Jeudi 30 janvier 2020
- Présidence de M. Jean-Marie Bockel, président -
Audition de M. Frédéric Rose, préfet, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation
M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous accueillons aujourd'hui, dans le cadre du cycle d'auditions sur l'ancrage territorial de la sécurité intérieure, M. Frédéric Rose, préfet, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), qui succède dans ces fonctions à Mme Muriel Domenach, avec laquelle M. Carvounas et moi-même avions travaillé en 2017, lorsque nous préparions notre rapport sur la prévention de la radicalisation islamiste. De même, nous auditionnerons le nouveau directeur général de la police nationale dès que possible. J'ai souhaité que cette audition soit ouverte aux membres de la commission des Lois. Elle fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat et consultable en vidéo à la demande.
Le rapport que nous avons publié en 2017 a eu des échos. Nous formulions une vingtaine de recommandations, dont un certain nombre ont été intégrées au plan d'action contre la radicalisation du 23 février 2018. J'avais d'ailleurs apprécié que Mme Domenach vienne me voir dans la phase de finalisation du ce plan. Par ailleurs, à la mi-octobre 2019, vous vous en souvenez, je m'étais publiquement ému, au nom de notre délégation, que le Gouvernement n'ait toujours pas remplacé Mme Domenach.
Votre nomination, le 21octobre 2019, a donc été une bonne nouvelle. Vous connaissez le terrain. Après un passage dans la magistrature, vous avez été sous-préfet en Vendée, dans le Finistère et en Haute-Garonne et à la préfecture de police à Paris. En juillet 2018, vous avez été chargé de la déclinaison territoriale du plan national de prévention de la radicalisation, auprès du secrétaire général du ministère de l'Intérieur. Cette expérience variée vous sera sûrement utile.
J'appartiens à la génération des élus locaux qui ont, avec l'État, co-construit, au long cours, les politiques partenariales de prévention de la radicalisation et, plus généralement, de sécurité. La réalité du terrain, et l'impulsion de ministres de l'intérieur successifs, de quelque bord politique qu'ils soient, nous a conduits à bâtir une démarche qui a fait ses preuves. Le maître-mot, à cet égard, est la confiance - qui prend des années à bâtir, avec l'État, les préfets, les sous-préfets, la police nationale, la gendarmerie, etc. Mais aussi avec l'Éducation nationale : l'école est un sanctuaire, qui doit être préservé. Une fois que les partenariats sont constitués, et que tous travaillent ensemble, dans le respect des compétences respectives, et notamment de la séparation des pouvoirs, se développe un climat permettant de mettre en oeuvre un principe de secret partagé, qui permet d'évoquer réellement des cas concrets lors de réunions restreintes. Sur ce sujet particulier, en effet, les territoires sont souvent en manque d'informations et de partenariats, alors qu'ils savent des choses - même s'ils n'ont pas vocation à tout savoir. De tels partenariats sont bénéfiques à tous. Bref, les modalités d'association des territoires nous intéressent. Où en est la stratégie nationale ? S'est-elle actualisée ?
Avant de vous donner la parole, je salue la présence de M. Philippe Pemezec, sénateur des Hauts-de-Seine, qui remplace M. Bruno Gilles au sein de notre délégation et lui souhaite la bienvenue.
M. Frédéric Rose, préfet, secrétaire général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. - Merci pour votre accueil. Je suis heureux d'intervenir devant vous aujourd'hui, sur les sujets sensibles et d'actualité que sont la prévention de la délinquance, la prévention de la radicalisation, et peut-être aussi les dérives sectaires, puisque la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a été transférée au Secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (SGCIPDR) - et nous sommes aussi l'un des acteurs de la lutte contre l'islamisme.
Je me suis replongé dans le travail partenarial, de grande qualité, qui avait été mené entre votre délégation et le SGCIPDR en 2017. La plupart des recommandations faites à l'époque ont été reprises dans le plan, ce qui illustre l'intérêt d'échanges permanents entre la vision des territoires et celle de l'administration centrale.
J'ai fait beaucoup de terrain, et j'en ai retiré deux convictions. D'abord, c'est ensemble que nous réussirons sur les sujets de délinquance et de radicalisation. Il serait illusoire de penser que l'État peut tout régler seul. La solution est collective. Nous allons donc nous efforcer de poursuivre et d'intensifier cette collaboration. Deuxième conviction : on doit toujours faire mieux. On ne peut pas se contenter de ce qui existe, il faut toujours améliorer, évaluer, et renforcer nos dispositifs pour trouver davantage de complémentarité et d'efficacité. Dans notre système, chacun a ses compétences, ses pouvoirs, ses services. Si nous n'essayons pas d'améliorer notre travail, nous arriverons à des situations sclérosées, où chacun se renvoie la balle, et où le service qui est rendu à nos concitoyens n'est pas satisfaisant. Vous avez parlé de confiance : il faut, à chaque fois, que cette confiance soit reconstruite, au fil des changements de têtes dans les administrations territoriales, ou chez les élus.
En 2006, a été créé le comité interministériel de prévention de la délinquance (CIPD), suite aux violences urbaines de 2005. Le Gouvernement avait voulu qu'une instance de coordination interministérielle soit constituée pour développer une nouvelle politique de prévention de la délinquance, ce qui a abouti à la loi de 2007. Le CIPD était présidé par le Premier ministre ou, par délégation, par le ministre de l'Intérieur. Il est interministériel, puisque quasiment tous les membres du Gouvernement peuvent y siéger. Il est devenu le CIPDR quand on lui a confié aussi la prévention de la radicalisation en 2016, suite aux attentats de 2015.
On voit donc que notre politique de prévention et de lutte contre la radicalisation est assez jeune. Le premier plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières terroristes a été adopté le 23 avril 2014. En six ans, il a fallu construire une nouvelle politique publique, de nouvelles façons de travailler, pour assurer la sécurité des Français. Plusieurs plans se sont succédé, le dernier étant le plan national de prévention de la radicalisation présenté par le Premier ministre en février 2018, et à l'élaboration duquel votre délégation a été largement associée.
Le SGCIPDR a deux attributions historiques : la prévention de la délinquance et celle de la radicalisation. Depuis le 1er janvier dernier, nous avons une autre mission, tout aussi importante, qui est la vigilance contre les dérives sectaires. La Miviludes, qui était rattachée au Premier ministre, a été confiée au ministre de l'Intérieur, et travaille désormais en lien étroit avec nous. Ce rattachement a suscité beaucoup d'interrogations. La Miviludes fonctionne à plein régime et dans les mêmes conditions que précédemment. Le ministre de l'Intérieur m'a donné comme consigne de faire davantage que ce qui a été fait jusqu'alors. La lutte contre les dérives sectaires reste bien sûr une priorité du Gouvernement.
On nous a aussi confié la lutte contre l'islamisme et le repli communautaire. Le 27 novembre dernier, le ministre de l'Intérieur a demandé aux préfets d'intensifier leur action contre toutes les stratégies qui visent à placer une forme de loi religieuse au-dessus de la loi de la République. Nous sommes leur outil de coordination pour la mise en place de cette nouvelle politique.
En matière de conception des politiques publiques, nous sommes là pour appuyer le Gouvernement et proposer l'élaboration et la construction de politiques publiques en matière de prévention de la délinquance, de la radicalisation, des dérives sectaires et de lutte contre l'islamisme. Ma deuxième mission est une mission d'animation. Le SGCIPDR est en effet aussi un outil d'appui aux territoires. Les batailles, j'en suis convaincu, se gagnent sur les territoires. Je m'investis donc dans l'animation des réseaux territoriaux, et je reconfigure le SGCIPDR pour qu'il comporte une cellule d'appui territorial, ouverte aux préfets, mais aussi à l'ensemble des acteurs du territoire. J'ai aussi rendu plus fréquentes les réunions avec les associations nationales d'élus, dont France urbaine. Bref, je souhaite que le SGCIPDR aide les territoires en termes de formation, de prévention et d'animation des réseaux de référents. Je ne veux pas qu'il ne soit qu'une boîte à lettres, qui envoie des circulaires et autres textes : il doit s'assurer de leur application et aider les acteurs de terrain à mettre en oeuvre ces instructions, dans une logique d'accompagnement, d'évaluation et d'amélioration constante. Le SGCIPDR intervient au niveau local, au contact du terrain ; au niveau interministériel, avec l'ensemble des ministères partenaires ; et au niveau international, puisque nous sommes le point de contact en matière de prévention de la délinquance auprès de la Commission européenne.
La stratégie de prévention de la délinquance est une priorité de mon action. La précédente stratégie s'est arrêtée en avril 2017. Il y a donc eu une petite cassure entre les deux. L'attente des élus est très forte. Je les rencontre régulièrement. La signature par le Premier ministre est imminente. L'ensemble des dispositions a été validé par le Gouvernement. Le travail a été long pour plusieurs raisons. D'abord, il a fallu évaluer ce qui avait été fait jusqu'en 2017. Puis, il a fallu réfléchir sur les nouvelles orientations. Il y a eu, en permanence, le souci d'associer les acteurs, et notamment les élus.
Le 11 avril 2019 s'est tenu à Strasbourg le dernier SGCIPDR, sous la présidence du Premier ministre. Celui-ci a souhaité que le travail avec les élus soit encore renforcé, et que la stratégie nationale de prévention de la délinquance soit axée sur le terrain et les acteurs locaux. Il a souhaité lancer plusieurs expérimentations d'action avec des collectivités locales - Lille, Dijon, Toulouse et Strasbourg - sur des actions partenariales, pour mieux identifier les compétences des métropoles et des municipalités. Ces actions ont duré une partie de l'été, et nous en avons tiré un bilan pour intégrer les bonnes pratiques. On m'a demandé, en arrivant, de « mettre un coup d'accélérateur ». Je l'ai fait, avec mes équipes, que je remercie. Nous avons revu les associations d'élus pour affiner le dispositif. Désormais, nous sommes prêts. Il y a eu une consultation interministérielle, et tout est validé.
Nous avons essayé de fixer des priorités. Trop souvent, les stratégies étaient des documents indigestes, et il était difficile d'identifier clairement les priorités d'action. Aussi avons-nous travaillé pour aboutir à un document opérationnel, qui s'articule autour de quatre priorités.
La première priorité, ce sont les jeunes, avec l'idée de commencer la prévention plus tôt. Les chiffres de la délinquance montrent en effet un rajeunissement, dans certains territoires, de l'âge des délinquants. Nous avons donc créé un axe d'effort sur la prise en charge des jeunes dès le plus jeune âge.
La deuxième priorité de cette stratégie concerne les personnes dites vulnérables, et les victimes, bien sûr. Une des actions symboliques, annoncée par Premier ministre et par le ministre de l'Intérieur, est le renforcement des intervenants sociaux dans les commissariats et les gendarmeries. Il s'agit des personnes qui, à côté du dépôt de plainte, accompagnent les victimes - et parfois les auteurs - pour le suivi social, ou la réorientation vers des acteurs de la prévention ou de la prise en charge des victimes. Nous avons 291 intervenants sociaux dans les commissariats et gendarmeries, ce qui est peu par rapport au nombre de départements. Dans le cadre de cette nouvelle stratégie, nous souhaitons mettre un accent très fort sur le recrutement des intervenants sociaux. Nous aimerions en recruter 80 en 2020, et 80 en 2021. Or les modes de financement sont partagés entre l'État, au moins pour le démarrage, et les collectivités locales. Nous avons donc demandé aux préfets de faire le tour des acteurs locaux, des collectivités locales, des conseils départementaux pour accélérer la désignation des acteurs sociaux, pour pouvoir travailler conjointement sur la montée en puissance de ce dispositif.
Troisième axe : le rapport à la population. Nous souhaitons qu'en matière de sécurité, les liens entre la police, la gendarmerie et la population soient renforcés. Cet axe de notre stratégie se traduit par la mise en oeuvre de la police de sécurité du quotidien (PSQ) et par la tenue d'assises territoriales de la sécurité intérieure, préalables à la rédaction du Livre blanc du même nom. Tous les acteurs de la société, avec leurs compétences propres, sont mobilisés pour renforcer ce lien.
Un mot, de ce point de vue, sur une démarche vraiment nouvelle : celle des groupes de partenariat opérationnel (GPO). Ils permettent d'associer les habitants, les élus, les bailleurs sociaux, non pas lors de grand-messes inutiles, mais au cours de réunions concrètes, où l'on discute des problèmes immeuble par immeuble, cage d'escalier par cage d'escalier. On vote tous les quinze jours, en tenant un tableau de bord de suivi.
On se contente trop souvent d'une action très globale, dont les résultats sont certes satisfaisants - je pense aux zones de sécurité prioritaires, qui ont permis des saisies records de stupéfiants et des démantèlements de trafics -, mais qui n'empêche pas le sentiment d'insécurité de rester fort, parce que, au niveau local, les problèmes de « bas d'immeuble » ne sont pas réglés. Ce sentiment est peut-être injustifié, mais il existe ; d'où l'utilité de ces GPO.
Dernier axe de notre stratégie : la gouvernance locale. Nous tâchons de bien rappeler le rôle de chacun : celui, de pilotage, du préfet de département, et ceux, complémentaires, des maires et des métropoles ou des agglomérations. Le maire est l'autorité de police de proximité ; l'agglomération ou la métropole sont une puissance de coordination, d'appui, d'ingénierie. Les maîtres mots sont donc continuum et partage de compétences.
Voilà donc nos quatre grands axes, qui seront déclinés par des fiches pratiques opérationnelles.
Mme Corinne Féret. - Le Premier ministre a annoncé que le Livre blanc de la sécurité intérieure serait rédigé à la suite d'une phase de concertation dans les territoires. Dans le Calvados, cette réunion territoriale s'est tenue la semaine dernière. Comment le comité interministériel s'associe-t-il aux démarches menées au niveau local ?
Vous avez insisté sur le sentiment d'insécurité ; je souhaite insister, pour ma part, sur le sentiment d'impuissance publique, que nos concitoyens ressentent profondément.
M. Antoine Lefèvre. - En tant que rapporteur spécial de la mission « Justice », j'ai bien conscience des difficultés que vous avez énumérées, s'agissant en particulier des moyens.
À propos des intervenants sociaux présents dans les commissariats et les gendarmeries - belle initiative s'il en est - vous avez évoqué des financements partagés. Or, s'il existe quelque chose qui relève d'une fonction régalienne, c'est bien, selon nous, la sécurité. On constate pourtant que l'État, en la matière, cherche des moyens auprès des collectivités locales. Le danger est, pour les territoires déjà en difficulté qui n'ont pas les moyens d'abonder ces budgets, de purger une double peine - je pense aux territoires ruraux et aux territoires relevant de la politique de la ville.
Nous avons demandé que les maires soient associés non pas à la gouvernance - ce n'est pas ce qu'ils demandent -, mais à l'information. Si l'on veut réussir la prévention, les maires doivent pouvoir contribuer à la bonne information de nos concitoyens.
M. Rémy Pointereau. - Autrefois, dans les départements ruraux, un lien étroit était noué entre les élus, la gendarmerie et les renseignements généraux. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Conformément à la convention signée en 2016 avec l'AMF, les préfets ont la possibilité d'informer les maires sur les situations de radicalisation dans leurs communes. Or l'information ne circule pas toujours. Est-ce un choix délibéré de la part des préfets ?
Quant aux renseignements relatifs aux fiches S, sont-ils systématiquement transmis aux collectivités territoriales ou aux entreprises qui en font la demande dans le cadre de recrutements ? Il est toujours plus compliqué, juridiquement, d'agir en aval, c'est-à-dire de licencier.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Rémy Pointereau soulève un sujet sensible, qui avait été porté à notre attention lors d'une visite à Sarcelles, où François Pupponi nous avait accueillis. Il ne s'agit pas pour les maires de tout savoir ; mais, lorsqu'on s'apprête à recruter, à un moment où aucune « erreur » n'est encore commise, il peut être précieux de recueillir certaines informations, même de manière informelle. Ce n'est pas simple, et le problème de la discrimination à l'embauche est un vrai problème. J'ai en tête une situation où la mairie de Strasbourg avait titularisé, en toute bonne foi, un agent contractuel, peu de temps avant son arrestation pour avoir préparé un attentat, alors même qu'il donnait entière satisfaction dans le cadre de son travail d'animateur périscolaire.
Mme Françoise Gatel. - S'agissant de la prévention de la délinquance, vous avez évoqué l'intérêt d'un accompagnement social. L'efficacité dépend certes, en effet, de la détection et de la punition, mais aussi de l'accompagnement et du suivi, notamment pour les enfants en prédélinquance.
Je me suis toujours étonnée, dans le cadre de mes fonctions de présidente de l'association des maires de mon département, que l'État nous recommande de mettre en oeuvre un accompagnement social, mais nous invite à le financer nous-mêmes, sans considération pour les inégalités de moyens entre les territoires. Il s'agit d'une compétence régalienne ; si l'État décide de faire de la prévention de la délinquance une cause nationale, il doit y mettre lui-même les moyens.
S'agissant de la radicalisation, je me réjouis de la mise en place d'un collectif de prévention. Vous avez à votre disposition 35000 capteurs d'atmosphère que sont les maires - je devrais dire 500 000, en comptant tous les élus locaux. Mais ils doivent être formés et informés ; et on ne saurait leur confier des responsabilités qu'ils ne peuvent pas exercer.
J'ai travaillé sur les écoles privées hors contrat. Le sujet reste d'actualité et, en la matière, le contrôle est nécessaire. La police, la gendarmerie, les élus locaux, l'Éducation nationale et les départements, qui ont une compétence sociale, doivent travailler ensemble non pas sur des « coups », mais dans le cadre d'une mobilisation continue, y compris dans les territoires que l'on n'associe pas naturellement à la thématique de la radicalisation, la Bretagne par exemple.
Comment, par exemple, comptez-vous accompagner les maires dans la détection de phénomènes de déscolarisation ? Dans certains territoires où existent de véritables chapes de plomb, des familles ne peuvent tout simplement pas scolariser leurs enfants à l'école publique, par peur de représailles.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Sous le contrôle d'Antoine Lefèvre, qui en est l'un des vice-présidents, je précise que la commission d'enquête sur la radicalisation islamiste a entendu plusieurs intervenants faire état de l'efficacité de la loi Gatel visant à mieux encadrer les écoles hors contrat.
M. Philippe Pemezec. - En vous écoutant, j'ai le sentiment d'une grande impuissance. L'État a-t-il vraiment, en la matière, les moyens de son ambition ? De petites Républiques islamiques se développent dans certains départements ; où est l'action publique ?Les maires sont en première ligne face à l'islamisation.
Quelles règles concrètes entendez-vous mettre en oeuvre pour juguler ce phénomène ? Vous avez parlé du rôle des travailleurs sociaux, mais l'État nous demande de financer les postes afférents. C'est ubuesque ! Pendant ce temps, la situation se dégrade. À quoi servez-vous concrètement ?
M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous abordons des questions métaphysiques...
M. Philippe Dallier. - Je soulèverai les mêmes points que Françoise Gatel, élue d'un territoire qui, pourtant, ne ressemble pas vraiment au mien.
Il existe des dispositifs intéressants : la PSQ, les quartiers de reconquête républicaine. Mais, à y regarder de près, ces dispositifs concernent assez peu de communes, et beaucoup de quartiers y échappent, y compris dans un département comme le mien.
Les emblèmes sont là, certes, mais les moyens financiers qui sont sur la table ne couvrent pas tous les territoires. Or - on le voit en Seine-Saint-Denis - toutes les communes sont aujourd'hui concernées par les problèmes de délinquance et de trafic de drogue. Dans les communes qui n'ont pas de commissariat - c'est le cas de celle dont je fus maire -, en l'absence de dispositif d'aide spécifique, la police nationale étant par ailleurs peu présente, les problèmes s'aggravent.
Le premier « à portée de baffe »,, c'est le maire : c'est à lui qu'on demande des comptes. Or les dispositifs existants, dans un territoire comme le mien, relèvent presque de l'homéopathie.
Dernier point : il faut transférer à l'État tout ce qui relève des autorisations d'ouverture et des permis de construire ou d'aménagement des lieux de culte de toute nature - je réfléchis à déposer un texte sur le sujet prochainement. Sur le terrain, la pression que certains font peser sur les élus et, le cas échéant, sur les candidats pour obtenir ce qu'ils veulent justifie qu'on ne laisse pas aux maires la responsabilité des autorisations d'ouverture et des permis de construire. On retirerait un poids énorme des épaules des élus locaux.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Il serait a minima envisageable que l'État puisse intervenir lorsque la situation l'exige, sachant que les maires veulent malgré tout avoir leur mot à dire.
M. Hervé Gillé. - La nouvelle stratégie a été définie en concertation avec les collectivités locales ; quid d'une concertation avec les parlementaires ? Une réflexion partagée eût été utile.
On évoque souvent les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) ; ils ont déjà fait l'objet d'une évaluation, qui s'est avérée mitigée. Quel pourrait être leur rôle, selon vous ?
Après les élections municipales, les pouvoirs de police des maires vont être renforcés ; des formations d'accompagnement sont-elles prévues ? Il faut à tout prix, sur ces sujets, aiguiser la conscience collective.
Je voudrais souligner également le rôle important des missions locales, qui ont vu leur action renforcée en direction des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), notamment dans la détection et l'accompagnement.
Mme Josiane Costes. - Je vis dans un territoire où la délinquance est faible et, partant, les moyens de police limités. Néanmoins, lorsque survient un événement, la population panique. Que faire pour la rassurer face à un sentiment démesuré d'insécurité ?
M. Jean-Marie Bockel, président. - Les questions de nos collègues, fondées sur leur expérience nationale et locale, sont précises et nombreuses. Il apparaît évident que vous n'avez pas toutes les réponses à leurs interrogations mais votre position, tant transversale, entre le pouvoir exécutif et les forces de l'ordre sur le terrain, que stratégique, vous permettra de porter à leur connaissance plusieurs éléments.
M. Frédéric Rose. - Si je ne servais à rien, vous ne m'auriez d'ailleurs pas invité... Je vois cependant les choses avec humilité. Je vous remercie pour vos questions, denses, auxquelles je m'efforcerai de répondre dans les domaines qui me concernent.
L'élaboration du Livre blanc est pilotée par le ministère de l'Intérieur, qui a installé à cet effet quatre groupes de travail concernant, en particulier, l'organisation du ministère, les métiers de la sécurité et les implications des nouvelles technologies, comme l'intelligence artificielle. J'ai été entendu par deux d'entre eux, notamment sur les questions relatives à l'articulation entre les politiques de prévention et les missions de la police municipale. Évidemment, il existe un lien étroit entre les travaux afférents au Livre blanc et notre action. Notre pôle universitaire travaille d'ailleurs en synergie avec les équipes du Livre blanc. J'ai insisté, lors de mes auditions, sur la nécessaire clarification du rôle des différentes instances locales - conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), équipes mobiles de sécurité (EMS), cellules de coordination opérationnelle du partenariat (CCOP), cellules de prévention de la radicalisation et d'accompagnement des familles (CPRAF) - fort nombreuses, alors que les élus se plaignent de ne pas être suffisamment informés. Il convient de restructurer la gouvernance locale, afin d'améliorer l'efficacité du dispositif et le partage des informations. Les préfets et les procureurs en conviennent.
L'État finance à hauteur de 3 millions d'euros par an les intervenants sociaux via le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD). En 2020, 4 millions d'euros seront consacrés à la création de 80 postes supplémentaires. Leur financement par l'État est modulé en fonction des besoins des territoires ; il varie entre 50 % et 80 % du coût d'un poste. Les nouveaux intervenants sociaux seront également installés auprès de l'aide sociale à l'enfance (ASE) et au sein des centres communaux d'action sociale (CCAS). Ils seront répartis selon les priorités de chaque territoire, en fonction des difficultés de financement constatées et du faible nombre d'intervenants sociaux existants. Nous faisons du sur mesure, en lien avec les préfets. L'essentiel est que les intervenants soient in fine installés dans les différents commissariats et brigades.
Les référents existent toujours, dans la police comme dans la gendarmerie. Certains élus ne les rencontrent pas suffisamment, d'autres beaucoup. Nous souhaitons qu'il existe toujours un point de contact avec les élus, sur un rythme hebdomadaire ou mensuel selon les territoires. Dans les zones de gendarmerie, nous avons prôné un rythme mensuel, mais chaque territoire s'organise finalement en fonction de ses besoins.
En matière de prévention de la délinquance, j'estime que les CLSPD, qui permettent un partage du secret avec les élus, fonctionnent convenablement, dès lors qu'il y règne un climat de confiance et que les réunions sont organisées régulièrement. Depuis 2007, leur bilan apparaît plutôt positif. Certains élus font néanmoins état de leur insatisfaction s'agissant de la prévention de la radicalisation, sujet complexe et sensible. L'accès aux fiches S fait l'objet de débats politiques et médiatiques. Néanmoins, les individus fichés le sont pour des raisons variées et l'inscription au fichier ne dit rien de la situation de chacun. Pour autant, nous ne pouvons demander aux élus d'être acteurs de la prévention et, en même temps, ne pas leur fournir d'informations.
Fruit d'un travail mené à l'automne 2018, la circulaire du ministre de l'Intérieur en date du 13 novembre 2018 structure le cadre des échanges entre les préfets et les élus, s'agissant de l'état de la menace sur le territoire. De fait, les élus ont besoin d'être informés pour comprendre la mise en place obligatoire de mesures de sécurisation lors de certains événements ; soyons cohérents. La circulaire rappelle également l'association des élus aux CPRAF, chargées de suivre les individus présentant un risque de bascule, tandis les groupes d'évaluation départementaux (GED) se concentrent sur les personnes déjà radicalisées. Les CPRAF engagent un accompagnement de droit commun, en particulier pour les mineurs. Y siègent notamment des représentants du ministère de l'Intérieur, de l'Éducation nationale, du conseil départemental, de la préfecture et des élus. Ces derniers sont ainsi informés des situations relevant des CPRAF.
Demeure toutefois la question, complexe, des personnes ciblées par les services de renseignement pouvant faire l'objet d'une procédure de recrutement par une collectivité territoriale. Les services de renseignement disposent de nombreux outils : ils procèdent à une interpellation en cas de danger grave, mais préfèrent, sinon, assurer une enquête en cours pour remonter une filière. Il convient donc de trouver un équilibre entre l'information du maire et les intérêts de l'enquête. De fait, plus un secret est partagé, plus il s'évente, raison pour laquelle les services de renseignement s'appuient sur le principe de « besoin d'en connaître » pour partager ou non une information. Le maire peut être prévenu des cas les plus sensibles, dès lors qu'il a signé, avec le préfet et le procureur, une charte de confidentialité. À ce jour, 154 chartes ont été signées impliquant 258 communes dont, récemment, la ville de Paris. La relation de confiance entre le préfet et les élus constitue également un élément nécessaire du partage d'informations. De fait, le dialogue existe souvent, même s'il peut apparaître compliqué de tirer pratiquement des conséquences des informations obtenues. Aussi, la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) a-t-elle réalisé un travail d'explication des procédures de droit commun à mettre en oeuvre en cas de signalement d'un comportement inquiétant.
S'agissant du champ scolaire, je vous assure, sans flagornerie, que la loi du 13 avril 2018 visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat, dite loi Gatel, a permis des avancées concrètes sur le terrain. Elle permet de s'opposer plus aisément à l'ouverture d'une école. Elle a également créé les CPRAF scolaires restreintes, réunissant le préfet, le procureur, le directeur académique des services de l'Éducation nationale (DASEN) et les élus pour travailler sur les établissements hors contrat et les cas de déscolarisation. L'instance permet de croiser les informations de chacun pour mettre en lumière certaines situations.
Il convient également de faire preuve de cohérence en matière de formation des élus. Déjà, de nombreuses actions de formation sont proposées par les associations d'élus, les préfets et le ministère de l'Intérieur. Ainsi, 34 sessions ont été organisées en 2019, à destination de 3 000 élus. Je relance, dans le cadre du comité interministériel, des formations à la prévention de la délinquance. Nous travaillons ainsi sur des modules, y compris en ligne, dans le cadre de la nouvelle stratégie. Monsieur Pemezec, je n'ai donc pas un sentiment d'impuissance, mais de responsabilité.
M. Dallier m'a interrogé sur les dispositifs nouveaux. Le département de Seine-Saint-Denis constitue un territoire à part, présentant des enjeux hors norme et doté de dispositifs sur mesure. Les quartiers de reconquête républicaine bénéficient ainsi de renforts policiers. Le ministère met en oeuvre un plan de recrutement de 10 000 policiers supplémentaires sur l'ensemble du territoire, tandis que les effectifs de gendarmerie seront renforcés dans certains départements. Les groupes de partenariat opérationnel (GPO), au nombre de 900, sont également installés. La lutte contre le trafic de stupéfiants constitue une priorité d'action : le nouvel office anti-stupéfiants (Ofast) veillera au maillage territorial en la matière.
Le transfert au préfet des permis de construire des lieux de culte pourrait effectivement constituer une piste de réflexion intéressante. Certes, le préfet appliquera aussi les règles d'urbanisme, mais il subira probablement moins de pression que le maire.
M. Philippe Dallier. - C'est certain !
M. Frédéric Rose. - Enfin, Monsieur Gillé, les élus sont associés à l'élaboration de la nouvelle stratégie. Les CLSPD fonctionnent bien dès lors que les élus et les référents y sont engagés. Nous réalisons un suivi annuel de leur activité. De fait, si les conseils départementaux de prévention de la délinquance et de lutte contre la radicalisation - sorte de grand-messe organisée par le préfet - semblent en perte de vitesse, avec seulement 39 départements impliqués en 2019, le nombre de CLSPD a crû de 20 %. Pour assurer un fonctionnement efficace de ces structures, outils de partenariat indispensables, des réunions doivent se tenir régulièrement sur des thèmes opérationnels.
Les missions locales représentent également des partenaires majeurs. Le FIPD contribue à leur financement, notamment via les 70 conseillers référents justice pris en charge. Elles réalisent un travail remarquable auprès des jeunes, dont elles contribuent à l'insertion professionnelle.
Enfin, Madame Costes, nous devons évidemment répondre à l'enjeu permanent de rassurer la population, dont le sentiment d'insécurité est réel. Nous devons, sur le terrain, apporter les explications nécessaires.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je vous remercie. Nous avons conscience que vous ne dirigez pas une instance exécutive, mais une interface utile. Nous sommes demandeurs d'être associés à vos travaux et de poursuivre nos échanges fructueux.
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