Mercredi 22 janvier 2020
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 13 h 30.
Budget communautaire - Cadre financier pluriannuel - Proposition de résolution européenne de MM. Jean Bizet et Simon Sutour
M. Jean Bizet, président. - Nous nous réunissons aujourd'hui pour examiner une proposition de résolution européenne que je vous présente avec notre collègue Simon Sutour.
Cette proposition de résolution européenne s'inscrit dans le prolongement de l'audition, la semaine dernière, de Mme Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes. Elle avait réaffirmé devant nous les priorités défendues par le Gouvernement français en matière de dépenses, mais avait tenu un discours très prudent en matière de ressources.
Dans la perspective d'un sommet européen extraordinaire d'ici à la fin du premier trimestre afin de clarifier les positions, il nous a semblé souhaitable d'affirmer le point de vue d'ensemble du Sénat sur le contenu du prochain cadre financier pluriannuel.
La proposition de résolution européenne que nous vous présentons reprend ainsi certaines positions déjà approuvées par le Sénat, en les réactualisant le cas échéant en fonction de l'évolution des négociations. Elle prend par ailleurs position sur des points importants du cadre financier pluriannuel qui n'ont pas fait l'objet de résolutions du Sénat au cours de la période récente, comme l'instrument budgétaire de la zone euro, les ressources propres et l'équilibre d'ensemble du cadre financier pluriannuel. Elle aborde aussi l'éventuelle mise en oeuvre de conditionnalités pour bénéficier de l'accès aux fonds européens, un sujet qui a fait l'objet de débats entre nous.
Nos échanges récents avec le Premier ministre croate à Zagreb ne nous ont pas beaucoup rassurés, alors que la présidence finlandaise souhaite réduire le budget pluriannuel à 1,07 % du revenu national brut des États membres. Le Fonds européen de la défense serait ainsi amputé de 5,5 milliards d'euros et les fonds dévolus à l'Europe spatiale seraient également réduits.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Nous allons donner la position du Sénat et nous allons suivre les négociations, mais, à la fin, ce sera un bras de fer entre le Conseil et le Parlement européen. J'estime que notre rôle est de pousser, avec ce dernier, vers un budget s'élevant à 1,3 % du revenu national brut des États membres.
La Commission européenne a présenté le 2 mai 2018 ses propositions pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027 de l'Union européenne, lançant ainsi le cycle de négociations pour le budget à long terme de l'Europe. Elle proposait notamment de conduire de nouvelles politiques permettant de répondre aux défis auxquels l'Union est confrontée : technologie, innovation, numérique, jeunesse, climat et environnement, migrations et frontières, sécurité et défense, action extérieure.
S'agissant du système des ressources propres de l'Union européenne, la Commission européenne formulait des propositions pour simplifier la ressource TVA et abaisser le taux des frais d'assiette et de perception des droits de douane prélevés par les États membres. Elle proposait en outre d'inclure un nouveau panier de ressources propres, à savoir 20 % des recettes du marché d'échanges de quotas d'émission carbone, une contribution de 3 % sur l'assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés à compter de 2023, et une contribution calculée sur la quantité d'emballages plastiques non recyclés dans les États membres. La Commission européenne proposait enfin de réduire progressivement les rabais dont bénéficient cinq États membres - Allemagne, Autriche, Danemark, Pays-Bas et Suède -, en vue de les supprimer totalement en 2026.
La proposition de cadre financier pluriannuel de la Commission se traduisait par un plafond de dépenses arrêté à 1,11 % du revenu national brut des États membres en crédits d'engagement, soit 1 134 milliards d'euros en prix 2018. Le Parlement européen, qui doit approuver le cadre financier pluriannuel, a adopté plusieurs résolutions et exige, en particulier, un montant de dépenses arrêté à 1,3 % du revenu national brut en crédits d'engagement. La présidence finlandaise du Conseil a présenté, le 5 décembre 2019, une « boîte de négociation » proposant un montant de crédits d'engagement arrêté à 1,07 % du revenu national brut, soit environ 47 milliards de moins que la proposition initiale de la Commission européenne en euros constants 2018.
M. Jean Bizet, président. - La secrétaire générale des affaires européennes a indiqué la semaine dernière que le centre de gravité des négociations se déplaçait vers le bas. Il se situerait, selon elle, plutôt autour de la proposition présentée par la présidence finlandaise du Conseil, voire en deçà, et en tout état de cause très en deçà de la proposition défendue par le Parlement européen, qui, du fait de sa nouvelle composition, sera amené à faire des arbitrages.
Dans ce contexte, la proposition de résolution européenne que nous vous soumettons affirme, dans un premier chapitre général, que le financement de nouvelles priorités ne doit pas se faire au détriment des politiques plus anciennes, comme la politique agricole commune (PAC) ou la politique de cohésion. Je l'ai rappelé avec force lundi dernier auprès du Premier ministre croate, mais je ne sais pas si sa présidence sera très volontariste.
La proposition de résolution approuve les efforts tendant à simplifier et à rendre plus lisible le cadre financier pluriannuel, et préconise que la notion de « valeur ajoutée européenne » soit définie de manière plus précise. Nous suivons en cela les recommandations de la Cour des comptes européenne.
Nous abordons également dans ce chapitre le sujet sensible des conditionnalités.
Dans un considérant, la proposition rappelle que l'Union européenne est fondée sur les valeurs telles que le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l'égalité, l'État de droit, ainsi que le respect des droits de l'Homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Elle évoque également le socle européen des droits sociaux proclamé en novembre 2017.
Nous prenons acte de la proposition de la Commission européenne relative à la protection du budget de l'Union en cas de défaillance généralisée de l'État de droit dans un État membre. Nous formulons des mises en garde quant à la manière de mettre en place une telle réforme, en évoquant la nécessité de critères objectifs et d'une méthode d'appréciation transparente, et en affirmant qu'elle ne doit pas pénaliser les bénéficiaires ou destinataires finals des États membres visés. C'est un point difficile à mettre en oeuvre, mais il est pareillement évoqué dans la résolution du Parlement européen et dans les conclusions de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale.
Nous invitons enfin à élargir la réflexion aux modalités de prise en compte de politiques non coopératives, notamment sur le plan social.
Notre proposition de résolution réaffirme ensuite les positions du Sénat en matière de politique agricole commune en saluant l'effort réalisé par la présidence finlandaise du Conseil pour relever de 10 milliards d'euros les crédits proposés par la Commission européenne pour le second pilier de la PAC, tout en regrettant que le premier pilier n'ait fait l'objet d'aucune réévaluation. Elle appelle à conforter la réserve pluriannuelle proposée par la Commission, le filet de sécurité offert par la PAC étant apparu insuffisant pour permettre aux agriculteurs de faire face à la volatilité des prix agricoles et aux différents aléas auxquels ils sont confrontés. Elle réaffirme notre opposition à une renationalisation rampante et à une dilution progressive de la PAC, qui résulterait notamment de la méthode utilisée par la Commission européenne, qui nous apparaît fondée sur une conception abusive et détournée du principe de subsidiarité. Elle rappelle enfin qu'aucune réforme de la PAC ne serait satisfaisante sans la préservation d'un budget stable en euros constants sur la période 2021-2027 par rapport aux années 2014-2020.
Ces différents éléments figuraient très largement dans la dernière résolution du Sénat sur la PAC adoptée en mai 2019 et dans le texte issu de la conférence de consensus organisée fin 2019 avec nos collègues députés et députés européens.
M. Simon Sutour, rapporteur. - La proposition de résolution réaffirme également les positions adoptées par le Sénat en faveur de la politique de cohésion, dont elle souligne le rôle stratégique. Elle demande que cette politique de cohésion concerne toutes les régions de l'Union européenne et dispose d'une enveloppe d'un montant suffisant pour faire face aux inégalités territoriales et sous-régionales.
Elle souligne les enjeux liés à la correcte articulation entre la politique de cohésion, le fonds InvestEU, mais aussi le futur fonds pour une transition juste, qui ne doit pas conduire à amputer les fonds de cohésion. C'est évidemment un point important que la secrétaire générale des affaires européennes avait souligné la semaine dernière. La Commission européenne vient d'indiquer que le fonds pour la transition juste serait doté de 7,5 milliards d'euros « nouveaux », mais l'équation budgétaire globale reste inchangée et il convient donc d'être prudent.
La proposition de résolution salue également l'ambition du pacte vert pour l'Europe présenté en décembre dernier par la Commission européenne. Elle souligne toutefois l'ampleur des enjeux en termes de financement et d'accompagnement de certains territoires et filières économiques. Elle appelle également à la mise en oeuvre efficace et rapide d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, qui permettra d'assurer une équité dans les relations commerciales internationales. Il faut concilier lutte contre les dérèglements climatiques, développement durable, développement économique et inclusion sociale.
Nous avons également souhaité apporter un soutien clair aux outre-mer. Nous appelons ainsi à une prise en compte, adaptée à la hauteur de leurs spécificités et enjeux propres, des régions ultrapériphériques et des pays et territoires d'outre-mer dans la mise en oeuvre et le financement des politiques européennes.
M. Jean Bizet, président. - La lutte contre le dérèglement climatique nous concerne tous - peut-être pourrions-nous le rappeler dans la proposition.
Nous faisons une place aux positions adoptées par le Sénat à la suite des conclusions de la commission d'enquête sur Schengen : Mme Valérie Hayer, députée européenne, rapporteur sur les ressources propres en demandant que la gestion des migrations et la gestion des frontières extérieures de l'Union européenne demeurent des priorités ; et en confirmant la position du Sénat pour un mécanisme d'incitation au bénéfice des États tiers coopératifs sur le retour de leurs ressortissants.
Concernant le Fonds européen de la défense et le programme spatial européen, nous regrettons les coupes proposées par la présidence finlandaise du Conseil et appelons à revenir aux propositions initiales de la Commission européenne.
Les montants figurant dans la proposition de résolution sont exprimés en prix 2018, comme c'est le cas dans la boîte de négociation de la présidence finlandaise du Conseil, et non en euros courants.
M. Simon Sutour, rapporteur. - La proposition de résolution souligne ensuite les enjeux liés à la recherche et à la stimulation des investissements pour que l'Union reste en pointe dans la compétition mondiale.
Nous réitérons notre soutien aux programmes Horizon Europe et InvestEU. Le texte souligne toutefois que le regroupement de quatorze instruments financiers au sein du programme InvestEU ne doit pas entraîner de baisse globale des financements destinés à soutenir l'investissement.
S'agissant de la zone euro, la proposition salue la mise en place d'un instrument budgétaire de convergence et de compétitivité, mais demande une réévaluation à la hausse des propositions de la présidence finlandaise du Conseil, qui abaissent d'environ 14 % le volume des crédits que la Commission européenne proposait de dédier à cet instrument.
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, notre collègue Patrice Joly, rapporteur spécial des crédits de la participation de la France au budget de l'Union européenne, avait souligné la faiblesse du montant envisagé pour l'instrument budgétaire de convergence et de compétitivité. Il avait également relevé l'écart entre cet instrument et les ambitions initiales de la déclaration franco-allemande de Meseberg.
Le texte observe par ailleurs qu'il n'existe pas de consensus sur la fonction de stabilisation macroéconomique.
M. Jean Bizet, président. - Nous pourrions inclure une mention spécifique sur la nécessité d'investir dans le domaine de l'intelligence artificielle, dans le prolongement de la proposition de résolution européenne que nous avons adoptée en mars 2019. La compétition s'accélère entre la Chine et l'Union européenne, mais les échelles ne sont pas les mêmes : l'Union va consacrer 20 milliards d'euros à l'intelligence artificielle dans les sept années du cadre financier pluriannuel, soit le montant que les États-Unis et la Chine y consacrent annuellement...
Concernant le montant global du cadre financier pluriannuel 2021-2027, nous constatons qu'il sera très difficile de satisfaire l'ensemble des positions exprimées par le Sénat sans atteindre, au minimum, un montant de crédits d'engagement correspondant à 1,1 % du revenu national brut des États membres, tel que le propose la Commission européenne. Nous n'avons pas souhaité « passer au tamis » les priorités exprimées par le Sénat pour les faire entrer dans une enveloppe plus basse.
Nous appelons à approfondir les réflexions pour constituer un panier satisfaisant de nouvelles ressources propres. Sans cela, il sera difficile d'élaborer un budget européen ambitieux et équilibré. Nous relevons que le rendement de la nouvelle contribution envisagée sur les quantités d'emballages plastiques non recyclés dans les États membres a vocation à se réduire, compte tenu des ambitions affichées par l'Union européenne en matière d'économie circulaire et des efforts déployés par les États membres.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Conformément à la position adoptée par le Sénat sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020, le texte soutient la proposition de la Commission européenne visant à abaisser le taux des frais d'assiette et de recouvrement des droits de douane prélevés par les États membres.
À l'occasion du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, nous appelons à remettre en cause, dès le début du nouveau cadre financier pluriannuel, les rabais et systèmes de correction, dont la France est le premier financeur.
Enfin, nous souhaitons assurer une transition correcte entre l'actuel cadre financier pluriannuel et le prochain. Compte tenu du calendrier serré de négociation du cadre financier pluriannuel, nous demandons donc d'étudier les mesures nécessaires pour proroger l'actuel cadre financier, en appliquant l'article 312 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui dispose que « lorsque le règlement du Conseil fixant un nouveau cadre financier n'a pas été adopté à l'échéance du cadre financier précédent, les plafonds et autres dispositions correspondant à la dernière année de celui-ci sont prorogés jusqu'à l'adoption de cet acte ». Nous rejoignons ici la position exprimée par le Parlement européen dans sa dernière résolution. Plutôt que suivre la Commission, nous devrions appuyer le Parlement européen, qui, représentant directement les peuples, est, par nature, plus ambitieux que les États.
M. Jean Bizet, président. - C'est un message de soutien qu'on adresserait au Parlement européen, en espérant que nos collègues députés européens prennent mieux en compte, par réciprocité, les Parlements nationaux...
M. Jean-François Rapin. - Le cadre pluriannuel va obliger à raboter le Fonds européen de la défense et les crédits européens dédiés au spatial, alors que les pays en pointe dans ces domaines ont espéré une forme sinon de relais, du moins de dynamique à l'échelon du continent. Cela fait peser un risque sur les objectifs que nous nous sommes fixés, en particulier sur le spatial et sur notre autonomie : tout ce que ne va pas faire l'Union européenne, nous devrons le faire avec vos propres moyens, en particulier au sein de l'Agence spatiale européenne (ESA). Ces restrictions interviennent alors que la simple augmentation du budget spatial américain correspond au budget européen de l'ESA, c'est dire les proportions... Nous serons vigilants sur les perspectives budgétaires.
M. André Gattolin. - Le cadre financier pluriannuel a été créé dans les années 1980 avec les « paquets Delors » pour donner de la perspective, pour consolider des dynamiques européennes, mais il devient un carcan lorsqu'il conduit à figer les évolutions, en expliquant que, pour les sept années à venir, on ne pourra pas consacrer davantage de ressources aux politiques européennes, quels que soient les projets et quand bien même notre croissance est plus faible que celle de nos concurrents. Au regard du différentiel de croissance économique, ce n'est pas 1 % mais 2,5 ou 3 % du PIB qui devraient être consacrés aux politiques européennes. Ensuite, si tous les pays membres demandent un retour positif, c'est-à-dire à recevoir de l'Union plus qu'ils ne contribuent, on perd l'essence du projet européen, le collectif. Un des pays les plus contributeurs quitte l'Union européenne, ce qui manifeste le risque d'une perte de sens de la dynamique européenne. Notre malthusianisme européen est néfaste, même si l'on peut comprendre que, pour la France, passer de 21 milliards d'euros à 26 milliards d'euros de contribution à l'Union européenne ne va pas aller de soi. D'où l'importance du sujet des rabais sur le rabais !
Sur le point 56, concernant le fonds pour une transition juste, nous devons répéter que la PAC ne doit pas être affaiblie pour abonder la politique de cohésion.
Sur le point 76, j'aimerais citer, dans le panier des nouvelles ressources, les recettes du marché d'échange des quotas d'émission carbone et les ressources du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières : ce sera plus clair, quitte à être redondant.
M. Jean-Yves Leconte. - Au paragraphe 31, je propose de nous en tenir à citer le droit des personnes, plutôt que risquer une référence au communautarisme à travers le droit des minorités.
Au paragraphe 60, je crois qu'il faut être très clair sur la défense du budget de l'agence Frontex : elle doit avoir les moyens de ses missions.
Enfin, je souhaiterais que, en conclusion, nous écrivions clairement que les parlements nationaux, qui disposent dans chaque État membre de la compétence budgétaire, doivent être des acteurs essentiels de la prochaine conférence sur l'avenir de l'Europe, pour trouver une issue à cette procédure d'élaboration des budgets européens, qui montre aujourd'hui ses limites. Les parlements nationaux pourraient permettre d'aller plus loin.
M. Benoît Huré. - Je remercie les rapporteurs pour la clarté de leurs propositions, auxquelles j'adhère. Quel pourcentage du budget les ressources propres vont-elles représenter ?
M. André Gattolin. - De l'ordre de 12 %.
M. Benoît Huré. - Notre initiative ne pourrait-elle pas être relayée par d'autres parlements nationaux afin de gagner en poids ?
L'approche budgétaire actuelle suscite ma colère froide ! C'est un malthusianisme pingre, rabougri, mortifère, suicidaire pour notre continent ! Je m'interroge : qui les instigateurs des propositions budgétaires servent-ils ? L'Europe ou les États-Unis ? Ou la Chine ? Soyons lucides : quand on réduit les crédits de la recherche, de la politique spatiale ou de l'intelligence artificielle, on marche sur la tête !
Les politiques de cohésion et la PAC n'ont pas pour objet de maintenir des privilèges ou des avantages acquis. Il s'agit de soutenir des secteurs stratégiques pour lesquels la solidarité et la péréquation doivent jouer. Nous devons les défendre absolument.
Nos concitoyens sont sensibles aux enjeux environnementaux. Et l'Europe peut peser dans la stratégie mondiale de lutte contre le réchauffement climatique.
En matière de lutte contre l'immigration, ayons l'audace de mettre en place un plan de soutien massif aux pays d'origine.
Mme Pascale Gruny. - Je suis également favorable aux plans de développement au bénéfice des pays d'origine, mais nous devons aussi contrôler l'usage des fonds.
Je suis très inquiète des évolutions qui se profilent pour la PAC : comment feront nos agriculteurs demain ? Une évocation de la concurrence déloyale ne pourrait-elle pas être ajoutée au paragraphe 46 ? La nouvelle PAC risque de favoriser le développement d'une concurrence déloyale au sein même de l'Europe, alors que nous devrions être soudés et solidaires pour être plus forts à l'extérieur. Nous avons bien vu comment, avec Südzucker en Allemagne, la filière betteravière a été perdue, notamment autour d'Eppeville et de Cagny.
Mme Gisèle Jourda. - Je tiens à remercier nos rapporteurs. N'oublions pas que les régions ultrapériphériques et les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) n'ont pas le même statut juridique : les premières font partie intégrante de l'Union, contrairement aux seconds, qui dépendent d'un pays appartenant à l'Union. Avec le Brexit, qu'adviendra-t-il des treize pays qui dépendaient du Royaume-Uni et étaient éligibles à des financements européens ? Il faudrait plus de différenciation dans l'octroi des fonds. Je me rendrai demain à Bruxelles, avec notre collègue Michel Magras, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, afin d'étudier l'octroi des crédits aux régions ultrapériphériques. Soyons vigilants !
Notre commission a formulé la nécessité de créer un Fonds européen de la défense. Or, la Finlande propose de réduire ses crédits de moitié ! C'est un véritable coup d'arrêt ; tout un vecteur d'innovation et de développement qui est tué dans l'oeuf. Comment pourrions-nous renforcer notre propos pour dépasser les simples regrets ?
M. Didier Marie. - Je tiens moi aussi à saluer le travail de nos rapporteurs, qui ont réalisé à la fois une synthèse des positions de notre commission et un compromis largement partagé dans notre commission. Cela nous donnera du poids face à l'exécutif.
Je regrette la faible ambition de la Commission européenne, de la présidence finlandaise et des États membres. Je regrette que la France, qui avait annoncé au début des négociations qu'elle pourrait accroître sa contribution budgétaire, soit revenue sur cet engagement et accompagne le défaitisme général ambiant. L'exécutif français ne fait pas le travail pour porter une ambition plus forte. Il y a un décalage entre les discours et les actes.
Je regrette aussi la faiblesse des ressources propres. Nous avions fait des propositions, très proches de celles de l'ancien Parlement européen. Il y a des avancées, mais elles sont extrêmement faibles. Nous aurions pu aller plus loin, notamment par la mise en oeuvre d'une taxe sur les transactions financières ou d'une taxe carbone aux frontières.
Je regrette aussi le manque de clarté et d'ambition en matière de politique migratoire, alors que nous avons une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes !
Je regrette enfin que, parmi les objectifs de l'Union européenne, ne figure pas une politique intégrée de la zone euro, avec, notamment, un Parlement de la zone euro.
Notre proposition de résolution va dans le bon sens et a le mérite de soutenir la position du Parlement européen, qui ne doit pas être négligée dans les négociations. À cet égard, il serait intéressant que nous rencontrions des députés européens français.
M. Philippe Bonnecarrère. - La force de nos résolutions est affaiblie par nos difficultés à tenir nos propres engagements budgétaires européens : cela nuance grandement l'impact de nos démarches et je le regrette. N'oublions pas notre propre travail d'amélioration de l'exécution de nos budgets.
S'agissant des moyens supplémentaires que nous souhaitons au niveau européen, peut-être pourrions-nous changer de méthode et nous inspirer du travail des commissions locales d'évaluation des charges transférées (CLECT) au niveau intercommunal ? Il s'agirait d'examiner ce que les États dépensent sur telle ou telle politique et d'envisager le partage des compétences et des financements au niveau européen si cela s'avérait plus efficace. Nous raisonnerions alors à niveau de dépenses constant, et non plus dans une logique toujours plus inflationniste.
M. Benoît Huré. - C'est une très bonne idée !
M. René Danesi. - Le mauvais sort réservé au Fonds européen de la défense et à la politique spatiale prouve que l'Union européenne pense que nous vivons toujours dans un monde de Bisounours, qu'elle se satisfait de n'être qu'un marché commun ouvert à tous les vents et qu'un nain politique protégé par les États-Unis. Je crains que, à terme, son manque d'ambition dans des domaines aussi stratégiques n'entraîne sa dislocation. Si chaque pays est obligé de mettre en oeuvre sa propre politique de défense et sa propre politique spatiale, trois ou quatre pays finiront par s'entendre entre eux, en dehors de l'Union européenne.
M. Simon Sutour, rapporteur. - Nous allons intégrer toutes vos propositions, à l'exception de celle de Jean-Yves Leconte au paragraphe 31, ce considérant reprenant in extenso l'article 2 du traité sur l'Union européenne.
Peut-être pourrions-nous reprendre la proposition de Didier Marie et prévoir une formule de soutien plus explicite aux propositions du Parlement européen. Les questions budgétaires semblent simples, mais les conséquences sont dramatiques. Dans un monde concurrentiel, il nous faut un budget ambitieux. Nous ne devons pas renoncer à nous battre dès maintenant. Il nous faut nous appuyer sur le Parlement européen. On ne peut pas se contenter de dire à Mme Gaudin que ce qu'elle nous apprend est bien triste ni de constater que le budget sera inférieur à ce que proposait la présidence finlandaise, sinon nous ne servons à rien.
M. Jean Bizet, président. - Je suis d'accord avec Simon Sutour s'agissant de la proposition de Jean-Yves Leconte. Nous en restons à formulation consacrée.
Nous prenons en compte les autres propositions dont je vous remercie notamment, sur le budget de Frontex et le rôle des parlements nationaux.
En réponse aux remarques de Jean-François Rapin et René Danesi, j'indique que les questions ayant trait à l'intelligence artificielle ou à la politique spatiale ne peuvent être traitées qu'au niveau communautaire. Si nous voulons des politiques ambitieuses dans ces domaines, il faut une plus grande participation des États.
Je propose que nous complétions les points 56 et 76 comme cela a été évoqué.
Je précise à Benoît Huré que les ressources propres représentent 16 % du total des recettes de l'Union européenne. À cet égard, je dois dire que les conclusions tirées du rapport Monti ont laissé un goût assez amer, alors que ce rapport s'annonçait prometteur.
Nous pourrons naturellement envoyer un avis politique à la Commission européenne et informer le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et la présidente de la commission des affaires économiques. J'ai averti hier Christian Cambon du risque budgétaire encouru par le Fonds européen de la défense.
Mme Gisèle Jourda. - Le président Cambon a déclaré ce matin en commission qu'il ferait part ce soir à la ministre de sa stupéfaction et de son mécontentement, lors de la cérémonie des voeux. Il a en outre confié la mission de dénoncer la situation aux émissaires de la commission des affaires étrangères à la future conférence dans le même format que celle d'Helsinki.
M. Jean Bizet, président. - Je propose qu'on « déplore vivement » les propositions de la présidence finlandaise, au moment où les politiques financées par le fonds européen de la défense étaient en plein essor et où on est en train de perdre notre principal partenaire militaire, le Royaume-Uni.
Nous pourrons également envoyer cette proposition de résolution au Parlement européen. J'ai eu un entretien téléphonique assez long avec Mme Valérie Hayer, députée européenne, rapporteur sur les ressources propres. Nous aurons en outre l'occasion tout début avril de rencontrer les parlementaires européens à Strasbourg.
Benoît Huré et Pascale Gruny ont soulevé la question des pays pourvoyeurs de migrants. Il a été convenu à La Valette une coopération entre ces pays et l'Union européenne, assortie d'une aide financière mais le défi n'est pas durablement résolu.
Pascale Gruny a souhaité que l'on souligne au point 46 qu'il existe un risque de concurrence déloyale interne à l'Union européenne : j'y souscris.
En réponse à la remarque de Didier Marie, il est vrai que l'on peut se désoler de la frilosité financière de la France, mais les sommes finissent par être importantes. J'ai le sentiment, à la suite de ma rencontre à Zagreb avec les différents présidents des commissions des affaires européennes, que les cinq pays concernés par les rabais sur le rabais, notamment l'Allemagne, ne sont pas prêts de céder ! Je suis donc plutôt inquiet. Sans doute faudrait-il s'appuyer sur les nombreux États membres qui ne bénéficient d'aucun rabais ?
La réponse à la question de Philippe Bonnecarrère pourrait résider dans les coopérations renforcées ou le recours à une coopération structurée permanente, comme en matière de défense. J'ai toujours regretté que nous n'utilisions pas plus souvent les coopérations renforcées. Il faut au moins neuf États pour y parvenir, mais ces politiques permettent souplesse et réactivité.
M. André Gattolin. - Les coopérations renforcées sont extrêmement lourdes. Leur mise en oeuvre doit recevoir l'aval de tous les États membres, y compris de ceux qui ne souhaitent pas y participer. Les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), à l'instar de ce qui se fait pour les batteries de l'avenir, sont plus intéressants, car ils permettent d'associer trois ou quatre pays.
M. Philippe Bonnecarrère. - Je reviens sur la question des rabais. Dès lors que le Royaume-Uni se retire, il n'y a plus de rabais. Ne pourrait-on pas démontrer dans la négociation initiale que la disparition de ce rabais entraîne celle des autres en résultant ?
La réunion est close à 14 h 50.
Jeudi 23 janvier 2020
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 8 h 50.
Institutions européennes - Audition de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes, sur le suivi des résolutions européennes du Sénat
M. Jean Bizet, président. - Nous accueillons Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes, pour assurer le suivi des résolutions européennes adoptées par le Sénat durant l'année parlementaire 2018-2019. C'est un moment important pour notre commission, qui contribue au contrôle parlementaire de l'action du Gouvernement. Il s'agit d'échanger avec vous, Madame la Ministre, sur le sort qu'ont connu nos résolutions européennes. Prévues à l'article 88-4 de la Constitution, elles sont l'instrument permettant au Sénat d'indiquer au Gouvernement les orientations qu'il souhaite voir défendues dans les négociations au Conseil sur les projets de texte européens avant leur adoption définitive. Cet exercice représente une marque de respect pour les sénateurs engagés sur les sujets concernés, et vous permet de mieux connaître notre travail. De fait, 50 % de nos résolutions sont suivies par Bruxelles et 25 % partiellement.
Au cours de l'année parlementaire 2018-2019, 850 textes européens, qui n'ont pas tous une portée politique, ont été soumis à notre commission. Leur examen a donné lieu à quinze résolutions, contre dix-huit l'année dernière. Le temps nous manquera pour toutes les évoquer, aussi, nous nous concentrerons sur certaines d'entre elles. Je vous remercie, Madame la Ministre, d'avoir accepté d'entrer avec notre commission dans ce dialogue approfondi, déjà en partie alimenté par les fiches de suivi des résolutions, que je remercie le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) d'établir dorénavant de façon quasi systématique.
Je vous propose de structurer notre échange en deux temps : d'abord, un débat général sur quatre résolutions européennes que je vais évoquer avant que vous n'apportiez, au nom du Gouvernement, des éléments de réponse. Ensuite, nous aurons un échange plus interactif, grâce à un jeu de questions-réponses, qui vous permettra, Madame la Ministre, de répondre aux rapporteurs qui vous interrogeront sur quatre autres résolutions.
La première résolution concerne le texte relatif à l'équité et à la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d'intermédiation en ligne. Elle date de novembre 2018 et a été proposée au nom de notre commission par nos collègues André Gattolin et Colette Mélot. Elle traitait d'un texte visant à établir un cadre juridique destiné à assurer la transparence des modalités et des conditions générales auxquelles sont soumises les plateformes de vente en ligne, les entreprises qui recourent à ces plateformes pour vendre leurs produits ou services, ainsi que les moteurs de recherche en ligne qui identifient ces plateformes et ces biens et services.
Ce texte constitue sans conteste une première étape positive. Plusieurs points ont été repris par la France lors de la négociation et figurent pour partie dans le texte finalement adopté ; je pense notamment à l'inclusion des moteurs de recherche dans son champ d'application. Mais le règlement final reste en deçà des préconisations de la résolution du Sénat. Comment expliquer sa modestie ? Il apparaît, tout compte fait, peu contraignant pour les plateformes et ne permet pas un rééquilibrage effectif de leurs relations avec les entreprises. Ainsi, il n'est pas satisfaisant que seuls les contrats d'adhésion soient concernés, alors que les contrats dits négociés laissent une marge de manoeuvre très faible aux entreprises. Quelle a été la position de la France sur ces sujets ?
La question de la protection du consommateur apparaît, par ailleurs, centrale. Or, celle de ses données n'est guère traitée, alors que la résolution du Sénat demandait a minima un renvoi au règlement général sur la protection des données (RGPD). Quant à la transparence des classements, elle ne paraît guère assurée. Quelle a été, là encore, la position de la France ? Quelles perspectives sont envisageables en la matière au niveau européen ?
La deuxième résolution porte sur le suivi des conclusions de la commission d'enquête sénatoriale sur l'espace Schengen, constituée à la demande du groupe Les Républicains. En mars 2017, elle a rendu son rapport comportant trente-deux propositions, regroupées en plusieurs thèmes : consolider l'espace Schengen préalablement à tout nouvel élargissement ; renforcer la protection des frontières extérieures ; revoir les conditions de contrôle aux frontières intérieures ; mieux utiliser et améliorer les systèmes d'information ; perfectionner les outils de détection et d'enquête ; accroître la transparence des évaluations de l'acquis de Schengen.
Compte tenu du caractère éminemment européen du sujet, notre commission a souhaité assurer un suivi des conclusions de cette commission d'enquête, confié à André Reichardt, Jean-Yves Leconte et Olivier Henno. Nos collègues, à l'issue de leurs travaux, ont présenté une proposition de résolution européenne de manière à formaliser une position sur la suite des nécessaires réformes de l'espace Schengen.
D'après les informations transmises par le SGAE, notre résolution a été largement prise en compte au cours des négociations sur les nombreux textes concernés par ce sujet important qu'est la libre circulation des citoyens européens dans la sécurité, l'une des plus grandes réalisations concrètes de la construction européenne. Sur le fondement de ces évolutions, nous sommes aussi intéressés par l'avenir, alors que le Président de la République a exprimé le souhait d'une profonde réforme de l'espace Schengen et que la Présidente von der Leyen a annoncé la présentation d'un Pacte sur l'immigration et l'asile au printemps.
Une troisième résolution européenne concerne le nouveau programme d'investissement pour l'Europe, adoptée en janvier 2019 sur le rapport de nos collègues Didier Marie et Cyril Pellevat.
L'adoption de la proposition de règlement afférente reste subordonnée à celle du cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027. Pour autant, en dehors du montant de la garantie du budget de l'Union européenne, un certain nombre de points qu'aborde la résolution du Sénat ont d'ores et déjà fait l'objet d'un accord. Toutefois, des précisions doivent encore être apportées par le nouveau Parlement européen.
La résolution du Sénat salue la poursuite du plan Juncker, mis en place après la crise de 2008 pour relancer l'investissement grâce à l'effet de levier fourni par la garantie apportée par le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) dans un contexte persistant de déficit d'investissement dans les infrastructures. Le Sénat approuve la diversification des objectifs sectoriels proposée dans le nouveau programme InvestEU ; notamment, il appuie l'accent mis sur l'innovation et sur les PME. Ce point est-il définitivement acquis ? Pouvez-vous nous préciser les priorités assignées au nouveau programme ? Quelle sera la part dédiée à l'accompagnement de la transition climatique ?
Dans sa résolution, le Sénat souligne, en outre, que ce programme regroupera quatorze instruments financiers existants. Pouvez-vous nous rassurer sur la dotation budgétaire qui pourrait être attribuée à InvestEU ? Nous craignons, en effet, qu'elle soit inférieure à la somme des quatorze instruments ainsi fusionnés. Or, elle doit permettre de faire face aux inégalités territoriales et sous-régionales observées dans l'Union européenne, en France en particulier.
Dernière résolution portée à notre débat : celle sur la réforme de la politique agricole commune (PAC) à l'horizon 2021-2027, sur le rapport de nos collègues Claude Haut, Pascale Gruny et Daniel Grémillet. La négociation se poursuit depuis maintenant trois ans. Le Sénat a parallèlement effectué un important travail de réflexion et de proposition : trois résolutions européennes ont été adoptées, respectivement les 8 septembre 2017, 6 juin 2018 et 7 mai 2019, les deux dernières en séance publique et à l'unanimité.
Au-delà de la question de la stabilité des moyens budgétaires alloués à la PAC, nous nous sommes vivement inquiétés de l'économie générale du projet de la Commission européenne, à savoir de l'impact du nouveau mode décentralisé de mise en oeuvre de cette politique. Outre le risque de distorsions de concurrence supplémentaires au sein du marché unique, les sénateurs y ont vu un réel danger de remplacement de la PAC par « vingt-sept politiques agricoles nationales dans chacun des États membres, désormais de moins en moins compatibles entre elles ». Au surplus, ce mécanisme « pourrait n'être qu'un transfert de bureaucratie, sans bénéfice pour les agriculteurs européens ». S'y ajoute « la perspective d'un statu quo de la future PAC en matière de règles de gestion de crise ou d'intervention, au motif que les avancées du règlement Omnibus seraient suffisantes ». Pour ma part, je ne le crois pas et je m'en suis ouvert à plusieurs reprises à votre collègue Didier Guillaume. Hélas, nous prêchons dans le désert...
En définitive, Madame la Ministre, sur ces points essentiels, la position de la Commission européenne n'a pour ainsi dire jamais changé. Nous pouvons même faire le constat désabusé qu'au fil des présidences successives, plusieurs États membres semblent se résigner et valider, de guerre lasse, des propositions bien peu attrayantes.
Lors de nos échanges avec le ministre de l'agriculture Didier Guillaume, le 7 mai 2019, nous avions collectivement soulevé le risque d'une « déconstruction de la PAC ». Il nous avait alors indiqué partager les préoccupations du Sénat et oeuvrer à les satisfaire. Quelles ont été les démarches du Gouvernement à cet effet au cours des derniers mois ? Certes, l'ancienne présidence finlandaise a consenti un effort en rehaussant de 10 milliards d'euros la proposition initiale de la Commission pour les crédits dévolus au second pilier de la PAC. Quelles sont, selon vous, les perspectives des négociations sur la réforme de la PAC en ce début de présidence croate ? À Zagreb, lundi, j'ai retrouvé mes homologues des autres parlements nationaux de l'Union européenne et j'ai interpelé le Premier ministre croate, Européen convaincu et francophile confirmé sur ce sujet, qui m'a fait part de ses inquiétudes. L'étiage donné par la présidence finlandaise risque d'être difficile à faire évoluer.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État chargée des affaires européennes. - Je vous remercie pour la qualité du travail réalisé par votre commission. Son utilité est indéniable : il permet au Gouvernement de porter des exigences lors des négociations avec ses partenaires européens en se prévalant du soutien du Parlement, même si nous ne sommes pas dans un régime parlementaire. De fait, nous accordons une grande importance au suivi de vos résolutions.
Le CFP pour la période 2021-2027, qui ne fait pas à proprement parler l'objet d'une résolution déjà adoptée par le Sénat, sous-tend la majorité des thèmes que vous avez évoqués : la politique d'asile, la réforme de la PAC, le Plan Juncker et le programme InvestEU. Sa discussion sera donc décisive. Les sherpas du Président du Conseil européen, Charles Michel, reçoivent actuellement, à Bruxelles, les représentants des États membres - la France y a été entendue le 20 janvier - dans la perspective de pouvoir trouver un compromis lors d'un Conseil européen extraordinaire qui se tiendrait à la fin du mois de février. Nous soutenons cette initiative, même si le compromis ne sera pas aisé à établir. Il apparaît nécessaire de rassurer sur les ambitions de l'Europe, dans le contexte du Brexit.
Le budget européen doit équilibrer les principes de souveraineté et de solidarité, et répondre aux enjeux que constituent la sécurité, la compétitivité, l'innovation, l'immigration, la transition climatique. Nous sommes attentifs à la question du Fonds européen de la défense et à celle d'un budget de la zone euro. Il convient de ne pas opposer les défis contemporains et les politiques traditionnelles. La France est particulièrement attentive au développement économique et culturel des régions - régions en transition, outre-mer -, ainsi qu'au soutien aux agriculteurs, pour garantir leur compétitivité et assurer une transition environnementale viable.
Le nouveau budget européen ne peut s'envisager sans une réforme de son volet recettes, en supprimant les rabais et en créant des ressources propres, liées notamment à l'environnement, afin de limiter les hausses des contributions des États membres - il s'agit d'une revendication centrale des pays du nord de l'Europe - et de présenter une politique budgétaire cohérente. Les possibilités de nouvelles ressources propres qui pèseraient sur des personnes ne contribuant pas à la hauteur de ce qu'elles retirent du marché intérieur sont multiples : sur le marché du CO2 ou sur le plastique, majoritairement importé par l'Europe, mais aussi la taxe digitale ou celle sur les transactions financières.
Le budget européen constitue un outil politique qui doit refléter nos valeurs en encourageant la convergence sociale, notamment en favorisant l'égalité salariale et, par une clause de conditionnalité, l'État de droit. Il doit enfin apparaître cohérent au regard de nos ambitions climatiques : 30 % des dépenses devraient concerner l'environnement, dont 10 % la défense de la biodiversité.
Il existe un lien intrinsèque entre la réforme de la PAC et son financement, bien que les deux dossiers se négocient dans un cadre et selon un calendrier différents. Dans ce domaine, le Gouvernement approuve la majorité des recommandations du Sénat. Il faut maintenir le budget de la PAC en euros courants sur la période 2021-2027 à 27 États membres. Je comprends la logique de ceux qui réclament un maintien en euros constants, mais cette exigence ne me semble pas réaliste. La France, sur ce sujet, est soutenue par la majorité des États membres. Une vingtaine d'entre eux a exigé une augmentation de l'enveloppe prévue par la Commission européenne pour la nouvelle PAC, avec succès : la présidence finlandaise a proposé une rallonge de 10 milliards d'euros supplémentaires pour le deuxième pilier, selon le souhait de la majorité des États membres.
La France souhaite un rééquilibrage en faveur du premier pilier. De fait, les outils de dépenses doivent permettre de créer une architecture équilibrée pour la PAC, entre production agricole et démarche écologique avec des éco-dispositifs « ecoschemes » obligatoires dans le premier pilier et la mise en place de mesures agro-écologiques dans le second pilier. Les deux commissions concernées du Parlement européen, traitant l'une d'agriculture, l'autre d'environnement, risquent de s'opposer l'une à l'autre, or nous devons trouver un compromis crédible pour un accord sur la PAC.
Concernant la mise en oeuvre de la nouvelle PAC, le système envisagé par la Commission européenne apparaît effectivement complexe. Pour autant, il ne porte ni risque de distorsion de concurrence ni menace de renationalisation. La France a choisi de sécuriser le principe et prône désormais sa simplification afin de faciliter la mise en oeuvre concrète de la réforme en 2021. Hélas, peu de mes homologues saisissent l'enjeu d'une telle simplification, et la France a un important travail de conviction à mener. En interne, l'État français mène des discussions importantes avec les régions pour simplifier l'accès aux fonds européens.
S'agissant des règles de concurrence et des pratiques commerciales déloyales, nous partageons votre objectif. Il convient d'organiser les filières, ainsi que le prévoit le règlement Omnibus, et de réglementer les pratiques déloyales. Sur ce second point, la France a soutenu la directive entrée en vigueur au mois d'avril 2019, bien qu'elle ne couvre hélas pas l'ensemble des entreprises du secteur. Au niveau national, des progrès devraient également être constatés grâce à la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Egalim. Il convient cependant de rester vigilant sur les pratiques des centrales d'achat installées hors du territoire national.
Les outils de gestion des risques doivent être modernisés, ainsi que le Sénat le propose, par le biais des observatoires des marchés et des seuils d'alerte. Les menaces commerciales américaines rappellent combien ces outils sont nécessaires. Les agriculteurs sont soumis à un triple risque : climatique, de marché et de production. La France est donc favorable au maintien de la réserve de crise pour le secteur agricole. Elle est également attachée au soutien aux zones défavorisées et aux régions ultrapériphériques par le maintien des dispositifs les concernant, à l'instar du programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI).
Vous le voyez, nous sommes mobilisés en faveur de la PAC. N'hésitez pas à faire pression, de votre côté, auprès de vos collègues parlementaires des autres États membres. Au-delà de l'aspect budgétaire, nous devons obtenir des améliorations des outils également.
J'en viens au deuxième sujet. Le Plan Juncker vise à répondre aux préoccupations centrales des citoyens européens que sont la croissance et l'emploi, et à rendre le policy mix plus efficace. La France en a été le premier bénéficiaire en volume. Il faut désormais faire davantage en faveur du climat et des petites et moyennes entreprises (PME).
La France soutient le programme InvestEU, plus ambitieux, bien que les allocations précises n'en soient pas encore connues. Le Président de la République, convaincu de la nécessité, pour l'Europe, de disposer de capacités d'investissement élevées, est particulièrement mobilisé sur le sujet.
Le Sénat a émis des recommandations précieuses, dont la plupart ont été défendues par la France dans le cadre des discussions au Conseil. Un accord a été trouvé au printemps dernier entre le Parlement européen et le Conseil pour maintenir le fonds de garantie qui, avec l'appui de la Banque européenne d'investissement, permet de soutenir les investissements et de créer un effet de levier. Ce dispositif a fait le succès du Plan Juncker. La France a obtenu que l'outil reste guidé par la demande, sans contrainte d'équilibre géographique, et que la garantie de l'Union européenne soit ouverte à hauteur de 25 % aux banques nationales de développement, à l'instar de la Caisse des dépôts et consignations.
En France, le Plan Juncker permet, avec 15 milliards d'euros d'investissements approuvés, d'envisager 78 milliards d'euros d'investissements pour deux cents projets, dont soixante-trois concernent des PME. Dans sa nouvelle mouture, le fonds de garantie financera au moins 10 % d'opérations à caractère social.
Le programme InvestEU comprendra un compartiment « Union européenne » et un compartiment « États membres », permettant d'affecter de manière volontaire une partie (au plus 5 %) des fonds structurels nationaux au provisionnement d'une garantie supplémentaire de l'Union européenne. Le nouveau programme jouera aussi un rôle majeur dans la mise en oeuvre du Pacte vert, puisque 30 % de ses crédits seront consacrés à des investissements en faveur de la transition énergétique.
Troisièmement, la politique d'asile et d'immigration représente également un défi majeur. Il s'agit, pour l'Europe, d'assurer la libre circulation des personnes dans un cadre maîtrisé. Il convient de ne pas bâtir une Europe forteresse, mais d'organiser notre politique d'accueil. En 2019, l'Europe a comptabilisé 139 000 entrées irrégulières sur son territoire, soit le niveau le plus bas depuis six ans. Nous devons toutefois être en mesure de faire face à une crise migratoire comme celle de 2015. C'est pourquoi la France porte une proposition de refondation de l'espace Schengen.
Nous espérons beaucoup du nouveau Pacte sur l'immigration et l'asile, qui sera présenté par la Commission européenne au mois de mars. Il permettra de discuter de la refonte du régime d'asile européen qui constitue l'un des objectifs de la présidence allemande. Il s'agira d'un test important pour la crédibilité politique de l'Union européenne.
Le nouveau Pacte devra respecter les principes de responsabilité et de solidarité. En matière de responsabilité, la France soutiendra l'inclusion de procédures d'asile et de retour à la frontière, la réforme des critères de Dublin afin de répondre aux besoins des pays d'entrée comme de destination, la limitation de l'octroi des conditions matérielles d'accueil au pays chargé de l'examen de la demande d'asile et la mise en oeuvre d'une politique de retour efficace et respectueuse des droits humains. Sur ce dernier point, des accords de réadmission sont nécessaires. Nous avons négocié pendant six ans avec la Libye et avec la Tunisie : des accords européens sont préférables à des accords binationaux, quitte à y ajouter des clauses spécifiques. S'agissant du principe de solidarité, la France prône un soutien à la réinstallation et un dispositif de réponse en cas de pression migratoire disproportionnée sur un État membre. Les chiffres doivent cependant être relativisés : durant l'été 2018, seules 1 500 personnes ont débarqué en Europe et ont été prises en charge par une dizaine de pays, dont la France, l'Allemagne et le Luxembourg.
Nous devrons travailler sur la convergence des systèmes d'asile nationaux, mais aussi renforcer le Bureau européen d'appui en matière d'asile européen afin de le faire évoluer vers une véritable agence européenne aux prérogatives élargies et d'avancer sur la reconnaissance mutuelle des demandes d'asile. Si ce travail aboutit, la fiabilité de nos frontières extérieures sera renforcée et elles deviendront des lieux de contrôle des flux. Nous devrons aussi renforcer nos mécanismes d'évaluation. Nous sommes très attachés à la libre circulation dans l'espace Schengen, que nous devons optimiser et préserver.
Enfin, le règlement relatif à l'équité et à la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d'intermédiation en ligne est un premier pas. Votre ligne ambitieuse est également celle qu'a adoptée le Gouvernement tout au long des négociations qui furent difficiles. Le maniement de l'argument du secret des affaires a limité nos ambitions. Nous avons abouti à un compromis final satisfaisant, qui préserve, lorsqu'elles existent, les dispositions de droit français plus protectrices que le droit européen. Nous avons obtenu de nombreuses avancées, notamment sur le RGPD et l'élargissement aux moteurs de recherche. De nouvelles initiatives dans le champ du numérique seront prochainement proposées dans le cadre d'un futur Digital Services Act. Thierry Breton est très mobilisé sur ce sujet.
M. Jean Bizet, président. - S'agissant de la PAC, le règlement Omnibus n'est qu'un début de réponse. Une réponse plus complète serait d'inverser son article 222 : le regroupement en agriculture devrait devenir la règle, et les pouvoirs publics n'intervenir qu'en cas de dysfonctionnement du marché. Avec la grande distribution, seul compte le rapport de force. Or, les agriculteurs ont une tendance naturelle à l'individualisme. Margrethe Vestager a fait part de son intention de revisiter les règles de la concurrence européenne : c'est une opportunité que nous devons saisir et nous avons besoin de votre appui.
Nous passons maintenant à la partie interactive de cette audition. Je donne la parole à nos différents rapporteurs.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. - Dans sa résolution européenne n° 22 du 12 novembre 2018 sur l'extraterritorialité des sanctions américaines, le Sénat fait diverses propositions - sur Instex, sur le règlement de blocage ou le mécanisme de réparation -, qui peuvent peut-être sembler dérisoires au regard des enjeux politiques, notamment de souveraineté. L'extraterritorialité des sanctions américaines a été extrêmement brutale et nous allons de sanction en sanction. La mise en oeuvre d'Instex et du règlement de blocage relève d'une partie de bras de fer et ces questions ne peuvent être traitées qu'au niveau européen. Notre résolution est un appel à se doter d'outils de souveraineté européenne. Les États-Unis sont-ils nos alliés ou pas ? Les positions des différents États membres sont très diverses.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - La présidente de la commission, Ursula von der Leyen, a chargé son vice-président Valdis Dombrovskis d'une mission pour améliorer la résilience de l'Union européenne aux sanctions extraterritoriales, en lien avec Josep Borell : la prise de conscience est donc très forte.
C'est une opportunité pour réviser le règlement de blocage de 1996 de façon à le rendre plus crédible et plus dissuasif ; nous nous appuierons sur les propositions de votre résolution pour ce faire. Aujourd'hui, les entreprises sont face à un dilemme : elles doivent choisir entre le risque de sanctions européennes ou américaines... C'est une situation baroque ! Même si le droit à l'indemnisation existe, le risque financier est entièrement porté par l'entreprise tant qu'elle n'a pas obtenu réparation devant les tribunaux : nous proposerons donc de mettre en place une mutualisation du risque et un mécanisme d'indemnisation efficace pour les entreprises européennes sanctionnées par les États-Unis. Nous sommes favorables à la désignation d'un Haut Représentant de l'Union pour les sanctions, qui puisse engager un dialogue avec l'Office of Foreign Assets Control (OFAC) afin que nous disposions d'un négociateur en chef. Au niveau national, nous travaillons à la modernisation de notre propre loi de blocage, la loi du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d'ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères. Nous suivrons aussi les meilleures recommandations de votre collègue député, Raphaël Gauvain qui a remis son rapport au Premier ministre en juin dernier.
Sur l'Iran, nous sommes déterminés à poursuivre les initiatives en cours au travers d'Instex, même si le dispositif n'est pas encore totalement opérationnel. Le nombre de pays prêts à y participer a été élargi à la Belgique, la Norvège et le Danemark, et d'autres pays - les Pays-Bas, la Finlande et la Suède - ont annoncé leur intention de rejoindre ce dispositif. Les premières transactions sont identifiées, mais nous sommes maintenant en attente des autorisations iraniennes. Ce mécanisme pourrait être aussi développé avec Cuba et la Russie, où les échanges européens sont entravés par des comportements de surconformité bancaire liés au rôle du dollar. Le rôle international de l'euro est essentiel et nous devons parachever l'Union économique et monétaire (UEM). Ce sujet est discuté dans l'enceinte des G7 et des G20.
M. Jean Bizet, président. - Ce sujet est fondamental et le règlement de blocage de 1996 n'a pas donné satisfaction. Nous rêvons du jour où l'euro aura la même dimension que le dollar dans les négociations commerciales internationales, car c'est ce qui fait la puissance américaine. Une économie affirmée a besoin d'une monnaie affirmée.
M. Claude Kern, rapporteur. - Dans sa résolution n° 76 du 8 mars 2019 sur les investissements dans l'intelligence artificielle en Europe, le Sénat préconise la création d'un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) pour l'intelligence artificielle. Ce mécanisme permettrait à des États membres d'accorder à ce secteur des aides financières, en adaptant les règles européennes de concurrence. Soutenez-vous cette demande auprès de nos partenaires européens ?
Nous avons également exprimé notre préoccupation quant à la dimension éthique de l'intelligence artificielle. Quelle est la position défendue par la France sur l'équilibre entre la liberté, qui est nécessaire à l'innovation et au développement économique, et la bonne prise en compte de principes éthiques dans la conception et l'usage de l'intelligence artificielle ?
M. Cyril Pellevat, rapporteur. - Sur la question des données, le Sénat a affirmé, dans sa résolution du 8 mars 2019, son soutien à la création d'espaces européens de données et à un partage raisonné des données au sein de l'Union. Thierry Breton a annoncé, pour le printemps 2020, un plan de politique européenne de la donnée. Avez-vous des informations à ce sujet ? Alors que le nouveau commissaire prédit qu'à l'horizon de cinq ans, 80 % des données seront stockées localement, dans nos smartphones et les objets connectés, le projet de cloud européen est-il toujours d'actualité ?
Dans sa résolution, le Sénat soulignait la nécessité d'augmenter l'effort de formation au numérique et à l'intelligence artificielle en Europe. Les États sont en première ligne, mais l'Union européenne intervient directement dans la formation de haut niveau à l'intelligence artificielle, notamment dans le cadre de sa politique de soutien à la recherche. Quelles sont les actions entreprises en ce domaine par la France pour rattraper le retard pris et comment s'articulent-elles avec les initiatives et instruments européens ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Soyons lucides sur la faiblesse actuelle de nos moyens sur l'intelligence artificielle, comparés à ceux d'autres puissances. Nous partageons votre position et il s'agit d'une grande priorité sectorielle, de même niveau que les enjeux climatiques. Ursula von der Leyen l'a bien montré en attribuant ce portefeuille à Margrethe Vestager. Il ne s'agit pas de verser des aides d'État, mais de mettre des ressources publiques et privées au service d'une ambition partagée et tous les acteurs doivent être mobilisés : la Commission, les États membres et les industriels, sur le modèle de ce que nous avons fait pour les batteries - en regroupant sept pays et dix-sept entreprises de toutes tailles. Nous y réfléchissons actuellement.
Sur l'éthique et la transparence des algorithmes, des experts travaillent actuellement auprès de la Commission européenne.
M. André Gattolin, rapporteur. - Nous les avons auditionnés.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Thierry Breton a publié hier un article dans lequel il répond largement à vos questions. Nous ne sommes pas en retard, mais nous devons créer une réserve de données non personnelles afin de favoriser l'innovation. C'est ce qu'il appelle le hub européen des données, qui seraient accessibles aux PME, aux acteurs industriels et aux centres de recherche. Nous avons avec le RGPD une stratégie pour les données personnelles, il faut maintenant que nous ayons une stratégie pour les données non personnelles : c'est bien ce que propose Thierry Breton, il s'agit donc bien d'une stratégie éthique des données économiques et industrielles.
Sur l'idée d'un cloud européen, nous devons nous assurer que les données produites par les Européens bénéficient aux entreprises européennes. La plupart de nos données sont stockées dans les terminaux, nous aurons donc besoin de la 5G et d'édicter d'exigeantes conditions de sécurité. Nous avons des fournisseurs européens - Nokia ou Ericsson qui vient de faire un investissement majeur à Massy pour travailler avec l'écosystème français. Thierry Breton considère que l'hydrogène et l'internet des objets sont aussi des secteurs-clefs.
Aujourd'hui, en France, 80 000 postes demeurent non-pourvus dans le domaine du numérique : l'enjeu de la formation est immense. Nous avons notamment besoin de qualifications intermédiaires sur le traitement des données. La création d'un label européen sur les formations devrait permettre de créer un véritable marché commun des compétences. Votre résolution est donc bien dans l'esprit du Gouvernement et de notre commissaire européen.
M. André Gattolin, rapporteur. - L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est également dotée d'une sous-commission sur l'intelligence artificielle, dont je suis membre, et dont le périmètre est un peu plus large que celui de la Commission européenne.
S'agissant du programme spatial européen, nous soutenons la proposition de la Commission d'y affecter 16 milliards d'euros. La proposition finlandaise - 12,7 milliards d'euros - est inquiétante. L'augmentation, au lieu des 50 % attendus, ne serait plus que de 15 %. Or, cette industrie est fondamentale pour la compétitivité française car notre pays en est l'un des leaders, et il nous faut aller au-delà de la seule recherche scientifique.
Notre résolution demandait qu'une enveloppe de 4 milliards d'euros soit affectée à la recherche et à l'innovation dans le cadre d'« Horizon Europe ». Or, d'après nos informations, le Gouvernement ne s'engagerait qu'à défendre un budget de plus de 2,5 milliards d'euros. Qu'en est-il exactement ?
L'Union européenne a besoin d'un accès souverain à l'espace. Pour cela, il est nécessaire de consolider l'atout que représente le Centre spatial guyanais de Kourou et de mettre en place une préférence européenne pour nos entreprises. Il semblerait que les Allemands soient désormais favorables au principe de préférence européenne concernant les lanceurs. Qu'en est-il ?
M. Jean Bizet, président. - Nous avons en effet été extrêmement déçus des propositions de coupes claires de la présidence finlandaise dans le budget du programme spatial européen et celui du Fonds européen de la défense.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Votre appui est déterminant dans nos négociations. Nous avons de vrais atouts ; il serait paradoxal et critiquable de les affaiblir. Nous sommes pleinement en soutien du programme spatial dont nous souhaitons sécuriser la base juridique. Nous souhaitons également lancer de nouveaux programmes en matière de surveillance de l'espace et de communications sécurisées.
Pour aboutir, il nous paraît indispensable de revoir la gouvernance entre la future Agence de l'Union, l'acteur historique ESA (European space agency - Agence spatiale européenne) et la nouvelle Direction générale DEFIS de la Commission européenne. Il s'agit de ne pas dupliquer les compétences, mais de favoriser l'implication progressive de la nouvelle Agence.
Nous avons obtenu d'importances avancées à Séville : la capacité autonome d'accès à l'espace de l'Union et de ses États membres a été inscrite dans le programme spatial européen et il a été décidé d'agréger nos services de lancement. L'accord franco-allemand de Toulouse a acté le principe de la préférence européenne dans le secteur spatial. Cela nous permet de réaffirmer notre soutien à Kourou comme port spatial européen. Cela a été permis grâce au travail très méthodique de Frédérique Vidal, ministre chargée de la recherche, et aux talents diplomatiques de Jean-Yves Le Gall, le président du Centre national d'études spatiales.
Nous avons plaidé pour un budget ambitieux en faveur du programme spatial européen et pour que le budget de recherche prévu dans « Horizon Europe » soit en ligne avec ce que nous avions dans « Horizon 2020 ». Je me suis donc opposée aux propositions de coupes budgétaires dans le programme spatial et Thierry Breton a annoncé qu'il serait intraitable sur cette question. En matière de recherche, notre objectif est de préserver la part du spatial dans « Horizon Europe », avec un minimum de 2,5 milliards d'euros - alors que la proposition finlandaise était de 1,5 à 2 milliards.
Il est indispensable que les opinions publiques comprennent les retombées quotidiennes de ces programmes. Nous comptons déjà un milliard d'usagers de Galileo, mais qui le sait ? Les applications de Galileo et de Copernicus sont multiples, notamment dans le domaine agricole de précision. Il y a là un vrai sujet de communication que vous pourriez porter dans vos territoires.
M. Jacques Bigot, rapporteur. - Le 21 juin dernier, le Sénat a adopté une résolution européenne n° 117 sur la coopération judiciaire en matière pénale et la mise en oeuvre du Parquet européen. Ce Parquet est enfin en train de se mettre en place et devrait être opérationnel en novembre 2020. Sa mission première sera de lutter contre les fraudes aux intérêts de l'Union, ce qui supposera une bonne coopération avec les parquets nationaux : où en est-on s'agissant de la France ?
L'extension de son champ de compétences aux infractions terroristes transfrontières est envisagée. Dans notre résolution du 21 juin, nous étions réservés dans l'immédiat...
Comment lutter contre la cybercriminalité, qui est, par définition, sans frontières ? Il serait illusoire de penser que les polices et les parquets nationaux pourront agir seuls.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - La protection des citoyens et des libertés est au coeur de l'Agenda stratégique 2019-2024. Nous aurons ce semestre une discussion au Conseil européen sur l'État de droit, le renforcement de la confiance mutuelle, la formation des magistrats, la coopération judiciaire et l'adaptation de la justice aux nouvelles technologies, etc. La création du Parquet européen est une étape décisive. Mme Kövesi a fait son premier déplacement à Paris, car elle sait à quel point la France a été moteur sur la création de ce Parquet européen. Il faut maintenant que les procureurs européens soient nommés, ainsi que des procureurs délégués dans les États membres. Il faut également mettre en place un Case management system, système de gestion des affaires, comme à la Cour européenne des droits de l'Homme. Et nous préparons, avec Nicole Belloubet, les adaptations nécessaires de notre droit national.
L'extension du champ de compétences du Parquet européen au-delà de la fraude aux intérêts de l'Union - terrorisme, criminalité transfrontalière - est actuellement en débat ; c'est un objectif de moyen terme.
En matière de cybercriminalité, il existe une coopération forte avec Europol et il existe un réseau européen de transmission d'informations. Nous souhaitons créer un centre européen dédié afin de faciliter leur traitement. La sécurité du réseau 5G sera ici essentielle.
N'oublions pas non plus la question des ingérences dans les élections : le Président de la République défend la création d'une Agence européenne de la démocratie. La protection des institutions européennes contre les attaques est également un enjeu majeur car s'y concentrent de nombreuses données stratégiques. Dans le domaine bancaire, nous avons fait beaucoup de progrès, même si des améliorations sont encore nécessaires sur les questions transfrontalières. Le dialogue entre Europol et Eurojust facilite le traitement des affaires. Je crois qu'il n'y a pas de dissensus sur ces sujets. Il faut maintenant que nous puissions être opérationnels.
M. Jacques Bigot, rapporteur. - Il n'y a pas de dissensus, mais les États sont attachés au respect de leur souveraineté. Nous l'avons constaté lors de la constitution du Parquet européen. C'est pour cela qu'il nous paraît intéressant de penser dès maintenant la question de la cybercriminalité avec cette stratégie.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Le commissaire Didier Reynders porte ces questions. Il s'agit d'un sujet concret qui a des répercussions dans la vie quotidienne. Les citoyens comprendront très bien que, dans ce domaine, les actions n'ont pas de frontières.
Toutes les propositions que nous pourrons faire seront bienvenues. Nous devons sortir d'une forme de naïveté qui nous conduit à tolérer collectivement beaucoup de choses dans le domaine numérique que l'on ne tolérerait pas dans la vie réelle. Par exemple, on s'accommode de contenus terroristes sur les réseaux sociaux dont on ne tolérerait pas qu'ils soient relayés par un média classique. Il nous semble essentiel que la France s'oppose à cette forme d'affadissement dont les conséquences sur la démocratie sont certaines.
M. Jean Bizet, président. - Nous vous remercions beaucoup pour vos réponses précises et de qualité. Vous avez bien compris l'esprit de nos résolutions : elles sont un moyen d'affirmer nos positions et, vous l'avez dit, constituent pour vous une forme d'appui au niveau du Conseil. Nous allons poursuivre nos travaux en ce sens.
La réunion est close à 10 h 20.