections soient à la hauteur des enjeux ?
S'agissant de la réactivité des autorités face à d'éventuels risques sanitaires, avez-vous le sentiment que les alertes ou soupçons émis par des associations et des collectivités territoriales sont toujours pris au sérieux par les préfectures et les ARS ? Avez-vous connaissance de cas où des alertes sur des agents toxiques présents dans des sols pollués ont été adressées aux autorités et sont restées longtemps sans réponse ?
Enfin, d'une façon générale, quelles sont, selon vous, les modifications de la réglementation minière à envisager afin d'améliorer la gestion de l'après-mine en France ? Avez-vous été consultés sur le projet de réforme du code minier en cours de préparation ? Nous pressentons un alignement du code minier sur le code de l'environnement. Est-ce une bonne chose selon vous ? Le texte ne laisse-t-il pas de côté certaines problématiques spécifiques ? Pourquoi les rapports précédents sont-ils, plus ou moins, tombés aux oubliettes ? Quelles pistes envisageriez-vous pour faire évoluer le code minier ?
M. Nicolas Husson. - Je répondrai avec ma double casquette d'ingénieur en environnement et de correspondant des associations locales de France Nature Environnement.
La périodicité des inspections des installations classées est très variable selon le degré de qualification. Pour un site soumis au régime d'autorisation, en Seveso et a fortiori en Seveso seuil haut, ces inspections sont relativement fréquentes et les contrôles se révèlent assez soutenus, avec un encadrement plutôt efficace pour prévenir et engager des mesures curatives. Pour les plus petits sites, en revanche, le nombre des inspecteurs des installations classés est malheureusement insuffisant.
Malgré le grand plan annoncé par la ministre Elisabeth Borne cette semaine pour pallier les difficultés rencontrées sur le site de Lubrizol, nous sommes confrontés à une déficience chronique du nombre d'inspecteurs pour pouvoir assurer des inspections régulières et satisfaisantes, aussi bien en nombre qu'en qualité et en mesures préventives ou curatives sur la pollution des sols. Il existe donc un risque accru de pollution des sols sur les sites contrôlés moins souvent. Ainsi les sites soumis au régime de déclaration simple ne sont-ils presque jamais visités par les inspecteurs des installations classées, faute d'une disponibilité suffisante.
La transmission des informations par ces inspecteurs des installations classées est affectée par leur manque de disponibilité et leur capacité à communiquer de l'information au public. Les fiches de la base de données Basol sont pour l'essentiel obsolètes. Elles ne contiennent pas les données des dernières visites et ne mentionnent pas l'actualisation des pollutions traitées ou en cours.
Quant aux soupçons, des alertes sont souvent transmises. Parfois, elles sont entendues. Tout dépend du relationnel qui peut se créer entre les associations locales et les inspecteurs des installations classées. Généralement, il existe une bonne coopération, mais nous avons pu rencontrer des situations de blocage.
Mme Maryse Arditi. - Les inspecteurs des installations classées ne sont pas assez nombreux. Après AZF, il leur a été demandé de mettre en place les plans de prévention des risques technologiques (PPRT), des documents qui exigent un travail considérable. Or leurs effectifs n'ont pas été augmentés pour autant. Ainsi ont-ils mené à bien cette mission en réalisant moins de visites de terrain. Aujourd'hui, la ministre leur demande d'effectuer plus de visites, mais ne renforce toujours pas les équipes. Nous tournons en rond.
Les aspects sanitaires sont-ils pris au sérieux ? Dès que le sujet devient un peu sanitaire, tout le monde panique. Nous pouvons le voir actuellement avec le coronavirus par exemple. Par conséquent, les problèmes sanitaires sont toujours diminués. À Salsigne, depuis vingt ans, on explique aux habitants qu'ils ne peuvent pas manger leurs salades. Selon les études épidémiologiques, les personnes qui mangent leurs salades et boivent leurs vins présentent un peu plus d'arsenic dans l'organisme que les autres, et un peu plus de risques de développer un cancer. Nous connaissons les risques depuis longtemps, mais on se contente de leur dire de se laver les mains plus souvent et de ne pas manger leurs légumes et que tout ira bien. Ce n'est pas normal.
J'ai été confrontée directement à un conflit entre le code des archives et le code de l'environnement. Une ICPE ferme. Le projet d'urbanisation n'est finalement pas réalisé. Au bout de sept ans, la Dreal envoie le dossier aux archives. Un nouveau projet d'urbanisation voit le jour. J'appelle la Dreal pour obtenir le dossier. Je suis renvoyée aux archives où j'apprends que je ne pourrai pas avoir accès au dossier de la fermeture avant 25 ans, sauf à demander une dérogation exceptionnelle. J'obtiens finalement cette dérogation et j'accède au dossier, mais sans possibilité de faire des photocopies ni de prendre de photos. En principe, nous devrions avoir accès à l'état de l'environnement. Il faudrait donc assurer une concordance entre les deux codes.
M. Jean-François Narbonne. - En France, nous avons tendance à tout confier à l'État. J'ai travaillé sur un problème de retombées d'un incinérateur à Bègles. Les habitants étaient inquiets et le site faisait face à des oppositions très fortes. L'opérateur effectuait ses propres contrôles, conformément à la réglementation, mais nous avons lancé un monitoring pour étudier les retombées dans les alentours. J'ai proposé de confier un budget aux associations pour qu'elles contrôlent elles-mêmes en réalisant des prélèvements, à condition de les certifier, et en chargeant un petit comité de définir la stratégie de contrôle.
Pourquoi demander à l'État des contrôles qu'il n'a pas les moyens humains et financiers de réaliser ? À Bègles, ce monitoring représentait 200 000 francs par an sur le budget de fonctionnement de l'incinérateur. Les habitants ont pu effectuer les dosages chez eux et ils ont finalement constaté l'absence de retombées, comme les modèles le prévoyaient. Un an plus tard, plus personne ne parlait des effets de l'incinérateur. Nous avions donné aux citoyens les moyens de contrôler le système par eux-mêmes. Ce budget était accordé par l'opérateur lui-même.
Cette démarche a ensuite été reprise sur l'ensemble des sites industriels autour de Bordeaux. Il faut informer les citoyens et leur redonner la maîtrise. Au lieu de tout confier à un État qui n'en a pas les moyens, il faudrait décentraliser les actions et les confier à des associations partenaires, qui se verraient accorder un minimum de moyens pour fonctionner. Je regrette que les « vieux experts », qui ont l'expérience de toutes les crises, ne soient plus sollicités pour effectuer des prévisions.
En cas de problème, il faut plusieurs semaines pour obtenir le résultat des prélèvements et les envoyer aux agences chargées des études de risque. Pendant ce temps, l'absence de communication laisse la place au fantasme. Nous l'avons vu sur le dossier Lubrizol. Pourquoi ne pas demander aux experts d'effectuer des prévisions pour laisser le temps aux administrations de pouvoir répondre et de réaliser de vraies évaluations de risques ?
L'action du préfet est souvent catastrophique. Sur Saint-Félix-de-Pallières, la situation frôle la caricature. Nous ne pouvons pas gérer une crise environnementale et sanitaire en laissant la responsabilité à des personnes qui se trouvent sous la pression de lobbys économiques locaux. Le management d'une situation, aussi bien en prévision qu'en gestion de crise, doit s'opérer en établissant des partenariats. Pour les abeilles, par exemple, le ministère de l'agriculture a mis en place des observatoires. Il a également demandé la collaboration des associations d'observation de la nature. Plutôt qu'un rapport conflictuel avec les associations, l'État doit nouer de vrais partenariats avec elles, d'autant qu'il n'a ni les moyens humains ni les moyens financiers de tout faire.
M. Pascal Boury. - Je me dois de réagir aux propos de M. Narbonne. La peur n'évite pas le danger. Lorsqu'un danger existe, il faut quand même y faire face. Sur le site de Public Sénat, une photo a été publiée avec la banderole « Nous voulons la vérité » sur le site de Salsigne. La vérité me semble être le maître mot. Les habitants souhaitent savoir ce qui se passe, surtout s'il existe un impact sur la santé.
J'entends bien qu'au-delà des aspects sanitaires, il faut prendre en compte les intérêts locaux ou financiers. Les pétitions pour sauver la planète recueillent des millions de signatures. Les pouvoirs publics doivent être crédibles et démontrer que sur les problèmes de moindre ampleur, ils parviennent à agir.
Vous indiquiez que les modèles de l'Ineris sont des usines à gaz. En 2013-2014, le Haut Conseil de la santé publique s'est intéressé à un polluant prioritaire du troisième plan national santé-environnement (PNSE 3), le cadmium. À la suite d'études très précises, il a formulé des directives d'une grande simplicité. Le Haut Conseil a fixé un seuil de concentration du plomb dans le sol, corrélé à une bio-accessibilité, c'est-à-dire un niveau de toxicité. Pour une bio-accessibilité de 30 %, correspondant au pourcentage de plomb qui, ingéré, finit dans la circulation sanguine, l'intoxication étant liée au passage du plomb dans cette circulation, le niveau fixé est de 300 milligrammes par kilo pour le saturnisme infantile et pour les femmes enceintes.
Les alertes ont-elles été prises au sérieux ? En matière d'information et de transparence, il y a de quoi dire. J'ai soulevé un sujet auprès de l'ARS qui touche à la politique publique.
Les anciennes plaines d'épandages en Île-de-France sont extrêmement polluées. Elles ont fait l'objet de très nombreux rapports faisant état de quantités astronomiques de plomb, jusqu'à plus de 2 000 milligrammes par kilo, pour une bio-accessibilité de 30 %. Or la bio-accessibilité dans ces plaines est de 100 %. Le seuil à prendre en compte est donc de 91 milligrammes par kilo. Or la moyenne relevée sur ces sols atteint environ 176 milligrammes par kilo. Le seuil est ainsi dépassé. L'ARS le sait depuis 2014. A l'époque, les mesures s'établissaient à 130-150 milligrammes, mais elles restaient supérieures au seuil corrigé de 91.
Je me suis procuré le logiciel de simulation IEUBK, utilisé par l'équivalent de l'ARS aux États-Unis qui est l'US EPA - Environmental Protection Agency -. Ce logiciel est reconnu par les administrations françaises, notamment par le Haut Conseil de la santé publique. Il est utilisé pour simuler le nombre de cas d'enfants nés ou à naître qui seraient touchés par le saturnisme du fait des concentrations trouvées dans les sols. D'après une synthèse de la cellule d'intervention en région (CIRE) Île-de-France et Champagne Ardenne parue en 2014, plus de 5 % des enfants seront touchés par le saturnisme. Ainsi, l'ARS le sait-elle depuis cette date.
Certes, ce seuil ne correspond pas forcément à la réalité, mais il constitue un indicateur qui permet de prendre une décision. Lorsque ce seuil est dépassé, un dépistage systématique doit être réalisé, comme l'a indiqué le Haut Conseil de santé publique. La zone couvre quand même plus de 300 000 personnes. Il s'agirait donc de tester plusieurs dizaines de milliers d'enfants. Je suis même allé en justice pour obtenir un certain nombre de documents que je n'ai toujours pas obtenus malgré une décision favorable.
J'ai effectué un référé liberté afin d'obtenir du tribunal administratif une mesure d'urgence en faveur de ce dépistage systématique. Je me suis rendu dans ces zones avec des journalistes. Dans l'une des 19 communes touchées, nous avons interviewé une mère de famille dont deux enfants sur trois étaient suivis par un orthophoniste pour des problèmes de langage. Le plomb crée notamment des troubles du comportement et du langage, sans oublier les 400 000 morts par an aux États-Unis liées aux intoxications au plomb. Récemment, la presse indiquait que sur six dépistages réalisés dans la commune de Carrières-sous-Poissy, deux étaient positifs au saturnisme.
L'ARS refuse toujours de me communiquer des documents, malgré une décision de justice qui m'est favorable et va à l'encontre des préconisations du Haut Conseil de santé publique.
Un autre sujet me tient à coeur, le projet de forêt sur la plaine de Pierrelaye, qui fait partie des plaintes polluées par les épandages. Vous évoquiez hier des bureaux d'études qui seraient parfois juge et partie. Certaines études affirment qu'il est impossible d'habiter au milieu de la plaine. Or tout autour la ville n'a fait que s'étendre. J'ai même trouvé une étude sur la construction d'une école alors que la concentration de plomb dans le sol atteint 300 milligrammes par kilo. J'ai saisi les tribunaux, allant jusqu'au Conseil d'État et j'aurais plusieurs propositions concernant l'organisation judiciaire.
M. Laurent Lafon, président. - Quelle évaluation faites-vous de l'action des principales agences sanitaires dans l'identification des risques que présente la pollution de certains sols pour la santé ? Je pense notamment à l'action de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS). En êtes-vous satisfaits ? Il nous a été indiqué hier que la réponse sanitaire de l'État se fondait sur des valeurs toxicologiques de référence. Ces valeurs font-elles consensus ? Couvrent-elles tous les agents toxiques susceptibles d'être présents dans les sols ?
Avez-vous, en tant qu'association, intenté des recours collectifs à l'encontre de certains exploitants pour préjudice sanitaire à la suite d'une pollution des sols ? Quelles éventuelles suites ont été données à ces recours ?
M. André Picot. - En général, pour des pollutions minières, lorsqu'un site extrait du plomb argentifère, comme à Saint-Félix-de-Pallières, tout le monde pense que l'intoxication est de type saturnique. Or dans presque toutes ces mines, l'arsenic constitue l'élément minéral majeur et la pollution par l'arsenic est bien différente de la pollution par le plomb. Avec le plomb, il existe un indicateur très fiable, lié au système nerveux central des jeunes enfants. Avec l'arsenic, en revanche, les cibles sont multiples et il est relativement difficile de déterminer si l'arsenic est en cause. Nous manquons cruellement d'informations fiables dans ce domaine en France.
Aux États-Unis, par exemple, des évaluations extrêmement précises ont été réalisées. Il existe un écart très important entre les connaissances apportées par nos collègues anglo-saxons et les travaux réalisés en France, notamment par l'Ineris, ce qui constitue un handicap très fort. Notre association fait beaucoup de formation, car nous nous sommes aperçus que la formation des médecins du travail est, en l'état actuel, totalement inopérante. Un jour, en formation, un médecin du travail, parlant des amalgames dentaires, soulignait que la toxicité du plomb était redoutable.
Sur Salsigne, des médecins implantés dans la vallée de l'Orbiel m'ont demandé ce qu'ils devaient faire. Leurs patients demandaient des analyses. Certains médecins préconisaient des analyses de sang. Or on ne retrouve pas l'arsenic dans le sang. La formation constitue un problème fondamental, tant chez les médecins que chez les préfets ou dans les ARS.
Lorsque nous avons lancé notre formation au conservatoire national des arts et métiers (CNAM), voilà trente ans, nous pouvions accueillir jusqu'à 60 personnes. À l'heure actuelle, nous avons cinq personnes, dont un médecin urgentiste qui assiste à notre formation parce qu'il est sollicité par la direction de l'ARS. Il faut partir de la formation. En trente ans, nous avons formé 400 personnes, dont un tiers de médecins et nous n'avons jamais été reconnus. L'un de nos collègues est le responsable de la toxicologie chez Eramet, la seule société minière française. Il faut prendre le problème à la base. Si nous ne pouvons pas nous appuyer sur des personnes formées, du préfet jusqu'aux personnes qui sont sur le terrain, et même si celles-ci sont pleines de bonne volonté, nous sommes perdus.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Parfois, il nous manque aussi un peu de bons sens et de réflexion.
M. Jean-François Narbonne. - Voilà vingt ans, l'institut national de la recherche agronomique (INRA) avait défini des valeurs d'alerte et des valeurs de remédiation en fonction des sols. Même une personne non formée pouvait déterminer si un site se trouvait au-dessus du seuil. Sur Saint-Félix-de-Pallières, les valeurs sont dépassées 100 à 1 000 fois dans certains endroits. Or la France a cessé d'utiliser ces valeurs au profit des valeurs sanitaires en déterminant si chaque contributeur (poussières, aliments, contacts cutanés) va faire dépasser la valeur journalière admissible. Pour le calcul, il faut faire appel à des modèles très difficiles à comprendre pour le grand public.
En 1994, avec un certain nombre de collègues du Conseil d'hygiène, nous avons défini des valeurs en plomb et en cadmium pour les fruits et légumes. Ces valeurs sont suivies au niveau européen aujourd'hui. Dès lors, nous avons pu déterminer qu'Achères ne pouvait plus être le jardin de Paris. Par la réglementation, nous avons pu donner l'alerte. Cependant, cette alerte a été effectuée au niveau alimentaire et n'a pas été suivie d'effet au niveau d'environnemental.
Sur Saint-Félix-de-Pallières, toutes les études des différents organismes ont été niées. Les dosages, considérés comme non fiables, ont été écartés. Un seul habitant a été reconnu comme pollué et a été indemnisé, car il possédait un document de l'époque de Napoléon III reconnaissant que le sol était pollué par les activités minières.
M. André Picot.- Nous avons préparé quelques documents avec le témoignage de cette personne et du premier lanceur d'alerte sur Saint-Félix-de-Pallières, qui a subi toutes les pressions imaginables et a été obligé de quitter sa maison sans être indemnisé. Les riverains cherchent généralement leurs intérêts avant même leur santé et celle de leurs enfants. Je vous conseille la lecture de ces deux témoignages.
M. Laurent Lafon, président. - Je rappelle que notre commission d'enquête ne peut pas s'immiscer dans des procédures judiciaires en cours. Nous pouvons connaître le volume des recours et les principales thématiques concernées, mais nous ne pouvons pas aller au-delà.
Mme Maryse Arditi. - France Nature Environnement dispose d'un réseau juridique assez puissant et plutôt efficace. Je sais que nous attaquons souvent des pollutions industrielles.
Je souhaitais revenir sur nos propositions sur l'aspect minier. Je vous communiquerai un document complet. En France, nous expliquons précisément les démarches à accomplir pour la mise en route d'une installation, une usine ou une centrale nucléaire, mais nous ne prévoyons jamais les modalités de fermeture. Les installations obtiennent une autorisation ad vitam aeternam ; elles ferment seulement lorsque l'opérateur est en faillite et n'a donc plus les moyens pour dépolluer le site.
Depuis quelques années, nous avons cependant assisté à une petite évolution. Désormais, chaque ICPE doit donner des garanties financières qui, en cas de faillite, permettent au moins de gérer les stocks de déchets abandonnés et mettre le site en sécurité. Ce sont aussi les deux seules actions réalisées par l'agence de l'environnement et de la maîtrise d'énergie (Ademe). L'Ademe ne dépollue pas ; elle retire les déchets et clôture le site.
A Salsigne, 200 kilomètres carrés sont pollués, mais il n'existe aucun panneau.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Ils commencent à apparaître à la suite de nos actions.
Mme Maryse Arditi. - Sur tous les sites pollués, certains riverains eux-mêmes demandent à ne pas trop parler de la pollution, car ils craignent de ne pas pouvoir vendre leur maison. À Salsigne, il nous paraît fondamental de réaliser une cartographie pour bien identifier les endroits pollués.
Dans le code minier, il faudrait prévoir des garanties financières pour gérer la situation après la fermeture d'un site. Lors de la fermeture de Salsigne, l'un des industriels ne pouvait pas poursuivre son activité, faute d'argent. L'État lui a demandé de continuer, s'engageant à prendre en charge la pollution du territoire qui ne relèverait pas de son activité. In fine, il a absous l'industriel de toutes les pollutions. Nous avons préparé une série d'amendements rédigés de manière précise sur le code minier.
M. Jean-François Narbonne. - La cartographie permet d'identifier les sols. Les notaires pourraient ainsi, lors de la vente d'une maison, préciser la situation du sol.
M. Laurent Lafon, président. - Selon l'administration, la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) répond à cette problématique.
M. Pascal Boury. - J'ai entendu que l'ARS n'était pas forcément compétente pour gérer la pollution des sols. Je pense néanmoins que l'ARS dispose de certaines compétences. Même si je ne suis pas spécialiste, je sais quand même lire un seuil. Au-delà de 300 milligrammes par kilo, le Haut Conseil de santé publique préconise un dépistage systématique. Cela ne prête à aucune critique.
Vous venez d'évoquer deux sujets d'intérêt. Il existe aujourd'hui un véritable trafic de ces terrains pollués et il doit cesser. Les notaires sont des officiers ministériels. Ils sont soumis à des obligations de recherche, de conseil, etc., mais ils font un vrai business de ces terrains. Lorsque vous recherchez une responsabilité sur un acte notarié et que vous arrivez en cassation, vous devez obligatoirement vous faire assister d'un avocat de cassation. Or les avocats de cassation sont eux aussi des officiers ministériels. Nous sommes confrontés ici à un défaut d'indépendance institutionnelle et la Cour européenne des droits de l'homme indique qu'il est possible de passer outre la Cour de cassation pour s'adresser directement à elle. Je préconiserai donc de modifier le statut des avocats de cassation, car la situation actuelle est très questionnable.
Ces terrains sont, pour la plupart, captés par des promoteurs, notamment dans les grandes villes d'Île-de-France. J'encourage la commission à se rendre dans les anciennes plaines d'épandage. Avec deux cas positifs sur six dépistages à Carrières-sous-Poissy, je ne vois pas comment l'ARS peut nier tout problème. Pourquoi l'ARS ne réalise-t-elle pas ces dépistages comme le préconise le Haut Conseil de santé publique alors que des intoxications sont avérées ?
Je reviens sur des données parues dans la presse, précisant la dégradation du quotient intellectuel de certains pays européens. En quinze ans, nous avons perdu plus de 10 points de quotient intellectuel (QI). Le plomb crée des troubles et des baisses de QI. Il est grand temps d'agir. Au-delà des problèmes de compétences et de formation, il faut dire la vérité et agir.
M. Laurent Lafon, président. - J'ai relevé deux angles morts dans l'organisation collective autour de ces questions de pollution. Sur le recensement et l'identification, il existe un delta important entre la législation et sa mise en pratique. Nous pourrions évoquer l'absence d'actualisation de Basol, l'arrêt de l'inventaire des établissements scolaires, etc. Il semble difficile d'aller jusqu'au bout de l'identification.
À cela s'ajoute une difficulté dans le passage entre mise en sécurité et dépollution et cette difficulté est peut-être de nature budgétaire. Des dispositifs existent pour la mise en sécurité, mais l'étape de la dépollution ne se franchit pas facilement.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Dans chaque département, pourquoi ne mettrions-nous pas au point un protocole comme nous en avons déjà pour les alertes neige, pluie ou inondations pour ces problèmes de pollution ? Je suis un peu désarçonnée par le manque de réactivité de certains services. Pourquoi ne déclencherions-nous pas un dispositif de précaution avec des dépistages systématiques lorsque de tels événements se produisent ? Au départ, les services ont ciblé les enfants de 8 à 10 ans, puis jusqu'à 11 ans. À l'été, j'ai demandé à la ministre des solidarités et de la santé un dépistage à la fois des enfants et des adultes.
Face à ces événements, nous devrions dépasser les débats d'experts et appliquer une grille de procédure pour déclencher un dépistage et un suivi des personnes. Dans l'Aude, la problématique santé n'a fait surface que lorsque des familles se sont rendues à l'hôpital. Le suivi sanitaire a été abandonné à un moment donné sans que les résultats aient été portés à la connaissance du public. Nous souhaiterions aboutir à la proposition d'un processus qui soit le plus adapté possible et qui pourrait être appliqué de façon identique partout.
M. Pascal Boury. - Il existe un seul processus aujourd'hui, le processus relatif au plomb, et il est clair et net. Je ne peux que vous conseiller de vérifier la présence de plomb à Salsigne. Le saturnisme est une maladie à déclaration obligatoire, qui doit donner lieu à des mesures d'urgence. Appliquons déjà le seul processus qui existe. Nous sommes aujourd'hui dans le déni le plus total sur le sujet et cette situation doit cesser.
Mme Maryse Arditi. - Effectuer une réelle analyse d'un site pollué est tout un art. Trois mois après les inondations, le bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) a affirmé que celles-ci n'avaient pas entraîné de sur-pollution. Or ses équipes avaient réalisé des mesures à un endroit déjà pollué. D'autres ont étudié le passage de l'inondation et ont trouvé de la pollution dans des zones qui n'étaient pas polluées auparavant.
Nous devons évoquer Basol, Basias et les secteurs d'information des sols (SIS). Avant la mise en place des SIS, il était prévu de définir des secteurs d'alerte sur les sols, mais les élus ont rejeté le terme d'alerte. Si ces sites pollués se trouvent au milieu d'une ville, où le terrain coûte cher, vous trouverez toujours quelqu'un pour dépolluer plus ou moins bien, mais les sites de campagne ne seront jamais dépollués, car le terrain n'a pas de valeur.
M. Nicolas Husson. - La difficulté à laquelle nous sommes confrontés bien souvent en France touche aux disparités territoriales d'appréhension des problématiques environnementales. Dans un contexte urbain dense, réhabiliter du passif foncier dégradé ne posera aucun problème, compte tenu de sa valeur de reconversion d'usage. La situation se révèle beaucoup plus complexe lorsqu'il s'agit de sites orphelins dans des villages ou des milieux ruraux délaissés.
En introduisant des disparités de traitement dans les régimes de cessation d'activité, entre la déclaration simple, que nous retrouvons généralement en milieu rural, et l'enregistrement/autorisation, plus souvent utilisé en contexte métropolitain, nous risquons d'induire une augmentation du nombre de friches industrielles. Dans de petites villes, il faudrait peut-être introduire des notions financières. L'argent reste quand même le nerf de la guerre. Sur Salsigne, plusieurs millions de tonnes de terres sont contaminées à l'arsenic et le coût est absolument exorbitant. Pour les sites orphelins qui présentent potentiellement des risques sanitaires lorsqu'ils n'ont pas été mis en sécurité par le dernier exploitant, il convient de trouver des solutions imaginatives du point de vue réglementaire, technique et méthodologique pour sensibiliser les inspecteurs des installations classées et les doter d'outils leur permettant de prescrire, auprès du dernier exploitant, des solutions de reconversion, en s'appuyant sur des mécanismes financiers d'attractivité territoriale. Cette démarche rejoint d'ailleurs le groupe de travail lancé par Emmanuelle Wargon sur la réhabilitation des friches.
Une réflexion pourrait être menée avec des acteurs comme le laboratoire d'initiatives foncières et territoriales innovantes (Lifti), dont FNE, l'Ademe, le BRGM ou l'Ineris sont partenaires, pour trouver des leviers sur ces terrains délaissés qui présentent potentiellement des risques. Nous pourrions aussi rechercher des solutions fiscales permettant de redonner de l'attractivité au territoire, faire en sorte que ces friches redeviennent des lieux de vie ou des espaces de nature. La nature peut parfaitement reprendre sa place sur une friche urbaine qui peut redevenir un lieu de vie et d'attractivité socioéconomique, démographique et de relance des territoires.
M. André Picot. - Notre association ne défend pas du tout la fermeture définitive de toutes les mines. Nous sommes bien conscients que la demande de certains minéraux rares pourrait peut-être trouver une solution, mais à une condition, que nous réhabilitions ce qui peut l'être. À Saint-Félix-de-Pallières, je ne vois pas très bien comment nous pourrions traiter un terril présentant 500 grammes par kilo de plomb. En revanche, il existe sans doute des endroits où les mines pourraient être réhabilitées et retrouver un nouvel usage industriel.
Certaines personnes sont formées, mais elles ne peuvent pas parler. Je prendrai l'exemple du BRGM. Ses agents sont extrêmement compétents dans le domaine des mines, mais ils ne peuvent pas diffuser leur savoir. Cette problématique relève d'un enjeu politique qu'il faudrait relever, car le savoir doit être diffusé.
L'ARS doit réaliser des analyses en cas de pollution. À Saint-Félix-de-Pallières, devant la pression des riverains, le préfet ordonne des analyses. Un lundi matin, il est demandé aux riverains d'apporter un flacon d'urine. Une vingtaine de flacons présente des taux d'arsenic anormaux. Or l'ARS répond que ces personnes avaient certainement mangé des moules durant le week-end. Certains organismes marins accumulent effectivement de l'arsenic, mais celui-ci est totalement inoffensif. Cette réponse démontre encore une fois que les équipes des ARS n'ont pas de formation en toxicologie. Il s'agit moins d'un problème de moyens financiers que de volonté.
M. Jean-François Narbonne. - Il me semble indispensable d'établir une cartographie. Si vous abordez le problème d'un point de vue sanitaire, vous serez confrontés à des difficultés d'épidémiologie et de puissance statistique. Le QI n'est pas seulement affecté par le plomb ; il faut aussi tenir compte des antithyroïdiens et des perturbateurs endocriniens. Si vous dépassez un seuil de plomb dans le sol, il faut s'occuper du sol et ne pas attendre que les enfants soient malades. Nous n'avons pas besoin de prises de sang pour savoir que le sol est pollué. Pour déterminer si les pesticides déclenchaient la maladie de Parkinson chez les agriculteurs, il a fallu une étude de deux millions de personnes en Australie.
La cartographie vous donne déjà des informations. En outre, elle est indispensable pour lancer une étude épidémiologique. Vous ne réalisez pas une étude épidémiologique sur un département, mais sur un site pollué et un site témoin. Il existe un problème budgétaire. Une étude sanitaire avec des biomarqueurs d'exposition exige un budget. En général, les ARS, estimant que le sujet les dépasse, renvoient le dossier à Santé publique France. Il faut qu'un institut national intervienne, car certaines ARS ne sont pas formées et répondent mal. Pour pallier cette hétérogénéité locale, il faudrait un staff national qui puisse se déplacer dans la zone en cas d'alerte, pour effectuer une cartographie et juger si un site est pollué, en fonction des seuils. Sur cette base, nous pourrions alors définir des zones sur lesquelles une étude épidémiologique pourrait être menée.
A l'INVS, nous avons défini des valeurs de référence sur de nombreux métaux qui permettent de déterminer si les personnes qui habitent dans certains endroits sont plus exposées que la moyenne des Français. Nous avons gagné un procès sur un incinérateur non pas en affirmant que les habitants avaient plus de cancers, mais en montrant que la retombée des fumées avait contaminé les oeufs et le lait et que les personnes qui avaient consommé ces produits avaient plus de dioxine dans le corps. Cette surexposition entraînait une mise en danger.
Il faut des outils et des équipes pluridisciplinaires formées, avec des vétérinaires, des hydrogéologues, des médecins. Les médecins ne doivent pas être en charge de tout, car ils ne savent pas grand-chose de la pollution des sols. Ces équipes doivent être en mesure de se déplacer dans les différentes zones d'alerte pour travailler en collaboration avec les ARS. Sur Saint-Félix-de-Pallières, des prélèvements urinaires ont été réalisés par Santé publique France sur plus de 600 personnes et ont été comparés par rapport au dosage des sols et dans l'eau.
En nous concentrant sur les critères sanitaires humains, nous oublions aussi les critères sanitaires environnementaux. Il faut tenir compte des animaux, des plantes. Il existe des seuils sanitaires sur les impacts environnementaux. Si vous devez étudier la pollution d'un site, vous devez examiner le site dans toutes ses dimensions.
M. Pascal Boury. - Nous ne faisons pas une prise de sang pour déterminer si le sol est pollué, mais notamment pour détecter le saturnisme, « pour que les enfants et leur famille puissent échapper à la menace », comme l'écrit clairement le Haut Conseil de santé publique dans son rapport.
Mme Gisèle Jourda, rapportrice. - Vos propos m'ont confortée dans l'idée qu'il existe une problématique d'ordre national sur ce sujet. Au-delà de la pollution du sol, nous devons provoquer une chaîne de réactivité, car la dimension santé n'est pas toujours prise en charge par l'ARS. J'ai noté une volonté de ne pas donner d'éclairage national. Or cette piste mérite d'être approfondie.
M. Laurent Lafon, président. - Nous allons nous arrêter là. N'hésitez pas à nous transmettre vos propositions dans les jours à venir.
M. Nicolas Husson. - Quelles seront les suites données à cette commission ?
M. Laurent Lafon, président. - Nous avons démarré les auditions hier. Il est difficile de vous préciser à ce stade le résultat auquel nous aboutirons. Les commissions peuvent éventuellement donner lieu à des propositions de loi.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 20 h 10.