Mardi 10 décembre 2019
- Présidence de M. Michel Amiel, vice-président -
La réunion est ouverte à 13 h 45.
Auditions de M. Guillaume Drago, président, et de Me Geoffroy de Vries, délégué général, de l'Institut Famille et République
M. Michel Amiel, président. - Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique en recevant MM. Guillaume Drago et Geoffroy de Vries de l'Institut Famille et République à la demande de notre collègue rapporteur Mme Muriel Jourda. Ils sont accompagnés de M. Jean Dupont-Cariot.
- Présidence de M. Alain Milon, président -
Me Geoffroy de Vries, délégué général de l'Institut Famille et République. - Merci de nous avoir conviés à la présente audition. L'Institut Famille et République est un cercle d'une centaine de juristes de toutes professions, qui travaille sur des questions relatives au droit de la famille et aux droits de l'homme. Nous intervenons ce jour sur la question de la liberté de conscience.
Notre République est fondée sur des principes constitutionnels dont font partie les libertés fondamentales. L'une de nos libertés les plus fondamentales est la liberté de pensée, ou d'opinion, qui veut que nous soyons tous libres de penser ce que nous voulons de telle ou telle question.
Cette liberté de pensée en crée d'autres : la liberté d'expression de sa pensée, la liberté de manifestation ainsi que la liberté de conscience. La liberté de conscience est la liberté de ne pas être contraint d'agir contre ses convictions intimes et fondamentales.
La liberté de conscience est en quelque sorte la petite soeur de la liberté de pensée. Elle est plus jeune, elle est moins connue, elle est sans doute aussi plus timide. Elle peine, souvent, à s'exprimer. Mais elle a toute sa part dans la grande famille des libertés fondamentales. Elle est reconnue par le Conseil constitutionnel. Elle est prévue par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Elle consiste à pouvoir objecter sa conscience personnelle pour refuser de procéder à un acte la heurtant profondément, sans être passible de sanctions.
Liberté et objection de conscience sont en réalité deux mots servant à signifier le même concept, les deux faces d'une même pièce. Cette liberté de conscience est davantage que la liberté d'opinion, car elle comporte une indéniable approche personnelle d'ordre plus fondamental et intime que la simple opinion. Elle implique un engagement de la personne tout entière, une intime conviction, une adhésion profonde, en son for intérieur, qui peut être de nature philosophique ou religieuse - mais non politique.
Ainsi, en tant que citoyen - y compris notaire, médecin ou officier d'état civil -, on peut, en son for intérieur, persister à être opposé à la déréglementation de la procréation médicalement assistée (PMA) ou à la recherche sur l'embryon, facilitées par le projet de loi, sans être concrètement confronté à un acte de ce type. Nous sommes là dans le cadre de la liberté de pensée ou d'opinion. Mais on peut aussi, in concreto, en tant que notaire ou médecin, être concerné directement par une demande de PMA pour un couple de femmes ou une femme seule sans pouvoir y renoncer légalement ; et donc être confronté à un conflit intérieur.
La liberté personnelle serait abolie si la personne concernée était contrainte d'agir contre sa conscience.
En réalité, il s'agit de concilier deux droits fondamentaux : en matière de PMA, par exemple, le droit à la PMA pour toutes les femmes, pour tous les couples - si le Parlement en décide ainsi - et le droit pour les notaires ou les médecins de pouvoir objecter leur liberté de conscience.
En tout état de cause, la PMA aura bien lieu. La reconnaissance d'une clause de conscience n'aura pas pour effet ou objet d'empêcher sa réalisation. Elle aura simplement pour effet de préserver la liberté du notaire ou du médecin en organisant son déport au profit d'un autre.
En réalité, la clause de conscience est d'inspiration républicaine. Elle ne s'oppose pas à ce que la loi permet, mais elle organise le déport de personnes qui ne peuvent adhérer à l'acte concerné. Elle permet, en somme, l'application de la loi, mais par un autre. C'est le contraire de la rébellion civique ou de la désobéissance civile. La clause de conscience est une garantie du caractère général de la loi.
Le projet de loi relatif à la bioéthique qui vous est soumis apporte des réponses très particulières à des situations très particulières et à des demandes minoritaires telles que l'extension de la PMA aux couples de femmes pour des raisons qui ne sont pas thérapeutiques, et ce en dérogeant aux principes de la filiation et de la médecine ainsi qu'au caractère général et à l'objectif de la loi.
La clause de conscience permet en réalité de rétablir le caractère général de la loi. Petite soeur de la liberté de pensée, la liberté de conscience demande à être reconnue et protégée. La liberté de conscience est à la loi de bioéthique ce que la soupape est à la marmite : un gage de fonctionnement et de sécurité.
M. Guillaume Drago, président de l'Institut Famille et République. - Je rappelle que la liberté de conscience est liée à la liberté d'opinion et qu'elle fait référence à plusieurs normes constitutionnelles qu'il faut avoir à l'esprit : le premier alinéa de l'article 1er de la Constitution ; l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 - « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » - ; l'alinéa 5 du préambule de la Constitution de 1946 - « Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » - et l'article 34 de la Constitution, dont l'un des alinéas signifie que la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Il revient donc au législateur de garantir l'exercice effectif de ces libertés.
À ces règles constitutionnelles s'ajoute une jurisprudence constitutionnelle depuis la décision du Conseil constitutionnel du 23 novembre 1977 relative à la liberté de conscience des professeurs, qui a été confirmée ensuite à plusieurs reprises : en 1985 tout d'abord, puis à l'occasion de la loi du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception.
Cette jurisprudence signifie que la liberté de conscience ne relève pas seulement du for intérieur, mais inclut aussi le droit d'extérioriser ses convictions et d'y conformer son attitude. Il ne s'agit donc pas seulement d'une liberté personnelle.
De ce point de vue, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) souligne dans son arrêt du 26 mai 2011 que « les États sont tenus d'organiser leurs services de santé de manière à garantir que l'exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels de la santé dans un contexte professionnel n'empêche pas les patients d'accéder à des services auxquels ils ont légalement droit ».
Il existe donc un équilibre fondamental entre l'exercice d'une profession, l'accès à un service public, mais aussi la nécessité pour le législateur d'organiser un exercice effectif de la liberté de conscience des professionnels. C'est la raison pour laquelle, dans le projet de loi relatif à la bioéthique, il nous paraît important d'instituer pour cette législation très largement dérogatoire à la loi commune une clause de conscience et un droit de retrait pour les professionnels de santé en cas d'assistance médicale à la procréation (AMP), en cas éventuel de gestation pour autrui (GPA) et en matière de recherche sur l'embryon, en renforçant ce qui est déjà inscrit dans le code de la santé publique.
Nous soutenons également la nécessité de reconnaître une clause de conscience pour les notaires, ou au moins une clause de déport concernant les actes authentifiant les déclarations de volonté des couples avant la naissance.
Nous soutiendrons également, comme nous l'avions fait en 2013 devant le Conseil constitutionnel à l'occasion d'un contentieux de question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la même possibilité de déport pour les officiers et agents d'état civil en renvoyant au représentant de l'État dans le département, préfet ou sous-préfet, la désignation d'un autre officier d'état civil pour répondre aux demandes formulées d'enregistrement des actes.
La jurisprudence européenne, comme les résolutions de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, insiste sur le fait que l'État doit lui-même agir expressément, explicitement, pour assurer l'équilibre entre ces prétentions en organisant dans le système de santé ou pour les autres professionnels la possibilité d'exercer leur droit à l'objection de conscience, tout en organisant l'accès aux services publics ou aux prestations prévu par la législation.
Il faut bien comprendre le sens de la demande de reconnaissance de ces différentes clauses de conscience.
Il s'agit d'équilibrer les droits des usagers de différents services publics avec les droits légitimes des professionnels concernés en présence d'une législation intrinsèquement dérogatoire au droit commun. Il s'agit seulement de permettre une forme de déport fondée sur une liberté constitutionnelle - la liberté de conscience -, qui n'est en aucun cas une forme de désobéissance civile.
Le professionnel qui invoque sa liberté de conscience ne s'oppose pas à la loi de la majorité, ne conteste pas la généralité de la loi, mais souligne son désaccord par un mécanisme de retrait, de déport, d'objection, qui est le contraire de la rébellion ou de la désobéissance civique. Ce n'est que si cette clause de conscience n'était pas reconnue que la tentation de la désobéissance à la loi pourrait voir le jour.
Me Jean Dupont-Cariot, membre de l'Institut Famille et République. - J'interviens en tant que notaire, en mon nom et au nom des quelques notaires qui m'ont fait part de leur malaise par rapport à ce sujet.
Je vous remercie de bien vouloir entendre les interrogations des notaires face au souhait du législateur de nous confier une nouvelle mission. Si cette mission constitue une marque de confiance à l'égard de notre profession, il est nécessaire d'en mesurer les conséquences.
En effet, le nouvel article 342-10 du code civil prévu ouvre le recours à la PMA aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Ainsi, la PMA n'a plus seulement pour objet de pallier une infertilité, mais également de répondre à un projet parental. Pour ce faire, le législateur a envisagé de demander aux notaires de recevoir une déclaration anticipée qui sera faite par des couples de femmes ou des femmes non mariées désirant recourir à une AMP.
Quelles en seront les conséquences pour les notaires ?
Le notaire devra recevoir aux termes d'un acte authentique la volonté de deux femmes de recourir à l'AMP. Or la mission d'authentification d'un acte consiste non seulement à conférer l'authenticité à cet acte, mais également à en assurer l'efficacité.
Comment le notaire peut-il participer à la reconnaissance d'une filiation totalement dérogatoire au droit commun de la filiation ? La Cour de cassation a d'ailleurs rappelé en octobre 2019 que le droit de la filiation est impératif et d'ordre public. Le point important est bien cette reconnaissance conjointe prévue à l'article précédemment cité, qui établit la filiation de l'enfant non encore conçu.
Toutefois, le législateur prévoit dans le même article que le consentement est privé d'effet en cas de décès, d'introduction d'une demande de divorce, de cessation de communauté de vie, mais aussi en cas de révocation du consentement avant la réalisation de l'insémination. Ainsi, la caducité d'un acte authentique peut résulter de la seule volonté de l'une des parties à l'acte.
Par ailleurs, comment le notaire peut-il s'assurer que le consentement de l'un des déclarants n'est pas vicié - élément essentiel d'un acte authentique ? Sachant que l'acte n'indique pas laquelle des femmes accouchera, nous pouvons craindre que ne se produise au moment de l'insémination un désaccord entre elles et que l'une d'elles considère que son consentement a été vicié.
Sur ce point, deux objections s'imposent à nous en tant que notaires. Le notaire ne peut pas participer à l'authentification d'une filiation fictive au point de vue biologique et généalogique, dont l'objet n'est encore qu'à l'état de projet, à savoir celui d'un enfant non encore conçu.
De plus, le notaire ne peut pas authentifier une situation qui n'existe pas dans la réalité et qui n'est que fiction - aujourd'hui encore, un enfant ne peut naître que de la réunion d'un gamète masculin et d'un gamète féminin. A priori, deux femmes ne sauraient donc être mères du même enfant. En outre, n'y a-t-il pas risque que le notaire participe à une marchandisation du corps en établissant ces actes, puisque nous savons déjà qu'il existe une pénurie de gamètes en France ?
Par ailleurs, l'acte authentique fait foi à l'égard des tiers des faits que le notaire y a constatés. Face à l'enfant qui sera né de cette PMA, quelle sera la responsabilité du notaire qui aura reçu un acte authentique ayant pour conséquence de priver cet enfant de la possibilité de faire établir sa filiation paternelle ? Le notaire peut se voir reprocher d'avoir reçu un acte portant préjudice à un tiers. Et nous sommes tout à fait dans ce cas, le tiers étant l'enfant non encore conçu.
En effet, le législateur souhaite interdire toute action aux fins d'établissement ou de contestation de la filiation et prive donc l'enfant, qui serait ainsi reconnu par l'acte authentique, d'un droit fondamental dont jouissent les enfants nés dans d'autres conditions, ce qui crée pour lui une vraie injustice.
Vous comprendrez que cette mission que veut confier le législateur aux notaires crée pour un certain nombre d'entre nous un grand malaise dans l'exercice de leur profession.
Dans ces conditions, et compte tenu du fait que cette loi dérogatoire ne peut être appliquée sans scrupules, voire objections, je vous demande de reconnaître une liberté de conscience pour les notaires qui ne souhaiteraient pas authentifier ce type d'acte. Il pourrait ainsi être prévu, pour permettre l'application de cette loi si elle venait à être adoptée, d'organiser un déport du notaire en saisissant la Chambre des notaires et en demandant la nomination d'un notaire qui accepterait de recevoir cet acte.
C'est cette demande que je formule pour les confrères qui partagent cette interrogation sur la portée de cet acte dans notre exercice en tant qu'officiers publics et ministériels, c'est-à-dire l'exercice d'une liberté de conscience.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Vous avez indiqué que cette liberté de conscience pourrait s'opposer à la mise en oeuvre d'un droit dérogatoire au droit commun. Dans la mesure où l'extension de l'AMP serait intégrée dans le code civil, en quoi s'agit-il d'un droit dérogatoire au droit commun ?
Sachant que la clause de conscience existe déjà, me semble-t-il, pour les professionnels de santé, est-il nécessaire de prévoir une législation spécifique pour qu'elle puisse être opposée ? Pour les notaires, je crois que la question se pose dans les mêmes termes.
M. Guillaume Drago. - Cette législation inscrite dans le code civil conduit à instaurer différents types de filiation et différents systèmes devant coexister. Le droit de la filiation, fondé sur les présomptions qui sont celles qui sont actuellement prévues dans le code civil, prévoira donc des systèmes différenciés.
Il est d'ailleurs tout à fait symptomatique que le projet initial, qui prévoyait un titre VII bis et un système dérogatoire - il souligne ainsi le caractère dérogatoire des dispositions prévues - ait été finalement intégré dans le droit commun via la coexistence de différents systèmes filiatifs. On ne peut donc pas considérer que cette législation est une législation qui proposerait un modèle unique en matière filiative.
À partir du moment où cette distinction est inscrite dans la loi, il conviendrait que les professionnels, qui auront à l'utiliser, aient la possibilité d'invoquer une clause de conscience.
Me Geoffroy de Vries. - Il n'existe pas de clause de conscience pour les notaires, comme il y en a pour le propriétaire foncier qui ne veut pas que la chasse soit pratiquée sur ses terres, les avocats, les journalistes ou les médecins dans le cas d'une IVG. La liberté de conscience est toutefois un principe fondamental reconnu par les lois de la République, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et la Convention européenne des droits de l'homme. Cependant, en pratique, pour pouvoir l'exercer, si l'on ne veut pas être contraint d'accomplir un acte qui heurte profondément sa conscience intérieure, il faut qu'une clause de conscience soit prévue dans la loi. C'est l'objet de notre discussion.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Vous avez évoqué la clause de conscience dans la recherche pour l'embryon. Pourriez-vous nous préciser votre pensée ?
M. Guillaume Drago. - Cette clause de conscience en matière de recherche sur l'embryon a été introduite, à l'initiative du Sénat, dans le code de la santé publique par la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, dont l'article 53 dispose « qu'aucun chercheur, aucun ingénieur, technicien ou auxiliaire de recherche quel qu'il soit, aucun médecin ou auxiliaire médical n'est tenu de participer à quelque titre que ce soit aux recherches sur des embryons humains ou sur des cellules souches embryonnaires ». Ce dispositif est donc très large, car il vise l'ensemble des professionnels de santé. Nous pourrions nous en inspirer pour définir une clause de conscience générale. Notre proposition n'est donc pas incongrue.
Le code de déontologie médicale comporte aussi une disposition prévoyant que les médecins peuvent refuser des soins pour des raisons professionnelles ou personnelles, hors cas d'urgence. C'est une clause de bon sens qui permet à un médecin de ne pas pratiquer un acte, hors cas d'urgence, s'il ne relève pas de sa spécialité. On ne peut pas demander à un généraliste de s'improviser rhumatologue ! Il ne s'agit donc pas vraiment d'une clause de conscience. La clause de conscience a été inscrite spécifiquement dans la loi de 1975 sur l'interruption volontaire de grossesse. Il ne faut donc pas confondre la clause de conscience et le déport pour des raisons professionnelles : leurs philosophies sont différentes. Le déport du code de déontologie ne serait pas adapté pour les dispositions de la loi de bioéthique que nous évoquons. Pour cela, il faut que la loi comporte une clause de conscience spécifique.
M. Olivier Henno, rapporteur. - Cette demande de clause de conscience correspond-elle au souhait d'évolution éthique de votre profession ou bien vise-t-elle spécifiquement la PMA pour les couples homosexuels et pour les femmes seules ?
Me Jean Dupont-Cariot. - Certains peuvent être, à titre personnel, favorables à la loi, d'autres non, mais, en tant que notaires, notre réflexion est de nature juridique : comment reconnaître une filiation, par un acte authentique, alors que l'enfant n'est pas encore né, qu'il ne s'agit encore que d'un projet ? Il faut aussi évoquer l'inégalité entre un enfant légitime, qui peut effectuer une action en recherche de paternité, et l'enfant conçu dans le cadre d'une PMA qui ne pourra le faire. On peut donc comprendre que certains notaires considèrent qu'ils ne peuvent conférer l'authenticité à un tel acte. Dans ce cas, ils pourront se déporter et un autre notaire le fera.
M. Guillaume Drago. - Notre proposition serait d'introduire une clause de conscience dans l'ordonnance du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels, qui permettrait de ne pas bloquer la démarche : le notaire qui ne souhaiterait pas instrumenter demanderait au président de la chambre départementale ou interdépartementale de l'Ordre des notaires de désigner un autre notaire volontaire pour établir l'acte. Le notaire ne pourrait faire l'objet d'aucune sanction ou mesure discriminatoire dans le cas où son refus d'instrumenter serait fondé sur l'invocation de sa clause de conscience.
Me Geoffroy de Vries. - Pour les médecins, on pourrait ajouter après l'article L. 2141-12 du code de la santé publique un nouvel article, inspiré de l'article 53 de la loi de bioéthique de 2011.
M. Alain Milon, président. - Les médecins, en vertu du serment d'Hippocrate, ont pour mission première de donner la vie. L'IVG avait un autre but, et c'est pourquoi on a prévu une clause de conscience pour les médecins qui ne souhaitent pas la pratiquer. De la même façon, en 2011 - j'étais rapporteur de la loi au Sénat -, nous avions accordé la clause de conscience aux médecins et aux chercheurs ne souhaitant pas participer à des recherches sur les embryons ou les cellules souches embryonnaires parce que la recherche sur l'embryon entraîne sa destruction. Certains estimaient que cela pouvait être contraire au serment d'Hippocrate ; d'où, la clause de conscience.
Mais les notaires sont des officiers publics. Ils possèdent une délégation d'autorité de l'État pour appliquer la loi. Je comprends mal, dès lors, comment justifier une demande de dérogation pour ne pas appliquer la loi...
Me Geoffroy de Vries. - Vous dites que la première mission des médecins est de donner la vie. En l'occurrence, la PMA pour les femmes seules ou les couples de femmes n'a pas de visée thérapeutique, et si elle a pour effet de donner la vie, ce ne sera pas de manière naturelle, mais de manière quelque peu construite, pour ne pas dire déconstruite... On peut se demander comment évoluera l'enfant lorsqu'il grandira... Quant aux notaires, même s'ils sont dépositaires d'une mission d'autorité publique, il n'en demeure pas moins qu'ils pourraient être amenés à procéder à des actes qui heurtent profondément leur conscience. Il n'existe nul équivalent, nul cas où l'on soit contraint de faire quelque chose par la loi, si on ne l'a pas accepté dès le départ. Être notaire ne signifie pas accepter tout ce que le législateur peur lui demander de faire par la suite.
Me Jean Dupont-Cariot. - Le notaire, en tant qu'officier public, doit exécuter la loi. Le refus d'instrumenter est donc très encadré. Il vise des cas bien spécifiques, comme des actes concernant des fonds dont la provenance est douteuse, etc. C'est justement pour cette raison que nous demandons une clause de conscience. Certains notaires éprouvent un réel malaise au vu de la loi. Il ne s'agit pas de ne pas l'appliquer, car, grâce au déport, un autre notaire sera nommé qui recevra les actes. Les notaires réclament simplement une petite liberté de conscience dans l'exercice de leur profession.
M. Guillaume Drago. - Le Dr Galichon, qui devait faire partie de notre délégation, mais qui a été réquisitionné à cause des grèves, considère que la médecine est un art à visée thérapeutique et non une prestation de service pour répondre à des visées sociétales ou à des désirs personnels. La clause de conscience correspond à la demande d'exercer la médecine conformément à sa vocation professionnelle ou sociale.
M. Michel Amiel. - Je suis médecin. J'ai bien suivi votre raisonnement sur la liberté de pensée, la liberté de conscience et l'objection de conscience. Sans opposer les juristes aux médecins, je suis un peu surpris que vous mettiez sur le même plan l'objection de conscience pour les médecins et les officiers d'état civil. Je précise que je ne suis pas favorable à ce qu'on appelle couramment la PMA pour toutes, mais pour d'autres raisons que celles que vous invoquez. Je ne crois pas, non plus, qu'il faille interpréter la clause de conscience des médecins prévue dans le code de déontologie, comme vous le faites. Le code de déontologie dit simplement que l'on a le droit de ne pas effectuer un acte médical contre son gré, sans détailler. Je ne vois pas un médecin être assez fou pour effectuer un acte qu'il ne saurait pas réaliser !
J'en reviens à votre proposition : si je vous comprends bien, un officier d'état civil pourrait refuser l'inscription de l'enfant après la naissance ?
M. Michel Amiel. - Je veux aussi, comme Mme Jourda, vous demander en quoi cette loi est dérogatoire au droit commun de la filiation ?
Me Geoffroy de Vries. - Si je vous comprends bien, la liberté de conscience n'aurait donc pas la même importance selon qu'il s'agit d'un médecin, d'un officier d'état civil ou d'un maire ?
M. Michel Amiel. - Ce n'est pas une question d'importance. En tant que maire, je vois mal comment je pourrais refuser d'inscrire à l'état civil un enfant pour des raisons éthiques, même si je les partage, bien que pour d'autres motifs !
Me Geoffroy de Vries. - En tant que maire, vous serez donc conduit à reconnaître la filiation d'un enfant qui aurait deux mères et pas de père...
M. Michel Amiel. - Mais l'enfant existe !
Me Geoffroy de Vries. - Ce dont il est question, c'est de retranscrire les actes de filiation, et non de dire que l'enfant existe. Nous affirmons que cela peut heurter certains officiers d'état civil, qui pourraient revendiquer la possibilité de faire jouer une clause de conscience.
M. Michel Amiel. - Dès lors, que préconisez-vous ? Faudra-t-il envoyer les demandeurs chez le maire de la ville voisine ?
Me Geoffroy de Vries. - Comme un médecin, un notaire qui ferait jouer la clause de conscience serait remplacé par un collègue volontaire ou désigné par le président de la chambre professionnelle ; de même, le code général des collectivités territoriales prévoit que le préfet peut substituer un officier d'état civil à un autre, qui serait défaillant.
Nous considérons que la filiation issue d'une PMA organisée pour un couple de femmes est dérogatoire au droit commun, tout d'abord parce que le principe général est la filiation biologique : l'enfant est issu d'un homme et d'une femme ; dans son rapport, le Conseil d'État qualifie d'ailleurs la double filiation maternelle de « fiction juridique ». En outre, ce processus apparaît comme dérogatoire au principe même de la médecine, qui est, comme vous l'avez dit, monsieur le Président, de donner la vie. Nous estimons donc que cette loi est dérogatoire au droit commun de la filiation.
Me Jean Dupont-Cariot. - Je souhaite faire quelques rappels pour terminer. Tout d'abord, l'acte authentique est appelé, dans ce texte, à établir la filiation d'un enfant qui n'est pas encore conçu. Ensuite, j'insiste sur le fait que cet acte peut être dénoncé par une seule des deux personnes concernées. Enfin, je m'interroge sur la responsabilité vis-à-vis de l'enfant, qui, par cet acte authentique, se voit refuser par avance toute demande de recherche en paternité.
Ces trois éléments constituent pour moi autant de difficultés d'ordre juridique.
M. Michel Amiel. - Le troisième point pose en effet problème.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 14 h 30.
Mercredi 11 décembre 2019
- Présidence de Mme Catherine Deroche, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 13 h 45.
Audition de Mme Huguette Mauss, présidente, et de M. Jean-Pierre Bourély, secrétaire général, du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP)
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous prie d'excuser le président Milon, qui nous rejoindra en cours de réunion.
Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique et nous entendons aujourd'hui Mme Huguette Mauss, présidente, et M. Jean-Pierre Bourély, secrétaire général du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP).
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site Internet du Sénat et consultable à la demande.
Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles a été créé par la loi du 22 janvier 2002. Il concerne les personnes pupilles de l'État ou adoptées qui ne connaissent pas l'identité de leurs parents de naissance, car ceux-ci ont demandé la préservation du secret de leur identité lors de l'accouchement, ou lorsqu'ils ont confié l'enfant à un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ou à un organisme autorisé pour l'adoption.
Certains de nos interlocuteurs se sont interrogés sur l'opportunité d'attribuer au CNAOP les missions confiées à la commission ad hoc créée par l'article 3 du projet de loi. Plus largement, vous pourrez nous faire part de l'expérience du CNAOP en matière d'accompagnement à l'accès aux origines personnelles.
Je vous laisse la parole pour un propos liminaire et, ensuite, vous pourrez échanger avec les quatre rapporteurs de cette commission, puis avec l'ensemble de nos collègues qui le souhaiteront.
Mme Huguette Mauss, présidente du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles. - Le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles existe depuis la loi de 2002. Son activité est importante et, au début, elle a même été très importante. La création du CNAOP a suscité un appel d'air. De nouveau, nous avons actuellement une augmentation du nombre des demandes de personnes qui souhaitent accéder à leurs origines personnelles. Nous dénombrions 500 demandes annuelles d'accès aux origines personnelles formulées par des personnes qui sont nés dans le secret, contre 700 aujourd'hui.
La loi de 2002 avait pour objet de faciliter l'accès à ses origines, à son histoire, avec le souci de préserver la santé de la mère et de l'enfant lors de la grossesse et de l'accouchement et d'éviter surtout des abandons sauvages. Elle a essayé d'instaurer un équilibre entre les intérêts de la mère et ceux de l'enfant par le biais de ce dispositif juridique propre à la France. Cette loi s'inscrit aussi dans la Convention internationale des droits de l'enfant. À plusieurs reprises, la jurisprudence a confirmé le bien-fondé de l'organisation et des prises de position relatives à l'accès aux origines pour les enfants nés dans le secret. À ce jour, aucune jurisprudence n'a remis en cause la loi précitée.
Pour accomplir ses missions, le CNAOP dispose à la fois d'une équipe au niveau national - un secrétariat général composé de sept personnes et dirigé par M. Bourély - et d'un réseau de correspondants départementaux. Dans chaque département, deux personnes au moins sont désignées par le président du conseil départemental pour être nos correspondants. Le CNAOP réalise donc un travail de maillage et d'écoute sur l'ensemble du territoire et à un double niveau. Tout d'abord, il oeuvre au moment de l'accouchement pour faire connaître aux femmes qui souhaitent accoucher dans le secret leurs droits, les aides auxquelles elles peuvent prétendre et la suite du processus. J'insiste sur cet aspect souvent méconnu dans l'accès aux origines. Les femmes qui accouchent et demandent le secret sont souvent dans une situation de détresse et ne maîtrisent pas du tout les dispositifs mis en place. Elles ignorent comment les choses s'organiseront lorsque l'enfant atteindra sa majorité, ou l'âge de discernement, et qu'il souhaitera accéder à ses origines.
Environ 100 000 à 150 000 personnes sont nées dans le secret depuis les années 1900 : l'expression alors consacrée « né sous X » est devenue « dans le secret de l'identité de la mère ». Seulement 5 à 10 % des personnes nées dans le secret ont demandé à accéder à leurs origines personnelles.
- Présidence de Mme Élisabeth Doineau, vice-présidente -
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Comment se passe l'accès aux origines ? Quelles recherches peuvent être faites ? Comment la personne a-t-elle connaissance de votre existence ? Comment la procédure se déroule-t-elle ensuite pour l'accès aux origines ?
Mme Huguette Mauss. - Le dispositif est très opérationnel. Les personnes qui souhaitent accéder à leurs origines nous contactent généralement par l'intermédiaire de notre site Internet. Là, elles peuvent télécharger des documents, y compris la demande.
D'autres personnes qui pensent être nées sous X, mais qui disposent de quelques informations sur l'identité de la mère, s'adressent souvent au service de l'aide sociale à l'enfance du département où ils sont nés. Il arrive en effet que certaines personnes disposent d'indications sur l'identité de la mère biologique.
Lorsqu'il y a saisine par un conseil départemental, nous sommes directement informés qu'une personne est à la recherche de ses origines. Un questionnaire plus complet lui est alors envoyé, puis les indications sont vérifiées. Nous commençons nos investigations auprès du conseil départemental, auprès de la maternité où est né l'enfant, mais aussi auprès des registres de l'état civil et d'un certain nombre de partenaires, notamment la justice. À ce stade-là, nous avons des échanges fournis avec les conseils départementaux, notamment nos correspondants dans les départements pour nourrir suffisamment le dossier.
Cette période est un temps important pour aider la personne à formaliser sa demande et l'accompagner, car il existe une appréhension à connaître ses origines, qui peut aussi prendre la forme de fantasmes à l'égard de la mère biologique ayant abandonné son enfant à la naissance.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Concrètement, vos correspondants départementaux rencontrent-ils les personnes en attente de ces informations ? Arrive-t-il que certaines personnes renoncent en cours de route à connaître leurs origines ? Dans quelle proportion ?
Mme Huguette Mauss. - Nous sommes en mesure d'intervenir pour les personnes qui sont nées depuis 2002. Mais souvent, les personnes que nous rencontrons sont nées avant 2002 : des personnes âgées de 50 ans découvrent qu'elles ont été adoptées au moment, par exemple, du décès de leurs parents.
La recherche des origines se décompose en deux temps. La chargée de mission du CNAOP à Paris prend le temps d'entendre, d'expliquer aussi les procédures, les démarches qui seront réalisées avec les différents partenaires pour arriver à identifier et localiser la mère de naissance. Certaines demandes sont suspendues : des personnes éclairées par les correspondants du CNAOP ou les chargés de mission sur l'entourage, l'environnement, le contexte de la prise de relation avec la mère de naissance redoutent de se retrouver face à la mère inconnue. Il y a une attente et une crainte. Certaines personnes préfèrent avoir n'accès qu'à quelques renseignements, à des données non identifiantes telles que le contexte de la naissance ou les quelques caractéristiques de la mère biologique. Dans ce cas, nous suspendons la procédure, nous procédons à une clôture provisoire du dossier, et nous indiquons au demandeur que nous pourrons rouvrir le dossier, à sa demande, quand il le voudra.
Peu de dossiers sont suspendus en cours de route. Sur les 700 demandes que nous recevons chaque année, pour un tiers d'entre elles, nous n'arrivons pas à localiser et à identifier la mère de naissance. Parfois, nous la contactons la personne qui a accouché dans le secret, mais cette mère biologique refuse que le secret soit levé. Elle nous dit qu'un engagement avait été pris à son égard lors de l'accouchement et qu'elle ne se sent pas prête à assumer un contact avec l'enfant abandonné. Doit-on demander à la mère que nous avons identifiée si elle accepte ou non de lever le secret après son décès ? C'est une procédure à plusieurs détentes. Ce sont des mouvements difficiles à gérer, notamment avec l'enfant né dans le secret qui voit aussi les portes se fermer. Dans certains cas, nous suspendons donc le dossier, mais en accord avec l'enfant qui s'est adressé au CNAOP.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Que pensez-vous du projet de loi tel qu'il est rédigé actuellement dans lequel il est fait mention de la création d'une commission pour la mise en oeuvre de l'accès aux origines des personnes nées d'un don de gamètes ? Avez-vous imaginé que la mission qui serait confiée à cette commission ad hoc puisse être remplie par le CNAOP ? Dans ce cas, avez-vous estimé les moyens supplémentaires à envisager pour mener à bien cette mission ? Pensez-vous que le traitement différencié des personnes issues d'un don par rapport aux personnes pupilles de l'État ou des personnes adoptées est justifié ? Pourriez-vous préciser ce qu'est la notion de données non identifiantes ?
Mme Huguette Mauss. - Sur la rédaction du projet de loi Bioéthique, le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles n'est concerné que par l'article 9, qui porte sur l'information en cas de maladie génétique de la parentèle. Lorsqu'une maladie génétique est découverte dans la famille de la mère biologique, comment informer l'enfant né dans le secret qu'il est susceptible de développer la maladie ? Inversement, lorsqu'un enfant né dans le secret est porteur d'une maladie génétique, comment informer la mère biologique, notamment toute la parentèle, qu'elle est susceptible de développer cette maladie génétique ? Cette question a été soumise avant même la rédaction de la loi. Nous avons pris position et souhaitons que la transmission d'informations soit bien organisée entre l'enfant né dans le secret et la parentèle dans un souci de santé publique. L'objectif n'est pas contradictoire avec le maintien du secret. Nous estimons que cette connaissance réciproque doit se faire par le biais d'un généticien. À ce titre, le CNAOP peut jouer un rôle d'intermédiaire entre les généticiens sans pour autant lever le secret.
S'agissant de la deuxième question relative à la commission ad hoc pour les enfants nés de dons de gamètes, le vocable utilisé - accès aux origines personnelles - est très général. Or il cache des réalités très variées.
Pour les enfants nés de dons de gamètes, les conditions de la naissance sont très différentes de celles des enfants nés dans le secret, dans un contexte de naissances non voulues, de situations de détresse des femmes avec la volonté de tourner la page. Dans le cas de dons de gamètes, la démarche est beaucoup plus positive, voire altruiste de la part des donneurs, et il s'agit de la volonté d'un couple de former une famille en ayant recours à des dispositifs médicaux. Les problématiques sont différentes et l'accompagnement n'est pas non plus le même. Dans le cas des enfants nés par dons de gamètes, il y a moins de secrets. Les adoptions d'enfants nés dans le secret, même encore maintenant, sont dissimulées.
J'estime que le CNAOP ne peut répondre à la demande d'organiser l'accès aux origines pour les enfants nés par dons de gamètes. Les Centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (CECOS) ont organisé ces collectes de gamètes. Il y a un acte médical, un accompagnement médical et une coordination de partenaires médicaux. Nous, nous sommes sur des considérations sociales. Je ne doute pas néanmoins que notre expérience et notre savoir-faire puissent aider à la construction des procédures sur le plan administratif. Nous accompagnons d'un point de vue psycho-administratif, pourrais-je dire, la personne qui souhaite accéder à ses origines, ainsi qu'une mère qui est toujours dans la défensive.
Actuellement, les réseaux sociaux et les tests ADN mettent sur la place publique des recherches et des possibilités de retrouver des origines par ce biais. C'est un risque parce des officines sont mercantiles. Nous sommes donc extrêmement attentifs quant aux démarches qui peuvent perturber les recherches des origines.
Les données non identifiantes sont toutes les données qui sont recueillies au moment de la naissance, mais qui ne touchent pas à l'identité, c'est-à-dire au nom, au prénom, à la date de naissance, à l'adresse de la personne. Cela concerne toutes les autres données : les conditions de l'accouchement, les informations données par la mère au moment de la naissance. Dans le cadre de la loi de 2002, un décret a permis en annexe d'établir un document dans lequel la correspondante du CNAOP au niveau du conseil départemental qui rencontre la femme au moment de l'accouchement consigne un certain nombre d'informations : la couleur des yeux, le type, tous les renseignements que la mère veut bien donner au moment de la naissance. Il y a une démarche d'empathie de la part de la personne qui rencontre la femme qui accouche dans le secret pour obtenir le maximum d'informations dans l'intérêt de l'enfant, en lui précisant que le secret ne sera levé qu'avec son accord. Le principe de base du CNAOP, c'est la rencontre de deux volontés : celle de l'enfant, de retrouver sa mère biologique, et celle de la mère biologique de rencontrer son enfant. La convergence des volontés doit exister.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - J'aurais souhaité que vous nous parliez des personnes ayant eu accès à leurs origines et des bénéfices qu'elles en retirent sur le plan psychologique, sur le plan de la santé ?
Vous nous avez fait part de votre volonté de concilier la volonté de l'adulte et celle de l'enfant. L'intérêt de l'enfant n'est-il pas une notion qui prime de plus en plus et devrait emporter la décision ?
Mme Huguette Mauss. - Une enquête de satisfaction a été réalisée en 2014 et 80 % des enfants sont satisfaits d'avoir eu accès à leurs origines. Néanmoins, il existe des nuances. Certains ont vécu des déceptions, ont vu leurs fantasmes et leurs espoirs brisés. Certains enfants adultes peuvent devenir agressifs avec les mères biologiques au motif qu'elles les ont abandonnés. Certaines mères biologiques sont harcelées par des enfants qui leur adressent beaucoup de reproches. Dans la grande majorité des cas, les personnes sont satisfaites de la rencontre. Cependant, il n'y a pas toujours de suite. Chaque histoire est particulière, mais nous essayons de mettre des chiffres sur ce que nous faisons et de regarder les grandes tendances. La moitié des mères que nous sollicitons refusent de lever le secret. Même vingt ou trente ans après, elles sont toujours dans ces mécanismes de défense. À long terme, les enfants estiment que la levée du secret les a aidés à se construire, à prendre de la distance et à ne plus vivre dans le fantasme.
L'intérêt supérieur de l'enfant est la question qui revient très régulièrement dans nos débats. Notre porte d'entrée, c'est l'enfant. Nous ne faisons jamais de démarche à la demande des mères biologiques. Nous faisons tout dans l'intérêt de l'enfant. C'est le droit de l'enfant à connaître ses origines. On ne peut cependant pas aller au-delà des volontés des personnes. Nous mettons à la disposition des enfants toutes les informations dont nous disposons et nous faisons en sorte que la mère accepte de lever son identité pour aller jusqu'au bout de la démarche. Pour nous aussi, il est difficile de ne pas aller jusqu'au bout de la démarche, mais on respecte les personnes, et nous essayons de ne jamais clôturer définitivement un dossier.
M. Olivier Henno, rapporteur. - Merci pour votre extrême humanité. Avant de poser ma question, permettez-moi de raconter l'expérience d'un proche. À l'âge de trente ans, après avoir été adopté, il a décidé de connaître ses origines et a interrogé le CNAOP. Sa mère qui avait souhaité un accouchement sous X a refusé de révéler son identité. L'enfant adulte a toutefois réussi à obtenir l'information de la part du responsable du département chargé de cette question. Il va mieux, mais a vécu une terrible dépression, car il n'a pu résoudre la question essentielle de savoir pourquoi il n'avait pas été désiré. La responsable du département a fini - c'est inimaginable ! - par révéler l'identité de la mère. Cet exemple permet de prendre conscience de l'idéalisation de la situation : la vie est parfois beaucoup plus complexe que ce que l'on imagine. Cette personne n'a pas réussi à répondre à la question essentielle : pourquoi n'a-t-elle pas été aimée ? C'est une question complètement différente de celle qui se pose dans le cadre d'un don.
Il me semble donc important que ce secret soit préservé, parfois même dans l'intérêt de l'enfant. On apprend que cela se passe bien dans 80 % des cas, mais ce chiffre est déclaratif : qui sait ce que cette information produit en réalité dans la psychologie personnelle des intéressés ?
Selon vous, la société ne pousse-t-elle pas les mères à révéler leur identité ? Pourra-t-elle tenir bon et défendre ce droit au secret qui me semble essentiel ?
Mme Huguette Mauss. - Nous sommes tous les jours confrontés au problème de la préservation du secret voulu par la mère : dans la moitié des dossiers, la mère refuse de lever le secret, et c'est toujours une interrogation pour nous. C'est pour cela que j'évoquais la procédure qui permet, tant que l'état de santé de la personne le permet, de prévoir une révélation de son identité après son décès. Or certaines personnes refusent de lever le secret, même après leur mort. C'est la situation la plus difficile pour nous, en particulier dans le cadre de maladies génétiques. Le contact physique est peut-être trop violent, pour l'un comme pour l'autre, mais, en cas de maladie génétique, c'est difficile à accepter, dès lors que l'on sait qu'il existe un risque pour la parentèle.
Parfois, en revanche, le secret préserve les intérêts de la mère biologique comme ceux de l'enfant. Nous adoptons une démarche d'accompagnement, et je suis admirative de l'équipe du CNAOP et de nos correspondants départementaux pour le temps et l'attention qu'ils consacrent à l'accompagnement des demandeurs dans leurs démarches afin de leur éviter de trop fantasmer sur l'autre partie et les conséquences qui en découleront.
M. Dominique de Legge. - S'agissant de l'accès aux origines, aujourd'hui, le droit, c'est de garder l'anonymat, mais le régime offre la possibilité, sous réserve du consentement de la mère, de le lever. La même question se pose en ce qui concerne la procréation médicalement assistée (PMA). Peut-on fonctionner avec deux régimes différents, l'un relevant des enfants nés sous X, dans lequel le droit au secret est défendu, et l'autre, qui crée un droit d'accès aux origines, concernant notamment les enfants nés par PMA ?
Mme Huguette Mauss. - Il n'y a pas que deux régimes : pensons, par exemple, aux enfants nés à l'étranger. L'accès aux origines est un droit inscrit dans les textes fondateurs du CNAOP et qui repose sur le respect des droits des personnes. Or, depuis 2002, la loi pose le principe selon lequel les femmes ont le droit d'accoucher dans le secret et de ne révéler leur identité qu'après consultation.
Dans le cadre de la loi Bioéthique, le dispositif pour identifier le don de gamètes est prévu d'emblée. Cela permettra de révéler les données identifiantes en plus des non identifiantes. Tant que la loi n'est pas votée, en effet, il n'existe pas d'obligation, pour le donneur de gamètes, d'accepter de donner son nom. Des informations non identifiantes seront révélées, mais pas les autres.
Je ne veux pas dresser de parallélisme entre les enfants nés dans le secret et ceux qui sont nés par don de gamètes. En effet, tout le dispositif est important, pas seulement le vocable et j'insiste, une fois encore, sur l'accompagnement psychologique des enfants nés dans le secret et de la mère. Le problème ne se pose pas dans les mêmes termes pour des donneurs de gamètes et les enfants nés par don.
C'est une position personnelle, mais les conditions de la naissance et de l'accès aux informations ne sont pas dans le même registre. Aujourd'hui, les réseaux sociaux et les tests ADN donnent des informations à tout-va, mais je mets en garde contre ces procédés qui peuvent être désastreux, aussi bien pour les enfants nés dans le secret que pour ceux nés par don de gamètes.
M. Yannick Vaugrenard. - Les enfants nés de dons de gamètes, comme les donneurs, peuvent également avoir besoin de soutien psychologique, mais les Cecos ne semblent pas armés pour cela. Selon vous, le CNAOP pourrait-il participer à cet accueil psychologique, à condition de disposer de moyens plus importants ?
En ce qui concerne les maladies génétiques, j'ai compris qu'il n'existait pas d'obligation d'information de la part de la femme qui a accouché sous X. Je me permets de dresser encore un parallèle avec le don de gamètes, mais il me semble que cela devrait au contraire être obligatoire, quel que soit le cas de figure. À défaut, nous sommes presque dans une situation de non-assistance à personne en danger. Ne pourrait-on pas obliger à partager cette information tout en conservant l'anonymat ?
Mme Huguette Mauss. - S'agissant de la capacité des Cecos à mener l'accompagnement psychologique, nous sommes, quant à nous, structurés autour des conseils départementaux, et j'ai déjà indiqué que le CNAOP était prêt à partager son expertise d'accompagnement dans le cadre de la commission ad hoc. Les collaborations peuvent être très importantes, mais, à mon sens, l'intensité de l'accompagnement psychologique sera moindre dans le cas des dons de gamètes que dans celui des enfants nés dans le secret. Nous sommes, en tout état de cause, prêts à partager notre expérience ; nous dispensons d'ailleurs chaque année des formations dans les départements pour animer notre réseau et partager nos pratiques.
Sur les maladies génétiques, j'entends votre question, mais l'article 9 a été rédigé de façon similaire à celui qui concerne le don de gamètes. Le législateur devait choisir entre « doit » et « peut », et il a choisi le second terme.
Lors de la naissance, nous insistons auprès de la mère pour que celle-ci laisse des informations dans le pli fermé sur son identité, dans un souci de santé publique.
Mme Élisabeth Doineau, présidente. - Merci madame la présidente, pour la clarté de vos propos ainsi que pour cette relation que vous avez su tisser avec les départements, notamment en matière de formation. Vous nous fournissez des éléments utiles, en particulier dans le cadre des conseils de famille.
Lors de nos autres auditions, nous avons beaucoup entendu que vous pourriez prendre la responsabilité de l'accompagnement, mais vos propos nous éclairent.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 14 h 25.
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 19 h 05.
Audition de M. Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune
M. Alain Milon, président. - Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique avec l'audition de M. Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune. Avant de donner la parole à notre invité et alors que nos auditions touchent à leur fin, je rappelle que les auditions plénières ne sont pas nos seuls travaux et que les auditions des rapporteurs, qui sont nombreuses, sont ouvertes à l'ensemble des membres de la commission spéciale. Elles sont le lieu d'échanges aussi interactifs qu'approfondis, ce qui est moins le cas en formation plénière où le nombre des intervenants contraint parfois les débats. Les auditions des rapporteurs ne sont donc pas des sous-auditions.
Les demandes d'auditions sont très nombreuses. Je m'en réjouis, car elles témoignent de l'intérêt porté à nos travaux ; mais elles ne peuvent être toutes satisfaites. On peut le regretter, mais on peut noter également que les travaux du Sénat ne partent pas d'une table rase : ils bénéficient de l'ensemble des travaux antérieurs, notamment de ceux des États généraux de la bioéthique, qui ont permis une très large expression. Nos choix sont humains, ils sont donc imparfaits. En revanche, je récuse les procès d'intention sur les orientations supposées qui gouverneraient nos choix et dont j'observe qu'ils émanent de structures ayant des points de vue très différents. Le pluralisme, l'écoute et le respect sont la marque de nos travaux et j'entends, en ma qualité de président de cette commission spéciale, y veiller.
Ce n'est donc pas une brimade que de proposer une audition par un rapporteur. C'est néanmoins bien volontiers que nous accueillons, à sa demande, notre invité avec une captation vidéo.
M. Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune. - Je vous suis très reconnaissant d'avoir accepté de m'auditionner. Je concentrerai mon propos sur deux sujets : le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies (DPI-A) et la recherche sur l'embryon.
J'ai quelques scrupules à commencer par un sujet qui n'est pas dans le texte transmis par l'Assemblée nationale, mais qui a été porté par un amendement centriste, rejeté par le Gouvernement et non adopté par l'Assemblée nationale, qui pourrait resurgir au Sénat. Cet amendement visait à étendre le diagnostic préimplantatoire (DPI) aux aneuploïdies et donc, notamment à la trisomie 21. Il s'agit, selon ses promoteurs, d'améliorer le taux d'implantation de l'embryon et de diminuer le nombre de fausses couches, dans le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA).
Le DPI est légal pour les parents qui recourent à la PMA parce qu'ils sont porteurs d'une maladie génétique d'une particulière gravité. Mais la question d'étendre ce DPI à d'autres maladies d'origine génétique, mais non héréditaire - notamment en examinant les chromosomes de l'embryon -, fait débat depuis plusieurs années. Il s'agit du DPI-A, communément appelé « DPI de la trisomie 21 », mais qui recouvre aussi d'autres types de trisomie. À l'occasion de cette troisième révision de la loi Bioéthique, la revendication d'étendre le DPI à la trisomie 21 a donc resurgi au motif d'améliorer les performances de la PMA.
Le premier argument utilisé par Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé, pour rejeter l'amendement, c'est l'argument de l'eugénisme : elle a considéré que le DPI était eugéniste par nature. Je cite ses propos : « autoriser cette pratique conduirait manifestement à une dérive eugénique », « je sais depuis le début de l'élaboration de ce projet de loi que ce serait la question éthique la plus fondamentale et la plus complexe », « une telle décision est lourde à l'échelon collectif, je suis par conséquent très mal à l'aise. »
Son deuxième argument est scientifique, car l'extension du DPI repose sur des arguments scientifiques controversés. En effet, la diminution du nombre de fausses couches après un DPI-A n'est pas établie et la littérature scientifique en ce domaine est divisée ; il n'y a aucun consensus scientifique dans ce domaine, y compris dans les articles récents. Le Pr Bonnefont l'a confirmé lors de son audition par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la révision de la loi relative à la bioéthique: « l'augmentation des chances de grossesse après un test d'aneuploïdie n'a jamais été formellement démontrée. » Bien au contraire, il est courant et connu que certaines de ces anomalies se régularisent d'elles-mêmes dans les premiers jours du développement de l'embryon, avant l'implantation. Plusieurs travaux, y compris récents, sont parus sur cette autocorrection de l'embryon. Le Pr Bonnefont a aussi montré que ces techniques de DPI étaient délicates et qu'elles exposaient à des risques de faux positifs ou de faux négatifs : des aneuploïdies peuvent être limitées au placenta et laisser l'embryon sain. Enfin, le DPI-A peut abîmer, voire détruire, l'embryon. Il y a donc des incertitudes suffisantes pour ne pas élargir cette technique à d'autres pathologies, ainsi que l'a confirmé Mme Buzyn.
Le troisième argument de la ministre, auquel je suis assez sensible, est la question du financement et du coût de cette extension, car une généralisation serait inévitable. L'amendement ne proposait l'extension du DPI qu'aux couples qui ont recours à une PMA, mais qui étaient éligibles au DPI pour une maladie héréditaire, mais pas pour tous les couples ayant recours à la PMA. On va donc avoir deux types de couples qui ont recours à la PMA : ceux qui ont droit au DPI parce qu'ils ont une maladie héréditaire familiale - la myopathie par exemple - et les autres couples, qui sont beaucoup plus nombreux, et qui ont recours à la PMA pour des questions d'infertilité, mais qui ne sont pas éligibles au DPI. Je ne vois pas très bien quel argument on va pouvoir invoquer pour dire que l'extension du DPI ne sera ouverte qu'aux uns et pas aux autres ! Or ces deux groupes sont dans un statut d'égalité totale au regard de la trisomie 21, qui est certes une maladie génétique, mais pas une maladie héréditaire. Mme Buzyn s'est donc interrogée sur ce point : quelle garantie avons-nous, si nous passons ce cap, de ne pas aller au-delà ? Car les chiffres donnent le vertige : on passerait d'une moyenne annuelle de 250 couples concernés par un DPI à 150 000 ! Une PMA avec DPI coûte près de 20 000 euros, cela ferait donc une dépense de l'ordre de 3 milliards d'euros.
Cet amendement ouvrirait la boîte de Pandore : c'est toujours par la trisomie 21 que l'on commence, mais ensuite, dans la mesure où nous avons accès à l'ensemble du génome, il n'y a aucune raison de ne pas en profiter pour vendre d'autres diagnostics. Les laboratoires y trouveront leur compte ! Le Pr Bonnefont a également souligné « l'enjeu financier tout à fait intéressant pour les laboratoires, en particulier les établissements privés, qui vont développer ce type de tests ». « Faisons attention à ne pas nous laisser intoxiquer par des professionnels qui auraient des arrière-pensées plus financières que médicales », nous dit le Pr Bonnefont.
Permettez-moi, en tant que président de la Fondation Jérôme Lejeune, qui a créé la plus grande consultation médicale d'Europe spécialisée sur la trisomie 21 et d'autres pathologies avec retard mental et qui a relancé une recherche à visée thérapeutique, d'ajouter un élément important, qui est le fruit de notre expérience : on ne peut pas soutenir le projet d'une société inclusive et dégrader en même temps l'image de la trisomie 21 en la rendant responsable des déboires de la PMA. Car il s'agit bien de cela : éliminer des embryons qui sont susceptibles de dégrader les performances statistiques de la PMA. Or les dépistages conduisent d'ores et déjà, dans 96 % des cas, à éliminer cette population trisomique : en pratique, il ne naît plus d'enfants trisomiques 21, hormis bien sûr le souhait des parents. Nous sommes donc déjà dans une société qui élimine certains types d'anomalies génétiques ou certains types de disgrâces physiques détectées par des machines et des algorithmes : disons les choses comme elles sont ! Je le dis souvent : c'est la première fois dans l'histoire de la médecine que la médecine a rendu mortelle une pathologie qui ne l'est pas ; la trisomie 21 est une affection qui est certes grave, mais pas mortelle - nos patients les plus âgés ont entre 70 et 75 ans et leur espérance de vie continue de progresser. Comment peut-on espérer changer notre regard sur les personnes handicapées si l'eugénisme se renforce à chaque évolution technique, qui n'est pas forcément un progrès ?
Il existe un risque que cet amendement soit redéposé au Sénat parce que les principales institutions interrogées ou qui se sont prononcées lors du débat à l'Assemblée nationale sont favorables à cette extension du DPI : le Conseil d'État, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT), la mission d'information parlementaire, l'Agence de la biomédecine (ABM). Mme Buzyn a tenu ferme sur ce point : c'est une sage décision.
Nous recevons 10 000 patients chaque année, de la pédiatrie à la gériatrie. Le plus difficile n'est pas d'accueillir les patients et leurs familles. Comment progresser sur la thérapeutique quand on entend des propos tels que ceux qui ont été tenus à l'Assemblée nationale en séance publique ? Le député Philippe Berta a osé parler des enfants trisomiques en les comparant à des « légumes » ! Le député Philippe Vigier a eu ces mots terribles : « il faut traquer, oui je dis : traquer, les embryons porteurs d'anomalies chromosomiques. » Dans quel pays, à quelle époque vivons-nous ? Quel message les pouvoirs publics envoient-ils aux personnes que nous accueillons dans nos consultations ? Ces propos relèvent d'un racisme chromosomique. Ils sont méprisants, donc méprisables.
J'ai eu la chance, ou l'honneur, de suivre l'élaboration des quatre lois de bioéthique, mais de cinq révisions du cadre de la recherche sur l'embryon, car, étonnamment, il y a plus de révisions du cadre de la recherche sur l'embryon que de lois de bioéthique : en 1994, la loi interdisait la recherche sur l'embryon ; une dérogation temporaire a été ouverte en 2004 ; cette dérogation a été pérennisée en 2011 ; la recherche a été autorisée sous conditions en 2013 ; une dérogation à la dérogation, pour faciliter la recherche qui améliore la PMA, a été prévue en 2016 ; et finalement, toutes les conditions vont être supprimées en 2020. Deux de ces modifications du cadre juridique de la recherche sur l'embryon n'ont pas fait l'objet de lois de bioéthique, alors qu'elles auraient dû le faire.
Le sens de cette évolution témoigne d'un malentendu. Les parlementaires, les médias, les experts se félicitent régulièrement des garde-fous posés par les lois de bioéthique ; mais cette saga législative française d'un quart de siècle démontre exactement le contraire : on est passé de l'interdiction de la recherche sur l'embryon à l'interdiction de s'y opposer, du respect de l'embryon, qui était premier il y a 25 ans, au principe de son non-respect aujourd'hui. Les lois de bioéthique n'ont eu de cesse de déréguler la recherche sur l'embryon ; elles n'ont pas protégé la dignité de l'embryon, elles ont protégé l'intérêt des chercheurs.
La technoscience a fait croire à la médecine, qui a fait semblant de le croire, que si les embryons surnuméraires n'étaient pas utilisés, ils ne devaient pas être inutilisables, leurs cellules souches étant promises à un grand avenir thérapeutique. L'ABM, créée en 2004 à cet effet, a alors autorisé des recherches sur l'embryon. Mais rien ne s'est passé comme prévu : contrairement aux attentes triomphalistes, les espoirs placés dans les vertus curatives de l'embryon ont été déçus. C'est pourquoi, faute d'apporter la gloire, on demande à l'embryon humain de rapporter de l'argent. Objet de toutes les promesses, l'embryon est devenu l'objet de toutes les richesses. Hier, l'embryon devait nous guérir de tout et, aujourd'hui, il doit nous servir à tout.
C'est pourquoi il est aujourd'hui demandé au législateur de faire disparaître les dernières protections formelles de l'embryon qui sont présentées comme la cause des échecs de la recherche ; la recherche serait tellement brimée que les chercheurs n'arriveraient pas à trouver ; certains chercheurs expliquent d'ailleurs leurs insuccès par l'insécurité juridique due à la Fondation Jérôme Lejeune quand celle-ci recourt au juge pour faire respecter les lois. Moins la recherche sur l'embryon apporte la preuve de sa pertinence, et plus il faudrait l'affranchir de toute contrainte pour l'inscrire dans une finalité industrielle et commerciale. Certains scientifiques n'hésitent pas à dire qu'il ne faut pas « rater le virage industriel » !
Or, en quoi le fait de remplacer une autorisation de recherche par une simple déclaration du chercheur, de ne plus poursuivre de finalité médicale, de ne pas privilégier les cellules souches pluripotentes induites (induced pluripotent stem cells - iPS) comme des alternatives aux cellules embryonnaires et l'embryon animal comme alternative à l'embryon humain, de ne plus produire le consentement des parents, de ne plus rendre compte de la traçabilité des embryons, de repousser la limite de la conservation de l'embryon de sept à quatorze jours, serait-il favorable aux découvertes scientifiques ? Faudrait-il vraiment alléger toutes ces formalités absurdes établies par des législateurs absurdes ? En revanche, on voit bien que l'allégement législatif facilitera la production massive de cellules souches embryonnaires par des start-up ou des sociétés à but lucratif, dans une perspective utilitariste, dont d'ailleurs on ne comprend pas comment elle s'accommode du principe de non-patrimonialité du corps humain.
La recherche sur l'embryon n'est pas une question de techniques ou de procédures, c'est une question de principe. On attend du législateur, et certainement encore plus du Sénat, une réponse de sagesse. Le législateur va-t-il suivre la jurisprudence administrative qui a tendance à ne pas annuler des autorisations pourtant illégales délivrées par l'ABM à des scientifiques qui ne se cachent pas d'anticiper des transgressions nouvelles de la loi ?
- Présidence de Mme Catherine Deroche, vice-présidente -
M. Jean-Marie Le Méné. - L'article 17 du projet de loi supprime l'interdiction de créer des embryons transgéniques, ce qui permettra la création en laboratoire d'embryons génétiquement modifiés. Le ciseau génétique CRISPR-Cas9 - clustered regularly interspaced short palindromic repeats - associated protein 9 - courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées - ainsi que la technique de transfert nucléaire dite de la « fécondation in vitro (FIV) à trois parents » pourront être expérimentés sur des embryons humains, par transgenèse ; cela se réalise d'ailleurs déjà sans attendre la modification de la loi. Le législateur va-t-il réguler ou simplement régulariser cette transgression déjà anticipée par les chercheurs ? Je me suis entretenu avec certains chercheurs concernés qui ne m'ont pas caché qu'ils étaient effectivement dans une transgression de la loi en vigueur. Ces techniques de transgenèse, et en particulier celle du CRISPR-Cas9, sont au coeur du débat sur l'embryon.
Bien entendu, aujourd'hui, il n'est pas envisagé de réimplanter l'embryon ainsi modifié parce qu'il existe encore un garde-fou ; mais il va sauter bien évidemment ! La vocation du non-transfert à des fins de gestation est un prétexte rassurant pour obtenir une transgression nouvelle. Il est bien connu que, pour obtenir une transgression nouvelle, il faut mettre un barrage à la transgression immédiatement suivante, comme cela a été le cas pour la PMA. La question se pose puisqu'il est question de demander une réinterprétation de l'article 13 de la Convention d'Oviedo, seul dispositif international qui protège l'embryon humain, afin d'autoriser l'embryon génétiquement modifié. Dans ces conditions, on a beau jeu de montrer la Chine du doigt alors que l'on prend la même voie ! Jamais la recherche sur l'embryon humain n'a été autant dérégulée.
On s'est ému à juste titre du forçage des gènes du moustique pour faire des moustiques qui ne se reproduisent pas. Mais ces gènes qui ne devaient pas se transmettre se sont transmis, et on a maintenant une population de moustiques qui présente trois types de génomes modifiés différents, apparus sans que l'on comprenne pourquoi et dont l'impact sur la santé publique est absolument inconnu. Qu'en sera-t-il si l'on accepte de modifier génétiquement l'embryon humain ? Il n'est pas envisagé de réimplanter l'embryon ainsi modifié, mais il existe néanmoins un régime de recherche, voté en 2016 à la sauvette, qui le prévoit : c'est le régime de recherche biomédicale sur l'embryon pour améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation (AMP).
Il n'est pas nécessaire d'être scientifique pour soutenir que l'embryon humain n'est pas un médicament, ni un réactif de paillasse, ni un substitut aux animaux de laboratoire, ni un être de non-droit voué à des oeuvres clandestines. S'il y a un domaine où l'activité humaine doit être responsable et solidaire, c'est bien à l'égard de la recherche, qui porte sur l'humain. « Traquer » tous les embryons humains trisomiques, comme l'a malheureusement dit un parlementaire, ou détruire des centaines d'embryons humains dans des projets de recherche ne paraît ni responsable ni solidaire. Dans des autorisations de recherches récemment délivrées par l'ABM et publiées au Journal officiel, j'ai lu qu'un programme de recherche avait l'autorisation de détruire 70 embryons par an sur cinq ans, soit 350 embryons humains détruits pour une recherche et qu'un autre avait l'autorisation de détruire 150 embryons humains par an sur cinq ans, soit 750 embryons : c'est totalement déraisonnable !
« L'éthique va de pair avec la qualité scientifique. » Ce n'est pas de moi, c'est l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui l'écrit au sujet de l'expérimentation animale. Toute une littérature a été développée autour du respect des animaux de laboratoire qui impose de réduire le nombre des animaux, de les remplacer partout où c'est possible, d'obtenir une autorisation du ministère de la recherche pour tout projet de recherche sur l'animal ainsi qu'évaluation favorable du comité d'éthique - il y a 526 comités d'éthique sur l'expérimentation animale en France. Tout cela est extrêmement encadré. Mais s'agissant de l'embryon humain : on ne réduit pas le nombre des embryons utilisés - on les augmente dans des proportions délirantes -, on ne remplace pas le modèle de l'embryon humain par un modèle animal - on considère au contraire que la recherche sur l'embryon humain est une alternative à la recherche sur l'animal : les choses sont inversées ! -, on ne demandera plus d'autorisation - une simple déclaration suffira -, etc. Toute activité humaine doit être responsable et solidaire, c'est aujourd'hui le maître mot dans tous les domaines de l'activité humaine, il n'y a pas de raison que dans le domaine de la recherche sur l'embryon, ces qualificatifs soient oubliés.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - S'agissant du DPI-A, vos propos tournent essentiellement autour de la trisomie 21 : je trouve cela un peu réducteur, car il n'y a pas que la trisomie 21 et même, ce n'est souvent pas la trisomie 21 qui est le problème. Vous acceptez que l'on puisse faire un DPI pour rechercher une anomalie génétique, mais pourquoi ne pas rechercher une anomalie chromosomique, au-delà de la seule trisomie 21 ?
Sachez que nous sommes un certain nombre de parlementaires à prôner l'inclusion des personnes handicapées et ce serait faire un mauvais procès d'intention à cette commission spéciale, et au Sénat tout entier, que de prétendre le contraire.
M. Jean-Marie Le Méné. - Un sous-amendement du groupe centriste, présenté lors de l'examen à l'Assemblée nationale, permettait de rechercher toutes les anomalies chromosomiques à l'exclusion de la trisomie 21. Mme Buzyn a fait une réponse de médecin : on ne peut pas demander à un médecin de ne pas voir ce qu'il voit et l'obliger à mentir à son patient. Le sous-amendement n'a pas été adopté.
La trisomie 21 est une maladie génétique, chromosomique, mais pas héréditaire. Je ne suis pas un ardent défenseur du DPI, mais il se conçoit pour les maladies héréditaires, par exemple pour les familles qui ont eu plusieurs enfants atteints d'une myopathie. Mais ces personnes n'ont pas de risque particulier d'avoir une trisomie 21 : il ne serait pas juste de leur permettre de diagnostiquer une trisomie 21 et de l'interdire aux couples qui ont recours à la PMA sans DPI - ils sont 150 000 par an. Et si l'on recherche les accidents de la nature qui ne sont pas prévisibles héréditairement, on va tomber aussi sur le sexe. C'était l'argument principal que j'ai développé dans le livre que j'ai écrit sur le transhumanisme, en parlant des premières victimes du transhumanisme.
Il existe un marché mondial de la trisomie 21, de l'ordre de dix milliards de dollars et qui cible une clientèle féminine captive, à qui l'on fait peur d'avoir un enfant atteint de trisomie 21, une maladie qu'on ne devrait plus avoir. Il existe un ordre médical et scientifique établi pour lequel il n'y a plus de trisomie 21. Soyons clairs : il ne s'agit pas de philanthropie...
M. Guillaume Chevrollier. - Vous avez évoqué des intérêts particuliers. Pensez-vous que des intérêts financiers sont à l'oeuvre derrière ce projet de loi ? Si oui, pouvez-vous nous en dire plus ?
M. Jean-Marie Le Méné. - On est en train de passer à l'industrialisation et au recours au monde du privé. Des autorisations ont été délivrées par l'ABM pour fabriquer des cellules souches embryonnaires, mais pour le moment ces cellules souches embryonnaires ne sont absolument pas utilisées dans une perspective thérapeutique. D'abord, parce qu'il est extrêmement difficile de maîtriser leur développement. Ensuite, parce que ces cellules souches embryonnaires, greffées sur un organisme adulte à réparer ou à soigner, peuvent faire l'objet d'un rejet immunitaire. C'est pourquoi, depuis vingt ans, pratiquement rien ne se fait sur le plan thérapeutique. En revanche, ces cellules souches embryonnaires sont utilisées pour faire de la modélisation de pathologies et du screening moléculaire. Les laboratoires utilisent ce type de support alors qu'ils pourraient parfaitement utiliser d'autres types de cellules souches - des cellules souches animales ou des iPS - qui ne posent aucun problème éthique et qui présentent toutes les particularités requises pour se prêter à du ciblage moléculaire.
Depuis vingt ans, on a capitalisé sur l'embryon en se disant qu'après la thérapie génique, on allait basculer sur la thérapie cellulaire. Mais malgré tout l'argent, les subventions, les laboratoires, les matériels, les investissements, etc., la thérapie cellulaire ne porte pas ses fruits. Mais, comme il faut rentabiliser tout cela, on passe à l'ère industrielle : ces sociétés sont des sociétés lucratives, financées par le Téléthon. Je ne sais pas s'il y a des conflits d'intérêts : je n'ai pas investigué et je n'ai aucune raison de porter des soupçons sur qui que ce soit. Mais on a changé de logique : lorsque le Sénat et l'Assemblée nationale ont autorisé pour la première fois la recherche sur l'embryon, c'était dans le cadre d'un intérêt thérapeutique majeur. Mais tout s'est écroulé : l'intérêt thérapeutique majeur n'existe plus et même l'intérêt médical va être balayé. Seule reste la production de cellules embryonnaires que l'on va vendre. Or il s'agit d'éléments du corps humain auxquels s'applique le principe de non-patrimonialité inscrit au code civil et au code de la santé publique.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du our a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 45.
Jeudi 12 décembre 2019
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 10 h 20.
Audition de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine
M. Alain Milon, président. - Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique avec l'audition de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine.
Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo en vue de sa retransmission sur le site du Sénat.
Pour éclairer le débat sur la révision de la loi de bioéthique, plusieurs documents de référence sont disponibles : le rapport issu des États généraux de la bioéthique conduits sous l'égide du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), le bilan de l'application de la loi de bioéthique par l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (Opecst) ou encore l'étude rédigée par le Conseil d'État. Le rapport sur l'application de la loi de bioéthique, publié en janvier 2018, a constitué le premier de ces documents publiés sur la réforme en cours. Il est très clair et très pédagogique sur les sujets parfois techniques dont l'Agence a la responsabilité. C'est pourquoi j'ai souhaité que notre commission vous entende aussi rapidement que votre nomination, effective depuis le 30 octobre dernier, le permettait.
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine. - Je vous remercie de m'avoir conviée pour évoquer le projet de loi relatif à la bioéthique. J'exerce mes fonctions depuis un mois et demi.
L'Agence de la biomédecine a été créée par la loi du 6 août 2004, dans la continuité de l'Établissement français des greffes. Ses activités se déploient dans quatre grands domaines qui ont en commun de requérir l'utilisation à des fins médicales ou scientifiques d'éléments ou de produits issus du corps humain : l'Agence de la biomédecine est ainsi compétente en matière de prélèvement et de greffe d'organes et de tissus, de prélèvement et de greffe de cellules souches hématopoïétiques - c'est-à-dire de moelle osseuse -, de procréation, d'embryologie et de génétique humaine. Ces domaines sont tous très largement régis par des dispositions issues des lois de bioéthique, et il est donc tout à fait naturel que l'Agence soit amenée à contribuer au débat en partageant l'expertise médicale, scientifique, juridique et éthique dont elle peut se prévaloir. Elle y contribue en restant fidèle au positionnement institutionnel qui est le sien : l'Agence est un établissement public administratif placé sous la tutelle du ministère de la santé ; ce statut exclut qu'elle puisse prendre position dans les débats de société, qui relèvent exclusivement de la représentation nationale ; en tant qu'organe administratif chargé d'une fonction d'expertise, l'Agence n'a pas vocation à y participer, et il est normal que, sur un certain nombre de sujets, elle choisisse délibérément de conserver une certaine neutralité.
L'Agence de la biomédecine a pris une part active au travail de préparation du projet de loi qui vous est soumis. Elle a répondu aux sollicitations des parlementaires. Elle a produit trois documents, qui ont alimenté les travaux de réflexion : un état des lieux de l'encadrement juridique international, un rapport d'information au Parlement et au Gouvernement sur l'état des connaissances et des sciences - actualisé en décembre 2017 - et un bilan de l'application des précédentes lois de bioéthique. L'Agence de la biomédecine a par ailleurs suivi de très près les débats à l'Assemblée nationale en première lecture.
Le projet de loi prévoit l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes non mariées. Ce choix relève typiquement d'un débat de société dans lequel l'Agence de la biomédecine n'a pas d'observation particulière à faire valoir. Si l'évolution envisagée a lieu, l'Agence sera en mesure de soutenir sa mise en place dans les centres d'AMP et les centres de conservation des oeufs et du sperme en adaptant ses règles de bonnes pratiques. C'est le sens de l'ajout auquel les députés ont procédé au 4°bis de l'article L. 2141-1 du code de la santé publique.
Le projet de loi envisage d'instituer un droit d'accès à l'origine pour l'ensemble des enfants issus d'une AMP avec recours à un tiers donneur. Le système proposé prévoit, d'une part, la création d'une commission ad hoc placée auprès du ministre chargé de la santé qui aura pour mission de recevoir les demandes des enfants issus du don, ainsi que le cas échéant, celles des donneurs qui souhaiteraient savoir combien d'enfants ont été conçus à partir de leurs gamètes ; d'autre part, la mise en place d'un registre tenu par l'Agence de la biomédecine qui permettra, sur saisine de la commission ad hoc, d'avoir accès aux données nécessaires pour répondre à ces deux types de demandes. Pour rendre possible l'exercice de ce droit d'accès aux origines pour tous les enfants conçus avec recours à un tiers donneur, le projet de loi modifie le régime juridique du don de gamètes en prévoyant qu'il ne pourra plus être effectué que si le donneur accepte que son identité soit révélée aux enfants issus du don, s'ils en font la demande à leur majorité.
Le projet de loi prévoit donc un phasage en trois temps pour l'entrée en vigueur de ce nouveau régime : pendant une première période d'un an à compter de la promulgation de la loi, l'AMP sera élargie aux couples de femmes et aux femmes non mariées, mais continuera à se faire à partir de gamètes qui auront été recueillis sans que le donneur ait accepté le principe d'un droit d'accès à l'origine pour les enfants issus du don ; au cours d'une deuxième période, les dons ne pourront plus être effectués que si le donneur consent à ce que les enfants issus de ce don puissent, sur leur demande, avoir accès à son identité ; enfin, au cours de la troisième période, l'AMP ne pourra plus être réalisée qu'à partir de gamètes recueillis auprès de donneurs ayant consenti à la levée de l'anonymat avec la tenue d'un registre relatif aux donneurs de gamètes. C'est une nouvelle mission que le projet de loi envisage de confier à l'Agence de la biomédecine : l'outil élaboré devra être opérationnel à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi et devra répondre à des exigences très fortes en termes de fiabilité, de résistance à l'obsolescence et de sécurité. Nos équipes ont d'ores et déjà commencé à réfléchir aux modalités pratiques de fonctionnement de ce registre en capitalisant notamment sur l'expérience acquise avec l'utilisation des autres traitements de données tenus par l'Agence de la biomédecine notamment dans le domaine de la greffe d'organes et de cellules.
L'Agence de la biomédecine se prépare aussi, dès à présent, à assurer la promotion du don de gamètes dans le contexte où il y aurait lieu de reconstituer un stock de gamètes recueillis sous l'empire du nouveau régime juridique. Si les dispositions envisagées sont adoptées, il s'agira sans aucun doute d'un changement de paradigme pour l'Agence, justifiant de repenser les méthodes de communication et les publics visés.
Dans le domaine du prélèvement et de la greffe d'organes, le projet de loi apporte des modifications importantes pour développer le don croisé, qui reste de faible importance en France. Il prévoit de faire disparaître la règle actuelle, qui limite à deux le nombre de paires donneur-receveur susceptibles d'être mises en relation, et de renvoyer au décret le soin de fixer un nombre plus élevé. Les chaînes ainsi constituées pourront en outre faire intervenir des donneurs décédés et les équipes de prélèvement et de greffe ne seront plus soumises à l'obligation de réaliser l'ensemble des opérations de manière simultanée, mais dans un délai de 24 heures. Par ailleurs, le projet de loi introduit des dispositions visant à faciliter le fonctionnement des comités d'experts chargés d'autoriser le prélèvement. Ces mesures sont cohérentes avec l'objectif du troisième plan Greffe adopté en 2017.
Dans le domaine du prélèvement et de la greffe de cellules souches hématopoïétiques, le projet de loi vise à tenir compte du développement de la greffe semi-compatible qui intervient dans un contexte familial et donne de bons résultats. L'Agence de la biomédecine doit suivre les donneurs de cellules, y compris lorsqu'ils sont apparentés. Tel est l'objet des dispositions introduites par le projet de loi à l'article L. 1418-1 du code de la santé publique. Le projet de loi ouvre aussi la possibilité pour un mineur de procéder à un don de moelle osseuse au profit de son père ou de sa mère. Compte tenu des risques inhérents à un tel don, un encadrement fort est prévu avec l'intervention d'un administrateur ad hoc qui représentera les intérêts propres du mineur, la saisine du président du tribunal de grande instance aux fins de recueillir le consentement de l'intéressé et l'obligation de vérifier avant de recourir à cette faculté, qu'elle est la seule option thérapeutique envisageable pour le père ou la mère de l'enfant.
Pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines (CSEh), le projet de loi prévoit de passer d'un régime d'autorisation à un régime de déclaration. Cette évolution, qui avait été suggérée par l'Agence de la biomédecine dans le rapport relatif à l'application de la précédente loi de bioéthique, tire les conséquences du fait que le travail sur ces cellules n'implique pas nécessairement la destruction d'un embryon et ne présente donc pas les mêmes risques sur le plan éthique que la recherche sur l'embryon lui-même. Le projet de loi propose toutefois une garantie : l'Agence de la biomédecine dispose d'un pouvoir d'opposition dont elle ne peut faire usage que sur le fondement d'un avis, rendu public, de son conseil d'orientation. Ces mesures visent à soutenir la recherche française sur les CSEh dont les très bons résultats doivent être consolidés : les équipes installées en France ont démontré leur capacité à mener des travaux de haut niveau et à publier dans des revues scientifiques à fort impact ; elles ont aussi fait la preuve de leur capacité à conduire des essais cliniques à partir de ces travaux. Les bénéfices concrets, pour les patients, des recherches qui sont conduites sur les CSEh paraissent désormais à portée de main.
En ce qui concerne la recherche sur l'embryon lui-même, le projet de loi maintient le principe d'une autorisation soumise à des conditions précises, notamment au respect de plusieurs principes éthiques. Il apporte en outre une précision nouvelle portant sur la durée de développement de l'embryon, fixée à quatorze jours, conformément au consensus international en la matière. Enfin, il clarifie la portée de l'interdiction, déjà présente dans la loi, de constituer un embryon chimérique : conformément à l'interprétation donnée par le Conseil d'État, le projet de loi précise que cette interdiction ne fait pas obstacle à l'introduction de CSEh dans un embryon animal, même si, d'un strict point de vue scientifique, une telle opération aboutit bien à la création d'une chimère.
Dans le domaine de la génétique, le projet de loi s'efforce de définir un cadre juridique conciliant deux exigences : tenir compte de l'évolution des techniques et protéger les personnes contre les risques que les tests génétiques peuvent leur faire courir si leurs résultats sont mal interprétés. En effet, les résultats des tests génétiques ont un caractère éminemment personnel, mais aussi une forte valeur prédictive - parfois à tort - et ils peuvent orienter les comportements individuels. Le projet de loi choisit de maintenir le principe de leur interdiction sauf à des fins scientifiques, médicales ou judiciaires et d'imposer le recours à un professionnel pour en interpréter les résultats. Pour rendre néanmoins tangibles les bénéfices issus des progrès de la génétique, le projet de loi précise les modalités d'information du patient et de sa parentèle en cas de découverte incidente faite à l'occasion d'un examen de génétique somatique. Il autorise aussi la réalisation d'examens génétiques sur une personne décédée ou une personne qui n'est pas en capacité de donner son consentement lorsqu'elle ne s'y est pas formellement opposée auparavant et organise les modalités d'information de la parentèle.
Dans ce projet de loi, l'Agence retrouve de nombreuses préoccupations exprimées par les professionnels avec lesquels elle est en contact régulier. L'Agence sera prête à mettre son expertise pour la mise en oeuvre des dispositions qui seront votées dans le cadre de la future loi de bioéthique.
M. Olivier Henno, rapporteur. - Hier, nous avons entendu l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) sur la question du microbiote fécal et des innovations thérapeutiques qui lui sont liées. Notre éthique à la française est fondée sur le don anonyme et gratuit de sang, mais que penseriez-vous d'une éventuelle compensation, voire rémunération, du don ?
Que pensez-vous de l'idée d'étendre les compétences de l'Agence au champ de l'intelligence artificielle (IA) appliquée à la médecine ?
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher. -La question de la rémunération du don peut se poser pour les organes, les cellules et les gamètes. Le principe de la gratuité du don est posé dans le code civil, et c'est sur ce principe qu'est bâti tout notre système de don, mais aussi la confiance du public dans ce système. Ce principe garantit que le donneur est libre et volontaire. Nous sommes tous très attachés à ce principe. Il est aussi garant de l'efficacité de nos collectes, car, dans les pays où le don est rémunéré, on a pu observer que certains donneurs ne donnaient plus. L'Agence défend donc ce principe de gratuité avec fermeté et signale toutes les initiatives qui s'en écarteraient.
Ce principe de gratuité va de pair avec le principe de neutralité financière du don pour le donneur, auquel nous sommes également très attachés : celui qui donne ne doit supporter aucun coût à raison de son don. L'Agence a élaboré un guide sur le sujet de la compensation financière, diffusé auprès de l'ensemble des centres hospitaliers.
L'IA est très prometteuse et ouvre des potentialités dans tous les domaines de la médecine - imagerie médicale, diagnostic, etc. Mais un tel champ de compétences irait bien au-delà de nos compétences traditionnelles définies par les activités de soin qui sont réalisées à partir d'éléments ou de produits issus du corps humain. L'Agence n'a pas d'expertise particulière à faire valoir sur un domaine aussi large que celui de l'IA appliquée à la médecine, et elle n'est pas armée en termes de moyens pour répondre à l'ensemble des questions qui seraient posées. Par exemple, l'Agence travaille avec l'École nationale supérieure et l'École d'économie de Paris pour modéliser les chaînes croisées de dons.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - Je tiens à vous remercier ainsi que vos équipes pour leur disponibilité. Ce projet de loi ouvre le don à de nouvelles catégories de population : les mineurs pour le don de cellules souches hématopoïétiques et les majeurs protégés pour le don d'organe. Faut-il poursuivre sur d'autres domaines comme le don du sang ? Les donneurs ne me semblent pas suffisamment valorisés dans notre société : qu'en pensez-vous ?
La loi ne peut pas tout prévoir et l'Agence est parfois saisie de demandes de dérogations, ce qui aboutit souvent à faire évoluer la loi. Comment traitez-vous ces demandes ? Sont-elles transmises pour information au Parlement ?
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher. - Le projet de loi ouvre le don aux mineurs et aux majeurs protégés. La question d'une extension au don de sang relèverait de l'Établissement français du sang ou du ministère de la santé et je ne m'aventurerais donc pas sur ce sujet.
La valorisation des donneurs est essentielle : il est fondamental que les donneurs aient des marques de reconnaissance et que l'on apprécie à sa juste valeur la générosité de leur geste. Nos actions de communication sont axées sur cette thématique ; nous avons développé le ruban vert comme signe de reconnaissance de tous ceux qui soutiennent le don d'organe ; nous participons à l'ouverture de lieux de mémoire consacrés aux donneurs dans les hôpitaux. Mais notre préoccupation est aussi de garantir que le donneur ne sera pas mû par une autre perspective que celle de sa pure générosité, car c'est la garantie de sa liberté, sans aucune pression, pas même sociale.
S'agissant des demandes de dérogation, nous appliquons la loi, dans le cadre de la jurisprudence du Conseil d'État. Cette jurisprudence nous impose parfois de tenir compte de circonstances particulières. Par exemple, en matière d'exportation de gamètes, alors même que la loi prévoit que leur exportation est interdite, une décision du Conseil d'État nous a enjoints d'autoriser cette exportation dans un cas très particulier, sous peine de porter une atteinte excessive au droit au respect de la vie familiale et privée de la personne concernée, garantie par la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'Agence applique donc la loi, mais tient aussi compte, ponctuellement, de circonstances particulières qui peuvent aboutir, dans certains cas, à écarter la loi. Cela se fait bien entendu dans le cadre de la jurisprudence du Conseil d'État et avec beaucoup de précautions.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Les règles de bonnes pratiques de l'Agence sont élaborées collégialement. Mais elles posent problème en matière de procréation médicalement assistée (PMA). Si un couple a déjà fait une tentative et souhaite procéder à une nouvelle tentative de stimulation chez la femme, les embryons doivent être obligatoirement détruits. Pourquoi détruire ces embryons sains ? Comment expliquez-vous cette règle ?
De nombreux professionnels sont favorables au diagnostic préimplantatoire aux aneuploïdies (DPI-A) qui ne figure pas dans le texte qui nous est soumis. Quelle est la position de l'Agence sur cette question ? Dans quel cadre pourrait-il être autorisé ? Devrait-il être réservé aux femmes qui ont fait plusieurs fausses couches ou aux femmes plus âgées qui produisent néanmoins beaucoup d'embryons ?
L'ouverture du dépistage prénatal permettrait la recherche d'un gène particulier responsable d'une maladie pour laquelle nous avons une thérapie. Qu'en pensez-vous ?
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher. - Les règles de bonnes pratiques interdisent le cumul embryonnaire : on doit en effet utiliser les embryons déjà conçus avant de réaliser une nouvelle stimulation ovarienne afin d'éviter les embryons surnuméraires. Une dérogation, très encadrée, existe dans le cas où l'embryon déjà conçu aurait un défaut. Ce sont les dispositions législatives qui interdisent le cumul embryonnaire. Les règles de bonnes pratiques, validées par un arrêté, ne peuvent pas modifier la législation ; elles ne sont que réglementaires.
Le projet de loi ne propose pas d'extension du champ du DPI : aujourd'hui, celui-ci ne peut être effectué que lorsque le couple a de fortes chances de donner naissance à un enfant porteur d'une maladie incurable, ce qui suppose que cette maladie ait déjà été identifiée dans la famille. Cette question de l'extension du DPI pour détecter un nombre anormal de chromosomes avec un DPI-A ou des maladies génétiques autres que celles connues dans la famille a été discutée à l'Assemblée nationale en première lecture. Il s'agit d'une question de société sur laquelle l'Agence ne peut qu'apporter des éléments d'expertise médicale et scientifique. D'abord, nous ne disposons pas encore d'éléments très solides prouvant le lien entre le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies et l'élimination du risque de fausse couche : un programme hospitalier de recherche clinique va être lancé sur le sujet ; mais en l'état actuel des connaissances scientifiques, il n'est pas possible d'affirmer que l'extension du DPI aux aneuploïdies est un moyen d'augmenter l'efficacité des techniques d'AMP. Des mécanismes de correction naturelle peuvent jouer dans certains cas : des études américaines montrent qu'il existe de faux positifs qui se corrigent spontanément. Avec un DPI-A, nous risquons donc d'éliminer des embryons qui auraient été sains et d'aboutir à une perte de chance de procréer pour certaines femmes qui auraient peu d'embryons. Nous avons besoin d'éléments scientifiques plus étayés.
La situation d'un couple qui fait un DPI avant le transfert d'un embryon n'est pas la même que pour un couple qui fait un dépistage prénatal, car, dans ce deuxième cas, la grossesse a déjà commencé.
Enfin, il faut avoir en tête que l'extension du DPI aux aneuploïdies et à des maladies génétiques peut conduire à faire de l'AMP une voie plus sûre pour concevoir un enfant que la procréation naturelle. Dans la mesure où le projet de loi envisage de faire disparaître le critère de l'infertilité comme condition du recours à l'AMP, le risque existe, et doit être pris en compte, de voir des couples s'engager dans une démarche d'AMP au motif qu'elle garantirait de meilleures chances d'avoir un enfant sain.
Sur ces sujets, l'Agence de la biomédecine n'a pas de position particulière à faire valoir. Ce sont des questions de choix. Mais il faut prendre en compte ces risques divers et les peser - c'est le rôle du Parlement - pour prendre une décision et faire un choix collectif éclairé.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Madame, vous avez cité la gratuité et le volontariat comme étant des principes forts de la bioéthique en France. Qu'en est-il de l'anonymat ?
Vous avez évoqué la possibilité que nous nous trouvions avec un stock assez bas de gamètes. Pourrions-nous envisager d'importer des gamètes de l'étranger ?
Enfin, l'âge limite pour pouvoir recourir à un AMP doit-il être fixé par la loi ou faire l'objet de rédactions de bonnes pratiques ?
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher. - L'anonymat du donneur est un principe fort du système de dons de produits et d'éléments du corps humain en France. Votre question est liée à la création du droit d'accès aux origines pour les enfants issus du don.
Le principe d'anonymat demeure très important et l'Agence y est très attachée. Ce principe est respecté dans le cadre de la nouvelle loi, puisque les gamètes qui seront donnés aux couples ou aux femmes seules qui les attendent seront donnés par un donneur qui est anonyme pour le receveur, c'est-à-dire pour le couple ou la femme.
Le projet de loi crée en revanche un droit d'accès à l'origine pour l'enfant. Mais l'enfant n'est pas le receveur. L'enfant est un tiers. Cette levée de l'identité ne porte donc pas atteinte au principe de l'anonymat du don. L'anonymat du don a pour conséquence qu'un couple ne pourra pas choisir son donneur ni connaître son identité.
S'agissant des stocks de gamètes, le projet de loi conduit à instituer un nouveau régime de dons, impliquant l'obligation pour le donneur de consentir, si l'enfant issu du don le demande, à la révélation de son identité et à la transmission de données non identifiantes. Ce changement de régime juridique nous obligera à reconstituer un stock de gamètes.
Nous ne sommes pas les premiers à passer par ce type de changement. D'autres pays ont connu un changement de cette nature. Il a été observé qu'en ce cas le stock de gamètes prend un certain temps à se reconstituer, mais se reconstitue à un niveau qui n'est pas inférieur à celui qui était observé avant l'introduction d'un droit d'accès à l'origine. Ainsi, de nouvelles catégories de donneurs, plus jeunes, se sont mobilisées au Royaume-Uni. En définitive, le niveau de dons n'a pas diminué, ou a retrouvé à tout le moins au bout de plusieurs années un niveau comparable à celui qui avait été observé antérieurement.
L'importation de gamètes est autorisée en France, mais dans des conditions extrêmement strictes. Elle est en effet soumise à l'autorisation de l'Agence de la biomédecine et doit être effectuée dans des conditions expressément prévues par le code de la santé publique, notamment pour la poursuite d'un projet parental précis. Le Gouvernement et le projet de loi n'envisagent pas de modifier ce cadre. L'importation de gamètes demeure donc encadrée et soumise à des conditions relativement limitées.
Pour ce qui concerne l'âge limite des donneurs, la loi ne prévoit pas, en l'état, de limites particulières. La question de l'âge doit être vue en liaison avec les professionnels, la limite devant être précisée soit dans le cadre des règles de bonnes pratiques soit dans un texte réglementaire. Un travail devra sans doute être conduit avec les professionnels sur ce sujet.
Mme Chantal Deseyne. - Ma question porte sur le transport des greffons, en particulier des greffons rénaux. Les deux facteurs les plus importants pour la réussite d'une greffe sont la compatibilité entre le donneur et le receveur et la rapidité d'exécution de la transportation. Or l'Agence de la biomédecine ne coordonne ni n'assure le transport des greffons, qui reste à la charge des établissements attributaires.
Comment pouvons-nous améliorer le transport des greffons en vue d'améliorer l'efficience médicale, et même économique, une personne greffée « coûtant » moins cher que quelqu'un qui doit être en dialyse ?
Mme Maryvonne Blondin. - Avez-vous donné un avis sur le liquide de la société Hemarina, HEMO2life, qui permet le transport de greffons dans de meilleures qualités d'oxygénation ?
Par ailleurs, je voudrais vous interroger sur un autre produit issu du corps humain : les bactériophages, qui servent à lutter contre l'antibiorésistance et qui sont utilisés en cas d'urgence vitale pour lutter contre les infections bactériennes telles que le staphylocoque doré.
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher. - Le transport des greffons est organisé sous le contrôle des équipes de prélèvement par des transporteurs, notamment privés. L'Agence de la biomédecine n'a pas de compétences dans la supervision de ces transports et n'est pas armée matériellement pour s'en doter. Cela suppose en effet d'être au plus près du terrain afin d'organiser des conditions matérielles de transport très efficaces et d'être en contact avec les partenaires situés à proximité des centres de prélèvement afin d'organiser l'acheminement des greffons jusqu'à leur point d'arrivée.
Pour des considérations d'efficacité, il est important que cette activité soit organisée par des personnes situées au plus près des équipes de soin et de prélèvement.
L'Agence de la biomédecine s'assure que les greffons sont bien arrivés à destination, particulièrement en ce moment dans le contexte de la grève, en faisant remonter toute difficulté. Mais quant à assurer l'organisation pratique de ces transports, c'est une mission extrêmement précise, qui implique une connaissance des acteurs locaux et supposerait des moyens humains et matériels dont l'Agence ne dispose pas actuellement.
Le système actuel impliquant une organisation pratique par les centres hospitaliers et les équipes de prélèvement en liaison avec des acteurs et des entreprises locaux donne satisfaction. Nous n'avons pas connaissance de pertes de chances pour les malades qui seraient liées à des difficultés d'acheminement. L'Agence assure pour sa part un rôle de supervision distanciée, en ce sens qu'elle fait remonter toute difficulté particulière et prend les mesures qui s'imposent si un problème d'acheminement est constaté.
Concernant la molécule découverte récemment en Bretagne à partir de travaux sur le ver marin, cette molécule a fait l'objet d'une demande d'autorisation déposée à l'ANSM. Il ne s'agit pas en effet d'un produit du corps humain. Cet élément doit donc être autorisé par l'ANSM en tant que dispositif ou produit médical. L'Agence a donné un avis favorable à l'ANSM sur ce produit.
S'agissant des bactériophages, cette question n'intéresse pas directement l'Agence de la biomédecine, car il ne s'agit pas d'un élément issu du corps humain. Comme la molécule extraite du ver marin, ce produit doit faire l'objet d'une autorisation, le cas échéant, par l'ANSM. Nous ne sommes donc pas directement concernés par ce sujet.
Mme Élisabeth Doineau. - Vous avez dit que vous aviez grandement participé à l'élaboration du projet de loi, notamment par le bilan que vous avez pu faire de l'ancienne loi de bioéthique. Entre la loi initiale et celle qui est sortie de l'Assemblée nationale, certains éléments vous apparaissent-ils comme essentiels et devant être défendus au Sénat ?
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher. - Nous retrouvons dans le projet de loi les principaux éléments avancés par les professionnels qui interviennent dans les champs de compétences qui sont les nôtres. L'Agence de la biomédecine y retrouve des éléments de réponse aux principales questions qui avaient été soulevées.
Nous n'avons donc pas de demande particulière à faire valoir devant le Sénat.
M. Alain Milon, président. - Merci beaucoup.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site internet du Sénat.
La réunion est close à 11 h 20.