- Mardi 28 janvier 2020
- Audition de M. Didier Migaud, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
- Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Didier Migaud aux fonctions de président de la HATVP
- Audition de Mme Anne Levade, candidate proposée par le Président du Sénat comme membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
- Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de Mme Anne Levade aux fonctions de membre de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique
- Mercredi 29 janvier 2020
Mardi 28 janvier 2020
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 13 h 55.
Audition de M. Didier Migaud, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, nous entendons aujourd'hui, dans le cadre de la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution, Didier Migaud, candidat présenté par le Président de la République pour exercer les fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). En cas de nomination, vous succéderiez à Jean-Louis Nadal, dont le mandat a pris fin le 19 décembre 2019. Je regrette la lenteur de la procédure de nomination, avec, pour conséquence, la vacance de la présidence de la Haute Autorité pendant plus d'un mois.
Conformément à la loi organique et à la loi du 23 juillet 2010, le Président de la République devra renoncer à cette nomination si l'addition des votes négatifs exprimés à l'Assemblée nationale et au Sénat représente, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Le vote aura lieu à la suite de notre audition, qui est publique et ouverte à la presse, avec un dépouillement simultané avec nos collègues députés. Les délégations de vote ne seront pas autorisées.
Didier Migaud, vous êtes Premier président de la Cour des comptes depuis presque dix ans. Nous avons souvent eu l'occasion d'échanger, notamment lors des travaux menés par notre commission sur les moyens de la justice, voilà quelques années. Le concours apporté par la Cour des comptes a été précieux pour nos investigations. Je sais que le rapporteur général et le président de la commission des finances, de même que le président de la commission des affaires sociales, jugent également très positivement leur collaboration avec la Cour, qui est tout à fait conforme aux exigences constitutionnelles.
Auparavant, vous avez été député de l'Isère et maire de Seyssins jusqu'en 2010. Vous avez joué un rôle significatif dans l'élaboration de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001, qui a réformé en profondeur notre architecture budgétaire. Votre expérience financière tant au Parlement qu'à la tête de notre plus haute juridiction financière vous a sans doute préparé à l'exercice de la fonction de président de la HATVP.
Je vous laisse désormais la parole pour nous exprimer la conception que vous vous faites de cette fonction, puis vous répondrez aux questions ou observations des membres de la commission.
M. Didier Migaud, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). - Je vous remercie, monsieur le président, de votre propos introductif. Je suis très heureux de pouvoir m'exprimer aujourd'hui devant vous ; je sais à quel point votre commission est sensible aux questions déontologiques. Même si le Sénat avait pu émettre quelques réserves lors de l'adoption des lois du 11 octobre 2013, une vraie relation de confiance s'est établie au fil du temps avec la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), grâce au travail mené par Jean-Louis Nadal. Le récent rapport du Groupe d'États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l'Europe souligne d'ailleurs la qualité et l'efficacité du fonctionnement de votre comité de déontologie parlementaire.
Ce sera un honneur pour moi de présider la Haute Autorité si les commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat valident ma candidature. Ce sera aussi l'occasion de prolonger un engagement constant au service de l'intérêt général et de l'exemplarité de la vie publique. J'ai l'habitude de rendre compte de mon action devant le Parlement. J'espère que ce retour vers le législateur, qui est important, aura lieu régulièrement.
Les lois du 11 octobre 2013 ont profondément modernisé le dispositif visant à promouvoir l'intégrité publique autour d'une nouvelle autorité indépendante, dotée de pouvoirs de contrôle étendus. La HATVP a montré qu'il était possible de mettre en place un contrôle efficace des déclarations de patrimoine et d'intérêts ; elle a noué des partenariats solides avec la justice, l'administration fiscale et, plus généralement, l'ensemble des acteurs oeuvrant à la promotion de la bonne gestion publique et à la prévention de la corruption. Elle n'a pas hésité à faire usage des pouvoirs d'enquête et d'injonction qui lui ont été conférés par la loi, des pouvoirs qui faisaient défaut à l'ancienne Commission pour la transparence financière de la vie politique. Par ailleurs, la Haute Autorité a su instaurer un dialogue de confiance avec les responsables publics concernés par ces obligations déclaratives. Aussi, il me paraît essentiel de conforter la HATVP dans cette double mission de contrôle et de conseil.
De nouvelles missions se sont peu à peu ajoutées, dont la mise en place du répertoire des représentants d'intérêts. Par la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, vous avez décidé de lui confier certaines missions de la Commission de déontologie de la fonction publique, tout en rénovant le contrôle des aller-retour entre le secteur public et le secteur privé.
Vous connaissez les chiffres mieux que personne : plus de 15 800 responsables publics déposent des déclarations de patrimoine et d'intérêts. Avec 55 agents, la HATVP semble avoir les moyens d'assurer ces contrôles ; 73 dossiers ont été transmis à la justice depuis 2013, ce qui témoigne de la probité de l'immense majorité des élus puisque cela représente moins de 1 % des dossiers contrôlés.
Je partage pleinement les principes qui guident l'action de la HATVP : l'indépendance, le contradictoire et la collégialité, des valeurs que j'ai appliquées sans relâche à la Cour des comptes.
Il n'y a pas de contrôle crédible sans indépendance, et le législateur a été très clair sur le fait que les décisions de la HATVP doivent être prises sans influence du pouvoir politique. La Haute Autorité décide librement de ses contrôles, dans le respect, bien sûr, des textes. Cette indépendance s'accompagne d'un devoir d'impartialité et de rigueur renforcé. Il convient d'être exemplaire sur ce point.
Cet impératif d'impartialité doit s'accompagner d'un certain courage : il importe de sanctionner ceux qui contreviennent sciemment aux règles de la probité publique, sans céder à la tentation de noircir le tableau. La valorisation et la diffusion de bonnes pratiques sont essentielles pour promouvoir la culture de l'intégrité. Je porterai une attention particulière sur ce point.
La force de la HATVP résulte de sa composition : la collégialité est le rempart le plus efficace contre la subjectivité. Le collège, qui compte aujourd'hui huit membres, dont six magistrats, sera enrichi à compter du 1er février prochain de quatre nouvelles personnalités. Le président du Sénat doit, avec votre accord, en nommer deux nouvelles, qui, je n'en doute pas, apporteront une expertise précieuse dans une discussion que je veux aussi libre que possible - la première d'entre elles sera d'ailleurs auditionnée dans quelques heures par votre commission.
Je crois au contradictoire. S'il prend du temps, il éclaire la décision et la rend souvent plus pertinente. Il garantit également la faisabilité sur le terrain. Comme le disait le philosophe Alain, « longtemps avant de pouvoir critiquer, il faut passer des années à comprendre ». Sans attendre des années, il convient de formuler des recommandations étayées. Telle a d'ailleurs été ma préoccupation constante au cours de ces dix dernières années.
La définition du conflit d'intérêts retenue par la loi permet d'embrasser une grande diversité de situations. Elle nécessite de ce fait d'être précisée, explicitée. La prévention du conflit d'intérêts implique, en outre, une approche au cas par cas, afin de garantir tout à la fois l'intégrité de la décision publique et la possibilité pour les forces vives de la Nation d'exercer les fonctions les plus stratégiques.
La prévention des conflits d'intérêts n'est pas innée : elle impose un effort en termes d'accompagnement, de conseil, de formation - je l'ai constaté lorsque j'ai mis en place le dispositif des déclarations d'intérêts à la Cour des comptes - ; elle exige une approche réaliste, préventive et éducative de la déontologie, fondée sur un dialogue étroit avec les responsables publics, comme en attestait le rapport publié en 2011 par la Commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique à laquelle j'ai participé aux côtés de Jean-Marc Sauvé et de Jean-Claude Magendie.
J'ajoute une quatrième dimension, la confidentialité des contrôles : la transparence sur les patrimoines et les intérêts est un moyen et non une fin. L'action de la HATVP a montré que la transparence de la vie publique et le respect de la vie privée n'étaient pas incompatibles.
Dans ce contexte, quelles sont les perspectives de la HATVP à court et moyen terme ?
Certes, il est toujours délicat de définir des priorités avant d'avoir pu observer le fonctionnement et les contraintes d'une institution, mais, si je devais le faire, elles seraient de trois ordres.
Tout d'abord, les échéances municipales de mars 2020 seront décisives. La HATVP a été créée pour participer à instaurer la confiance entre les citoyens et ceux qui incarnent l'État. Les citoyens veulent être assurés de la probité et de l'impartialité de celles et de ceux qui font les lois et les mettent en oeuvre. Le Grand débat national a aussi montré, malgré une défiance persistante dans la politique, que nos concitoyens restent profondément attachés à la démocratie et aux élus qui sont les plus proches d'eux. Au travers du contrôle des déclarations de situation patrimoniale en fin de mandat, la HATVP devra vérifier l'absence d'enrichissement illicite de celles et de ceux qui ont été à la tête des exécutifs locaux au cours de ces six dernières années. Par la suite, le contrôle des déclarations d'entrée permettra d'assurer d'emblée aux citoyens l'intégrité des nouveaux élus.
Dans cet objectif, l'obtention par la HATVP d'un droit de communication autonome, non plus exercé par la seule administration fiscale comme c'est le cas aujourd'hui, pourrait constituer une avancée. À ce titre, une attention particulière devra être portée aux déclarations d'intérêts publiquement accessibles sur le site internet de l'institution. Ce contrôle devra aussi laisser une place au droit à l'erreur : il faut être exigeant sur les informations demandées, sous peine de faire perdre toute crédibilité à l'exercice, mais il convient de bien distinguer ce qui relève de l'erreur de bonne foi - c'est l'immense majorité des cas -, qui donne lieu à correction, de ce qui peut relever de la dissimulation volontaire.
La HATVP doit bien expliquer son rôle ainsi que ses méthodes, afin de faire comprendre que les responsables publics et les élus n'exercent pas leur mission sans encadrement.
Ensuite, le transfert de compétences de la Commission de déontologie de la fonction publique vers la HATVP, qui aura lieu au 1er février 2020, participe d'une profonde modernisation du contrôle des agents publics. Cette mise en oeuvre devra se faire en respectant les caractéristiques de l'institution : accompagner, conseiller et contrôler. Si vous approuvez la proposition de nomination du Président de la République, je compte mener à bien cette tâche en concertation avec les déontologues nationaux et locaux. Il faudra faire vivre ces réseaux de déontologues que la HATVP a commencé à construire, car la déontologie s'accommode mal d'un pilotage trop lointain.
À cet égard, je veillerai à ce que la HATVP s'inscrive dans une logique d'accompagnement et de pragmatisme, en s'assurant que les obligations de chacun puissent être facilement comprises. La Haute Autorité n'est pas là pour empêcher les hauts fonctionnaires d'acquérir une expérience qui peut être utile dans le secteur privé, ni pour faire obstacle à ce qu'ils réintègrent leur administration d'origine, mais elle doit assurer la sécurisation et l'accompagnement des intéressés dans leurs obligations. Il faut que les avis rendus soient respectés ; mon expérience à la Cour des comptes m'a montré combien l'accumulation d'analyses et de recommandations peut parfois être frustrante pour nos concitoyens. Aussi, toute recommandation formulée doit être suivie.
Par ailleurs, la loi a doté la HATVP d'un pouvoir d'autosaisine, dont il doit être fait usage. De plus, la doctrine devra être à la fois lisible et prévisible. Même si la Commission de déontologie de la fonction publique a parfois été critiquée en certaines circonstances, la Haute Autorité pourra bénéficier de son travail. Des évolutions sont sûrement souhaitables. Je m'engage à ce que les avis de principe de la HATVP soient publiés, comme le permet la loi.
Enfin, la troisième priorité concerne l'encadrement du lobbying, sujet pour lequel le Sénat a adopté des règles claires.
Le répertoire des représentants d'intérêts, qui compte plus de 2 000 inscrits et totalise plus de 15 000 actions de lobbying déclarées, a permis d'étendre l'obligation de transparence aux relations avec le pouvoir exécutif. Face à des critères d'inscription complexes, l'approche pédagogique me semble essentielle. Le champ du répertoire est vaste : il concerne non seulement des entreprises, mais aussi des organisations professionnelles, des syndicats et des associations de taille très variable.
La crédibilité et l'efficacité du dispositif sur le long terme reposent toutefois sur la capacité de la HATVP à faire usage des pouvoirs de contrôle sur pièces et sur place. Si tout n'est pas public et si les informations déclarées restent globalisées, les représentants d'intérêts ne peuvent pas se soustraire à l'obligation de justifier avec précision l'exactitude et l'exhaustivité de leurs déclarations. La loi prévoit des sanctions pénales pour les lobbies qui ne rempliraient pas leurs obligations. Il importe donc que les règles qui conditionnent l'inscription sur le répertoire soient claires et incontestables.
J'ai cru comprendre que la HATVP avait suggéré plusieurs évolutions. Si vous validez ma candidature, il me semble utile que nous échangions sur ce point. D'ailleurs, l'extension du champ du répertoire aux relations avec les collectivités territoriales, prévue pour le 1er juillet 2021, nécessitera sans doute une réflexion approfondie au regard des multiples interactions qui se nouent chaque jour entre les acteurs locaux et les élus - vous êtes bien placés pour mesurer cette complexité.
Pour conclure, je veux partager avec vous une réflexion qui s'inscrit dans le long terme. Je souhaite que le travail d'intelligence collective engagé par mon prédécesseur se poursuive entre les différentes entités impliquées dans le vaste champ de la lutte contre la corruption afin d'améliorer la complémentarité des actions menées. Une réflexion me semble devoir être conduite sur les missions complémentaires qui sont parfois concurremment développées par d'autres instances. Il est de notre responsabilité collective de faire en sorte que la diversité des structures ne nuise pas à l'efficacité du dispositif. Cela implique des échanges réguliers sur des enjeux communs entre les décideurs, dans un climat de franchise et de confiance.
Voilà ce que je souhaitais vous dire en introduction, en insistant sur la nécessité de rendre compte et de prévoir des rendez-vous réguliers avec la représentation nationale sur ces sujets sensibles.
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie pour cet exposé liminaire. Permettez-moi de vous poser quelques questions.
Estimez-vous que, contrairement à certaines idées reçues et qui, pour certaines d'entre elles, sont calomnieuses, le travail de la HATVP a permis de démontrer très largement l'honnêteté des élus français, locaux et nationaux ?
Compte tenu de la masse des informations directement recueillies par la HATVP auprès de la Banque de France et de la direction générale des finances publiques (DGFiP) sur le plan fiscal, pensez-vous possible d'alléger certains volets des déclarations de situation patrimoniale ?
Vous avez évoqué le principe du contradictoire. Vous qui êtes orfèvre en la matière en tant que Premier président de la Cour des comptes, votre expérience peut-elle vous conduire à renforcer le caractère contradictoire des procédures de la HATVP ?
Enfin, vous avez mentionné des missions complémentaires exercées par d'autres institutions. À quelles institutions pensiez-vous ?
M. Didier Migaud. - Je l'ai dit au début de mon propos, je crois à l'honnêteté de la très grande majorité des élus nationaux et locaux. D'ailleurs, comme je l'ai souligné, moins de 1 % des dossiers contrôlés par la HATVP sont transmis à la justice. Tous les dispositifs mis en place au travers des lois successives doivent contribuer à restaurer la confiance entre les citoyens, les institutions et les élus, et la HATVP peut aussi y concourir. Il faut bien évidemment sanctionner celles et ceux qui ne respectent pas les règles, mais il ne faut pas que l'arbre cache la forêt. Il faut avoir le courage de parler des dysfonctionnements, des irrégularités, mais il faut aussi avoir le courage de dire quand cela va bien. Je crois beaucoup au rôle de conseil et de dialogue que peut jouer la HATVP.
Vous évoquez les complexités qui peuvent être ressenties par les élus. Je dois me faire une idée plus précise sur la question, mais je sais que la HATVP était tout à fait ouverte, sous l'autorité de Jean-Louis Nadal, au dialogue avec celles et ceux qui peuvent être concernés par les déclarations de patrimoine et d'intérêts. Il faut étudier les assouplissements proposés. Ils ne doivent pas conduire à moins de transparence - mais là n'était pas du tout l'objet de votre intervention.
Je suis très attaché au principe du contradictoire mis en avant par Jean-Louis Nadal et acté dans le règlement intérieur de la HATVP. L'indépendance, le contradictoire, la collégialité contribuent à la crédibilité et à la force d'une institution. Aussi, je veillerai à ce que le contradictoire soit toujours la règle. Elle est, me semble-t-il, inscrite dans l'ADN des membres du collège de la HATVP dans la mesure où la plupart d'entre eux sont des magistrats.
Plusieurs organismes peuvent contribuer à la transparence de la vie publique : la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, l'Agence française anticorruption, qui peut oeuvrer sur le même terrain que les chambres régionales des comptes, voire la Cour des comptes, et la HATVP pour toutes les questions relatives à la déontologie et aux conflits d'intérêts. Il importe qu'une jurisprudence soit fixée par la HATVP, qui a été choisie par les parlementaires pour éviter toute divergence de jurisprudence. Il faut mener un travail de réflexion pour éviter que cette diversité de structures ne pénalise l'objectif qui est le vôtre. Sur ce sujet, je n'ai pas d'idées a priori.
M. Pierre-Yves Collombat. - Dans votre introduction, vous avez indiqué qu'il fallait traiter le problème du lobbying. Dans le système actuel où la confusion des genres est la figure ordinaire, le contrôle du lobbying est absolument nécessaire, qu'il s'agisse du contrôle de l'inscription sur le registre - nous sommes très en retard par rapport à ce qui se passe dans un certain nombre de pays - ou des activités des lobbies. Qui rencontrent-ils ? Que font-ils ? Pourquoi ? Même si le secret des affaires est un principe sacré, vous semble-t-il possible d'avoir des informations plus précises sur leurs activités ? Par ailleurs, aurez-vous les moyens juridiques et matériels, notamment en termes d'effectifs, de contrôler les déclarations des représentants d'intérêts ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - L'institution que vous vous apprêtez à présider joue un rôle absolument fondamental dans notre vie démocratique. J'ai bien entendu la prudence de vos propos, mais je forme le voeu que votre action soit guidée par une très forte détermination.
Vous avez évoqué deux champs dans lesquels la compétence de la HATVP va être étendue : la déontologie de la fonction publique et la déontologie dans les collectivités territoriales. Lors de vos discussions avec le Président de la République, avez-vous eu des engagements sur les moyens qui seraient mis à la disposition de la Haute Autorité pour assurer ces deux missions supplémentaires ?
Vous n'avez pas parlé du « rétropantouflage » des agents publics - je ne sais pas si les décrets ont été publiés. La Commission de déontologie de la fonction publique était censée mener un travail de vérification lorsqu'un fonctionnaire passait du public au privé - je dis « censée » parce que j'estime qu'elle n'a jamais fait preuve d'une exigence échevelée en la matière. Qu'en est-il dans l'autre sens ? Même s'il est difficile de souhaiter que des personnes du privé aient des fonctions publiques, c'est là un vrai sujet. Quel est votre point de vue en la matière ?
Vous n'avez pas parlé du rayonnement européen de la HATVP. Certains militent en faveur d'une coordination des autorités analogues dans d'autres pays, alors que certains pays y sont totalement réticents. Avez-vous l'ambition d'y contribuer ?
Mme Françoise Gatel. - Lors de l'examen de loi dite « Sapin II », le Sénat s'était opposé à l'inclusion des responsables publics locaux dans le champ du registre des représentants d'intérêts, non par principe ou par refus de transparence, mais parce qu'il nous semblait que la HATVP, qui doit déjà contrôler 11 000 responsables nationaux, n'avait pas nécessairement les moyens de contrôler près de 19 000 personnes. Qu'en pensez-vous ?
M. Jérôme Durain. - Les attentes de la société française sont extrêmement fortes en matière de probité des responsables publics. Il règne un certain climat de suspicion.
J'ai le sentiment que la HATVP n'a pas encore complètement trouvé sa place auprès de ceux qu'elle doit contrôler. Il reste encore une forme de difficultés pour les élus à produire une déclaration, à contacter la HATVP. L'acte de déclaration, qui devrait être normal, n'est pas encore naturel. Est-ce dû à la jeunesse de l'institution ? Est-ce dû à la complexité ressentie par les élus ?
M. Didier Migaud. - En ce qui concerne le lobbying, la loi contient des avancées très importantes. La question est effectivement celle de la capacité de la HATVP à exercer ses moyens de contrôle. C'est d'ailleurs pour cette raison que le président Nadal avait soulevé la question du nombre de représentants d'intérêts supplémentaires liés aux collectivités territoriales. Il avait envisagé la nécessité, éventuellement, de hiérarchiser les contrôles et d'avancer progressivement, en fonction des moyens de la HATVP. Il ne suffit pas d'avoir un registre des représentants d'intérêts, il faut avoir les moyens de s'assurer que les personnes concernées s'inscrivent bien sur le registre et rendent suffisamment compte de leurs contacts. Le citoyen doit savoir comment se font les lois ; qui intervient ; et dans quel sens. Nous devons aux citoyens cette transparence.
C'est pourquoi j'ai la volonté d'exercer pleinement les missions de la HATVP, avec les moyens nécessaires. L'institution est encore jeune. Jean-Louis Nadal a réalisé un travail remarquable. Il importe de le poursuivre, car il est essentiel de montrer qu'une autorité administrative indépendante réalise les contrôles. La transparence est un moyen de renforcer la confiance des citoyens envers le pouvoir politique et les décideurs.
J'en viens au « rétropantouflage ». Il est indispensable que la HATVP puisse s'assurer dans quelle mesure les réserves qu'elle a pu émettre sont bien respectées lorsqu'un fonctionnaire part dans le secteur privé ou lorsqu'une personne, après avoir exercé dans le privé, revient dans la fonction publique. L'idée n'est pas d'empêcher les aller-retour entre le public et le privé, qui peuvent être utiles, mais de faire en sorte que ces mouvements respectent les règles et d'éviter les conflits d'intérêts. Je suis favorable à la mise en place d'une cartographie des risques.
Vous avez insisté sur les moyens de la HATVP. Je ne suis pas encore en fonction, et je ne peux pas apprécier si cette institution dispose bien des moyens pour exercer les missions que le législateur lui a confiées. Le président Nadal a toujours considéré qu'il avait les moyens nécessaires. La loi prévoit désormais le transfert des missions de la Commission de déontologie de la fonction publique, mais je constate que, pour le moment, les moyens n'ont pas suivi. Il n'est pas normal que cette question n'ait pas été abordée lors de l'examen de la précédente loi de finances. Ce sujet constituera l'une de mes premières préoccupations si je suis nommé. Pour le reste, ce n'est que lorsque je serai en fonction que je pourrai apprécier si les moyens de la HATVP sont en adéquation avec ses missions, en programmant peut-être une montée en puissance sur les risques les plus importants que l'on aura identifiés. C'est pour cela qu'il faut élaborer une cartographie des risques, afin que la HATVP soit la plus réactive possible dans les situations les plus sensibles.
J'ai échangé avec le président Nadal et j'ai aussi évoqué un certain nombre de principes essentiels, à mes yeux, avec le Président de la République sur l'indépendance, la nécessité de conforter les missions de la HATVP et de garantir son positionnement. Je voulais m'assurer qu'il s'agissait bien d'une priorité des pouvoirs publics. J'ai été rassuré à ce sujet, mais il m'appartiendra de rester vigilant pour que nous puissions exercer la totalité de nos missions. Je crois, en tout cas, en la nécessité de renouer la confiance entre les citoyens et les élus parce que toute perte de confiance fait peser des menaces sur la démocratie. Il est donc crucial de montrer qu'il existe des autorités administratives, totalement indépendantes, qui s'assurent, par leurs contrôles, que les élus respectent les règles exigeantes qui leur sont imposées. C'est pour cette raison que j'ai accepté de voir ma candidature proposée, dans le prolongement du travail entrepris par Jean-Louis Nadal.
Je crois aussi à des échanges au niveau européen sur ces sujets. La France est peut-être en avance sur un certain nombre de pays et pourrait, éventuellement, assumer la fonction de tête de réseau. Jean-Louis Nadal a commencé à mener ce travail au-delà de l'Europe. Je pense que l'Europe peut constituer un terrain prioritaire. La France a régressé dans le classement de Transparency International pour ce qui concerne l'indice de perception de la corruption. Nous devons comprendre pourquoi, alors même que de nombreuses dispositions législatives ont été adoptées pour renforcer la culture de l'intégrité et de la probité. Nous devons veiller à améliorer notre place dans ce classement ; c'est dans l'intérêt de tous.
M. Alain Marc. - Actuellement, les maires des communes de 20 000 habitants et plus doivent remplir une déclaration d'intérêts et de patrimoine. Avez-vous connaissance d'affaires de corruption ou de conflits d'intérêts dans des villes de moins de 20 000 habitants ? Envisagez-vous d'élargir le périmètre de vos interventions en abaissant ce seuil démographique ? Auriez-vous les moyens de le faire ?
Mme Marie Mercier. - Les élus ont bien conscience d'avoir certes quelquefois des droits, mais aussi beaucoup de devoirs. Lorsque j'ai rempli ma déclaration d'intérêts et de patrimoine, je l'ai fait avec beaucoup de soin et de minutie. J'ai consulté mon notaire, mon expert-comptable et mon mari, et je l'ai envoyée avec le sentiment du devoir accompli. Quels ne furent pas ma surprise et mon désarroi lorsque j'ai reçu, quelques semaines plus tard, une lettre de la HATVP me disant que j'avais oublié de déclarer que j'étais usufruitière du quart de la moitié de la maison qu'occupait ma mère. Je ne pouvais pas le déclarer, car je l'ignorais ! Pourquoi ne pas procéder dans le sens inverse puisque, manifestement, la HATVP a accès à des informations que nous n'avons pas toujours sur nos patrimoines ou comptes bancaires ? Pourquoi ne pas nous adresser une déclaration préremplie avec ces informations ?
M. Philippe Bas, président. - Voilà en effet une expérience que plusieurs collègues ont pu partager. On ne connaît pas toujours l'archéologie des comptes bancaires de la famille. Certains ignoraient l'existence de comptes ou de livrets d'épargne sur lesquels il ne restait que quelques dizaines d'euros. Si la HATVP adressait des déclarations préremplies, cela faciliterait le travail des élus, qui ne savent pas toujours tout de leur propre patrimoine, alors même qu'ils passent énormément de temps à faire les démarches pour un résultat qui peut être très faible.
M. Jean-Pierre Sueur. - Les membres du Conseil constitutionnel devraient-ils remplir, eux aussi, une déclaration de patrimoine et d'intérêts ?
Je rejoins l'intervention de Marie Mercier. Les élus rencontrent de réelles difficultés pour remplir les déclarations de patrimoine. On a beau le faire avec beaucoup de soin, il est parfois très difficile d'évaluer un bien. Des sénateurs ou des députés se sont vu opposer une évaluation des services fiscaux, fondée uniquement sur la surface et l'emplacement, sans tenir compte de l'état du bien... Ne pourrait-on pas clarifier les choses ou prévoir que les estimations de patrimoine sont réalisées par certains professionnels ? Qu'en pensez-vous ?
Est-ce que cela serait, selon vous, trop contraignant ?
M. Philippe Bonnecarrère. - Votre parcours suffit à prouver votre indépendance et vos compétences. Il arrive souvent dans les groupes parlementaires que, de manière informelle, un collègue joue le rôle de conseiller juridique et aide ses collègues à remplir leurs déclarations. Peut-être faudrait-il apporter une attention particulière au respect du contradictoire : des échanges entre la HATVP et certains collègues sont apparus comme des échanges d'informations classiques, sans que ces collègues soient en mesure d'apprécier qu'ils pouvaient déboucher sur une plainte au pénal. Il conviendrait donc de formaliser le principe du contradictoire et la procédure.
Mme Catherine Troendlé. - La HATVP a besoin, en moyenne, de sept mois pour contrôler les situations de déclaration patrimoniale. Comment réduire ce délai, qui place les personnes concernées dans une situation d'insécurité juridique ? Comment fiabiliser les estimations patrimoniales de la HATVP, qui diffèrent souvent des estimations de l'administration fiscale ?
M. André Reichardt. - Ma question va exactement dans le même sens : n'y aurait-il pas lieu, dans un souci de sécurité juridique, d'édicter un délai dans lequel, faute de réponse de la HATVP, celle-ci serait considérée comme positive ?
On entend beaucoup parler des dysfonctionnements, des quelques situations d'élus qui ne sont pas satisfaisantes. On n'entend jamais parler de ces centaines de milliers d'élus pour lesquels tout se passe très bien ! Il me semblerait judicieux, au-delà du rapport d'activité de la HATVP, de mettre l'accent sur l'honnêteté générale, à quelques exceptions près, des élus.
M. Éric Kerrouche. - Certains élus font l'impasse dans leurs déclarations sur telle ou telle année, ce qui rend les comparaisons difficiles. Il n'est pas normal que ces situations perdurent, alors que la plupart des élus s'astreignent à un remplissage exhaustif de leurs déclarations.
Par ailleurs, il existe toujours une différence de traitement entre les membres du cabinet du Président de la République et les membres des cabinets ministériels. Ne pourrait-on pas soumettre les uns et les autres aux mêmes exigences ?
M. Didier Migaud. - Je ne pourrai pas répondre avec précision à certaines de vos questions d'ordre pratique, car je ne connais pas encore comment la HATVP fonctionne de l'intérieur. J'entends les observations que vous faites. Depuis l'annonce de ma nomination, j'ai également reçu des témoignages sur des difficultés de dialogue avec la Haute Autorité. J'ai besoin de me rendre compte personnellement du fonctionnement de l'institution pour me faire une idée.
Le président Nadal avait le souci du contradictoire. Il faut prendre en compte la bonne foi et le droit à l'erreur des déclarants. D'ailleurs, le taux de transmission d'affaires au procureur de la République, je l'ai dit, montre bien que ce dialogue existe et que la bonne foi est prise en considération.
La HATVP s'appuie sur les déclarations des élus et les contrôle. Envoyer des déclarations préremplies serait sans doute un exercice beaucoup plus difficile pour la Haute Autorité, nécessitant des moyens plus importants. Je crois beaucoup au dialogue, au contradictoire. Je verrai avec les personnels et le collège de la HATVP s'il est possible d'améliorer le dispositif, de réduire les délais. En attendant, j'entends vos remarques, mais je ne suis pas en mesure de vous apporter des réponses précises sur ces sujets. En tout cas, je crois beaucoup à la présomption de bonne foi a priori et à la reconnaissance du droit à l'erreur, quitte à sanctionner les intéressés si les contrôles montrent une volonté d'omettre délibérément un certain nombre d'informations, ce qui ne semble pas être le cas dans les exemples que vous évoquez.
L'estimation des biens est un sujet difficile ; j'ai besoin d'y travailler avec les services de la HATVP et avec l'administration fiscale pour voir comment procéder. J'ai reçu d'autres témoignages ces dernières semaines qui montrent que la question est réelle ; des estimations sont remises en cause, sans que cela ne semble pertinent. Comment faire en sorte que les estimations ne puissent pas être contestées ? Il devrait être possible de trouver un chemin dès lors que les uns et les autres sont de bonne foi. Je vous propose, si vous validez ma nomination, de revenir devant vous dans quelques mois pour faire le point sur ces questions.
Je crois beaucoup au dialogue avec les élus, qui sont, encore une fois, dans leur immense majorité, honnêtes - vous avez raison de le rappeler. Peut-être la HATVP doit-elle davantage communiquer, expliquer, comme le faisait le président Nadal, que l'immense majorité des élus respecte les principes d'intégrité et de probité. Elle pourrait sans doute rendre compte de son action de façon plus régulière, au-delà de son rapport public annuel, pour expliquer à l'opinion publique que le législateur a imposé des règles et que celles-ci sont respectées et contrôlées.
Il appartient au législateur de fixer les seuils des déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale. Les seuils actuels me paraissent a priori raisonnables au regard des moyens de la HATVP. Si le législateur décidait d'élargir les populations concernées, il faudrait bien évidemment prévoir des moyens en conséquence. Pour le moment, nous devons faire en sorte que tous ceux qui sont visés par des obligations déclaratives les respectent. Je pense aussi qu'il serait opportun, avant de penser à élargir les missions de la HATVP, de réaliser une cartographie des risques, sinon l'institution court le risque de se voir submergée par les missions à accomplir. Il est essentiel de fixer des priorités.
Vous avez évoqué les membres du Conseil constitutionnel. Tous ceux qui exercent une activité publique avec des responsabilités devraient remplir une déclaration d'intérêts et de patrimoine.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'était prévu dans une proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale. Il serait bon que le Sénat s'en saisisse !
M. Didier Migaud. - Les magistrats judiciaires, financiers ou administratifs n'ont pas été concernés par cette mesure, mais, honnêtement, il n'y a pas de raison. Il appartient au législateur de décider.
M. Jean-Pierre Sueur. - Merci pour cette réponse précise !
M. Didier Migaud. - En ce qui concerne les autres questions d'ordre plus pratique, je vous propose de revenir devant vous dans quelque mois, si je suis nommé. En tout cas, la HATVP a le souci d'une forte écoute. Je fais miens les trois principes qui sont rappelés sans cesse : l'indépendance, indispensable à la crédibilité de l'institution, le contradictoire et la collégialité.
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie.
Sans préjuger du vote de notre commission et de celui de la commission des lois de l'Assemblée, je prends acte de votre proposition, dans l'hypothèse où vous seriez effectivement nommé à cette lourde charge, de revenir devant la commission des lois du Sénat, après une période d'immersion et avant le vote du budget. Cela nous permettra non seulement d'obtenir des réponses plus précises à un certain nombre de questions, auxquelles je comprends très bien qu'il ne vous est pas possible de répondre de manière détaillée, mais aussi de vérifier que le Gouvernement a bien apporté à la HATVP les moyens nécessaires à son fonctionnement, compte tenu de l'élargissement de ses missions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Didier Migaud aux fonctions de président de la HATVP
M. Philippe Bas, président. - L'audition de Didier Migaud étant désormais achevée, nous allons à présent procéder au vote, qui se déroulera à bulletins secrets. En application de la loi du 23 juillet 2010, il ne peut y avoir de délégation de vote.
Nous procéderons ensuite au dépouillement, de manière simultanée avec la commission des lois de l'Assemblée nationale.
L'article 13 de la Constitution dispose que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Didier Migaud aux fonctions de président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, simultanément à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale.
M. Philippe Bas, président. - Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des lois de l'Assemblée nationale :
Nombre de votants : 30
Bulletins blancs : 5
Bulletin nul : 0
Suffrages exprimés : 25
Pour : 22
Contre : 3
La réunion, suspendue à 15 h 15, est reprise à 17 heures.
Audition de Mme Anne Levade, candidate proposée par le Président du Sénat comme membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique
M. Philippe Bas, président. - Nous entendons Anne Levade, candidate présentée par le Président du Sénat pour siéger à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
La procédure que nous allons appliquer est prévue dans la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, qui a créé la HATVP. Elle se distingue de l'article 13 de la Constitution notamment parce que notre commission doit se prononcer à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés pour approuver cette nomination.
J'ai souhaité que cette audition soit organisée le même jour que l'audition de Didier Migaud et qu'elle soit publique.
Professeur agrégé de droit public à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Anne Levade est spécialiste de droit constitutionnel et a participé à la commission « Avril » chargée de mener une réflexion sur le statut pénal du Président de la République en 2002, ainsi qu'au comité de réflexion et de proposition « Balladur », sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République en 2007. Elle préside, depuis 2014, l'Association française de droit constitutionnel et publie régulièrement des chroniques de droit constitutionnel.
Elle a également mis ses compétences au service du renforcement de la transparence de la vie politique en exerçant, entre 2014 et 2018, la fonction de présidente de la Haute Autorité de l'UMP, puis des Républicains. Cette responsabilité s'est exercée en toute indépendance et sans engagement partisan.
Je vous laisse désormais la parole pour un propos liminaire. Vous répondrez ensuite aux questions des membres de la commission.
Mme Anne Levade, candidate proposée par le Président du Sénat comme membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). - Je suis très honorée d'avoir été choisie par le président Gérard Larcher et d'être auditionnée par votre commission aujourd'hui.
Je mène depuis plus de vingt ans une carrière d'universitaire, essentiellement en droit constitutionnel ; je suis également présidente de l'Association française de droit constitutionnel, qui est une société scientifique.
J'ai toujours essayé de mettre mes compétences de juriste au service de l'intérêt général : ce fut le cas auprès des deux commissions de préparation de révisions constitutionnelles que vous avez citées, ou encore de la Haute Autorité de l'UMP puis des Républicains, chargée de l'organisation de la primaire de la droite et du centre. Je tiens à le rappeler, cela n'était pas un engagement politique de ma part, mais un choix au service d'une expérience démocratique. Cela me donne un regard opérationnel et me permet de ne pas avoir une vision éthérée des mondes juridique et politique et de leur articulation.
J'ai suivi l'installation de la HATVP avec beaucoup d'intérêt. J'ai été auditionnée à plusieurs reprises, notamment par la commission « Sauvé », dans les années qui ont précédé la création de la HATVP. J'ai toujours considéré que la transparence n'est pas une fin en soi, mais un instrument qui, pour être efficace, doit être bien utilisé.
Au cours de ses six premières années d'existence, la HATVP a su relever trois défis.
Le premier défi était relatif à son contexte de création : une structure dédiée à la transparence de la vie politique préexistait et le débat s'était cristallisé sur certains sujets. La HATVP a su rassurer ses interlocuteurs et devenir une instance de dialogue avec les déclarants, mais aussi à l'égard de l'ensemble des citoyens et des observateurs de la vie publique.
Nous vivons en effet une période de crise de confiance sans précédent, qui a, de surcroît, tendance à s'aggraver. Des fantasmes - enjeux financiers, conflits d'intérêts publics-privés, corruption, etc. - se développent. Le défi est colossal, la HATVP ne pourra pas le relever seule, mais le mouvement est amorcé. L'une des missions de la HATVP est de diffuser la culture de la transparence et les résultats des contrôles auxquels elle procède, afin de renouer la confiance avec l'opinion publique. Le taux de contrôle conduisant à des constatations négatives de la Haute Autorité tourne autour de 1 %, ce qui est rassurant.
Le deuxième défi auquel la HATVP est confrontée tient au nombre colossal de ses déclarants. Il me semble que l'organisation de la Haute Autorité a donné satisfaction et lui a permis d'accomplir ses missions. Mais, compte tenu de l'élargissement de ses compétences, ses moyens vont probablement devoir être adaptés.
Enfin, le troisième défi a trait à l'élargissement continu de ses compétences, avec des contrôles de nature différente selon les périmètres concernés. La HATVP a dû et a su adapter les réponses qu'elle a apportées à ces différentes problématiques. Elle va devoir adapter ses moyens à ses missions. Elle devra aussi poursuivre l'amélioration de ses relations avec les déclarants - même si, au bout de six ans, les craintes initiales semblent largement apaisées - ainsi qu'à l'égard de l'opinion publique. La Haute Autorité doit diffuser ses résultats afin d'expliquer la réalité de la vie publique française. C'est ainsi qu'elle réussira la mission qui est la sienne.
M. Jean-Yves Leconte. - Nous assistons depuis plusieurs années à une défiance croissante de nos concitoyens à l'égard du monde politique. La transparence de la vie publique s'est améliorée, mais la confiance ne semble pas se reconstruire. Qu'en pensez-vous ?
La HATVP va prochainement reprendre les compétences de la Commission de déontologie de la fonction publique. Quelle est votre appréciation, notamment sur les allers-retours entre le secteur public et le secteur privé de certains hauts fonctionnaires ?
Un récent rapport du Groupe d'États contre la corruption (GRECO) du Conseil de l'Europe dénonce les relations insuffisamment transparentes entre représentants d'intérêts et cabinets ministériels français. Qu'en pensez-vous ?
S'agissant de la primaire des Républicains, avez-vous des regrets sur la façon dont elle s'est terminée ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Deux points n'ont pas été évoqués de manière approfondie dans votre propos. Quel est votre point de vue sur la question des lobbies ?
Dans le prolongement de la question de Jean-Yves Leconte, que pensez-vous du « rétropantouflage » ?
Il y a quelques semaines, vous regrettiez que la plupart des réformes relatives à la transparence de la vie publique aient été adoptées à la suite de scandales. Vous faisiez référence à « l'affaire » de Rugy. Je suis surprise, car, en France, toute l'histoire des règles de transparence en France a procédé de scandales et d'affaires ! La HATVP est le produit d'un scandale.
Vous êtes une femme compétente et courageuse. Je n'ai aucun problème par rapport à votre profil. J'ai, en revanche, un problème par rapport à cette proposition de nomination. La HATVP est une institution jeune, fragile, qui a su s'installer, mais qui a besoin de neutralité et d'indépendance pour être respectée. Or vous avez rempli, pendant plusieurs années, d'éminentes fonctions au sein de l'UMP. Vous avez été rapporteure de la réforme des statuts de ce parti. Cela me pose problème car je suis très attachée à la HATVP, qui doit être absolument insoupçonnable.
M. Jérôme Durain. - La visibilité de la HATVP est encore insuffisante auprès de l'opinion publique, mais aussi des déclarants. Les élus ne se sentent pas encore totalement concernés par cette institution jeune, qui doit jouer un rôle central dans notre démocratie.
Mme Marie Mercier. - Permettez-moi de vous féliciter pour vos compétences et votre professionnalisme. Grâce à vous, nous aurons probablement un bel équilibre politique au sein de la HATVP, car Didier Migaud, si mes souvenirs sont exacts, fut adhérent du parti socialiste.
La HATVP a rappelé qu'elle n'était pas compétente pour examiner le cumul d'activités des ministres, pourtant interdit par l'article 23 de la Constitution. Comment s'assurer du respect de ce principe constitutionnel ? Le Gouvernement doit-il nommer un déontologue ?
M. Christophe-André Frassa. - Comment mieux accompagner les élus locaux dans la prévention des conflits d'intérêts ? La loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique interdit les conflits entre deux intérêts publics, mais a-t-elle un sens dans les collectivités territoriales, lorsqu'un maire serait également président de sa communauté de communes ? La mise en oeuvre du registre des représentants d'intérêts dans les collectivités territoriales a été décalée au 1er juillet 2021, mais elle s'annonce particulièrement complexe au regard du nombre de collectivités concernées. Quelles solutions pourriez-vous préconiser ?
M. François Bonhomme. - La HATVP a été mise en place en 2013 et pourtant, la crise démocratique s'aggrave : n'y a-t-il pas là un paradoxe ? Ne fait-on pas face à un phénomène autophagique ? Plus la transparence progresse, plus la crise de la représentation s'aggrave...
Suffira-t-il de mieux diffuser l'information, comme vous le dites ? L'information, y compris celle de la HATVP, est aujourd'hui largement diffusée. Le problème me semble plutôt relever de l'interprétation et de la présentation du travail de la HATVP.
Mme Catherine Troendlé. - La HATVP doit davantage communiquer sur son travail : les Français doivent bien comprendre que seul 1 % des déclarations examinées par la HATVP posent problème.
L'ancien président de la Haute Autorité a proposé de reconnaître, dans la Constitution, le rôle de l'institution. Cette dernière deviendrait une autorité constitutionnelle, au même titre que le Défenseur des droits, mentionné à l'article 71-1 de la Constitution. Cette proposition vous semble-t-elle indispensable pour garantir le bon fonctionnement de la HATVP ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Le parcours préalable supposé d'une personne permet-il de juger de l'indépendance de l'institution à laquelle elle appartient ? De nombreux membres de nos institutions peuvent se prévaloir d'un parcours politique : le Conseil constitutionnel lui-même est aujourd'hui présidé par une personnalité ayant des antécédents politiques.
Les membres du Conseil constitutionnel ne devraient-ils pas être soumis à l'obligation de remplir une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d'intérêts ? Une proposition de loi a été votée par l'Assemblée nationale en ce sens, mais elle n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour du Sénat.
Quels sont les critères admis pour l'évaluation du patrimoine ? Nous sommes tous confrontés à cette difficulté.
M. Henri Leroy. - Certaines associations ont proposé de « sourcer » les amendements proposés par des représentants d'intérêts. Cette obligation vous semble-t-elle compatible avec le droit d'amendement des parlementaires, garanti par l'article 44 de la Constitution ?
M. Philippe Bas, président. - Nous ne saurions vous faire grief d'avoir eu des activités politiques - que vous n'avez, au demeurant, pas eues -, alors que, ce matin même, nous nous félicitions que Didier Migaud soit un ancien parlementaire. De surcroît, comme Premier président de la Cour des comptes, il a fait la preuve de son impartialité et de son indépendance, comme vous l'avez probablement fait dans vos fonctions de constitutionnaliste.
Mme Anne Levade. - En conscience, je n'ai jamais considéré que l'engagement que j'avais à l'UMP était un engagement de nature politique. Les deux fonctions que j'y ai occupées exigeaient d'ailleurs que je ne sois membre d'aucun parti. Et c'est pour contribuer au bon fonctionnement de la démocratie que j'ai accepté la mission de rapporteur général de la commission des statuts du parti. Je me suis donc engagée en tant que juriste.
Si elle n'a pas restauré la confiance dans la démocratie et dans la vie publique, la HATVP a au moins apporté sa contribution à une moindre aggravation du niveau de défiance. Rétablir la confiance doit être un objectif partagé par tous les acteurs de la vie publique ; la transparence n'est pas un objectif en soi, mais un instrument parmi d'autres. Je ne sais pas comment on rétablit la confiance, mais je constate que, tout en étant critiques, les Français restent très attachés à la démocratie ; la participation aux prochaines élections municipales le soulignera probablement une nouvelle fois. Mais nous connaissons un climat général de morosité qui touche aussi à la perte de confiance dans l'avenir.
La transparence permet de montrer qu'il n'y a rien à cacher. C'est un exercice sain qui permet de prouver que la très grande majorité des responsables politiques est honnête et a le souci de l'intérêt général.
Une révision constitutionnelle dont le seul objet serait de constitutionnaliser la HATVP ne me semble pas indispensable ; je suis d'ailleurs assez réservée à l'égard de toute obsession constitutionnelle. La HATVP est médiatisée par éclipses, au rythme des affaires ou des nominations dont les médias se font l'écho, mais il me semble qu'elle est de mieux en mieux connue. L'accent pourrait être mis sur une diffusion plus large de son rapport annuel ou une meilleure connaissance de ses autres missions hors contrôle.
Je sais que les lois de transparence doivent beaucoup aux affaires, mais j'ai deux réserves : une part candide en moi aimerait qu'il n'y ait pas besoin de scandales pour avancer ; je regrette aussi que les réformes soient alors élaborées dans l'urgence, sous la pression des médias et de l'opinion publique, ce qui peut conduire à faire une démonstration d'intention très forte. L'inflation normative est une maladie bien française : toute situation n'appelle pas nécessairement l'adoption d'une loi ou d'un décret, voire la révision de la Constitution. Notre arsenal juridique me semble déjà tout à fait complet.
Le législateur avait souhaité que les membres du Conseil constitutionnel soient soumis à l'obligation de déposer une déclaration de patrimoine et une déclaration d'intérêts. Ce voeu du législateur a été emporté par la décision du Conseil constitutionnel concernant les déclarations de patrimoine et d'intérêts demandées à certains magistrats. Aucune raison ne s'oppose à ce que les membres du Conseil constitutionnel déposent une déclaration de patrimoine ; il conviendra cependant de réfléchir au régime de publicité adapté à cette déclaration, au regard notamment du respect de la vie privée.
Beaucoup de progrès ont déjà été faits sur les déclarations : les formulaires se sont améliorés et leur numérisation est une avancée. Au-delà des différents guides du déclarant, la HATVP doit continuer à aller vers plus de transparence et de clarté.
La HATVP devrait définir les critères et les référentiels qui peuvent être pris en compte pour l'évaluation du patrimoine des déclarants. Cela doit faire partie du nécessaire dialogue que la HATVP doit entretenir avec les déclarants.
S'agissant des représentants d'intérêts, la situation n'est pas encore totalement satisfaisante. La compétence de la HATVP en ce domaine est récente : nous sommes encore dans une phase de tâtonnements. Le décret d'application de la loi du 9 décembre 2016, dite loi « Sapin II », publié en 2017, est peut-être critiquable, car il est parfois en décalage avec la loi. Il y a beaucoup de fantasmes sur la question des lobbies. Je ne suis pas favorable à ce que les lois soient adoptées par des parlementaires enfermés dans une bulle étanche : il ne s'agit pas de lutter contre le lobbying, mais de reconnaître son existence et de le rendre transparent. Le lobbying n'est pas malsain en soi : lorsqu'ils délibèrent, les parlementaires doivent être éclairés par différents points de vue.
Je suis réservée sur le « sourcing », car il ne faudrait pas laisser croire que les parlementaires ne sont pas les auteurs des amendements qu'ils rédigent. Un amendement est le produit d'une réflexion, en commission ou en audition : le « sourcing » me semble donc assez absurde.
Je suis également réservée sur la publication systématique et obligatoire des agendas des parlementaires. Transparence ne veut pas dire tout mettre sur la table, en vrac : l'open data requiert un travail de traitement.
Au 1er février prochain, les compétences de la HATVP seront élargies à la déontologie de la fonction publique ; cette réforme a très probablement été préparée en amont par les services. Le rôle de la HATVP restera essentiellement subsidiaire : ce sont les administrations qui seront en première ligne pour prévenir les conflits d'intérêts de leurs agents.
Le « rétropantouflage » est une question délicate, mais il ne faut pas le condamner par principe. Je ne pense pas qu'il faille instaurer d'étanchéité entre les mondes économique et administratif ; il faudra procéder au cas par cas.
Le GRECO du Conseil de l'Europe a considéré que la France pouvait mieux faire en termes de transparence, s'agissant notamment de l'action des représentants d'intérêts auprès des cabinets ministériels. Je ne vois pas d'obstacle à ce que les dispositions prévues pour les parlementaires et les élus locaux soient étendues aux membres des cabinets ministériels ; cela serait cohérent.
Il me semble indispensable que la HATVP soit associée aux prochaines réformes, afin que son expérience puisse être prise en compte.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Vote et dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de Mme Anne Levade aux fonctions de membre de la Haute Autorité de la transparence de la vie publique
M. Philippe Bas, président. - Nous avons procédé à l'audition d'Anne Levade, dont la nomination par le Président du Sénat est envisagée pour intégrer la HATVP.
Nous allons à présent procéder au vote. Conformément à l'article 19 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, notre commission devra se prononcer, à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés, pour approuver cette nomination.
En application de l'ordonnance du 7 novembre 1958, les délégations de vote sont autorisées.
La commission procède au vote puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président du Sénat, de Mme Anne Levade aux fonctions de membre de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
M. Philippe Bas, président. - Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants : 32
Bulletins blancs : 5
Bulletin nul : 1
Suffrages exprimés : 26
Pour : 25
Contre : 1
La réunion est close à 18 h 10.
Mercredi 29 janvier 2020
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 09 h 35.
Nouveau code de la justice pénale des mineurs - Audition de M. Rémy Heitz, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris, et de Mme Aude Groualle, vice-procureure, cheffe de la section des mineurs au parquet de Paris
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre série d'auditions sur le nouveau code de la justice pénale des mineurs, qui doit entrer en vigueur au 1er octobre. Contre le vote du Sénat, le Gouvernement a obtenu du Parlement une habilitation à prendre par ordonnance les dispositions de ce code. Avant d'être saisis du projet de loi de ratification de cette ordonnance, il nous faut prendre un peu de recul. C'est ce que nous faisons aujourd'hui en entendant des représentants du parquet de Paris.
Monsieur le procureur de la République, je vous donne la parole.
M. Rémy Heitz, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris. - Avant d'entrer dans le vif du sujet et d'évoquer le nouveau code de la justice pénale des mineurs, je souhaite vous donner un aperçu de la situation connue à Paris, qui est à cet égard très spécifique : on ne la retrouve dans aucun autre ressort en France, pas même dans les départements périphériques.
Cette spécificité tient beaucoup à la présence d'un nombre très important, en hausse considérable, de mineurs non accompagnés à l'origine d'une délinquance acquisitive, de voie publique, particulièrement importante. Il s'agit aujourd'hui, dans l'exercice de mes fonctions, de l'un de mes sujets de préoccupation majeurs.
En l'espace de quelques années, entre 2015 et 2019, le nombre de ces mineurs non accompagnés déférés au parquet est passé de 1 500 à 3 000. Ils viennent de différents horizons, des pays de l'Est ou d'Afrique du Nord - Maroc, Algérie - notamment. Face à ces mineurs, qui sont souvent des multirécidivistes, l'intervention policière et judiciaire se heurte à une forme d'impuissance. Certains sont déférés plusieurs fois par semaine au parquet ; j'ai vu des mineurs dont la garde à vue était levée en début de week-end et qui étaient interpellés de nouveau avant le début de la semaine suivante.
Ces mineurs jouissent d'un sentiment d'impunité extrêmement fort, pour autant, d'ailleurs, qu'ils soient mineurs - la différence est souvent notable entre l'âge déclaré et l'apparence physique du jeune déféré à la justice. La section des mineurs du parquet de Paris gère une masse et un flux considérables : plus de 40 000 appels par jour, plus de 13 000 gardes à vue, 4 333 mineurs déférés en 2019, chiffre en très nette augmentation - il a doublé en moins de cinq ans -, dont 68 % de mineurs non accompagnés. Cette situation est très préoccupante ; elle ne se retrouve pas dans les autres départements. J'ai moi-même exercé au tribunal de grande instance de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, dont le tribunal des enfants est, avec celui de Paris, l'un des plus importants de France ; les mineurs délinquants y vivent certes parfois, mais les actes de délinquance sont le plus souvent commis au centre de Paris, là où se trouve la richesse.
Voilà pour le panorama. Nos réponses éducatives ne sont absolument pas adaptées à cette catégorie de mineurs ; ceux-ci sont déférés au parquet, mais très rarement placés en détention provisoire. Les juges pour enfants recourent peu à cette mesure, d'autant que les mineurs sont souvent interpellés pour des atteintes aux biens, pas pour des actes d'une très grande gravité - la gravité réside dans la multirécidive. Ils reviennent inlassablement, et ce n'est souvent qu'à la dixième infraction qu'ils sont enfin incarcérés et placés en détention provisoire. D'où un sentiment, je l'ai dit, d'impuissance, d'inefficacité et d'inutilité, partagé par tous les acteurs de la protection de l'enfance, et auquel nous comptons remédier avec le nouveau président du tribunal judiciaire de Paris.
Le parquet de Paris traite donc un flux considérable de mineurs délinquants ; il est doté d'une section spécialisée, dont la cheffe est à mes côtés, dotée de 11 magistrats et de 23 fonctionnaires - des moyens assez satisfaisants, donc, que j'ai renforcés dès mon arrivée.
Venons-en à la réforme. Si j'ai insisté sur les mineurs non accompagnés, un travail très efficace peut être effectué en direction d'autres mineurs, au titre de la protection de l'enfance ou dans le cadre d'une réponse pénale.
Nous sommes assez favorables aux dispositions du nouveau code de la justice pénale des mineurs. L'ordonnance de 1945 a subi de très nombreuses réformes qui l'ont rendue peu lisible. Elle comporte des dispositions éparpillées, et nous avons en permanence à jongler entre le code pénal, le code de procédure pénale et l'ordonnance de 1945 dans le cadre de la justice pénale des mineurs. Le nouveau code répond à ce souci de lisibilité ; la réforme permettra une nette amélioration de l'outil législatif à la disposition des professionnels.
Par ailleurs, ce code de la justice pénale des mineurs prévoit, grande nouveauté, une procédure de césure qui clarifie le rôle respectif des différents acteurs, avec d'abord une audience sur la culpabilité suivie d'un travail éducatif, puis une audience sur la peine.
Ce code place le parquet au coeur du dispositif : c'est le procureur de la République qui orientera la procédure vers la voie qui lui paraît la plus opportune : procédure de droit commun, avec la césure, ou, éventuellement, audience unique au cours de laquelle seront traitées à la fois la question de la culpabilité et celle de la peine prononcée ; audience de cabinet ou audience devant le tribunal pour enfants.
Auparavant, c'est le juge des enfants qui, étant saisi, faisait le choix d'une orientation vers une audience de cabinet ou vers le tribunal pour enfants. Désormais, c'est le parquet qui est maître de l'orientation de la procédure, ce qui va se traduire par une augmentation très forte des charges pour les parquets - actuellement, lorsqu'un mineur est dit « déféré au parquet », le parquet, concrètement, ne voit jamais ce mineur : c'est le juge des enfants qui le reçoit. Demain, c'est bien le parquet qui recevra le mineur et décidera - je l'ai dit - de l'orientation soit vers la césure soit, dans les cas où les conditions sont remplies, vers une audience unique qui permettra de statuer à la fois sur la culpabilité et sur la peine ou la mesure éducative.
Ce texte, donc, simplifie et clarifie, pour autant que les moyens associés nous soient alloués. Aujourd'hui, nous ne serions pas en mesure, à effectifs constants, d'assumer une telle réforme, qui va nécessiter des moyens supplémentaires, notamment pour la période transitoire. Il faudra que la situation des tribunaux pour enfants soit à jour au moment où nous basculerons dans le nouveau système. De ce point de vue, il faut bien dire que le mouvement de grève des avocats obère une situation déjà fragile, puisqu'un mineur ne peut pas être jugé en l'absence d'un avocat : depuis plus d'un mois, les tribunaux pour enfants tournent à vide ; leur fonctionnement est paralysé, du moins à Paris.
Situation compliquée, donc ; nous avons demandé des moyens pour faire face à cette période transitoire : au moins un magistrat du parquet et un juge des enfants supplémentaires. Ces moyens devraient nous être alloués par la cour d'appel.
S'agissant de la nouvelle procédure de jugement, la difficulté est toujours la même concernant les mineurs non accompagnés. Nous ferons très probablement, pour ces mineurs, le choix de l'audience unique - le mécanisme de la césure, avec ses deux phases, paraît assez vain pour des jeunes qui sont rétifs à toute prise en charge éducative et qui risquent d'échapper au système. Nous aurons donc probablement recours à la procédure de l'audience unique. Mais cette audience doit se tenir dans un délai minimal de dix jours ; nous craignons donc que les mineurs ne comparaissent tout simplement pas.
Autre sujet de préoccupation : le code de la justice pénale des mineurs prévoit que l'audience unique ne peut être mise en place qu'en cas d'antécédents, notamment éducatifs, avec des seuils de peines encourues de cinq ans pour les 13-15 ans et de trois ans pour les 16-18 ans. Encore faut-il, pour connaître ces antécédents, que le parquet, le tribunal et l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale disposent d'un dossier unique de personnalité (DUP). Or nous ne disposons pas encore d'un tel outil ; il faudra équiper les juridictions.
Une question nous interpelle également, celle du placement en détention provisoire. Le texte prévoit que c'est le juge des enfants qui décidera lui-même du placement en détention provisoire. Cette mesure nous paraît poser une difficulté sur le plan constitutionnel. Aujourd'hui, pour les majeurs comme pour les mineurs, c'est le juge des libertés et de la détention (JLD) qui statue ; le même juge ne statue pas sur la détention provisoire et sur le fond de l'affaire. Nous proposons que ce soit plutôt un JLD spécialisé qui prenne cette décision, afin de conserver la distinction entre le placement en détention provisoire et le jugement lui-même.
Nous avons répondu par écrit au questionnaire très complet de la commission ; nous vous fournirons ces réponses écrites, nourries de différents éléments.
Je résume : notre regard est positif sur ce texte, mais s'assortit d'une interrogation sur les moyens. Nous demandons des moyens importants non seulement pour traverser la période transitoire, mais aussi pour pérenniser le dispositif. Le parquet de Paris a fixé ses besoins à deux magistrats et cinq greffiers et agents de catégorie C supplémentaires. Il nous faudra des moyens pour appliquer ce texte ambitieux, qui, via le mécanisme de la césure, renforce l'intervention tant du juge que du parquet.
M. Philippe Bas, président. - Merci beaucoup, monsieur le procureur de la République, d'avoir rappelé le contexte, avec cette explosion de la délinquance des mineurs étrangers isolés. La Cour de cassation a reconnu la validité des documents d'état civil émis par des États étrangers alors même que la fraude, voire la corruption, est parfois à l'origine de ces documents. Une réflexion est-elle en cours à la chancellerie afin que la loi revienne sur cette jurisprudence, dont je ne conteste pas le bien-fondé du point de vue de la législation actuelle, mais qui est, pour l'ensemble des conseils départementaux de France, un sujet de vive préoccupation ?
Le nouveau code va-t-il vous permettre de mieux appréhender les difficultés que vous avez soulignées ? Vous avez attiré notre attention sur les moyens nécessaires à la mise en oeuvre de ce nouveau texte ; je suppose qu'il faut appliquer au chiffre que vous avez donné un coefficient 10 pour avoir une appréciation des besoins nationaux, soit 20 magistrats et 50 greffiers et agents de greffe. La chancellerie a-t-elle pris en compte cette nouvelle charge dans son budget pour 2020 ?
J'observe que tous les praticiens reconnaissent la nécessité d'écrire un nouveau code, travail à la fois passionnant et fastidieux ; c'est là, d'ailleurs, la seule justification du recours à l'ordonnance.
Mme Brigitte Lherbier. - Dans le Nord, ça ne va pas bien fort non plus en matière de justice des mineurs, et des mineurs non accompagnés notamment. J'ai été très longtemps administratrice d'un foyer qui couvre tout le département ; j'avais même posé une question au ministre : certains foyers étaient remplis de jeunes non accompagnés, et il n'y avait plus de place pour les enfants en danger.
Vous avez dit que ces jeunes étaient, pour certains, originaires d'Algérie et du Maroc. Il ne s'agit pourtant pas de zones à problèmes. Pourquoi ces enfants sont-ils en France non accompagnés alors qu'aucune guerre ou drame ne le justifie dans leur pays ?
Vous avez également évoqué la question des moyens ; ceux qui sont consacrés aux centres éducatifs renforcés et aux centres éducatifs fermés sont limités, et mériteraient d'être renforcés.
J'ai longtemps demandé qu'un juge des enfants soit chargé de l'assistance éducative et que l'action du parquet soit renforcée. Je constate que, tout doucement, l'idée fait son chemin.
Vous parliez aussi de dossiers partagés. J'ai été pendant des années adjointe à la sécurité dans ma ville ; je n'ai jamais réussi à obtenir le dossier partagé auprès de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui ne voyait en nous qu'une source de problèmes pour les jeunes.
Mme Josiane Costes. - Dans le cadre de l'élaboration de mon rapport pour avis sur le budget de la protection judiciaire de la jeunesse, j'ai visité le centre de détention pour mineurs de Porcheville et le quartier pour mineurs de Fleury-Mérogis. On constate que les mineurs non accompagnés sont surreprésentés dans ces centres ; ils y arrivent dans des états de santé catastrophiques, atteints de très fortes addictions ; et, de surcroît, il est rare qu'ils parlent français. Tout est mis en oeuvre pour essayer de les soigner et de leur apprendre la langue française, mais, dès qu'ils sortent, le problème réapparaît : ils retombent très souvent dans les mains des trafiquants. Que peut-on faire pour l'éviter ?
M. Pierre-Yves Collombat. - Monsieur le procureur de la République, je comprends que vous soyez satisfaits d'avoir désormais l'entière maîtrise de la procédure, de ne plus la partager.
Une telle césure entre la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine est-elle vraiment possible ? Le prononcé de la peine dépend aussi de la manière dont ont été appréhendées les conditions dans lesquelles le mineur en est arrivé à commettre un acte délictueux : les deux questions sont liées. Sur le papier, cette césure fonctionne parfaitement ; elle me paraît en réalité très discutable.
M. Philippe Bas, président. - Pourquoi est-il préférable que le parquet soit saisi, plutôt que le juge des enfants ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Deux questions.
Premièrement, vous avez mis l'accent sur la situation des mineurs non accompagnés, qui est particulièrement difficile à Paris. Philippe Bas a posé la question de savoir comment reconnaître les mineurs des majeurs ; reste que la grande masse est constituée de mineurs. Vous dites qu'on ne voit pas comment traiter cette question du suivi des mineurs non accompagnés, en matière d'hébergement, de prise en charge, de suivi judiciaire, etc. Que préconisez-vous ? Peut-être avez-vous quelques pistes.
Je voudrais, deuxièmement, insister sur la question du délai. Il n'est pas raisonnable d'avoir à juger un mineur neuf mois après les événements : le mineur ne se souvient parfois même plus de ce dont il est question. Qu'une première audience d'examen de la culpabilité soit immédiatement organisée, c'est très bien. Mais quid de la suite ? Une période de transition est prévue, mais le suivi me semble incertain. Quant à l'audience de prononcé de la peine, elle représente en quelque sorte un deuxième jugement ; sera-t-elle bien comprise ? Quel sera, pour le mineur, le sens de ce processus ? Tout cela suppose, en outre, beaucoup de moyens et de pédagogie.
M. Philippe Bas, président. - Il n'y a pas que les parquets, en effet ; il faut des moyens pour les éducateurs.
M. Philippe Bonnecarrère. - Merci pour ces explications limpides quant à la réforme ; merci également de nous avoir signalé l'éventuelle inconstitutionnalité de la disposition accordant au juge des enfants, et non au JLD, la prérogative du placement en détention provisoire.
Vous avez insisté, avec une franchise qui vous honore, sur l'impuissance et l'inefficacité de la justice. Vous êtes le procureur du premier parquet de France ; ce n'est donc pas un petit sujet.
Quels seraient vos conseils, vos avis, vos pistes, pour remédier à une inefficacité que la société ne saurait accepter ?
Je veux vous entendre en particulier sur deux points : le dossier unique de personnalité et la question de l'identification. S'agissant du DUP, quel est exactement le problème ? Relève-t-il de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ? Est-ce le lien avec les départements, ou avec la PJJ, qui est en cause ? Ou s'agit-il d'un simple problème de connexion informatique ? Quels sont les voies et moyens d'une solution en la matière ?
Quant à l'identification, vous avez dit qu'elle ne fonctionnait pas. Devons-nous comprendre, en quelque sorte, que les mineurs bénéficient d'un droit à la non-identification ? Ou le problème que vous soulevez a-t-il trait à la non-coopération des pays d'origine, qui vous priverait des moyens de cette identification ? Le cas échéant, que pourriez-vous faire, en lien avec la préfecture de police de Paris, pour traiter cette question ? La justice est traditionnellement très attentive à la séparation des pouvoirs ; pourtant, si l'on veut travailler sur l'identification et envisager le retour dans leurs pays des mineurs concernés, le monde de la justice et celui de la police doivent se parler.
M. François Bonhomme. - Merci de votre franc-parler. J'ai été assez abasourdi de la franchise avec laquelle vous vous êtes exprimé sur un phénomène qui s'aggrave d'année en année. Je ne connais pas d'autre domaine où l'impuissance publique et l'impunité totale font aussi bon ménage, alimentant un effroi, une consternation et une passivité généralisés.
N'a-t-on pas, en définitive, une vision encore trop irénique des enfants ou des adolescents, l'ordonnance de 1945 étant toujours brandie comme un totem ? Il faut bien admettre que des jeunes peuvent aussi être un facteur de trouble pour la société.
Qu'en est-il de la complaisance de certains pays d'origine, qu'on peut presque suspecter d'organiser passivement des filières ?
S'agissant de la procédure d'identification, avez-vous des propositions qui permettraient de contourner l'obstacle du refus de s'y prêter, auquel se heurtent beaucoup de départements ?
Je voudrais mentionner enfin les pratiques addictives auxquelles s'adonnent certains jeunes - je pense notamment au Rivotril, un médicament contre l'épilepsie.
M. Jean-Luc Fichet. - Au chapitre du sentiment d'impuissance, je souhaite partager un témoignage.
Je suis élu du Finistère ; des associations ou des familles viennent régulièrement me voir et me disent qu'elles hébergent un jeune étranger isolé qui, quoique mineur, n'est pas reconnu tel par le département. Des démarches sont engagées ; nous attirons l'attention du préfet sur ces situations ; celui-ci se contente de nous dire qu'il faut appliquer la règle : si le jeune n'est pas mineur, il doit être reconduit à la frontière. Pendant des mois, on en reste là : l'enfant s'enracine dans la famille, crée des liens avec le milieu scolaire. Vient le moment où l'on ne peut plus contester qu'il est majeur, et, brutalement, le refus de délivrance d'un titre de séjour lui est notifié. Conséquence : il disparaît. On conçoit bien que, pour survivre, ce jeune qui voulait réussir dans la vie soit conduit à commettre des actes de délinquance.
Comment éviter de telles situations ?
M. Jacques Bigot. - Nous abordons ce matin deux sujets très différents. Le code de la justice pénale des mineurs n'est absolument pas conçu pour répondre à la situation des MNA, mais pour traiter le cas de jeunes délinquants souvent déjà suivis, d'ailleurs, par le juge des enfants, au titre de l'assistance éducative. Le problème des mineurs non accompagnés, lui, est massif : on le rencontre dans toutes les villes de France. Sans prise en charge, sans ressources, ils finissent par tomber dans une délinquance probablement organisée en filières - on sait que c'est le receleur qui fait le voleur. Sur ce sujet de société, nous sommes en difficulté. À écouter mon collègue Jean-Luc Fichet, je me dis que le procureur de Paris préférerait sans doute que ces MNA soient dans les campagnes brestoises, où les choses se passent un peu mieux.
Je note par ailleurs que, à défaut de moyens supplémentaires dévolus à la protection judiciaire de la jeunesse, la réforme sera un échec - je pense notamment au temps de la césure.
Notre discussion mêle donc deux sujets différents. S'agissant du premier sujet, celui des MNA, quelles sont les stratégies aujourd'hui mises en oeuvre en matière de coopération entre police, justice et gens de terrain ?
Mme Catherine Troendlé. - Deux questions. Vous avez évoqué le risque de non-comparution à l'audience des mineurs non accompagnés. Faudrait-il prévoir la possibilité d'une audience unique même en l'absence d'antécédents judiciaires ?
Tous les parquets ne disposent pas d'une section dédiée aux mineurs ; le surcroît de travail lié à la réforme risque-t-il d'avoir un impact sur les autres activités des parquets ?
M. Dany Wattebled. - Le problème, s'agissant des mineurs non accompagnés, est de savoir s'ils sont mineurs ou majeurs. Nous sommes au XXIe siècle ! Nous parlons de bioéthique, etc., mais nous serions incapables de déterminer l'âge des mineurs étrangers ?
M. Henri Leroy. - Vous avez dressé un tableau explicite de la situation actuelle et précisé que notre système de mesures éducatives était dépassé. La tendance est à exonérer les mineurs de 13 ans de toute responsabilité. On constate pourtant qu'ils commettent fréquemment des délits, voire des crimes.
Mme Brigitte Lherbier. - C'est exceptionnel !
M. Henri Leroy. - Le mineur d'aujourd'hui n'est plus le mineur de 1945. Doit-on abaisser ou augmenter l'âge de la responsabilité des mineurs ?
M. Rémy Heitz. - Monsieur le président Bas, vous posez la question des moyens. Des moyens, il en faudra. Je ne saurais vous dire ce qui est prévu ; je sais seulement que des moyens nous seront alloués pour nous mettre à jour. Je souhaite que des postes soient sanctuarisés par la chancellerie pour mener à bien cette ambitieuse réforme.
Monsieur Collombat, pourquoi faut-il renforcer les prérogatives du parquet ? Parce que le parquet peut ainsi développer une véritable politique pénale, constante et uniforme, à l'égard des mineurs. Aujourd'hui, force est de constater, tant à Paris qu'à Bobigny, que, dans de grands tribunaux pour enfants, des approches différentes peuvent coexister d'un cabinet à l'autre.
Mme Lherbier posait la question de ces enfants qui viennent d'Algérie ou du Maroc, des pays qui ne sont ni en guerre ni en crise. Sachez de toute façon que nous avons beaucoup de mal à identifier le pays d'origine. Certains pays coopèrent, d'autres ne reconnaissent pas toujours leurs ressortissants. Il nous est arrivé, dans le passé, de démanteler des filières d'enfants dressés pour voler, venus des pays de l'Est, mais la situation semble aujourd'hui beaucoup plus dispersée, difficile à appréhender. Peut-être existe-t-il des filières d'acheminement, mais nous n'avons mis au jour, ces derniers temps, aucune filière d'exploitation.
Les mineurs des rues auxquels nous avons affaire refusent de s'inscrire dans les schémas d'intégration qui pourraient leur permettre, à terme, via la protection de l'enfance, de se maintenir sur le territoire.
Mme Costes a évoqué la question du budget de la PJJ ; il est certain qu'il faudra un renforcement considérable de ses moyens pour mettre en place le dispositif de mise à l'épreuve éducative. La procédure est enserrée dans des délais contraints ; elle n'aura de sens que si la prise en charge éducative est au rendez-vous. Quant à ce qui se passe après la sortie des centres de détention pour mineurs, je ne saurais vous répondre précisément, parce que les mineurs ne sont pas incarcérés à Paris, mais à Fleury-Mérogis.
M. Collombat a évoqué la question de la césure : le prononcé de la peine va-t-il perdre son sens s'il est séparé de l'examen de la culpabilité ? En réalité, s'agissant de mineurs, la peine a nécessairement une dimension éducative : il faut donc bien distinguer le temps de la déclaration de culpabilité du temps éducatif, étant précisé que les juges des enfants travaillent assez peu sur la culpabilité proprement dite - les affaires les plus complexes sont orientées vers les juges d'instruction. Quoi qu'il en soit, autant cette césure poserait des difficultés de principe si elle s'appliquait aux majeurs, autant, pour les mineurs, l'éducatif doit primer.
Monsieur Sueur, nous travaillons bien sûr en lien avec la préfecture. S'agissant de ces jeunes dont on ne parvient pas à déterminer exactement l'âge et le pays d'origine, la question paraît souvent insoluble. Nous disposons de techniques d'expertise qui passent par des examens d'âge osseux ; elles sont plus ou moins solides, et les magistrats en tiennent plus ou moins compte. En la matière, il faut que les autorités administratives et judiciaires travaillent de concert.
Monsieur Bonnecarrère, sur le dossier unique de personnalité, nous avons besoin d'une ingénierie informatique : il faut que nous développions une application partagée par les différents acteurs. Les textes qui encadrent le DUP existent déjà ; il n'y a là rien d'insurmontable.
Concernant les relations avec les pays étrangers en matière d'identification, nous avons bien avancé avec le Maroc, dont les autorités consulaires ont pu entrer en relation, au stade de la garde à vue, avec certains mineurs, ce qui a eu des effets positifs. Le plus souvent néanmoins, nous n'arrivons même pas à déterminer le pays d'origine. Cette démarche, par ailleurs, est lourde pour les services de police : il est complexe de faire intervenir les autorités consulaires durant le temps très court de la garde à vue.
L'impunité - M. Bonhomme a repris ce terme - est réelle chez les mineurs ; souvent, les services de police ne font que la constater, et tous les acteurs de la chaîne pénale partagent un certain découragement. Vous avez parlé d'un « totem » à propos de l'ordonnance de 1945 ; la réforme permet de tourner cette page et de repartir sur des bases nouvelles.
De la délinquance des mineurs, on dit qu'elle ne cesse d'augmenter depuis 1945. Il faut relativiser ! À lire le préambule de l'ordonnance de 1945, on voit bien qu'à l'époque, cette question était déjà extrêmement prégnante. On a connu des périodes, dans les années 1970 notamment, avec les « blousons noirs », qui n'ont, en la matière, rien à envier à la nôtre. Je m'inscris en faux contre l'idée selon laquelle les mineurs seraient de plus en plus violents et les délinquants de plus en plus jeunes. La délinquance des mineurs a toujours existé, comme le montrent les statistiques. Gardons-nous d'avoir une vision trop noire de la situation ! Il y a aussi matière à optimisme : un travail considérable est fait par les juges des enfants et la PJJ pour prendre en charge ces mineurs délinquants.
Vous avez à juste titre évoqué les filières de recel : sans receleurs, pas de voleurs. Mon parquet travaille beaucoup sur ce sujet. Les filières de recel sont le moteur des vols à la tire, de téléphones portables notamment, et des cambriolages. Le démantèlement de ces filières peut être un levier efficace pour décourager les auteurs de vols, qui ne trouveraient plus à recycler immédiatement le produit de leurs délits. Nous avons récemment identifié un réseau de receleurs qui fournissaient des Pass Vigik à de jeunes mineurs, leur permettant d'entrer dans les immeubles.
Monsieur Fichet, la question de la politique migratoire dépasse les compétences de la justice ; je n'ai donc guère de réponse à vous apporter.
Monsieur Bigot, une interrogation centrale revient dans votre propos : en quoi ce nouveau texte répondra-t-il à la question des mineurs non accompagnés ? Je dois d'abord dire, comme vous, que ce texte n'a pas été conçu pour répondre spécifiquement à cette question. Lors des audiences uniques, nous serons confrontés au problème de la comparution de ces mineurs, alors que la détention provisoire n'est aucunement la panacée : nous n'allons pas remplir les prisons de ces jeunes, ce serait vain et cela limite l'enclenchement de mesures éducatives. Néanmoins, la mise en place de l'audience unique permettra de raccourcir les délais et de les circonscrire. Ce texte offre donc une possibilité intéressante que nous utiliserons.
Bien sûr, nous n'obtiendrons de résultats que si des moyens supplémentaires, en particulier pour la protection judiciaire de la jeunesse, nous sont alloués. Ainsi, la mise à l'épreuve éducative, qui ne pourra s'étaler qu'au maximum sur neuf mois, nécessitera la mobilisation de moyens particuliers.
Madame Troendlé, la mise en place d'une audience unique nécessite la connaissance des antécédents éducatifs, mais cette notion a été conçue de façon très large et ne constitue donc pas un obstacle.
Concernant l'activité globale des parquets, il est vrai que nous ne pouvons pas tout faire et l'année 2020 est déjà riche en réformes, puisque nous devons notamment mettre en oeuvre le bloc « peines » de la loi de programmation et de réforme de la justice de mars 2019, ce qui constitue un travail considérable. Nous avons donc besoin de moyens supplémentaires, notamment en juges des enfants et en substituts des mineurs. J'ajoute que, même si les parquets sont aujourd'hui revenus à une situation convenable - à Paris, nous sommes quasiment à l'effectif complet -, nous aurons besoin de greffiers et d'agents administratifs pour tenir les audiences et organiser les procédures, car ces réformes reposent sur des circuits complexes. Si nous ne disposons pas de ces moyens, il est évident que nous serons amenés à faire des choix qui risquent de peser sur les autres activités.
Monsieur Wattebled, il est vrai que nous ne savons pas comment sortir de la difficulté de l'identification de l'âge. Je vais vous faire une confidence, nous avons même inventé deux nouveaux mots pour caractériser les personnes dont l'âge prête à discussion : les « maneurs » et les « mijeurs »... Il existe donc bien des décalages importants entre l'apparence physique et l'âge déclaré.
En ce qui concerne l'âge de la responsabilité des mineurs, cette question ne relève pas directement du procureur de la République que je suis. Il me semble cependant que le système actuel qui comprend finalement trois seuils - 18 ans, 16 ans et 13 ans - est relativement équilibré et permet de dégager des solutions satisfaisantes. Gardons à l'esprit qu'un mineur de 13 ans reste un enfant et qu'il doit avant tout être protégé. Il n'existe pas véritablement d'irresponsabilité pénale pour les mineurs de 13 ans : ils peuvent être déclarés responsables et se voir soumis à des mesures éducatives, mais ils ne peuvent pas faire l'objet d'une sanction pénale, d'une peine. De ce fait, je suis opposé, à titre personnel, à l'abaissement de la majorité pénale ; nous sommes tout de même dans un pays développé, donc capable de mettre en place des mesures éducatives adaptées.
Mme Aude Groualle, vice-procureure, cheffe de la section des mineurs au parquet de Paris. - Je vais essayer de répondre à plusieurs questions qui ont été posées.
Tout d'abord, quelle est la pertinence de positionner le parquet au coeur du dispositif d'orientation ? Dans tous les parquets, il existe au minimum un magistrat spécialisé sur la délinquance des mineurs. Cette centralisation et cette spécialisation sont très importantes, car elles permettent une connaissance de toute l'activité pénale et civile sur le ressort du tribunal, y compris en termes d'ordre public. Or il est essentiel d'apporter des réponses fines et adaptées à chaque situation. Par ailleurs, le parquet est aujourd'hui ancré dans la cité, parce qu'il a noué des partenariats importants avec l'ensemble des acteurs concernés - clubs de prévention, mairies, aide sociale à l'enfance, protection judiciaire de la jeunesse, éducation nationale... - notamment en ce qui concerne les alternatives aux poursuites - ce dispositif a dû être considéré comme satisfaisant, puisque l'ordonnance ne le modifie pas. Dans l'esprit de l'ordonnance de 1945, le parquet s'inscrit complètement dans un objectif de gradation de la réponse pénale et de primauté de l'éducatif. Enfin, la place du parquet dans le dispositif repose sur un postulat essentiel : le juge des enfants continue de contrôler l'ensemble du processus et des actes du parquet.
Ensuite, à quoi sert la césure ? Il faut d'abord rappeler que le raccourcissement des délais pour établir la culpabilité du mineur permet de donner une plus grande place aux victimes. Aujourd'hui, la mise en examen d'un mineur n'est pas nécessairement communiquée à la victime et celle-ci ne recevra que plusieurs mois ou années après un avis à victime pour comparaître à l'audience. Demain, le parquet sera en charge d'informer immédiatement la victime et le délai d'indemnisation pourra lui aussi être raccourci.
Un autre intérêt de la césure réside dans le fait de recentrer le travail de la protection judiciaire de la jeunesse sur les mineurs effectivement déclarés coupables. La PJJ n'aura plus à travailler, durant un an ou deux parfois, avec un mineur qui conteste les faits. Le travail éducatif se déclinera donc autrement.
L'audience de sanction aura lieu entre six et neuf mois après celle portant sur la culpabilité, ce qui constitue tout de même un raccourcissement des délais par rapport à la réalité actuelle. Le mineur sera jugé et sanctionné dans un délai d'un an. Cette audience de sanction ne doit pas être complètement décorrélée de la gravité des faits, même si la période de mise à l'épreuve éducative devra aussi entrer en ligne de compte, et le parquet jouera son rôle en la matière durant l'audience.
En ce qui concerne l'identification des mineurs non accompagnés, question particulièrement prégnante à Paris, je dois d'abord dire que le code répond de la même manière pour les mineurs dits domiciliés et pour les autres. Il n'est pas question de créer un code dérogatoire pour les mineurs non accompagnés.
La section des mineurs du parquet de Paris mène une réflexion spécifique sur les mineurs non accompagnés depuis 2015 pour savoir comment déterminer judiciairement non pas l'identité du mineur, mais son âge. Nous avons mis en place des dispositifs qui font appel à la notion de faisceau d'indices. Les documents d'identité participent de ce faisceau qui comprend cependant d'autres éléments, notamment les antécédents, les déclarations antérieures des mineurs, les empreintes... L'examen osseux dont l'objectif est d'abord scientifique ne constitue qu'un dernier recours, tout simplement parce que ce n'est pas une science exacte et que les médecins ne parlent souvent qu'en termes de probabilités. En tout état de cause, c'est au parquet de démontrer qu'une personne est majeure du fait de la présomption de minorité. L'apparence physique entre aussi en ligne de compte, mais ne constitue là aussi qu'un élément.
Dernier aspect de l'identification de l'âge : la coopération policière. Nous travaillons avec l'Algérie, le Maroc et la Tunisie sur la base des empreintes, et non sur celle de l'identité. Durant les gardes à vue, nous transmettons les empreintes des individus qui se déclarent mineurs aux autorités de ces pays. Toutefois, celles-ci ne peuvent pas nous répondre dans les délais de la garde à vue, 48 heures, ce qui pose la question de la conservation des données. L'expérience récente montre que 100 % des personnes concernées par ces demandes de coopération sont majeures. Il arrive que ces mineurs soient mis en garde à vue régulièrement, parfois plusieurs fois par semaine ; nous devons donc rationaliser ces recherches.
En ce qui concerne les addictions dont souffrent les mineurs non accompagnés, nous sommes quasi systématiquement confrontés à ce problème qui a pris une ampleur particulièrement importante depuis 2016. Nous nous sommes interrogés sur l'existence de filières et sur certaines déclarations de ces jeunes, selon lesquelles des personnes les contraindraient à prendre des substances pour commettre des infractions. Par deux fois, le parquet de Paris a demandé aux services de police d'enquêter sur l'existence ou non d'un système de traite des êtres humains. Nous n'avons pas identifié les canaux classiques d'un tel système, mais plutôt une solidarité délinquante, une mise en commun de moyens et une répartition des rôles entre ces jeunes. Il existe en revanche des filières d'acheminement aux frontières. Nous continuons pour autant à enquêter, car ces mineurs ont évidemment le profil pour être exploités.
En ce qui concerne la détention provisoire des mineurs non accompagnés, il est exact que ces mineurs sont surreprésentés dans certains centres - Porcheville, Fleury-Mérogis... Nous en avons conscience et nous avons noué des liens avec les autres parquets, notamment celui d'Évry, pour éviter ce qu'on appelle les sorties « sèches ». Il faut aussi avoir conscience que les mesures de détention permettent de prendre en charge les addictions et de mettre en place une accroche éducative. Il n'est pas rare que les éducateurs de la PJJ en milieu fermé nous disent que le mineur est bien mieux en sortant qu'en entrant. Cela pose évidemment des questions... Si les mineurs n'ont effectivement pas leur place en détention, nous devons tout de même réfléchir à la création de structures adaptées avec un cadre contraignant. En outre, il faut prendre en compte la diversité des publics concernés ; pour certains, l'accroche éducative est complexe à réaliser et le cadre contraignant la facilite. La détention n'est pas une fin en soi et cette réforme est l'occasion de réfléchir à d'autres cadres contraignants.
Sur l'audience unique, la procédure est suffisamment délimitée pour respecter la politique pénale menée par le parquet, y compris en termes d'antécédents éducatifs, et le juge des enfants pourra décider de modifier la prise en charge. Le nouveau code prévoit que le refus de signalisation permet au parquet d'orienter directement en audience unique en l'absence d'antécédent. Pour autant, l'audience unique ne sera pas la seule procédure pour les mineurs non accompagnés - ils ont besoin eux aussi, et peut-être plus que les autres, d'un suivi éducatif - et, dans le respect du principe de gradation, nous privilégierons en première intention une audience en césure. Mais si le mineur n'a pas comparu à l'audience de culpabilité, il faudra bien que la procédure avance.
Mme Catherine Troendlé. - J'ai travaillé sur ces questions et nous touchons les limites de ce que nous pouvons faire. L'un des blocages provient du nombre très important de mineurs en détention provisoire : ils ne sont pas encore condamnés et refusent souvent toute prise en charge éducative. Ils perdent donc énormément de temps.
M. Rémy Heitz. - La réforme peut avoir un effet positif sur ce point, puisque l'audience unique permettra un jugement et une déclaration de culpabilité plus rapides, ce qui limitera le temps de la détention provisoire qui ne se prête effectivement pas à la mise en place de mesures éducatives. Pour une personne condamnée, le régime est différent et les réponses peuvent être plus satisfaisantes.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je constate que les avocats ne sont pas tous en grève, puisque j'entends des plaidoiries éloquentes...
Vous avez indiqué, monsieur le procureur, que seul le procureur est capable d'une véritable politique pénale. Or je constate qu'à chaque fois qu'un problème apparaît, la chancellerie a tendance à refiler le bébé au procureur - je pense par exemple à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité qui a prospéré ou à l'allègement d'un certain nombre de procédures. Ce processus qui revient finalement à se débarrasser des audiences, certainement considérées comme encombrantes, pose tout de même des problèmes. Faut-il vraiment passer par pertes et profits le travail des juges pour enfants auxquels certaines prérogatives sont retirées ? J'ai l'impression que c'est une tendance lourde de la justice en France.
M. Rémy Heitz. - En ce qui concerne les avocats, je voulais simplement vous faire part d'une situation particulière de la justice des mineurs : d'un côté, la présence d'un avocat est obligatoire, de l'autre, ce sont très souvent des avocats commis d'office. De ce fait, la grève actuelle entraîne une quasi-paralysie de la justice des mineurs en ce moment.
Sur le rôle du parquet, la réforme n'enlève rien aux juges des enfants au profit des parquets, sauf peut-être en début de procédure. Les interventions des uns et des autres sont réorganisées, le rôle du parquet est accru en termes d'orientation, mais le rôle central du juge des enfants est maintenu, notamment au moment des audiences de culpabilité et de définition de la sanction. Il n'y a donc aucune capitis diminutio pour le juge des enfants, simplement une autre répartition des rôles.
Mme Aude Groualle. - Finalement, la réforme acte le fait que les juges des enfants n'utilisent que marginalement leurs pouvoirs d'instruction. Aujourd'hui à Paris, compte tenu des volumes, les juges des enfants ne délivrent presque jamais de commissions rogatoires ; ils instruisent sur la personnalité du mineur, ce qu'ils pourront toujours faire.
Mme Josiane Costes. - La détention provisoire, même courte, permet aux jeunes de retrouver un minimum de santé et le cas échéant de se désintoxiquer. Le problème réside avant tout dans les sorties dites sèches, mais pour les éviter il faut augmenter les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse. Il faut donc repenser les sorties et créer des étapes intermédiaires pour éviter la réitération des actes.
M. Philippe Bas, président. - Cette question concerne finalement la plupart des sorties de prison. Les sorties dites sèches sont moins propices à la réinsertion.
M. Rémy Heitz. - Monsieur le président, je souhaite simplement ajouter pour conclure que, si certains d'entre vous veulent voir comment les choses fonctionnent en pratique, nous vous accueillerons avec joie au parquet de Paris.
M. Philippe Bas, président. - Monsieur le procureur, nous vous en remercions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Nomination de rapporteurs
La commission désigne M. Philippe Bonnecarrère rapporteur sur le projet de loi relatif au parquet européen et à la justice pénale spécialisée.
La commission désigne Mme Jacky Deromedi rapporteure sur la proposition de loi n° 179 (2019-2020) relative aux Français établis hors de France, présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues.
La réunion est close à 11 h 25.