Mercredi 8 janvier 2020

- Présidence de Mme Catherine Morin-Desailly, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Réforme du baccalauréat - Audition de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, et de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous avons le plaisir et l'honneur d'auditionner aujourd'hui M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, et Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation sur l'articulation entre la réforme du baccalauréat et l'accès aux études supérieures.

Alors que le baccalauréat « nouvelle formule » se met en place et que Parcoursup entame sa troisième année de mise en oeuvre, il me semblait en effet important de pouvoir auditionner conjointement les deux ministres concernés par l'accès des prochaines générations de lycéens au cycle supérieur.

Les interrogations étant nombreuses concernant ces modalités d'accès, je ne soulèverai que les principales : quelles sont les conséquences de la réforme du baccalauréat sur le choix des études supérieures ? Comment les formations du supérieur se préparent-elles à l'accueil des nouveaux bacheliers ? Quelles sont les conditions de réussite du continuum - auquel notre commission est très attachée - entre l'enseignement scolaire et le supérieur ?

Nous sommes impatients de vous entendre sur ces questions et nous vous remercions d'avoir pu dégager dans votre emploi du temps un créneau commun pour cette audition.

Après vos exposés liminaires, je donnerai la parole à nos rapporteurs sur l'enseignement scolaire, Jacques Grosperrin, et l'enseignement supérieur, Stéphane Piednoir, à un orateur par groupe politique pour une durée maximum de deux minutes trente et enfin à l'ensemble des collègues qui le souhaitent pour une durée identique.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. - C'est avec un grand plaisir que nous répondons à votre invitation. Nous partageons, avec la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, la même vision de ce qu'on appelle parfois le continuum bac-3/bac+3. C'est dans ce cadre que s'inscrit la réforme du bac. Il s'agit d'atténuer la fameuse césure qui suit le baccalauréat et qui est à l'origine d'un scandale français auquel nous voulons mettre fin, à savoir l'échec des étudiants à l'université, encore trop important.

Cet échec est un gâchis dont personne n'est responsable en apparence. Le système mis en place ces dernières années, ces dernières décennies, fait de l'entrée dans l'enseignement supérieur une sorte d'heure de vérité. Or les jeunes n'ont pas été préparés à la réussite au cours des années précédentes. Ce constat d'échec dans l'enseignement supérieur prend évidemment racine dans l'enseignement scolaire, raison pour laquelle nous avons décidé de prendre ce problème à bras-le-corps.

Cette réforme du baccalauréat est aussi une réforme du lycée. Nous allons principalement évoquer la réforme du lycée général et du lycée technologique, mais elle s'accompagne aussi d'une réforme extrêmement importante de la voie professionnelle qui vise à préparer la réussite postérieure des bacheliers professionnels soit par l'insertion professionnelle, soit par un parcours dans l'enseignement supérieur (pour près de la moitié d'entre eux maintenant). Tout cela suppose de bien préparer les élèves à ce qui les attend dans l'enseignement supérieur.

Nous voulons triplement créer de la confiance : confiance dans les jeunes de notre pays en leur offrant davantage de choix, confiance dans les professeurs pour un meilleur approfondissement des disciplines avec les élèves, confiance aussi dans les chefs d'établissements et les équipes pour la réussite et l'organisation du nouveau système.

Nous avons entendu beaucoup de choses sur cette réforme. Il me semble important de rappeler le sens de notre action : en préparant l'élève au baccalauréat, nous voulons le préparer à la réussite, lui permettre d'acquérir des compétences qui seront décisives dans sa vie professionnelle et dans sa vie au sens large. Le baccalauréat ne doit plus être perçu comme artificiel. L'instauration, par exemple, d'un grand oral au terme des épreuves du baccalauréat vise à développer dans l'ensemble de notre système scolaire des compétences d'expression orale parfois insuffisantes aujourd'hui.

La réussite des élèves passe à la fois par le plaisir d'apprendre, par une liberté de choix - je reviendrai sur cet aspect au travers des enseignements de spécialité - et par une capacité d'approfondissement. Nous sommes partis de l'idée que la liberté de choix mettait l'élève dans les meilleures dispositions : on approfondit toujours davantage les matières que l'on aime.

Nous assumons totalement l'ambition de notre programme : la refonte de l'ensemble des programmes du lycée général, technologique et professionnel traduit un plus haut niveau d'exigence. Nous l'assumons d'autant plus que nous devions réagir face aux affaissements de niveau des nouveaux étudiants souvent constatés dans l'enseignement supérieur. Le contrôle continu participe de cette stratégie. Il s'agit de faire travailler de façon plus continue les élèves. D'ailleurs, on constate cette année que les élèves de première ont une démarche de travail plus continue. Ils vont d'ailleurs commencer leurs épreuves de contrôle continu à la fin de ce mois.

Je voudrais revenir sur la rentrée de cette année dont j'ai affirmé qu'elle était réussie. Comme à chaque fois, des voix s'élevaient pour dire que nous rencontrerions de très grandes difficultés, que cette réforme était infaisable... Je pense aux emplois du temps notamment. Les problèmes soulevés en amont ne sont évidemment pas de faux problèmes. La réforme du baccalauréat nous oblige à repenser, et c'est heureux, la manière de concevoir les emplois du temps. Les chefs d'établissements ont mené un très gros travail. Au final, nous avons connu moins de problèmes d'emplois du temps que lors d'une rentrée ordinaire.

De même, certaines craintes concernant les choix des élèves ne se sont pas réalisées. La moitié d'entre eux s'est saisie de cette réforme pour composer des combinaisons originales qui n'existaient pas dans le système précédent. Les élèves ont donc pleinement profité des nouvelles opportunités qu'offre notamment la classe de seconde. On parle souvent de la première, mais tous les élèves de seconde suivent maintenant des enseignements communs obligatoires de sciences numériques et technologiques et de sciences économiques et sociales d'une heure et demie par semaine.

Les élèves de première ont fait des choix originaux. Ils ont aussi pu bénéficier d'enseignements nouveaux, notamment du programme « spécialité numérique et sciences informatiques ». Il s'agit d'une innovation extrêmement importante qui s'accompagne d'autres éléments visant à renforcer l'apprentissage de l'informatique au sein de notre système scolaire - je pense notamment à la création du Capes d'informatique.

Par ailleurs, nous consacrons plus de temps à l'orientation des élèves - c'est le grand changement à l'intérieur du grand changement -, singulièrement avec les nouvelles compétences dévolues aux régions. Les choses vont aller en s'amplifiant : nous travaillons en parfaite coopération avec les régions pour leur permettre de s'approprier ces nouvelles compétences, en concertation avec l'enseignement supérieur.

Concrètement, cela représente une cinquantaine d'heures annuelles consacrées à ces sujets. Les établissements disposent d'une grande liberté : ils peuvent, par exemple, organiser des « semaines de l'orientation » avec les régions et demander aux institutions d'enseignement supérieur ou au monde professionnel de venir parler aux élèves des enjeux de l'orientation de manière extrêmement pragmatique.

Je crois beaucoup à cette nouvelle dynamique, laquelle passe aussi par une évolution de l'Onisep, l'Office national d'information sur les enseignements et les professions. Là encore, je peux comprendre les inquiétudes, mais nous ne visons qu'à renforcer notre capacité d'orientation. Les différentes réformes que mène la nouvelle directrice de l'Onisep vont dans ce sens.

La rentrée 2020 est déjà en préparation, mais nous avons posé des jalons importants avant d'y parvenir. Je pense d'abord à celui de décembre avec les conseils de classe. Beaucoup redoutaient les conséquences de la réforme sur le déroulement de ces conseils, mais tout s'est bien passé. Les conseils de classe ont été différents, et c'est une bonne nouvelle. Alors que l'on se plaint des mêmes problèmes depuis des décennies, je trouve paradoxal d'exacerber les craintes alors même que les choses changent dans le sens souhaité par tout le monde. Mieux vaut souligner l'esprit d'innovation, la volonté d'aider les élèves à réussir...

Nous voulons que le conseil de classe corresponde le plus possible au groupe-classe qui représente tout de même la majorité des heures. La politique d'enseignement de spécialité par établissement permet à chaque établissement d'adopter son propre mode d'organisation. Si quatre professeurs sont concernés par 120 élèves, on peut réunir ces quatre professeurs-là et mener une politique d'établissement sur cet enseignement de spécialité, ce qui crée des effets de coopération et de transversalité. Les établissements qui l'ont compris en voient déjà les bénéfices. Que n'a-t-on entendu en amont du mois de décembre ! Au moment de dresser le bilan, on constate évidemment des failles, des insuffisances, mais aussi des avancées très intéressantes.

Comme vous le savez, nous avons mis en place un comité de suivi - annoncé dès cet été - pour faire remonter les échos du terrain et nous permettre d'apporter les ajustements nécessaires. Ce comité nous a alertés sur la charge de travail en français et nous avons pu aménager les programmes pour aider les professeurs : plutôt que de renouveler par moitié les oeuvres à étudier d'une année sur l'autre, nous n'en renouvelons plus qu'un quart ; de même, nous avons quelque peu diminué le nombre d'oeuvres à présenter, conformément aux préconisations du comité.

Conformément aux recommandations du comité, nous allons aussi proposer une nouvelle spécialité, ce qui me permet de souligner la souplesse de la réforme du lycée : nous sommes capables de créer de nouveaux enseignements de spécialité en tenant compte de l'évolution de la société, des attentes des élèves ou des observations des professeurs. Ainsi, nous avons ajouté aux programmes d'anglais qui pouvaient sembler un peu trop académiques à une partie des élèves et des professeurs un sous-ensemble intitulé « anglais monde contemporain » qui fera davantage de place à la lecture de la presse, à l'expression orale et à des enjeux très contemporains.

Nous prêtons bien évidemment une attention particulière aux mathématiques. Encore une fois, les craintes qui s'étaient exprimées ne se sont pas réalisées : environ les deux tiers des élèves ont choisi l'enseignement de spécialité « mathématiques ». On souligne parfois le caractère exigeant du programme de mathématiques, mais nous l'assumons : ceux qui abandonneront cet enseignement de spécialité entre la première et la terminale pourront suivre la spécialité « mathématiques complémentaires » en classe de terminale, dans tous les lycées de France. Cela signifie que tous les lycéens ayant choisi la spécialité mathématiques en première et se retrouvant sans cette dernière en terminale pourront prendre l'enseignement « mathématiques complémentaires ».

En terminale, les élèves seront donc dans un système « 3, 6, 9 » : trois heures de mathématiques complémentaires - probabilités et statistiques, pour les élèves en économie par exemple ou pour ceux qui se destinent à des études de médecine et qui ont aussi pris « sciences et vie de la Terre » et, par exemple, physique-chimie -, six heures pour ceux qui choisissent l'enseignement de spécialité « mathématiques » et neuf heures pour ceux qui suivent l'enseignement « mathématiques expertes ». Jusqu'à présent un élève de terminale S n'avait que huit heures de mathématiques hebdomadaires.

Nous avons mis en place un système modulaire, souple, qui permet à ceux qui le souhaitent de pousser l'excellence en mathématiques ou d'assurer un niveau correct pour ceux suivant moins d'heures d'enseignement. Loin d'affaiblir cet enseignement, nous le renforçons en tenant compte des rapports différents qu'ont les élèves à cette matière. En outre, j'ai préconisé la création de groupes de compétences l'année prochaine afin de tenir compte de l'hétérogénéité du niveau des élèves.

Comme vous le savez, la réforme Parcoursup avait conduit à la nomination de deux professeurs principaux en terminale. Cette expérience est assez réussie. Dans le futur, d'autres évolutions sont envisageables pour tenir compte de l'évolution du groupe classe et assurer le suivi approfondi des élèves à travers une conception renouvelée du professeur principal.

Le dialogue est continu sur ces questions. On me reproche parfois ma « verticalité », mais nous tenons compte des préconisations du comité de suivi, lequel se réunit très régulièrement - le prochain se tiendra le 28 janvier. Je reste très ouvert à toutes les observations.

Les épreuves du contrôle continu débuteront le 20 janvier prochain. Il s'agit d'un jalon de plus dans la valorisation du travail régulier des élèves. L'épreuve d'histoire-géographie sera de deux heures maximum et d'une heure seulement en langue vivante A et B. Les élèves de la voie technologique auront également une épreuve de deux heures de mathématiques. Chaque épreuve comptant pour 1,67 % de la note, le contrôle continu ne devrait pas engendrer un stress excessif... Les vertus seront multiples : comme je l'ai déjà souligné, cela permettra d'améliorer la coopération entre les professeurs d'un même établissement et d'établir une progression la plus homogène possible entre élèves de différentes classes.

La dématérialisation de la correction est un autre aspect très important de la réforme. Il s'agit d'un véritable saut technologique. À la fin du mois, chaque établissement de France sera à même de scanner les copies. Le système numérique mis en place permet de répartir les copies entre correcteurs d'un autre établissement que celui de l'élève. C'est une garantie non seulement d'anonymisation et d'égalité dans l'harmonisation des notes à travers les commissions d'harmonisation. Par ailleurs, l'élève pourra consulter sa copie en ligne dès qu'elle sera corrigée. Ce système va nous permettre d'en finir avec les incidents récurrents de pertes de copies ou autres qui existent depuis toujours.

Sur ce sujet encore, des inquiétudes se font jour. Le processus s'étalant sur plusieurs jours, nous aurons toujours la possibilité de remédier à la moindre difficulté informatique dans un établissement. Je tiendrai une visioconférence en fin de semaine avec les représentants des chefs d'établissements pour caler les derniers aspects pratiques de ce contrôle continu.

Je suis confiant quant au déroulement de la réforme. Nous allons déjà vers le prochain jalon, celui de la préparation de la rentrée 2020. L'année prochaine, les élèves de première auront donc choisi deux enseignements de spécialité de six heures pour la classe de terminale. Nous allons entrer dans une nouvelle phase. Nous sommes en train de publier les derniers textes afin de tenir compte, justement, des préconisations du comité de suivi et de celles de Cyril Delhay qui a remis son rapport sur le grand oral au mois de juin dernier. Cette épreuve permettra aux élèves d'exprimer toutes leurs compétences argumentatives, dans une épreuve d'une durée de vingt minutes.

Nous assumons pleinement cette réforme en profondeur du lycée français. D'autres pays sont intéressés par les différentes pistes que nous suivons. Il est essentiel de faire encore évoluer collectivement cette réforme, notamment par la concertation, en cohérence avec le monde de l'enseignement supérieur. L'aval conditionne beaucoup l'amont - je pense notamment à l'explicitation des attendus qui revêt beaucoup d'importance dans l'élaboration des programmes et au moment des choix des élèves.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Merci, monsieur le ministre. Cette audition me semble d'autant plus opportune que les épreuves du contrôle continu vont bientôt commencer et que Parcoursup vient également de démarrer. Madame la ministre, pourriez-vous nous expliquer la cohérence de cette réforme entre vos deux ministères et nous donner quelques précisions sur les fameux « attendus » que vient d'évoquer M. Blanquer ?

Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. - Dès l'origine de la réforme, nous avons pensé l'orientation et la réussite des étudiants en fonction de ce continuum « moins trois, plus trois ».

Lors de la présentation du plan Étudiant, en octobre 2017, nous nous sommes inscrits dans une démarche ayant vocation à traduire notre philosophie du système d'éducation et d'enseignement supérieur, laquelle se retrouve aussi dans la réforme de la formation professionnelle portée par Muriel Pénicaud : comment donner à nos jeunes, et plus largement à nos concitoyens, au travers de l'apprentissage et de la circulation des connaissances, les moyens de construire leur parcours de la manière la plus libre et la plus éclairée possible, en pleine conscience des exigences de notre système d'enseignement ? Qu'il s'agisse de la transformation du lycée, du baccalauréat, du premier cycle universitaire ou de la formation professionnelle, nous visons l'émancipation par la connaissance.

Nous partons d'un constat identique : les logiques anciennes, établies en silos ou en tuyaux d'orgue, déterminent très tôt le parcours scolaire des élèves, leur entrée dans l'enseignement supérieur, et donc leur future vie professionnelle.

Selon nous, l'orientation, c'est permettre à chacun, dans le temps, selon sa maturité au lycée et tout au long du premier cycle de l'enseignement supérieur, de construire son parcours original, personnel, de manière à trouver sa voie vers la réussite. La confiance en soi est quelque chose d'essentiel pour notre jeunesse. Elle doit lui permettre de participer pleinement à la société et de s'y réaliser. Pendant trop longtemps, le baccalauréat a été le marqueur d'un saut dans l'inconnu dans le meilleur des cas, d'une rupture emplie de désillusions dans le pire des cas.

L'enseignement supérieur, dans sa diversité, dans son exigence académique portée par l'ensemble des établissements, était assez mal connu. Aussi était-il essentiel de construire une forme d'alliance entre les enseignants du secondaire et ceux du supérieur, de manière à mieux accompagner les jeunes et à leur expliquer les exigences des formations.

Nous avons donc décidé, comme l'a rappelé Jean-Michel Blanquer, de nommer deux professeurs principaux en terminale, de multiplier les rencontres entre enseignants du supérieur et du secondaire dans les commissions d'accès à l'enseignement supérieur. Aujourd'hui, ces acteurs se connaissent, se parlent et se transmettent le relais en matière d'accompagnement de notre jeunesse.

Le sénateur Brisson, entre autres, s'est très souvent demandé pourquoi nous avions choisi cette orientation-là. Je ne reviendrai pas sur le contexte très particulier du printemps 2017 avec un recours massif au tirage au sort et l'émoi bien compréhensible qui avait suivi. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) avait enjoint le Gouvernement à agir promptement avant que le Conseil d'État n'annule la base juridique de toute la plateforme... Il s'agissait d'un contexte contraignant, mais qui avait du sens : il nous paraissait important de faire connaître les exigences de l'enseignement supérieur pour permettre aux jeunes de se préparer sereinement à y entrer. Il nous semblait aussi pertinent de donner quelques années à l'enseignement supérieur pour se préparer à mieux accueillir la diversité des étudiants à venir.

Il était donc essentiel de faire connaître les attendus en termes disciplinaires, mais aussi en termes d'exigence de travail et de compréhension des compétences à acquérir, de mieux intégrer dans les formations du supérieur la diversité des talents, des intelligences et des goûts, de faire savoir que les choses ne sont pas définitives, quels que soient les parcours et l'orientation depuis le lycée. Si l'on se donne les moyens de se former, l'univers des possibles reste largement ouvert. Encore faut-il que les jeunes aient bien conscience des exigences de l'enseignement supérieur.

Dès le mois de décembre 2017, nous avons décidé de ne pas calquer les attendus sur des filières existantes ou à venir du baccalauréat. Il s'agissait de dire aux jeunes que le système que nous mettions en place leur permettrait d'acquérir ces savoirs et de leur fournir l'information la plus fidèle possible sur les connaissances, les compétences, l'investissement nécessaires pour chacune des filières. Cet équilibre entre liberté d'orientation et connaissance des réalités est essentiel pour les jeunes lycéens dont aucun proche n'a suivi d'études supérieures. Les professeurs principaux, les conseillers d'orientation, les enseignants référents, les directeurs des études dans l'enseignement supérieur ont vraiment pris cet objectif à coeur.

Les attendus sont bien évidemment en train d'être affinés et nous demanderons aux établissements de ne pas les modifier pour la rentrée 2021, de façon à éviter toute stratégie laissant croire que tel ou tel choix de spécialités est un prérequis. Les attendus ne sont pas construits dans cette optique. Nos deux ministères ont ainsi édicté une charte, signée par les conférences d'établissements, le 17 janvier 2019, afin de garantir que les choix des enseignements de spécialité ne conditionneront en aucun cas les voeux de formation de Parcoursup : aucune formation ne pourra exiger telle ou telle combinaison de spécialités.

Je sais combien ce sujet suscite d'interrogations et d'inquiétudes pour les lycéens et leurs familles, je veux donc être la plus claire possible : notre objectif est bien d'assouplir le système et de donner la plus grande liberté de choix aux lycéens. Pour autant, cette liberté doit tenir compte de quelques réalités fondamentales : par exemple, ne jamais avoir suivi aucun enseignement scientifique si l'on veut devenir ingénieur me paraît discutable...

Toutefois, ces formations seront accessibles à l'aide de plusieurs combinaisons d'enseignements de spécialité, ce qui est nouveau. Nous avons aussi mis en place de nouveaux outils d'information et d'orientation pour permettre aux jeunes et à leurs familles de découvrir les opportunités qu'offrent différentes combinaisons de spécialités. Sur le site Horizons2021.fr, vous pouvez, par exemple, choisir des spécialités et regarder à quel type de métier elles conduisent. Ces combinaisons peuvent ouvrir des horizons extrêmement variables, extrêmement différents. Construire son orientation, c'est aussi être capable de se projeter dans ses études et, au-delà, dans une vie professionnelle.

Depuis la rentrée 2018, les établissements ont préparé, grâce à l'arrêté pris en août 2018, des parcours de plus en plus modulables et à la carte, qui permettent de mieux accompagner les jeunes en fonction des spécialités qu'ils ont suivies. La mise en place de ces parcours modulaires est financée en partie par le programme d'investissements d'avenir à hauteur de 450 millions d'euros.

Pour conclure mon propos, je voudrais prendre un exemple concret, celui des études de santé. Le profil de l'étudiant en Paces, ou première année commune aux études de santé, était jusqu'alors particulièrement bien identifié : statistiquement, il était presque impossible de réussir le concours de fin de première année si l'on n'avait pas un baccalauréat série S avec mention très bien.

Or la médecine de demain, et déjà celle d'aujourd'hui, exige des compétences de plus en plus diversifiées. Nous avons donc réfléchi à la meilleure façon de mettre fin à ce silo très identifié entre baccalauréat série S avec mention très bien et études de santé. Il s'agit de permettre à ceux qui avaient exprimé d'autres envies au lycée ou qui avaient eu besoin d'un peu plus de temps pour se projeter de découvrir les parcours santé.

Le nouveau système prévoit ainsi deux voies d'accès : la première, dénommée « parcours d'accès spécifique santé », contient, en sus des formations classiques de l'ancienne année de Paces, au moins une mineure dans un autre domaine disciplinaire ; pour la seconde, il faut passer par des licences de différentes disciplines - droit, économie-gestion, psychologie, philosophie, mathématiques, biologie... - comprenant une option « accès santé ». Il ne s'agit absolument pas de baisser l'exigence académique. Il existe aujourd'hui 35 portails d'accès aux études de santé correspondant aux 35 anciennes Paces et plus de 400 licences avec « accès santé » sur l'ensemble du territoire. Certains établissements, comme l'université de Strasbourg, ont décidé de ne plus travailler que sur la base de ces licences.

Ce nouveau dispositif va nous permettre d'attirer des jeunes reconnus pour leur excellence. Ces 400 licences sont ouvertes dans toutes les universités, même sans faculté de médecine ou centre hospitalier universitaire. Les jeunes peuvent ainsi démarrer leurs études de santé n'importe où, ce qui est une autre façon de remédier au déficit de médecins de certains territoires. Aujourd'hui, 108 sites permettent d'accéder aux études de médecine contre 35 l'année dernière. Briser les silos et les rigidités, c'est faire en sorte que ce soient les formations qui s'adaptent aux souhaits, aux compétences et à l'engagement des étudiants et non l'inverse.

Cet exemple particulièrement disruptif illustre notre volonté de permettre à chacun de trouver sa place, de réussir et d'aider à la construction d'une société plus apaisée.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis du budget de l'enseignement scolaire. - Cette réforme est bienvenue. Sortir du système des filières est une bonne chose. Parcoursup ou la loi pour une école de la confiance montrent que vous êtes des acteurs actifs de cette transformation.

Un télescopage avec la réforme des retraites pourrait poser problème, mais je compte sur le sens des responsabilités des enseignants pour assurer la tenue des épreuves du contrôle continu dans quinze jours.

La notion de classe disparaît et certains profiteront beaucoup plus des options que du seul tronc commun. Ce nouveau système va certainement changer la psychologie des enfants.

Nous avons bien compris que chaque lycée va devenir centre d'examen, avec des responsabilités importantes. Certains chefs d'établissements nous disent que les programmes ont été quelque peu oubliés. Vous avez rectifié les choses avant-hier et vous venez de nous rassurer par rapport à l'anglais, aux mathématiques et au français.

Toutefois, quelques questions demeurent à quinze jours des épreuves du contrôle continu. Qui va les corriger ? S'agit-il des seuls enseignants de première ou de tous les enseignants ? Peut-être est-il opportun de ne pas se limiter pour échapper à toute stratégie d'évitement. Il me semble important de faire confiance aux chefs d'établissements, ils sont le pivot de la réussite de cette réforme.

Nous avons entendu beaucoup de choses au sujet de la banque nationale des sujets. Il serait intéressant de passer à au moins cinq sujets pour limiter le risque de bachotage. Par ailleurs, pourquoi rendre publique cette base de données en 2021 ? Il s'agit, selon certains, d'un outil professionnel.

Je m'interroge sur les rapports entre la Direction générale de l'enseignement scolaire et la Direction du numérique pour l'éducation : alors que nous pouvons très vite fusionner des fichiers ou envoyer des informations via nos smartphones, de très nombreuses choses restent manuscrites. Il me semble nécessaire de mener une vraie réflexion sur les outils informatiques du ministère de l'éducation nationale.

Madame la ministre, vous nous avez rassurés vis-à-vis de Parcoursup. Toutefois, sera-t-il possible de rattraper un non-choix de spécialité ou d'option si l'élève se découvre une vocation tardive au cours de l'année scolaire ? De nombreux jeunes, à la fin de l'année de seconde, et même de première, n'ont pas encore une idée très précise de leur orientation.

Il semblerait que les élèves des lycées hors contrat ne passeront pas les épreuves communes de contrôle continu de première et de terminale. Comment sera constitué leur dossier pour Parcoursup ? Celui-ci sera-t-il partiellement vide, au risque de pénaliser ces élèves lors du classement des dossiers par les algorithmes relatifs aux attendus des filières universitaires ? Quelle solution pourrait être envisagée ? Il s'agit d'environ 60 000 jeunes par an, soit 8 % des effectifs du bac.

Ces questions très concrètes reflètent les inquiétudes des élèves, de leurs parents et des professeurs.

M. Stéphane Piednoir. - Je vous remercie pour vos interventions très denses. Certaines de vos analyses pourraient toutefois donner lieu à une appréciation un peu différente. Je prendrai l'exemple de l'introduction de deux professeurs principaux en terminale : nous avons reçu des témoignages qui dressent un bilan un petit peu plus nuancé que ce que vous avez dit.

La réforme du baccalauréat vise à permettre la construction de parcours avec des combinaisons originales. L'ambition est tout à fait louable, mais il y a certains dommages collatéraux. J'en évoquerai quelques-uns à travers mes questions.

La « charte pour une orientation progressive et accompagnée au service de la liberté de choix et de la réussite des lycéens », signée le 17 janvier 2019, a pour objectif d'éviter de recréer des « tuyaux » ou une hiérarchie dans les voies d'accès à l'enseignement supérieur et d'encourager la diversité des profils d'étudiants. Comment cette charte est-elle concrètement mise en oeuvre sur le terrain ? Quel premier bilan tirez-vous du « dialogue permanent » entre l'enseignement scolaire et le supérieur que vous appelez de vos voeux ?

Le « continuum » souhaité entre l'enseignement scolaire et le supérieur rend le rôle des attendus des formations, visibles sur la plateforme Parcoursup, fondamental. Or on sait que la qualité des attendus (degré de précision et de clarté) est très hétérogène d'une filière à l'autre, d'une formation à l'autre. Le ministère a-t-il entrepris, comme il s'y était engagé, un travail sur ces attendus pour améliorer leur compréhension et leur appropriation par les candidats ?

Les prépas ECE et ECS, qui étaient calées sur les filières économiques et scientifiques du lycée, sont particulièrement touchées par la réforme du baccalauréat. Leur fusion est-elle officiellement actée ? Une telle opération ne risque-t-elle pas d'entraîner ipso facto une diminution du nombre d'étudiants admis dans ces filières, et donc de contraindre certains candidats à fort potentiel de s'inscrire dans des cursus qui les intéressent moins ?

Les prépas BCPST sont également touchées par la réforme puisqu'elles reposent aujourd'hui, à part égales, sur les mathématiques, la physique-chimie et la biologie. Or les élèves de terminale ne pourront plus suivre que deux spécialités. Dès lors, comment est-il prévu de faire évoluer cette filière ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Ce sont les professeurs des établissements qui corrigeront les épreuves de contrôle continu du baccalauréat. Il faut dédramatiser l'existence d'un contrôle continu dans les établissements. J'ai rappelé tout à l'heure que l'épreuve dure, au maximum, deux heures en histoire-géographie, et souvent une heure en langue vivante. Les épreuves s'inscrivent dans le cadre ordinaire de la vie scolaire, il ne s'agit donc pas d'un baccalauréat bis et leur format est moins lourd que les baccalauréats blancs que l'on organisait précédemment. Au début, il y a toujours, évidemment, des inquiétudes, des interrogations, mais l'objectif est que dans le futur, passer ces épreuves devienne quelque chose d'extrêmement banal, tout comme leur correction.

Je n'ai d'ailleurs pas d'inquiétudes pour l'immense majorité des établissements. Là où pourraient survenir des problèmes, c'est dans les établissements marqués par un mouvement de contestation sociale, lié d'ailleurs souvent à d'autres sujets. Refuser de corriger constitue un acte de grève qui n'est pas anodin, car corriger fait partie des obligations de service. Le problème ne se posera pas dans la plupart des cas. De plus, les corps d'inspection seront présents dans les établissements pour aider les chefs d'établissements à organiser les corrections. Certains entretiennent le sentiment d'inquiétude, jouant un peu au pompier pyromane, mais la réalité est que, là où il y aura du calme et de la sérénité, il n'y aura aucun problème. J'ai d'ailleurs confiance dans les professeurs, car tout désordre pénaliserait avant tout les élèves de l'établissement. Je sais que l'immense majorité assurera les corrections et n'ira pas dans ce sens. En tout cas l'institution s'organise pour faire face aux éventuels problèmes. Je rappelle que les épreuves s'étalent sur plusieurs jours, de sorte qu'en cas de problème, des solutions pourront être trouvées jour après jour.

La banque nationale de sujets a été ouverte en décembre. Elle a vocation à fournir des listes de sujets qui ont été élaboré par les inspections et que les professeurs peuvent reprendre par l'intermédiaire de clefs cryptées. Cette banque a-t-elle vocation à devenir transparente ? Je crois qu'avec la multiplication des sujets, le cryptage ne sera plus nécessaire. La banque de sujets fonctionnera alors comme des annales normales. Un élève qui préparerait l'ensemble des sujets se mettrait simplement en situation de réussir. L'évaluation n'est pas faite pour piéger les élèves, mais pour apprécier la progression de l'élève. La perspective de la transparence me parait judicieuse dès lors qu'une quantité suffisante de sujets sera disponible, mais nous en discuterons dans le cadre du comité de suivi. En tout cas, aujourd'hui, l'accès à la banque est crypté ; les professeurs sélectionnent certains sujets et le choix final revient au chef d'établissement.

En ce qui concerne les outils informatiques du ministère, je tiens à saluer la compétence informatique forte du ministère qui a permis de mener à bien la dématérialisation, belle performance technique, même s'il reste encore, évidemment, de nombreux chantiers ouverts, comme la modernisation pédagogique numérique. On note de grands progrès dans les relations avec les collectivités territoriales. Je n'ai pas le temps de développer ces points, mais plusieurs documents stratégiques de notre ministère les explicitent.

Les élèves de première et terminale des établissements privés hors contrat ne passeront pas les épreuves communes de contrôle continu pendant les années de première et de terminale comme les autres, mais ils passent les épreuves de contrôle continu au troisième trimestre de terminale. Leur situation est spécifique car les établissements sont hors contrat, en revanche les établissements privés sous contrat sont soumis au même régime que les établissements publics.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Monsieur Grosperrin, s'agissant des vocations tardives, il sera désormais possible de changer de spécialité, ce qui évitera à un lycéen de se retrouver prisonnier d'une filière dans laquelle il ne s'épanouirait pas et dont il voudrait sortir. Nous avons aussi développé, depuis deux rentrées, des parcours à la carte, sur-mesure dans le supérieur.

Monsieur Piednoir, comment la charte d'orientation est-elle mise en oeuvre ? Nous sommes en train de supprimer, avec le paramétrage de la plateforme Horizons 2021, toutes les références aux séries du baccalauréat ; nous demandons aux formations de faire référence plutôt à des disciplines et à des compétences pour éclairer les élèves dans les choix de spécialité. La plateforme permet d'aider les étudiants dans leurs choix en leur indiquant les secteurs d'activité et les métiers qui peuvent être exercés en fonction des spécialités choisies.

Nous avons aussi réalisé un gros travail avec les classes préparatoires pour qu'elles indiquent les enseignements incontournables qu'il faut avoir suivi en spécialité pour y accéder soit en première, soit en terminale. Il n'y aura plus qu'une seule filière pour les classes préparatoires économiques et commerciales, qui sera accessible que l'on ait étudié plutôt les mathématiques et les sciences ou plutôt les sciences économiques. Les filières ECE et ECS fusionneront : il y aura un tronc commun économique et commercial et des spécialités seront ensuite proposées. Pour les classes préparatoires BCPST, il faudra effectivement avoir suivi, en première ou en terminale, des enseignements de mathématiques, physique-chimie, biologie et sciences de la vie et de la terre ou de biologie-écologie. Mais, comme le rappelait Jean-Michel Blanquer, avec le modèle « 3, 6, 9 », il est possible d'avoir des connaissances dans ces différentes disciplines. Tout cela a été élaboré avec les classes préparatoires qui ont, en effet, été perturbées par la disparition des séries du baccalauréat, sur lesquelles elles s'appuyaient beaucoup.

Sur les attendus, nous insistons, auprès des Conférences des doyens, pour que les attendus généraux soient tous les mêmes au sein des grandes filières disciplinaires, et c'est largement le cas. Le ministère a aussi fait une analyse générale et systématique des attendus locaux pour aller plus loin dans la transparence. Lorsque nous avons noté des éléments surprenants, nous nous sommes adressés aux établissements. Nous avons ainsi contacté une centaine de formations, soit 2 % d'entre elles. Ce travail de suivi et d'accompagnement est permanent car de nouvelles formations apparaissent. Nous animons régulièrement des séminaires pour aider leurs responsables à bien définir les attendus.

Mme Maryvonne Blondin. - Vos propos passent bien à l'oral. Lorsque l'on vous écoute, on ne peut qu'avoir envie de vous faire confiance. Mais la réalité est tout autre ! Notre rapporteur a rappelé la précipitation dans la mise en place des réformes : problèmes techniques, logiciels pas prêts, problèmes de connexion, etc. Cela a nourri l'anxiété des élèves et des familles. De plus, comme les informations du ministère n'arrivaient qu'au compte-gouttes, les professeurs n'étaient pas en mesure de répondre à leurs questions. Pendant les vacances de Noël, plusieurs articles sont parus dans la presse quotidienne régionale qui faisaient état du stress des élèves qui préparaient les épreuves qu'ils devraient passer à la rentrée et qui s'inquiétaient pour la correction.

Pensez-vous vraiment que les élèves de première sont réellement en mesure de choisir leur orientation au mois de février, après cinq mois d'enseignement d'une spécialité ? Ne faut-il pas craindre la reconstitution de « tuyaux » et la perpétuation des inégalités sociales ? Ceux qui ont la connaissance et les clefs du système pourront s'orienter, mais les autres auront plus de mal. Il est important de les aider.

Enfin, je voudrais aussi vous alerter sur la situation des langues régionales, car elles n'entrent plus dans les spécialités. Le 30 novembre dernier, une manifestation a eu lieu devant votre ministère sur ce sujet.

M. Laurent Lafon. - Cet exercice à deux voix est intéressant. Ma première question concerne la réussite étudiante. Vous avez signé, l'an dernier, avec la Conférence des présidents d'université et la Conférence des grandes écoles, la charte pour une orientation progressive qui contenait un article sur les dispositifs de réussite. S'agit-il de créer de nouveaux dispositifs ou de donner plus d'ambition à ceux qui existent, comme les cordées de la réussite ou les parcours d'excellence ? Ces deux derniers seront-ils, d'ailleurs, fusionnés ?

Ma deuxième question porte sur l'ouverture sociale de l'enseignement supérieur. On a beaucoup parlé ces derniers temps de l'accès aux grandes écoles, qui constitue un vrai sujet. La Conférence des grandes écoles a évoqué des pistes pour accroître le nombre d'étudiants boursiers, mais sans s'engager réellement. Ne faudrait-il pas être plus directif à leur égard en fixant des objectifs précis en termes de calendrier et de pourcentage d'étudiants boursiers ? L'ouverture sociale des universités n'est pas non plus généralisée. Certaines d'entre elles, parfois situées pas très loin d'ici, ne se caractérisent pas par un nombre de boursiers particulièrement élevé. Envisagez-vous de leur demander de faire un effort supplémentaire ?

Enfin, pour illustrer la diversité des parcours, vous citez, à juste titre, la réforme des études de santé. Il y a eu, en effet, une diversification des parcours grâce à une politique volontariste, qui a consisté à imposer des pourcentages aux deux filières d'accès principales, puisque 60 % des places sont réservés aux élèves du « Portail Santé » et 40 % aux élèves des licences à mineure santé. Peut-on réussir la diversification dans les autres filières sans imposer, de la même manière, des pourcentages en fonction des parcours ?

Mme Céline Brulin. - Je veux évoquer l'organisation des épreuves de contrôle continu et la responsabilité importante qui pèse sur les enseignants et les établissements pour l'aménagement des épreuves pour les élèves en situation de handicap. Des aménagements précis doivent être réalisés. Or les enseignants n'ont pas toujours la formation ni les moyens leur permettant de les déterminer et de les mettre en place.

Plus globalement, la philosophie de vos réformes ne me semble pas, à ce stade, même s'il est encore un peu tôt pour en faire un bilan exhaustif, de nature à répondre à l'enjeu majeur pour le système éducatif que constitue l'exigence de réduction des inégalités sociales. Vous mettez souvent en avant l'exemple des études de santé. C'est un très bon exemple, car on a besoin, à la fois, de former suffisamment de professionnels de santé et de démocratiser. Or, ce que vous proposez ne répond ni à l'une ni à l'autre de ces exigences. Tout montre, en effet, que les filières anciennes se sont reconstituées peu ou prou, comme par le passé. Pour réussir à diversifier les parcours, il ne suffit pas de multiplier les combinaisons sans accompagnement, il faut aussi que les familles et les élèves puissent s'y retrouver. Cela suppose donc un système d'orientation performant en amont.

Enfin, vous avez évoqué l'importance des groupes-classes, éléments déterminants de l'enseignement par la création de dynamiques de groupe, de soutien, d'accompagnement. Toutefois, la multitude des professeurs qui doivent en assumer ensemble la charge rend ce travail d'équipe et de cohésion très difficile.

M. André Gattolin. - Je tiens à remercier les ministres et à former des voeux pour l'an I du nouveau baccalauréat.

Chaque élève doit étudier deux langues vivantes, évaluées par le biais du contrôle continu. Mais quid du continuum avec l'enseignement supérieur ? Certaines formations de l'enseignement supérieur ne prévoient aucune obligation en la matière, contrairement aux grandes écoles. Quant au niveau de nos étudiants en langue, il peut encore s'améliorer. Certes, les mobilités des enseignants au travers d'Erasmus + ne peuvent être offertes à tous, mais certains enseignements ne pourraient-ils pas être dispensés par des enseignants originaires des pays concernés, afin de transmettre aussi la culture de leur pays ?

M. Max Brisson. - Je remercie Mme Vidal pour les précisions qu'elle a bien voulu m'apporter sur la cohérence du calendrier et sur l'articulation entre lycée et licence. Le baccalauréat doit redevenir un pivot entre le lycée et la licence, un passeport pour l'enseignement supérieur, et non pas un certificat de fin d'études secondaires. C'est probablement au sein des classes préparatoires aux grandes écoles qu'il sera le plus difficile d'articuler le choix des spécialités.

La réforme du baccalauréat bouscule l'organisation du lycée - le groupe-classe, le conseil de classe, la trimestrialisation - et c'est une bonne chose. Ne faudrait-il pas aller plus loin en matière de contrôle continu si celui-ci doit être vécu comme « banal » par l'élève, en faisant pleinement confiance aux professeurs et en bousculant les conservatismes ?

L'un de vos objectifs est la fin du fonctionnement en silos que constituent les anciennes filières : la proportion d'élèves qui se sont affranchis de la reproduction des anciennes séries vous semble-t-elle satisfaisante ? Peut-elle progresser ? Comment ?

D'après le rapport de nos collègues députés Géraldine Bannier et Frédéric Reiss, 69 % des élèves de la classe de première ont choisi la spécialité « mathématiques », une proportion qui passe à 76 % si l'on considère les élèves issus des catégories sociales favorisées. Nous observons donc une certaine permanence de la reproduction sociale. Ne faudrait-il pas aller vers plus de modularité des enseignements comme le suggérait le rapport Mathiot avec la validation des modules comme dans l'enseignement supérieur ?

Le choix des spécialités reste aussi très genré : les élèves ayant choisi la triplette « mathématiques », « numérique et sciences informatiques » et « physique-chimie » sont à 87 % des garçons, quand la spécialité « humanités, littérature et philosophie » attire 25 % des filles et seulement 9 % des garçons.

Ne faudrait-il pas inclure les mathématiques au sein du tronc commun, comme le proposent nos collègues députés, et envisager le maintien de trois spécialités en classe de terminale ?

Une fois n'est pas coutume, je n'évoquerai pas la question des langues régionales, déjà abordée par ma collègue Maryvonne Blondin.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Les lycées ruraux peuvent-ils offrir les mêmes spécialités que les lycées urbains ? C'est un enjeu d'équilibre des territoires.

M. Damien Regnard. - Je voudrais évoquer les difficultés des établissements d'enseignement français à l'étranger. Ceux-ci doivent respecter les programmes de l'éducation nationale, mais parfois aussi les demandes des pays d'implantation, et répondre aux attentes des familles, dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Quels aménagements avez-vous prévus pour ces établissements, notamment sur la présentation des langues nationales au baccalauréat ?

La question de l'interopérabilité des systèmes informatiques de l'éducation nationale et de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) n'est toujours pas résolue. À quelle échéance un identifiant national étudiant sera-t-il disponible pour les élèves de ces établissements ?

Où en est le projet de baccalauréat français international ?

M. Pierre Ouzoulias. - Madame la ministre, pour cette nouvelle année, je formule le voeu de recevoir enfin les données de Parcoursup, que je vous réclame depuis un an et demi. La Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) m'a confirmé que ma demande était fondée en droit, mais qu'elle ne souhaitait pas s'immiscer dans les relations entre un parlementaire et l'Exécutif. Je n'ai donc pas pu obtenir les éléments demandés.

Avec les rares données dont je dispose, je me suis intéressé à la situation des bacheliers technologiques et professionnels : leur accès aux instituts universitaires de technologie (IUT) et aux sections de techniciens supérieurs (STS) est faible, stable en pourcentage - 12 % et 24 %, respectivement -, mais en diminution en valeur absolue : 179 000 bacheliers professionnels ont intégré l'enseignement supérieur en 2018, ils n'étaient plus que 170 000 en 2019. Si cette baisse se confirme, elle menace l'existence même de la filière professionnelle. Je m'interroge : la réforme du lycée professionnel qui a réduit le cursus de quatre à trois ans a-t-elle été bénéfique ? Vous envisagez de passer la durée des études en IUT de deux à trois ans : peut-être conviendrait-il d'envisager plutôt un bac -4 et un bac +2, car la demande de formations d'enseignement supérieur de deux ans est très forte, y compris chez les étudiants.

M. Jean-Pierre Leleux. - La prochaine réforme de l'audiovisuel public sera l'occasion de réfléchir à ses missions, parmi lesquelles figure la mission éducative. Quelles propositions avez-vous à formuler en la matière ?

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Quel est le pourcentage de filles inscrites dans la spécialité Numérique et sciences informatiques ?

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - Je ne partage pas du tout la qualification de la situation donnée par Mme Blondin. Tout changement suscite des remarques et des inquiétudes. Le changement que nous opérons est très important, avec des effets directs et indirects et j'accueille avec beaucoup de respect toutes les questions qu'ils suscitent. Nous l'assumons.

Il n'y a pas eu d'impréparation : les grandes lignes de notre réforme figuraient dans le programme du candidat Emmanuel Macron. Dans sa déclaration de politique générale de juin 2017, le Premier ministre a annoncé que la réforme concernerait le baccalauréat de 2021, ce qui nous a donné quatre ans pour nous préparer. Un travail de consultation avec les organisations syndicales a été engagé dès la fin de l'année 2017 avec Pierre Mathiot et au cours duquel 40 000 lycéens ont été consultés. La réforme s'est appuyée sur des idées qui étaient présentes depuis plusieurs années dans le débat public. Pierre Mathiot a remis son rapport au début de l'année 2018. J'ai mené de nombreuses concertations et ajusté le projet de réforme en fonction des remarques formulées par les organisations entendues - syndicats, parents d'élèves, lycéens -, afin d'aboutir à une réforme équilibrée alliant objectivité et simplicité. La réforme a été définie au premier semestre de l'année 2018, ce qui nous a permis de préparer la rentrée 2019 au cours de 2018 et 2019.

Le Conseil supérieur des programmes (CSP) a mené un travail très dense sur les programmes, qui a suscité de nombreuses satisfactions, par exemple en physique-chimie dont les programmes ont été remusclés.

Nous n'avons pas rencontré de problèmes majeurs sur les emplois du temps. C'est une réussite collective dont je veux saluer tous les acteurs, notamment les professeurs : la société française peut leur en être reconnaissante. Même ceux qui ne sont pas d'accord avec notre réforme en ont compris le sens. Ce n'est pas le changement pour le changement : notre objectif est de rehausser le niveau général des élèves. Cela favorise l'égalité et l'ascension sociale.

Il est exact qu'il y a eu des problèmes de connexion. Nous avons besoin de moderniser notre système numérique et nous y travaillons. Les améliorations prendront du temps.

J'entends dire que les élèves seraient stressés par le contrôle continu. Mais nous avons voulu mieux répartir le travail sur l'année et éviter le bachotage au moment des épreuves du baccalauréat. Les élèves vont désormais travailler en continu. Les épreuves communes de contrôle continu (E3C) comptent pour moins de 2 % de la note finale : l'élève a le droit à l'erreur et ces épreuves lui permettent de se mettre en jambe pour réussir la suite. Au moment des épreuves du baccalauréat fin juin, la presse se faisait également l'écho du stress des lycéens.

Vous avez évoqué l'abandon d'une spécialité au mois de février. L'élève est invité à réfléchir dès le début de l'année. En matière de choix d'orientation et de spécialités, la réforme ne provoque rien d'abrupt : au contraire, on diminue le caractère abrupt de la situation antérieure, qui très souvent faisait appel au hasard. Lorsque tout se passe à la dernière minute par le hasard ou le tirage au sort, ce sont les plus défavorisées qui en font les frais. Nous plaçons l'orientation sur une logique beaucoup plus continue. On me dit qu'un élève de seconde ne saurait dire le métier qu'il veut exercer. Certes ! Et c'est bien normal. Mais il peut se poser des questions, au moins sur les grands domaines d'intérêt, et il est bon de le faire le plus en amont possible dans sa vie - quitte à faire ensuite des choix différents. Avoir trois spécialités en première et deux en terminale permet de se faire une idée de ses intérêts et passions.

Vous m'avez interrogé sur la place des langues régionales, parce qu'elles n'entreraient plus dans les enseignements de spécialité. C'est exactement l'inverse : c'est nous qui avons inventé les enseignements de spécialité ! Et il est possible de tenir des enseignements de spécialité en langues régionales. Il y a là un potentiel considérable de valorisation de ces langues. Reste à faire, sans doute, un travail de stimulation et de créativité pédagogique pour que ces enseignements soient plus attractifs. Je me place en situation de partenariat avec les défenseurs des langues régionales, et je regrette tout ce qui peut créer des dimensions de conflictualité qui n'ont pas lieu d'être. Lors des débats au Sénat sur la loi pour l'école de la confiance, le sujet des langues régionales a progressé, et je regrette fortement que les commentaires du lendemain aient cherché à décrire, là où il y avait des progrès, des régressions. Il est toujours déplorable que des avancées soient décrites comme des reculs. Nous ne menons pas une politique de frein aux langues régionales. Il y a évidemment une politique de canalisation du sujet, qui est aussi une politique de stimulation et de modernisation. Ceux qui travaillent sur cet enjeu savent qu'ils sont écoutés dans mon ministère, en tous cas.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Vous avez raison, monsieur Lafon, la réussite des étudiants doit aussi prendre en compte, avec une aide supplémentaire et un accompagnement particulier, l'ensemble des classes sociales. Nous sommes convaincus de l'efficacité des cordées de la réussite et des parcours d'excellence. Nous souhaitons amplifier ces mesures, comme l'ont proposé les grandes écoles, qui suggèrent d'aller très tôt repérer et accompagner les jeunes au travers de binômes étudiants. Nous envisageons même de faire démarrer ces dispositifs dès le collège. Déjà, des polytechniciens sont déployés sur l'ensemble du territoire. Nous pourrions leur confier ces missions particulières qui consistent à encadrer des jeunes méritants mais qui n'ont pas autour d'eux des modèles qu'ils pourraient avoir envie de suivre.

La Conférence des grandes écoles s'est aussi questionnée : les grandes écoles ont déjà fait énormément de choses pour augmenter la mixité sociale en leur sein, mais certaines peuvent encore améliorer les choses. Vous me demandez si je souhaite être plus directive : non. En effet, il n'y aurait rien de pire pour des jeunes que de se dire qu'ils sont entrés dans ces grandes écoles pas tout à fait parce qu'ils étaient aussi excellents que les autres, mais parce qu'il y avait des quotas. Je suis favorable à la mise en place de quotas après le baccalauréat, mais, au niveau des concours, cela me paraît difficile. J'ai donc demandé aux grandes écoles de se fixer des objectifs ambitieux dans le temps, mais qui respectent la façon dont elles sélectionnent leurs étudiants. Ce sera plus efficace, quoique moins spectaculaire que d'annoncer tel ou tel pourcentage.

Enfin, il est extrêmement difficile de mesurer la totalité de ce que signifient des critères sociaux. Certains jeunes ne sont pas boursiers selon les critères sociaux, mais n'en ont pas moins besoin d'un accompagnement particulier. C'est pourquoi j'ai demandé à la Conférence des grandes écoles de penser aussi à la vie et à l'intégration dans les grandes écoles. On peut parfaitement ne pas être boursier sur critères sociaux et néanmoins être très gêné d'être invité à aller faire une partie de tennis à l'issue des cours, parce qu'on n'a jamais pratiqué ce sport... L'intégration sociale ne se limite pas aux bourses sur critères sociaux. Nous avons instauré des quotas pour l'entrée des boursiers dans le supérieur, nous les travaillons et, année après année, nous les augmentons. En effet, un examen n'est pas un concours. Certaines universités ont encore un faible nombre de boursiers. Nous les accompagnons dans leur démarche, mais à quoi bon vouloir multiplier d'un seul coup par dix le nombre de boursiers ? Mieux vaut que ce soit fait de manière consciente, voulue, pensée par les établissements eux-mêmes.

Dans le décret relatif à la réforme des études de santé, nous avons effectivement fixé un pourcentage d'accès. Lorsque les filières de santé existent sous la forme d'un portail ou d'une licence, nous avons choisi de fixer du 70/30 pour le moment, mais certaines universités dotées de CHU ont décidé de faire uniquement des licences avec une option « accès santé », et de ne plus avoir de portail d'accès aux études de santé. Tous les étudiants qui seront inscrits dans ces licences « accès santé » seront très probablement des étudiants dans un parcours de réussite, qu'ils intègrent ou non les formations de santé en deuxième année. La diversité sociale et la démocratisation en santé peut se faire de plusieurs façons. Par exemple, beaucoup de jeunes ne se déplaçaient pas dans des villes universitaires. Alors qu'il y avait un peu plus de 30 villes universitaires qui offraient un accès aux études de santé, celles-ci sont désormais plus de 100. C'est aussi une façon de démocratiser les choses. La deuxième manière de procéder, c'est de prévoir qu'en cas de redoublement ou d'échec, l'on puisse se réorienter rapidement. Aujourd'hui, dans certaines familles, au bout d'un an d'échec, on arrête les frais. Les changements que nous opérons font que, dans tous les cas, l'étudiant pourra rebondir et revendiquer une réussite.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre. - L'organisation des épreuves du contrôle continu de première (E3C) pour les élèves en situation de handicap est une question importante. C'est un sujet auquel je suis très sensible à titre général, notamment pour les épreuves terminales. Le Conseil scientifique de l'éducation nationale a fait un travail d'instruction de cette question, en réalisant aussi des comparaisons internationales pour identifier les meilleures pratiques. Nous souhaitons instaurer des aménagements pertinents, dans le respect du principe d'égalité, puisque nous avons de plus en plus d'élèves reconnus en situation de handicap. Le processus aura abouti avant les épreuves terminales de 2021. Comme les E3C se déroulent dans l'établissement, on est dans une situation plus favorable, avec des professeurs qui connaissent leurs élèves et, éventuellement, leur handicap. Il y a une évaluation pédagogique, avec l'équipe médicale, des besoins des élèves, qui doit se passer de façon naturelle, en respectant aussi les critères fixés pour les examens terminaux. Des aménagements sont prévus par les textes pour les épreuves de contrôle continu.

Sur la réduction des inégalités sociales, la ministre de l'enseignement supérieur vient de répondre. De façon plus générale, notre objectif, par la combinaison de la réforme du Baccalauréat et de Parcoursup, est le volontarisme en matière sociale. M. Brisson souligne le fait que la triplette classique peut favoriser les milieux aisés. C'est un sujet extrêmement intéressant, et j'invite chacun à avoir une vision sur la durée de ce qui se passe et de ce qui va se passer en la matière. Ce n'est pas se mettre en situation spécifiquement favorable que de prendre la triplette classique. Si l'on prend les établissements considérés comme favorisés, qu'ils soient privés ou publics, ville par ville, et qu'on regarde les choix des élèves, on observera des stratégies très différentes d'un établissement à l'autre. Il y aura les classiques et les modernes, en clair, qui auront même tendance à être très classiques ou très modernes.

On retrouve ce sujet avec les lycées français à l'étranger, qui ne sont pas si mal à l'aise que cela avec la réforme, dont ils voient bien les éléments de modernisation. Les établissements dits « favorisés » ayant pris l'option moderne ont un pourcentage beaucoup plus important d'élèves, en général plutôt de milieux favorisés, qui ont pris des triplettes non classiques, autrement dit des combinaisons originales. Il n'y a donc pas de corrélation entre le fait de prendre une combinaison originale et le fait d'être issu un milieu favorisé ou défavorisé. Et ce n'est pas forcément une stratégie payante que de prendre une combinaison classique. Il faut donc être sans aucun dogmatisme dans les conseils que nous donnons aux élèves. Il y a plus de jeu qu'auparavant. La filière S elle-même, telle que reconstituée, offre plusieurs combinaisons possibles. De toute façon, les programmes ont changé, et on se retrouve dans un paysage qui est très différent de ce qui était la filière S, même pour ceux qui font les choix les plus classiques. Et, pour la grande majorité des élèves, le spectre de combinaisons est très vaste et ne dépend pas de leur milieu social. Je sais bien que le réflexe des familles est de chercher à décrypter, à la recherche d'un code caché. La réponse est qu'il n'y a pas de code : on a cassé les codes, ce qui est bon sur le plan de l'équité sociale, puisqu'aucun choix ne vous met dans l'ornière, ou ne vous favorise. L'explicitation des attendus, visible dès la seconde, est faite pour aller vers plus d'équité sociale et invite tous les acteurs à entrer dans un dialogue avec l'élève sur ce qui va ce qui va guider ses choix. L'objectif, en tous cas, est de réduire les phénomènes constatés auparavant, où les codes sociaux avaient du poids en matière d'orientation.

Sur le groupe classe, vous avez parlé d'un travail d'équipe et de cohésion. De fait, ce que nous sommes en train de faire, c'est conjuguer les vertus du système ancien à celles du nouveau. La cohésion que donne la classe continue à exister dans le nouveau système pour la majorité des heures. En même temps, le système nouveau invite à la logique d'équipes dont vous parlez, mais à une échelle autre que celle de la classe classique, c'est-à-dire à l'échelle de l'établissement. Ainsi, l'enseignement de spécialité se fait désormais dans de nombreux établissements et invite à des coopérations à l'intérieur de ces établissements.

M. Gattolin nous interroge sur les langues, ce qui invite aussi à une réflexion plus large encore sur la politique des langues dès l'école primaire dans notre pays. Le rapport Taylor-Manesse guide un certain nombre de politiques publiques que nous menons en matière de langues, et notamment le fait d'avoir davantage d'assistants étrangers et de coopérations européennes. Nous souhaitons que les futurs professeurs bénéficient plus systématiquement d'Erasmus, avec une quasi-systématicité pour les étudiants des Instituts supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPE) puisque, avec la nouvelle Commission européenne, nous doublons le nombre d'Erasmus.

Le monde des grandes écoles a été lui aussi questionné par la réforme du baccalauréat - dans le bon sens du terme : la Conférence des grandes écoles a produit des réflexions très intéressantes, qui ont un impact sur les classes préparatoires, sur la nécessité de décloisonner certaines approches et valoriser la diversité des profils.

La question du genre est une très bonne question. Le pourcentage d'élèves qui choisissent le nouvel enseignement numérique est encore beaucoup trop masculin. Cela ne reflète que des problèmes antérieurs. L'existence d'un enseignement de spécialité numérique nous permettra, au fil des années bien entendu, d'avoir une politique volontariste pour inciter des jeunes filles à choisir ce type d'enseignement. Cela aura aussi, en aval, un impact sur le nombre de jeunes femmes qui choisissent des carrières du numérique, ce qui est un très grand objectif national. Déjà, avoir 15 % ou 20 % de jeunes filles inscrites est un premier pas.

Sur l'offre d'enseignements de spécialité dans les territoires, notamment ruraux, la réforme met également en lumière des problèmes préexistants. Faute de tout résoudre tout de suite, elle permet de progresser dans la bonne direction. Auparavant, nul ne s'inquiétait de l'offre de formation en lycée rural. Pourtant, tous n'avaient pas à la fois les filières SES, S et L. Le pourcentage de lycées ne fournissant pas les trois mais seulement que deux des filières était de l'ordre de 15 %. Aujourd'hui, le pourcentage d'établissements qui ne fournissent pas les sept spécialités de base est d'environ 10 %. Avec les recteurs, nous avons fait preuve d'un volontarisme très fort. Et la réforme permet justement un meilleur pilotage de ces enjeux. Ainsi, dans l'académie d'Orléans-Tours, la rectrice a eu une politique en faveur des villes moyennes et des petites villes, pour contrer le phénomène de métropolisation. Cet exercice était plus restreint auparavant, puisqu'on ne pouvait jouer que sur les options. Désormais, on peut jouer aussi sur les enseignements de spécialité. En tous cas, l'offre de formation est beaucoup plus forte que précédemment en milieu rural. La taille joue aussi : l'offre est toujours un peu plus forte quand le lycée a une masse critique que quand il a moins d'élèves. Ainsi, un lycée de grande taille en banlieue pourra proposer une offre riche. Pour autant, nous essayons de compenser au maximum la différence entre petits et grands établissements. C'est aussi l'occasion de certaines modernisations, notamment en matière d'audiovisuel et de nouvelles technologies. Le rôle du Centre national d'enseignement à distance (CNED), par exemple, se trouve renforcé dans la nouvelle configuration.

Dans les lycées français à l'étranger, nous travaillons à l'interopérabilité des systèmes d'information. Ce travail est piloté depuis l'AEFE. Dans ce que je vois au Québec ou en Colombie, mais aussi dans d'autres pays, je note surtout un enthousiasme pour les lycées français à l'étranger. Souvent, la réforme du baccalauréat est vue comme un élément de convergence plus grand avec les systèmes dans lesquels ils sont insérés. Et l'on remarque leur modernisation et le renforcement de leur dynamisme et de leur attractivité.

Nous sommes toujours très ouverts sur les sujets d'internationalisation du baccalauréat. La réforme est une forme d'internationalisation du baccalauréat, puisque nous le rendons plus convergent avec d'autres modèles. Nous allons aussi vers la généralisation de l'INE, l'identification nationale des étudiants.

Nous avons fait preuve de volontarisme pour que davantage de bacheliers pro aillent en BTS. Nous travaillons aussi avec France Télévisions, sous le contrôle de la représentation nationale. Il y a, en tous cas, une volonté partagée de plus grande coopération, qui s'est traduite par le développement d'un site rassemblant des ressources audiovisuelles produites par l'audiovisuel public et par l'éducation nationale. Nous avons aussi relancé les cinéclubs dans les établissements, grâce à la coopération avec France Télévisions, qui met à disposition plusieurs dizaines de films libres de droits.

Mme Frédérique Vidal, ministre. - Dans le projet de loi de finances pour 2020, nous avons commencé à programmer le financement des certifications en langue. Ainsi, tous les jeunes inscrits dans l'enseignement supérieur auront une certification en langue, ce qui accroîtra la continuité. Nous devons aussi continuer à mobiliser des enseignants venant d'autres pays, qui enseigneront dans leur langue maternelle. C'est tout l'intérêt des réseaux d'universités européennes.

Les données de Parcoursup sont en open source pour 2018, et elles le seront pour 2019 également. C'est un engagement que j'avais pris car cela permettra d'analyser ces chiffres, et donc d'améliorer le système. Sur la question, nouvelle, des bacheliers professionnels, nous allons chercher à comprendre. Nous avons déjà quelques explications, qui sont essentiellement macroscopiques. Ces élèves ont été moins nombreux à recevoir des propositions par rapport à l'année dernière. Il y a aussi beaucoup d'échecs en BTS, où l'on ne démarre pas le deuxième semestre avec le même nombre d'étudiants qu'au premier. Nous avons donc créé des classes passerelles, qui sont en quelque sorte des classes d'attente permettant de continuer à former ces bacheliers professionnels avant qu'ils n'intègrent, éventuellement, les BTS au deuxième semestre. Nous avons aussi généralisé l'avis de poursuite d'études du conseil de classe. Il y a peut-être eu une forme de démoralisation parce que certains bacheliers avaient reçu un avis négatif à la poursuite d'études... Plusieurs explications sont donc sur la table...

Nous avons besoin que des jeunes sortent sur le marché du travail à bac + 2. Je n'ai aucunement transformé le DUT en deux ans en DUT en trois ans ; j'ai étudié la possibilité pour les élèves d'avoir des diplômes en deux ou trois ans. En effet, plus de 85 % des titulaires d'un DUT poursuivent leurs études. Or, en principe, le DUT a une vocation d'insertion professionnelle - d'ailleurs, les titulaires d'un DUT sont extrêmement demandés par le milieu professionnel. Il ne s'agissait pas non plus de rendre impossible la poursuite des études. En effet, il y a des milieux sociaux dans lesquels envisager deux ans d'études supérieures est déjà difficile. Le DUT peut être une façon d'entrer dans les études supérieures, de s'y trouver bien et, finalement, de viser un diplôme à bac + 5 alors qu'en première intention, on trouvait déjà qu'un bac + 2 était ambitieux. La possibilité de délivrer des diplômes en trois ans nous était demandée depuis longtemps par les IUT. Cela permet de mieux articuler la poursuite d'études dans des filières de master puisque les étudiants auront un grade de licence en trois ans, et non plus de licence pro. C'est une façon de diversifier les débouchés possibles pour les étudiants des IUT.

Beaucoup de choses sont faites avec France Culture dans le supérieur. Nous sommes très souvent sollicités, par exemple pour trouver des experts capables de porter un regard particulier au moment de la conception de scénarios, ou d'émissions particulières. Nous ouvrons la semaine prochaine à Guingamp, avec le ministre de la culture, un Institut national supérieur de l'éducation artistique et culturelle, qui aura vocation à travailler avec le monde de l'audiovisuel public et à former les futurs professeurs, afin que l'éducation artistique et culturelle touche 100 % de nos jeunes, ce qui était aussi une promesse du Président de la République.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente. - Nous vous remercions pour ces réponses détaillées.

Je tiens à souligner que notre commission suit attentivement vos différentes réformes, qu'elles aient fait, ou non, l'objet d'un travail législatif préalable. Nous poursuivons ainsi notre travail de suivi de Parcoursup. Nous sommes attachés à un meilleur équilibre entre la transparence des informations délivrées aux candidats et la souveraineté des commissions d'examen des voeux. Madame la ministre, je vous écrirai une lettre en ce sens, au nom de notre commission, car nous souhaitons plus de précision et d'harmonisation des attendus locaux - dans le respect du secret des délibérations, bien sûr. Le travail d'accompagnement du ministère doit certainement être plus poussé pour permettre aux formations de délivrer aux candidats les informations les plus fines possibles.

Sur la réforme du baccalauréat, j'ai une suggestion. Conseillère régionale, je me rends souvent dans les lycées, où j'ai coutume de poser des questions. Au cours du semestre qui vient, les recteurs pourraient peut-être faciliter aux sénateurs la visite systématique des établissements - sans être non plus trop intrusifs, pour ne pas gêner la bonne marche des choses. Ils auraient ainsi une meilleure appréciation de ce qui s'y passe.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 50.