Mercredi 27 novembre 2019
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 10 h 15.
Audition commune sur l'assistance médicale à la procréation
M. Alain Milon, président. - Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi sur la bioéthique. Cette audition est consacrée à l'assistance médicale à la procréation. Nous examinerons jeudi les conséquences sur la filiation des évolutions proposées dans ce domaine par le projet de loi en auditionnant des juristes. Je vous informe par ailleurs que cette audition fait l'objet d'une captation retransmise sur internet.
Je laisse la parole aux professeurs Jean-François Mattei, Israël Nisand et René Frydman.
M. Jean-François Mattei, vice-président de l'Académie nationale de médecine. - Je m'exprime en premier, n'y voyez aucune question de préséance mais simplement la conséquence que je devrai vous quitter avant la fin de la réunion. La position de l'Académie de médecine a engendré des polémiques. Je parle ici en son nom. Son rapport a été préparé par un comité d'éthique constitué de quatorze personnes. Les sujets ont été répartis par tandems, puis discutés. Un premier projet a été rédigé, amendé puis adopté par le comité. Il a ensuite été retravaillé par le conseil d'administration. Les académiciens l'ont reçu une semaine avant le vote, afin de déposer d'éventuels amendements.
La procréation médicalement assistée et son extension sont un sujet à double entrée. Nous n'avons rien à redire sur la question du désir de maternité, que chaque femme peut légitimement exprimer. La question de l'enfant n'a en revanche pratiquement pas été évoquée au cours des discussions préalables. Notre but est d'informer et non de polémiquer. Nous avons donc arrêté de communiquer à ce sujet. L'Académie estime qu'il n'est pas de sa compétence de s'exprimer en faveur ou contre un sujet d'essence sociétale. Elle s'est simplement intéressée aux potentiels aspects médicaux. Nous avons d'ailleurs émis des réserves sur de potentielles conséquences d'ordre médical pour l'enfant. Cette question a bien évidemment donné lieu à un débat.
Nous avons travaillé avec les moyens et les compétences de l'Académie de médecine. Nous avons sollicité le professeur Bruno Falissard, psychiatre et biostatisticien. Celui-ci a revu toute la littérature, fortement polluée par les a priori des auteurs. Ils s'accordent tous pour éliminer la possibilité d'une forte augmentation de mal-être et de psychopathologies chez les enfants de couples de même sexe. Cependant, pour une augmentation modérée à faible, le phénomène à étudier et les variables à prendre en compte sont tellement complexes que la littérature n'est pas stabilisée. Devant cet état de fait, les médecins ont décidé d'approfondir la recherche. J'ai mentionné les publications concernées dans le questionnaire que je vous ai envoyé.
Bruno Falissard a analysé quatre-vingt-dix-neuf références datant de 2005. Elles se révèlent totalement ininterprétables, et non recevables méthodologiquement parlant : échantillons volontaires et non aléatoires, absence de contrôle, nombres trop réduits ou encore durées trop restreintes.
En 2012, deux études de puissance statistique très satisfaisante ont été menées. La première ne montre aucune différence entre les enfants issus de couples homosexuels et hétérosexuels. La seconde répertorie en revanche plus de tendances suicidaires et dépressives chez les enfants de couples homoparentaux. Aucune conclusion formelle ne peut en être tirée. L'ensemble des études réalisées recommande de plus amples recherches.
J'ai pris connaissance hier d'une publication refusée par le New England journal of medicine. Elle porte sur un groupe de soixante-dix-sept personnes âgées de 0 à 25 ans. Elle ne relève aucune différence entre les enfants de couples hétérosexuels ou de même sexe. Les chercheurs ajoutent que leur étude est limitée par la taille de l'échantillon et la signification statistique pas interprétable. Les résultats sont donc à examiner avec la plus grande précaution.
Devant des résultats discordants, nous avons émis des réserves sur de potentielles conséquences d'ordre médical impactant les enfants. Nous ne pouvions pas prendre une autre position.
J'ajoute que l'extension de la PMA relève de l'insémination artificielle, avec sperme de donneur anonyme. Se pose donc la question de la quête des origines.
Dans un cas de couple hétérosexuel infertile ayant subi une insémination artificielle, l'enfant connaît une vraisemblance parentale. Lorsqu'il s'interroge sur ses origines, il recherche alors dans la majorité des cas son géniteur, mais pas son père, qu'il connaît déjà. Un enfant ayant deux mères et pas de père se posera des questions différentes. S'il retrouve son donneur, nul ne connaît le lien qu'il pourra établir avec celui-ci.
Deux faux arguments ont été utilisés. Il a d'abord été dit que puisque les femmes seules ou homosexuelles étaient déjà en mesure d'adopter, elles devaient aussi pouvoir procréer médicalement. En réalité, dans l'adoption, un enfant n'a pas du tout de parent. Il est préférable de lui en donner un ou deux, que de le laisser seul. Dans le cadre de la PMA pour une femme seule ou en couple avec une autre femme, nous assistons en revanche à une privation volontaire de père. De plus, le nombre croissant de familles monoparentales a également été évoqué. Celles qui existent aujourd'hui sont cependant plus souvent une conséquence des aléas de la vie que de réels choix.
Nous considérons qu'il est nécessaire de séparer l'extension de la PMA aux couples de femmes, et aux femmes seules. Dans ces couples, il existe une altérité au regard de l'enfant. Il n'y a pas de fusion entre la mère et l'enfant qui ne nous semble pas souhaitable. Les familles monoparentales s'inscrivent en outre dans un contexte social et économique plus difficile. Je ne suis donc pas certain qu'il soit souhaitable d'en créer de nouvelles. Mon avis n'est cependant pas formel.
M. Israël Nisand, président du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). - Je m'exprime au nom du CNGOF, que nous avons interrogé à plusieurs reprises. Nous avons une idée assez précise de l'opinion des professionnels réalisant la PMA en France. Pourquoi les médecins interviennent-ils dans un débat sociétal et éthique ? Ils émettent certes un avis en tant que citoyens, mais ils sont également témoins directs de cette avancée.
Le projet de loi tel qu'il a été voté à l'Assemblée nationale en octobre entraîne une haute satisfaction au sein de la profession. Il permet enfin aux femmes homosexuelles ou seules de profiter des services de la médecine. Les spécialistes n'y sont pas réticents.
J'évoquerai le côté court de cette loi, car certains points écrits ne nous conviennent pas et ne sont pas dans l'intérêt des patientes. Je n'évoquerai donc pas le DPI pour les aneuploïdies, qu'abordera René Frydman, mais deux autres sujets me paraissent importants.
J'aimerais citer les femmes perdant leur compagnon en cours de processus de FIV. Ce cas m'est arrivé au moins une fois. J'ai dû répondre à une femme qu'elle avait le choix entre donner ses embryons à une autre femme ou les détruire. Elle m'a répondu que cette réponse était obscène. Nous n'avons pas la même posture vis-à-vis des gamètes. Ceux-ci disparaissent ou sont jetés sans poser de problèmes. Nous ne pouvons en revanche pas dire des embryons qu'ils ont d'une part une certaine dignité, et vouloir d'autre part les détruire alors qu'une femme souhaite se les faire réimplanter. Il est bien évidemment nécessaire d'encadrer ce cas. Nous pensions que vos collègues de l'Assemblée nationale partageaient cette posture, c'est pourquoi nous ne comprenons pas la mesure prise. Elle concerne certes très peu de femmes, mais est terrible pour les personnes concernées. En l'état, nous ne pouvons même pas leur donner leurs embryons pour qu'elles se les fassent implanter à l'étranger. La profession entière vous demande donc de faire en sorte que nous n'ayons plus à leur fournir cette réponse à l'avenir.
Le point le plus important concerne l'autoconservation des ovocytes. Les hommes peuvent conserver leurs spermatozoïdes comme ils le souhaitent. Une quarantaine de centres publics autorisés se voient réserver la pratique d'autoconservation ovocytaire. Cette mesure sera donc inaccessible pour des zones entières du pays. De même, les quelques centres autorisés verront leur liste d'attente s'allonger considérablement. Il a été reproché aux centres privés de pousser à la consommation dans ce domaine. Je ne vois pas en quoi cette critique est valide. Ces centres ont les mêmes règles du jeu. Nous faisons de plus confiance à l'ABM qui contrôle remarquablement l'activité des centres d'aide médicale à la procréation.
Le don d'ovocytes ne fonctionne pas dans notre pays. Nous dépensons énormément d'argent pour les femmes de plus 40 ans pour des résultats très modestes. Mon équipe me demande d'ailleurs d'arrêter de les prendre en charge. Si une partie de ces femmes pouvaient disposer de leurs ovocytes, nous n'aurions pas à les envoyer dans des pays étrangers pour qu'elles s'en procurent d'autres, achetés à des étudiantes. Nous ne l'acceptons pas, mais le finançons pourtant avec notre sécurité sociale. J'affirme qu'il est préférable pour les femmes d'autoconserver ses propres cellules que d'avoir un don d'ovocytes, entraînant un réel deuil. Ne retirez pas d'une main ce que vous avez donné de l'autre.
Les centres publics devront pousser vers les centres privés certaines activités qu'ils ne seront plus capables d'accomplir. Laissons la totalité des gestes d'AMP dans les centres possédant un agrément pour le faire, et contrôlons en aval. Si l'objectif de la limitation de l'offre est de limiter les dépenses, d'autres moyens existent. La Hollande l'a prouvé. Le don d'ovocytes comporte deux phases. Lors de la première, l'autoconservation, la femme n'est pas malade et est en capacité de procréer. Je souhaite préciser que ce ne sont pas les femmes qui procrastinent, mais leur conjoint. Les hommes sont en effet largement responsables de l'arrivée tardive de femmes en demande de grossesse. La maltraitance des femmes est souvent évoquée, c'en est une. Le fait d'autoriser les femmes à autoconserver leurs ovocytes durant la première phase représente un coût d'environ 2 000 euros. Lorsqu'elles viennent demander de récupérer leurs ovocytes autoconservés, ou les donner à une autre femme, elles pourraient être remboursées de ce qu'elles ont dépensé dans cette phase. Cette méthode permettrait un équilibre des dons. Je comprends que le gouvernement souhaite limiter les dépenses, mais je n'accepte pas qu'il réduise à ce titre l'offre. L'offre de soin est énorme et gratuite en France, pourtant nous avons à gérer d'interminables listes d'attentes de personnes ne trouvant pas satisfaction.
Je suis heureux que nous revenions en arrière sur la question de l'anonymat. Nous avons le droit de vouloir à tout prix un enfant, à condition de lui expliquer ensuite ce que nous avons fait pour le concevoir. Nous avons une obligation de transparence totale vis-à-vis des actes que nous réalisons. Nous ne comprenons donc pas pourquoi cadenasser les listes de données relatives aux gamètes et embryons. Je préférerais que moins de dons soient réalisés, mais que nous fassions face à moins de reproches. Nous avons l'impression de faire plus de mal que de bien. Je signale toutefois que se débarrasser des dons effectués avant le passage de cette loi serait un gigantesque gâchis. Nous jetterons volontiers les dons de donneurs et donneuses en faisant la requête, mais nous aimerions être autorisés à les contacter. Ils pourraient alors autoriser la conservation, ou au contraire demander l'abandon de leurs dons. Nous savons que nous rencontrerons des difficultés.
La loi me semble suffisante concernant la filiation. Chaque personne ayant recours à un tiers donneur rédige une déclaration à un notaire ou magistrat pour accepter le don. Nous sommes attachés à une symétrie totale entre les couples hétérosexuels et homosexuels ayant recours à un tiers donneur. Des modalités d'instauration de la filiation dépendant de la structure familiale seraient dommageables.
M. René Frydman, professeur émérite des universités, gynécologue obstétricien. - Merci de votre invitation. Je souhaiterais réagir à un certain nombre de points avant d'intervenir au sujet de l'analyse de l'embryon.
Il est vrai que certaines interrogations n'emportent pas la conviction de tout le monde. Nous devrions renforcer l'accueil, l'écoute et l'accompagnement des couples hétérosexuels, homosexuels et des femmes seules. L'indication même de la FIV devrait être faite dans toutes les circonstances, en cas de problème médical bien sûr, mais également social, économique ou encore d'équilibre psychologique... Un point de vue pluridisciplinaire dans la loi serait intéressant et permettrait de résoudre certaines questions qui nous posent aujourd'hui problème.
Concernant le post-mortem, chacun s'accorde pour dire qu'un temps de réflexion et un délai final sont nécessaires, mais nous ne pouvons pas laisser les concernées dans cette souffrance.
L'autoconservation est également une nouvelle proposition à prendre en charge différemment, avec un réel accompagnement et une réelle présence. Ne devraient être agréés que les centres, publics ou privés, faisant preuve d'une concentration efficace et d'un accompagnement suffisant. Je pense, ici aussi, au pluridisciplinaire pour répondre aux questionnements pouvant se poser vis-à-vis de l'enfant.
Le don ne fonctionne pas en France, effectivement, à notre grand dam. Beaucoup de femmes se rendent à l'étranger. Il s'agit également d'une source de commercialisation redoutable à mettre de côté. Comment répondre à la demande qui ne va pas diminuer ? Des femmes de plus en plus âgées nous sollicitent. Je vous demande de nous laisser faire campagne et donner nos arguments. Il est nécessaire de passer par un plan national. Si je demande aux citoyens la date de la dernière campagne de don de gamète, personne n'aura la réponse. Nous devons pouvoir diffuser nos arguments pour convaincre. Les Françaises sont aussi généreuses que les autres, mais il faut les informer. Nous devons changer notre façon de faire.
J'ajouterai mon point de vue personnel concernant la possible levée de l'anonymat. Je suis pour une grande liberté des gens dans un cadre établi. Jusqu'à preuve du contraire, les personnes élevant l'enfant pourront décider de ce qu'ils lui diront. C'est leur responsabilité. Si l'enfant est mis au courant, il a la possibilité de s'adresser à une commission pour connaître, pourquoi pas, l'identité du donneur. Que ce dernier accepte d'être contacté si l'enfant le souhaite me semble positif. Il est maintenant nécessaire de s'interroger sur une possibilité de réflexion pour répondre à ce contact.
Un enfant né sous X peut maintenant s'adresser au CNAOP s'il cherche des réponses au sujet de sa filiation. Ce conseil mènera l'enquête et contactera sa mère. Nous nous sommes engagés il y a des années auprès de ces femmes à conserver leur anonymat. Elles ont maintenant la possibilité d'accepter ou non de répondre à leur enfant s'il souhaite découvrir ses origines. Les parents sont libres d'informer leur enfant, ce dernier est libre de chercher des réponses.
Sur le point médical, il me semble qu'il existe une confusion concernant la recherche sur l'embryon dans la proposition de loi. Il est normal que ce débat ait lieu. Les articles L. 2141-3-1 et L. 2151-5 sont contradictoires. La recherche sur des gamètes ou embryons avant ou après transfert à des fins de gestation est autorisée. Pourtant, aucune recherche ne peut être entreprise sans autorisation, mais surtout les embryons ayant fait l'objet d'une recherche ne peuvent être transférés à des fins de gestation. La confusion vient du fait que nous n'avons pas ramené suffisamment la notion de recherche sur deux situations totalement différentes. La première fait obligatoirement l'objet d'un projet parental. La seconde non. Nous sommes dans deux systèmes différents, ce qui n'est pas précisé dans la loi.
En 2011, quand la loi a autorisé la technique de vitrification, dont nous ne parlons plus aujourd'hui, nous avons dû nous battre. Elle était comprise comme de la recherche sur l'embryon. Si nous ne précisons pas ce que nous voulons, nous arrivons à cette confusion et à ces blocages. Nous devons différencier la recherche d'innovation de la recherche sans projet parental.
60 % des embryons, et 80 % à l'approche de la quarantaine, ne s'implanteront pas. Nous sommes confrontés, en fonction de l'âge, à des taux de succès bas. Il nous semble important d'essayer de comprendre la potentialité d'un embryon de s'implanter, et non de connaître la couleur de cheveux, d'yeux ou encore le QI du potentiel futur enfant.
Allons-nous augmenter les taux de succès ? Paradoxalement non, mais nous allons améliorer le management. Pourquoi transférer un embryon alors qu'il mènera à un échec ou à une fausse couche ? Toute cette gestion devrait être proposée, mais pas à toutes les patientes. Certaines populations sont à risque. L'âge est un de ces risques. Une publication datant de septembre portant sur 700 embryons montre qu'une analyse chromosomique avant 35 ans ne sert à rien. Elle est en revanche utile après 35 ans. Nous cherchons à éviter des échecs répétés. À une époque sensible aux féminicides et atteintes faites aux femmes, je le considère comme une violence psychique, physique et économique.
Dans cette approche de compréhension de l'embryon, l'eugénisme est abordé. Qui, parmi les 200 médecins et biologistes en faveur de cette proposition, serait pour l'eugénisme ? Cette notion essaie d'isoler volontairement une population par ses caractéristiques. Elle vise à améliorer génétiquement le patrimoine humain en limitant la reproduction d'individus porteurs de caractéristiques défavorables. Pratiquer cette analyse embryonnaire ne me semble pas acceptable.
Concernant le diagnostic anténatal, nous pourrions tendre vers cet eugénisme. Nous n'avons pas décidé d'arrêter les prises de sang, mais de les encadrer. 48 centres de médecine anténatale existent en France. Sur 700 000 femmes pouvant bénéficier d'une connaissance de leur statut embryonnaire, un certain nombre le refuse. 7 000 demandes ont été faites en 2016. Les médecins en ont refusé 120. Il est surtout à noter que 1 200 avis ont été jugés acceptables par les équipes médicales, mais refusées par les patientes. Cet espace de liberté est à valoriser. Bien entendu, il y a toujours des zones grises. Un diagnostic chromosomique permet de connaître le sexe, ce qui ne nous paraît pas utile en tant que médecin. Les biologistes n'ont donc pas le droit de communiquer cette information, n'entrant pas en ligne de compte. Dans le cas d'une anomalie chromosomique, nous ne modifions rien. La femme aura un choix à faire trois mois plus tard. Si, informé de cette situation, le couple ne veut pas procéder à cette implantation, je respecte leur choix. La liberté de décision est celle qui m'importe le plus.
M. Jean-François Mattei. - Je vois que l'ensemble des points a été abordé par mes collègues.
Je suis du même avis que mes collègues concernant l'insémination artificielle ou le transfert d'embryons post-mortem. La situation était différente en 1994. À l'époque, un enfant né dans un délai supérieur à neuf fois après la mort de son père ne pouvait être reconnu comme son fils.
Le ministère de la Justice s'y opposait. Il n'était de plus pas question d'inséminer une femme seule, la pratique étant réservée aux couples souffrant d'une infertilité pathologique. Ce sujet a toujours été traité avec une émotion lourde dans les hémicycles. Je considère qu'il serait incompréhensible de refuser à une femme veuve une réimplantation.
L'académie est évidemment favorable au principe d'autoconservation des ovocytes. Nous sommes choqués qu'elle soit présentée comme une garantie de grossesse au moment venu. C'est en réalité une fécondation in vitro, dont nous connaissons les risques et les échecs. Nous voudrions informer les femmes sur le fait qu'elle constitue une possibilité, mais qu'il est toujours mieux d'utiliser les voies naturelles.
Je rejoins monsieur Nisand sur la question des centres publics et privés. Les premiers pourraient être retenus pour établir des protocoles dans un premier temps, mais nous auront à l'étendre aux seconds.
Nous avons peu évoqué la pénurie de gamètes. Nous recevons environ 363 dons de sperme par an. Déjà 1 000 demandes ont été déposées par couples hétérosexuels, qui patientent en moyenne un à deux ans. Je doute que les dons augmentent parallèlement aux demandes. Je ne suis pas sûr que nous arrivions à établir l'offre et la demande de manière équitable.
J'insiste sur le fait qu'il y aurait une seule liste de candidats à une insémination artificielle, confondant les indications médicales et les demandes sociétales. Pour un couple souffrant d'une infertilité pathologique, le délai sera allongé, ce qui pourrait paraître incompréhensible. Nous considérons à ce titre qu'il est nécessaire d'établir deux listes distinctes.
Ensuite, sur le point de l'anonymat, je rejoins René Frydman. Le CNAOP a maintenant 17 ans d'existence et fonctionne très bien. Je ne comprends pas l'apparition d'une nouvelle commission. Créer une structure en plus de celle existante me paraît absurde.
Vous n'avez pas parlé du double don, auquel je ne vois pas d'obstacle. Il serait pertinent de favoriser l'accueil d'embryons. 221 538 embryons étaient congelés au 31 décembre 2015. Un embryon congelé n'est ni plus ni moins qu'un double don. Le modèle avait à l'époque été construit sur l'« adoption la plus précoce qui soit ». Je pense qu'il est nécessaire de faire table rase et d'adopter une posture facilitatrice.
Les esprits ont évolué depuis 1994 sur la recherche sur l'embryon. La refuser au prétexte qu'un embryon est une personne est paradoxal puisque cela revient alors à la priver d'un accès aux soins. Nous ne pouvons faire de thérapie sur l'embryon sans effectuer de recherches.
Concernant le CRISPR Cas9, nous devons être vigilants et ne devons pas aller trop vite. Personne ne connaît sa fiabilité et ses effets collatéraux. Nous devons autoriser les recherches grâce à cette technique et ses dérivés, mais pas dans le cas d'une implantation.
Nous savons qu'une fausse couche sur deux est liée à une anomalie chromosomique. Le diagnostic préimplantatoire avec recherche d'aneuploïdie chromosomique est utile. Cependant, s'il est trop précis, vous ouvrez la porte à la critique de l'eugénisme.
Enfin, je voudrais faire une remarque d'ordre général. Cette loi en dit beaucoup trop peu sur le CRISPR. Vous n'attendrez pas cinq ans avant de devoir légiférer à ce sujet. Nous parlons également trop peu d'intelligence artificielle en bioéthique.
Mme Muriel Jourda. - Merci Monsieur le président. Ma question s'adresse à tous les intervenants. Est-il selon vous nécessaire de supprimer la mention de l'infertilité comme cause de recours à l'AMP ?
M. Jean-François Mattei. - J'estime qu'il faut préciser « infertilité pathologique et maladies génétiquement transmissibles ». Nous ne pouvons pas faire l'économie d'indications médicales.
M. René Frydman. - Je ne comprends pas pourquoi nous ne définissons pas l'indication, même si elle est sociétale. Nous avons besoin de pouvoir encadrer, accueillir et définir la raison de ces tentatives. Le suivi des couples serait également nécessaire. Nous faisons tout de même face à beaucoup de grossesses spontanées chez les couples en projet de fécondation in vitro.
M. Israël Nisand. - De nombreuses personnes m'ont fait remarquer que nous devions être vigilants aux discriminations. Des couples de femmes venant nous consulter par le passé se considéraient comme des couples hétérosexuels faisant face à une infertilité masculine. Elles ne comprenaient donc pas pourquoi elles se voyaient refuser les services de l'AMP. Elles y percevaient une stigmatisation. Il n'est bien entendu pas question de retirer les indications, cependant il est nécessaire de veiller à ne pas prioriser certaines lignes.
Mme Muriel Jourda. - Pour rebondir sur les propos de monsieur Mattei, pensez-vous donc qu'il faille établir deux listes différentes ?
M. Jean-François Mattei. - Certaines personnes sont malades, d'autres bien portantes, handicapées ou valides. Certains ont droit à des avantages, qu'ils méritent amplement, d'autres non. Je pense que les personnes n'étant pas en mesure de procréer, ou étant susceptibles de transmettre des maladies à leurs enfants, doivent être considérées à part.
Nous n'avons pas abordé la question de l'assurance maladie. Il est clair que l'intégralité des demandes médicales doit être prise en charge. En réalité, l'ensemble des grossesses doit être pris en charge, il n'est pas question de revenir sur ce point. Il me semble cependant que les couples de femmes et femmes seules pourraient prendre en charge la question du don de gamètes et de l'insémination. L'autoconservation est déjà à la charge des patientes. L'Assurance maladie présente un déficit de 5 milliards d'euros. Elle n'est pas en capacité de financer des médicaments innovants pour le cancer. Elle ne peut donner aux Ehpad les moyens nécessaires pour les personnes dépendantes ou souffrant d'Alzheimer. Il faut donc, à mon sens, raison garder et dissocier les malades des personnes souhaitant bénéficier des techniques médicales. Il ne s'agit pas d'une discrimination.
M. Israël Nisand. - Le risque de ces listes est en effet de mener à une discrimination. À titre d'exemple, les indications d'IVG sont extrêmement variables. Jamais personne ne s'est permis de dire, en pénurie de moyens, que certaines d'entre elles pouvaient être prises en charge ou non selon la raison évoquée. Nous ne le faisons d'ailleurs dans aucun domaine de la médecine.
Il faut en effet gérer la pénurie de moyens. Nous pouvons revenir sur la prise en charge à 100 %, qui choque d'ailleurs toutes nos équipes. Elle nous coûte énormément d'argent, mais ne vaut rien aux yeux des patients. Ils la considèrent comme acquise, même en cas de probabilité de réussite extrêmement faible. Nous pouvons donc revenir en arrière sur ce sujet, mais pour tous les patients, et pas seulement une partie.
M. René Frydman. - Nous devons être vigilants sur deux points : ne pas être discriminants, et offrir une médecine actuelle à tout le monde.
Nous devons mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour informer les Français sur le don. Nous ne pourrons pas combler la pénurie si nous ne le faisons pas. Nous en discutons depuis 40 ans, mais n'avons rien mis en place pour diffuser l'idée même du don.
La France et Israël sont les seuls pays au monde à rembourser intégralement 4 essais de fécondation in vitro. Nous sommes de plus en plus confrontés à des patientes souhaitant faire ces tentatives, puisqu'elles y ont droit, même après leur avoir expliqué qu'elles n'avaient aucune chance d'aboutir. Je suis donc en faveur d'une participation financière de principe, dans certaines situations, ayant pour but de responsabiliser ces femmes.
Je ne suis pas favorable aux doubles listes. Nous pouvons en revanche signaler les indications. Nous pouvons discuter de l'accompagnement de ce genre de situations. En Belgique, les femmes seules ou homosexuelles ont accès depuis longtemps à l'insémination artificielle. Il est pourtant important de noter que 15 % des demandes sont refusées. Les équipes médicales pluridisciplinaires se réservent donc la possibilité de contester. Il me semble important de l'accepter. Il n'est pas question d'accepter toutes les demandes, même hétérosexuelles. N'oublions pas que certaines personnes ne sont pas prêtes, que ce soit psychologiquement ou matériellement parlant.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Merci à tous pour vos interventions passionnantes.
Professeur Mattei, vous avez rapidement évoqué le bébé-médicament. Que pensez-vous de la suppression de cette possibilité ?
Le CCNE souhaitait une nouvelle définition du diagnostic prénatal. Vous satisfait-elle ?
Le diagnostic prénatal était possible pour cinq maladies avant le projet de loi. Le CCNE souhaite l'élargir aux déficits immunitaires héréditaires. Quelle est votre position à ce sujet ?
M. Jean-François Mattei. - Nous connaissons tous trois le diagnostic prénatal. Nous y avons tous beaucoup réfléchi, mais n'y avons jamais trouvé de solution réellement satisfaisante, puisque le sujet est éminemment évolutif. Il était au départ chromosomique, puis est rapidement devenu échographique. Il est ensuite passé par les protéines du liquide amniotique, l'alpha-foetoprotéine. C'est pour cette raison que le double diagnostic me gêne. Il nous est arrivé fréquemment de réaliser une amniosynthèse pour une trisomie 21, non trouvée, mais entraînant la découverte d'une alpha-foetoprotéine élevée signalant une spina-bifida.
Une discussion portant sur le diagnostic prénatal non invasif a eu lieu au Parlement allemand. Il est réalisé sur les cellules foetales triées du sang maternel. Il permet une étude génétique suffisamment poussée, à la recherche d'anomalies pouvant entraîner une interruption de grossesse. Je suis moins inquiet d'une DPI assortie d'une aneuploïdie si elle est globalisée. Elle doit être une indication pour que le médecin choisisse un embryon plutôt qu'un autre.
Je suis en revanche épouvanté concernant le diagnostic préimplantatoire non invasif. Plus les séquençages à haut débit de l'ADN se feront sur des plateformes spécialisées, plus nous aurons accès à un inventaire génétique de ce qui nous paraîtra normal ou non. Nous avons identifié près de la totalité de nos gènes, mais n'avons pas, selon le généticien américain Craig Venter, compris 1 à 2 % du fonctionnement du génome. En effet, nous connaissons le gène, mais nous ne savons pas comment il s'exprimera, en raison des séquences d'ADN non codantes de part et d'autre de celui-ci par exemple.
J'ai assisté la semaine dernière à un congrès portant sur le cancer du sein, où nous avons bien évidemment abordé la génétique. La plupart des généticiens impliqués expliquent être ennuyés. En effet, s'ils trouvent un BRCA1 ou BRCA2, ils sont capables d'agir. S'ils sont face à deux variants associés qu'ils ne savent pas traduire, ils sont démunis. Nous prêtons aujourd'hui beaucoup plus à la génétique que ce qu'elle est réellement capable d'apporter.
M. Israël Nisand. - La définition du diagnostic prénatal doit être modifiée. Un grand nombre de chapitres de la loi antérieure indiquaient que celui-ci n'était que génétique. Il est depuis devenu imagerie, puis échographie ou encore IRM.
Je pense que certaines règles de l'OMS s'imposent à nous pour définir ce qu'est le dépistage prénatal. La maladie doit être relativement fréquente et poser un problème de santé publique. Elle doit également pouvoir être découverte à un stade présymptomatique, afin de pouvoir traiter l'enfant avant qu'il ne devienne malade. C'est le cas de certains déficits immunitaires.
Je suis favorable à ce que des maladies viennent se rajouter au buvard placé sur le talon des bébés. Nous pourrions ainsi dépister d'autres maladies ne s'exprimant pas à la naissance, mais étant longues à traiter après leur diagnostic.
Sous couvert de l'analyse épidémiologique et de santé publique, et dans le cas où il existe un traitement pour soigner la maladie après son dépistage, je suis donc favorable à l'extension du diagnostic.
M. Jean-François Mattei. - Un diagnostic prénatal d'une maladie que nous ne sommes pas en mesure de traiter équivaudrait à plonger la famille dans la maladie avant même qu'elle ne s'exprime.
M. Jean-François Mattei quitte la séance.
M. René Frydman. - Je n'ai pas du tout abordé CRISPR, qui est une intervention sur l'embryon. Nous n'avons parlé que de diagnostic. L'intervention fait partie d'un tout autre registre n'ayant pas pour objectif d'améliorer des résultats de la FIV.
Madame Imbert, vous avez posé la question du double espoir, et donc du bébé-médicament. Vous savez que j'ai initié cette technique en France. Onze cas ont été réalisés en une vingtaine, mais plus aucun depuis cinq ans. Les banques étaient à l'époque en pénurie de cellules de sang du cordon, que nous devions même acheter à l'étranger. Dans la plupart des cas où un enfant malade aurait besoin de transfusion de cellules adaptées, nous pouvons maintenant les trouver dans les banques nationales et internationales. J'accepte la création d'une loi pour interdire les bébés-médicaments, mais m'interroge sur la nécessité de légiférer sur tout.
Sur le problème du diagnostic, un point me semble important. La réticence peut parfois venir du caractère invasif du diagnostic, consistant à prélever une cellule même si celle-ci ne constitue pas l'embryon en lui-même. Nous disposons les embryons dans un milieu de culture pendant cinq à six jours. L'analyse de milieu peut nous donner des informations sur leur capacité à s'implanter, que j'ai abordée plus tôt. Sommes-nous réticents au principe même de choisir, ou simplement aux modalités ? Choisir des techniques de diagnostic non invasives est-il plus tolérable que des techniques invasives, ayant pourtant prouvé qu'elles n'intervenaient pas dans le développement embryonnaire ?
Les équipes médicales souhaitent pouvoir procéder à ces analyses sur la capacité à l'embryon de s'implanter, à l'instar des autres pays européens.
M. Israël Nisand. - La différence fondamentale entre le double don et l'accueil d'embryon réside dans le fait que dans le deuxième cas, l'embryon a des petits frères et des petites soeurs. Ce n'est pas le cas avec les doubles dons. Nous avons vu un grand nombre de couples partir à l'étranger, car ils ne le savaient pas. Ils n'avaient pas compris que derrière le don d'embryon se cachait toute une famille présente dans les fantasmes et l'imaginaire des receveurs. Les couples où la femme et l'homme sont tous deux stériles se voyant proposer le choix privilégieront le double don. Je me réjouis totalement de son acceptation nouvelle. Je suis bien évidemment préoccupé par la quantité d'embryons congelés, qu'aucun de nous ne méprise. Pourtant, interdire le double don pour obliger les familles à accueillir un embryon reviendrait à oublier ces frères et soeurs que j'évoquais.
M. René Frydman. - Le don d'embryon n'est pas simple pour les donneurs. Nous ne pouvons pas considérer l'embryon comme une personne potentielle, et dans le même temps le donner comme s'il s'agissait d'un simple gâteau au chocolat.
Si le double don est accepté, nous serons confrontés à des femmes seules d'un certain âge ou présentant des réserves ovariennes déficientes. Elles ont bien besoin de sperme, mais n'ont pas elles-mêmes les ovocytes adéquats. Nous devons donc aller au bout de cette satisfaction, sans oublier de les accompagner durant tout le processus.
M. Bernard Jomier, rapporteur. - J'aimerais transmettre une question à monsieur Mattei. Il nous a fait part du fait que la construction de l'altérité d'un enfant dans un couple de femmes ne pose pas de problème. Il a cependant mentionné qu'elle poserait problème dans le cas d'un enfant élevé par une femme seule. J'aimerais savoir sur quelles études et données il se base pour l'affirmer.
La rédaction actuelle des conditions à la recherche sur l'embryon vous satisfait-elle ? Je m'interroge en particulier sur la question de la finalité médicale.
Enfin, le taux de succès de l'AMP n'est pas très élevé en France. Monsieur Frydman, vous assuriez que la pratique du diagnostic préimplantatoire avec recherche d'aneuploïdies ne l'améliorerait pas significativement. Quelle autre disposition faudrait-il alors prendre ?
M. René Frydman. - Il existe selon moi une confusion entre les deux articles. La recherche conçue comme une innovation dans le but de transférer l'embryon doit être distinguée, identifiée et cadrée. Les textes sont contradictoires, indiquant d'un côté que nous pouvons le transférer, interdisant cette pratique d'un autre côté. Ce point clé est à préciser. Les recherches conçues comme une innovation dans le cadre d'un projet parental sont à distinguer des recherches n'ayant aucune visée de parentalité.
En ce qui concerne les taux de succès, il y a une sorte d'omerta sur les résultats en France. Je vous invite à vous intéresser aux résultats de l'AMP quant aux résultats français. Si vous cherchez les résultats américains, leur affichage est totalement compréhensible, ce qui n'est absolument pas le cas dans notre pays. Pourtant, en décryptant les résultats, nous voyons clairement se distinguer un top 10 et un top 100.
Bien entendu, il est complexe d'analyser ce qui est comparable. Les conclusions seront évidemment différentes entre un centre dont la moyenne d'âge des patients atteint plus de 40 ans en comparaison à un centre n'accueillant que des femmes d'une trentaine d'années.
Pourquoi est-ce important ? Certains centres sont isolés et ont peu de matériel et de personnel. Analysons les raisons de la queue de peloton afin de l'améliorer. J'estime qu'il est nécessaire de se référer à ce qui se fait de mieux pour aider les centres en difficulté. Les problèmes peuvent être multiples : défaut de formation, perte d'équipement, de savoir-faire ou de matériel.
M. Israël Nisand. - Je partage l'avis de monsieur Frydman. Nous ne pouvons pas comparer les résultats de centres payants et gratuits. Lorsqu'un médecin vous indique que votre taux de chance de réussite est infinitésimal, et que vous devez payer, vous ne tentez pas la FIV. Une sélection s'opère donc par le prix.
Pour améliorer les taux de succès des centres, il suffit de prendre des couples jeunes avec des indications extrêmement précises d'infertilité. La question est de savoir si nous soignons les patients ou les statistiques. En soignant les patients, nous devons accepter les couples n'ayant que 2 ou 3 % de chances de concevoir. En soignant nos statistiques, nous réfutons ces couples.
Je ne pense pas que le niveau des taux de succès soit uniquement dû à des problèmes techniques et de qualité des laboratoires, ce qui serait inquiétant. C'est pour cette raison que je suis favorable à l'élaboration d'un fichier « bas risque » par centre. Il pourrait par exemple regrouper tous les couples de moins de 35 ans présentant une infertilité tubaire. Sur ce cluster, nous pourrons alors nous intéresser aux taux de réussite dans des conditions optimales. Nous pourrions alors réaliser que la France est plutôt efficiente. Le fait que nous acceptons les couples ayant très peu de chances de réussite impacte forcément négativement les taux de succès français.
M. Olivier Henno, rapporteur. - Je vous remercie de la qualité de nos échanges. Je partage votre avis sur l'insémination post mortem qui est selon moi une question de dignité humaine.
Le gouvernement s'est quelque peu opposé à l'autoconservation des gamètes, s'inquiétant d'un risque potentiel d'utilisation massive. Je n'y vois pas le problème. Elle correspond pour moi à une évolution sociétale. Qu'en pensez-vous ?
Sur le CRISPR cas9, pensez-vous qu'il y ait aujourd'hui une possibilité d'un encadrement éthique dans un but thérapeutique ?
Enfin, nous voyons le choc des biotechnologies et de l'intelligence artificielle émerger en auditions. La question du consentement éclairé se pose, de même que l'encadrement essentiel et nécessaire. Disposons-nous de suffisamment d'éléments pour avancer sur ce sujet ?
M. René Frydman. - Je reviens rapidement sur la question antérieure. Nous pourrions peut-être revisiter la carte des centres aujourd'hui. Plusieurs centres tournant six ou sept jours sur sept et réalisant 700 tentatives regroupés permettraient bien plus de possibilités médicales et de recherche.
Vous évoquez CRISPR. Nous sommes dans une démarche d'expérimentation qui doit être faite sur l'animal au préalable. Nous ne savons pas ce que nous modifions en coupant l'ADN. À l'hôpital Necker il y a quelques années, nous avons connu le cas des enfants bulle présentant une déficience immunologique. Nous avons vu qu'en intervenant dans le cadre d'une thérapie génique, nous pouvions bloquer cette immunité à leur environnement. Nous avons dû arrêter les essais suite au développement de leucémies chez deux de ces patients. En coupant une zone d'ADN, nous ne savions pas ce qui se passerait dans le reste des gènes. Nous sommes ici dans un cadre de recherche très éloigné du projet parental.
Concernant une potentielle utilisation massive de l'autoconservation des ovocytes, je ne pense pas que nous ferons face à un tsunami de demandes. Je ne pense pas que le problème soit quantitatif. Les femmes seules parties à l'étranger dans ce but ne représentent pas à ce jour des sommes faramineuses. De plus, la mise en place d'un accompagnement et d'une écoute permettra à certaines femmes de faire marche arrière.
M. Israël Nisand. - Il s'agit d'une liberté que nous accordons aux femmes. Je ne pense pas que nous puissions inciter à cette demande. Il serait en revanche incompréhensible que les centres agréés AMP, prélevant et congelant des ovocytes, ne puissent pas réaliser ce travail.
M. René Frydman. - Il est indispensable d'avoir pris les dispositions nécessaires en termes d'accompagnement et de temps. L'agrément et le mode de fonctionnement doivent être identiques.
M. Alain Milon, président. - Y a-t-il d'autres questions ?
J'aimerais simplement ajouter que j'ai réalisé une étude sur la sécurité sociale en Espagne avec des collègues. L'équivalent espagnol du CCNE nous y a appris que chaque année, 7 000 femmes françaises se rendent en Espagne dans le cadre d'une PMA.
M. René Frydman. - Avec l'argent de la sécurité sociale française ?
M. Alain Milon, président. - Ce point serait à préciser. Merci à tous.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 10.
Jeudi 28 novembre 2019
- Présidence de Mme Élisabeth Doineau, vice-présidente -
La réunion est ouverte à 10 h 15.
Audition commune sur les conséquences de l'extension de l'assistance médicale à la procréation sur le droit de la famille
Mme Élisabeth Doineau, présidente. - Mes chers collègues, je salue la présence de M. Hugues Fulchiron, professeur de droit privé à l'Université Jean Moulin Lyon 3, directeur du centre de droit de la famille, de Mme Marie Mesnil, maîtresse de conférences en droit privé à l'Université de Rennes 1 et de M. Jean-René Binet, professeur de droit privé à l'Université de Rennes 1.
Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique avec une audition consacrée aux évolutions proposées par le texte dans le domaine du droit de la famille. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable à la demande. Notre souhait d'entendre une pluralité d'analyses et de points de vue nous a conduits à solliciter de nombreux intervenants. Tous n'ont pas été en mesure de répondre à notre invitation, mais nous accueillons avec plaisir ce matin ceux qui ont pu se rendre disponibles.
Je laisse la parole à nos invités pour un bref propos liminaire avant que nos rapporteurs n'interviennent, puis les sénateurs qui le souhaiteront.
M. Jean-René Binet, professeur de droit privé à l'Université de Rennes 1. - Je vous remercie, madame la Présidente, pour votre invitation à m'exprimer devant vous dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique.
Avant d'en venir aux questions consacrées à la filiation, j'aimerais exprimer mon sentiment par rapport au processus en cours. Ce processus inscrit dans la logique des précédentes révisions semble marqué par une continuité historique depuis les lois de 1994. Cependant, cette continuité n'est qu'apparente. Le processus législatif me semble avoir été marqué par une accélération du temps que l'on constate aisément si l'on envisage chacune des étapes qui l'ont jalonné. Les états généraux de la bioéthique qui se sont déroulés l'année dernière n'ont duré que cent jours, soit beaucoup moins que la fois précédente. La mission parlementaire d'information à l'Assemblée nationale, constituée en juin dernier, a duré peu de temps et les débats n'ont pas été approfondis. Enfin, l'examen à l'Assemblée nationale n'a pas permis le soutien de très nombreux amendements et a empêché l'approfondissement de très nombreuses questions. Le processus actuellement en cours est donc bien différent de ce qui s'était passé précédemment.
Ensuite, le projet de loi a été présenté par le Gouvernement comme un projet révolutionnaire. Il ne s'agit donc pas, comme l'avaient fait les lois du 6 août 2004 et du 7 juillet 2011, de faire évoluer la loi de bioéthique de 1994, mais bien de révolutionner la matière. Comme l'avait indiqué le Conseil d'État, le risque est très fort de voir des principes structurants profondément remis en cause par la révision.
Avant d'en venir à la filiation, je souhaiterais évoquer certains principes fondamentaux de ce droit de la bioéthique. L'alinéa 1er de l'article 16-4 du code civil affirme la protection de l'intégrité de l'espèce humaine. Que restera-t-il de ce principe si l'on autorise demain la création d'embryons transgéniques ou chimériques ? C'est ce que fait le projet de loi à l'article 17-I en modifiant les dispositions de l'alinéa 2 de l'article L 2151-2 du code de la santé publique. Que restera-t-il du respect dû à cette personne humaine potentielle qu'est l'embryon si, demain, l'essentiel des recherches conduites sur l'embryon et ses cellules est sorti du cadre contraignant de l'article L. 2151-5 du code de la santé publique? Ce principe de respect est affirmé à l'article 16 du code civil, mais serait remis en question par les futurs articles L. 2141-3 et L. 2151-7 du code de la santé publique.
J'en viens au principe de primauté de l'intérêt de l'enfant, qui est au coeur des conditions d'accès à l'assistance médicale à la procréation. Les conditions sont aujourd'hui fixées à l'article L. 2151-2 du code de la santé publique. Le texte prévoit que l'assistance médicale à la procréation est réservée à un couple formé d'un homme et d'une femme vivants et en âge de procréer. Ces conditions s'expliquent par le souci du législateur, en 1994, de conférer à l'enfant à naître des techniques d'assistance médicale à la procréation, une filiation crédible. Il doit pouvoir se représenter comme étant effectivement issus des parents que la loi lui désigne. Le législateur s'est conformé à l'obligation qui lui est imposée par la convention internationale des droits de l'enfant : assurer une considération primordiale à l'intérêt supérieur de l'enfant.
Ces conditions sont radicalement modifiées par l'article 1er du projet de loi qui, en ouvrant l'accès à l'assistance médicale à procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules et en supprimant les indications médicales du recours à l'assistance médicale à la procréation, déverrouille l'accès à ces techniques. Ces conditions orientent, comme y invite le rapport Touraine, vers la consécration d'un droit à la procréation sans sexe pour tous.
Cette révolution dans les conditions d'accès n'est nullement la conséquence d'une obligation qui pèserait sur le législateur français. Le Conseil d'État, la Cour européenne des droits de l'homme et le Conseil constitutionnel ont rappelé qu'aucune obligation ne pesait sur le législateur.
Si le législateur entend y procéder, il doit nécessairement tenir compte de cet intérêt supérieur de l'enfant, qui doit être sa considération primordiale. Il doit alors se poser cette question : est-il en mesure de garantir la prise en compte de l'intérêt de l'enfant en le privant de toute possibilité d'avoir une filiation paternelle ? L'enfant ne risque-t-il pas de souffrir de cette privation délibérée de père ? À cette question, les réponses ne peuvent venir que des études entreprises. Or, comme le rappelle le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), celles-ci ne sont pas fiables. Elles sont affectées par de nombreux biais méthodologiques, souvent menées par des militants, et font l'objet de contestations ; la prudence commande de ne pas s'y fier. Par conséquent, le législateur peut adopter trois attitudes différentes. Une attitude de risque : accepter l'article 1er tel qu'il est écrit. Une attitude de refus du risque : rejeter cet article 1er. Une attitude de prudence : modifier les dispositions pour prévoir qu'elles n'entreront en vigueur que lorsque des études méthodologiquement incontestables auront garanti que l'enfant ne risque pas de souffrir en raison de la privation délibérée de père et de toute possibilité d'établissement d'une filiation paternelle.
Si vous deviez accepter cette extension de l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes seules, il vous serait toutefois toujours possible de maintenir les indications médicales pour les couples formés d'un homme et d'une femme qui figurent actuellement dans le code de la santé publique. Cela aurait le mérite d'éviter un déverrouillage complet dans l'accès à l'assistance médicale à la procréation.
Vous pourriez également prévoir, comme cela avait été suggéré par le Conseil de l'ordre des médecins, une clause de conscience au profit des professionnels de santé.
Vous pourriez également maintenir le caractère subsidiaire du recours au don de gamètes que le projet de loi entend supprimer.
Il vous faudrait également élaborer l'établissement du lien de filiation de l'enfant né de cette technique dans un couple de femmes. Tel est l'objet de l'article 4 du projet de loi.
Actuellement, la filiation établie en cas de recours à l'assistance médicale à la procréation l'est conformément aux dispositions du titre VII du livre Ier du code civil. Elle l'est conformément au droit commun en cas de procréation endogène, c'est-à-dire intraconjugale sans recours à un don de gamètes. En cas de don de gamètes, de procréation exogène, les conditions de droit commun s'appliquent pour l'essentiel, à quelques détails près. La filiation doit être obligatoirement établie et sa contestation est essentiellement impossible.
Les dispositions du titre VII du livre Ier, qui sont fondées sur la vraisemblance ou la vérité biologique, ne permettent toutefois pas d'établir le lien de filiation à l'égard de deux personnes de même sexe, de deux femmes. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'État avait suggéré quatre options en écartant d'emblée celles qui consistaient à modifier le titre VII. Il estimait dans son étude de 2018 que les modifications du titre VII seraient en contradiction avec la philosophie des modes d'établissement classiques de la filiation, qui reposent sur la vraisemblance. Il a attiré spécifiquement l'attention sur le fait qu'elles conduiraient à une remise en cause des principes fondateurs du droit de la filiation fixés par ce titre.
C'est la raison pour laquelle il avait préconisé la création d'un titre VII bis dans lequel seraient inscrites les règles conférant un double lien de filiation monosexuée à l'égard de cet enfant.
L'Assemblée nationale a été saisie d'un amendement gouvernemental inscrivant dans ce titre les modifications visant à établir le lien de filiation monosexuée. Si cette solution devait également être celle du Sénat, je me permets d'attirer votre attention sur deux points qui, techniquement, posent problème. Le premier point est l'utilisation du mot « reconnaissance » pour le couple de femmes. La reconnaissance conjointe, telle qu'elle est prévue par le projet de loi, risquerait de créer une confusion avec la reconnaissance prévue à l'article 316 du code civil. Ces deux reconnaissances figureraient en effet dans le même titre, mais avec des sens très différents. La reconnaissance de l'article 316 est un aveu de paternité, mais la reconnaissance conjointe ne peut être qu'un acte de volonté destiné à fonder la filiation. Cette confusion terminologique pourrait fragiliser la véritable reconnaissance. Il conviendrait de remplacer ce mot.
Autre problème, la filiation, telle qu'elle est prévue dans le projet de loi, ne distingue pas la femme qui accouche de l'autre femme. Ce faisant, elle méconnaît l'application de la règle mater semper certa est. Il faudrait impérativement opérer une dissociation entre les deux femmes : l'accouchement ferait la mère pour l'une tandis que la déclaration ferait la maternité de l'autre.
Enfin, le projet de loi envisage de créer un droit à l'accès aux origines personnelles et il s'inscrit dans une démarche tendant à une meilleure prise en compte de l'intérêt de l'enfant. Ce projet aurait dû arriver à son terme dès 2011. Au regard de l'affirmation par la Cour européenne des droits de l'homme d'un véritable droit à la connaissance de la filiation réelle, il me semble qu'il est désormais temps d'y procéder.
En 2011, le législateur avait cédé devant les craintes d'un tarissement des dons de gamètes exprimées par les professionnels du secteur. L'intérêt des professionnels avait donc prévalu sur l'intérêt de l'enfant. Fort heureusement, les enfants, dont l'intérêt supérieur a été méconnu, grandissent et demandent des comptes. C'est une leçon qu'il faut savoir méditer.
M. Hugues Fulchiron, professeur de droit privé à l'Université Jean Moulin Lyon 3. - C'est un honneur d'être appelé à m'exprimer aujourd'hui devant vous dans le cadre de la révision des lois bioéthiques. L'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux femmes et aux femmes seules pose de délicates questions d'ordre éthique. Elle pose aussi des questions d'ordre juridique. Comment construire la filiation entre l'enfant et les deux femmes ayant porté le projet parental ? Comment construire juridiquement cette filiation dans le respect des droits de l'enfant de connaître ses origines ?
Avant d'aborder ces questions, je ferai une remarque préalable. Il ne m'appartient pas en tant qu'expert juridique de prendre parti sur les questions dont les enjeux sociétaux sont bien connus. Les choix à faire vous appartiennent. En tant qu'expert, il me revient seulement d'essayer d'éclairer ces choix et d'en souligner les enjeux d'un triple point de vue : tout d'abord, au regard de la pertinence technique des règles qui traduisent juridiquement les choix qui vous appartiennent ; ensuite, au regard de la cohérence du système dans lequel ces normes s'inscrivent, et, enfin, au regard des droits et libertés de la personne.
Le droit de la filiation procréative - terme plus exact que filiation charnelle - que je distingue de l'adoption, a pour objet de rattacher l'enfant à ceux qui lui ont donné la vie.
Comme tout système juridique régissant la filiation, le droit français tente de trouver un équilibre entre les données naturelles - autrefois le sang et aujourd'hui la biologie -, la volonté des individus, le vécu, les valeurs et les principes qui structurent la société.
Notre système français repose sur trois piliers : l'hétérosexualité de la parenté pour la filiation procréative, l'unicité de la parenté et la recherche de la vérité des filiations. Cette vérité est avant tout conçue comme une vérité biologique, autrefois le sang, même si une large place est faite à d'autres aspects comme le vécu en particulier, la volonté des intéressés, le souci de ne pas troubler l'ordre social, la paix des familles. Lorsque la filiation, à défaut d'être vraie, est vraisemblable, il y a des hypothèses dans lesquelles le droit s'en contentera.
L'ouverture de l'assistance médicale à la procréation aux couples hétérosexuels n'a pas bouleversé le droit de la filiation ainsi conçu, car on avait fait le choix, à l'époque, de transposer les règles conçues pour la filiation charnelle. De même, l'ouverture du mariage aux couples de même sexe n'a pas bouleversé le droit de la filiation procréative puisqu'on a choisi de prendre un autre modèle de filiation pour établir le lien : l'adoption.
En revanche, l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation constitue un bouleversement d'une tout autre ampleur. C'est une rupture avec le modèle traditionnel de l'assistance médicale à la procréation, comme l'a souligné le professeur Binet. C'est aussi une rupture avec le modèle traditionnel de la filiation procréative.
La question est de savoir comment construire la filiation de l'enfant. Trois orientations étaient possibles : passer par l'adoption, étendre aux couples de femmes les règles construites traditionnellement pour la filiation charnelle, construire un nouveau système qui tienne compte des données particulières à cette nouvelle forme d'engendrement par deux femmes qui recourent aux gamètes d'un tiers. C'est donc cette troisième voie qui a été choisie.
Elle pouvait toutefois se subdiviser en deux chemins. Le premier chemin consistait à repenser dans sa globalité le modèle de construction de la filiation lorsque deux personnes recourent aux gamètes d'un tiers, que le couple soit homosexuel ou hétérosexuel. Le second chemin était la construction d'un système spécifique pour les couples de femmes puisque, dans ce cas-là, il n'est évidemment plus possible de rattacher la filiation à un modèle procréatif traditionnel.
Les techniques de mise en oeuvre peuvent être diverses sur ce point, mais c'est le choix de la reconnaissance conjointe qui a été fait par l'Assemblée nationale. Ce point, et je rejoins le professeur Binet, me semble, du point de vue juridique, poser trois problèmes. Dans la version retenue, il est question de reconnaissance anticipée. Le terme « reconnaissance » est déjà utilisé ailleurs dans la filiation procréative. Cela ne peut que créer de la confusion. Ensuite, cette reconnaissance entraîne l'établissement de la filiation pour les deux mères, celle qui a accouché et l'autre femme. Certes, les deux femmes ont porté ensemble le projet parental, mais ce système rompt avec un principe qui gouverne l'ensemble du droit de la filiation, à savoir que la mère est celle qui accouche. Certes, ce principe est aujourd'hui beaucoup moins évident qu'il n'y paraît, car la maternité elle-même est devenue, dans certaines hypothèses, divisible, une femme pouvant porter un embryon conçu avec les gamètes d'une autre femme. Toutefois, si l'on souhaite reconstruire la maternité, il faut, à mon avis, une construction d'ensemble et non pas une reconstruction partielle, comme celle qui est proposée et qui ne peut qu'être source d'incohérences et d'inégalités.
La troisième critique tient au fait que ce système semble nier la réalité de la grossesse et de l'accouchement puisque la filiation repose sur la seule volonté des parents. Dans cette hypothèse, l'équilibre entre réalité biologique, volonté et vécu est rompu au profit de la seule volonté des parents qui expriment le projet parental.
On change complètement le modèle sur lequel était construit le droit de la filiation. Ce modèle, qui est possible, mais pas souhaitable, appelle deux remarques. Il faut penser ce modèle dans sa globalité, en prenant en compte ses conséquences sur l'ensemble du droit de la filiation. La pire chose, de mon point de vue, est de l'introduire dans un cas particulier, sans en mesurer les conséquences, comme une technique permettant d'arbitrer entre les intérêts contradictoires. Par ailleurs, ce système pense la filiation par rapport au choix et aux intérêts des parents, ce qui me semble contraire à une des évolutions des plus importantes du droit contemporain de la famille, à savoir la reconnaissance des droits de l'enfant. Je dis bien : des droits de l'enfant, pas de l'intérêt de l'enfant. C'est à partir des droits et libertés de l'enfant qu'il faudrait reconstruire le droit de la filiation pour l'adapter aux nouvelles formes d'engendrement. Pour dire les choses autrement, il faudrait abandonner une fois pour toutes la perspective archaïque ou post-moderne qui pense la filiation à partir des parents.
Si l'on pense le système à partir de l'enfant, si l'on place le droit de l'enfant, notamment le droit de l'enfant au respect de son identité, au centre du nouveau système de filiation, il conviendrait de distinguer deux hypothèses.
La première hypothèse est celle de l'enfant issu des gamètes de ses parents, par un acte charnel ou par l'assistance médicale à la procréation. Je rappelle que l'acte charnel demeure le mode de conception le plus courant. Il me semble bon de penser la filiation et de construire un droit de la filiation à partir de l'hypothèse la plus générale même si l'on doit penser en même temps aux exceptions.
La seconde hypothèse regrouperait tous les cas dans lesquels l'enfant est né avec les gamètes d'une autre personne que celles du couple ayant porté le projet parental. À cette hypothèse, il faudrait ajouter celle d'une femme seule qui recourt à l'assistance médicale à la procréation. Dans toutes ces hypothèses où l'enfant est conçu avec les gamètes d'un tiers, que le couple soit hétérosexuel ou homosexuel, il faudrait placer au centre de cette seconde reconstruction le droit de l'enfant à connaître ses origines. Nous rejoignons là un autre aspect du projet de loi, à savoir l'inégalité qu'il crée au regard du droit de l'enfant à ses origines. Selon que l'enfant est né dans un couple de femmes ou dans un couple hétérosexuel, son droit ne sera pas le même, mais nous aurons certainement l'occasion d'en discuter.
Mme Marie Mesnil, maîtresse de conférences en droit privé à l'Université de Rennes 1. - Je vous remercie de m'avoir invitée à discuter des enjeux liés à l'extension de l'assistance médicale à la procréation à toutes les femmes et aux questions de filiation qui en découlent.
Je souhaiterais faire deux remarques sur l'article 1er qui étend l'accès à l'AMP à toutes les femmes. Cet article renforce deux mouvements déjà existants en droit et il ne s'agit en aucun cas d'un texte révolutionnaire au sens où M. Binet pourrait l'entendre. Tout d'abord, il s'agit de renforcer l'affirmation du rôle social de la médecine de la reproduction. Dans tous les cas, qu'il s'agisse d'un couple hétérosexuel, d'une femme seule ou d'un couple de femmes, la médecine de la reproduction ne remplit pas exclusivement une mission médicale au sens strict. Ensuite, l'article 1er réaffirme la reconnaissance d'un pluralisme familial. Je pense que le terme de pluralisme familial est plus intéressant pour penser justement ces droits familiaux. Ce pluralisme familial existe déjà en droit puisque, depuis 1966, une personne seule peut avoir recours à l'adoption pour fonder une famille. Depuis la loi du 17 mai 2013, les couples de personnes de même sexe peuvent avoir reconnaissance légale de leur famille.
J'en viens à la question de l'établissement de la filiation pour les couples de femmes et en particulier pour la seconde femme du couple lesbien, celle qui n'accouche pas. Au sens du droit, la filiation est un lien juridique. Il s'agit donc toujours d'une construction sociale et ce n'est jamais la reconnaissance par le droit d'une situation pré-existante de l'existence d'un lien biologique.
Certes, la mère, c'est la femme qui accouche. Pour le père, c'est différent, car il n'accouche pas. L'établissement de la filiation paternelle non contentieuse, c'est-à-dire dans la très grande majorité des cas, se fait donc grâce à la présomption de paternité, si l'homme est le mari de la femme qui accouche, ou par reconnaissance. Ces modes d'établissement de la filiation ne reposent pas sur l'existence d'un fondement biologique au moment de l'établissement non contentieux de la filiation. Cela signifie qu'un homme peut, par le biais de ces mécanismes juridiques, choisir d'être le père d'un enfant dont il sait qu'il n'est pas le géniteur. C'est uniquement dans le cadre d'un contentieux que la preuve génétique viendra départager les hommes qui revendiqueraient la paternité de l'enfant et uniquement si le délai de prescription le permet.
Il faut également souligner qu'il existe aujourd'hui deux grands types de filiation. Le titre VII « De la filiation » n'a pas d'adjectif qualificatif et constitue le droit commun de la filiation. Ce titre a parfois été qualifié de filiation par procréation charnelle, mais cette qualification est inexacte. Il ne s'agit en effet pas toujours de filiation biologique. Cela a conduit d'ailleurs à un glissement sémantique puisqu'aujourd'hui on parle plus volontiers de filiation par vraisemblance biologique.
Le titre VIII est celui de la filiation adoptive. Il consiste à donner une famille à un enfant qui n'en a pas, à laisser la trace de cette histoire dans l'acte de naissance de l'enfant et surtout à permettre un contrôle par le juge, dans l'intérêt de l'enfant. Ces deux types de filiation emportent aujourd'hui les mêmes effets en termes de droits et de devoirs à l'égard des enfants. Un mouvement, qui a commencé dans les années 70 et s'est achevé au début des années 2000, a effectivement mis fin aux différences existant entre les filiations légitimes et naturelles. Pourquoi vouloir de nouveau, comme c'était le cas à l'époque, distinguer les filiations, si ce n'est pour marquer une désapprobation sociale par rapport aux conditions de la naissance de l'enfant ?
J'en viens à présent aux quatre options envisageables.
La première option consisterait à ne pas changer l'état du droit et à continuer de demander à la seconde mère d'adopter l'enfant de sa conjointe. Elle a été jugée bien trop problématique par rapport à l'intérêt de l'enfant, qui est de voir sa filiation établie dans tous les cas.
Les deuxième et troisième options consistent à créer un nouveau mode d'établissement de la filiation spécifique notamment pour les couples lesbiens. C'est l'option actuellement retenue à la suite de l'avis du Conseil d'État. Il aurait aussi pu être envisagé de repenser plus généralement le système de filiation pour tous les enfants conçus par don de gamètes. Dans ce cas-là, les couples hétérosexuels, les couples lesbiens, voire les femmes seules ayant recours au don de sperme, auraient été concernés.
Ces deux options soulèvent des questions au regard de ce qu'est actuellement le droit de la filiation. Tout d'abord, on crée une confusion problématique entre la filiation d'un côté et le mode de conception de l'enfant de l'autre. En effet, le mode d'établissement de la filiation, en apparaissant sur l'acte de naissance de l'enfant, aurait signifié le recours à un don de gamètes. On aurait donc une confusion à l'état civil entre la filiation - le lien de droit qui existe entre un enfant et ses parents - et les origines génétiques de l'enfant. Par ailleurs, pour les couples hétérosexuels, cette information constitue une atteinte au secret médical puisque le recours au don de gamètes traduit pour ces couples l'existence d'une stérilité. Ce nouveau mode d'établissement de la filiation constitue une stigmatisation relative aux conditions de la naissance, qu'elle soit liée à un recours de gamètes ou à l'orientation sexuelle de leurs parents.
La solution actuellement retenue, celle d'une reconnaissance conjointe prénatale pose des problèmes techniques. La difficulté ne repose pas sur l'emploi du terme « reconnaissance ». Je ne partage pas l'avis de mes collègues sur ce point. À mon sens, cette reconnaissance n'est pas un aveu de paternité ou de maternité, c'est-à-dire de l'existence d'un lien biologique, mais un engagement à assumer un rôle parental auprès de l'enfant.
La réelle difficulté technique a déjà été soulevée par M. Fulchiron : il s'agit de l'indivisibilité des filiations maternelles. La reconnaissance conjointe sécurise la filiation puisqu'elle est établie dès la naissance de l'enfant, de la même manière pour les deux femmes, mais l'une ne peut être établie sans l'autre. L'accouchement n'est alors plus le fondement de la filiation maternelle pour la femme qui accouche de l'enfant. Cela me semble particulièrement problématique. Certes, nous devons penser l'établissement de la filiation à l'égard de la seconde femme, celle qui n'accouche pas de l'enfant, mais pourquoi nier l'accouchement de la mère alors que c'est un élément de l'histoire narrative de l'enfant ?
Cela veut-il dire que l'accouchement comme fondement de la maternité serait remis en cause, y compris au stade de contentieux, pour les couples lesbiens ayant eu recours à un don de sperme ?
Par ailleurs, l'autre difficulté technique importante qui découle de l'indivisibilité des filiations est que la seconde mère est obligée pour pouvoir établir sa filiation de communiquer à l'officier d'état civil la reconnaissance conjointe prénatale qui établira également la filiation à l'égard de la femme qui accouche, quand bien même celle-ci aurait demandé le secret, c'est-à-dire aurait souhaité accoucher sous X. Cette situation soulève une vraie question quant au recul des droits des femmes à pouvoir recourir à l'accouchement sous X - protecteur à la fois de la santé des femmes et des enfants.
Une question se pose également concernant l'accès au juge. La filiation de la femme qui accouche est établie automatiquement sur présentation du document, et non à l'issue d'une procédure devant le juge qui offre de nombreuses garanties importantes, notamment au regard de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Au vu de ces difficultés techniques, il me semble qu'il serait plus simple de garder le système actuel mis en place en 1994 pour les couples hétérosexuels ayant recours à un don de sperme, qui a d'ailleurs fait ses preuves, comme nous pouvons le constater au regard du très faible nombre, voire de l'absence de contentieux.
Cela nous conduit à la quatrième option, l'extension du dispositif actuel dont bénéficient les couples hétérosexuels. Celui-ci consiste à recueillir, préalablement à la mise en oeuvre de l'AMP avec don de gamètes, le consentement du couple devant notaire. Auparavant, les couples concernés avaient le choix entre le notaire et le juge, ce qui offrait la possibilité d'un accès gratuit au recueil du consentement.
Ce consentement exerce une fonction importante d'information des parents quant aux conséquences du recours au don de gamètes en matière de filiation. Ces conséquences sont de deux natures : d'une part, la possibilité d'établir la filiation à l'égard de l'homme uniquement sur la base de son consentement au don - quand bien même il ne serait pas le géniteur, il serait le père - et, réciproquement, l'impossibilité d'établir la filiation à l'égard du géniteur, c'est-à-dire du donneur de sperme.
Ce dispositif pourrait être étendu aux couples de femmes qui pourraient, de la même manière, consentir devant notaire, voire devant le juge, au recours au don de gamètes, et qui, sur présentation de ce consentement à l'officier d'état civil, pourraient établir la filiation de la seconde femme par reconnaissance.
Il est important que le consentement puisse être présenté à l'officier d'état civil. En effet, il ne s'agit pas de permettre à tous les couples de femmes d'établir leur filiation à l'égard d'un enfant, mais bien de rendre possible, uniquement dans le cas d'un recours au don de sperme, un double établissement de la filiation maternelle dès la naissance : pour la femme qui accouche, par la mention de son nom dans l'acte de naissance, et pour l'autre femme par reconnaissance - y compris devant l'officier d'état civil qui pourrait annexer le consentement au don à l'acte de naissance pour en prouver la légalité.
Cette solution permet de préserver l'intérêt de l'enfant, sa filiation étant établie dès la naissance à l'égard des deux femmes. De plus, elle assure une certaine souplesse du droit, la filiation étant divisible entre les deux mères et elle rend possible le recours aux mécanismes de droit commun mis en oeuvre sans difficulté depuis 1994 et qui ne créent aucun effet de stigmatisation à l'égard des enfants qui ne sont pas responsables de l'orientation sexuelle de leurs parents.
Par ailleurs, d'un point de vue légistique il s'agit de la solution la plus simple, qui demande le moins de modifications, la plus rapide et la plus efficace. Or la rapidité et l'efficacité sont les deux critères mis en avant par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dans son avis du 10 avril 2019 concernant la filiation.
Mme Élisabeth Doineau, présidente. - Je vous remercie.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Si le droit de la filiation est basé en partie sur la volonté - nous avons beaucoup parlé de reconnaissance -, celle-ci est néanmoins bridée par la vraisemblance, voire la vérité. Or, dans le projet qui nous est présenté, une filiation semble uniquement basée sur la volonté, à savoir la filiation de la mère qui n'accouche pas. Aucune vraisemblance ne s'exerce sur ce point, deux femmes ne pouvant pas avoir un enfant. Cette femme est donc mère par un pur acte de volonté, et nous ne pouvons pas prétendre que ce couple a pu avoir cet enfant.
Comment pourrions-nous empêcher des évolutions ultérieures, à l'image des demandes de projet parental à trois - avec une mère qui accouche, et deux autres personnes reconnaissant l'enfant par un pur acte de volonté - exprimées dans certains pays ?
M. Jean-René Binet. - La filiation du titre VII est effectivement fondée sur la vérité ou la vraisemblance. La présomption de paternité, comme la reconnaissance, est soutenue par la vraisemblance : il est vraisemblable que le mari de la mère soit le père de l'enfant, et il est vraisemblable que l'homme qui reconnaît un enfant en soit le père.
Si l'on brise le paradigme actuel du titre VII fondé sur la vraisemblance, nous ne voyons pas quelles limites conceptuelles pourraient s'opposer à des hypothèses de pluriparentalité. Lors des débats à l'Assemblée nationale, certains députés ont d'ailleurs suggéré d'aller plus loin dans cette logique en permettant l'établissement d'un lien de filiation pour plus de deux personnes. Si la volonté sert de fondement, rien ne l'empêcherait. Comment nous assurer que nous n'irons jamais vers cela ? Je l'ignore. C'est tout le risque d'un changement paradigmatique, qui nous fait basculer par définition dans un monde inconnu.
Mme Marie Mesnil. - Le changement de paradigme ne me semble qu'apparent, en l'espèce, puisque nous gardons les mêmes conditions de réalisation de l'AMP, que ce soit pour un couple de femmes ou un couple hétérosexuel.
La possibilité pour la femme qui ne porte pas l'enfant de fournir ses ovocytes à l'autre dans l'hypothèse où celle-ci n'en aurait pas d'assez bonne qualité a été écartée tant par le Gouvernement que lors des débats parlementaires. C'est ce que l'on appelle la technique de réception des ovocytes de la partenaire (ROPA). Or cette possibilité fournirait un fondement biologique y compris à l'égard de la seconde mère. Mais ce système n'emporte pas l'adhésion des députés. Je ne sais pas ce qu'il en sera pour vous.
La filiation repose effectivement, pour la seconde femme, uniquement sur la volonté, aussi parce qu'on la prive de la possibilité d'utiliser les gamètes présents au sein du couple, même lorsque ce serait médicalement possible, et alors que cela procurerait un fondement biologique à cette filiation.
Quant aux limites, ce sont vous qui les fixez. Elles sont fixées par la loi. Or, actuellement, le texte ne prévoit aucunement la possibilité de recourir à l'AMP et d'établir un lien de filiation au-delà de deux personnes.
M. Hugues Fulchiron. - Le droit de la filiation se construit à partir de la biologie, de la volonté, du vécu et du cadre retenu pour structurer la société. La place essentielle accordée à la volonté dans le projet de loi, sur la base de l'idée de projet parental qui ferait la filiation de l'enfant, m'inquiète.
Nous pouvons effectivement imaginer d'autres hypothèses, par exemple que notre droit s'ouvre à des possibilités de pluriparenté, sur lesquelles je ne me prononcerai pas. Cela existe déjà dans certains pays, notamment pour le cas où un couple de femmes a recours aux gamètes d'un ami pour réaliser son projet parental. Se pose alors la question de la place de cet homme qui souhaiterait établir sa filiation. Ce genre d'hypothèse est donc envisageable. Certains systèmes juridiques la reconnaissent. Et si l'on reconstruit le droit uniquement sur la volonté, il est en effet facile de l'englober techniquement.
Mme Corinne Imbert, rapporteure. - Que pensez-vous de l'AMP post mortem, c'est-à-dire du fait d'autoriser une femme dont le couple poursuivait un projet parental par voie d'AMP et dont le mari est décédé avant l'implantation de l'embryon à mener à bien ce projet, sachant que cette AMP se ferait dans des conditions particulièrement douloureuses pour la femme concernée ?
M. Hugues Fulchiron. - C'est peut-être un regret que j'éprouve devant ce projet de loi : qu'ait été écartée l'AMP post mortem dans des conditions strictement définies. Les affaires que nous avons pu connaître par le passé, notamment celles qui ont été jugées par le Conseil d'État, mais aussi d'autres affaires plus anciennes, montrent que, dans certaines circonstances, alors que le processus médical du projet parental a déjà commencé, il est d'une cruauté particulière de ne pas permettre à la femme de le poursuivre, notamment lorsque des embryons ont été conçus.
Je serais assez favorable à l'idée d'étudier les systèmes existants à l'étranger qui autorisent, dans un cadre très strict et dans des délais limités, l'accomplissement de ce projet dès lors que l'on est certain qu'il était parfaitement voulu, mûri, construit et que seul le décès de l'homme l'a interrompu alors qu'il était en cours de réalisation.
Mme Marie Mesnil. - Je partage en très grande partie ces propos. La question de l'AMP post mortem se pose avec d'autant plus de force que le projet de loi prévoit l'ouverture de l'AMP aux femmes seules. Ces femmes pourraient donc recommencer un projet parental seules, ce qui impliquerait de reprendre la chose du début. Mais elles ne pourraient pas utiliser les ressources biologiques déjà disponibles, notamment le sperme de leur conjoint décédé. Cela soulève la question du consentement de celui-ci à son utilisation post mortem, mais nous pourrions envisager un système où soit ce consentement est prévu explicitement soit l'homme en question est informé explicitement qu'en cas de décès son sperme pourrait être utilisé par sa compagne.
De plus, la qualité et la quantité des ovocytes diminuent fortement avec le temps. La possibilité d'utiliser ces ovocytes se trouverait donc dans ce cas reportée dans le temps, à raison de plusieurs mois, voire de plusieurs années, selon la capacité des centres d'études et de conservation des oeufs et du sperme (CECOS) à prendre en charge cette femme. Le seul matériel génétique disponible restant pourrait être ses embryons auxquels on lui empêcherait d'accéder.
Par ailleurs, cette femme pourrait consentir à ce que ces embryons soient accueillis par un autre couple. L'enfant devenu majeur pourrait alors la retrouver dans le cadre de la levée de l'anonymat, et se présenter chez elle avec le matériel génétique de son conjoint décédé. Elle pourrait même le souhaiter pour pouvoir rencontrer l'enfant qu'elle aurait pu avoir.
M. Jean-René Binet. - Je me permettrai d'émettre sur ce point une voix discordante. Si l'on envisage les choses sous l'angle de la compassion que l'on doit à la femme durement éprouvée par le décès de son mari ou de son compagnon, nous ne pourrions qu'être enclins à lui apporter ce secours. Mais il faut avoir conscience de plusieurs réalités.
Tout d'abord, il existerait un risque de confusion de sentiments. Le deuil est une épreuve. Ajouter au deuil la possibilité ou non du transfert des embryons est une question qui peut difficilement s'appréhender dans un tel moment. Cela supposerait nécessairement de retarder dans le temps l'implantation des embryons. Cette démarche réglerait une question et en susciterait une autre. L'enfant viendrait au monde plusieurs mois, voire une année ou deux après le décès de son père. Et il arrivera un moment où cet enfant prendra conscience du fait qu'il est né bien trop longtemps après le décès de son père pour que les choses aient été tout à fait ordinaires. Comment un enfant pourra-t-il se construire en s'imaginant avoir été procréé par un mort ? En effet, au moment où il a commencé sa vie utérine, son père était mort depuis déjà six mois au moins. C'est une question terriblement compliquée.
Lors de la précédente révision de la loi bioéthique, l'idée de l'AMP post mortem avait été avancée dans le projet de loi. Or les citoyens réunis en états généraux de la bioéthique avaient estimé qu'il n'existait pas de bonne solution en la matière. S'appuyer sur le fait que des enfants naissent orphelins pour favoriser la naissance d'enfants orphelins ne paraissait pas un bon argument méritant d'être suivi par le législateur.
Je crois que nous faisons face à une question éthique très compliquée, qui résulte de l'existence d'embryons congelés. Peut-être pourrions-nous nous interroger sur la pertinence de la poursuite de cette congélation, sachant que l'évolution des techniques permettrait de s'en passer.
C'est l'interdiction de cette technique en Italie qui a rendu possible la réussite de la cryoconservation des ovocytes. Aujourd'hui, avec la vitrification ovocytaire, est-il vraiment pertinent de continuer à congeler des embryons, d'autant que les recommandations actuelles tendent vers le transfert d'un ou de deux embryons seulement ? En avoir en stock ne semble donc pas indispensable. Et en l'absence de stock la question du transfert d'embryons post mortem ne se posera plus.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - La question délicate de l'implantation post mortem de l'embryon n'entre-t-elle pas en contradiction avec le droit pour un enfant à être élevé par ses deux parents ?
M. Hugues Fulchiron. - Je ne pense pas que l'on puisse invoquer un tel droit, qui n'existe que si les deux parents sont vivants. C'est en tout cas dans cette perspective que la CEDH l'a posé dans sa jurisprudence. Je ne crois donc pas que l'on puisse en inférer une interdiction de donner la vie, dans cette hypothèse particulière, à un enfant dont l'un des parents serait décédé.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Pourriez-vous développer le point que vous avez évoqué plus haut concernant l'inégalité de droit qui se présenterait entre les enfants nés d'une AMP réalisée au sein d'un couple de femmes et les enfants nés d'une AMP au sein d'un couple hétérosexuel ?
M. Hugues Fulchiron. - Dans le système actuel, une inégalité se présenterait. En effet, l'enfant né d'une AMP au sein d'un couple de femmes aurait la possibilité d'accéder à la connaissance de ses origines, alors que, dans un couple hétérosexuel, le secret serait maintenu. Tout dépendrait donc de ce que les parents lui diraient, car ils resteraient maîtres du secret. Ce n'est qu'une fois ce secret levé sur les circonstances de sa conception que l'enfant pourrait bénéficier du système mis en place par la loi lui donnant accès à ses origines.
Si je comprends très bien cette inégalité sur le plan humain, elle me paraît difficile à justifier sur le plan juridique. Les parents ont-ils un droit au secret, que l'on opposerait au droit de l'enfant à connaître ses origines ? Je ne le crois pas. Et si nous faisons la balance entre les droits et intérêts en présence, il me semble que le droit de l'enfant doit l'emporter.
Cela est très difficile à entendre pour certains couples hétérosexuels ayant eu recours à l'AMP et qui souhaitent conserver la maîtrise du moment de la révélation du secret, s'ils le révèlent. Mais personne ne la leur enlèverait. En revanche, il me semble qu'il serait préférable, au regard de l'égalité entre les enfants, que, dans toute hypothèse, l'enfant ait un égal accès à la connaissance de ses origines.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. - Une modification du titre VII serait-elle alors nécessaire ?
M. Hugues Fulchiron. - Dans ma perspective, cette disposition s'inscrit dans une refonte des règles relatives à la filiation des enfants nés, de façon générale, par AMP - dans les couples hétérosexuels comme dans les couples homosexuels.
Mme Marie Mesnil. - Il faut avoir en tête que la solution proposée aujourd'hui est une solution amoindrie, qui concerne uniquement les couples de femmes. Mais le rapport intitulé Filiation, origines, parentalité - Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, du groupe de travail « Filiation, origines, parentalité » présenté par Irène Théry et Anne-Marie Leroyer en 2014, et précédemment le rapport intitulé Accès à la parenté : assistance médicale à la procréation et adoption publié par Terra Nova en 2010, proposaient initialement une refonte de la filiation sur le modèle de l'adoption pour tous les enfants conçus par don de gamètes. L'idée était de faire en sorte que leur filiation traduise le recours à ce don, pour remettre en cause le secret.
Or nous nous trouvons face à un mode d'établissement de la filiation qui a été pensé pour révéler le recours au don de sperme ou d'ovocytes, mais qui n'est appliqué qu'aux couples de femmes - seuls à même de ne pas pouvoir cacher le recours au don de gamètes. Leurs enfants pourront donc plus facilement s'ils le souhaitent solliciter la commission ad hoc pour obtenir des informations sur le donneur.
Toutefois, l'accès à la connaissance des origines est ouvert dans le projet de loi à toute personne ayant été conçue par don de gamètes, ce qui suppose de savoir préalablement que l'on a été conçu ainsi.
Peut-être faudrait-il éclaircir ce point dans le texte de loi, pour que toute personne qui le souhaite ait la possibilité de solliciter la commission afin de savoir si elle a été conçue par don de gamètes avant même de demander des informations sur l'identité d'un éventuel donneur. Cette commission pourrait alors être utilisée comme voie d'accès à un registre.
En revanche, la solution consistant à étendre le mode d'établissement de la filiation à tous les enfants conçus par don de gamètes, qui révélerait leurs conditions de conception, soulève la question importante du respect du secret médical. Ce n'est pas la place du recours au don de gamètes de figurer à l'état civil. Ce n'est pas le rôle de la filiation que de traduire l'existence ou non d'un don de gamètes. Il s'agit d'une confusion contre laquelle il faut se battre.
Certes, une inégalité se présente, mais elle résulte simplement d'une différence de situations. Les enfants ne sont pas placés dans la même situation dans l'un et l'autre cas.
M. Jean-René Binet. - Dès l'origine, l'anonymat du don de gamètes pose problème. Si la solution de l'anonymat a été retenue dès l'origine de l'AMP, c'est en raison d'une fausse analogie avec le don de sang. Le don de sang étant anonyme, il a été considéré que le don de gamètes devait l'être également. Pourtant, les conséquences ne sont pas les mêmes. La naissance d'un enfant, qui pourra un jour vouloir savoir d'où il vient, mérite amplement des solutions différentes.
Il ne faudrait donc pas que le don de gamètes soit anonyme, ou qu'il le soit le moins possible. Il faudrait favoriser la levée de cet anonymat, de la manière la plus générale et la plus simple qui soit.
M. Olivier Henno, rapporteur. - Merci pour la qualité de vos exposés. C'est la matière et la richesse du droit que d'avoir des interprétations différentes.
J'ai bien aimé la formule employée par le professeur Nisand le 27 novembre : nous pouvons faire beaucoup de choses pour faire naître un enfant, à condition qu'on lui fasse connaître tout ce qu'on a fait pour qu'il puisse naître.
Les pays européens voisins où l'AMP existe déjà ont-ils fait évoluer leur droit de la filiation, ou ce droit reposait-il sur d'autres principes que le nôtre et appelait donc des évolutions moins nombreuses et moins importantes ?
M. Hugues Fulchiron. - Les solutions sont très différentes selon les pays. Une grande diversité de choix a été effectuée, généralement entre trois options. La première est celle de l'adoption. Nous restons là dans un cadre très classique. La deuxième a trait à l'extension des règles de filiation par procréation aux hypothèses de procréation avec AMP. Et de nouveaux systèmes ont pu aussi être imaginés.
De nombreuses solutions existent donc, mais une grande prudence est de mise en matière de droit comparé. En effet, il faut prendre en compte l'ensemble du système de filiation dans lequel s'inscrivent ces solutions. Le droit comparé est très éclairant, mais il convient de le mettre en regard des principes du système français de la filiation. À titre d'exemple, l'attachement que nous avons pour la filiation procréative à ce que nous appelons la possession d'état - le vécu - est invraisemblable dans d'autres systèmes juridiques.
Si le droit comparé est utile, il faut toujours le resituer dans notre système français, a fortiori dans ces matières où s'expriment des particularismes très forts au-delà de la lettre de la loi.
Mme Marie Mesnil. - Pour donner quelques exemples, la Belgique et l'Autriche ont étendu sans difficulté le système de droit commun qui s'appliquait aux couples hétérosexuels aux couples de femmes. Il en va de même, outre-Atlantique, pour le Québec. D'autres États mentionnent le recours aux dons, notamment l'Irlande ou encore l'État de Victoria en Australie.
Le droit comparé peut certes fournir des éléments supplémentaires, mais il en apporte moins que l'expérience que nous pouvons avoir de systèmes ayant fait leur preuve en France.
Mme Laurence Rossignol. - Je considère, pour ma part, qu'il n'existe pas de totale similarité possible entre des enfants nés d'un couple hétérosexuel et des enfants nés d'un couple homosexuel, pour une raison de vraisemblance. Ce n'est peut-être pas là qu'il convient de chercher la résorption de ce qui est moins une inégalité qu'une différence. On ne peut pas toujours confondre différence et inégalité.
Le système prévu dans le projet de loi crée-t-il, comme je le crois, une différence entre les enfants nés par AMP dans un couple lesbien et ceux nés par ce que les Québécois appellent « l'assistance amicale à la procréation » (AAP) ? N'est-ce pas là la différence qu'il conviendrait de résorber ?
Par ailleurs, je suis très sensible aux propos de Mme Mesnil sur le risque de l'effacement de la filiation maternelle par accouchement dans une confusion des deux filiations maternelles. Cela me semble très important.
Dès lors que la filiation maternelle est une filiation par accouchement et la filiation paternelle une construction sociale par présomption de paternité, serait-il possible de dupliquer la construction employée dans le cadre de la distinction entre filiation issue du mariage et filiation hors mariage pour l'appliquer aux couples lesbiens ? Nous mettrions alors en place une présomption de co-maternité pour l'épouse de la mère et un acte de reconnaissance pour la compagne de la mère lorsqu'il s'agit d'une filiation hors mariage.
Si la question de savoir s'il existe un droit au secret pour les parents semble pertinente, une question parallèle se pose : existe-t-il un droit, pour l'État, d'interdire le secret ? Comment qualifierions-nous un État qui interdirait le secret des parents ? La première question relève du droit de la famille, la seconde du droit politique.
Enfin, ne pensez-vous pas que la question de la multiparentalité - au-delà de deux personnes -, que l'on aborde toujours du point de vue de l'homoparentalité, ne devrait pas plutôt nous guider dans une réforme de l'adoption ?
M. Jean-René Binet. - Le projet de loi n'offre pas de place particulière à la question de l'assistance amicale à la procréation. Car cette question est hors du droit. Soit les conditions posées par la loi sont remplies et les conséquences peuvent en être tirées, soit les individus se placent hors du droit et ne peuvent alors espérer tirer les conséquences prévues pour d'autres situations.
Le projet pourrait envisager néanmoins cette question, mais cela impliquerait la mise en place d'une sorte de système optionnel. En ce cas, soit les couples auraient recours au don de gamètes dans un centre, soit ils trouveraient dans leur cercle amical une personne susceptible de les aider.
Le risque serait alors de voir jouer l'article 323 du code civil, qui interdit toute renonciation aux actions en filiation par anticipation. Rien n'empêcherait celui qui a donné amicalement ses gamètes de revendiquer sa paternité sur l'enfant. Pour l'instant, ces questions sont telles qu'elles existent, c'est-à-dire hors du droit.
Serait-il possible d'étendre aux couples de femmes la présomption de paternité prévue à l'article 312 et la reconnaissance de paternité prévue à l'article 316 ? Non, car en l'état toutes deux sont fondées sur la vérité - une vérité qui n'a pas besoin d'être démontrée, mais qui servira d'arbitre en cas de contentieux. En cas de contentieux - reconnaissance mensongère, contestation de la filiation à l'égard du mari de la mère, etc. -, c'est la preuve biologique qui servira à arbitrer. Nous ne pouvons donc pas étendre simplement ces deux règles aux situations dont nous parlons. Car cela impliquerait de revoir toutes les actions relatives à la filiation. C'est la cohérence du titre VII qui est ici en jeu.
S'agissant du droit au secret des parents ou du droit de l'État à interdire le secret, j'avoue ne pas avoir de réponse pertinente à donner.
Par ailleurs, penser la multiparenté dans le cadre de l'adoption reviendrait à poser la même question que le fait de la penser dans le cadre de la filiation du titre VII. Nous sommes toujours dans le paradigme d'un double lien de filiation. Et penser la multiparenté conduirait à sortir de ce cadre. Je crois donc qu'il faut penser les choses globalement, et ne pas imaginer que le fait de penser cette question dans le cadre de l'adoption pourrait tout régler - sauf à l'envisager au sens de l'adoption simple, où l'on maintient les liens de l'enfant à l'égard de sa famille d'origine tout en lui offrant des liens à l'égard de sa famille adoptive.
Mme Marie Mesnil. - La question de l'assistance amicale à la procréation se trouve plutôt à mon sens en dehors du cadre médical. Le projet de loi pourrait tout à fait appréhender cette hypothèse.
La difficulté est qu'en pareil cas l'ami qui fournirait son sperme pourrait établir sa filiation et faire obstacle à l'établissement de la filiation de la seconde femme. En effet, s'il est démontré que l'enfant n'est pas issu du tiers donneur il serait possible pour le géniteur de remettre en cause la filiation à l'égard de la seconde mère et d'établir sa propre filiation.
Dans l'hypothèse où un couple de femmes irait devant notaire faire une reconnaissance prénatale conjointe, et finalement préférerait avoir recours à un ami plutôt que se rendre dans un centre de PMA, ces femmes pourraient tout à fait établir leur filiation par le biais de la reconnaissance prénatale conjointe - puisque l'on ne vérifierait pas que l'enfant est bien issu du don. Mais si l'homme se manifeste, en tant que géniteur il aurait le droit d'établir sa paternité, ce qui remettrait en cause la filiation des deux femmes - si la filiation est indivisible au stade de son établissement. La femme qui accouche devrait donc établir sa filiation à la suite de cette remise en cause, à titre contentieux, sur le fondement de l'accouchement.
La difficulté est que le nouveau système ne pense pas toutes les situations potentiellement problématiques, notamment les conflits possibles entre les femmes. Nous ne pouvons pas idéaliser la conjugalité lesbienne. Les cas de recours à l'adoption de l'enfant d'une conjointe le montrent bien : il existe des situations de rupture dans lesquelles la filiation n'est pas établie. Et toutes ces situations conflictuelles soulèveraient des difficultés au regard du mécanisme d'indivisibilité des filiations maternelles.
S'agissant de la question de l'extension du droit commun, il ne s'agit pas d'ouvrir tout le titre VII aux couples lesbiens, ni de permettre à toutes les femmes d'établir un lien de filiation par présomption de co-maternité ou par reconnaissance, mais d'étendre le droit commun uniquement à celles qui peuvent justifier d'un recours à un don de gamètes en présentant l'acte notarié.
Il n'est donc pas question de remettre intégralement en cause le système du titre VII qui serait fondé sur la vraisemblance biologique, mais uniquement d'étendre le dispositif existant déjà pour les couples hétérosexuels ayant recours à un don de sperme, pour lesquels nous savons qu'il n'existe pas de vérité biologique. Dans ce cas, le fondement de la filiation paternelle est le consentement au don. Le même fondement s'appliquerait pour la seconde femme au sein d'un couple lesbien.
Par ailleurs, la question du secret est importante pour les couples hétérosexuels ayant eu recours à un don de gamètes. Une proposition faite devant l'Assemblée nationale visait à permettre aux parents qui le souhaitaient de refuser que les centres de PMA procèdent à l'appariement. Dès lors, les centres ne choisissaient pas le donneur de sperme ou la donneuse d'ovocytes en fonction du phénotype du parent stérile, donnant ainsi aux parents la possibilité d'échapper au mimétisme biologique visant à créer un enfant le plus ressemblant possible pour maintenir le secret. L'idée était de laisser aux parents non le choix du donneur, mais le choix de l'aléa - soit le choix le plus proche de la biologie.
S'agissant de la multiparenté, il est déjà possible d'avoir trois parents, dans le cadre de la procédure d'adoption de l'enfant du conjoint. En revanche, en cas de recomposition familiale, si chacun des parents a refait sa vie, un seul des deux parents peut établir un lien de filiation. Des évolutions pourraient s'avérer nécessaires sur ce point.
M. Hugues Fulchiron. - Il ne faut effectivement pas confondre différence et inégalité. Toute différence de traitement n'est pas forcément discriminatoire.
Cependant, au regard des problèmes en cause, il me semble qu'il existe vraiment une inégalité. L'existence de modes différents d'établissement de la filiation pour un enfant né dans un couple de femmes ou pour un enfant né de façon générale au moyen d'une AMP relève en effet de la différence puisqu'il s'agit de situations différentes.
Mais il en va tout autrement si l'on se place sous l'angle du droit de l'enfant à la connaissance de ses origines en cas de recours à un tiers donneur. Sous cet angle, je ne vois pas en quoi les situations d'enfants nés dans un couple de femmes et d'enfants nés dans un couple hétérosexuel sont différentes. Une différence s'applique en revanche entre la conception effectuée grâce à l'assistance d'un tiers donneur et la conception issue de l'acte procréatif d'un père et d'une mère.
S'agissant de la procréation amicalement assistée, le recours à l'AMP est strictement encadré en France pour de bonnes raisons. Est-il nécessaire de faire entrer indirectement dans la loi des hypothèses se situant en dehors du cadre légal ? Cela me paraîtrait un peu étonnant.
Mme Laurence Rossignol. - Un enfant né par procréation amicalement assistée aura-t-il le même statut et bénéficiera-t-il du même établissement de filiation à l'issue de la loi bioéthique qu'un enfant né d'une AMP ? La filiation à l'égard de la mère « non-accouchante » sera-t-elle établie de la même façon ? Et pouvons-nous nous accommoder de l'idée selon laquelle la technique médicale change le mode d'établissement de la filiation ?
M. Hugues Fulchiron. - La technique médicale ne changerait pas le mode d'établissement de la filiation. Mais nous pouvons imaginer deux femmes ayant eu recours à l'assistance amicale à la procréation et faisant une déclaration devant notaire en prétendant avoir eu recours à l'AMP dans le cadre légal.
En ce cas, la filiation serait toutefois fragilisée, car elle n'entrerait pas dans le cadre légal. Et il s'agit tout de même, de la part de ces femmes, d'une façon de contourner la loi. En effet, elles utiliseraient le procédé mis en place dans le cadre de l'AMP tel que prévu par la loi pour créer de la filiation dans une hypothèse située en dehors du cadre légal. Sans porter aucun jugement de valeur, je trouve que le fait de faire produire ainsi des effets à une déclaration prévue dans un système particulier pour des hypothèses s'étant délibérément placées en dehors de ce système pose problème.
Mme Marie Mesnil. - Faisons le parallèle avec ce que l'on permet aux hommes qui ont recours à l'assistance médicale à la procréation, dans le cas d'un couple hétérosexuel : le consentement devant notaire peut servir à établir de force la filiation de l'homme. Mais si les deux parents, l'homme et la mère, sont d'accord pour qu'il n'établisse pas sa filiation parce qu'ils sont séparés, il n'y a aucune difficulté. Le droit permet donc, en matière de filiation, un peu de souplesse lorsque toutes les parties sont d'accord. Dans l'hypothèse d'une assistance médicale à la procréation concernant deux femmes, le consentement devant notaire pourrait permettre d'établir la filiation, notamment à l'égard de la seconde femme, car c'est là qu'est l'enjeu. Mais pour sécuriser leur filiation, elles devront avoir recours à la procédure de l'adoption de l'enfant de la conjointe : la filiation sera alors inattaquable.
M. Hugues Fulchiron. - Il faut différencier les cas où la loi permet quelque chose et ceux où les personnes se placent dans les interstices de la loi. Ce que vous évoquiez, c'est plus une utilisation des interstices de la loi.
Je considère qu'il est tout à fait néfaste, pour la cohérence et la sécurité juridique de notre système ainsi que la compréhension des problèmes, d'étendre des règles qui ont été pensées, conçues et appliquées pour la filiation charnelle à d'autres types de filiations radicalement différents. Toutes ces règles reposent en effet sur une forme de vraisemblance. Les étendre à des hypothèses dans lesquelles il n'y a aucune vraisemblance serait inutile et dangereux. Il me semblerait beaucoup plus simple et cohérent de construire un système adapté à ces nouvelles configurations de filiation.
Sur la question du droit des parents au secret, je ne vois pas sur quoi fonder ce droit : la convention européenne des droits de l'homme ? La charte des droits fondamentaux ? Les pactes de l'ONU ? Socialement et humainement, les parents ont peut-être cette liberté. Mais juridiquement, ce droit n'existe pas. En revanche, il existe un droit de l'enfant à connaître ses origines. Quant au droit de l'État à imposer le secret, il n'a aucun fondement juridique. L'enfant reste libre d'accéder à ses origines ou non, donc l'État n'impose pas la révélation du secret, il la permet seulement.
La multiparenté existe en adoption, dans le cas par exemple d'une recomposition familiale au sein d'un couple, homosexuel ou hétérosexuel, avec plusieurs personnes qui assument la charge de parents. Le cas est différent lorsqu'il s'agit de la naissance d'un enfant dont la filiation serait plurielle. L'engendrement à plusieurs, à statuts différents, d'un enfant, ce n'est plus la même logique que dans le cas de l'adoption.
M. Dominique de Legge. - Je remercie nos intervenants. Je dois reconnaître que, lorsque l'on constate que le champ des possibles ne recouvre pas le champ de la vraisemblance, nous sommes pris de tournis.
Je voudrais revenir sur la question de la filiation fondée sur la volonté. La volonté peut évoluer. Un projet parental, est-ce élever ensemble un enfant ou reconnaître l'un des parents comme deuxième parent ? Dans la société traditionnelle, même si le projet parental évolue vers une séparation, les parents restent parents. Comment conjuguer la question de la volonté, autour de l'adhésion à un projet parental susceptible d'évoluer, et celle de la filiation, qui doit être permanente ? Ne serait-on pas en train d'inventer l'idée d'une volonté irréversible ?
M. Jean-René Binet. - La volonté peut sembler plus fragile que les liens du sang consacrés par la loi dans le cadre de la filiation du titre VII. Mais on pourrait imaginer que cette volonté devienne définitive et qu'il ne soit plus jamais possible d'y revenir. Si l'on reconstruisait le titre VII autour de l'idée que c'est d'abord la volonté qui fait la filiation avant toute autre considération, il faudrait envisager des conséquences en cascade. Par exemple, aujourd'hui, si une femme tombe enceinte à la suite d'une relation épisodique ou furtive avec un homme, et que cet homme ne souhaite pas faire établir sa paternité à l'égard de l'enfant, la femme peut parfaitement agir au nom de l'enfant aux fins d'établir la filiation paternelle : l'homme ne pourra pas s'abriter derrière le fait qu'il n'a jamais voulu être père de l'enfant. C'est la vérité biologique qui, ici, sert d'arbitre. Demain, dans un système fondé sur la volonté, l'homme pourrait refuser cette filiation. Faire de la volonté l'assise de la filiation aurait donc un certain nombre de conséquences qu'il faut envisager avant de s'engager dans une réforme par petits bouts.
Mme Marie Mesnil. - Pour le moment, personne n'a proposé de faire de la volonté le fondement principal de la filiation du titre VII. Quelles places respectives donne-t-on à la volonté et à la biologie ? On ne peut pas nier que, dans un certain nombre de cas, les enfants sont procréés par leurs parents. Mais quid des autres ? Depuis 1994, les lois bioéthiques encadrent la situation dans laquelle un couple a recours à un don de sperme : jusqu'au moment où les embryons sont implantés, le père est libre de retirer son consentement ; mais une fois que le processus biologique est enclenché et s'il aboutit, son acte de volonté devient irréversible. Le consentement au recours au don de gamètes, donné devant notaire, rend sa paternité inattaquable - sauf à démontrer que l'enfant n'est pas issu de l'assistance médicale à la procréation. Ce couple hétérosexuel dans lequel l'homme est stérile est dans la même situation, au regard de l'assistance médicale à la procréation, qu'un couple lesbien qui a également besoin de recourir à un don de sperme. On pourrait donc établir la maternité de la seconde femme dans les mêmes conditions, sans qu'elle puisse remettre en cause cette filiation qui repose uniquement sur un fondement volontariste.
Le titre VII fait reposer la filiation à titre principal sur la vraisemblance biologique - ce qui ne signifie pas vérité biologique. Mais sortir les enfants conçus par don de gamètes du titre VII, c'est faire comme si la filiation de ce titre reposait uniquement sur la vérité biologique, ce qui est strictement faux. Le système se veut équilibré et permet d'établir des filiations qui existent socialement ; ce n'est que dans les cas contentieux que l'on ira chercher le géniteur. Dans l'hypothèse exposée par Monsieur Binet, l'homme verra sa paternité établie, mais la femme n'est pas obligée de dire qui est le géniteur ; elle peut très bien choisir de laisser le lien de filiation libre, pour éventuellement qu'il soit comblé par une personne avec qui elle fera sa vie et qui jouera le rôle de père ou de mère auprès de l'enfant.
M. Hugues Fulchiron. - L'hypothèse d'un enfant qui naît dans un couple de femmes est la seule hypothèse où il y aurait une filiation fondée sur la volonté. Le rapprochement avec l'hypothèse d'un enfant qui naît dans un couple hétérosexuel grâce à l'assistance médicale à la procréation est quand même très relatif puisque, certes, il y a l'expression d'une volonté, mais les instruments juridiques qui sont mis en oeuvre sont des instruments classiques de la filiation procréative : la présomption de paternité, la reconnaissance, etc. Ce qui fait cette filiation, ce sont les procédés classiques de la filiation procréative, ce n'est pas la volonté du père. Dans le cas d'une procréation médicalement assistée avec deux femmes, la volonté fait la filiation pour le parent biologique et le parent non biologique.
Dans les modes de filiation classiques, la volonté joue un rôle important, mais elle vient au secours de la vérité et fait cette vraisemblance de la filiation qui fonde actuellement la filiation du titre VII.
Pour éviter les confusions, plutôt que de parler de volonté, nous devrions parler d'engagement. Lorsque l'on reconnaît l'enfant, on fait un aveu, au sens juridique du terme - on reconnaît que cet enfant est le sien parce qu'on lui a donné la vie -, et en même temps on s'engage à le reconnaître. Cette notion d'engagement devrait être mise au centre du droit de la filiation, plus que l'idée de volonté qui renvoie à l'autonomie du sujet. Or l'engagement à l'égard de l'enfant auquel on a donné la vie justifie que cet engagement soit irréversible. Une volonté peut être variable, l'engagement est irréversible.
Mme Marie Mesnil. - J'entends « société traditionnelle », « procédés classiques » : les familles formées par des couples de personnes de même sexe font partie de la société au même titre que les autres et les procédés classiques ne devraient pas exclure ce pluralisme familial !
Si le titre VII est réservé aux enfants des couples hétérosexuels, ça veut dire qu'on crée un droit dérogatoire de la filiation. L'intérêt de l'enfant doit primer. Mais est-il de l'intérêt de l'enfant d'avoir un type de filiation différent lié à l'orientation sexuelle de ses parents ? C'est stigmatisant pour les enfants qui, effectivement, sont dans une situation différente, mais qui n'en sont absolument pas responsables. Ils porteront, sur leur acte de naissance, la trace déjà qu'ils ont deux mères, mais en outre, que l'établissement de leur filiation est différent. Les cours de biologie permettent déjà de prendre la mesure de l'impossibilité pour deux femmes de procréer ; je ne pense pas que le droit ait besoin de le signifier à nouveau.
M. Jean-René Binet. - Je n'ai pas proposé de refonder le système de la filiation sur la volonté, mais d'autres l'ont proposé ; c'est la raison pour laquelle je m'en faisais l'écho. Un de nos collègues a écrit un livre sur la famille contractuelle, entièrement fondée sur la volonté, où il envisage justement toutes ces situations à partir de l'assistance médicale à la procréation.
M. Hugues Fulchiron. - Il n'est, bien sûr, pas question de réserver le titre VII à la famille hétérosexuelle, puisque la distinction ne passe pas entre homosexuels et hétérosexuels, mais entre enfants nés d'un acte procréation charnelle et enfants nés grâce à l'assistance médicale à la procréation, qui concerne donc des couples hétérosexuels comme des couples homosexuels : je n'oppose absolument pas les uns aux autres, je pars de l'enfant.
Je crois qu'il est toujours extrêmement périlleux d'invoquer l'intérêt de l'enfant qui n'est pas encore né. Je me place sur le plan des droits de l'enfant. L'intérêt de l'enfant ne peut être apprécié que dans une situation particulière, même si l'enfant n'est pas encore né. Tant qu'il n'est pas né, dire que l'intérêt de l'enfant c'est ceci ou cela est hasardeux.
Je suis toujours un peu perplexe quand on parle de la surstigmatisation de l'enfant : l'enfant risque-t-il de sentir sur stigmatisé ? Je n'en sais rien. Il n'est pas question de marquer l'enfant au fer rouge, mais de dire qu'il est né dans telle ou telle circonstance ; la société porte sur ces questions un regard qui me semble relativement apaisé et qui le sera encore plus lorsque l'enfant aura grandi.
M. Jean-René Binet. - L'intérêt de l'enfant est une notion vague, c'est même la notion vague par excellence et il est toujours périlleux de l'envisager. Cependant, je ne crois pas que l'on doive réserver la question de l'intérêt de l'enfant à l'enfant déjà né ou à l'enfant dans sa situation particulière. Il y a plusieurs niveaux d'appréhension de cet intérêt. Il y a tout d'abord l'intérêt général des enfants dont le législateur est le garant. La question de la gestation pour autrui en offre un parfait exemple : le législateur français estime qu'il n'est pas de l'intérêt de l'enfant d'être l'objet d'une convention qui conduit une femme à le porter, puis à l'abandonner pour qu'il soit accueilli par une autre ; l'article 16-7 interdit ces pratiques. Mais puisque ces pratiques ont cours ailleurs, le juge est parfois confronté à la question particulière d'un enfant ; la Cour européenne des droits de l'homme estime qu'il est de l'intérêt particulier de cet enfant déjà né de voir sa filiation reconnue dans le territoire où il se trouve. On voit bien qu'il y a deux niveaux d'appréciation : l'un appartient au législateur, l'autre au juge ; l'un est général, l'autre particulier. Mais, dans tous les cas, c'est bien de l'intérêt de l'enfant qu'il s'agit.
Mme Élisabeth Doineau, présidente. - Permettez-moi de vous interroger sur l'article 3 relatif à l'accès aux origines. Nous avons entendu hier les professeurs Mattéi, Frydman et Nisand, qui étaient assez unanimement d'accord pour élargir les missions du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP) plutôt que de faire appel à une commission spéciale. Qu'en pensez-vous ?
M. Jean-René Binet. - Je partage leur sentiment. Créer une commission simplement chargée d'enregistrer les demandes et de les satisfaire ne me semble pas indispensable. Le CNAOP a démontré sa parfaite maîtrise de ces sujets délicats. Sauf à ce que ce qu'il ne croule déjà sous les demandes et ne puisse en satisfaire de nouvelles, il est le mieux indiqué pour répondre à ce type de besoin.
M. Hugues Fulchiron. - C'est également mon sentiment. Le CNAOP fonctionne bien, il a une certaine expérience et pourrait très bien se voir confier cette mission, en lien avec l'agence de biomédecine qui conservera les données.
Mme Marie Mesnil. - J'ai tendance à plaider pour l'extension des dispositifs qui fonctionnent. Au regard de son expertise, le CNAOP me semble à même de remplir cette nouvelle mission, avec peut-être plus de moyens pour prendre en charge ces nouvelles demandes.
M. Hugues Fulchiron. - Permettez-moi d'évoquer un sujet qui m'inquiète beaucoup et qui ne semble pas susciter beaucoup de réactions dans la société : il s'agit du développement d'agences qui recueillent les données personnelles des individus au travers des tests génétiques. Ces tests sont certes interdits en France, mais ils se développent et des publicités fleurissent sur Internet et même à la télévision française, dans une indifférence quasi générale. Or ces sociétés privées sont en train de recueillir les données de millions de personnes sans aucune garantie réelle pour les intéressés. Elles se constituent des trésors monnayables, mais surtout un pouvoir extrêmement inquiétant par la connaissance des personnes, de leurs ancêtres et de leurs descendants. Peut-être faudrait-il profiter de ce projet de loi pour agir et rendre effective l'interdiction de ces pratiques en France.
Mme Élisabeth Doineau, présidente. - Je vous remercie d'avoir mis l'accent sur cette question. Nous l'avons déjà en partie abordée, mais nous aurons prochainement des auditions qui y seront spécifiquement consacrées.
Je vous remercie de toutes vos réponses qui vont alimenter notre réflexion et je vous invite à répondre par écrit au questionnaire qui vous a été adressé.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 10.