- Mercredi 11 décembre 2019
- Audition de MM. Bernard Doroszczuk, président, et Olivier Gupta, directeur général de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et de Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
- Audition de M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques (DGPR) au sein du ministère de la transition écologique et solidaire
- Jeudi 12 décembre 2019
- Audition de Mme Émilie Counil, chargée de recherche à l'Institut national d'études démographiques (INED)
- Audition de Mme Magali Smets, directrice générale, M. Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France chimie et de Mme Muryelle Angot-Lebey, déléguée générale de France chimie)
- Audition de MM. Jérôme Bertin, directeur général de France Victimes, et David Delaunay, directeur général de l'association d'aide aux victimes et d'information sur les problèmes pénaux (Avipp76)
- Audition de MM. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique et Christian Boulocher, directeur général, Normandie Logistique
Mercredi 11 décembre 2019
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition de MM. Bernard Doroszczuk, président, et Olivier Gupta, directeur général de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et de Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN)
M. Hervé Maurey, président. - Nous accueillons aujourd'hui MM. Bernard Doroszczuk, président, et Olivier Gupta, directeur général de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Autorité administrative indépendante depuis 2006, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) poursuit trois missions : elle contribue à l'élaboration de la réglementation, en donnant son avis au Gouvernement sur les projets de décrets et d'arrêtés ministériels ou en prenant des décisions réglementaires à caractère technique ; elle veille au respect des règles et des prescriptions auxquelles sont soumises les installations ou activités qu'elle contrôle ; elle participe à l'information du public, y compris en cas de situation d'urgence.
Pour sa part, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) conduit des missions d'expertise et de recherche dans tous les domaines touchant aux activités liées au nucléaire : la sûreté nucléaire, la sûreté des transports de matières radioactives et fissiles, la protection de l'homme et de l'environnement contre les rayonnements ionisants, la protection et le contrôle des matières nucléaires et la protection des installations nucléaires et des transports de matières radioactives et fissiles contre les actes de malveillance.
Au cours de nos auditions, plusieurs intervenants, face aux défaillances du système de prévention des risques industriels et au manque d'information des élus et des populations face aux conduites à tenir en cas d'accident, ont pris pour exemple la sécurité nucléaire : selon eux, certaines pratiques ou règles appliquées en matière de sûreté nucléaire et d'information du public pourraient servir d'exemple pour les établissements industriels classés Seveso.
Certains observateurs sont même allés jusqu'à suggérer la création d'une sorte d'ASN Seveso, ou bien de vous confier cette mission. Nous attendons que vous nous indiquiez en quoi vos méthodes, tant en matière de protection que d'information des populations, pourraient être transposées à un secteur qui présente des risques différents de votre mission première et concerne un nombre beaucoup plus élevé d'établissements.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Bernard Doroszczuk, Olivier Gupta et Jean-Christophe Niel prêtent serment.
M. Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). - Je m'efforcerai, dans mon propos liminaire, d'identifier les différences qui existent avec l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), notamment s'agissant des missions ou des relations avec le public.
L'Autorité de sûreté nucléaire est une autorité administrative indépendante (AAI), créée en 2006 avec, pour objectif, la protection des populations et de l'environnement. Elle exerce cinq missions principales : réglementer, autoriser, contrôler, informer le public et assister les pouvoirs publics en situation d'urgence.
La mission visant à réglementer est une mission que nous exerçons de concert avec le ministère de la transition écologique et solidaire : en effet, les textes généraux relatifs à la sûreté nucléaire relèvent de la responsabilité du ministère, après avis de l'ASN ; les textes techniques généraux sont de la responsabilité de l'Autorité de sûreté nucléaire, tout comme les dispositions spécifiques à chacune des installations.
La mission de contrôle est essentiellement réalisée par onze divisions territoriales de l'ASN qui disposent d'inspecteurs sur le terrain, ce qui est une particularité pour une autorité administrative indépendante. À ma connaissance, aucune autre AAI ne dispose de ressources sur le terrain pour réaliser des contrôles. Ces contrôles s'exercent suivant une approche graduée et proportionnée en fonction des enjeux. Les sites présentant les enjeux les plus importants font l'objet de contrôles plus fréquents et plus détaillés. Je crois qu'il en va de même pour l'inspection des installations classées.
Cette mission de contrôle peut déboucher sur des sanctions qui sont prononcées directement par l'ASN. C'est une différence avec l'inspection des installations classées dont les sanctions sont administratives et relèvent du préfet.
En matière d'information, outre les consultations publiques, que nous réalisons dans le cadre des décisions que nous sommes amenés à prendre, et la communication institutionnelle de l'ASN, nous avons deux partenaires importants, spécifiques au secteur nucléaire : les commissions locales d'information (CLI) et l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (Anccli), avec lesquelles nous entretenons des relations extrêmement étroites et qui permettent de renforcer l'information et la transparence au niveau local autour de la situation des installations nucléaires. Cette animation nationale assurée par l'Anccli n'existe pas de manière équivalente en ce qui concerne les commissions de suivi de site (CSS) pour les installations classées Seveso. Nous avons aussi des relations étroites avec le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), qui a été créé en même temps que l'ASN et qui joue un rôle d'animation et de garant en ce qui concerne l'information et la transparence vis-à-vis du public. Ce haut comité peut prendre des initiatives en matière de concertation et d'information, comme il l'a fait dans le dossier relatif à la poursuite d'exploitation des réacteurs de 900 mégawatts, à l'occasion de leur quatrième réexamen. Cette structure n'a pas d'équivalent pour les ICPE.
Chaque année, en tant qu'autorité indépendante, l'ASN rend compte de l'état de la sûreté et de la protection devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opesct) - c'est aussi une spécificité de l'Autorité de sûreté nucléaire - et, évidemment, elle est à la disposition des commissions parlementaires qui peuvent la solliciter, ou lui demander des avis ou des études.
L'appui aux pouvoirs publics en situation de crise s'exerce au niveau préfectoral, mais aussi au niveau national, à travers le centre interministériel de crise, et s'appuie sur un système d'astreinte interne à l'ASN et un centre de crise dédié, installé à notre siège de Montrouge. L'ASN participe de manière régulière à des exercices de crise qui constituent aussi une occasion de simuler une pression médiatique, y compris à travers les réseaux sociaux.
Pour l'ensemble de ses missions, l'ASN bénéficie de l'appui technique et de l'expertise de l'IRSN.
Les activités de l'ASN couvrent les installations nucléaires de base, le nucléaire diffus, notamment dans le domaine de la santé et le transport de matières radioactives. Au 31 décembre 2018, on comptait 126 installations nucléaires de base, ce qui est beaucoup moins que le nombre d'installations Seveso seuil haut par exemple. Les installations nucléaires de base se caractérisent par l'importance des enjeux, notamment les effets d'échelle, car un accident nucléaire pourrait avoir des impacts sur des distances considérables, concerner des centaines de milliers de personnes. De même, la durée de vie des déchets à haute activité et à vie longue se compte en centaines de milliers d'années. Les solutions à mettre en place pour les gérer doivent donc être adaptées à cette échelle. Ces effets d'échelle soulèvent évidemment des questions de sûreté, de confiance dans le contrôle, des questions d'éthique, mais aussi d'information du public. Environ trois millions de personnes, 1 500 communes et plus de 2 800 établissements scolaires sont inclus dans les périmètres des plans particuliers d'intervention (PPI) mis en place à l'initiative des préfets, qui ont été étendus récemment de 10 à 20 kilomètres, et sont donc concernés par l'information régulière sur les risques nucléaires. Cela suppose une infrastructure d'information régulière du public et des élus très importante.
Notre activité se distingue aussi en raison de l'existence d'une composante internationale, avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), qui définit des règles que les autorités de sûreté doivent respecter, notamment en matière de culture de sûreté. Nous sommes aussi régulièrement évalués par nos pairs, nos homologues à l'étranger, et cela permet d'identifier les bonnes pratiques.
Comme pour les installations classées, le premier responsable de la sûreté reste l'exploitant. Il est responsable pour les opérations qu'il réalise ou celle qu'il sous- traite.
L'ASN dispose de 516 agents, dont 318 sont des inspecteurs, aussi bien de la sûreté, de la radioprotection que du travail, car nous sommes aussi compétents pour l'inspection du travail dans les centrales nucléaires d'EDF, ce qui constitue une autre spécificité et une autre différence avec l'inspection des ICPE. Nous considérons qu'il s'agit d'un atout qui permet une approche intégrée de la protection à la fois des travailleurs et des citoyens. Nous réalisons 1 800 inspections par an, avec des durées variables en fonction des enjeux. Nos inspections font l'objet de lettres de suite qui expliquent l'ensemble des constats qui ont été faits et qui sont systématiquement rendues publiques, ce qui n'est pas le cas pour l'inspection des installations classées.
M. Jean-Christophe Niel, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). - L'IRSN est l'organisme public d'expertise du risque radiologique et nucléaire sous toutes ses formes : nous intervenons dans les domaines de la sûreté nucléaire pour prévenir les accidents de la sécurité nucléaire, pour lutter contre les actes de malveillance, ou de la protection contre les rayonnements ionisants. Nous publions des avis que nous remettons à un grand nombre d'autorités, au premier rang desquelles l'ASN, et qui sont publics. Outre l'expertise, notre second métier est celui de la recherche : il s'agit d'une recherche finalisée pour disposer de la meilleure expertise possible. L'IRSN compte 1 800 personnes. En 2001, comme pour les agences sanitaires, le choix a été fait de séparer la décision de l'expertise, en séparant les autorités qui prennent les décisions, qui sont gestionnaires du risque, et l'IRSN, qui est l'évaluateur du risque.
J'en viens maintenant à l'expertise en cas de crise. Dans ce cas, nous apportons un appui aux autorités : à l'Autorité de sûreté nucléaire, à l'Autorité de sûreté nucléaire défense, aux ministères de la santé ou du travail, ou aux préfets à l'échelon territorial. Nous disposons d'un centre technique de crise qui regroupe des moyens de communication avec les autres acteurs, ainsi que des moyens de calcul permettant de calculer la thermohydraulique accidentelle, dans le cas des accidents de réacteurs, d'évaluer les rejets ou la dispersion dans différents milieux, etc. Il rassemble entre 25 et 30 personnes. Ces moyens sont complétés par des moyens mobiles que nous pouvons projeter sur place à la demande des autorités : dix véhicules permettant de mesurer la contamination des personnes et dix véhicules permettant de mesurer la contamination de l'environnement. Ce système est complété par un réseau de mesure du rayonnement ambiant, le réseau Téléray, constitué de 440 balises, dont les données sont consultables en temps réel sur téléphone portable par le biais d'une application. L'IRSN participe aussi, en cas de crise, à la commission interministérielle de crise. Nous nous appuyons sur les données météo ou les données qui nous sont transmises par l'exploitant volontairement. Il existe aussi un système de connexion automatique pour les réacteurs EDF ou le réacteur à haut flux de Grenoble, destiné à la recherche : l'IRSN est directement destinataire, sans intermédiaire, des informations relatives, par exemple, à la pression, la température, etc. À la suite de l'accident de Fukushima, l'ASN a demandé aux opérateurs d'étendre ce dispositif de connexion automatique permettant d'avoir accès à l'information directement. En cas de crise, nous appliquons la méthode dite « 3P-3D » : « D » pour diagnostic, « P » pour pronostic. Notre rôle consiste à d'abord comprendre ce qui se passe dans l'installation, c'est le diagnostic, puis à anticiper ce qui va se passer, c'est le pronostic, afin, évidemment, de prendre les bonnes décisions. Le chiffre « 3 » provient du principe de sûreté des installations nucléaires qui repose sur trois barrières. Ainsi, entre le combustible nucléaire et l'environnement, on trouve trois barrières dans un réacteur : la gaine du combustible, la cuve du réacteur et l'enceinte de confinement. Cette méthode, qui a été reprise par l'AIEA, structure notre dialogue et nos discussions techniques avec les opérateurs. Nous travaillons en interaction très forte avec les opérateurs. Les autorités nous demandent de leur fournir des recommandations sur les actions à engager et sur les délais puisque les accidents dont on parle pour les réacteurs n'ont pas forcément d'effets immédiats, contrairement à un incendie ou une explosion dans une ICPE. Nous entretenons aussi un dispositif d'alerte : l'IRSN a des équipes d'astreinte, avec 32 personnes susceptibles en permanence de rejoindre le centre de crise en moins d'une heure. Ces experts appartiennent à un vivier de 400 experts qualifiés, qui ont suivi une formation et ont participé à des exercices de crise. Comme l'a précisé le président de l'ASN, nous effectuons un certain nombre d'exercices de ce type tous les ans : 12 à 15 par an, en ce qui concerne l'IRSN. On essaie de progresser en tirant les leçons des incidents ou des exercices. Notre centre de crise a ainsi tiré les enseignements de l'accident de Fukushima. Nous faisons aussi de la recherche sur les situations de crise et sur les aspects techniques : nous avons, par exemple, développé des modèles de modélisation inverse, qui permettent de remonter à la source de la contamination à partir de la contamination constatée et de la météo. C'est ainsi qu'en 2017 nous avons pu identifier l'origine de la contamination au ruthénium 106 qui avait été constatée en Europe. Nous avons aussi développé des méthodes de mesure rapide de l'uranium. Notre recherche concerne aussi les dimensions humaines et organisationnelles de la gestion de crise : la préparation à la crise, la gestion post-accidentelle, les interactions entre experts et décideurs, le retour des personnes évacuées, etc.
Il faut souligner l'importance de l'implication des parties prenantes et des populations. L'IRSN réalise tous les ans un baromètre sur la perception des risques et de la sécurité par les Français : 80 % des Français plébiscitent les structures pluralistes. L'IRSN a, comme l'ASN, des relations proches avec les CLI et l'Anccli, avec laquelle nous avons développé un simulateur intitulé « outil de sensibilisation aux problématiques post-accidentelles à destination des acteurs locaux » (OPAL) pour appréhender les accidents.
En ce qui concerne l'accident de l'usine Lubrizol, nous avons eu une action limitée en raison de la présence de sources d'eau. L'IRSN gère la base de données des sources radioactives en France. Au moment de l'accident, nous avons constaté la présence de huit sources radioactives de césium 137 sur ce site ; nous avons informé l'ASN, la préfecture, le service d'incendie et de secours qui nous a indiqué très rapidement que ces sources n'étaient pas concernées par l'événement. Une des 440 balises du réseau Téléray se trouvait située dans le panache et nous avons pu constater l'absence de variation du bruit de fond. Ces données ont été confirmées par nos calculs. Cet événement, bien que de nature chimique, devra être porteur d'enseignements, y compris dans le domaine du nucléaire, et nous participerons avec les autres acteurs au retour d'expérience.
M. Hervé Maurey, président. - Dans quelle mesure peut-on transposer vos méthodes aux installations classées et aux établissements Seveso ?
M. Bernard Doroszczuk. - J'ai peut-être mal interprété votre question, il m'avait semblé que vous souhaitiez une comparaison sur la mobilisation des publics, des populations, le développement d'une culture de sécurité et d'information. C'est pourquoi j'ai essayé de souligner les différences entre le nucléaire et les installations classées.
Pour les ICPE, il existe des CSS, nous avons des CLI. La principale différence est que ces dernières possèdent une structure d'animation nationale, l'Anccli, qui apporte un soutien méthodologique et permet un partage d'expériences. L'homogénéité d'action en matière d'information du public et de transparence est donc plus importante dans les CLI que dans les CSS. Les commissions locales d'information sont créées à l'initiative des conseils départementaux et sont présidées par les élus, tandis que les CSS sont créées à l'initiative des préfets. Nous associons régulièrement les membres des CLI à nos travaux : par exemple, nous leur proposons d'être observateurs lors des inspections que nous réalisons, ce qui permet de renforcer la connaissance des risques et de développer une culture de sécurité commune. Nos lettres de suite, qui sont publiques, peuvent servir de base à des interpellations des exploitants lors des réunions des CLI. Il existe donc une dynamique plus forte pour le secteur nucléaire qu'en matière d'installations classées.
En matière d'information, nous avons une relation particulière avec les CLI et nous les associons à un certain nombre de consultations ou de dialogues techniques que nous mettons en place lorsque nous sommes amenés à faire évoluer des prescriptions techniques sur des installations particulières. Les relations avec les CLI et l'Anccli sont donc étroites. Nous avons évoqué les exercices de crise que nous réalisons, avec l'IRSN, en liaison avec les pouvoirs publics. Nous pouvons y associer les membres des CLI pour observer la manière avec laquelle les services de l'État gèrent les crises. Tous les cinq ans, nous réalisons des campagnes de distribution de comprimés d'iode. On associe, là encore, les élus et les CLI. C'est un moment privilégié pour diffuser l'information auprès des populations concernées, soit trois millions de personnes. Évidemment cet outil de communication n'existe pas pour les ICPE, car les risques diffèrent.
M. Hervé Maurey, président. - Serait-il possible ou souhaitable d'élargir ces dispositifs aux installations Seveso seuil haut ?
M. Bernard Doroszczuk. - Le rôle des CLI en matière d'information du public pourrait servir de modèle aux CSS : la publicité des comptes rendus d'inspection des installations classées permettrait aux membres des CSS et aux riverains d'interpeller l'exploitant.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Il pourrait donc être opportun de créer une autorité indépendante chargée de définir les prescriptions applicables aux ICPE et de contrôler leur respect, comme le fait l'ASN ?
M. Bernard Doroszczuk. - Ce n'est pas ce que j'ai dit. L'ASN a été créée pour garantir l'indépendance du contrôle de la sûreté nucléaire par rapport au gouvernement, aux exploitants et aux associations de protection de l'environnement. Cette indépendance est un principe reconnu au niveau international et des règles prévoient l'indépendance des autorités chargées de la politique énergétique. En France, cette indépendance était d'autant plus nécessaire que, à la différence des ICPE, les exploitants du nucléaire les plus importants sont tous étroitement liés à l'État. La situation est différente pour les ICPE, car les exploitants sont nombreux et majoritairement privés. C'est un élément à intégrer dans la réflexion sur la création d'une éventuelle autorité indépendante chargée des risques industriels.
Les missions de l'ASN sont clairement définies, elles sont centrées sur la sûreté nucléaire et le contrôle de la radioprotection. Il y a donc une unicité d'action, nous sommes la seule autorité qui intervient dans la totalité du domaine ; nous avons une chaîne courte de responsabilités et nous sommes régulièrement évalués par nos pairs. Ces principes devraient être ceux d'une éventuelle autorité indépendante des installations classées. Mais, de ce fait, cela pose un problème, car on ne pourrait pas limiter le champ d'intervention de cette autorité aux seules installations Seveso. Il ne faudrait pas, en effet, créer d'effets de seuils : les entreprises risqueraient alors de changer d'autorité de contrôle au gré de leur développement, selon qu'elles sont classées Seveso ou ne le sont plus. Ce n'est pas souhaitable. À mon avis, il faudrait couvrir la totalité des ICPE, ce qui représente un nombre considérable d'établissements, avec des situations très diverses. C'est pourquoi il serait complexe de créer une autorité indépendante pour les installations classées.
Les points de différence, que j'ai cités dans mon propos liminaire, pourraient, à l'inverse, constituer des pistes de travail pour améliorer l'information et la mobilisation des CSS, développer un modèle intégré de l'inspection. On pourrait peut-être créer une haute autorité pour la transparence et l'information sur la sécurité des sites industriels. On peut donc s'inspirer de certains mécanismes à l'oeuvre en matière de sûreté nucléaire.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - La sous-traitance est impliquée dans 8 % des accidents des ICPE. Quel regard portez-vous sur la sous-traitance ? Est-elle, selon vous, à l'origine de risques supplémentaires ?
Vous appelez aussi de vos voeux une culture de la sécurité industrielle. Comment avancer sur ce sujet ? Quelles actions les exploitants d'établissements Seveso doivent-ils mettre en oeuvre ou de pour développer une telle culture ?
M. Bernard Doroszczuk. - Le recours à la sous-traitance est fréquent dans l'industrie nucléaire. De nombreuses activités requièrent des compétences rares et l'exploitant n'a pas toujours les moyens d'entretenir la compétence en interne. Le recours à la sous-traitance concerne aussi bien les opérations de construction des centrales, que leur exploitation ou leur maintenance. Le recours à la sous-traitance peut aussi concerner des opérations plus courantes, qui pourraient être réalisées par l'exploitant, mais qu'il a décidé de sous-traiter pour des raisons de politique industrielle. En tout cas, le recours à un sous-traitant ne dispense nullement l'exploitant de sa responsabilité : il doit contrôler et avoir les moyens de contrôler. Nous vérifions qu'il dispose des capacités techniques pour pouvoir évaluer, qualifier et surveiller les sous-traitants ; c'est un point essentiel. Nous n'avons pas identifié de lien entre un incident qui serait survenu sur une centrale nucléaire et le fait que l'activité soit réalisée par un sous-traitant. En ce qui concerne les incidents déclarés par les exploitants, la proportion d'événements qui impliquent des sous-traitants est plus élevée que ceux qui impliquent l'exploitant, mais cela semble assez naturel, car les activités qui sont confiées aux sous-traitants sont plus complexes, en général en arrêt de tranche, dans le bâtiment réacteur, dans des conditions particulières. L'exploitant et les sous-traitants n'effectuent pas les mêmes tâches. Les règles relatives à la maîtrise de la sous-traitance nucléaire présentent des spécificités qui relèvent de dispositions réglementaires adoptées en 2016. L'ASN a la possibilité de contrôler les sous-traitants, c'est-à-dire d'aller sur le site d'intervention et de prescrire des mesures qui concernent tous les opérateurs, l'exploitant comme les sous-traitants, et qui peuvent s'appliquer aussi bien sur le site nucléaire qu'en dehors. On peut aller ainsi chez les sous-traitants pour contrôler. La réglementation interdit à l'exploitant de sous-traiter l'exploitation et elle limite le nombre de sous- traitants à trois pour éviter la dilution de la chaîne de sous-traitance. Ces dispositions pourraient très bien être reprises dans le cas de l'inspection des installations classées.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Je voudrais savoir ce que la filière nucléaire peut apporter à la filière industrielle et inversement. On relève trois points communs : les potentiels de danger, les démarches fondées sur le progrès continu et le fait que la catastrophe reste possible. Existe-t-il un plafond de verre en matière de sécurité ?
Le nombre d'accidents sur les sites industriels classés a augmenté de 34 % entre 2016 et 2018. Avez-vous des éléments d'explication ou des hypothèses sur les causes de cette hausse ? Si le nombre d'inspecteurs ICPE semble constant, le nombre de visites sur les sites classés est en baisse de 40 %. Voyez-vous un lien de cause à effet ?
M. Bernard Doroszczuk. - Les fondamentaux sont en effet les mêmes pour les installations classées et la sûreté nucléaire : la responsabilité première de l'exploitant, la recherche de la réduction du risque à la source, le suivi des événements pour qu'ils deviennent source de progrès, et, enfin, l'évaluation ou l'inspection selon une approche graduée en fonction des enjeux. Je n'ai pas d'éléments pour me prononcer sur l'augmentation des incidents dans les ICPE. En revanche, je peux vous donner des informations sur les événements qui concernent la sûreté nucléaire. Nous n'avons pas observé, au cours des six dernières années, d'évolution significative du nombre d'événements, même si l'on constate une légère hausse des événements classés au plus bas niveau de l'échelle internationale de classement des événements en matière nucléaire, l'échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques (INES) de l'AIEA, qui comprend huit niveaux et qui n'a pas d'équivalent dans les domaines des ICPE.
On observe une légère augmentation du nombre d'écarts de niveau zéro au cours des trois dernières années. Si cette évolution soulève des interrogations, elle semble néanmoins positive. Je ne sais pas si elle est liée à une croissance des écarts ou à une meilleure détection et à une meilleure déclaration des événements.
En matière de culture de sûreté, il ne faut pas trop stigmatiser le nombre, l'idée étant plutôt de mettre les exploitants dans une logique d'amélioration continue. Cette démarche est favorable lorsque nous avons des éléments que nous pouvons exploiter pour améliorer la sûreté.
M. Olivier Gupta, directeur général de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). - Il existe un système de regards croisés assez naturel entre les deux secteurs. En effet, l'ASN et l'inspection des installations classées puisent dans le même vivier d'inspecteurs - essentiellement le corps des ingénieurs de l'industrie et des mines (IIM), qui forme le gros des troupes dans l'un et l'autre cas -, ce qui permet naturellement de croiser les approches.
Mme Nelly Tocqueville. - Vos exposés respectifs laissent penser que nous aurions tout intérêt à nous inspirer de ce qui est mis en place dans le secteur du nucléaire pour les installations classées.
Les membres de la commission locale d'information (CLI) de Paluel-Penly, dont je fais partie, apprécient les possibilités qui leur sont offertes de participer à des réunions et à des visites et d'y recevoir des explications. Il n'existe rien de tel dans les ICPE. De même, aucune campagne d'information, de prévention ou de sensibilisation n'est prévue dans ces installations. Quel regard portez-vous sur cette carence de communication, particulièrement anxiogène pour les habitants d'autant que les dispositifs d'amélioration des moyens de communication ne sont pas vérifiés ?
Pourriez-vous nous indiquer ce qui est mis en place dans les pays voisins pour les installations classées ?
M. Bernard Doroszczuk. - Il faut rester modeste. Il n'est pas question de mettre en avant le contrôle des installations nucléaires comme étant un modèle absolu. Si nous faisions face à une crise de grande ampleur, la réponse ne serait pas parfaite.
En matière de communication, plusieurs défaillances et insatisfactions ont été relevées. La seule manière d'améliorer ce point est, selon moi, de s'entraîner. En effet, une telle situation de communication ne s'improvise pas si un entraînement spécifique n'a pas été réalisé auparavant, et si nous n'avons pas trouvé de tiers de confiance, distincts de l'exploitant, de l'autorité publique et des experts institutionnels, susceptibles de participer à ce relais d'information. Les CLI peuvent constituer à cet égard des relais d'information utiles. Il faut entretenir ces tiers de confiance pour qu'ils puissent, le moment venu, en situation de crise, jouer un rôle actif dans la délivrance de l'information.
M. Jean-Christophe Niel. - Une nécessaire modestie s'impose effectivement par rapport à notre modèle.
Les CLI ont un rôle important à jouer dans la communication à déployer auprès des populations locales en situation de crise. L'IRSN, comme l'ASN, a d'ailleurs une interaction forte avec elles sur l'ensemble des sujets ayant trait à la sûreté nucléaire. Il s'agit d'expliquer les modalités d'organisation des démarches de sûreté, d'intervenir sur les incidents, et d'évoquer tous les éléments liés à la gestion de crise. J'ai évoqué précédemment le simulateur d'accident simplifié OPAL développé par l'IRSN en relation avec l'Anccli, et qui a été proposé aux CLI - charge à eux ensuite de décider ou non de se l'approprier. Cet outil est une façon de développer une culture du risque et de radioprotection. L'idée est d'incarner ce que pourrait être un accident, même si nous faisons tout pour l'empêcher.
À la suite de l'accident de Fukushima, l'IRSN a constaté que les Japonais avaient acheté des dosimètres sans attendre les directives officielles. En lien avec l'Institut français des formateurs risques majeurs et protection de l'environnement (IFFO-RME), dépendant de l'Éducation nationale, le fabrication laboratory (Fab lab) de l'université Pierre et Marie Curie et l'association Planète Sciences, qui promeut la science auprès des jeunes, l'IRSN a développé un outil de mesure de radioactivité en kit. À l'aide de cet appareil et d'un téléphone portable, il est possible d'effectuer une mesure de radioactivité. Cette mesure est ensuite envoyée sur un site internet et peut être partagée.
En temps de paix, l'idée est de contribuer à la culture de la radioprotection, notamment auprès des jeunes. Un professeur de physique peut ainsi se servir du site pour organiser une activité sur ce sujet. La question qui reste à traiter est de savoir comment intégrer ces mesures en situation de crise. Cela fait partie des actions sur lesquelles nous échangeons avec plusieurs CLI, des échanges qui me semblent pouvoir contribuer à la sensibilisation et à la préparation à la crise.
Par ailleurs, une crise comporte toujours deux parties : d'abord la crise aiguë puis, une fois l'installation revenue à un état raisonnablement sûr, la phase post-accidentelle impliquant la gestion d'un environnement contaminé. Or toutes les études montrent, à travers notamment l'exemple des dialogues organisés à Fukushima avec la population, que la gestion de cette dernière phase nécessite une implication très forte des parties prenantes. Une coconstruction est nécessaire entre autorités, experts et populations.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Pourriez-vous nous indiquer le prix de l'outil de mesure que vous avez mentionné ?
M. Jean-Christophe Niel. - Sur le site de l'IRSN, cet outil coûte environ 100 euros.
M. Olivier Gupta. - Je voudrais souligner l'intérêt de ce que l'on appelle la « pression médiatique simulée » lors des exercices de crise. Au cours de ces exercices, des journalistes jouent le rôle qu'auraient de vrais journalistes pendant l'accident, ce qui permet de s'entraîner à répondre à des questions très basiques, mais potentiellement déstabilisantes en l'absence d'entraînement. L'idée est que nous puissions apporter autant que possible les réponses attendues par le public. Cela me semble extrêmement important.
M. Jean-Christophe Niel. - Je souhaiterais souligner plusieurs caractéristiques du système d'expertise nucléaire qui participent de sa singularité et peuvent réduire son potentiel d'adaptation à d'autres structures.
L'IRSN a ses propres experts, et fait très peu appel à des experts extérieurs, même si les échanges avec l'extérieur sont nombreux par ailleurs, le fonctionnement en vase clos devant être évité. Pour construire une expertise à la demande de l'ASN, par exemple, ce sont les propres experts de l'IRSN qui sont mobilisés.
Il s'agit en outre d'une expertise collective. L'IRSN exerce deux métiers. Il rassemble des spécialistes en matière d'incendie, de thermo-hydraulique, de facteurs humains et joue également un rôle d'ensemblier. L'élaboration d'une expertise ne requiert pas seulement le recueil et le regroupement de l'avis de plusieurs experts spécialisés, elle nécessite aussi une mise en perspective. Cela rejoint d'ailleurs l'approche graduée qu'évoquait plus haut le président de l'ASN.
Autre caractéristique importante : l'IRSN a la connaissance de toutes les installations nucléaires, depuis le début. Il s'agit là d'une différence essentielle avec le système d'expertise applicable aux installations classées, qui implique le recours à de nombreuses tierces expertises. A contrario l'IRSN est destinataire de toute l'information et de toute l'histoire relatives à la sûreté nucléaire des installations, du fait de la centralisation du système. À titre personnel, je pense que cet état de fait est plutôt positif. En effet, la sûreté se construit dans un historique potentiellement assez long.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - En cas de crise radiologique, quelles actions concrètes les cellules de crise décident-elles de mener à l'égard des populations ? Qui décide des examens médicaux qu'elles doivent suivre ? Qu'en est-il de la formation des médecins et des hôpitaux sur ce sujet ?
Par ailleurs, comment expliquez-vous les quelques dérives survenues à Flamanville ?
Enfin, comment la communication s'organise-t-elle entre vos deux organismes ? Est-elle complémentaire, indépendante ou hiérarchisée entre les deux ?
M. Bernard Doroszczuk. - La gestion de crise est extrêmement codifiée au niveau national selon l'échelle de la crise. Si la crise est locale, le préfet prend la main. Lorsque la crise dépasse ce cadre, la cellule interministérielle de crise agit, en liaison avec le Premier ministre et le Président de la République.
Nous jouons ces scénarios douze à treize fois par an au niveau local, et une fois tous les trois ans au niveau national.
La conduite à suivre en cas d'accident nucléaire est codifiée dans le plan d'organisation de la réponse de sécurité civile (Orsec) adapté à la situation de crise radiologique. Une série de consignes et d'actions est prévue dans ce plan, qui est à la main du préfet dès que l'accident se produit en fonction de la probabilité de rejets et du temps dans lequel ces rejets s'opéreront. En cas de probabilité forte et de rejets rapides, le préfet agit en phase réflexe. Il est en quelque sorte en pilotage automatique, et les décisions de mise à l'abri ou d'évacuation sont prises immédiatement. S'il dispose de davantage de temps avant le rejet, il adapte la démarche en fonction de plusieurs critères, des conseils qui lui sont apportés par l'ASN et l'IRSN et des mesures pouvant être réalisées dans l'environnement en cas de rejet. Tout cela est donc très codifié. Et c'est cette phase que nous jouons à chaque exercice de crise.
Comme l'a souligné Jean-Christophe Niel, des améliorations peuvent être apportées à ces exercices. Ainsi, la population y est peu associée. Ce n'est pas une spécificité française, car cela se fait peu dans le monde. Mais, à ma connaissance, les Japonais jouent les accidents avec la population et le Gouvernement, selon des scénarios établis, ce qui n'est pas le cas en France. Un effort ciblé est donc à mener pour que la population puisse s'entraîner, ce qui permet également de diffuser de l'information sur le risque nucléaire.
De plus, dans les exercices, nous nous arrêtons souvent une fois l'installation revenue dans un état sûr. Nous simulons très peu la phase post-accidentelle. Or nous avons pu mesurer son importance lors de l'incendie de l'usine Lubrizol. Les conditions d'éloignement de la population, de consommation des denrées agricoles autoproduites, de commercialisation des produits de l'élevage et de l'agriculture ont été compliquées.
Il existe une doctrine en ce qui concerne la sûreté nucléaire. L'ASN a d'ailleurs été chargée par le Premier ministre de proposer des évolutions de cette doctrine, ce que nous avons fait à l'automne. Il me semble qu'il faudrait jouer cette doctrine, y compris avec le déploiement des moyens de mesure mobiles. Nous pouvons donc encore améliorer le dispositif de gestion accidentelle.
M. Jean-Christophe Niel. - S'agissant de l'aspect strictement médical, le rôle de l'IRSN serait, en liaison avec les pompiers, de mesurer le degré d'exposition à la radioactivité, à raison d'environ 2 500 personnes par jour. Ensuite, en fonction du résultat de la mesure, les médecins de l'ARS orienteraient les personnes vers des hôpitaux de référence définis par la Direction générale de la santé (DGS).
Nous pouvons effectivement nous entraîner davantage sur la phase post-accidentelle, car nous le faisons peu. Et il s'agit d'un domaine sur lequel la coconstruction avec les populations est essentielle. Au Japon, en situation réelle, le retour de certaines personnes dans les communautés a été rendu possible par un travail mené en commun avec elles.
Mme Céline Brulin. - L'accident de Lubrizol est un peu nouveau sur le plan industriel par rapport à des précédents, comme celui de l'usine AZF. Le trait commun entre cet incendie et les crises pour lesquelles vous vous préparez, ce sont des impacts à long terme sur l'environnement et la santé. Sur ce point, nous avons des enseignements à tirer.
Au vu des problèmes de communication qui se sont manifestés, et à l'aune de la présence nouvelle des réseaux sociaux, pourriez-vous approfondir la question de vos simulations de pression médiatique ?
Vous avez indiqué également vous appuyer sur des données issues de l'exploitant. Or une circulaire empêche l'État de connaître le contenu des installations classées en raison des dispositions du plan Vigipirate. Comment pouvons-nous répondre à la menace terroriste tout en ayant connaissance de ce contenu ? De nombreuses difficultés se sont présentées à Lubrizol et dans l'entreprise voisine pour obtenir des informations sur le contenu des fûts.
Enfin, vous semble-t-il possible d'effectuer des modélisations afin de mieux anticiper les résultats de certains cocktails de molécules ?
M. Olivier Gupta. - Lors des exercices, des journalistes jouent leur propre rôle en situation de crise. Ils appellent le centre d'urgence de l'ASN pour poser des questions ou prendre un point de situation, ce qui entraîne le personnel à répondre aux médias à partir d'une information incomplète, qui évolue en permanence.
Nous avons également une activité sur les réseaux sociaux, alimentée par des interactions simulées avec des journalistes. Cela permet de couvrir l'ensemble des moyens de communication qui seraient utilisés réellement en situation de crise - à une ampleur moindre, probablement. En effet, en situation réelle, cela se ferait à une tout autre échelle. Mais cet entraînement est essentiel pour éviter de se retrouver démunis.
Nous évoquions les différences entre le nucléaire et les risques chimiques s'agissant des modalités de gestion des situations d'urgence. Si la radioactivité se mesure à l'aide d'appareils, il n'en va pas si simplement pour les produits chimiques, qui sont nombreux et que l'on ne peut quantifier aussi aisément.
M. Jean-Christophe Niel. - En situation de crise, l'IRSN dispose d'un centre technique de crise (CTC) et interagit avec l'opérateur. Sur des réacteurs d'EDF, par exemple, nous n'avons aucune difficulté pour accéder aux données. Nous avons aussi une ligne directe qui nous donne accès automatiquement à certaines données. En situation de crise, l'accès aux données n'est donc pas un problème.
S'agissant de la modélisation, les radioéléments sont nombreux, mais ils le sont moins que les produits chimiques.
Enfin, et cela souligne de nouveau l'importance de la recherche, la phase post-accidentelle est liée aux effets chroniques, et ces derniers sont compliqués par l'effet cocktail. L'IRSN est impliqué actuellement, avec l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), dans des recherches sur les effets cocktails, ce que l'on appelle « l'exposome », c'est-à-dire le stress induit par des stresseurs variés, radioéléments ou produits chimiques, sur la vie entière. À des niveaux où le risque n'est pas aigu, il entre en compétition avec d'autres risques, et la manière dont nous en appréhendons les conséquences constitue un travail de recherche important en appui de la gestion du risque.
M. Hervé Maurey, président. - Nous avons eu le sentiment, au cours de nos auditions, qu'une forme de laxisme prévalait s'agissant du temps séparant les contrôles effectués sur les installations Seveso et les actions qui en découlent. Lorsqu'il se passe des mois voire des années entre un constat et une mise en demeure, cela semble beaucoup.
Dans le domaine des installations nucléaires, existe-t-il des règles ou des protocoles conduisant à des réactions plus strictes si des problèmes sont constatés ?
Je rappelle que 39 contrôles ont été effectués à l'usine Lubrizol, et que les mises en demeure n'ont été effectuées qu'à l'issue des événements qui nous réunissent aujourd'hui.
M. Bernard Doroszczuk. - Les actions de contrôle de l'ASN peuvent conduire à des mises en demeure puis à des sanctions qui peuvent être des consignations ou des exécutions de travaux d'office. Un nouveau dispositif d'amende sera en outre mis en place début 2020. Et la décision ultime de l'ASN est celle de l'arrêt de l'installation. Nous disposons donc de toute une palette d'actions possibles, qui doit encore s'enrichir, à même d'inciter l'exploitant à évoluer.
Faute d'éléments de comparaison, je ne dirais pas que les choses se règlent plus rapidement que dans les installations classées. À chaque fois nous prenons en compte les enjeux dans nos décisions. Il n'est pas question d'engager des dispositifs de coercition lourds lorsque l'enjeu est relativement limité. En revanche, en cas d'écart important en matière de sûreté, nous n'hésitons pas à procéder à des mises en demeure ou à des consignations. Cela a été le cas notamment pour un exploitant nucléaire de la région parisienne, CIS Bio International, qui présentait un problème de protection incendie de longue date. Après mise en demeure, nous avons imposé les travaux de remise à niveau.
M. Hervé Maurey, président. - Un écart aussi grand que celui qui a séparé les 39 inspections réalisées sur le site de Lubrizol des mises en demeure effectuées postérieurement à l'événement vous paraît-il possible dans le domaine du nucléaire ou avez-vous des protocoles plus stricts en la matière ?
M. Olivier Gupta. - L'ASN dispose d'un délai de deux mois pour adresser la lettre de suite à l'exploitant après l'inspection.
Par ailleurs, il faut se méfier des effets d'a posteriori. Une fois qu'un accident est survenu, nous sommes tentés d'y relier tous les événements antérieurs, alors que les enjeux pouvaient paraître moins importants auparavant. Une prudence est de mise sur ce point.
M. Jean-Claude Tissot. - Lorsque nous mentionnons l'information post-accident ou la prévention, les représentants de l'usine Lubrizol évoquent souvent en réponse le stress que cela pourrait installer dans la population, comme si l'information était synonyme de danger. Or vous avez démontré qu'il était possible de faire circuler l'information facilement. C'est une culture du risque que vous maîtrisez. La peur des exploitants de sites Seveso à cet égard vous semble-t-elle légitime ?
M. Bernard Doroszczuk. - Vous abordez un sujet redoutable et extrêmement compliqué, celui de la culture de sécurité des populations. Il s'agit d'une question fondamentale.
Cette culture n'est jamais acquise. Pour qu'elle puisse s'améliorer, il faut à mon sens jouer la transparence. Sans la transparence, nous n'avons pas de confiance, et ne pouvons donc pas développer de culture de sécurité dans la population. C'est pour cela que j'ai insisté sur le rôle des CLI, en tant que tiers de confiance au contact de la population. C'est aussi pour cette raison que j'ai insisté sur les exercices de crise et sur l'implication des populations dans ces exercices.
J'insiste également, pour le cas spécifique du nucléaire, sur l'importance des campagnes de distribution des comprimés d'iode. Mais il est intéressant de noter que, si les enquêtes que nous réalisons à l'issue de ces campagnes mesurent une meilleure connaissance des risques dans la population, elles montrent aussi que cette information se perd avec le temps. Les campagnes ont lieu tous les cinq ans, et dans l'intervalle les personnes oublient ce qu'elles ont appris. Ainsi, à la question « quelle conduite auriez-vous en cas d'accident nucléaire si vos enfants étaient à l'école ? », 90 % de la population française répond qu'elle irait les chercher, alors que la consigne est précisément de ne pas le faire. Nous avons donc un effort considérable à faire en matière de sécurité. Cela repose sur la clarté, l'information et l'association des tiers de confiance.
M. Olivier Gupta. - S'agissant de la crainte associée à la publication des documents, ce n'est qu'au début des années 2000 que l'ASN s'est mise à publier toutes ses lettres de suite d'inspections. Auparavant, nous avions des réactions de crainte chez les industriels, mais aussi chez nos propres inspecteurs. Or aujourd'hui, personne n'imagine que ces lettres ne soient pas publiques.
M. Gilbert-Luc Devinaz. - Votre communication est claire et a été plutôt bien perçue. La décision d'étendre de 10 à 20 kilomètres le rayon du PPI a été considérée comme rassurante. Mais il aurait peut-être fallu l'accompagner d'un exercice associant la population.
M. Hervé Maurey, président. - La difficulté pour appliquer ces méthodes aux sites Seveso est que ces derniers sont beaucoup plus nombreux que les installations nucléaires et concernent une population plus importante. Cela ne relève pas de l'impossible, mais cela ne se joue pas à la même échelle. Il faut en être conscient.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - J'ai été maire d'une commune proche de la centrale de Golfech. Vos services ont toujours fait de la prévention. Cette prévention peut d'ailleurs conférer un sentiment de sécurité susceptible parfois de faire oublier ou négliger la possibilité du risque. C'est pourquoi la transparence est nécessaire. Plus la transparence est grande, plus la population est rassurée.
M. Hervé Maurey, président. - Merci beaucoup.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques (DGPR) au sein du ministère de la transition écologique et solidaire
M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues, nous accueillons M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques au sein du ministère de la transition écologique et solidaire.
Monsieur Bourillet, nous avons souhaité procéder à votre audition, non pas au démarrage de nos travaux, mais après avoir entendu plus de soixante personnes, de sorte de disposer d'une vision plus précise.
L'incendie de l'usine Lubrizol, même s'il constitue un accident unique par son ampleur, n'est pas un cas isolé. À l'heure où je vous parle, il semblerait qu'un accident d'une ampleur comparable se soit produit dans une usine chimique à Barcelone.
En France, des accidents ont lieu chaque année sur des sites industriels, même s'ils sont le plus souvent moins importants. Le Bureau d'analyse des risques et pollutions industriels (Barpi) a d'ailleurs relevé une augmentation très sensible des accidents industriels au cours des dernières années. En 2018, 1 112 accidents et incidents ont été recensés sur les installations classées, avec une augmentation de 25 % des accidents sur les sites Seveso.
Comment expliquez-vous cette augmentation sensible du nombre d'accidents ? La réglementation a-t-elle été trop assouplie ? Les contrôles sont-ils moins stricts en raison d'un manque de personnel ?
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment, monsieur Bourillet. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Cédric Bourillet prête serment.
M. Cédric Bourillet, directeur général de la prévention des risques au sein du ministère de la transition écologique et solidaire. - Notre mission s'appuie sur des hommes et des femmes qui travaillent principalement pour les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), mais aussi pour les directions départementales de la protection des populations (DDPP), qui disposent d'inspecteurs remarquables agissant sur les installations classées agricoles et les installations de transformation agroalimentaire.
Nous nous appuyons sur des unités départementales (UD), qui comprennent des profils plutôt généralistes, et sur quelques experts plus pointus au niveau régional, interrégional, voire national, qui interviennent en appui des équipes départementales.
Notre premier métier est la réduction du risque à la source. C'est aussi notre priorité, et nous disposons pour cela de plusieurs outils.
Tout d'abord, selon un modèle assez unique en Europe, des arrêtés ministériels de prescriptions de règles de sécurité s'imposant à différents secteurs sont pris pour mettre en oeuvre la directive Seveso au niveau national. Ensuite, localement, sur la base des documents remis par les exploitants, nous proposons aux préfets des mesures pour compléter ce socle minimal national. Par ailleurs, notamment pour les sites Seveso, nous remettons une étude de dangers assez systémique, qui vise à faire le point sur la démarche de réduction du risque à la source et à identifier tous les risques résiduels. Ce document sert aussi à maîtriser l'urbanisation afin que, lorsqu'un nouveau site s'installe ou subit une modification substantielle, des dispositions soient prises pour éviter que les villes se rapprochent du site, ce qui était le cas auparavant.
Les plans de prévention des risques technologiques (PPRT), créés par la loi du 30 juillet 2003 à la suite de l'accident d'AZF, portent sur les bâtiments déjà implantés autour des sites Seveso seuil haut.
Le système de gestion de la sécurité comprend tout ce que l'exploitant doit faire pour gérer les modifications du site, sa maintenance et la formation des équipes. L'exploitant doit aussi être capable de déclencher des plans d'urgence interne, appelés plans d'opération interne (POI), pour faire face à des situations répertoriées.
Au besoin, l'étude de dangers va aussi servir à élaborer le plan particulier d'intervention (PPI), plan d'urgence externe préparé par le préfet lorsque le support de la puissance publique s'avère nécessaire pour gérer un incident ou un accident. L'étude de dangers, qui couvre un large spectre, est donc un document très important dans les relations entre l'administration et les exploitants d'installations à risques.
Nous avons par ailleurs une démarche complète d'analyse des retours d'expérience. Le Barpi est une entité unique en Europe, et quasiment unique dans le monde, avec seulement un équivalent aux États-Unis. Ce bureau recense tous les incidents et accidents qui ont eu lieu en France, en Europe et dans le monde. Sa base de données répertorie 46 000 accidents et incidents et nous permet d'améliorer constamment l'information et la sensibilisation des industriels et de nos équipes d'inspection.
Celles-ci sont majoritairement composées d'agents techniques, dont l'expertise et la compétence sont très largement reconnues. Nous essayons de travailler sur les compétences individuelles et collectives. Chaque inspecteur qui prend ses fonctions suit une formation initiale d'un an, sans compter tout le dispositif de formation continue. Tous les deux ans, une réunion est par ailleurs organisée entre les inspecteurs en charge des risques accidentels et le Barpi, qui leur communique les informations et nouveautés utiles pour améliorer leur pratique.
Nous disposons donc d'une véritable « chaîne de l'inspection », pilotée depuis le niveau national par la DGPR pour les installations classées et les sites Seveso. Le ministre de la transition écologique et solidaire en constitue le dernier maillon et définit chaque année dans une circulaire des priorités nationales.
Monsieur le président, vous m'avez interrogé sur l'analyse que nous faisons du rapport du Barpi sur l'accidentologie en 2018. Il faut distinguer l'ensemble des événements recensés, qui sont effectivement en hausse, et la réalité de l'accidentologie. Depuis quelques années, nous incitons très fortement les exploitants à partager un maximum d'informations avec l'administration, en dehors même de toute inspection. Cela contribue clairement à l'augmentation des recensements.
Nous suivons en revanche avec beaucoup d'attention un indicateur dont l'assiette est comparable d'une année sur l'autre, celui des notifications d'accidents auprès de la Commission européenne au titre de la directive Seveso, lesquelles relèvent de critères fixes depuis plusieurs années. Cet indicateur est stable depuis 2016, avec six ou sept accidents notifiés par an. L'Allemagne notifie deux à quatre fois plus d'accidents, alors qu'elle n'a pas quatre fois plus d'établissements Seveso.
Par ailleurs, je n'ai pas le sentiment que la réglementation en matière de sécurité industrielle ait été assouplie. Elle a plutôt été renforcée, notamment en matière de séismes, de vieillissement des installations, qui nécessite d'adapter la maintenance, ou de liquides inflammables.
De même, les PPRT, qui à l'origine concernaient exclusivement l'extérieur du site, comprennent désormais une nouvelle phase de réduction du risque à la source. Les exploitants ont dû investir plusieurs centaines de millions d'euros pour se mettre en conformité. On a souvent cité les sphères de GPL que nous avons fait retirer entre les bâtiments de Lubrizol et les stockages d'acide chlorhydrique.
M. Hervé Maurey, président. - Votre point de vue sur un durcissement de la réglementation va à l'encontre de nombreux propos que nous avons entendus jusqu'à présent. Nous en reparlerons certainement.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Ce ne sont pas 2 200 tonnes de produits stockées dans l'usine Lubrizol qui ont brûlé, mais le double, puisqu'il faut ajouter 12 700 fûts entreposés dans les locaux de Normandie Logistique. L'inspection était-elle informée de ce stockage de 4 157 tonnes de produits dans des entrepôts non conformes ?
Vous parlez de durcissement des procédures en matière de sécurité industrielle. Ne pensez-vous pas, au contraire, que l'introduction du régime d'enregistrement, qui a été accompagnée de nombreuses mesures de simplification, a eu pour conséquence une réduction importante des contraintes pour les industriels, moins de surveillance et plus d'accidents technologiques ?
M. Cédric Bourillet. - Sur le niveau d'information dont disposait la Dreal sur les produits stockés, je ne sais pas vous répondre en détail, car ce type de données ne remonte pas quotidiennement au niveau national : quelque 18 000 inspections sont menées chaque année, avec des milliers de dossiers échangés.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Pourtant, il serait important d'avoir une réponse.
M. Cédric Bourillet. - Peut-être pouvez-vous interroger le préfet...
Ce qui compte pour nous, c'est la nature du produit stocké et les dangers qu'il représente, plus que l'identité de l'expéditeur ou du propriétaire. Une même usine, d'ailleurs, peut manier à la fois des produits dangereux et qui nécessitent des conditionnements pour leur transport et leur stockage, et des produits qui ne présentent pas de dangerosité particulière. L'origine du produit n'est pas une information suffisante pour déterminer les précautions de sécurité à prendre.
J'ai parlé d'un assouplissement, mais les règles de sécurité, elles, se sont durcies, devenant plus exigeantes que la moyenne européenne. L'enregistrement est une procédure, c'est-à-dire une des formalités administratives nécessaires dans les relations entre le pétitionnaire et le préfet. Il s'agit d'une procédure d'autorisation simplifiée : les pièces à fournir sont moins nombreuses et la procédure est plus courte. Pour une autorisation normale, on vise un délai d'instruction de neuf ou dix mois ; pour la procédure d'enregistrement, c'est plutôt cinq à sept mois. La règle qui a toujours été suivie en matière d'enregistrement est que, si une installation était précédemment soumise à autorisation, nous ne revenons pas en arrière sur les prescriptions applicables : si la procédure a changé, il n'y a pas de régression environnementale. C'était l'engagement moral et politique qui avait été pris lors de la création de l'enregistrement. Puis, la loi biodiversité du 8 août 2016 a inscrit dans la loi le principe de non-régression des actes réglementaires : chacun de nos décrets est soumis au Conseil d'État, qui vérifie systématiquement l'absence de régression environnementale. Nous appliquons aux installations soumises à enregistrement les mêmes règles de contrôle qu'à celles qui sont soumises à autorisation.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Vous dites que ce qui vous intéresse est de connaître ce qu'il y a dans les fûts. Nous sommes au XXIe siècle : comment se fait-il qu'il n'existe pas un registre électronique crypté, mis à jour en temps réel, répertoriant le contenu et la situation de chaque fût ? Cela permettrait aux pompiers d'arriver équipés en conséquence et aux services de la préfecture de savoir exactement ce qu'il en est. Est-ce une question naïve ?
M. Cédric Bourillet. - Pas du tout ! L'administration peut à tout moment demander à l'exploitant de lui rendre compte de la nature et de la quantité des produits stockés sur son site. Ce principe est quasiment explicite dans la réglementation. Les retours d'expérience donnent à penser que cela rassurera beaucoup de gens de le rendre totalement explicite. En fait, à chaque fois que l'administration a fait des demandes, elle a obtenu les informations qu'elle réclamait.
Pour autant, au moment où l'on a demandé ces informations à Lubrizol et Normandie Logistique, en pleine nuit, alors qu'ils étaient en train de gérer l'incendie, de déplacer les fûts, ces entreprises n'étaient pas forcément en capacité de nous indiquer la quantité exacte contenue dans chacun des fûts. En pratique, leur capacité à donner cette information très rapidement en situation accidentelle s'est révélée insuffisante. Cela ne signifie pas que les pompiers n'étaient pas équipés puisque, dans l'étude de danger, on identifie les scénarios d'action majeure. Les scénarios de toxicité des accidents figurent dans l'étude de danger, avec des scénarios-enveloppes en fonction de la toxicité possible des produits. On connaît donc les cercles de toxicité tels qu'ils ont été modélisés.
Quelles sont les pistes d'amélioration ? Cet accident, d'abord, nous donne envie de progresser. Je partage votre prudence : les informations doivent être cryptées. Il y a aujourd'hui 500 000 installations classées, dont certaines stockent plusieurs dizaines, voire centaines de milliers de substances différentes, qui basculent en permanence de réservoirs en entrepôts, puis vers des zones de préparation pour l'expédition, etc. Cela fait une masse d'informations considérable, surtout s'il faut dire, heure par heure, où se trouve chaque substance, ce qui représenterait aussi un coût administratif non négligeable pour l'entreprise. Et il n'est pas sûr que l'on sache mobiliser la bonne information en pleine nuit en cas d'accident. En fait, il faut trouver une solution pragmatique.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Le décret du 21 novembre 2019 instaure un nouveau dispositif, qui s'appelle « plateforme industrielle ». Pourriez-vous nous préciser ses objectifs et ses principales dispositions ? Y aura-t-il un impact sur la politique de prévention des risques technologiques ? Est-ce un allégement ou un durcissement pour les exploitants des établissements concernés ? Un progrès en matière de maîtrise des risques industriels ? L'idée de créer pour les sites Seveso une autorité indépendante, comme l'Autorité de sûreté nucléaire, vous semble-t-elle bonne ? Enfin, quels enseignements tirez-vous de l'incendie du site de Lubrizol ? Quelles évolutions faut-il apporter au cadre juridique ?
M. Cédric Bourillet. - Les plateformes résultent d'un décret d'application de la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte).
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Pour alléger ?
M. Cédric Bourillet. - Pour mieux gérer le fonctionnement collectif. Aujourd'hui, il y a plusieurs plateformes sur un territoire qui, il y a quelques dizaines d'années, était un grand site exploité par une grande entreprise. Les différents exploitants qui se partagent le site ont en commun des utilités - de l'eau, de la chaleur -, mais aussi des tuyaux et des produits. Sur Google Earth ou quand on entre sur le site, on a l'impression d'avoir une seule grande usine. En fait, il y a plusieurs exploitants. L'idée était de créer des outils collectifs pour gérer ces sites comme une seule plateforme, et non comme une succession d'exploitants autonomes les uns des autres. Cela permet aux préfets d'avoir des plans d'urgence communs à l'ensemble des exploitants sur la plateforme, ainsi qu'un PPRT commun. Le préfet peut aussi prescrire aux exploitants des études communes, par exemple sur les émissions à l'extérieur ou sur les rejets dans l'eau. Bref, cela permet au préfet de disposer d'une approche globale et de conduire les exploitants à adopter des outils globaux. Cela n'aboutit pas forcément à accroître le nombre de règles pour les exploitants.
Une autorité indépendante pour les ICPE ? Cela soulève plusieurs difficultés. Notre fonctionnement est organisé autour de la chaîne de l'inspection, avec des unités départementales généralistes et des pôles d'expertise au niveau régional, voire international, qui apportent un éclairage ponctuel, le tout complété par des pôles spécialisés sur les risques accidentels, les émissions de substances dangereuses, les rejets dans l'eau, etc. Si l'on coupe le système en deux avec les Seveso d'un côté, et le reste de l'autre, à effectif constant, je ne sais plus faire... De plus, le risque technologique et accidentel ne se limite pas aux sites Seveso. Certains sites sont juste en dessous du seuil Seveso : c'est une stratégie courante pour les industriels, pour renforcer l'acceptabilité auprès des riverains et diminuer le nombre d'obligations. Et il y a des canalisations, des sites dangereux comme les silos et les entrepôts...
Depuis 1976, il y un interlocuteur unique pour les installations classées, l'inspecteur des installations classées, qui regarde l'ensemble des problématiques d'un site. Cette approche globale est vertueuse, car il peut y avoir des interactions. Par exemple, un accident récent à la station d'épuration d'Achères a mis en jeu des substances dangereuses, car, pour bien traiter l'eau, on a besoin de produits... Il faut donc une vision d'ensemble. Casser cette approche transversale réduirait la compétence et la qualité de l'action publique. Il existe aujourd'hui un continuum sous l'autorité du préfet entre l'autorisation, les prescriptions, les mesures de prévention des risques et les prescriptions de moyens disponibles pour agir en cas d'accident, et aussi, ensuite, pour la gestion de crise. Cela donne une unité et une fluidité d'action que nous n'aurions pas avec deux interlocuteurs.
Il y a plusieurs différences avec l'Autorité de sûreté nucléaire. D'abord, l'essentiel des exploitants - EDF, le CEA, Orano - font une place à l'État dans leur gouvernance. Puis, le nombre de sites est limité et les évolutions ne sont pas très fréquentes. Dans le domaine des installations classées, on enregistre presque 1 400 nouvelles installations ou extensions par an. S'il fallait coordonner en permanence deux autorités, organiser des exercices communs, la fluidité en souffrirait. Sur Lubrizol, j'ai lu que l'intervention des services de la Dreal a été extraordinaire, et que les pompiers ont joué un rôle très important : c'est qu'il y avait eu de nombreux exercices communs et que les équipes se connaissaient bien.
Difficile de tirer des enseignements à ce stade, alors que les causes ne sont pas connues...
M. Hervé Maurey, président. - Vous disiez que cela vous avait donné envie de progresser... Nous attendons des propositions.
M. Cédric Bourillet. - L'enquête administrative n'est pas terminée, pas plus que les travaux des deux assemblées parlementaires. Une première piste est de développer la capacité à accéder plus vite, en situation de crise, c'est-à-dire lorsque l'exploitant est lui-même quelque peu démuni, et occupé à autre chose, à la liste complète des produits et des quantités - et la capacité à la mettre à disposition du public sous une forme intelligible. Il entre aussi dans notre rôle d'établir des règles de sécurité sur le stockage de liquides inflammables. Nous devrons envisager des évolutions, notamment sur les quantités d'émulseurs. En l'occurrence, il n'y en avait pas assez et la Dreal a été extrêmement réactive et efficace, dès 3 heures du matin, pour en obtenir ailleurs.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Effectivement, les autres industriels ont apporté une aide importante en matière de logistique. L'exploitant souhaite renforcer cette aide mutuelle par des procédures formalisées. Pouvez-vous répondre à cette demande ?
M. Cédric Bourillet. - Ce sont des choses que l'on peut prescrire. En tout cas, on a eu besoin de plus de mousse le jour de l'accident. La Dreal a su où en trouver sur d'autres sites, mais, dans d'autres situations plus difficiles, notamment si les sites voisins avaient été plus éloignés, il y aurait eu un problème. Des coopérations entre exploitants sont envisageables, pourvu qu'elles soient fiables. De toute façon, les exploitants devront avoir un plus grand volume de mousse disponible sur chaque site.
Sur les contenants, nous devons aller encore plus loin dans les mesures susceptibles de ralentir la propagation du feu et de faciliter l'intervention des pompiers. L'enquête administrative en cours collectera auprès des pompiers leur retour d'expérience sur leurs principales difficultés dans la lutte contre le feu. Il faudra sans doute faire évoluer l'arrêté ministériel sur le stockage de liquides inflammables.
Sur la capacité à mener des analyses et à disposer de leurs résultats très vite après le début du sinistre, il y a à la fois un progrès constaté et un progrès qui reste à faire. Pour Lubrizol, la puissance publique a eu beaucoup de mal à obtenir des analyses rapides et fiables sur la nature des produits chimiques et leur concentration. Beaucoup de progrès ont été faits, toutefois. Un dispositif a été monté par le ministère par une circulaire de 2014, suite à un accident concernant Lubrizol, déjà : le réseau d'intervenants en situation post-accidentelle (RIPA). Ce réseau concerne des bureaux d'études privés, avec lesquels les exploitants des sites Seveso seuil haut doivent contractualiser, et qui doivent être prêts à intervenir pour faire des mesures et donner l'information. Cela a bien fonctionné : le bureau Veritas est venu et a fait des mesures. Si les mesures ont été faites dans les premières heures du sinistre et aux bons endroits, leur temps de développement et le niveau de précision des résultats ont été un peu décevants. Il faudra progresser sur ce volet.
Mme Nelly Tocqueville. - Hier, le conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) a donné un avis favorable à la réouverture de deux unités de mélange au sein de Lubrizol, et un arrêté préfectoral devrait être signé prochainement en ce sens. Émotion des élus, émotion des populations riveraines, même si les uns et les autres sont bien conscients des enjeux économiques, en particulier en matière d'emploi. Cette reprise partielle ne présente-t-elle vraiment aucun danger, alors que l'origine de l'incendie n'est toujours pas connue ? Et l'évacuation des fûts se poursuit, beaucoup plus lentement que prévu. Ne serait-il pas plus prudent que l'État attende le résultat de l'audit de sûreté confié à un cabinet extérieur ?
M. Cédric Bourillet. - Je ne saurais répondre précisément à votre question car les documents pertinents ne sont pas remontés au niveau national. La législation des installations classées ne fait pas de place à l'équilibre entre conséquences économiques et environnementales : le préfet ne rend pas un avis d'opportunité fondé sur une analyse bénéfices-risques dans laquelle l'économie et l'emploi auraient une place. L'article L. 511-1 du code de l'environnement définit les conditions dans lesquelles les installations classées doivent être exploitées et l'article suivant définit les conditions dans lesquelles le préfet peut autoriser, ou non, une exploitation complète ou partielle. Les critères que le préfet peut prendre en compte sont soumis à la justice administrative, en cas d'écart. Ils ne comprennent pas le bénéfice économique. Il ne s'agit que de maîtrise des dangers et inconvénients. La Dreal a remis un rapport et rendu un avis favorable sur les quelques unités appelées à redémarrer. J'ai toute confiance en la capacité de cette structure à appliquer le code de l'environnement et les règles de nos référentiels professionnels. J'anticipe, comme vous, que le préfet signera prochainement l'arrêté d'autorisation de réouverture partielle.
Mme Nelly Tocqueville. - Alors que l'évacuation et le traitement des fûts se poursuivent beaucoup plus lentement que prévu, ce qui semble montrer que ce n'est pas aussi simple que ce qui avait été annoncé...
M. Cédric Bourillet. - Je ne saurais vous répondre précisément, faute d'informations. Je comprends que l'unité qui traite les fûts est à une extrémité du site - la partie qui a brûlé représente 15 % de la surface du site - et que les unités dont l'activité va reprendre sont situées à un endroit différent. Je pense que le préfet a regardé les choses de près, avec l'appui technique de la Dreal.
M. Jean-Claude Tissot. - Vous nous disiez qu'il était compliqué de connaître la nature et la quantité des produits à un instant donné. Les industriels, eux, nous disent que, dans ce type de fabrication de production, ils savent exactement, à la seconde près, ce qui passe dans leurs tuyaux et ce qui va dans les fûts de stockage. Je suis donc étonné par votre réponse. La question a été posée le jour de l'incendie et le lendemain. Pour avoir des réponses, on a attendu plusieurs jours. Pourquoi ce délai ?
M. Cédric Bourillet. - Je relève la même contradiction que vous. Je pense qu'il n'y a pas de difficultés insurmontables. Nous avons demandé aux exploitants, tout au moins aux gros exploitants, qui ont des systèmes d'information, des systèmes de suivi logistique et des systèmes d'exploitation, de transformer les informations dont ils disposent en une information exploitable par l'administration, quasiment en temps réel. Leur information est organisée pour la production ; ce qui nous intéresse, ce sont les risques associés aux substances.
Dans le cas de Lubrizol, je pense qu'ils ont rapidement réussi, dans un premier temps, à collecter l'information logistique, mais que sa transformation en information utilisable a pris plus de temps.
M. Jean-Claude Tissot. - Une ou deux semaines...
M. Cédric Bourillet. - Plusieurs jours, en tout cas. Nous devons donc nous organiser mieux, à l'avance, pour qu'on puisse accéder facilement, le jour de l'accident, aux informations nécessaires.
M. Jean-Claude Tissot. - Seul le stockage a été impacté par l'incendie. La production, les bureaux, la logistique fonctionnaient normalement.
M. Cédric Bourillet. - L'usine a été complètement évacuée à cause des fumées... Nous avons plusieurs semaines de travail devant nous, mais ce n'est pas insurmontable.
M. Hervé Maurey, président. - Les délais de réaction de la part des services qui contrôlent Lubrizol sont tout de même étonnants. Dans la mise en demeure du mois de novembre, sont clairement visées des prescriptions réglementaires qui dataient de 2014, voire de 2010. Comment peut-il y avoir un tel délai entre le moment où l'on signale des problèmes, celui où l'on fait une mise en demeure, et celui où les prescriptions sont appliquées ?
M. Cédric Bourillet. - Je ne saurais vous répondre de façon très détaillée sur l'arrêté de mise en demeure en question. Nos référentiels professionnels prévoient que, suite à l'inspection, si l'on constate des non-conformités qui appellent une mise en demeure et que les prescriptions ne sont pas respectées, des sanctions administratives peuvent être appliquées, allant jusqu'à la suspension. On ne fixe pas d'objectif de taux de mise en demeure à l'issue d'une inspection. L'an dernier, sur 18 000 inspections, il y a eu 2 116 mises en demeure et 828 procès-verbaux.
Lorsque des prescriptions s'appliquent à un exploitant, c'est celui-ci qui est le premier responsable de leur application. L'administration n'est pas une sorte de co-exploitant, ou de vérificateur permanent. Il est important que les exploitants se sentent en responsabilité et ne voient pas l'administration comme une espèce de filet de sécurité qui, de toute façon, vérifiera chaque point sur les sites.
Lors des inspections, un certain nombre de thèmes sont regardés. Si des écarts sont constatés, ils sont relevés. Mais tout n'est pas regardé de façon exhaustive. Il peut donc très bien arriver que ce soit à l'occasion d'une inspection ultérieure que l'on constate un défaut de conformité datant de quelques années. Mais il n'y a pas d'hésitation particulière à apporter des suites à des non-conformités.
M. Hervé Maurey, président. - Certes, la mise en demeure n'est pas une fin en soi. Mais, quand on relève des problèmes ou des manquements, l'exploitant devrait être tenu de se mettre en règle dans un délai raisonnable. Or cet exemple montre que cinq ou dix ans peuvent s'écouler... Et cela ne vous étonne pas !
M. Cédric Bourillet. - Si une non-conformité constatée en 2014 n'a pas été corrigée en 2019, il y a un véritable écart avec notre référentiel professionnel.
M. Hervé Maurey, président. - C'est ce que laisse penser la lecture de l'arrêté de mise en demeure du 8 novembre.
M. Cédric Bourillet. - Alors il y a un vrai écart. Si l'inspection a été menée quelques jours avant, en novembre 2019, fin octobre 2019, et que la mise en demeure survient dans les jours qui suivent, cela correspond à notre référentiel professionnel. Cela n'empêche pas que l'inspection de 2019 ait vérifié des prescriptions applicables depuis 2014 ou 2010. Il y a un délai maximal pour se remettre en conformité : à l'issue de ce délai, si ce n'est pas fait, des sanctions administratives sont prononcées.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - On annonce une augmentation de 50 % des contrôles de terrain. Cela annonce-t-il des recrutements supplémentaires ?
M. Cédric Bourillet. - En juillet, nous avons fixé des orientations stratégiques. L'une des plus importantes était d'augmenter de 50 % le nombre de contrôles. Cela découle de plusieurs constats. Dans les documents, on peut nous raconter beaucoup de choses, mais c'est sur le terrain qu'on voit la réalité des choses. C'est là, aussi, qu'on peut faire des exercices, tester les exploitants, parfois de façon inopinée. C'est très précieux. Or, le nombre d'inspections avait baissé ces dernières années. La hausse de 50 % répond à cette baisse, qui avait plusieurs causes. D'abord, on nous avait demandé de nous mobiliser sur des dossiers importants, comme les PPRT. Nous allions aussi être amenés à exproprier ou renforcer des bâtiments qui s'étaient trop rapprochés des usines avec le temps. On nous a aussi demandé que l'État fasse plus de concertation et d'information, notamment sur les dossiers éoliens, qui sont entrés dans notre compétence, ou sur les commissions de concertation autour des sites. Il y a eu, aussi, beaucoup de changements à gérer au sein de l'administration : création des Dreal, constitution des grandes régions, création de l'autorisation environnementale unique... J'espère que la structure administrative est désormais stabilisée. Le temps ainsi libéré sera consacré à des inspections.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Vous avez donc les moyens nécessaires ?
M. Cédric Bourillet. - Nous devrons conduire des actions de modernisation de notre outil, de notre organisation, de notre compagnonnage, pour atteindre cet objectif à moyens constants.
M. Hervé Maurey, président. - Merci. N'hésitez pas à nous faire parvenir tous documents que vous pourriez juger utiles à nos travaux, notamment d'éventuelles propositions pour améliorer les dispositifs actuels, que ce soit en termes de réglementation ou de contrôle.
La réunion est close à 18 h 55.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Jeudi 12 décembre 2019
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 9 h.
Audition de Mme Émilie Counil, chargée de recherche à l'Institut national d'études démographiques (INED)
M. Hervé Maurey, président. - Nous commençons notre programme d'auditions de la journée en entendant Mme Émilie Counil, chargée de recherche à l'Institut national d'études démographiques (INED).
Au sein de l'INED, vous appartenez à l'équipe de recherche Mortalité, santé, épidémiologie. Par ailleurs, vous avez été directrice du Groupement d'intérêt scientifique de recherche sur les cancers d'origine professionnelle (Giscop 93). Vous avez donc une connaissance fine des enquêtes de santé et des liens entre santé et environnement, notamment dans un cadre professionnel.
Ce n'est qu'à long terme que nous pourrons, ou pas, observer une éventuelle surmortalité ou surmorbidité. Mais c'est dès aujourd'hui que nous devons nous en préoccuper : considérez-vous que l'État a pris toutes les mesures nécessaires afin d'organiser une collecte la plus complète possible des données permettant de suivre au long cours l'état de santé de toutes les personnes exposées, qu'il s'agisse des personnels d'intervention, des salariés de Lubrizol présents sur le site le jour de l'incendie ou les populations exposées au panache et à ses retombées ?
Avant de vous laisser la parole, je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Émilie Counil prête serment.
Mme Émilie Counil, chargée de recherche à l'Institut national d'études démographiques (INED). - Vous avez souhaité m'entendre dans le cadre de cette commission pour aborder des questions d'ordre épidémiologique. Vous m'avez transmis hier midi un certain nombre de questions couvrant de vastes domaines d'expertise. Par manque de temps et ne m'estimant pas compétente pour les aborder toutes, je ne répondrai pas précisément à l'ensemble de ces questions. Je retiendrai en revanche comme principal sujet de discussion le suivi sanitaire des populations affectées par l'accident de l'usine Lubrizol. Un tel suivi doit permettre de surveiller les éventuelles atteintes à la santé à moyen et long terme. La comparaison avec le suivi de la catastrophe du World Trade Center a en particulier été évoquée lors de plusieurs des auditions de la commission et soulève plusieurs questions, qui structureront mon propos liminaire.
Chercheuse en santé des populations à l'INED, j'ai beaucoup investi les questions d'inégalités sociales face au cancer, avec un intérêt particulier pour la contribution des facteurs professionnels et environnementaux dans la construction de ces inégalités et en y articulant l'étude des obstacles à la production de connaissances sur ces sujets, comme par exemple les biais de genre, les mécanismes d'invisibilisation et de production d'ignorance. En lien plus direct avec le cas de Lubrizol, j'ai par ailleurs conduit différentes investigations de santé publique autour d'un ancien site de broyage d'amiante lorsque j'étais épidémiologiste à l'Institut de veille sanitaire (INVS). Puis, en tant que chercheuse dans le cadre d'une convention avec l'agence régionale de santé Île-de-France (ARS IdF), j'ai réalisé une étude de faisabilité d'un suivi médical post-exposition environnementale à l'amiante pour les populations affectées par les pollutions chroniques engendrées par ce site du temps de son activité. Je m'intéresse également à la science participative et à l'épidémiologie populaire, et à leurs enjeux de justice épistémique, notamment dans le domaine de la santé environnementale. Enfin, j'échange régulièrement avec des collègues d'autres pays sur ces questions, comme j'ai récemment encore eu l'occasion de le faire avec le directeur scientifique des études de santé conduites après l'effondrement des tours jumelles du World Trade Center à New York.
C'est sur ce point précis que la commission m'avait initialement indiqué souhaiter m'entendre ce matin. La question porte en effet sur la comparaison évoquée par Mme Thébaud-Mony, comparaison en partie réfutée par Mme Buzyn, sur la base notamment de différences dans les situations d'exposition : exposition directe avérée aux polluants après l'effondrement des tours, contrairement à l'incendie de Lubrizol et à la propagation du nuage.
Afin d'éclairer cette divergence de points de vue, j'ai tenté d'analyser les principales similitudes et différences se dégageant des cas du World Trade Center et de Lubrizol. Je précise que bien qu'ayant lu un grand nombre de comptes rendus d'auditions et de documents mis en ligne par la préfecture et le Gouvernement, je ne maîtrise pas l'ensemble des éléments de ce dossier complexe. Certains des points d'interrogation que je vais soulever ont donc peut-être déjà trouvé réponse à travers les actions mises en oeuvre depuis l'incendie.
Il existe, pour commencer, des différences assez évidentes. Elles concernent principalement l'ampleur et la durée des expositions, puisqu'outre l'effondrement des tours jumelles, les incendies se sont poursuivis pendant trois mois, générant plus d'un million de tonnes de débris et de poussières dans les environs. J'en profite pour dire qu'il y a bien eu incendie des tours jumelles, contrairement à ce qui a pu être dit. D'autre part, dans le cas du World Trade Center, un nombre très important de travailleurs - pompiers, policiers, secouristes, nettoyeurs, volontaires improvisés - ont été directement exposés, en plus des riverains et des travailleurs de la zone impactée.
Mais il y a également des similitudes quant à la situation d'incertitude. D'abord, celles relatives aux incertitudes sur la nature des expositions dans les jours et les semaines qui ont suivi la catastrophe. En effet, un point commun important réside dans la difficulté à caractériser la composition des particules issues de la combustion imparfaite de mélanges complexes et de matériaux constituant dans le cas de Lubrizol le bâti de l'usine, dont le toit en fibrociment, voire des fibres minérales artificielles n'ont pas été évoquées jusqu'ici. Cette connaissance imparfaite de la composition des produits dispersés, des fumées et des effets d'interaction entre polluants a été largement reconnue par les agences scientifiques mobilisées, notamment l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris). La quantité de dioxines émise reste par ailleurs inconnue. Un autre point commun d'incertitude réside dans la délimitation des populations potentiellement impactées par ces expositions. Dans le cas de Lubrizol, le panache de plus de 20 km de long sur 6 km de large est retombé, à cause des fortes pluies, en taches de léopard, tout en se déplaçant vers le Nord-Est et en touchant d'autres départements. Mme Gardel, directrice générale de l'ARS, évoque une population de 287 000 habitants sous le panache, mais il faudrait pouvoir caractériser les zones d'expositions potentielles. Sur ce point, la suggestion de M. Salvat, de l'Anses, d'utiliser une application afin d'établir une cartographie participative des retombées semble particulièrement judicieuse. À cela s'ajoute la question du devenir des eaux d'extinction et de leur composition. Ces points ont déjà été relevés dans les précédentes auditions, notamment celles de la direction de l'Anses. La nature des effets sanitaires à attendre à moyen et long terme, au-delà des atteintes respiratoires irritatives et asthmatiques, est également incertaine du fait des incertitudes sur les expositions. Mais on s'accorde à penser que des atteintes aussi bien physiques - respiratoires, cardio-vasculaires, cancéreuses, voire reproductives - que psychiques - anxiété, troubles du sommeil, voire, dans le cas du World Trade Center, en particulier, syndrome de choc post-traumatique - sont envisageables.
Enfin, il n'y a pas de point de comparaison représentant l'état de santé initial de la population à un moment t zéro, avant l'accident, à New York comme à Rouen. Mme Buzyn a indiqué, lors de son audition, que « la surveillance épidémiologique de la population est permanente sur l'ensemble du territoire, grâce aux différents registres des maladies », et que « à Rouen, l'état zéro est connu ». J'ai cherché un tel état zéro de la santé de la population de la ville ou du département, je n'en ai pas trouvé. À ma connaissance, la ville de Rouen et ses environs ne sont couverts par aucun registre de maladie au sens épidémiologique du terme. Pour ne parler que de ces pathologies, il n'y a en particulier pas de registre de cancer dans le département de la Seine-Maritime. Tout au mieux dispose-t-on d'estimations de taux d'incidence départementale pour certains cancers fréquents, issus non pas de données réelles seules, mais de données en partie modélisées. Le système national des données de santé (SNDS), qui consigne les consommations de soins, ne saurait être considéré comme un équivalent de ces registres.
Mme Gardel indiquait, quant à elle, que le dossier médical du médecin traitant pouvait être vu comme un registre et utilisé comme le point t zéro pour la population ayant consulté son médecin traitant suite à l'incendie. Or, un registre porte sur un ensemble de personnes réunies sur la base de critères d'inclusion. Je n'ai pas trouvé de description d'un tel dispositif dans les actions prévues par l'ARS ou Santé publique France (SPF). Au total, à en juger par les informations disponibles sur les quatre points essentiels que sont les expositions présentant un danger, les populations affectées, les issues de santé à surveiller et le point de comparaison permettant in fine d'objectiver une élévation du risque, nous manquons encore d'éléments importants à ce jour.
Ce dernier point, qui est revenu également dans certaines auditions concernant le « bruit de fond » ou la pollution de fond dans cette zone industrielle, soulève à mes yeux la question plus générale de la surveillance épidémiologique des bassins industriels, même en dehors de situations accidentelles. Pour avoir vu un poster à la conférence annuelle de la Société francophone de santé environnement le mois dernier, je sais que Santé publique France travaille sur ce sujet, en réfléchissant notamment à l'utilisation des données du SNDS. Toutefois, ces données ne remplacent pas les registres de morbidité car elles ne comportent ni antécédents personnels et familiaux, ni données cliniques ou paracliniques, ni facteurs de risque. Or, ces registres font largement défaut en France. Une journaliste du Monde a récemment publié une carte dans laquelle elle superpose les sites classés Seveso à l'échelle de la France et la couverture des départements par un registre des cancers. Le bassin industriel rouennais fait partie des zones non couvertes à ce jour. Une possible recommandation serait de s'appuyer sur l'accident de Lubrizol pour investir dans la mise en place d'un 23e registre général de cancers en France permettant de couvrir, a minima, la Seine-Maritime. Toutefois, étant donné que ces registres sont spécialisés sur un type d'atteintes seulement - même lorsqu'il s'agit de registres généraux de cancers - il convient de s'interroger sur l'opportunité de constituer une cohorte ad hoc suivie de manière prospective dans le temps, comme cela a été le cas après les attentats du World Trade Center.
À ce sujet, j'ai relevé quelques points
d'intérêt dans la littérature scientifique sur la
constitution du World Trade Center health registry. Je me permets de
les porter à votre connaissance et vous laisserai une sélection
de quelques publications indicatives à ce sujet. Cette initiative a
démarré avec les travailleurs secouristes professionnels et
volontaires - hors pompiers de New York, qui ont disposé
dès les premiers jours d'un suivi médical rapproché
-
et les premiers examens ont été lancés dix mois
après les attentats, soit en juillet 2002. Organisé par
un centre de référence en médecine du
travail - The Mount Sinai Irving Selikoff Center for Occupational
and Environmental Medicine - en lien avec les syndicats de
travailleurs concernés, dont les métiers non traditionnels tels
que les nettoyeurs et les travailleurs mortuaires, et grâce à des
fonds provenant de l'Agence fédérale de réponse aux
urgences, il s'agissait d'un programme de dépistage ne couvrant pas le
financement des phases diagnostiques et de prise en charge. C'est grâce
à l'apport de fondations privées, à partir de 2003,
puis de fonds fédéraux en 2006, que le programme de
dépistage a pu s'étendre au suivi et au traitement des
travailleurs exposés au WTC Medical Monitoring and Treatment
Program. Ce programme ne prenait toutefois pas en compte les
résidents revenus chez eux assez rapidement, parfois une semaine
après les événements, ni les travailleurs ayant repris
leur poste dans la zone impactée après que l'EPA et la ville de
New York ont déclaré la zone sans risque. La ville de New York
avait alors simplement recommandé aux résidents d'utiliser des
linges humides pour nettoyer les poussières et suies
déposées. Il a fallu d'énormes efforts et une coalition
entre syndicats de travailleurs et associations citoyennes pour obtenir une
surveillance médicale, minimale et plus tardive, conduite au
départ par l'Université de New York et le Département de
santé de l'État de New York. Le CDC a par la suite, en 2003,
financé le Département de santé de la ville de New York
pour construire sa propre cohorte, le World Trade Center registry, qui
a rapidement confirmé des taux accrus d'asthme chez les enfants.
Enfin, les programmes de suivi des travailleurs directement exposés et des autres usagers de la zone ont fusionné dans le World Trade Center Health program. Ces cohortes, qui sont devenues un modèle du genre en épidémiologie post-catastrophe, ont permis non seulement de détecter parfois précocement des atteintes à la santé physique et mentale des personnes affectées, donc de mieux les prendre en charge et d'améliorer leur santé, comme cela a été montré par le suivi des personnes traitées sur la base d'examens spirométriques, par exemple, mais aussi de produire plus de cent publications scientifiques objectivant les risques sanitaires associés à cet événement, que ce soit en matière d'affections respiratoires, cardio-vasculaires, de cancer ou d'atteintes post-traumatiques.
Quatre enseignements issus des études longitudinales conduites à la suite de cette catastrophe me semblent importants et utiles à la réflexion menée dans le cadre de l'accident industriel de Lubrizol.
D'abord, la nature de ce type de catastrophe ancrée sur un territoire nécessite de concevoir de manière inclusive le dispositif de suivi médical, même s'il ne peut être adapté aux situations d'expositions particulières. J'entends par là qu'un suivi sanitaire devrait inclure toutes les personnes confrontées à différentes circonstances d'exposition, à des polluants et au stress. Cela concerne les travailleurs de la phase de réponse d'urgence, mais aussi ceux qui assurent par la suite le nettoyage du site et de la ville, et la gestion des déchets dangereux, dont on a, il me semble, peu parlé.
Deuxièmement, il est important d'adopter une attitude prudente, se situant du côté du principe de précaution, quant aux seuils à retenir pour considérer comme plausible une hypothèse d'effet sur la santé. C'est un point sur lequel les toxicologues les plus qualifiés dans leur domaine ont insisté, reconnaissant leur incapacité à prédire les effets des expositions combinées complexes rencontrées par les populations affectées par les attentats du World Trade Center.
Troisièmement, le recours à la santé déclarée, qu'il faut bien distinguer de la santé perçue, ou du ressenti des populations concernées, peut pallier l'absence de registres de morbidité, le cas échéant, pour autant qu'une cohorte soit constituée et suivie dans le temps. Afin de préciser mon propos, la santé déclarée requiert généralement de la part des participants de rapporter si un professionnel de santé leur aurait annoncé tel ou tel diagnostic au cours d'une période donnée. Il ne s'agit donc pas de leur demander de porter un jugement subjectif quant à leur état général de santé, bien que des questions relatives à la qualité de vie puissent être recueillies par la même occasion et soient très informatives. C'est à ce type de recueil d'informations sur la santé qu'a eu recours l'équipe de recherche Fos-Epseal qui conduit des enquêtes participatives de santé en lien avec l'environnement dans le bassin industriel de Fos-sur-Mer. C'est aussi ce qu'a prévu de faire SPF au 1er trimestre 2020, mais sur la base d'un échantillon de la population et dans le cadre d'une étude transversale ne prévoyant pas de suivi.
Quatrièmement, le suivi médical a été pensé de façon compréhensive, articulant questions de santé physique, de santé mentale, mais aussi situation matérielle post-catastrophe, du fait de la perte d'un emploi, d'un logement ou d'un proche. Ce point semble intéressant étant donné les questions relatives aux pertes économiques pour les producteurs de denrées alimentaires impactés par la situation autour de Lubrizol.
Pour finir, les études de grande qualité conduites autour du World Trade Center ont été mises en place à la force du poignet, par la constitution de coalitions entre travailleurs, habitants, soignants, chercheurs et responsables institutionnels. À en croire certaines auditions et les attentes relayées par la presse, il semblerait que la population traverse une crise de confiance dans les autorités, y compris sanitaires, et ce malgré les efforts louables de transparence réalisés depuis les premières communications parfois dissonantes de la phase aiguë.
Dans le cas du bassin industriel de Fos-sur-Mer, la population a été en quelque sorte surétudiée pendant des années, ne voyant pas toujours les résultats des multiples études conduites par les autorités en charge de la protection de l'environnement et de la santé, ou voyant des résultats concluant à l'impossibilité de conclure. C'est un des reproches qui est souvent adressé aux études épidémiologiques en santé-environnement et qui renvoie à votre question générale des liens entre savoirs épidémiologiques et prise de décision ou de non-décision en santé publique. Dans le cas de Fos, l'émergence d'initiatives de sciences citoyennes ou d'alliances entre scientifiques et citoyens a permis sinon d'objectiver clairement les impacts sur la santé des pollutions industrielles, de fournir aux habitants et travailleurs une base de discussion pour questionner les autorités et mieux comprendre, une base dont ils avaient la maîtrise depuis la production jusqu'à l'interprétation et la diffusion des résultats. Il faut ainsi saluer la volonté de SPF d'associer les habitants à l'élaboration de l'étude de santé déclarée. On peut toutefois craindre que, dans le cas présent, si la demande citoyenne porte effectivement sur la mise en place d'un suivi médical ad hoc, l'échantillonnage et le caractère transversal de l'étude ne répondent pas aux attentes.
Pour conclure, la situation exceptionnelle vécue dans ce bassin industriel et les attentes exprimées par une partie de la population, si elles se confirment, constituent peut-être l'occasion de tester des dispositifs hors normes de nature à répondre à ces attentes, tels que la mise en place d'un registre des cancers ou la constitution d'une cohorte qui pourrait être suivie sur la base de la santé déclarée et d'un appariement aux données de soins via le SNDS. Bien entendu, l'étape de caractérisation des expositions reste décisive, quel que soit le dispositif finalement retenu.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Je vous remercie de votre présentation. Concernant l'incendie de Lubrizol, que pensez-vous des décisions qui ont été prises et des modalités post crise ? Le ministère de la Santé a levé les séquestres et les restrictions de consommation de produits alimentaires trois semaines après l'accident. Pensez-vous que ces mesures auraient dû être maintenues plus longtemps ? Vous avez parlé de l'attentat du 11 septembre 2001 et de ses similitudes avec l'incendie de Lubrizol. Vous avez dit que les travailleurs, les secouristes et les pompiers, dans le cas des attentats du 11 septembre, avaient bénéficié d'examens médicaux dix mois après. N'est-ce pas trop tard ? Vous avez évoqué une crise de confiance française. Comment l'expliquez-vous ?
Mme Émilie Counil. - Concernant la crise de confiance et les agences en charge de la protection de la santé et de la surveillance épidémiologique, ma propre expérience m'a permis de constater que le recours à certains outils de production de connaissances, tels ceux proposés par l'épidémiologie, fait parfois débat et pose la question de conditionner la prise de certaines décisions à l'existence de certains types de connaissances.
Par exemple, une investigation de clusters, donc d'agrégats de pathologies, en entreprise qui aboutit à conclure qu'on ne peut pas conclure, comme cela a été le cas dans différentes circonstances, peut conduire à un sentiment de frustration et d'incompréhension. Les données épidémiologiques sont longues à produire, coûteuses et parfois ne permettent pas de conclure. Dans le cas de Lubrizol, on peut se dire que l'absence de publications scientifiques qui permettent d'établir a priori la dangerosité des mélanges, qu'on ne connaît pas, ne devrait pas être un critère d'inaction ou de non prise de décision. Au contraire, l'absence de connaissance relative aux mélanges justifierait de mettre en place des études ad-hoc pour produire de nouvelles connaissances et en espérer des bénéfices directs pour la population. Cela pourrait redonner confiance. L'absence de connaissance ne devrait pas permettre de retarder la mise en place d'investigations, mais au contraire de fonder la mise en place de dispositifs parfois innovants pour mieux comprendre les faits.
Sur cette question de surveillance épidémiologique, nous ne disposons pas d'un registre qui couvrirait l'ensemble du territoire. Certes, nous avons maintenant un accès élargi, mais il ne représente que des consommations de soins et ne saurait remplacer des données beaucoup plus fournies.
Sur la question générale des décisions publiques mises en oeuvre et des modalités de suivi post crise, il me semble intéressant de mener une enquête de santé déclarée. Toutefois, la question de la modalité de l'échantillonnage se pose. Sur ce sujet, des études très sérieuses ont été faites dans le cas du World Trade Center, sur la base de santé déclarée et donc sans vérification des dossiers médicaux. Cela permet déjà d'établir des choses.
Caractériser les expositions me semble indispensable. Il est difficile de comprendre que l'on ne retrouve aucune trace d'amiante alors qu'une toiture de 8 000 m2 a explosé. En pratique, des échantillons biologiques auraient été pris très rapidement peu après l'accident. Effectivement, cette question du t zéro est importante en termes de pollution, d'imprégnation biologique, de santé. M. Denis, de Santé publique France, lors de son audition, a fait référence aux programmes de bio monitoring qui existent sur le territoire français et qui permettent de fournir un temps zéro pour la population française. Aujourd'hui, ils ne me semblent pas fournir un temps zéro pour la population concernée par Lubrizol. Alors que nous sommes dans un bassin industriel, nous ignorons quels éléments pourraient relever de l'accident et quels éléments seraient attribuables au bruit de fond. Une surveillance épidémiologique renforcée dans les bassins industriels, même hors situation accidentelle, me semble indispensable.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Nous avons réalisé une audition du PDG de Lubrizol. Une des premières choses qu'il nous a dites, c'est que, tout compte fait, cet incendie n'était pas plus dangereux que l'incendie d'une maison. C'est maladroit. Ses propos ont été confirmés par la ministre de la Santé qui nous a également dit que nous ne savions pas ce que nous recherchions puisque les substances avaient brûlé. Tout cela alimente des interrogations, une suspicion. Je ne comprends pas comment des produits dangereux qui se trouveraient dans des bidons ne seraient d'un seul coup plus dangereux car ils auraient brûlé. Je voudrais connaître votre point de vue sur ce point. L'ARS a relevé 1 000 arrêts de travail supplémentaires. Il y a donc bien dû y avoir des problèmes.
Le principe de Registration, Evaluation, Authorization and restriction of CHemicals (Reach) précise que ce sont les entreprises qui doivent prouver l'innocuité des produits. Ce n'est pas le rôle de nos agences et des associations. Pour quelles raisons ce principe de Reach ne s'applique-il pas ? Cette culture du doute est pénible et participe à alimenter la suspicion chez les politiques et auprès de nos agences. Qu'en pensez-vous ?
Mme Émilie Counil. - Par rapport au feu de cheminée, je ne suis pas chimiste, mais j'ai été frappée par les différents discours. Certains sont très rassurants et d'autres, souvent plus scientifiques, font preuve de davantage de prudence. C'est notamment le cas de l'Ineris et de l'Anses, qui estiment que personne n'est capable actuellement de donner la composition de ces fumées ou de savoir si la combustion est complète. Il me semble que nous sommes plutôt du côté de la non-connaissance. Je partage donc votre interrogation et suis favorable à la volonté de mettre en place des choses immédiatement. Cela rejoint la caractérisation de ces dangers et la charge de la preuve que vous évoquiez. Les anticipations n'ont pas été réalisées. Si je fais un parallèle avec l'évaluation quantitative de risque (EQRS) à la charge de l'employeur, cette démarche de caractérisation reviendrait à l'Anses et à l'Ineris. En revanche, la caractérisation des substances présentes dans les produits pourrait être à la charge de l'employeur. Toutefois, vu le climat de suspicion, il me semble que toute information émanant de l'entreprise semblera suspecte à la population. Sur ces aspects réglementaires, je ne suis cependant pas qualifiée pour vous répondre.
M. Hervé Maurey, président. - Certains contestent même l'indépendance des agences de l'État, ce qui pose une vraie question.
Mme Émilie Counil. - Cela rejoint un autre point de mon propos liminaire. J'ai appelé ça la justice épistémique, c'est le terme utilisé par les sociologues des sciences pour indiquer une inégalité dans l'accès aux connaissances scientifiques produites et dans les modalités de production de ses connaissances. Qui décide ? Quelles connaissances vont être produites ? Comment va-t-on les produire ? Comment va-t-on les interpréter ? Des mouvements de citoyens se sont développés, au départ aux États-Unis, pour réclamer des connaissances qui répondent aux attentes des populations. Les instances participatives et consultations constituées des parties prenantes sont mises en place dans les agences sanitaires et doivent être renforcées. Il faut aussi, à mon avis, rester très ouvert aux démarches plus participatives, sciences populaires, épidémiologie populaire qui peuvent apporter des points de vue différents et redonner confiance aux populations grâce à une pluralité de voix.
J'ai étudié la carte du panache modélisée par l'Ineris et je l'ai superposée avec la cartographie des indices de défaveur sociale au niveau de la zone géographique. J'ai relevé que les communes de Maromme et de Canteleu ainsi que certains quartiers défavorisés de Rouen étaient situés sous le panache.
Mme Nelly Tocqueville. - Vous évoquiez certains quartiers et les communes de Maromme et Canteleu. Au Petit-Quevilly, où les populations ont été les premières en contact avec l'incendie, vivent également des personnes très modestes. La typologie est donc très différente de celle des États-Unis.
Au sein du comité de la transparence et du dialogue, le 25 octobre dernier, soit pratiquement un mois après l'incendie, des conclusions ont été remises. On nous annonce : aucun résultat anormal sur la qualité de l'air malgré un point de suivi en benzène, pas de valeur anormale sur les suies retombées, un point suivi sur le zinc, le souffre et le phosphore, des résultats normaux pour l'hydrocarbure aromatique polycyclique (HAP) sauf pour la commune de Buchy. Qu'en pensez-vous ? Concernant l'amiante, qui est très curieusement absent de tout constat, les trois campagnes de prélèvement réalisées à 300 mètres, 800 mètres et 15 km, vous paraissent-elles fiables ? Pour le fibrociment, un numéro vert a été mis en place. Cela vous paraît-il suffisant ou pertinent ? À l'occasion de cet incendie, ne serait-il pas opportun d'établir un registre qui permettrait de réaliser une surveillance épidémiologique sur l'ensemble de la vallée de la Seine, particulièrement concernée par des sites de type Seveso ? Aujourd'hui, la reprise d'une activité partielle du site Lubrizol est envisagée. Qu'en pensez-vous ?
Mme Céline Brulin. - Nous sommes plusieurs, dans le comité de dialogue et de transparence qu'évoquait à l'instant Nelly Tocqueville, à avoir plaidé pour un suivi de cohorte, une ouverture de registre, un suivi épidémiologique. On nous a systématiquement rétorqué que, ne sachant pas ce qu'il fallait chercher, il serait inutile de développer ce type de méthodologie. Quels arguments scientifiques pouvez-vous nous donner pour que nous puissions continuer de plaider en ce sens ? Concernant l'amiante, il est étonnant de ne pas en retrouver la trace. Plus d'un mois après l'incendie, cela serait-il encore possible ? Que pourrait-on mettre en oeuvre pour approfondir les recherches ?
Mme Émilie Counil. - Sur les questions relatives à la qualité de l'air, à la lecture des documents, il m'a manqué une vision d'ensemble. Nous n'avons que des données très morcelées émises par une constellation d'acteurs. Nous aurions besoin que quelqu'un fasse une synthèse compréhensible de l'ensemble des éléments. Même en tant que scientifique, j'ai du mal à m'y retrouver.
Un registre couvrant toute la vallée de la Seine serait extrêmement pertinent. Le suivi épistémologique des bassins industriels est actuellement en cours d'étude chez Santé publique France. Lubrizol et sa zone géographique pourraient servir de pilote au niveau national.
Concernant le plaidoyer sur le suivi, nous pouvons noter une divergence de points de vue. La littérature internationale démontre qu'un suivi médical large peut se justifier. Il permettrait non seulement de produire des connaissances, mais aussi de chercher à obtenir un bénéfice pour la population. Puisque nous ignorons ce que nous cherchons, au moins, mettons en oeuvre un suivi renforcé pour offrir un bénéfice médical plus large sur les causes principales de morbidité et de mortalité. Nous pourrions alors envisager une forme de compensation du risque éventuel auprès de ces populations où les risques sont connus. C'est quelque chose qui a été beaucoup pensé et réfléchi aux États-Unis et je vous remettrai un article à titre d'exemple dans la bibliographie indicative que je vous laisserai.
M. Hervé Maurey, président. - Puisque nous ne savons pas ce que nous cherchons, doit-on renoncer à chercher ?
Mme Émilie Counil. - Il faut chercher quand même ! Santé publique France, l'ARS et Mme Buzyn défendent le point de vue selon lequel il faudrait savoir ce que l'on cherche pour chercher. Dans ces circonstances exceptionnelles, il me semble que ce point de vue peut être mis en débat afin d'avoir une approche plus large du suivi de santé.
M. Hervé Maurey, président. - Pensez-vous qu'il serait possible d'identifier de manière théorique un certain nombre de conséquences en termes de santé ou en termes sanitaires puis voir ensuite si ces points identifiés sur le court, moyen ou long terme nécessiteraient de faire l'objet de recherches précises ?
Mme Émilie Counil. - Il me semble que votre proposition correspond à ce qui a été fait autour du World Trade Center. Les examens de type spirométrie, peu invasifs, ont été pratiqués pour suivre l'évolution de la fonction respiratoire. En cas de détection d'anomalie, des traitements ou des mesures correctives ont été mis en place.
Malgré des expositions de départ mal caractérisées, il a été démontré que la mise en place de ce type de suivis avait permis de déceler précocement des atteintes et de les corriger. Il s'agissait donc d'une démarche de détection précoce qui peut sembler peu spécifique.
M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie de votre intervention. Nous souhaitons obtenir des réponses par écrit aux questions qui vous ont été transmises en amont de l'audition, dans un délai de deux semaines. Nous aurons certainement d'autres questions à vous adresser au fil de nos travaux. Dans cette attente, n'hésitez pas, de votre côté, à nous faire part de tout élément supplémentaire qui vous paraitrait de nature à éclairer notre réflexion.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de Mme Magali Smets, directrice générale, M. Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France chimie et de Mme Muryelle Angot-Lebey, déléguée générale de France chimie)
M. Hervé Maurey, président. - Nous poursuivons nos auditions de la matinée en entendant les représentants de France Chimie et France Chimie Normandie. Nous accueillons ainsi Mmes Smets et Angot-Lebey ainsi que M. Prudhon. France Chimie est l'organisation professionnelle qui représente les entreprises de la chimie en France. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler que la chimie en France, ce sont 3 300 entreprises, 170 000 emplois, un chiffre d'affaires annuel de plus de 70 milliards d'euros et un excédent commercial de 11 milliards d'euros. C'est dire si son apport à la vie économique de notre pays est fondamental.
Mais la chimie est également une activité souvent décriée, compte tenu de son impact sur l'environnement et la santé des populations. C'est évidemment le cas après l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, le 26 septembre dernier. Son caractère spectaculaire a fortement marqué les esprits et, faute d'information fiable et claire, après la stupeur est venu le temps de la défiance. Défiance à l'égard de la parole publique bien sûr, mais aussi envers une industrie montrée du doigt parce que faisant courir un risque nouveau, celui d'une situation environnementale et sanitaire dégradée pendant de longues années et sur une aire géographique très étendue.
Il était donc indispensable que nous puissions vous entendre afin que vous nous expliquiez dans quelle mesure l'accident de Rouen conduit à remettre en cause la réglementation applicable aux installations classées présentant le risque le plus élevé. Comment, après un tel événement, restaurer une forme de confiance entre la population, et pas seulement les riverains, et votre industrie ?
Avant de vous laisser la parole, je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mmes Smets, Angot-Lebey et M. Prudhon prêtent serment.
Mme Magali Smets, directrice générale. - Merci de nous accueillir. La chimie en France est un acteur économique majeur, qui regroupe 3 300 entreprises et 170 000 salariés répartis sur l'ensemble du territoire. C'est le premier exportateur industriel français. Il apporte à la balance commerciale de notre pays une contribution positive de plus de 11 milliards d'euros. C'est un secteur en croissance continue depuis dix ans. Il recrute et innove. Dans notre industrie, 8 % des effectifs sont dédiés à des activités de recherche et développement, car nos activités sont déterminantes pour relever les défis sanitaires et environnementaux auxquels nous faisons face. J'en veux pour preuve le développement de nouveaux principes actifs pour la pharmacie, des matériaux plus légers pour les secteurs automobile ou aéronautique, de nouvelles solutions pour la batterie électrique qui seront nécessaires pour développer le véhicule électrique, de nouvelles générations de panneaux solaires ou d'éoliennes que nous souhaitons recyclable, des matériaux isolants pour le bâtiment ou encore des solutions pour le traitement de l'eau. Les secteurs d'activité et les applications de la chimie en France sont très variés.
France Chimie est la voix de ce secteur et de ces entreprises en France. Nous regroupons 900 adhérents et 1 300 établissements. Nos experts accompagnent ces entreprises au quotidien dans la mise en oeuvre des réglementations, sur leurs sites et dans l'implémentation des standards les plus stricts.
Nous ne pourrons pas, aujourd'hui, nous exprimer sur les origines de l'incendie intervenu dans l'usine Lubrizol ainsi que sur ses conséquences sanitaires et environnementales, car une enquête judiciaire est en cours et des analyses sont actuellement effectuées par les autorités compétentes. Nous considérons néanmoins cet incendie comme un événement important et nous le suivons de près depuis le premier jour. De nombreuses personnes ont été touchées directement ou indirectement par les conséquences de l'incendie : les salariés du site, les pompiers, les services de secours, les services de l'État ainsi que les Rouennaises et Rouennais. Cet événement est également important car il concerne un site Seveso qui compte pour notre industrie en tant que client, en tant que fournisseur et en tant que partenaire. Lubrizol a aussi un impact économique important sur le territoire normand. Enfin, la sécurité et la prévention des risques sont l'une des premières préoccupations des industriels de la chimie en France.
Chaque poste de travail fait l'objet d'une évaluation des risques qui conduit à la mise en place de consignes de sécurité et d'équipements de protection collective ou individuelle. Chaque année, nous investissons 600 millions d'euros pour la sécurité et l'environnement, soit plus de 20 % des investissements annuels de notre secteur, et trois quarts de nos salariés suivent une formation. Sur ces formations, un tiers des heures sont consacrées à la sécurité : la formation du personnel, à tous les niveaux de l'entreprise, est un point essentiel de notre politique de sécurité.
Nos usines mettent en oeuvre l'une des réglementations les plus strictes au monde, la réglementation Seveso, selon laquelle les industriels doivent parfois étudier jusqu'à 1 000 scénarios de risques liés à leurs activités et démontrer qu'ils prennent des mesures pour réduire ces risques. Ils le font le plus souvent en agissant à la source, par la réduction ou la substitution des matières dangereuses, ou, à défaut, en mettant en place des barrières de protection et de prévention. Cette réglementation est une réglementation de proximité, mise en oeuvre avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), sous la supervision des préfets, ce qui permet d'agir au plus près de la réalité du terrain. Elle a été fortement renforcée par la loi de 2003, avec la mise en place des PPRT, et suite à la deuxième révision de la directive Seveso, en vigueur depuis 2015.
En plus d'encourager la parfaite application de la réglementation, notre secteur a spontanément pris des engagements pour faire progresser les pratiques de chacun. Nous sommes ainsi engagés depuis 30 ans dans un programme mondial, Responsible Care, qui tire l'ensemble de la profession vers les meilleures pratiques. Nous certifions nos entreprises sous-traitantes. Celles-ci doivent suivre une formation à nos standards de sécurité pour pouvoir intervenir sur nos sites. À ce jour, plus de 4 000 sous-traitants sont certifiés en France grâce à ce programme. Nous avons par ailleurs initié, avec la sécurité civile, un programme de partage de moyens techniques et d'expertise pour la gestion d'un certain nombre d'accidents, par exemple dans le transport. Nous allons prochainement ouvrir avec les organisations syndicales de notre branche une négociation pour aboutir à un accord plus contraignant dans le domaine de la sécurité.
Mais, de façon générale, une chose est certaine : le risque zéro n'existe pas, il n'existera jamais. Notre rôle en tant qu'industrie est évidemment de nous en approcher au maximum, et de limiter les impacts lorsque le risque se réalise. Nous avons tiré des enseignements de chaque événement. Nous l'avons toujours fait aux côtés des pouvoirs publics. Nous le ferons demain, dès que les causes de l'incendie seront connues et nous continuerons systématiquement à le faire.
Pour ce qui concerne la gestion de l'accident, nous nous associons d'ores et déjà aux recommandations du Livre blanc sur l'utilisation des nouvelles technologies pour alerter les populations et sur l'importance d'améliorer encore la culture de sécurité industrielle. Il faut mieux informer les riverains sur l'existence de sites industriels et sur la gestion des risques. Le travail réalisé pour la mise en oeuvre des PPRT a été considérable, tant pour les exploitants que pour les autorités et les collectivités locales. Il s'agit avant tout de finaliser ce processus.
La sécurité est une priorité non négociable de notre industrie. Nous estimons que la réglementation actuelle est riche. Elle doit nous permettre de tirer les enseignements de cet événement.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Vous dites que la réglementation du secteur de la chimie est l'une des plus strictes au monde. En quoi diffère-t-elle des règles applicables dans d'autres pays de l'Union européenne ? Les services de l'État ont indiqué avoir découvert, à l'occasion de l'incendie de Lubrizol, que l'un des deux exploitants, Normandie Logistique, n'avait pas signalé à l'administration que les substances stockées sur son site entraînaient un changement de régime - enregistrement et non plus déclaration. Une telle problématique sur l'actualisation et la transmission des informations sur les substances stockées vous semble-t-elle fréquente ? Avez-vous des observations ou recommandations sur l'inventaire des produits stockés et les conditions de sa mise à disposition en cas d'accident ? La problématique de la sous-traitance semble importante, puisque celle-ci est impliquée dans 8 % des accidents survenus sur des sites et installations classés pour la protection de l'environnement (ICPE) ou enregistrés. Quel regard portez-vous sur le recours à la sous-traitance ? La certification réalisée sous l'égide de France Chimie ne devrait-elle pas être renforcée ?
Mme Magali Smerts. - Une enquête judiciaire étant en cours, nos propos ne concerneront ni Lubrizol ni Normandie Logistique, puisque nous ne disposons pas des éléments pour cela. Mais nous pouvons vous rappeler le cadre réglementaire.
M. Hervé Maurey, président. - Ce n'est pas parce qu'il y a une enquête judiciaire qu'on ne peut pas parler de Lubrizol. Le champ délimité est bien précis, qui ne permet pas d'aller sur certains sujets tels que les causes ou le lieu de l'incendie. Ce n'est pas pour autant qu'on ne peut pas parler de tout ce qui s'est passé chez Lubrizol - et notamment du fait qu'un certain nombre de préconisations et de mises en demeure n'ont pas été respectées par l'entreprise.
Mme Magali Smerts. - La réglementation Seveso, l'une des plus strictes au monde, est un cadre qui s'applique à l'ensemble des pays européens. Deux particularités s'y ajoutent en France. D'une part, un long historique de réglementation sur des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE). D'autre part, la loi de 2003 sur les PPRT, qui sont également une spécificité française. De plus, toute une série d'arrêtés viennent s'ajouter, sur les liquides inflammables ou la réglementation des entrepôts.
M. Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques de France Chimie Normandie. - Dans la réglementation des installations classées en France, la première étape est de dresser un inventaire quantitatif et qualitatif des substances : inflammables, toxiques... On classe tous les produits par grandes familles. Dès lors que le potentiel de danger augmente, le premier niveau est celui de la déclaration. Lorsque les volumes augmentent, on passe au niveau de l'enregistrement. Au-delà du niveau de l'enregistrement, il y a le niveau de l'autorisation, avec les deux grandes classes que sont Seveso seuil bas et Seveso seuil haut. Plus le potentiel de danger est important, plus la réglementation est stricte et les exigences, élevées - ce qui est bien normal. Il appartient à l'exploitant, une fois qu'il a fait cet exercice d'inventaire, d'informer l'inspecteur de la Dreal pour lui demander si son site relève de la déclaration ou de l'enregistrement. Le processus est extrêmement simple, même si l'inventaire n'est pas toujours aisé. La règle est bien connue et doit être respectée.
Mme Magali Smerts. - Nous avons un programme, le manuel d'amélioration sécurité des entreprises (MASE) France Chimie, qui constitue un système de certification des sous-traitants. Ceux-ci doivent suivre une formation à nos standards de sécurité. Chaque année, 9 % des entreprises ne réussissent pas l'examen, ce qui nous fait penser qu'il est suffisamment strict. Nous avons 4 000 sous-traitants certifiés dans ce programme. Nous souhaitons le promouvoir, pour étendre le nombre de sous-traitants qui s'y conforment.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Malgré tout, le nombre d'accidents sur les sites industriels classés a augmenté de 34 % en deux ans. L'impact de ces accidents est croissant sur l'environnement, ce qui est très inquiétant. Quelles sont les causes structurelles susceptibles d'expliquer cet accroissement ? Vous parliez tout à l'heure du régime d'enregistrement. Ne pensez-vous pas que son introduction, qui s'ajoute aux autres mesures, nombreuses, de simplification, aboutit à une réduction des contraintes pour les industriels, sans réelles contreparties ni environnementales ni sanitaires ? On a l'impression qu'il y a moins de surveillance et davantage d'accidents technologiques. La filière nucléaire peut-elle apprendre de la filière technologique, et inversement ? Sur quels points précis vous semblerait-il pertinent de s'inspirer les uns des autres ?
Mme Magali Smerts. - À propos de l'augmentation des incidents...
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - J'ai parlé d'accidents. Ce n'est pas la même chose.
M. Philippe Prudhon. - La base de données du Bureau d'analyse des risques et pollutions industrielles (Barpi) enregistre les accidents, les incidents et les événements. Cette base sert à l'exploitant quand il fait son étude de danger. La première étape est l'inventaire, pour savoir à quel niveau il se classe. Ensuite, il doit regarder ce qu'il s'est produit, par le passé, dans son type d'activité. Il doit apporter à l'inspecteur la preuve qu'il a mis en place des mesures pour éviter que cela se reproduise. Cette base est assez unique : elle n'existe pas dans d'autres pays. Une source d'amélioration de la culture de sécurité serait que davantage d'événements remontent, soit par l'inspecteur de la Dreal, soit par d'autres moyens, afin que cette base soit enrichie. Nous travaillons régulièrement avec le Barpi pour analyser ces résultats, et nous tirons des enseignements de ces événements, soit pour organiser des journées de formation auprès de nos adhérents, soit pour imaginer de nouveaux programmes.
Le législateur, lorsqu'il a décidé de créer un régime d'enregistrement, s'est fondé sur le constat que certaines usines, certaines installations sont standardisées. Que l'on soit à Perpignan, à Rennes, à Paris ou à Montpellier, c'est exactement la même chose. Prenez, par exemple, une station-service, avec un volume d'inflammables relativement important. Pourquoi dupliquer l'étude de danger ? L'autorité se contente d'exiger un certain nombre de spécifications à respecter, à charge à l'exploitant de dire en quoi il respecte en tout point ces mesures. Le préfet, sur des dossiers compliqués, peut toujours dire qu'un dossier d'enregistrement ne le satisfait pas pleinement, et qu'il le bascule vers le régime de l'autorisation, ce qui impose de refaire complètement l'étude de danger.
M. Hervé Maurey, président. - Le Barpi a souligné une augmentation importante - + 25 % en 2018, je crois - du nombre d'accidents industriels, notamment sur les sites Seveso. Je trouve donc étonnant votre ton, qui donne à penser que tout va bien, et qu'aucune adaptation ou évolution ne seraient nécessaires. Nous ne sommes pas là pour vous flageller, mais il faut un minimum d'analyse objective et de propositions. Or, votre propos est très aseptisé.
Mme Magali Smerts. - Je me désole d'avoir donné cette impression. Soulignons aussi que le nombre de mises en demeure n'a pas augmenté. Notre président l'a exprimé publiquement : nous allons tirer les enseignements de cet événement, comme nous l'avons toujours fait. Nous avons engagé une réflexion, et il nous semble qu'il y a deux domaines dans lesquels notre industrie doit progresser, au-delà de l'information du public. D'abord, la configuration des entrepôts. La réglementation existe, mais notre industrie doit mieux diffuser les meilleures pratiques. Deuxième axe de réflexion : la mise à disposition rapide des informations concernant l'inventaire, sur nos sites, des substances entreposées.
M. Jean-Claude Tissot. - Le site de l'accident est classé Seveso seuil haut. Le stockage était fait partiellement là, partiellement chez Normandie Logistique. Faire évoluer la réglementation du stockage sur les sites de production, très bien ! Mais ne faudrait-il pas aussi faire évoluer de façon très forte les sites de stockage qui jouxtent les sites de production ?
Mme Magali Smerts. - Je n'ai pas dit qu'il fallait modifier la réglementation sur les stockages, j'ai dit que cette réglementation était suffisante pour que nous puissions tirer des enseignements et réfléchir à la diffusion des meilleures pratiques.
M. Philippe Prudhon. - Au-delà du classement du site suivant les différentes installations, il y a, au niveau des stockages, des arrêtés spécifiques pour les liquides inflammables, en vrac ou conditionnés. La réglementation sur les entreposages est riche, avec au moins deux arrêtés. Il y a surtout de bonnes pratiques. Après un accident, on prend les conclusions de l'étude et on regarde ce qu'on peut mettre en oeuvre pour éviter que cela se reproduise. Sans attendre les conclusions des études et des enquêtes, nous travaillons très sérieusement pour éviter que, de nouveau, 5 000 mètres cubes de produits partent en fumée. Le but est de diminuer le potentiel de danger.
Mme Nelly Tocqueville. - Lubrizol a été accompagné par des acteurs du secteur, tels que vous les avez mentionnés. En 2013, lorsqu'il y a eu la fuite de gaz, et en 2015, lorsqu'il y a eu la fuite d'huile, êtes-vous intervenus auprès de Lubrizol, pour savoir ce qui s'était produit et pour constater des manquements ? Avant cet accident, comment accompagniez-vous Lubrizol dans la mise en place de ses dispositifs, en particulier de sécurité ?
Mme Magali Smerts. - Le rôle de France Chimie est la diffusion et le partage des meilleures pratiques, ainsi que l'explication des réglementations. Nous n'avons pas un rôle de consultant. Nous diffusons des circulaires techniques pour expliquer une réglementation parfois complexe.
M. Philippe Prudhon. - L'événement de 2013 a occasionné un émoi important auprès des habitants, ce qu'on peut comprendre. Lorsque les Rouennaises et les Rouennais ont senti l'odeur du dérivé soufré, ils ont été nombreux à téléphoner aux pompiers. Nous avons fait une enquête auprès de Lubrizol, ce qui nous a amenés à diffuser une circulaire sur la manière de repérer ces substances malodorantes. En tant que fédération, nous avons créé une base, qui regroupe une centaine de substances référencées. L'incendie récent est de nature très différente. Le retour d'expérience est déjà en cours et Mme Smets a mentionné quelques pistes de réflexion. On doit pouvoir trouver des solutions pour qu'un incendie n'aboutisse pas à détruire des milliers de tonnes d'un produit.
Mme Céline Brulin. - Ne vous semble-t-il pas nécessaire d'examiner la question de la défense incendie ? Le nombre de pompiers mis à disposition dans vos industries fait débat entre organisations syndicales et industriels, suite à l'incendie de Lubrizol. Il y a les moyens matériels, puisque les émulseurs ont manqué, apparemment. Et il y a cette pratique, qui semble relever d'un accord tacite selon lequel les industriels s'épaulent les uns les autres et mettent à disposition leurs moyens de défense incendie sur une plateforme. Ne faudrait-il pas la systématiser et rendre obligatoire cette espèce d'assistance mutuelle ?
M. Hervé Maurey, président. - On nous a dit que, selon les sites, il pouvait y avoir des pompiers, ou simplement des agents de surveillance, voire aucune présence physique. Une grande hétérogénéité, donc.
M. Philippe Prudhon. - La réglementation demande à l'exploitant de prendre le scénario le plus impactant et, par rapport à ce scénario, de prévoir la quantité d'eau et d'émulseurs qu'il mettra en place. Il faut aussi prendre en compte le temps de refroidissement des parties qui ont été soumises à l'incendie. Lubrizol est dans une zone industrielle importante, dans laquelle les industriels ont des moyens et, sous forme de convention, peuvent intervenir. Les pompiers que vous évoquez sont souvent des équipes de première intervention, en attendant les équipes de secours spécialisées. Nous attendons les conclusions de l'enquête.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Sur les entrepôts, vous considérez que la réglementation est suffisante, et qu'il faut tirer profit des expériences pour l'améliorer. On nous a pourtant dit que, pour les lieux de stockage et les entrepôts, il n'y avait pas de statut réel, et qu'il fallait réfléchir à des règles plus contraignantes.
Votre secteur est en pleine expansion et vous faites des investissements importants en matière de recherche et développement, ou pour de nouveaux matériaux. Nos agences nationales cherchent à détecter la dangerosité et l'interférence des produits entre eux. Avez-vous étudié, dans le cas de la combustion des produits, leurs interférences ou les effets cocktail ?
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Vous parlez d'accompagner les établissements pour un partage des meilleures pratiques. Saviez-vous que ces 12 000 fûts, totalisant 4 000 tonnes, étaient dans des entrepôts qui n'étaient ni équipés ni autorisés ? S'agit-il d'une pratique courante ? Qu'allez-vous faire pour interdire cela ?
Mme Magali Smerts. - Non, France Chimie n'avait pas connaissance de cette configuration : nous accompagnons 1 300 établissements... Et nous ne les contrôlons pas !
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - La Dreal affirme que cet établissement était très surveillé. Comment ce stockage n'a-t-il pas été détecté ?
Mme Magali Smerts. - En tant que fédération professionnelle, il ne m'appartient pas de commenter l'action de l'État et je ne souhaite pas entrer dans cette polémique. Pour nous, la réglementation existe, il ne s'agit que de l'appliquer et de s'assurer que les meilleures pratiques sont diffusées. Oui, nous consacrons des efforts importants à la recherche. Dans le cadre de la réglementation Reach, nos industriels doivent apporter les preuves de l'innocuité de leurs produits. Au niveau européen, plus de 3 milliards d'euros ont été consacrés aux études sur les substances. Les effets cocktail constituent un domaine de recherche. Sur un petit nombre de molécules, on a pu identifier des effets qui ne sont pas additifs. En l'état des connaissances, cela ne conduit pas à remettre en question l'architecture de la réglementation sur les produits.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - On nous dit toujours que Reach ne s'applique pas, pour des questions de seuils, ou de manque de données supplémentaires. En réalité, la France n'applique pas Reach !
M. Philippe Prudhon. - Si. La France applique Reach, comme l'ensemble de l'Europe. Reach a trois piliers : l'enregistrement, l'autorisation et l'évaluation. Sur l'enregistrement, il y a eu trois étapes majeures : 2010, 2013 et 2018. Toute substance importée ou produite en Europe a été enregistrée, avec des exigences susceptibles de répondre en tout point à la réglementation. Certes, les dossiers qui ont été enregistrés il y a une dizaine d'années peuvent être améliorés - et nous avons un programme d'amélioration des dossiers. Notre base, unique au monde, rassemble un très grand nombre de données toxicologiques. Pour un incendie, il faut pouvoir accéder aux produits de décomposition. C'est un sujet complexe, qui dépend des conditions d'humidité et de vent, notamment.
M. Hervé Maurey, président. - Merci. N'hésitez pas à nous transmettre tout document utile. Il faut essayer de renouer la confiance entre l'industrie en général, et l'industrie chimique en particulier, et les citoyens. Il n'est ni souhaitable ni sain que s'instaure un climat de défiance et de méfiance à l'égard d'une industrie aussi importante que la vôtre. N'hésitez pas à nous faire parvenir des propositions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Audition de MM. Jérôme Bertin, directeur général de France Victimes, et David Delaunay, directeur général de l'association d'aide aux victimes et d'information sur les problèmes pénaux (Avipp76)
M. Hervé Maurey, président. - Nous recevons à présent M. Jérôme Bertin, directeur général de France Victimes, et M. David Delaunay, directeur général de l'association d'aide aux victimes et d'information sur les problèmes pénaux, connue sous le nom d'Avipp76. Tous deux ont souhaité être entendus par notre commission d'enquête.
Lors de l'incendie de l'usine de Lubrizol, la préfecture de Seine-Maritime a mis en place une cellule de soutien psychologique, d'abord au centre hospitalier, puis à la mairie de Petit-Quevilly. Mais il n'y a pas eu de centres d'accueil des victimes regroupant les différents acteurs de la santé, des assurances, de la sécurité sociale et de la justice. Vous avez dénoncé cette situation et vous vous êtes en quelque sorte substitués à cette absence en indiquant que vous étiez à disposition pour recueillir les témoignages des victimes. Vous avez ensuite ouvert une permanence d'accueil dans une mairie annexe de Rouen. Vous allez nous indiquer le bilan que vous dressez de cette action, qui répondait certainement à une attente d'une partie au moins de la population. Vous nous indiquerez ce que l'État aurait dû faire pour répondre à cette attente.
Avant de vous laisser la parole, je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Jérôme Bertin et David Delaunay prêtent serment.
M. Jérôme Bertin, directeur général de France Victimes. - Merci d'avoir accédé à notre demande d'audition pour évoquer l'incendie de Lubrizol et apporter un éclairage différent à votre commission, sur un volet sans doute moins abordé lors des auditions précédentes. Nous ne nous sommes pas complètement substitués à l'État : les associations d'aide aux victimes travaillent de concert avec les autorités publiques. Mais il suffit qu'une personne passe à côté des dispositifs pour qu'on se dise que, collectivement, on aurait pu mieux faire.
Nous avons souhaité intervenir à deux voix, puisque ces dispositifs s'entendent aussi bien dans le cadre d'une coordination nationale que d'une intervention locale. Le réseau France Victimes est organisé ainsi depuis environ 40 ans. Au départ, sous l'impulsion de Robert Badinter, l'idée était d'avoir une association d'aide aux victimes conventionnée avec les autorités, et notamment avec le ministère de la justice, pour apporter au quotidien un soutien et un accompagnement à toute personne qui est, ou s'estime, victime.
Fédérées au sein du réseau France victimes, environ 132 associations maillent tout le territoire, avec au moins une association par ressort de tribunal qui, par son conventionnement avec la justice et par les textes, permet d'apporter une aide, une assistance et une prise en charge globale à toute victime. Cette prise en charge se fait par l'intermédiaire de nos 1 500 professionnels de terrain, juristes, psychologues, travailleurs sociaux essentiellement. Entre 300 000 à 320 000 nouvelles personnes sont aidées par notre réseau chaque année.
Cet accompagnement est quotidien, mais s'inscrit dans des dispositifs plus larges ou spécifiquement mis en place lorsqu'il s'agit d'événements collectifs. D'où notre demande d'audition. Des instructions et des décrets prévoient la mise en place de dispositifs d'accueil, de recensement et d'accompagnement des victimes, qui n'ont pas forcément été mis en place dans le bon calendrier pour permettre à toute personne impactée de bénéficier d'une proposition d'aide.
L'intervention se fait à deux niveaux. La fédération France Victimes joue son rôle en matière d'événements collectifs, d'abord parce qu'elle porte au quotidien le numéro d'aide aux victimes 116 006. Ce numéro, qui appartient au ministère de la justice, est actif toute l'année, de 9 heures à 19 heures, sept jours sur sept. En cas d'événements collectifs, il peut être diffusé auprès du grand public. Il peut éventuellement procéder à des appels sortants, pour aller au-devant de victimes répertoriées et leur faire une proposition d'aide.
La fédération joue aussi un rôle avec son réseau de coordination de la prise en charge des victimes puisque, par expérience, nous savons que lorsqu'un événement collectif survient, les victimes ou les proches des victimes ne sont pas forcément domiciliés sur le lieu de survenance de l'événement. Par conséquent, plusieurs associations de notre réseau peuvent se retrouver mobilisées pour accompagner des victimes. Le rôle de la fédération est de s'assurer qu'au même moment, toutes les victimes, quelle que soit leur domiciliation, aient accès à la même information et au même accompagnement, en temps réel. Ainsi, après l'attentat de Nice, 82 de nos associations ont suivi des proches ou des victimes directes de l'événement.
Dès les premiers instants, la fédération se met à disposition des autorités. Sur le plan local, les associations d'aide aux victimes sont conventionnées par les cours d'appel. À partir de 2020, elles auront un agrément administratif délivré par la justice. Elles peuvent être réquisitionnées par les autorités judiciaires pour aller au-devant des victimes. Un guide méthodologique de prise en charge des victimes d'événements collectifs a été réédité en novembre 2017 - il existe depuis 2004. De même, le guide Orsec, dans sa version G6, prévoit, dans le cas de nombreuses victimes, la mise en place de dispositifs et de structures d'accueil car les numéros de téléphone ne suffisent pas, il faut des structures physiques.
M. David Delaunay, directeur général de l'association d'aide aux victimes et d'information sur les problèmes pénaux (Avipp76). - Je suis salarié de l'association et riverain de Lubrizol, donc j'ai entendu les explosions, à quatre heures et demie du matin... Mon premier réflexe, professionnel, a été de me demander s'il y avait des personnes décédées ou blessées. Vu la taille du panache de fumée, nous avons tout de suite pris conscience qu'il allait falloir mettre un dispositif en place pour toutes les personnes qui avaient été impactées.
Dès le vendredi 27 septembre, une cellule a été créée, avec des personnes ayant des connaissances particulières en matière d'accidents collectifs, et évidemment d'assurance, puisque nous anticipions de nombreux dommages. Dès le lundi suivant, nous nous sommes rapprochés du procureur pour nous mettre à disposition de l'autorité judiciaire, qui nous réquisitionne en cas d'événements collectifs. Il n'a pas été possible de réunir rapidement le comité local d'aide aux victimes (CLAV). Il s'est réuni après quinze jours, et c'est alors qu'on a décidé l'ouverture d'un espace d'accueil spécifique au sein de la mairie annexe, qui se trouvait au coeur du quartier le plus impacté à Rouen. Le barreau de Rouen y a participé et, en trois semaines, nous avons reçu plus de 120 personnes. Des communes un peu plus éloignées ayant aussi été fortement impactées, le CLAV a mis en place une équipe mobile. Nous avons eu le soutien de l'Association des maires de France (AMF), qui s'est rapprochée des différentes municipalités afin de cibler le plus précisément possible les communes concernées. Certaines n'ont pas souhaité d'intervention. D'autres nous ont recontactés, c'est le cas de Préaux et Buchy, ainsi que de Neuchâtel-en-Bray et des permanences y ont été tenues.
Nous avons travaillé en bonne intelligence grâce à notre accord interassociatif de Seine-Maritime, qui prévoit une convention d'entraide en cas d'accident collectif. Nous sommes une petite association : cinq salariés et une dizaine de bénévoles. Si de nombreuses victimes s'étaient présentées, nous n'aurions pas pu prendre en charge tout le monde. Aussi nous sommes-nous rapidement mis en lien avec notre fédération, et avec le numéro national d'aide aux victimes, pour pouvoir gérer un afflux massif d'appels téléphoniques. Nous avons communiqué de notre côté, et pré-mobilisé le réseau d'accueil alentour.
Toutes permanences confondues, 254 personnes nous ont demandé de l'aide. Les questions portaient principalement autour de sujets d'assurance, avec des inquiétudes sur la mise en oeuvre des contrats d'assurance. Il y avait aussi des questions autour de la santé et sur la qualité de l'air. Nous avons noté, enfin, un souhait massif de déposer plainte afin de signifier le mécontentement.
Quand on s'éloigne de Rouen, les personnes ont parfois moins de ressources, et des contrats d'assurance de moins bonne qualité. Certains se sont éloignés du centre-ville pour des raisons matérielles. J'ai ainsi reçu des personnes âgées, par exemple un retraité dont la pension de retraite était d'environ 700 euros et qui se servait de son potager comme moyen de subsistance et pour obtenir un complément de revenu. Les dépôts de suie ont détruit complètement cette ressource et, si les assurances ont souvent accepté de couvrir le nettoyage des maisons et du bâti, tout ce qui est extérieur n'est pas pris en charge. Il y a aussi des difficultés liées à la franchise : les assurances prennent en charge le nettoyage et les réparations, mais les franchises restent à la charge des particuliers. Et plus les contrats sont bon marché, plus les franchises sont importantes. Cela peut aller de 130 à 300 euros. C'est une somme importante, qui peut dissuader de faire des déclarations de sinistre. De plus, il arrive que les assurances ne mobilisent pas la bonne garantie et ouvrent des dossiers de protection juridique, et non de sinistre. Plus on s'éloigne de la couronne rouennaise, plus les difficultés sont importantes. Et 254 personnes reçues, c'est peu par rapport à l'immensité des dégâts... Cela ressemble plus à une marée noire dans les jardins qu'à de vagues dépôts de suie ! Le nettoyage d'une habitation coûte entre 7 000 et 8 000 euros.
Il y a une incompréhension, car les premières indemnisations sont arrivées, notamment pour les collectivités. Les agriculteurs ont aussi fait des demandes, même si elles s'accompagnent d'abandons de recours. Les commerçants aussi. Mais, pour les particuliers, rien ! Pour beaucoup, 300 euros de franchise, c'est une somme importante - sans compter les quantités d'eau utilisées pour le nettoyage. Sur tout cela, nous n'avons pas de réponse à apporter aux personnes, et nous n'avons rien entendu du côté de Lubrizol. Habituellement, pour les particuliers, un accord-cadre est proposé. Pour l'instant, nous n'avons rien de tel. L'association d'aide aux victimes ne peut pas agir à la place des victimes, mais celles-ci constituent un groupe atomisé, qui n'a pas forcément les ressources pour se mobiliser et entamer une démarche collective.
M. Hervé Maurey, président. - Quelles suggestions pourriez-vous formuler ?
M. Jérôme Bertin. - Il serait souhaitable qu'un groupe opérationnel regroupant la justice, les associations d'aide aux victimes, les associations de victimes, les avocats et peut-être un représentant de l'État puisse officiellement se faire connaître auprès de Lubrizol. Nous ne connaissons toujours pas leur assurance, et ils n'ont pas de correspondant déclaré à la Fédération française des assurances (FFA) : nous n'avons pas d'interlocuteur ! Après l'incendie du Cuba libre, le comité de pilotage s'était réuni et, dans les semaines qui ont suivi, l'assureur AXA participait aux réunions et faisait des propositions pour les particuliers.
M. Hervé Maurey, président. - Nous leur poserons la question la semaine prochaine. L'État devrait-il prendre en charge le rôle d'assistance et de conseil pour une catastrophe de ce type ?
M. Jérôme Bertin. - Oui. En tout cas, il doit garantir que chacun a accès au droit et à de l'aide s'il en a besoin, comme les textes le prévoient. Je ne dis pas que rien n'a été fait. Le procureur a réquisitionné la déléguée interministérielle et est intervenu pour que le CLAV se mette en place. Un numéro d'information du public a été diffusé, mais avec des informations très partielles : il avait pour fonction de rassurer, notamment sur les conséquences sanitaires et environnementales, mais n'apportait aucune réponse sur les questions juridiques, les précautions à prendre et le cadre juridique dans lequel l'indemnisation s'organiserait. De plus, ce numéro n'est plus disponible, deux mois après l'événement. Et le 116 006 n'est pas diffusé officiellement. Dans une telle crise, il faut un numéro unique et bien diffusé. Le 116 006 n'a reçu que 36 appels...
Et la coordination est tardive. En cas d'événements collectifs, il faut qu'un comité de liaison s'assure que les jalons sont bien posés. Les accords-cadres en matière d'indemnisation permettent de bien encadrer les problématiques individuelles. Il n'est pas normal que des victimes aient à payer une franchise alors même qu'on est sur le principe d'une réparation intégrale à terme. Pour l'instant, nous n'avons pas posé les jalons, alors que les textes le permettent. Il y a beaucoup plus de particuliers que de commerçants ou d'agriculteurs qui viennent nous voir.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Quelle différence faites-vous entre victimes, sinistrés et impactés ? Dans cette zone industrielle héritée de l'histoire, le risque zéro n'existe pas. N'avez-vous pas un rôle pédagogique à mener pour aider cette population fragile à relire ses contrats d'assurance, à les comprendre et à éviter toutes les mauvaises surprises que l'on découvre ?
Le préfet a donné un avis favorable au projet de réouverture partielle de l'usine Lubrizol. Pourtant, le dossier soumis au Conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (Coderst) souligne quelques problèmes et interrogations, puisque plusieurs prescriptions du préfet n'ont pas été encore mises en oeuvre. Que pensez-vous de cette réouverture ?
M. Jérôme Bertin. - Victimes, sinistrés, impactés, impliqués : ces débats ont lieu à chaque événement collectif. Ce n'est pas aux associations d'aide aux victimes de qualifier, puisque nous recevons par principe toute personne qui en éprouve le besoin et exprime des demandes. Pour autant, nous nous interrogeons sur l'influence que peut avoir ce choix sur les dispositifs mis en place. Si on parle rapidement de victimes, on imagine des droits. Mais on ne sait pas s'il y en aura pour tout le monde. Le guide méthodologique sur la prise en charge des victimes d'accidents collectifs est très clair : un événement soudain, qui crée des dommages humains et matériels, nécessite, par son ampleur, la mise en oeuvre de moyens importants et de mesures spécifiques pour la prise en charge des victimes. Pour nous, la définition est très large, même si les droits peuvent être différents : tout le monde a besoin d'une écoute, d'une information.
M. David Delaunay. - En février 2019, nous avions soulevé la question des risques industriels : personne ne sait ce que sont les plans de prévention des risques technologiques (PPRT), même s'ils figurent dans les actes de vente des habitations. Le classement d'une usine en Seveso seuil haut signifie qu'on est au niveau maximal de sécurité. Les habitants n'ont pas la conception du risque, mais de la sécurité. Et ils raisonnent par analogie : comme employeur, les exigences vis-à-vis des salariés sont nombreuses. Comment un incendie, qui n'est certes pas le pire sinistre possible, a-t-il pu provoquer une pareille catastrophe ? Ils ont le sentiment d'une rupture du pacte de bonne compréhension industrielle. Le CLAV travaille aussi en amont. Pourtant, son activité demeure largement inconnue.
M. Jérôme Bertin. - La prise en charge dépend de ce que les victimes ont vécu. Avec un bon accompagnement, on comprend les raisons du sinistre et l'on comprend que l'usine ne puisse pas rester fermée éternellement. Si l'on pense que la réouverture obéit surtout à des motifs économiques, on la vit négativement. Le comité de transparence devra en tout cas expliquer cette réouverture.
La catégorisation des victimes ne doit pas être un frein. Pour l'attentat sur la promenade des Anglais à Nice, tout le monde n'était pas concerné par l'indemnisation, mais des gens ont été choqués, des tiers sont intervenus : ils ont tout autant le droit d'être accompagnés psychologiquement, même s'ils ne sont pas concernés par le fonds de garantie. Avec les services de l'État, nous savons procéder au classement. Le guichet unique d'accueil est difficile à concevoir, car des milliers de personnes auraient pu pousser sa porte. Il y a donc eu une adaptation, par le biais de permanences.
Mme Nelly Tocqueville. - Vous avez exprimé une certaine déception en disant n'avoir reçu que 254 personnes. Les autres vont rester avec leurs souffrances, leurs questionnements, leurs inquiétudes. Réfléchissez-vous à un nouveau mode de communication tourné vers les habitants éloignés de la couronne rouennaise, pour les informer de ce qu'ils peuvent venir vous contacter et déposer des recours ? Ne craignez-vous pas que, en l'absence d'interlocuteur, certaines victimes se découragent ?
M. Jérôme Bertin. - Si, c'est pourquoi nous insistons sur la coordination. La mission des associations d'aide aux victimes s'inscrit dans le cadre de conventionnements et, demain, d'agréments. Nous agissons avec les pouvoirs publics : France victimes ne communiquera pas d'elle-même sur le 116 006, car ce numéro ne nous appartient pas. Grâce à notre réseau de 1500 intervenants, nous pouvons apporter des renforts. Et le ministère de la justice a accordé une subvention complémentaire à l'Avipp pour qu'elle se renforce. Il faut mettre tous les acteurs autour de la table, y compris le responsable supposé, pour encadrer les suites.
M. David Delaunay. - Nous travaillons sur le temps long. Nous avons bénéficié d'une dotation complémentaire du ministère de la justice ; elle ne va pas nous permettre d'effectuer un recrutement, qui est en cours. Nous continuons à maintenir des permanences dans les zones rurales. Elles sont toujours complètes : dix ou quinze personnes par matinée. C'est le seul espace de parole pour pouvoir raconter l'événement à un tiers. L'écoute et la verbalisation de l'événement sont très importantes. Elles font aussi émerger des détails. Parfois, des assureurs oublient les VMC, si bien que les pollutions demeurent. À Mont-Saint-Aignan, une expertise a révélé des niveaux de pollution anormaux dans un appartement. Il serait étonnant que les appartements voisins ne soient pas touchés et nous pouvons suggérer aux habitants de communiquer entre eux.
Sur l'absence d'interlocuteur, j'espère bien que les choses vont évoluer.
Mme Céline Brulin. - L'Avipp est-elle membre du comité de transparence et de dialogue ? Des fonds sont débloqués pour les agriculteurs, les entreprises, les collectivités locales, et le Premier ministre est venu lui-même mettre le dispositif en place, pour que, sans attendre que la justice ait fait son travail, sans attendre même de savoir qui est l'assureur de Lubrizol, Lubrizol débloque déjà des sommes pour payer les premières dépenses qui incombent aux victimes. Pourquoi les particuliers n'ont-ils pas été mis dans cette boucle ?
M. David Delaunay. - L'Avipp n'est membre que du comité local d'aide aux victimes.
M. Hervé Maurey, président. - Avez-vous demandé à rejoindre le comité de transparence et de dialogue ?
M. David Delaunay. - Pas du tout.
M. Hervé Maurey, président. - Vous paraîtrait-il pertinent de le rejoindre ?
M. David Delaunay. - Peut-être. Des associations de victimes y participent ; nous échangeons avec d'autres associations, comme l'association des sinistrés de Lubrizol ou Respire.
M. Jean-Claude Tissot. - On constate de nouveau une difficulté de transmission de l'information. Vous êtes-vous rapprochés des associations d'élus comme l'AMF ou l'association des maires ruraux de France (AMRF) ?
M. David Delaunay. - Nous avons eu recours à l'association des maires de Seine-Maritime. Un message a été envoyé aux municipalités qui auraient souhaité mettre en place des permanences. Nous nous sommes rendus disponibles pour tout le monde. Le niveau pertinent est celui des centres-bourgs. Certaines municipalités n'ont pas souhaité notre aide.
M. Jérôme Bertin. - Le travail avec l'AMF est primordial, car il y a un gros effort de pédagogie à faire en direction des élus locaux. Notre réseau associatif préexiste à tout événement. Or les élus découvrent l'existence de nos associations à l'occasion d'un sinistre. Nous sommes intervenus au Congrès des maires de France et nous allons sans doute passer un accord avec l'AMF pour que les élus locaux perçoivent mieux qu'ils peuvent eux aussi utiliser nos associations d'aide aux victimes.
M. Hervé Maurey, président. - Merci. N'hésitez pas à nous faire parvenir vos propositions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 35.
La réunion est ouverte à 14 h 30.
Audition de MM. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique et Christian Boulocher, directeur général, Normandie Logistique
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
M. Hervé Maurey, président. - Nous poursuivons nos auditions de la semaine en entendant MM. Sylvain Schmitt, et Christian Boulocher, respectivement président et directeur général de Normandie Logistique. Nous avions déjà rencontré M. Boulocher lors de notre déplacement sur le site de l'usine Lubrizol à Rouen. Il nous a semblé essentiel que vous puissiez témoigner devant notre commission d'enquête.
Vous avez prononcé devant l'Assemblée Nationale une phrase qui fut largement reprise par les médias : « Si vous êtes près d'un site Seveso, fuyez ! ». Cette phrase a interpellé toutes les personnes qui en ont eu connaissance et peut-être éclairerez-vous la signification que vous lui donnez.
Nous avons entendu une soixantaine de personnes et nombre d'entre elles ont évoqué la situation de votre entreprise. Le directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) nous a par exemple indiqué avoir relevé plusieurs manquements à votre encontre, notamment une « incohérence entre l'inventaire du stock fourni par l'exploitant et ceux fournis par ses clients ». Nous souhaiterions que vous nous disiez où vous en êtes, un mois après la mise en demeure du préfet vous ayant demandé de retirer et d'inventorier la totalité des produits et matériels stockés dans les deux bâtiments.
Nous avons également entendu des témoignages et recommandations sur le rôle de la sous-traitance en général, plus particulièrement s'agissant des entreprises classées Seveso. Nous aimerions également que vous nous éclairiez, à la lumière de votre expérience, sur la façon dont vous fonctionnez ou fonctionniez avec Lubrizol en termes de relations de sous-traitance, notamment sur la question importante de la formation des salariés.
Un certain nombre de témoignages laissent penser que, d'une manière générale, les personnels des entreprises sous-traitantes n'ont pas toujours un personnel ayant la formation requise pour intervenir dans les entreprises dans lesquelles elles sont appelées à le faire.
Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Messieurs Schmitt et Boulocher prêtent serment.
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Nous avons préparé un diaporama afin de resituer notre entreprise dans son contexte. Nous sommes un groupe de logistique et une petite entreprise, par comparaison avec Lubrizol.
Normandie Logistique est une entreprise multisites, présente à la fois dans les régions de Rouen, Caen, Le Havre et Angers. Nous faisons trois métiers différents : le transport (qui représente 80 % de notre activité), l'entreposage et des prestations de transitaire. L'activité touchée par le sinistre représente une petite structure d'une cinquantaine de salariés. Son activité est répartie entre six sites logistiques, dont trois à Rouen, un au Havre et un à Caen. Dans sa globalité, le groupe Normandie Logistique emploie 500 salariés. Le site impacté n'emploie que 4 à 5 salariés. Les prestations réalisées sur ce site étaient des prestations logistiques de base, c'est-à-dire des activités de stockage pour le compte de différents clients.
Nous sommes présents principalement dans l'agroalimentaire. Dans le domaine de la chimie, Lubrizol était notre seul client et l'était devenu du fait de sa proximité. Nous ne sommes aucunement des spécialistes de la chimie. C'est l'opportunité née de la proximité avec Lubrizol qui nous a conduits à travailler avec cette entreprise. J'ai repris Normandie Logistique en 2011. Les relations commerciales avec Lubrizol existaient alors de longue date.
Le site qui a connu le sinistre s'appelle « Quais de France », du fait de sa localisation en bordure de Seine. Ce site est mitoyen de celui de Lubrizol sur une longueur de 300 mètres, ce qui constitue une situation tout à fait particulière. Sur la photo projetée, vous voyez, à gauche, le site Lubrizol et à droite, en bas, le site Triadis, qui est également une installation classée Seveso. La bande de terrain que nous occupions représentait 30 mètres de large dans sa portion la plus étroite. Si, aujourd'hui, nous devions reconstruire un site de stockage, il serait impossible de le faire sur un terrain présentant cette configuration, d'autant plus qu'il faut en principe laisser vingt mètres de chaque côté d'un bâtiment.
Il se trouve que ce site date des années 1920. Une autre photo montre la configuration du site en 1978, date à laquelle Lubrizol n'existait pas en tant que tel. Des activités de stockage de bois se trouvaient de chaque côté de notre site. Ces activités se sont collées aux entrepôts. C'est la raison pour laquelle nous bénéficions d'une « antériorité ».
Vous voyez sur le schéma projeté une zone rouge quadrillée. L'impact, sur notre entreprise, prévu par le plan de prévention des risques naturels (PPRT) correspond à la destruction qui a effectivement touché le bâtiment. L'image suivante indique les bâtiments qui ont été touchés par l'incendie. Ces bâtiments (T3, 4ème trimestre, T2b, T2c, TRB, TRC) correspondent exactement à ce que prévoyait le PPRT. Nous n'avons pas été acteurs du PPRT. Nous avons eu un rendez-vous avec l'administration, qui est venue nous voir et nous a dit : « oui, c'est vrai, vous auriez peut-être dû être délaissés, mais l'État n'a pas d'argent », donc « on continue comme ça », nous a-t-elle dit en substance.
M. Hervé Maurey, président. - Pouvez-vous préciser ce que signifie l'expression « vous auriez dû être délaissés » ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - En vertu des dispositions existantes, lorsque vous vous trouvez dans une zone rouge, dite d'interdiction, l'État peut vous exproprier.
Lorsque nous avons pris connaissance du PPRT, des discussions avaient déjà été engagées avec Lubrizol en vue d'une acquisition du site. Compte tenu de la zone de danger, il nous a paru plus sage que Lubrizol acquière ce site. Des discussions ont eu lieu durant plusieurs années. Elles ont failli aboutir en 2017, mais, alors que tout était prêt, de notre côté, pour déménager, Lubrizol s'est dédit du fait de problèmes financiers.
La direction régionale de l'environnement de l'aménagement et du logement (DREAL) avait visité notre site de fond en comble en 2017 et un certain nombre d'études (notamment des études de sol) avaient été réalisées afin que les prescriptions nécessaires à l'intégration de notre site dans le site Seveso soient réalisées. Cela faisait partie d'une condition posée par Lubrizol pour acquérir le site. Lorsqu'un site de la nature de celui que nous occupons est intégré à une installation Seveso, il faut en effet que les prescriptions liées à ce régime soient applicables à l'ensemble du site intégré.
Dans ces bâtiments, nous stockions uniquement des produits combustibles, qui répondent à une nomenclature ICPE (rubrique 15.10). Un produit combustible n'est pas un produit inflammable. Nous ne stockions pas de produits toxiques dangereux. Il s'agissait de produits d'une nature très différente de ceux stockés par Lubrizol dans ses bâtiments. Ceci a d'ailleurs été confirmé par le président-directeur général de Lubrizol et par la DREAL. Nous ne sommes pas un site Seveso, encore moins un site Seveso « seuil haut ». Notre installation est une installation de stockage, qui stocke des produits utilisés par Lubrizol et provenant de Lubrizol mais ces produits ne sont pas de même nature. Ils sont combustibles, mais ne nécessitent pas des prescriptions spécifiques qui auraient pour objet de se prémunir de dangers particuliers.
M. Hervé Maurey, président. - Nous avons souvent entendu dire, notamment par les médias, que vous auriez eu à stocker des matières que Lubrizol ne voulait pas garder sur son site. Cela aurait permis à Lubrizol d'avoir, dans son périmètre, des installations qui ne soient pas classées Seveso - ce qui pourrait peut-être expliquer que l'achat de votre site n'ait pas eu lieu.
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Nous devions reprendre les discussions en octobre 2019 car Lubrizol était toujours intéressé par cette acquisition. De nombreux échanges entre Lubrizol et notre entreprise le prouvent. Cela n'a pas abouti, mais c'est du seul fait de Lubrizol et non du nôtre. Le prix, notamment, était négocié depuis longtemps.
Notre métier est de stocker des produits que nous proposent des clients, correspondant aux caractéristiques de produits que nous pouvons stocker. Bien que nous soyons voisins d'un site Seveso, nous n'avions aucun lien avec Lubrizol sur ce type de sujet. Nous stockions des produits correspondant à ces classifications, mais nous n'étions aucunement concernés, de près ou de loin, par les problématiques liées au classement Seveso du site de stockage de Lubrizol. Je ne saurais vous dire pourquoi Lubrizol stockait des produits chez nous. Je suppose qu'ils n'avaient pas la place de stocker ces produits sur leur site.
M. Hervé Maurey, président. - Ne peut-on imaginer qu'il était plus simple pour Lubrizol, du fait de moindres contrôles, de stocker ces produits chez vous plutôt que chez eux ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Non, il ne s'agit pas d'une question de contrôle puisque nous pouvions stocker ces produits. Ces produits auraient-ils été soumis, dans l'hypothèse où ils eussent été stockés sur leur site, à d'autres obligations ? Je n'en sais rien. Je ne suis pas en mesure de le dire.
Ces produits sont des produits « de base » : ils correspondent au premier niveau de la nomenclature ICPE. Ce sont des produits banals. Aucune caractéristique ne les relie à une activité dangereuse, chimique ou toxique. Je pense qu'ils étaient stockés chez nous pour des questions de coût, compte tenu de la proximité du site, qui réduisait les coûts logistiques de transfert d'un site à un autre. Je pense que c'est la seule raison.
Nous avons constaté, a posteriori, que la zone où s'est produit, a priori, le départ de feu correspond à la zone de stockage qui se trouve à l'extérieur du bâtiment. La photo projetée à l'écran est assez ancienne puisqu'elle date de 2012. Il y avait énormément de stockages extérieurs et nous supposons que ces stockages débordaient un peu. C'est le problème de Lubrizol et non le nôtre.
Nous nous considérons comme une victime de cet incendie. Comme nous l'avons dit plusieurs fois, il nous paraît impossible que l'incendie ait pris naissance chez nous. Nos assureurs ont effectué des enquêtes et ont fait intervenir un laboratoire spécialisé dans les enquêtes relatives à des incendies. Ces spécialistes sont formels : l'incendie ne peut pas avoir pris naissance chez nous.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - N'est-ce pas parce que vous stockez des produits combustibles que le feu ne peut être parti de vos locaux ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - C'est une partie des raisons pour lesquelles le feu ne peut avoir démarré chez nous. C'est une question de point éclair. Pour faire démarrer un feu, plus le point éclair est bas, plus l'incendie peut se déclarer rapidement. C'est comme dans une cheminée. Vous mettez des bûches, mais cela prend un certain temps avant que le feu ne démarre. Compte tenu de nos dispositifs de détection (notamment des alarmes incendie) et de la nature des produits stockés, nous avons la conviction que le feu n'a pas démarré chez nous. L'expert en assurance, qui a fait son travail, nous a dit la même chose. Cela lui paraît impossible.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Nous réfléchissons à l'interdiction éventuelle de la sous-traitance ou à son encadrement, dans la mesure où les sous-traitants n'ont pas nécessairement le degré de formation nécessaire pour intervenir sur des sites Seveso. Si votre site ne compte que 4 à 5 salariés, j'imagine que vous ne faites pas intervenir de sous-traitants sur ce site.
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Nous ne faisons intervenir des sous-traitants que pour des activités de maintenance. Il peut s'agir de la maintenance d'équipements de sécurité par exemple.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Quelle approche avez-vous de la sous-traitance pour les sites classés et a fortiori les sites Seveso ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Je voudrais revenir sur la problématique du classement. Deux principaux critères déterminent le classement ICPE : la nature des produits stockés et la taille du bâtiment où ils sont stockés. Nous nous situions au deuxième niveau, c'est-à-dire à un niveau qui n'implique pas de classement. Le régime de déclaration s'applique à partir de 500 tonnes de produits stockés, ce qui est très peu. Un volume de 500 tonnes représente à peu près le stockage contenu dans un bâtiment de 500 mètres carrés.
Notre entrepôt représentait plus de 50 000 mètres cubes, ce qui correspond à un autre seuil. Le premier seuil est un seuil de poids. Les seuils suivants sont définis par le volume des bâtiments de stockage pour une adresse donnée. Le volume de nos bâtiments dépassant légèrement 50 000 mètres carrés, nous étions soumis à un régime d'enregistrement, avec un régime d'antériorité. La DREAL a fait naître une polémique sur cet aspect. Nous réfutons cette polémique, mais c'est un sujet en tant que tel. Le troisième niveau est celui de l'autorisation, concernant des bâtiments de plus de 300 000 mètres cubes. Les seuils suivants concernent les sites Seveso et « Seveso seuil haut ».
Quant à la nature des produits stockés, le premier niveau de la nomenclature correspond à la rubrique 15.10, qui désigne des marchandises générales : il est possible de stocker tous produits, à l'exclusion de produits spécifiques encadrés par la législation (par exemple des produits plastiques ou des produits inflammables).
Les produits que nous stockions dans ces bâtiments étaient des produits « de base » et non des produits justifiant des prescriptions extraordinaires du fait de leur dangerosité. Nous bénéficiions d'une antériorité dans la mesure où ces entrepôts étaient très anciens et où le niveau de prescription, pour les produits que nous stockions, était relativement bas par rapport à une entreprise qui aurait stocké d'autres types de produits, même si le site se trouvait, selon les termes du PPRT, dans une zone de danger.
Nous ne sommes pas un sous-traitant. Nous sommes un prestataire de services indépendant, ayant de multiples clients. Nous stockions des produits en quantité significative pour Lubrizol et des produits pour d'autres clients, notamment de la gomme arabique, à hauteur d'environ 2 000 tonnes, ce qui représente une quantité importante, pour un autre client. Nous stockions aussi de la bauxite par exemple. Ce sont des produits correspondant à la classification du site et non des produits liés à Lubrizol.
Nous ne faisions intervenir sur le site une sous-traitance que de façon extrêmement ponctuelle. Nous ne sommes pas soumis, pour ce type d'installation, à une sous-traitance active qui nécessiterait des formations spécifiques. Notre personnel était formé pour le type de produit que nous stockions. Le personnel prestataire intervenait très peu, peut-être une fois par mois ou deux fois par mois peut-être. Il n'avait pas à être formé de façon spécifique.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Y avait-il du personnel sur le site la nuit ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Neuf à dix heures se sont écoulées entre le départ de la dernière personne qui était présente au sein des entrepôts et l'heure de départ du sinistre. Personne ne se trouvait sur le site depuis environ neuf heures.
Le site dispose d'un système de surveillance relié à un PC. Ce dispositif de surveillance est confié à un prestataire agréé APSAD. Nous avions également un dispositif de détection d'intrusion dans l'entrepôt et un système de détection d'incendie. Tout signal d'alarme était reporté à ce PC, ce qui déclenchait une intervention. J'évoquais le déclenchement des alarmes, qui conforte l'hypothèse d'un départ de feu extérieur à notre site. Le PC a reçu des reports d'alarme. Nous savons exactement à quel moment les fumées se sont déclenchées dans les bâtiments et à quel moment le sinistre est devenu un incendie, dans les différents bâtiments touchés, jusqu'à ce qu'il devienne un brasier relativement important. Nous avons découvert plus tard que l'incendie s'était déclaré de façon extrêmement rapide. Nous avons visionné un film concernant un silo qui se trouve dans l'axe des bâtiments. Nous avons nous-mêmes été surpris par la vitesse à laquelle l'incendie s'est propagé.
M. Christian Boulocher, directeur général, Normandie Logistique. - Souvent, la sous-traitance s'entend au sens où des sociétés extérieures interviennent sur le site du donneur d'ordres. Nous n'effectuons aucune intervention sur les marchandises qui nous sont confiées, qu'il s'agisse de Lubrizol ou d'autres clients. Lorsque nous stockons dans notre entrepôt une palette comportant quatre fûts, on ne touche à rien. On ne déconditionne pas. On ne reconditionne pas. On ne fait pas de mélange. Ce sont des opérations très basiques de déchargement (avec un chariot élévateur) de palettes se trouvant sur un camion. Ces opérations sont effectuées par du personnel qui a été formé pour la manutention et la mise en dépôt de produits. Aucune intervention technique ni mécanique n'a lieu, au contraire de certains industriels qui font appel à des sociétés extérieures sur leur site pour effectuer des opérations sur leur site. En d'autres termes, nous n'intervenions pas dans la chaîne de production des produits que nous stockions.
Mme Pascale Gruny. - Je vais d'abord poser une question au nom de ma collègue Christine Bonfanti-Dossat, rapporteure de la commission, qui a dû partir : l'administration, bien qu'exerçant, selon elle, une surveillance très étroite du site Lubrizol, a déclaré pendant plusieurs jours ne pas connaître les produits stockés dans cet établissement comme dans les entrepôts mitoyens de Normandie Logistique. Cela atteste de dysfonctionnements, en violation de la directive Seveso 3 de 2012. Ainsi, selon les dispositions de l'article 7, l'exploitant doit communiquer à l'autorité compétente les informations qui permettent d'identifier les substances dangereuses, leurs quantités, leur forme physique tout comme l'activité exercée ou prévue dans la zone de stockage. D'évidence, cela n'a pas été le cas. Pourquoi, alors que la loi vous y obligeait, n'avez-vous pas indiqué clairement à l'administration, notamment, les quantités stockées ?
J'ai également plusieurs questions à vous poser. Il me semble d'abord que, lorsque des matières dites dangereuses sont stockées par des entreprises de transport et logistique, un référent « matières dangereuses » (dispositif dit « ADR ») est identifié. Cette personne était-elle identifiée dans votre entreprise et se trouvait-elle à proximité du site ?
Par ailleurs, cet accident vous conduit-il à apporter des modifications à vos processus, par exemple dans votre document d'évaluation des risques ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Vous évoquez des produits dangereux et des obligations afférentes à un site Seveso. Nous ne sommes pas un site Seveso et nous ne stockons pas de produits dangereux ni de produits inflammables. On peut regretter que les voisins immédiats d'un site Seveso ne soient pas soumis aux mêmes obligations et je comprends votre question dans l'hypothèse d'un « effet domino », par exemple, qui est d'ailleurs prévu dans le PPRT. Il n'en demeure pas moins que nous n'étions pas soumis aux mêmes obligations.
Dans l'entreprise de transport que nous exploitons, nous faisons très peu de transport type « ADR ». Nous faisons un peu de « conditionné ». Nous avons effectivement un référent sécurité et des prescriptions spécifiques s'appliquent en cas de transport de produits dangereux. Cela peut arriver, dans des quantités relativement réduites, pour des classes « ADR » relativement basses. Nous n'avons pas de citernes. Ce sont plutôt des produits conditionnés en palette.
Quant aux enseignements qui peuvent être tirés de cette crise, il faut d'abord avoir à l'esprit qu'il s'agissait du seul site de cette nature. Nos autres sites sont soumis à un régime d'autorisation, ce qui est très différent. Ils sont beaucoup plus récents. Y sont stockés des produits relevant des marchandises générales également, c'est-à-dire relevant de la rubrique 15.10.
Le recul nous conduit aujourd'hui à considérer que nous n'étions pas très préparés à ce type de crise. Nous avons vécu une période très difficile fin septembre et nous n'y étions, à l'évidence, pas préparés, tant en termes de communication qu'en termes d'équipe. La nature du sinistre et son importance nous ont totalement submergés.
Aurions-nous pu faire mieux si nous avions été mieux préparés à ce type de circonstances ? Il est difficile de le dire. Nous devons en tout cas préparer nos équipes à être plus disponibles en termes de communication par exemple. Nous avons été quelque peu défaillants en la matière, car nous sommes une entreprise discrète. Ce type d'accident induit des processus et nous nous sommes fait quelque peu maltraiter. Plusieurs amis, dont un psychologue, me disaient que nous avions été un bouc émissaire parfait dans cette crise.
M. Hervé Maurey, président. - Vous affirmez être une victime et un bouc émissaire. Je n'ai pas d'avis sur le sujet. Un certain nombre de manquements sont tout de même relevés par le préfet dans son arrêté du 8 novembre. Vous avez, semble-t-il, commis quelques manquements, pour prendre un terme assez neutre.
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Nous avons répondu à la DREAL. Six écarts ont été relevés. La DREAL a parlé de huit manquements, mais il n'y en avait que six. Il y en avait un septième qui était la conséquence des six autres. Nous avons été très étonnés de l'attitude de la DREAL à notre encontre et des déclarations de Monsieur Berg.
Nous avons considéré qu'il protégeait son administration avant tout. Il a participé à cette ambiance délétère à notre encontre, nous faisant un peu passer pour le « vilain petit canard » alors que nous avons répondu par écrit aux écarts réglementaires qui nous ont été notifiés. Quelques écarts pouvaient peut-être nous être opposés, mais ils n'ont aucune conséquence en termes de survenue ni d'aggravation éventuelle du sinistre. Cette polémique nous paraît donc sans objet.
Nous avons quelques années d'expérience des relations avec la DREAL. En cas de contrôle sur un site faisant partie des installations classées, l'administration formule ses remarques. Je vais vous donner un exemple. Un des manquements qui nous est reproché avait trait à notre système de détection incendie, car la législation nous oblige à une maintenance régulière de ces installations. Il se trouve qu'un de nos caristes a enfoncé une porte, en conséquence de quoi la société de maintenance qui devait intervenir sur le système de détection incendie s'est présentée, mais n'a pu effectuer ses opérations de maintenance à la date prévue. Cette maintenance annuelle a ainsi été différée au mois d'octobre. Il se trouve que pour accéder au système de détection, il fallait une nacelle, laquelle ne pouvait entrer dans le bâtiment, du fait de la détérioration de la porte. C'est un manquement, mais ce n'est pas un manquement grave. Le système de détection fonctionnait. Nous pouvons le prouver. Nous avons répondu à l'ensemble des écarts réglementaires qui nous ont été notifiés. Une enquête judiciaire a été ouverte donc le juge tranchera. Nous estimons en tout cas qu'il n'y avait aucun écart majeur susceptible d'avoir aggravé - ni a fortiori causé - le sinistre.
M. Hervé Maurey, président. - Par arrêté du 8 novembre, il vous a été demandé d'inventorier et de retirer la totalité des produits et matériels stockés sur votre site. Où en êtes-vous de ce point de vue ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Il y a une chose que je n'ai pas précisée à propos des stocks. Notre établissement se trouvait à cinquante mètres de notre siège administratif. Durant toute la crise, nous ne sommes pas revenus dans notre siège, où se trouvaient bien sûr tous nos documents, l'informatique, etc. Nous étions donc en quelque sorte en « camping » à l'extérieur de notre site et nous avons eu du mal à reprendre nos esprits, puis à nous organiser pour aller chercher les documents qu'il fallait, réinstaller une informatique provisoire, etc. Nous avons ainsi été dans une situation assez précaire qui nous a desservis.
M. Christian Boulocher, directeur général, Normandie Logistique. - En ce qui concerne l'arrêté préfectoral de mise en demeure concernant la sortie des fûts, une première étape concernait le bâtiment dit « T1 ». Ce bâtiment devait être vidé au plus tard le 30 novembre et cette condition a été satisfaite. La DREAL l'a constaté en venant sur le site.
Le bâtiment T2, qui se trouve en haut à gauche sur la photo à l'écran, est en train d'être vidé et étayé, car il avait été considéré comme fragilisé. La date limite pour vider ce bâtiment est fixée au 31 décembre 2019. Nous sommes donc dans le délai d'organisation logistique nécessaire pour effectuer ces opérations, compte tenu des opérations de manutention à effectuer. Il faut également nettoyer les fûts et travailler dans des conditions spécifiques, dans la mesure où une partie des fûts reste en zone « amiante ». A moins que Lubrizol n'ait plus de place dans les entrepôts qu'il a trouvés pour placer les fûts, nous serons dans les délais permettant de respecter la date du 31 décembre.
Chaque sortie est bien sûr inventoriée et pointée. Nous avons fourni, le 30 septembre dernier, les états de stocks, en indiquant qu'il existait des incohérences avec ceux fournis par Lubrizol. Cela dit, le mode de comptabilisation n'était pas tout à fait le même puisque nous dénombrions des palettes (dans la mesure où nous refacturions des surfaces de stockage de palettes) tandis que Lubrizol comptabilisait les produits stockés en poids. La nature des produits stockés a été connue par la DREAL dès qu'elle nous l'a demandé, ce qui est un point extrêmement important, s'agissant notamment du panache de fumée. Aucun produit n'était inconnu. Il fallait préciser les quantités, ce que nous avons fait, avec des difficultés d'ordre matériel et humain. Nous ne pouvions pas accéder à nos installations et des documents de pointage étaient restés à l'intérieur du site. Une partie du sinistre n'était pas encore traitée puisque les pompiers sont restés sur site jusqu'au 7 octobre, date à laquelle nous avons pris le relais des pompiers en faisant appel à des pompiers privés.
Mme Nelly Tocqueville. - A vous écouter, et même avant que de vous auditionner, on a compris que la partie n'était pas facile entre vous et Lubrizol. En tant qu'observateur extérieur, on a l'impression que chacun se renvoie la balle, ce qui ne peut évidemment satisfaire les personnes qui ont directement subi les nuisances.
Vous avez indiqué être un prestataire. Ceci vous oblige-t-il à la mise en place d'exercices de simulation de situations de crise ? Si vous y êtes contraint, avez-vous organisé ces entraînements à des situations de crise ? Vous dites avoir été dépassés et que vous n'étiez pas prêts. Est-ce parce que ces entraînements n'ont pas été mis en oeuvre ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Non, nous n'avons pas d'obligation au regard de notre classement.
Mme Nelly Tocqueville. - Lubrizol a indiqué, lors du comité de transparence du 18 novembre, avoir décidé de stocker les produits finis chez un prestataire spécialisé. Ce n'est sans doute pas vous et cela laisse entendre que vous n'êtes pas un prestataire spécialisé. Cette notion a-t-elle un sens particulier ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - La situation de Lubrizol et la nôtre sont extrêmement différentes. Nous avons conservé des relations avec Lubrizol, mais quoiqu'en pense la presse, nous avons des intérêts distincts dans le cadre de cette crise. Vous l'avez souligné à juste titre.
L'un des enjeux majeurs de la crise consiste à connaître la cause de l'incendie. Nous sommes très sereins de ce point de vue. Lubrizol souhaiterait naturellement que l'incendie ait pris naissance chez nous, car cela le dégagerait de toute responsabilité. L'enquête en cours et l'expertise judiciaire en cours détermineront ce qu'il en est. Nous sommes très sereins, mais nous ne pouvons raisonner qu'à partir des éléments que nous connaissons.
M. Christian Boulocher, directeur général, Normandie Logistique. - Nous n'avons pas d'obligation du fait du classement. Je pense qu'à partir du 1er janvier 2020, des exigences supplémentaires s'imposeront à nous en matière de sécurité et de sûreté.
Je crois pouvoir dire que Lubrizol a choisi des prestataires logistiques qui sont classés Seveso « seuil bas ». Ce classement permet à ces entreprises d'offrir à Lubrizol des prestations que nous n'offrions pas, concernant le stockage de produits toxiques ou dangereux. C'est un choix stratégique qui supposerait une nouvelle organisation logistique pour Lubrizol, qui a indiqué qu'il diminuerait le plus possible les quantités stockées, en particulier les quantités stockées sur leur propre site. Ces propos ont été tenus publiquement.
On ne peut comparer l'offre de services spécialisée que des confrères vont apporter au regard d'un nouveau besoin qu'exprimerait Lubrizol, à l'utilisation, par Lubrizol, de notre proximité. Lubrizol connaissait parfaitement notre situation ICPE puisque nous avions fourni, dans le cadre des réflexions que cette entreprise menait, l'ensemble des documents relatifs à notre classement ICPE. Lubrizol savait quels produits elle ne pouvait stocker chez nous.
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Vous faites allusion à ses propres sites de stockage, ce qu'on appelle les bâtiments A5 et A4. Rien n'indique que les produits que Lubrizol stockait chez nous seront stockés chez un spécialiste « Seveso ». Ils n'en ont pas besoin. Parmi les produits qui ont brûlé figurait principalement du « vin. 43 », c'est-à-dire un polymère.
Connaissant Lubrizol et ses usages sur le plan financier, si je puis dire, je pense que si l'entreprise pouvait éviter de payer un stockage beaucoup plus onéreux, elle le faisait. Nous avons bien vu, dans le cadre du PPRT, que le site que nous occupions aurait dû être délaissé ou acheté. La DREAL en avait parfaitement conscience. Elle a même joué un rôle de facilitation. C'était aussi, pour elle, une façon de régler le problème.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - C'est plus dangereux pour vous que pour Lubrizol.
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Bien sûr. Nous aurions bien voulu nous débarrasser de ce site, car nous avons bien compris qu'il y a un souci. Mais nous évoluons dans un monde économique et nous devons composer avec les données et les contraintes qui s'imposent à nous.
M. Hervé Maurey, président. - A cet égard, le projet qu'avait Lubrizol d'augmenter sa capacité de stockage aurait-il conduit, selon vous, à alléger le stockage que vous effectuez pour Lubrizol ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Je n'en sais rien.
M. Hervé Maurey, président. - Je le dis pour mes collègues. Une autorisation d'augmentation de la capacité de stockage avait été accordée.
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Je ne suis pas sûr que nous parlions du même sujet. En fait, nous ne connaissons pas Lubrizol. Pour nous, cette entreprise était un client qui nous proposait de stocker des produits.
Dans la mesure où cela répondait aux rubriques et aux types de produits que nous pouvions stocker, nous aurions pu stocker des produits pour tout autre client. Nous nous intéressons assez peu à ce que font nos clients. Nous faisons notre métier, qui est déjà assez dur, du fait de la législation et de l'ensemble des contraintes qui encadrent notre activité. Celle-ci devient extrêmement compliquée.
Vous demandiez tout à l'heure s'il fallait envisager de faire évoluer certaines choses. Je pense que nous nous efforcerons d'effectuer des audits plus fréquents afin de nous assurer du respect de la réglementation, qui change très fréquemment. Les entreprises de notre taille doivent constamment se mettre à jour, ce qui est compliqué. Une partie du travail de la DREAL réside dans un rôle de conseil afin d'amener des entreprises comme la nôtre à faire évoluer leurs installations de façon à toujours se conformer à la réglementation.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - N'est-ce pas ce qu'elle fait ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Si, la DREAL effectue son travail avec les moyens disponibles, sachant que le nombre d'installations classées est très important.
M. Hervé Maurey, président. - Vous indiquez que vous n'étiez pas préparés à ce type de crise. Si l'on pouvait remonter le temps, que feriez-vous afin de vous préparer à ce genre de crise, outre ce que vous venez d'indiquer ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Je pense que j'aurais demandé à Lubrizol de façon beaucoup plus pressante de débarrasser notre site de ses produits.
En réalité, on ne peut pas être préparé. Pour nous, la crise fut majeure. Durant un mois, nous avons été totalement submergés par des pressions de toutes parts, de l'administration, des médias, de notre personnel, de nos banques... Au-delà même du sinistre, qui est très important, c'est une difficulté pour notre entreprise car nous sommes impactés, indirectement, même dans nos autres métiers, bien que nos clients, pour l'instant, nous soutiennent, ce qui limite fortement, à ce stade, l'impact économique. C'est plutôt un impact indirect.
M. Christian Boulocher, directeur général, Normandie Logistique. - Une particularité est aussi à signaler. Je ne sais pas si elle existe beaucoup ailleurs en France : nous ne sommes pas seulement à côté d'un site Seveso « seuil haut », nous en sommes mitoyens. Nous avons fait état, en vous projetant quelques photos, de notre antériorité car auparavant, il n'y avait rien autour de nous. Notre situation est tout à fait particulière dans la mesure où deux sites Seveso sont devenus mitoyens du nôtre.
On sait que des exercices sont effectués très régulièrement sur les sites Seveso. Malgré cette mitoyenneté, nous n'avons jamais été intégrés par nos voisins à quelque exercice que ce soit. On nous disait parfois « nous allons effectuer un exercice, donc vous entendrez des sirènes, ne vous inquiétez pas ». Je ne sais pas si, dans la relation commerciale, le site soumis aux plus fortes exigences, en matière de sécurité, doit avoir un rôle de conseil vis-à-vis d'un site mitoyen. Il pourrait par exemple dire au site voisin : « s'il se passe quelque chose, nous avons nos équipes « qualité, hygiène, sécurité et environnement » (QHSE). Nous allons venir chez vous et vous apporter un coup de main ». On peut d'autant plus se poser la question que Lubrizol connaissait parfaitement notre site, ne serait-ce que du fait de visites quasi-quotidiennes pour des raisons liées au matériel, aux stockages, à des opérations de manutention ou de pointage à effectuer. Il est arrivé aussi que des représentants de Lubrizol viennent sur notre site, dans le cadre du processus de cession, afin d'anticiper des travaux que l'entreprise envisageait de réaliser.
Dans le cas d'une telle mitoyenneté, il ne suffit peut-être pas de prévoir une salle de confinement, laquelle est utile si l'accident a lieu dans la journée. Il se trouve que l'incendie s'est produit de nuit. La nuit, notre entreprise est totalement fermée. Rien ne se trouve à l'extérieur. Peut-être faut-il élargir le raisonnement à l'ensemble de la zone d'activité ou de la zone industrielle, et raisonner à l'échelle de la communauté de sécurité que peuvent former toutes les parties prenantes.
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Lubrizol a d'ailleurs admis qu'il n'avait pas prévu que le feu vienne de chez nous.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Beaucoup a été dit sur la communication suite à l'événement. Qu'en avez-vous observé et comment avez-vous vécu cela ? Qu'auriez-vous souhaité voir mieux communiqué, et de quelle manière ?
M. Christian Boulocher, directeur général, Normandie Logistique. - Nous avons beaucoup souffert, car nous avons eu en permanence du retard sur la situation, dans la mesure où l'incendie n'était pas définitivement éteint chez nous, ce qui constituait notre première préoccupation. Durant cette période où toute notre attention et tous nos efforts étaient tournés vers cette préoccupation, la DREAL effectuait un contrôle approfondi, ce qui a aussi accaparé une grande partie de notre temps, le 30 septembre et le 7 octobre. Tout ce temps mobilisé en faveur de l'enquête judiciaire ne pouvait être consacré à la communication. Notre entreprise se veut au service de ses clients et se soucie de la qualité. Nous n'avons pas voulu entrer dans des polémiques - peut-être était-ce une erreur - lorsque le DREAL a déclaré que notre situation présentait des écarts qui relevaient, à ses yeux, de sanctions pénales. De notre point de vue, il appartient à un juge de décider si un écart est passible de sanctions pénales. Il a très régulièrement mis en cause la qualité de notre entreprise, pourrait-on dire. Je sais qu'il a eu, devant votre commission, des propos plus apaisés. Nous ne sommes pas entrés dans la polémique, laissant la presse s'en emparer, car nous étions quatre ou cinq personnes à gérer, en permanence (pour ainsi dire 24 heures sur 24), la fin de l'incendie et les obligations définies par les arrêtés préfectoraux. Cette équipe est toujours au travail.
Nous devions intégrer et comprendre les obligations qui nous étaient faites, lesquelles étaient d'un niveau identique aux prescriptions auxquelles devait se conformer Lubrizol concernant le « suivi environnemental ». Il a été demandé d'effectuer des prélèvements de terre, d'air et d'eau dans l'ensemble des communes impactées par le panache de fumée, jusque dans les Hauts-de-France. Nous n'avons pas eu de temps à consacrer à la communication et on peut se demander s'il vaut mieux ne pas communiquer ou mal communiquer. Je n'en sais rien. Nous avons beaucoup subi, dans un premier temps. Puis nous avons subi et agi. Aujourd'hui, nous agissons plus que nous ne subissons. Il nous est désormais plus facile de communiquer.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - J'ai une dernière question relative au volontariat chez les sapeurs-pompiers. Une proposition consiste à favoriser le volontariat des personnels des entreprises dont le site est classé Seveso. Cela vous paraît-il une bonne idée ?
M. Sylvain Schmitt, président, Normandie Logistique. - Nous ne sommes pas classés Seveso, mais certains de nos salariés sont pompiers volontaires. Un de ces salariés était présent le jour de l'incendie et est intervenu - ce qui est une bonne chose. Encore faut-il que cette personne soit présente sur le site au moment du sinistre. Il est heureux, cela dit, que personne ne fût présent sur le site car nous n'aurions de toute façon rien pu faire, compte tenu de l'ampleur du sinistre. Je pense qu'il fallait des équipes spécialisées, expérimentées et disposant de l'équipement requis pour faire face à l'incendie.
M. Hervé Maurey, président. - Messieurs, merci beaucoup. Je vous rappelle que vous pouvez nous adresser tout document complémentaire et si vous avez d'autres informations que vous souhaiteriez porter à notre connaissance, y compris en termes de propositions, n'hésitez surtout pas à le faire.
La réunion est close à 15h35.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.