- Mardi 10 décembre 2019
- Mercredi 11 décembre 2019
- Audition de M. Julien Blanchet, rapporteur général de la Convention citoyenne pour le climat
- Consultations publiques sur le nouveau cahier des charges du plan France très haut débit et sur les projets d'arrêté et de décret relatifs à l'attribution des fréquences 5G - Échange de vues
- Proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
Mardi 10 décembre 2019
- Présidence de M. Patrick Chaize, vice-président -
La réunion est ouverte à 10 h 5.
Projet de loi modifiant la loi du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet - Projet de loi organique du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution - Examen du rapport pour avis
M. Patrick Chaize, président. - Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président Maurey, en déplacement pour la COP 25.
Nous sommes réunis ce matin pour examiner le rapport pour avis de la commission, d'une part, sur le projet de loi modifiant la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution et prorogeant le mandat des membres de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet et, d'autre part, sur le projet de loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
La commission s'est saisie pour avis de ces textes, car ils tirent les conséquences, pour ce qui concerne l'application de l'article 13 de la Constitution relatif aux nominations par le Président de la République, de la transformation de l'architecture de la SNCF telle que résultant de l'ordonnance de juin 2019. Ces derniers présentent donc des enjeux très importants dans le contexte de l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, alors même que cette ordonnance va entrer en vigueur au 1er janvier 2020, sans avoir été ratifiée par le législateur. Ils seront examinés par la commission des lois demain matin et en séance publique mardi prochain à 14 heures 30.
M. Didier Mandelli, rapporteur pour avis. - Il y a près d'un an et demi, nous examinions le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire. Nous avions, à l'époque, fortement critiqué le recours excessif aux ordonnances prévu par ce texte. Même si le Sénat l'avait enrichi et complété, plusieurs sujets d'importance ont été renvoyés à des ordonnances, parmi lesquels figurait, notamment, la transformation du groupe public ferroviaire SNCF composé d'établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) en un groupe public unifié composé de sociétés anonymes.
Le rapporteur du texte, Gérard Cornu, avait alors précisé que l'examen des mesures de ratification des ordonnances devrait s'accompagner d'un débat de fond sur les choix retenus. La gouvernance du futur groupe public unifié constitue en effet un sujet de grande vigilance dans la mesure où le choix de maintenir une structure verticalement intégrée impose, notamment, la mise en place d'importantes garanties d'indépendance vis-à-vis du gestionnaire d'infrastructure, SNCF Réseau.
Néanmoins, l'ordonnance relative à la gouvernance du groupe public unifié, publiée en juin 2019, a été rédigée et publiée sans que le législateur soit associé aux choix retenus. De surcroît, l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), devenue l'Autorité de régulation des transports (ART), avait émis de sérieuses réserves au sujet de cette ordonnance. Selon elle, les dispositions prévues ne permettaient pas de garantir une indépendance suffisante du gestionnaire d'infrastructure.
En outre, si le projet de loi de ratification de cette ordonnance a été déposé en août 2019 sur le bureau de l'Assemblée nationale, aucun calendrier de ratification ne m'a été communiqué, alors que la nouvelle gouvernance du groupe public unifié doit entrer en vigueur au 1er janvier 2020.
Les projets de loi organique et ordinaire que nous examinons aujourd'hui, et dont notre commission s'est saisie pour avis, prévoient de tirer les conséquences de cette ordonnance, alors même que celle-ci fait l'objet de sérieuses inquiétudes et que le Parlement n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur son contenu ni d'en débattre en amont.
Le projet de loi organique porte, pour ce qui concerne la SNCF, sur l'actualisation des fonctions pour lesquelles, en raison de leur importance pour la vie économique et sociale de la Nation, la nomination par le Président de la République ne peut avoir lieu qu'après l'avis des commissions permanentes compétentes, en application de l'article 13 de la Constitution.
En 2010, le législateur organique avait décidé de soumettre à cette procédure les fonctions de président du conseil d'administration de la SNCF et de président du conseil d'administration de Réseau ferré de France. En 2014, lors de l'examen du projet de loi de réforme ferroviaire, les députés avaient déposé une proposition de loi organique relative à la nomination des dirigeants de la SNCF qui confortait le contrôle parlementaire sur ces nominations.
D'après l'exposé des motifs de cette proposition de loi, « il est impératif que les processus de nomination des dirigeants du futur groupe public ferroviaire continuent de se dérouler sous le regard des parlementaires. Nul ne comprendrait ni n'admettrait que la réforme soit l'occasion de soustraire ces personnalités à un contrôle qui constitue une avancée unanimement reconnue de la démocratie ».
Il me semble que ce constat est toujours d'actualité, et plus encore dans la perspective d'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire national de voyageurs.
Ainsi, depuis 2014, trois auditions sont prévues pour la SNCF, à savoir celle du président du conseil de surveillance ; celle du président du directoire, qui est également le président du conseil d'administration de SNCF Mobilités ; et, enfin, celle du président délégué du directoire, qui est également le président du conseil d'administration de SNCF Réseau.
Pourtant, le projet de loi organique que nous examinons aujourd'hui prévoit de substituer à ces trois auditions une unique audition, celle du directeur général de la société nationale SNCF, c'est-à-dire la « maison mère ».
Or, si la loi pour un nouveau pacte ferroviaire et les dispositions prévues par ordonnance emportent, de fait, des évolutions en matière de gouvernance du groupe, une telle modification traduit un affaiblissement injustifié du contrôle parlementaire.
D'une part, la nomination du dirigeant du gestionnaire d'infrastructure par le Président de la République sur avis des commissions compétentes existe depuis 2010 et a été réaffirmée en 2014. Aussi, dans la mesure où le choix a été fait de maintenir une structure verticale intégrée, il est fondamental d'encadrer la nomination des dirigeants de SNCF Réseau, de surcroît dans la perspective de l'ouverture à la concurrence. Le gestionnaire d'infrastructure joue en effet un rôle central en matière d'accès à l'infrastructure ferroviaire, mais aussi de choix d'investissements. Ses décisions emportent, en outre, d'importantes conséquences en termes d'aménagement du territoire. Il me semble donc nécessaire de maintenir le droit de regard du Parlement sur les nominations du dirigeant de la société SNCF Réseau.
D'autre part, il semble que les conseils d'administration de la société mère, mais aussi de la société SNCF Réseau pourront choisir de confier la direction générale soit au président du conseil d'administration, soit à une autre personne physique. Aussi, dans les cas où les fonctions de directeur général et de président du conseil d'administration seraient dissociées, les textes ne prévoient pas de soumettre le président du conseil d'administration à la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution.
Or le président du conseil d'administration sera vraisemblablement amené à jouer un rôle important dans la gouvernance de la société anonyme. Il serait chargé d'organiser et de diriger les travaux de celui-ci ; il rendrait compte des travaux du conseil d'administration à l'assemblée générale et il aurait, enfin, voix prépondérante en cas de partage des voix - c'est dire son importance. À ce titre, il me semble nécessaire de soumettre les présidents du conseil d'administration de la société nationale SNCF, mais aussi de SNCF Réseau à ladite procédure.
C'est pourquoi je vous propose un amendement au projet de loi organique visant à ajouter les fonctions de directeur général de SNCF Réseau, d'une part, et de président du conseil d'administration de la société nationale SNCF et de SNCF Réseau, d'autre part, à la liste des fonctions soumises à la procédure prévue par l'article 13 de la Constitution. Dans le cas où la direction générale et la présidence du conseil d'administration de chacune de ces sociétés anonymes seraient assurées par la même personne, seules deux auditions seraient organisées.
Deux autres amendements sont de nature à apporter des coordinations au niveau de la loi ordinaire : le premier précise que ces auditions seront effectuées par la commission compétente en matière de transport, tandis que le second procède à des coordinations dans l'ordonnance de juin 2019 sur la gouvernance du groupe public unifié.
Le contrôle parlementaire sur la nomination des dirigeants de la SNCF est d'autant plus nécessaire que l'indépendance de SNCF Réseau fait l'objet de vives inquiétudes, exprimées tant par l'Arafer que par les nouveaux entrants.
Le rapporteur Gérard Cornu avait souligné, en juin 2018, que, dans une structure verticalement intégrée, « l'indépendance du gestionnaire de réseau est sujette à caution ». L'Arafer avait émis plusieurs réserves quant à l'indépendance du gestionnaire d'infrastructure à l'occasion de la table ronde organisée par notre commission en juillet dernier. Les nouveaux entrants, que j'ai eu l'occasion d'auditionner, partagent également ces craintes.
L'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire suppose d'envoyer un signal fort aux nouveaux entrants, et non de les dissuader d'entrer sur le marché. Les choix en matière de gouvernance et les modalités de nomination des dirigeants de SNCF contribuent, au moins en partie, à refléter le degré d'indépendance du gestionnaire d'infrastructure vis-à-vis de la maison mère et de la filiale Voyageurs du groupe. C'est pourquoi je vous propose un amendement prévoyant un avis conforme de l'ART sur la nomination, le renouvellement ou la révocation du président du conseil d'administration de la société SNCF Réseau. L'ordonnance ne prévoit cette procédure que pour le directeur général ou, le cas échéant, le président-directeur général.
Ces amendements, si nous les adoptons, seront présentés demain matin devant la commission des lois. Ils permettent un renforcement du contrôle parlementaire et du contrôle opéré par le régulateur sur les nominations des dirigeants du groupe public unifié, ce qui me paraît indispensable pour réussir l'ouverture à la concurrence.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Je souligne, à titre personnel, l'importance de ces amendements. En effet, SNCF Réseau est un bien public ; il est donc tout à fait normal que le Parlement donne son avis sur la nomination du dirigeant de cette société. Un avis conforme de l'ART me semble aussi une mesure cohérente.
M. Jérôme Bignon. - Je remercie Didier Mandelli de ses explications claires sur un sujet très technique. Il ne faut pas que le Parlement soit écarté des décisions essentielles, des décisions quasiment stratégiques pour l'avenir de l'organisation des transports en France et probablement en Europe. Aussi, je souscris aux amendements proposés.
M. Didier Mandelli, rapporteur pour avis. - Insistons sur le double contrôle, celui du Parlement et celui de l'autorité indépendante.
EXAMEN DES ARTICLES
PROJET DE LOI ORGANIQUE
M. Didier Mandelli, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.1 vise à inscrire les fonctions de président du conseil d'administration de la société nationale SNCF et de président du conseil d'administration et de directeur général de la société SNCF Réseau parmi les fonctions soumises à la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
L'amendement DEVDUR.1 est adopté.
PROJET DE LOI ORDINAIRE
M. Didier Mandelli, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.1 est un amendement de coordination : la commission compétente pour les auditions relatives à la nomination des dirigeants de la SNCF est celle qui est compétente en matière de transports.
L'amendement DEVDUR.1 est adopté.
Article additionnel après l'article 2
M. Didier Mandelli, rapporteur pour avis. - L'amendement DEVDUR.2 procède à des coordinations dans l'ordonnance relative à la gouvernance du groupe public unifié et prévoit que les présidents des conseils d'administration ainsi que les directeurs généraux de la société nationale SNCF et de la société SNCF Réseau sont nommés par décret du Président de la République. Par ailleurs, il introduit un avis conforme de l'ART sur la nomination, le renouvellement et la révocation du président du conseil d'administration de la société SNCF Réseau, afin de renforcer l'indépendance du gestionnaire d'infrastructure.
L'amendement DEVDUR.2 est adopté.
La réunion est close à 10 h 20.
Mercredi 11 décembre 2019
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Audition de M. Julien Blanchet, rapporteur général de la Convention citoyenne pour le climat
M. Hervé Maurey, président. - Nous recevons ce matin M. Julien Blanchet, rapporteur général de la Convention citoyenne pour le climat. Ancien président de la FAGE, la Fédération des associations générales étudiantes, il est également vice-président du Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Présentée par le Président de la République comme un exercice démocratique inédit destiné à apporter des réponses à la crise des « gilets jaunes », la Convention citoyenne a pour vocation de donner la parole aux citoyens afin de trouver des solutions pour accélérer la lutte contre le changement climatique, notamment pour atteindre l'objectif de l'accord de Paris de réduire d'au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2030 par rapport à leur niveau de 1990. Pour ce faire, 150 citoyens ont été tirés au sort.
D'emblée, une première question se pose sur le caractère véritablement inédit de cette Convention. La Commission nationale du débat public (CNDP), autorité administrative indépendante existant depuis 25 ans et acteur incontournable de l'association du public à la prise de décisions, pratique déjà le tirage au sort pour certains débats publics sensibles. Qu'est-ce qui différencie la Convention citoyenne de la CNDP ?
Certains observateurs et parlementaires se posent également la question de l'intérêt de cette démarche, votre collègue du CESE, Allain Bougrain-Dubourg, allant même jusqu'à qualifier la convention citoyenne de « démagogie démocratique surréaliste ». Selon lui, nous savons déjà comment répondre aux questions posées, car « cela fait des décennies que les experts du GIEC nous éclairent sur la situation, nous dirigent ou dirigent les décideurs vers les décisions à prendre ».
D'autres se demandent si l'objectif de cette convention n'est pas de remettre sur la table la question de la taxe carbone.
Dans ces conditions, comment comptez-vous faire pour dégager le « consensus politique » nécessaire à la mise en oeuvre de solutions et vous assurer que l'expertise dont vous vous entourez ne soit pas contestée ? Nous aimerions également connaître le calendrier de vos travaux et les engagements du Gouvernement sur les suites qui y seront apportées.
M. Julien Blanchet, rapporteur général de la Convention citoyenne pour le climat. - Dans son discours du 25 avril 2019, le Président de la République a jugé nécessaire, sans attendre la réforme constitutionnelle, de mettre en place une Convention citoyenne pour le climat organisée par le CESE, qui ne serait pas une expérience, mais une première itération du Conseil de la participation citoyenne qu'il appelle de ses voeux. Il s'est engagé à transmettre sans filtre au Parlement les propositions issues de cette convention ou à convoquer un référendum et, dans tous les cas, à en tirer toutes les implications réglementaires.
Le 2 juillet dernier, un comité de gouvernance indépendant et pluriel a été constitué. Co-présidé par Laurence Tubiana et Thierry Pech, il se compose d'experts des questions climatiques, économiques, sociales et démocratiques, et comprend notamment des représentants du collectif des « gilets citoyens ». Trois garants des règles d'indépendance et de la déontologie du processus ont également été nommés par le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale et le président du Conseil économique, social et environnemental.
Cette convention citoyenne entend répondre à la double crise démocratique et climatique que nous traversons. Certains sondages montrent que la préoccupation climatique dépasse aujourd'hui celle du pouvoir d'achat, notamment chez les jeunes.
La lettre de mission du Président de la République nous donne mandat pour proposer des mesures structurantes et conformes à la justice sociale visant à diminuer les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % à l'horizon 2030 par rapport à leur niveau de 1990.
Le rapport de la convention sera adressé au Gouvernement et au Président de la République et publié. Il identifiera les propositions de mesures relevant de la loi ou du règlement et celles qui pourraient être soumises au référendum. Le Gouvernement répondra publiquement et publiera un calendrier prévisionnel de mise en oeuvre de ces propositions. Enfin, les citoyens pourront se réunir une ultime fois pour répondre à la réponse apportée par le Gouvernement.
Le tirage au sort n'est pas un procédé nouveau, il est déjà utilisé pour désigner les jurés d'assises. Nous avons aussi des exemples d'assemblées citoyennes couronnées de succès à l'étranger, notamment en Irlande ou au Texas. D'autre part, des collectifs citoyens se sont structurés et nous avons besoin de renouveler notre vision du principe d'égalité politique, qui ne peut plus se résumer au vote et à l'éligibilité.
Pour répondre à votre question sur la CNDP, il ne s'agit pas simplement d'une consultation, mais bien d'une délibération entre personnes plurielles, dont la qualité de citoyen fait la légitimité.
L'échantillon tiré au sort est extrêmement pluriel, conforme aux critères stricts que nous avions retenus. Il faut relever aussi l'engouement des personnes contactées, 35 % d'entre elles ayant spontanément répondu positivement à l'invitation.
Six groupes ont été constitués au sein de la convention - se loger, se nourrir, travailler-produire, consommer, se déplacer, ainsi qu'un groupe transversal, « l'escouade », qui traite des questions de financement et de la réforme de l'article 1er de la Constitution -, et trois sessions se sont déjà déroulées. La prochaine aura lieu les 10,11 et 12 janvier 2020, en présence du Président de la République, avec comme objectif d'affiner la réflexion pour déboucher sur des mesures très concrètes.
L'échantillon correspond parfaitement à la « petite France » décrite par le Premier ministre. Les citoyens tirés au sort sont très impliqués, ils sortent des murs, organisent des réunions publiques et travaillent beaucoup entre les sessions. Leur appétence à participer à cet exercice démocratique impressionne, alors que certains déclarent ne pas voter. On rejoint là le « cens caché » de nos modes de démocratie, mis en exergue par Daniel Gaxie.
Cet exercice montre selon moi toute l'importance d'articuler différentes formes de démocratie, représentative, sociale et participative. Comme le soulignait Hannah Arendt dans Condition de l'homme moderne, les pouvoirs ne s'annulent pas, ils se complètent et s'augmentent mutuellement.
M. Hervé Maurey, président. - Pour résumer, vous pensez que cette convention trouvera des solutions réellement nouvelles et que le Gouvernement les mettra en oeuvre.
M. Julien Blanchet. - Je veux croire en la parole du Président de la République. Ce geste de confiance à l'égard des citoyens renforcera la défiance si jamais les propositions faisaient l'objet d'un classement vertical.
Quant aux solutions nouvelles, ça fait peut-être trente ans que nous connaissons les décisions à prendre, comme le dit Allain Bougrain-Dubourg, mais aussi trente ans qu'elles ne sont pas prises. Nos gouvernants et nos parlementaires sont-ils si mauvais ? Nous avons surtout besoin de trouver les voies d'un consensus démocratique, et la Convention citoyenne tirée au sort peut constituer un levier.
M. Guillaume Chevrollier. - Pour sauver la planète et faire face au réchauffement climatique, nous avons besoin de toutes les bonnes volontés. Toutefois, la Convention citoyenne pour le climat est-elle réellement complémentaire ou plutôt concurrente des institutions démocratiquement élues que sont l'Assemblée nationale, le Sénat et les différents échelons de démocratie locale, qui sont aussi assez largement méconnus de nos citoyens ?
Vous l'avez rappelé, les mouvements sociaux, qui ont émergé en particulier dans des territoires ruraux qui se sentent insuffisamment écoutés par l'exécutif, constituent le fait générateur de cette convention. De fait, la représentation des territoires ruraux, des départements de métropole et d'outre-mer est-elle satisfaisante au sein de la convention ?
M. Julien Blanchet. - Nous avons trop longtemps estimé que les différentes institutions étaient nécessairement en concurrence. Les membres de la convention se voient plutôt jouer un rôle complémentaire de celui des institutions légitimement élues. Le Président de la République s'est engagé à transmettre sans filtre les propositions de la Convention, mais le Parlement pourra ensuite faire son travail et amender le texte.
Au demeurant, dans les petites communes rurales, les maires connaissent tous leurs administrés et pratiquent déjà la démocratie participative sans le savoir.
S'agissant de la représentation des territoires au sein de la Convention, 62 % des 150 membres résident dans des communes appartenant à un grand pôle, 23 % dans des communes multipolarisées ou appartenant à la couronne d'un grand pôle et 15 % dans des communes isolées ou appartenant à un petit ou moyen pôle. Il est intéressant de noter également que 13 % d'entre eux vivent dans un quartier prioritaire de la politique de la ville et que 26 % sont non diplômés. L'échantillon ne comprend donc pas seulement des catégories de population qui ont l'habitude de porter leurs propositions. La Convention comprend aussi six membres issus des territoires ultramarins et six jeunes de 16 à 17 ans.
Mme Nelly Tocqueville. - Au regard du sort des précédentes conférences de citoyens, sur les OGM en 1998, sur le climat en 2002, sur la bioéthique en 2009 et 2018, sur la fin de vie en 2013 ou sur les déchets nucléaires en 2014, on peut légitimement s'interroger sur les suites qui seront réservées à cette convention citoyenne. Vous avez certes rappelé les engagements du Président de la République, mais quid si les solutions préconisées par les membres de la commission sont très éloignées de la politique gouvernementale ?
M. Julien Blanchet. - En juillet, lors du Conseil de défense écologique, le Président de la République a réaffirmé que la Convention ne serait pas un « ballet dansant ». Il s'exprimera devant ses membres en janvier. Bien sûr, je ne lui ai pas demandé de signer un papier, mais comment pourrait-il renier sa parole ? Imaginez que des parlementaires de l'opposition déposent une proposition de loi reprenant les mesures préconisées par la Convention, l'exercice deviendrait politiquement très difficile pour la majorité. Je crois à la sincérité de l'exercice.
Quant au risque de propositions orthogonales à la politique du Gouvernement, il existe, bien sûr, mais c'est aussi l'intérêt d'un tel exercice, l'idée étant finalement que les travaux de la Convention traduisent ce que la société française est prête à accepter, dans sa diversité.
Les citoyens membres de la Convention ont d'emblée identifié les limites de notre système économique actuel pour répondre à l'enjeu climatique. Ils réfléchissent par exemple à réformer l'article 1er de la Constitution pour y intégrer la protection de l'environnement et de la biodiversité.
En effet, pour l'instant, les expériences de démocratie participative ont été conduites à bas bruit, dans une logique de consultation ou pour entériner des décisions déjà prises. Là, avec environ 200 reprises par la presse à chaque session, il sera difficile de passer nos travaux sous silence.
M. Hervé Maurey, président. - Les propositions de la Convention feront donc l'objet d'un projet de loi référendaire ou d'un projet de loi classique transmis par le Gouvernement au Parlement.
M. Julien Blanchet. - Le Gouvernement s'est en effet engagé à vous transmettre sans aucun filtre les propositions de la Convention. Il reviendra ensuite au Parlement de faire son travail.
Mme Évelyne Perrot. - Ne pensez-vous pas que ces citoyens tirés au sort seront déçus, in fine ? Quand vous êtes élus pour la première fois dans un conseil municipal, vous avez des idées plein la tête, puis vous vous apercevez qu'il n'est pas si facile de faire bouger les choses, qu'il faut du temps pour appréhender les processus démocratiques. Je ne perçois pas très bien comment la Convention va travailler.
M. Julien Blanchet. - Les citoyens sont répartis par groupes, ils ont auditionné de très nombreux experts, ainsi qu'Élisabeth Borne et Nicolas Hulot. À l'occasion d'un speed dating, ils ont pu également entendre une quarantaine de personnes qui venaient leur faire des propositions.
Un groupe d'appui, composé de différents experts, notamment des scientifiques, leur fera aussi un retour sur leurs pistes de propositions, pour évaluer leurs effets en termes d'émissions et leurs conséquences économiques et sociales. Enfin, un comité légistique composé de juristes les aidera à traduire leurs propositions en termes législatifs et réglementaires.
Comme le souligne le professeur Yves Sintomer, le but est qu'ils puissent délibérer de façon éclairée, pas qu'ils deviennent des experts.
M. Éric Gold. - Les préconisations de la Convention devront sans doute être déclinées au plus près du terrain. Quelle place les collectivités locales devront-elles occuper dans les changements à mener, notamment en milieu rural, là où l'isolement et le manque de transports collectifs renforcent le sentiment d'abandon ?
M. Julien Blanchet. - Les citoyens perçoivent parfaitement l'importance des collectivités locales dans le processus et la nécessité de leur donner des moyens suffisants. Dans le groupe « se nourrir », par exemple, il a beaucoup été question d'économie circulaire, et donc de revitalisation des centres-villes.
Beaucoup de membres de la Convention ont déjà rencontré le maire de leur commune, le député de leur circonscription ou le sénateur de leur département. Ils souhaitent aussi auditionner des représentants de collectivités locales.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Je vois dans cette Convention inédite le laboratoire d'une nouvelle forme de démocratie, la démocratie implicative. Hannah Arendt, qui a également écrit Les origines du totalitarisme, a beaucoup travaillé sur le pouvoir comme outil de coopération, et non de domination.
Dans cette Convention, chacun arrive nécessairement avec son « prêt-à-penser ». Croyez-vous que cette nouvelle démocratie éclairée - je me méfie un peu du terme - soit de nature à rapprocher les positions et à créer les conditions d'un consensus décisionnel ?
M. Julien Blanchet. - Les 150 membres de la Convention ne sont pas des rats de laboratoire, et c'est d'ailleurs pourquoi le comité de gouvernance a souhaité poser des limites aux 25 experts français et internationaux qui observent l'expérience.
Certes, tout le monde arrive avec sa bonne idée, mais nous avons beaucoup insisté sur la nécessité d'écouter les experts et de discuter. Ce qui vous paraît évident ne l'est peut-être pas pour votre voisin, qui a sans doute des arguments à faire valoir. Le processus décisionnel est donc nécessairement long, mais l'intérêt est de déboucher sur un compromis, pas sur une mesure adoptée à 51 %. In fine, les citoyens devront voter à la fois sur chacune des mesures et sur l'ensemble de celles-ci.
M. Frédéric Marchand. - Il me semble que le modèle de convention citoyenne a déjà fait ses preuves dans l'histoire, à commencer par la Grèce antique. Plus récemment, il a aidé à réviser des lois électorales dans des pays comme le Canada et les Pays-Bas. Les 150 membres de la Convention citoyenne ont des profils très diversifiés. Après trois sessions, les sentez-vous parfois saisis par des sentiments ou des émotions fortes en lien avec certains événements d'actualité ? Les sentez-vous en capacité de proposer un projet de nature législative ?
M. Julien Blanchet. - L'expérience est surtout inédite en raison de l'ampleur du sujet. Grâce à ce genre d'assemblées, l'Islande a réformé sa constitution, l'Irlande a fait aboutir le mariage homosexuel et l'IVG, le Texas est devenu l'un des premiers producteurs d'énergies renouvelables... Et de nombreux pays envisagent aujourd'hui de mettre en place des conventions citoyennes, notamment le Chili ou l'Écosse.
Évidemment, l'exercice est émotionnellement assez éprouvant, mais le fait de s'insérer dans un collectif permet de prendre de la hauteur et de dépasser les sentiments individuels. Les membres de la Convention ne représentent pas un territoire ou une catégorie professionnelle. Ils tirent leur légitimité de leur qualité de citoyens et de la pluralité de l'échantillon.
Mme Martine Filleul. - L'échantillon de citoyens ne présente-t-il pas certains biais ? De fait, il s'agit de personnes qui acceptent de consacrer de nombreux week-ends à ce travail, qui ne sont pas a priori climato-sceptiques et qui ne se trouvent pas aux marges de la société...
M. Julien Blanchet. - Cette Convention ne résoudra pas à elle seule le problème démocratique, mais elle peut y contribuer si elle est menée avec sincérité. On a appelé les gens pour leur proposer de participer à la construction d'une politique publique. Ce n'est pas rien. En Irlande, la convention s'est tenue dans un hôtel ; le Président de la République a fait le choix de l'inscrire dans la troisième assemblée de la République.
Sur le fait que l'échantillon puisse être biaisé, je vous invite tout d'abord à voter pour la création du Conseil de la participation citoyenne, dont les membres auront des obligations similaires à celles qui s'appliquent aux jurés d'assises.
Pour nous assurer de la diversité de la Convention, nous avons prévu une indemnisation à la journée et à l'heure de travail manquée, pour avoir également des personnes qui travaillent le samedi.
Un citoyen membre de la Convention pensait au départ que nous étions dans un cycle de réchauffement indépendant de l'activité humaine. Après l'intervention de Valérie Masson-Delmotte, il a reconnu qu'il existait un consensus scientifique sur la question.
Plusieurs membres ne votent plus depuis des années, et deux femmes ont été choisies par les Petits frères des pauvres. Elles ont connu des périodes de vie à la rue, et c'est la seule entorse que nous avons faite au tirage au sort.
M. Hervé Maurey, président. - Sur l'évolution du CESE en Conseil de la participation citoyenne, nous attendons toujours le dépôt du projet de loi constitutionnelle !
M. Olivier Jacquin. - L'idée d'une articulation des démocraties participative et représentative me séduit. Au demeurant, les expériences de démocratie participative sont très nombreuses en France, même si l'expérience de la Convention est inédite à cette échelle. J'ai siégé huit ans à la CNDP et j'ai vu comment le débat englué sur le site de Bure avait pu s'élever grâce à une convention citoyenne.
En revanche, il me semble que votre confiance presque sacrée dans la parole du Président de la République relève d'une certaine candeur. S'il a la même considération pour la Convention que pour le Parlement et la démocratie représentative, permettez-moi d'être un peu inquiet...
La représentativité de la Convention citoyenne est statistiquement meilleure que celle du Parlement, sociologiquement parlant. Je pense toutefois qu'elle a été construite volontairement en concurrence avec les institutions actuelles, notamment la CNDP. Si les travaux de la Convention sont ensuite soumis au Parlement ou au référendum, je crains au final que les différentes formes de démocratie ne soient opposées, surtout dans le cas où les prescriptions des citoyens ne seraient pas suivies à la lettre.
Enfin, quelle profession pensez-vous exercer dans dix ans ? Vous voyez-vous jouer un rôle politique ?
M. Julien Blanchet. - Si l'on dit d'emblée que les parlementaires n'auront d'autre choix que d'avaliser les propositions de 150 citoyens, l'exercice ne peut que mal se terminer. Les parlementaires argumenteront, comme ils ont l'habitude de le faire, et leurs travaux seront suivis très attentivement par 150 citoyens plus particulièrement concernés.
Je ne crois pas être candide, juste profondément respectueux des institutions.
Vous parliez de concurrence volontaire avec la CNDP, mais l'exercice de la Convention est un peu différent, car les citoyens doivent aller jusqu'à proposer des mesures.
Les critiques sur les institutions démocratiques et les gens qui les composent sont récurrentes, y compris à l'encontre du CESE. La Convention peut être une réponse, parmi d'autres. En revanche, si on met ces différentes institutions en concurrence, le risque est très clair.
Selon Hannah Arendt, « le pouvoir, loin d'être un jeu à somme nulle, peut toujours s'accroître, car il ne connaît pas les limites physiques de la force individuelle confrontée à d'autres forces humaines ou à l'inertie de la matière. » L'existence d'autrui, plus qu'une limitation au pouvoir, en est sa condition même, le pouvoir ne pouvant surgir que d'une pluralité. La concurrence entre les institutions dégradera donc inévitablement le pouvoir de chacune d'elles.
Les parlementaires se plaignent parfois d'un manque d'indépendance par rapport à l'exécutif. À cet égard, il me semble que la Convention peut être un levier pour renforcer et revitaliser le Parlement.
Beaucoup de gens ne se retrouvent pas dans le système démocratique actuel, et je crains qu'à un moment, on ne passe d'un désir de démocratie participative à d'autres logiques plus brutales pour imposer les solutions d'une « avant-garde éclairée ». Ce n'est pas ce que je souhaite et, dans dix ans, je me vois toujours mener ce combat pour inclure toujours plus de personnes dans la décision publique.
M. Guillaume Gontard. - La démarche de la Convention citoyenne est originale et intéressante, notamment en raison du tirage au sort de ses membres, à condition qu'il ne s'agisse pas seulement d'un affichage.
Or, j'ai plutôt l'impression d'un recul sur les questions démocratiques dans notre pays depuis quelques années. La pétition pour la tenue d'un référendum sur la privatisation d'ADP a été signée par près de 1 million de personnes, mais la volonté démocratique et les moyens ne suivent pas. On assiste à un recul de la démocratie environnementale, avec une simplification des autorisations d'année en année. Quant à l'expérimentation grenobloise de participation des habitants de plus de 16 ans, elle a été annulée par le préfet.
J'ai le sentiment qu'il y a deux poids, deux mesures, et que la Convention masque un recul de la participation des citoyens au plan local.
M. Julien Blanchet. - Je partage votre plaidoyer en faveur d'une démocratie plus inclusive dans les territoires. Les membres de la Convention ont exprimé les mêmes craintes que vous sur l'affichage, lors de la première session. Mais si l'on part avec cet état d'esprit, les chances d'aboutir sont nulles. Ils ont donc décidé d'aller au bout de l'exercice.
Ils n'en restent pas moins vigilants et n'ont pas envie d'être récupérés. Le Président de la République ne prononcera pas un discours à la chaire en janvier, il sera réellement auditionné.
Le comité de gouvernance a choisi de rendre publics et de diffuser en direct la plupart des débats. Si la Convention est juste un objet de communication, tout le monde y perdra, y compris ceux qui ont décidé de sa création.
Enfin, je ne peux pas vous répondre sur le référendum concernant la privatisation, mais le président d'ADP a été auditionné par les 150 citoyens.
Mme Marta de Cidrac. - On sent votre enthousiasme pour la Convention citoyenne pour le climat, mais on a l'impression, à vous entendre, qu'il s'agit d'un objet totalement inédit, innovant. Or il me semble que de telles initiatives existent déjà ! Dans quel territoire vivez-vous ? Cette Convention est issue du Grand débat, mais les maires ont toujours eu l'habitude d'organiser des réunions publiques, de consulter. Il y a aussi des débats à l'échelle des départements ou des régions. Le débat est une réalité dans les territoires et les citoyens y participent. C'est pourquoi je suis un petit peu inquiète à l'égard de cette Convention. Ne craignez-vous pas d'être instrumentalisés à des fins de communication politique, voire de servir d'alibi dans le cadre d'une opposition entre démocratie représentative et participative ? Peu importe la forme de la démocratie, l'essentiel n'est-il pas que l'on vive en démocratie et que chacun puisse s'exprimer ? Chacun peut déjà saisir son parlementaire, son maire, ses élus. Vous estimez-vous donc bridé en tant que citoyen ? Considérez-vous que si cette Convention n'existait pas vous ne pourriez plus faire passer vos messages ? Je serais terriblement inquiète si tel était le cas...
M. Julien Blanchet. - J'habite à Paris depuis plusieurs années, mais suis originaire de Montmorillon, dont le sénateur est votre collègue M. Alain Fouché. Je n'ai pas eu beaucoup d'expérience de démocratie participative là-bas, mais peut-être est-ce parce que je suis parti assez vite faire mes études à Poitiers. Il est vrai que les maires organisent beaucoup de débats dans leurs communes. La démocratie participative se développe depuis les années 90, avec des réalisations remarquables, comme en Aquitaine sur le trait côtier ou la culture. Les citoyens reconnaissent qu'ils ont été consultés, mais la question qu'ils se posent est celle des débouchés. L'important n'est pas de faire de l'affichage ou de la communication. Il s'agit d'être utile ! L'important dans ce type d'exercice n'est pas la participation, mais bien les débouchés, sinon tout le monde est déçu. Les citoyens membres de la Convention ont peur, en effet, de servir d'alibi. Lors de la deuxième session, on leur a présenté certains outils de politique publique, parmi lesquels la taxe carbone. Les membres se sont clairement exprimés pour dire que la Convention ne devait pas servir à remettre sur la table cette taxe, même si ils y réfléchiront, au même titre qu'aux autres outils fiscaux. Ils considèrent qu'il s'agit d'une option parmi les outils de politique publique, mais que ce n'est peut-être pas l'outil adapté.
Mme Marta de Cidrac. - D'autres instances avaient déjà dit la même chose !
M. Julien Blanchet. - C'est vrai.
Mme Marta de Cidrac. - Quelle est alors la valeur ajoutée de la Convention ?
M. Julien Blanchet. - Des ONG, des scientifiques, d'autres institutions ont déjà fait des propositions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais celles-ci n'ont pas diminué pour autant... De même, avons-nous renforcé l'adhésion à notre système politique ? À en juger d'après les taux de participation, nous n'avons pas réussi... Cette Convention est donc un outil pour créer des compromis, des consensus, à condition que la démarche infuse dans toute la société, au-delà des 150 citoyens concernés. Quant à la crainte, exprimée aussi par de nombreux membres, de faire l'objet d'une instrumentalisation, je l'estime minime dès lors que la parole donnée est respectée ! Ce serait problématique si, à la fin, les débats ne débouchaient sur rien. Si instrumentalisation signifie que la Convention citoyenne devient désormais partie prenante du processus d'élaboration des politiques publiques, cela me convient.
M. Hervé Maurey, président. - On ne pourra pas reprocher au Sénat de ne pas avoir alerté le Gouvernement sur les dangers de la taxe carbone, bien avant la crise des gilets jaunes. Nous avions souligné qu'une taxe, qui ne serait pas affectée, de manière principale, à la transition écologique, et qui serait dépourvue de volet social ou territorial, ne pourrait pas être acceptée. Mais nous n'avons pas été écoutés... J'espère que 150 citoyens tirés au sort auront davantage l'oreille du Président de la République et du Gouvernement...
Mme Pascale Bories. - Quels sont les documents qui ont été transmis aux participants pour les informer ? Comment avez-vous veillé à respecter le principe du contradictoire dans les auditions ? Les membres ont-ils fait l'objet de sollicitations extérieures ?
Les propositions qui émaneront de la Convention feront sans doute l'objet d'un projet de loi, voire d'une proposition de loi parlementaire. Comment la Convention citoyenne pourra-t-elle défendre ses propositions, les « infuser », pour reprendre votre terme, dans la population, surtout si ses préconisations sont impopulaires ? Enfin, pourriez-vous nous indiquer le coût global de cette Convention citoyenne ?
M. Julien Blanchet. - Le comité de gouvernance a élaboré un socle d'informations qui a été livré aux participants. Il s'appuie beaucoup sur des données scientifiques. Il est public, consultable en ligne, comme tous les documents mis à disposition des membres. Le groupe d'appui travaille aussi à la rédaction de fiches, qui seront signées, afin que les citoyens sachent de quels organismes elles proviennent, afin que les choses soient transparentes. Le ministère de la transition écologique et solidaire travaille aussi à la rédaction de fiches, mais qui seront délivrées sous son étiquette, non celle du comité de gouvernance.
En ce qui concerne le respect du contradictoire, au début, c'était souvent le comité de gouvernance qui proposait les noms des personnes à auditionner. Aujourd'hui, ce sont les citoyens qui nous disent quels types d'experts ils souhaitent entendre et nous leur proposons des noms. Ensuite, la composition du comité de gouvernance est plurielle avec sept membres du CESE, des représentants syndicaux, des représentants d'ONG, des représentants des organisations patronales, même des Gilets citoyens, etc. Cette diversité des points de vue fait partie de la crédibilité de cette Convention.
Les membres ont fait l'objet, évidemment de nombreuses sollicitations extérieures, y compris, d'ailleurs, de la part de parlementaires. C'est normal, ils ne vivent pas sous cloche et sont inscrits dans la société. Ils reçoivent des sollicitations de syndicats, d'ONG, de partis politiques, de parlementaires, d'élus locaux, etc.
Le budget attribué à la Convention s'élève à 4,3 millions d'euros.
M. Philippe Pemezec. - Ce n'est pas rien ! Surtout dans le contexte budgétaire actuel...
M. Julien Blanchet. - Ce n'est même pas le produit de la taxe sur un café par Français ! La démocratie a un coût. L'animation des sessions coûte un million d'euros ; la prise en charge des citoyens coûte 1,195 million d'euros ; la logistique et l'accueil représentent un coût de 740 000 euros ; la communication, 400 000 euros ; l'expertise et la relations institutionnelles, 100 000 euros ; la compensation carbone, 6 700 euros ; le tirage au sort a coûté 280 000 euros tandis que l'appui à la gouvernance représente une enveloppe de 242 000 euros. Ces données seront publiées sur notre site internet.
M. Hervé Gillé. - J'ai eu le plaisir d'être délégué à l'Agenda 21 de la Gironde et de connaître plusieurs expériences de démocratie citoyenne. Comme vous l'avez dit, on observe toujours des résultats très positifs, en termes, notamment, de prise de conscience collective des citoyens. Je partage aussi vos remarques sur la qualité des travaux. Je n'ai donc pas le sentiment que la Convention citoyenne soit plus exemplaire que ces initiatives.
La grande difficulté est de faire en sorte que les travaux menés soient compris de la population et des citoyens. Les efforts de communication sont toujours insuffisants et l'on constate toujours une forme de décalage entre le panel citoyen et la manière dont le citoyen de base peut le percevoir. Je ne crois pas que la communication de la Convention soit suffisante pour permettre au citoyen de base de s'approprier ses réflexions, au-delà des acteurs impliqués. Il y a donc un décalage entre les travaux et leur appréhension par les citoyens, d'autant plus que les travaux de la Convention citoyenne ne s'inscrivent pas dans une logique de contribution. Son fonctionnement est très vertical : la Convention citoyenne répond à une demande du président de la République, mais il n'y a pas vraiment de dimension participative ; on ne demande pas à l'ensemble des parties prenantes du territoire de contribuer aux travaux de la Convention, même si quelques collectivités territoriales seront auditionnées. Le débat aurait pu avoir une dimension beaucoup plus participative et contributive.
Pourriez-vous nous préciser le calendrier de vos travaux ?
Je voudrais enfin vous faire part de ma surprise en vous entendant évoquer la transformation du CESE en Conseil de la participation citoyenne. Il me semble que rien n'est encore acté et qu'il s'agit simplement d'une proposition de travail. J'ai eu le sentiment que vous étiez très partie prenante, voire que vous manquiez un peu de recul par rapport à une proposition de changement constitutionnel dont on ne connaît pas véritablement les contours.
M. Julien Blanchet. - J'exprime simplement la position de l'ensemble des membres du CESE, dont je suis vice-président, qui souhaite voir aboutir cette réforme. D'ailleurs, l'immense majorité des 81 organisations qui composent le CESE a adressé, il y a quelque temps, un courrier au Président de la République, lui demandant de faire aboutir les annonces qu'il avait pu faire à plusieurs reprises sur ce sujet.
Le risque de décalage est important. En Irlande, la convention irlandaise sur la question de l'IVG a voté favorablement à 65 %, et la population s'est prononcée favorablement à 66 %. C'est l'illustration d'un processus bien mené : l'opinion était impliquée, l'échantillon était représentatif. Effectivement, nous avons peut-être un défaut de visibilité, mais vous le savez mieux que moi, il n'est pas très vendeur pour des médias grand public de montrer des citoyens délibérer calmement dans une salle. Cela n'empêche pas certains médias de relayer nos travaux, comme La Croix ou Public Sénat. La couverture par la presse quotidienne régionale n'est pas mauvaise, mais nous avons du mal à intéresser les chaînes d'information continue, qui relaient peu nos sessions et attendent nos propositions, ou les réseaux sociaux, même si on constate des progrès à cet égard. Nous avons fait le choix de ne pas consacrer un budget excessif à la communication, parce que cela coûte cher et cela nous aurait valu des critiques. Mais, d'une manière générale, je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui soit totalement satisfait de sa communication... On peut toujours faire mieux en la matière.
En ce qui concerne la dimension participative, je vous invite à aller sur le site de la Convention : il est possible de déposer des contributions individuelles ou au nom d'organisations. Les contributions individuelles sont synthétisées et livrées, à chaque session, aux 150 membres. Quant aux contributions d'organisations, il nous paraissait anormal de les synthétiser. Nous leur demandons donc de les résumer en quelques lignes et on donne aux membres un lien permettant d'aller consulter l'intégralité de la contribution sur la plateforme numérique où figurent tous les documents et sur laquelle ils peuvent aussi débattre entre eux. En revanche, nous n'avons pas voulu donner la possibilité de voter sur les contributions afin de protéger les membres face à la légitimité numérique du nombre, car on ne sait pas comment les voix sont obtenues, ni d'où elles viennent. Bref nous voulions éviter d'influencer les membres par la constitution d'un top ten des contributions en fonction du nombre de votes électroniques.
Un mot, enfin, sur le calendrier. Nous avons dû annuler, en raison du mouvement social, la session prévue les 6, 7 et 8 décembre. Nous devons donc revoir le calendrier dans son ensemble. Les discussions sont en cours. La prochaine session aura lieu les 10,11 et 12 janvier et je vous invite à venir assister aux débats qui sont publics.
M. Hervé Maurey, président. - Pour venir y assister, encore faudrait-il recevoir les invitations en amont. La dernière fois, j'avais reçu un mél à peine 48 heures à l'avance et il m'était donc difficile de pouvoir m'organiser pour venir...
M. Christophe Priou. - J'aurai deux remarques, l'une de forme, l'autre de fond. Sur la forme, je trouve que, parmi vos éléments de langage, l'argument selon lequel on tire bien au sort les jurys d'assises est particulièrement malheureux. J'ai été deux fois partie civile aux assises, ayant échappé à un attentat au colis piégé par des militants d'extrême droite qui avait fait une innocente victime. Les jurés peuvent être récusés par les avocats, après une sommaire analyse morphopsychologique.
Sur le fond, voilà longtemps qu'il existe des outils de démocratie participative. La loi de 2001 relative à la démocratie de proximité a permis d'organiser des référendums décisionnels ou consultatifs pour consulter les citoyens, ce qui crée un bon continuum entre le représentatif, le consultatif, le décisionnel et le participatif. Au Croisic, en 2006, nous avions utilisé ce type de référendum pour décider de la construction d'une nouvelle mairie. Nous y avions eu aussi recours à l'occasion de la catastrophe de l'Erika. Le président Maurey a fait allusion à la verticalité. Le centralisme démocratique, que l'on retrouve aujourd'hui avec les réformes des retraites ou de la taxe d'apprentissage, existait déjà : le Gouvernement avait signé un protocole d'accord avec l'une des sociétés, qui devait être condamnée par la suite, en 2008 et 2012, en raison du préjudice écologique et au nom du principe pollueur-payeur. Ce protocole prévoyait que si la société prenait en charge les frais de nettoyage, l'État n'engagerait pas de poursuites. Sous l'impulsion des collectifs de citoyens et des élus locaux, les collectivités se sont portées partie civile, contre l'avis de l'État, et ont obtenu les jugements de 2008 et 2012. C'est grâce à cette alchimie subtile entre le représentatif, le consultatif et le participatif que nous avons pu faire entendre raison à l'appareil d'État, qui reste encore très présent dans notre société.
M. Julien Blanchet. - Je souscris complètement à la deuxième partie de votre propos. Pour le reste, je n'ai pas d'éléments de langage. La comparaison avec les jurys d'assises est avancée par les scientifiques qui étudient la démocratie participative. Cette comparaison peut, en effet, être sujette à discussion. J'espère que dans dix ans on prendra exemple sur d'autres formes de tirage au sort, pour justifier la création d'une nouvelle convention citoyenne.
M. Patrick Chaize. - Les travaux du Sénat sur l'économie circulaire et les mobilités ont-ils été présentés aux membres de la Convention ? Nos rapporteurs seront-ils auditionnés ? Ensuite, prévoyez-vous toujours de rendre vos conclusions fin janvier ?
M. Julien Blanchet. - Les travaux du Sénat n'ont pas été versés au débat, ils ne sont pas sur la plateforme, mais peut-être que le ministère de la transition écologique et solidaire s'en fera l'écho dans les fiches qu'il mettra à disposition des membres. Quant aux auditions, nous répondons aux demandes des citoyens. Si un rapporteur du Sénat devait être auditionné, sa présentation serait mise à disposition de tous sur la plateforme. Je sais que certains membres vont déjà consulter, par eux-mêmes, les documents parlementaires. À la fin du processus, lorsque sera venu le temps de tester la robustesse des propositions, il sera peut-être intéressant de pouvoir échanger avec d'autres expertises, notamment parlementaire.
Nous ne pourrons pas finir nos travaux les 25 et 26 janvier comme c'était initialement prévu.
M. Hervé Maurey, président. - Je ne peux que vous conseiller de consulter les comptes rendus de la table ronde que nous avions organisée sur la taxe carbone, plusieurs mois avant la crise des « gilets jaunes ». Cette table ronde était très intéressante, notamment sur les conditions d'acceptabilité d'une telle taxe.
M. Jean-François Longeot. - Au-delà de la Convention citoyenne, il faudra prendre des décisions. On ne peut plus attendre. Est-il envisageable de supprimer le ministère de l'environnement pour contraindre chaque ministère à inclure une dimension environnementale dans ses politiques ? Bercy agit plus en fonction de sa calculette que de la protection de l'environnement.
M. Julien Blanchet. - Je suis désolé, je ne vais pas vous annoncer que je porte la fin du ministère de l'environnement... La question est de savoir comment incorporer dans chaque loi un volet environnemental. J'ai défendu la clause d'impact jeunesse, qui est désormais obligatoire dans toute étude d'impact sur les projets de loi. Ils doivent prendre en compte l'impact sur les générations futures. On pourrait considérer que cela inclut les impacts environnementaux. Force est de constater que nous avons une marge de progression en la matière.
M. Hervé Maurey, président. - Ce que vous dites pourrait valoir aussi pour l'aménagement du territoire. Nous plaidons régulièrement pour que cette dimension transversale soit mieux prise en compte dans les projets de loi et dans les politiques publiques.
M. Jean-Marc Boyer. - Les territoires ruraux représentent 80 % du territoire, mais leurs représentants ne constituent que 4 % des membres du panel de la Convention ! C'est étonnant alors que les questions de mobilité, qui se posent très différemment entre zones rurales et urbaines, sont au coeur de ses travaux. Pourriez-vous nous donner aussi des précisions sur la composition du panel en fonction des professions ? Comment, notamment, les professions agricoles sont-elles représentées, à l'heure où l'agribashing est malheureusement de mode ? Enfin, organisez-vous aussi des réunions dans les territoires ou bien restez-vous uniquement à Paris, au risque de voir votre réflexion rester prisonnière de l'avis des experts, et de voir les citoyens réduits au rang de faire-valoir de leurs propositions ?
M. Julien Blanchet. - Nous avons choisi, en effet, comme critère de représentation la population et les professions, non la surface ; les ultramarins peuvent aussi s'en plaindre. Je précise que les représentants des territoires ruraux constituent 15 % et non 4 % du panel. C'est conforme aux données de l'Insee. Les métiers sont largement représentés dans leur diversité. La Convention compte 1 % d'agriculteurs, 4 % d'artisans, commerçants ou chefs d'entreprise, 9 % de cadres supérieurs et de professions libérales, 16 % de professions intermédiaires, 16 % d'employés, 10 % d'ouvriers, 17 % de retraités, et 18 % d'inactifs.
M. Rémy Pointereau. - Combien d'agriculteurs ?
M. Rémy Pointereau. - Sont-ils élus ?
M. Julien Blanchet. - L'un d'entre eux est maire. Nous avions fait le choix de refuser les responsables d'exécutifs de communes de plus de 10 000 habitants. Le groupe « se nourrir » a organisé une audition commune de la FNSEA et de Greenpeace, qui étaient d'ailleurs d'accord pour souligner les lacunes de l'État. Nous avons voulu faire en sorte que les citoyens puissent appréhender les points de divergence. Nous avons aussi auditionné la Confédération paysanne. Le monde agricole a donc toute sa place et tout le monde ne participe pas non plus à l'agribashing, même si celui-ci existe.
Nous aurions aimé organiser des réunions en province, mais je vous ai indiqué notre budget et déplacer 150 personnes dans un autre territoire aurait été très compliqué, ne serait-ce que pour des raisons de transport. Les réunions ont lieu à Paris, ce qui n'empêche pas les représentants d'organiser des réunions ailleurs, comme il y en a eu en Bretagne ou à Lyon dans des cafés, où la presse est invitée.
La Convention sera-t-elle, pour autant, l'expression de l'avis des experts ? Quel est le risque de manipulation ? Je crois en l'intelligence des citoyens du panel pour faire la différence entre les propositions. Leur diversité est un atout et les auditions ont été plurielles.
Mme Nicole Bonnefoy. - Vous avez décrit la manière de travailler de la Convention. Elle auditionne des experts, des administrations, des scientifiques, des ministres, etc., avant de formuler ses recommandations. N'est-ce pas ce que nous faisons déjà au Parlement dans le cadre de nos prérogatives de contrôle et d'évaluation des politiques publiques ? Il y a peu, nous avons publié un rapport sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation, au terme d'un travail de six mois, avec de nombreuses auditions et une consultation en ligne qui avait recueilli plusieurs centaines de contributions. Le rapport a servi de base à un échange en séance avec le Gouvernement et une proposition de loi est en préparation. Pourquoi la Convention citoyenne ferait-elle mieux que nous ? Ne risque-t-on pas d'affaiblir le Parlement et la démocratie représentative ? Alors que les relations entre le Parlement et le Gouvernement sont encadrées par la Constitution, rien n'oblige le Président de la République à suivre les recommandations de la Convention et celle-ci n'a aucun pouvoir de contrôle. Que se passera-t-il si ses propositions sont contraires aux orientations budgétaires du Gouvernement ?
M. Julien Blanchet. - Je ne peux pas vous répondre à la place du Gouvernement...
Mme Nicole Bonnefoy. - Si vos propositions inspiraient une proposition de loi et que celle-ci n'aboutissait pas, ne serait-il pas facile de rejeter la responsabilité sur le Parlement ? La démarche n'est-elle pas un peu ambiguë, sinon perverse, de la part du Gouvernement ?
M. Julien Blanchet. - « Perverse », je ne sais pas, mais je ne pourrais pas accuser un Gouvernement d'avoir une stratégie politique... ni le Parlement. Les travaux du Parlement sont très intéressants. Il n'y a pas de conflit de légitimité à craindre entre la Convention et le Parlement. La légitimité du Parlement n'est pas en cause, elle est évidente. À vous entendre, j'ai l'impression qu'il y a besoin de le répéter et de le réaffirmer. Il est symptomatique de l'état de notre démocratie que l'on se sente obligé de rappeler que le Parlement travaille, alors que c'est évident. Les membres de la Convention le savent. Il ne faut pas craindre un affaiblissement de la démocratie représentative par la démocratie participative. Au contraire, celle-ci peut nourrir celle-là et les deux peuvent très bien fonctionner ensemble dans une démocratie globale. Tant que l'on pensera que l'une se développe au détriment de l'autre, le taux de participation restera faible et les mouvements dans la rue perdureront.
Mme Françoise Cartron. - On a beaucoup parlé de la représentativité des membres de la Convention. Quid de la parité ? Lorsque vous avez contacté les personnes pour siéger à la Convention, leur avez-vous bien expliqué qu'il s'agissait de s'inscrire dans une forme de démocratie apaisée, c'est-à-dire de compromis, d'écoute, de partage, plutôt que dans une logique d'affrontement ? Chacun arrive avec ses convictions, mais le but est de parvenir à un compromis. Certaines personnes ont démissionné parce qu'elles n'avaient pas bien compris ou parce qu'elles ne se retrouvaient pas dans l'exercice qui leur a été demandé.
M. Jérôme Bignon. - Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'il y a un conflit de légitimité. Simplement nous sommes en présence de deux légitimités et permettez au parlementaires d'affirmer la leur !
Comment votre travail se terminera-t-il ? Je ne vois que des avantages à ce que des personnes échangent, discutent, etc. Mais que se passera-t-il après, au moment de transcrire dans le droit les propositions ? Qui rédigera la loi ? Actuellement, les lois ne peuvent être issues que d'un projet de loi, du Gouvernement, ou d'une proposition de loi, du Parlement. Envisagez-vous une procédure différente pour la Convention ? Les parlementaires rencontrent déjà de nombreuses difficultés pour faire passer leurs textes dans le cadre du parlementarisme rationalisé : entre l'article 40 de la Constitution, l'avis du Conseil d'État, l'avis des hauts fonctionnaires, etc., les obstacles sont nombreux. Alors je veux bien partager votre optimisme, croire que vous allez trouver toutes les solutions qui nous ont échappé à tous depuis des années, mais comment ferez-vous adopter vos propositions ? Devra-t-on donner à 150 citoyens géniaux qui se sont réunis 4 week-ends une priorité, accepter pour eux ce que l'on refuse au Parlement ? Il ne faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages !
M. Julien Blanchet. - Je partage votre avis, il n'y a pas de conflit de légitimité, mais simplement différentes légitimités, chacune devant pouvoir s'exercer dans sa plénitude.
La procédure législative ne sera pas modifiée. C'est le Gouvernement, et non la Convention, qui pourra déposer un texte au Parlement. À travers nos échanges, j'ai le sentiment que vous considérez que le traitement du Parlement n'est pas juste, mais cette question dépasse la Convention citoyenne...
M. Hervé Gillé. - Vous n'avez pas cherché à savoir ce que l'on fait !
M. Julien Blanchet. - Des citoyens « géniaux », avez-vous dit, qui vont résoudre tous les problèmes ? Il faut respecter l'engagement de ces personnes. Elles ne vont pas découvrir la vérité, elles n'auront pas subitement de révélation ! Mais ayons la modestie, collectivement, de reconnaître que nous n'avons pas réussi à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Nous avons donc besoin d'un nouveau levier, de trouver un nouveau consensus démocratique. La taxe carbone était perçue comme la solution miracle par les technocrates, elle s'est heurtée à la réalité ! Il faut trouver d'autres solutions avant qu'il ne soit trop tard pour la planète. C'est l'objet de cette Convention.
Enfin, la Convention compte 51 % de femmes et 49 % d'hommes, à l'image de la population française.
M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie. Je vous réinvite à regarder la table ronde que nous avions organisée sur la taxe carbone. Nous avions très tôt dit qu'il ne fallait pas la mettre en place comme le Gouvernement l'a fait. La taxe carbone est nécessaire, mais avec les précautions que nous avons déjà évoquées.
Consultations publiques sur le nouveau cahier des charges du plan France très haut débit et sur les projets d'arrêté et de décret relatifs à l'attribution des fréquences 5G - Échange de vues
M. Hervé Maurey, président. - Je vous propose de répondre à deux consultations publiques lancées par le Gouvernement : la première concerne le nouveau cahier des charges du plan France très haut débit ; la seconde concerne l'attribution des fréquences 5G.
M. Patrick Chaize, rapporteur. - Les deux sujets sont importants et complémentaires. Une consultation a été lancée, avant la mise aux enchères des fréquences de 5G, sur le cahier des charges qui précisera les obligations et engagements, y compris financiers, des opérateurs. Il faut veiller à ce que la notion d'aménagement du territoire joue un rôle prépondérant dans l'attribution des fréquences, afin d'éviter de renouveler les erreurs commises lors de l'attribution des fréquences 4G. Nous avions dû, en effet, revenir, il y a deux ans, à travers un « New deal mobile » sur les obligations de couverture du territoire, car lors du déploiement de la 4G, l'attribution des licences avait été très intéressante pour l'État d'un point de vue financier, mais ne correspondait pas aux attentes des citoyens.
Il importe de souligner que la 5G sera utile pour les usagers dans les territoires ruraux. Elle permettra le développement de nouvelles applications, comme la voiture connectée. L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes et de la distribution de la presse (Arcep) a publié ses propositions, qui vont plutôt dans le sens des recommandations des associations de collectivités. En revanche, le prix de réserve élevé fixé par le Gouvernement pourrait limiter l'intensité concurrentielle sur le marché. Nous devrons donc être vigilants.
En ce qui concerne le plan France très haut débit, j'ai l'impression que le Gouvernement ne sait pas très bien où il va... Le plan prévoit la mobilisation de 3,3 milliards d'euros de subventions de l'État pour aider les collectivités territoriales à assurer la couverture en fibre optique de leur territoire. L'objectif du Gouvernement est de couvrir, d'ici 2022, le territoire en Internet très haut débit, dont 80 % en fibre optique. Cet objectif sera tenu. Mais si 75 départements sont ou seront couverts intégralement d'ici 2022, les autres départements auront une couverture partielle, avec un taux de couverture atteignant pour l'heure 40 % dans certains d'entre eux. La fracture est nette entre les départements qui atteindront l'objectif de 100 % et les autres. Dans le cadre du projet de loi de finances, nous avons plaidé en faveur d'une rallonge budgétaire pour permettre aux départements qui le souhaitent de parvenir à une couverture à 100 % par la fibre optique. Le Gouvernement considère que ce n'est pas nécessaire. Il compte récupérer 140 millions d'euros sur l'enveloppe globale sur des queues de programme. Mais cela prendra du temps et, d'ici là, aucun projet ne peut être engagé par les collectivités. Les départements attendent ; je pense en particulier aux départements de Bretagne, qui ont besoin de 200 millions d'euros, ou d'Auvergne, qui ont besoin de 140 millions. Les besoins cumulés de ces huit départements, 340 millions, excèdent déjà l'enveloppe de 140 millions ! Il conviendrait donc que le Gouvernement débloque des autorisations d'engagement supplémentaires et non seulement des crédits de paiement. Le Gouvernement a refusé vivement, la ministre estimant que le Sénat était, à cette occasion, « détestable ». Je vous invite à lire le numéro de la Gazette des communes paru hier. La revue avait repris un communiqué de presse que j'avais publié en tant que président de l'Association des Villes et Collectivités pour les Communications électroniques et l'Audiovisuel (Avicca). J'avais repris les mots de la ministre pour dire que le Gouvernement avait une vision détestable des collectivités en la matière. Le Gouvernement s'en est ému et a appelé la rédaction de la Gazette. Finalement, après un entretien avec les équipes de la ministre, les journalistes ont publié un nouvel article dans lequel ils expliquent qu'ils ne comprennent plus la logique du projet du Gouvernement...
La consultation publique concerne le nouveau cahier des charges qui détermine les modalités de prise en charge par le « guichet » des dépenses de déploiement des réseaux d'initiative publique et notamment du déploiement de la fibre optique jusqu'à l'abonné (FttH). Le nouveau cahier des charges réduira fortement les aides de l'État. C'est inacceptable. Ces propositions du Gouvernement auraient pour effet de faire supporter la différence aux collectivités territoriales.
M. Hervé Maurey, président. - Le Gouvernement entend réduire les subventions en revoyant l'assiette des dépenses éligibles aux subventions.
Je veux aussi attirer votre attention sur l'importance et l'utilité de la 5G pour les territoires ruraux. Il importe de l'expliquer aux élus, qui parfois ne comprennent pas notre mobilisation pour la 5G, car ils attendent encore parfois la 3G, ou la 4G, voire la 2G... L'enjeu est d'éviter la création d'une nouvelle fracture numérique.
Proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur pour avis
La commission demande à être saisie pour avis de la proposition de loi n° 154 (2019-2020) visant à réformer le régime des catastrophes naturelles, dont la commission des finances est saisie au fond, et désigne Mme Nelly Tocqueville en qualité de rapporteure pour avis.
La réunion est close à 11h50.