Mardi 29 octobre 2019

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 15 h 10.

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Enseignement scolaire » - Examen du rapport spécial

M. Vincent Éblé, président. - Nous avons à examiner cet après-midi deux rapports spéciaux : le premier est consacré à la mission « Enseignement scolaire », qui représente une part conséquente du budget général, avec 74 milliards d'euros.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial de la mission « Enseignement scolaire ». - C'est un bonheur de vous présenter ce rapport spécial consacré au budget de l'enseignement scolaire. Les crédits en question sont affectés, pour leur grande majorité, au ministère de l'éducation nationale, mais également au ministère de l'agriculture. Il s'agit de la première mission du budget de l'État après les dégrèvements fiscaux. Les frais de personnel mobilisent 68 milliards d'euros, soit 93 % du budget de cette mission, au sein desquels le compte d'affectation spéciale « Pensions » se voit octroyer 20 milliards d'euros.

Je vous proposerai d'adopter ces crédits sans modification, tout en vous faisant remarquer que certaines questions sont aujourd'hui posées et que le ministère de l'éducation nationale ne pourra pas en reporter l'examen indéfiniment. Il convient de les adopter parce que la maîtrise de la dépense est réelle. On relève une petite réduction des effectifs par rapport à 2019, à hauteur de 1 239 équivalents temps plein travaillé (ETP) et de 400 équivalents temps plein (ETP). Ce n'est pas spectaculaire, mais rappelons que les effectifs avaient augmenté de près de 50 000 agents entre 2012 et 2017. La maîtrise de la dépense s'explique aussi par le glissement-vieillissement technicité (GVT) différentiel : le rajeunissement des enseignants aboutit à un GVT négatif élevé, ce qui occasionne des économies, même si les mesures du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR) augmentent le GVT positif.

Nous relevons cette année des mesures catégorielles fortes. Certaines sont parfaitement utiles, d'autres ne sont que l'application, suspendue en 2018, de l'héritage du quinquennat précédent. Les 58 millions d'euros qui seraient consacrés en 2020 au renforcement des rémunérations des enseignants en réseaux d'éducation prioritaire (REP) me paraissent utiles. En revanche, le protocole PPCR, qui représente un effort de près de 300 millions d'euros, n'apporte aucun soutien à ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les enseignants qui débutent leur carrière, notamment dans le primaire et les secteurs difficiles. Le Gouvernement ne fait là qu'appliquer les droits acquis au cours du quinquennat précédent.

Je note aussi le parachèvement, tout à fait satisfaisant, de toutes les fonctions destinées aux élèves handicapés : les accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) sont titularisés, ou leurs contrats transformés en CDI ou CDD.

On relève une diminution des fonds consacrés à l'action sociale des chefs d'établissement, ainsi qu'une baisse des subventions aux établissements publics d'enseignement. Ces diminutions sont nécessaires pour rendre plus sincère le budget et mettre fin à des dépenses qui ne sont pas engagées effectivement. Elles n'auront pas d'effet sur les dépenses habituellement engagées en la matière.

Globalement, ces crédits témoignent d'une gestion mesurée et réfléchie, même si elle est marquée par un héritage lourd et discutable.

Parmi les grandes inflexions de la politique ministérielle qui s'expriment dans ce budget, je relève, d'abord, le rééquilibrage de la dépense de l'enseignement scolaire en faveur du primaire. M. Jean-Claude Carle, quand il était rapporteur pour avis de la commission de la culture, et moi-même avions dénoncé à maintes reprises l'insuffisance des moyens consacrés à l'enseignement primaire : la dépense par élève y est inférieure de 10 % à la moyenne des pays de l'OCDE, alors qu'elle lui est supérieure de 20 % pour le secondaire. Heureusement, depuis 2017, les crédits affectés au primaire ont augmenté d'environ 7 %, alors que ceux qui reviennent au secondaire n'ont augmenté que de 4 %. On observe ainsi un renforcement des effectifs d'enseignants dans le primaire depuis 2018.

Ce besoin était évident, du fait du dédoublement des classes en CP et en CE1, qui se poursuit dans l'ensemble du réseau d'éducation prioritaire. Si nous ne disposons pour le moment d'aucun bilan « scientifique » concernant les effets positifs de ce dédoublement, il semblerait que les progrès soient bien réels, en particulier en mathématiques. J'espère que, à l'occasion du débat en séance, des résultats plus précis nous seront communiqués et que nous n'aurons pas à nous contenter du communiqué de presse dont s'autosatisfait le ministère, lequel n'est pas à la hauteur de son engagement ni de celui du contribuable dans cet effort.

Je dirai un mot sur les mesures « qualitatives », les « stages de la réussite », la politique des « devoirs faits » au collège, les « petits-déjeuners » à l'école primaire : elles ne sont pas anecdotiques. La somnolence des élèves, par exemple, est utilement combattue même si cela montre qu'il faudrait sans doute éduquer les parents avant les enfants !

Ces efforts budgétaires en faveur du primaire se doublent d'une réflexion très intéressante sur le secondaire, avec la mise en oeuvre de la réforme du baccalauréat. Celle-ci pourrait permettre de mieux maîtriser l'offre du secondaire, qui, trop dispersée, aboutit aujourd'hui à des ratios très dégradés en matière de nombre d'élèves par enseignant. Avec la réforme, le système sera plus complexe à gérer, certes, mais permettra une meilleure adaptation des choix des élèves à la réalité du monde universitaire ou professionnel, la proximité de l'enseignement secondaire à ces deux mondes étant ainsi renforcée. Accessoirement, grâce à l'allégement de la procédure du baccalauréat, l'Éducation nationale reconquiert une semaine d'utilisation des locaux, ce qui n'est pas négligeable sur le plan financier.

L'autre réforme dans laquelle le ministère est engagé, c'est celle de l'orientation, qui fait appel aux régions. Je vous invite à soutenir cette transformation, tant il est vrai que les régions sont très fortement impliquées dans la formation professionnelle et le développement économique et connaissent bien leurs bassins d'emploi.

Quant à nos lycées professionnels, ils cherchent un peu leur voie. La création des campus professionnels est, comme celle des internats d'excellence, une mesure excellente, mais symbolique, car très minoritaire ; elle ne fera pas basculer l'enseignement sur la voie d'une véritable rénovation.

Le collège, quant à lui, est aujourd'hui le maillon le plus faible de la politique menée - le primaire, lui, est relancé et soutenu, et le deuxième cycle du secondaire se réorganise autour du nouveau bac. Sans remettre en cause le principe du collège unique, auquel nos concitoyens sont attachés, je pense qu'il faudrait accepter la mise en oeuvre d'une certaine différenciation, en fonction de réalités régionales ou sociologiques par exemple - la réussite de l'enseignement agricole sous toutes ses formes témoigne des résultats satisfaisants de ce genre de démarche ; je pense en particulier aux maisons familiales rurales (MFR).

Je voudrais d'ailleurs saluer, concernant l'enseignement agricole, une mesure de bon sens : celle qui consiste à assouplir l'organisation des classes pour éviter que les lycées agricoles qui reçoivent néanmoins des demandes ne puissent pas satisfaire ces dernières en raison des règles de dédoublement de seuil.

Par ailleurs, l'Éducation nationale a, d'une façon constante, poursuivi avec succès le défi de l'intégration des élèves handicapés. Cette année, les crédits du programme « Vie de l'élève » augmentent de 5 % principalement en raison de la titularisation des accompagnants d'élèves en situation de handicap, là où l'augmentation des dépenses, pour les autres programmes de la mission, plafonne à 1,5 ou 2 %.

J'évoquerai également l'attractivité des métiers de l'éducation. L'héritage du protocole PPCR est lourd à porter ; nous l'avions dénoncé à l'époque de son instauration. En revanche, la préprofessionnalisation est assurément un bon investissement ; elle donne à de jeunes étudiants un statut d'emploi compatible avec le maintien des bourses étudiantes. La stabilisation des recrutements, après la période excessive du quinquennat précédent, a permis la réduction du déséquilibre constaté.

Autre sujet en liaison avec l'attractivité des métiers de l'éducation, qui n'a pas à proprement parler de réponse budgétaire : le problème de la violence à l'école. On pourrait imaginer un renforcement de l'autorité des chefs d'établissement, adossé à des conseils d'administration à la fois plus représentatifs de la vie locale et plus engagés. Le ministre a le mérite de ne plus taire ce problème, sans avoir pour autant la solution pour le faire reculer de manière significative.

J'évoquerai maintenant la baisse de la démographie française et, partant, la diminution du nombre de jeunes scolarisés, y compris dans le primaire. Cette diminution n'est pas corrigée par la mise en oeuvre dès cette année de la scolarisation à trois ans, 96 % des enfants de cet âge étant en réalité déjà scolarisés. Cette mesure représente 25 000 élèves supplémentaires, répartis sur l'ensemble de la France, soit un nombre négligeable sur un total de 6,7 millions d'élèves.

Malgré cela, on peut s'attendre à une baisse des effectifs au cours des trois ou quatre prochaines années, de l'ordre de 200 000 élèves. Le rythme de la décrue étant spectaculaire, la question de la gestion prévisionnelle des effectifs du primaire et du secondaire va se poser. De plus, j'attire votre attention sur le fait que cette diminution quantitative n'est évidemment pas homogène sur l'ensemble du territoire. Certaines régions voient en effet leurs effectifs augmenter, d'autres les voient diminuer de façon significative. Comme on ne peut pas demander aux enseignants de faire preuve d'une totale mobilité géographique ou fonctionnelle, il appartient au ministère de nous proposer une vision à moyen et long termes de l'offre d'enseignement, qui ne tienne pas uniquement compte de ses propres préoccupations, au demeurant légitimes comme le renforcement du primaire - avec, par exemple, la mise en oeuvre du dédoublement des classes -, ou la simplification de l'offre dans le secondaire - y compris dans l'enseignement professionnel -, mais aussi de cette baisse démographique prévisible, annoncée, et qui n'est malheureusement pas combattue, la politique familiale étant inexistante. Une telle politique serait d'ailleurs taxée d'un natalisme primitif par des détracteurs avisés, bavards et nombreux.

Il faut bien se rendre compte que la simple diminution du nombre d'élèves va entraîner une augmentation favorable du ratio enseignant/élèves. C'est en apparence une bonne chose, mais il y a peut-être une meilleure façon d'utiliser les moyens humains qui vont être dégagés. Il faut peut-être également réfléchir aux évolutions à long terme, au-delà du simple exercice budgétaire ou d'une simple loi de programmation puisqu'un enseignant est recruté pour quarante ans. J'ajoute que la mission « Enseignement scolaire » n'a pas respecté la loi de programmation, un dépassement, somme toute assez raisonnable, de 300 millions d'euros sur trois ans ayant été constaté. Le dépassement serait de 30 millions d'euros cette année, hors CAS et pensions, sur les 48 milliards d'euros de personnels en activité.

Les enseignants, à juste titre, parce que c'est leur nature et leur histoire, défendent l'enseignement général et technologique, au moment où le Gouvernement souhaite défendre l'alternance et l'enseignement professionnel. Quant au privé, il bénéficie d'une sorte de statu quo qui ne correspond en rien à la réalité de l'offre qu'il assure, ce qui aboutit d'ailleurs à des évolutions contestables en termes d'élitisme, les établissements privés pouvant choisir leurs élèves, car ils ont plus de demandes que d'offres.

J'ajoute enfin que l'enseignement agricole, qui est une véritable réussite sur le terrain, est plutôt maltraité par le ministère de l'éducation nationale, alors qu'il s'agit d'un enseignement de deuxième chance pour les élèves et de première chance pour les territoires.

En conclusion, je préconise de voter ce budget, sachant qu'un certain nombre de questions devront être posées lors du débat en séance publique.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je remercie Gérard Longuet de sa hauteur de vue sur ce sujet et de nous avoir fait partager ses convictions, qu'il répète d'année en année. Je suivrai sa préconisation et soutiendrai son analyse, pour deux raisons principalement.

Tout d'abord, nous en convenons tous, certains métiers sont en tension, les postes ne sont pas pourvus, quand certaines filières sont, au contraire, en sureffectif et ne permettent pas de trouver un emploi. L'orientation ne fonctionne pas aujourd'hui ; l'idée de Gérard Longuet de la rattacher aux régions me paraît intelligente.

Ensuite, comme lui, je pense que la France consacre beaucoup de moyens à l'éducation, beaucoup au secondaire, beaucoup moins au primaire, là où, pourtant, tout se joue. Nous partageons la conviction du ministre que le primaire doit être consacré à apprendre à lire, à écrire, à compter et à respecter les autres. Aussi, les options au baccalauréat, qui servent à gagner des points et qui ne sont donc pas extrêmement utiles, entraînent une dispersion des moyens dans le secondaire. Un rééquilibrage en faveur du primaire est souhaitable.

Le dispositif « Devoirs faits » va dans le bon sens, les inégalités étant grandes entre les enfants, notamment entre ceux qui ont leur propre chambre pour faire leurs devoirs et ceux qui les font dans une pièce commune où la télévision est allumée.

Mme Nathalie Goulet. - Combien d'inspecteurs sont désormais affectés au contrôle des écoles hors contrat et des enfants déscolarisés ? Pour quels résultats ?

Par ailleurs, l'enseignement agricole ayant toujours été maltraité, y a-t-il un moyen d'inverser la tendance, dans un contexte de développement durable, sachant, en outre, que les métiers agricoles ne sont pas délocalisables ?

M. Antoine Lefèvre. - L'abaissement de l'âge de la scolarité obligatoire à trois ans a entraîné un certain nombre de contraintes nouvelles et de coûts supplémentaires pour les communes, certaines d'entre elles devant participer aux frais de fonctionnement des maternelles privées. Le décret en Conseil d'État devant préciser les modalités d'application du dispositif d'accompagnement des communes est-il paru ? Quelles sont ses grandes tendances ?

Par ailleurs, face au malaise grandissant des directeurs d'école, qui assument des missions multiples, de plus en plus complexes, et à qui on a promis des moyens supplémentaires, où en est la rénovation du statut ?

M. Philippe Dominati. - Je remercie le rapporteur spécial, qui m'a convaincu, alors que ce n'était pas évident !

Existe-t-il un ratio permettant de connaître, au sein du titre 2, le bon périmètre entre frais de personnel, dépenses de fonctionnement et investissements ? J'ai cette même préoccupation pour le ministère de l'intérieur. J'ai l'impression que l'État cède toujours sur le titre 2, c'est-à-dire sur les frais de personnels, au détriment des dépenses de fonctionnement et des investissements. Par ailleurs, au sein de cette masse salariale, combien d'heures sont réellement enseignées ? Quelle est l'importance du personnel administratif au sein du ministère de l'éducation nationale ?

M. Claude Nougein. - Nous avons du mal à trouver de bons chefs d'établissement, faute de candidats. Le métier est de plus en plus difficile. Il faudrait une motivation financière. Pourquoi ne pas réaffecter les crédits consacrés aux enseignants n'ayant pas de poste aux chefs d'établissement, qui font bien souvent un travail remarquable ?

M. Michel Canévet. - Quelles sont les évolutions en matière d'orientation, notamment dans les lycées professionnels, en vue de répondre aux besoins de main-d'oeuvre des entreprises ? Des crédits sont-ils prévus en 2020 pour mettre en oeuvre le programme de revalorisation des rémunérations des enseignants qui interviennent en réseaux d'éducation prioritaire (REP) et REP+ ? L'enveloppe de 30 millions d'euros consacrée au service national universel (SNU) est-elle suffisante ? Comment le dispositif sera-t-il déployé ? Quelles en seront les incidences budgétaires ?

M. Marc Laménie. - Comment expliquer que les questionnaires envoyés aient reçu un très bon taux de réponse pour le volet « éducation nationale » et un très mauvais taux pour le volet « agriculture » ? Quelle masse financière représentent les enseignants qui sont réellement sur le terrain, devant les élèves ? Et quelle est la part des personnels de l'éducation nationale qui n'y sont pas ? Quid du maintien des collèges ? Dans mon département, certains locaux ne sont occupés qu'à 50 %.

M. Patrice Joly. - Nous ne partageons pas toutes les analyses de M. le rapporteur spécial. L'éducation est un enjeu de société et de développement économique majeur.

Dans les classements mondiaux, la France est à la traîne s'agissant de la qualité de l'éducation. Cette année, les moyens progressent faiblement, alors que les crédits consacrés à l'enseignement privé sont inférieurs à la moyenne des pays de l'OCDE. Avec la suppression de 1 200 postes, le second degré ne disposera pas des moyens nécessaires pour accueillir les 28 000 élèves supplémentaires attendus lors de la prochaine rentrée scolaire. C'est pourquoi nous nous abstiendrons.

Selon certains, la massification serait la meilleure manière de répondre aux besoins. Or des élèves issus de petits collèges obtiennent des résultats exceptionnels. L'orientation des élèves issus de nos territoires ayant un fort potentiel est une question fondamentale ; il est dommage que leur parcours post-bac soit souvent court.

M. Bernard Delcros. - Peut-on mesurer les conséquences de la diminution du nombre de contrats aidés dans les établissements scolaires, notamment les écoles primaires et les collèges ? D'autres emplois ont-ils été créés ou certaines missions ne sont-elles plus assurées ?

En matière d'organisation du temps scolaire, sait-on combien d'écoles sont passées de la semaine de quatre jours à la semaine de quatre jours et demi ? Quelles en sont les incidences sur les activités périscolaires ?

Il serait intéressant d'analyser de manière prospective les effets de l'importante baisse à venir des effectifs sur l'organisation du tissu scolaire.

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Je partage la formule de Nathalie Goulet sur l'enseignement agricole. Il faut tirer cet enseignement vers le haut, en créant, quand c'est possible, des licences professionnelles. Cela permettrait aux jeunes issus des territoires ruraux d'envisager leur avenir localement, même s'il est assez rare qu'ils reviennent dans leur département d'origine une fois qu'ils sont partis étudier dans une grande métropole.

Je ne dispose pas de toutes les informations concernant les fonctions d'inspection. Je suis persuadé que le texte que Mme Gatel nous a demandé d'approuver est bien mis en oeuvre, mais je ne dispose pas d'éléments de réponse sur l'efficacité de ces contrôles.

Le ministère s'efforce aujourd'hui de fusionner différentes inspections. Il a également créé une fonction « ressources humaines » dans les rectorats et les directions départementales, qui n'existait pas auparavant. Le Sénat connaît bien la question des enseignants qui ne sont pas en face des élèves, et notamment votre commission des finances. Le dédoublement des classes du primaire a été extrêmement fructueux.

Par définition, on ne peut prévoir les remplacements à venir ni la durée des intersessions. La meilleure solution serait d'annualiser le temps de travail. En cas d'absence, on pourrait alors demander à un professeur présent de travailler plus tant que le remplacement ne serait pas assuré. Les heures supplémentaires ainsi effectuées pourraient ensuite être plus facilement compensées dans le cadre de l'annualisation.

Ce ministère vient heureusement de découvrir la pertinence d'une organisation plus structurée des ressources humaines dont la gestion ne devrait plus dépendre simplement d'un arbitrage des commissions administratives paritaires tempérées par l'intercession syndicale.

Pour Antoine Lefèvre, le coût de la généralisation de la scolarisation dès trois ans semble plutôt marginal pour les communes, mais je ne dispose pas encore de chiffres précis.

En ce qui concerne les directeurs d'école, vous avez mille fois raison. J'irai même jusqu'à dire que ce poste n'existe pas dans les faits. Les principaux de collège et les proviseurs peuvent être de véritables patrons de leurs établissements. Le directeur d'école, dans le meilleur des cas, sert d'interface avec l'administration, mais ne bénéficie d'aucune autorité sur ses collègues enseignants ni d'une véritable dispense d'heures qui lui permettrait d'assurer ses fonctions collectives. Les choses vont évoluer. En milieu rural, dans la plupart des cas, l'école n'est plus communale, mais cantonale. Les établissements vont donc devenir plus importants. Encore faut-il pouvoir dégager des moyens. Peut-être faudrait-il profiter des économies résultant de la diminution des effectifs...

Oui, Philippe Dominati, l'enseignement, c'est un contact avec les élèves, mais un contact qui doit être suivi, encadré, préparé, accompagné... Ne figurent dans le titre II que les dépenses de personnel. Les dépenses d'investissement et de soutien augmentent. Toutefois, les chiffres donnés par le ministère ne nous garantissent pas une vision exacte du camembert idéal : j'ai demandé, sans succès jusqu'à présent, des chiffres par rectorat. Le simple fait de constater des différences selon les territoires permettrait de poser des questions et d'avoir des réponses. Les dépenses en matière d'éducation sont partagées entre le ministère, les collectivités locales et les familles. La part du ministère devrait être significative, mais je ne suis pas sûr qu'elle soit majoritaire.

Nous disposons en revanche de toutes les statistiques possibles sur le nombre d'heures enseignées. La France est un des pays où l'année est la plus courte pour un nombre d'heures enseignées très important. Chaque matin, nous entendons sur les radios toutes sortes de propositions pour que l'éducation nationale prenne en charge l'art de traverser la rue, l'art de se nourrir dans une grande surface, l'art d'organiser des transports au sortir des boites de nuit... Les capacités de l'Éducation nationale semblent universelles, sauf qu'elle n'a pas suffisamment d'enseignants pour ce faire et que ceux dont elle dispose ont d'autres missions. Nous devons reconquérir l'année, diminuer les vacances : des semaines plus légères et des jours plus nombreux nous permettraient d'effectuer un saut qualitatif. Mais nous n'en prenons pas la direction...

En réponse à Claude Nougein, je n'ai pas les chiffres des enseignants non affectés. Il me semble que le nombre d'enseignants concernés a considérablement diminué, notamment grâce au dédoublement.

Pour Michel Canévet, je suis entièrement d'accord avec vous en ce qui concerne l'orientation : il faut que les régions s'y mettent. Avec les REP+, nous sommes au coeur de l'effort de soutien pour le primaire. On se rend compte que de jeunes garçons et filles - souvent des garçons - décrochent très tôt en raison de leur incapacité à lire à un rythme suffisant et donc à écrire. Cette politique de dédoublement me semble donc pertinente. Le coût n'est pas celui du service national universel.

Marc Laménie a raison de souligner le retard avec lequel le ministère de l'agriculture répond à nos questions. Ses réponses ne pourront d'ailleurs pas être comptabilisées au sens de la LOLF.

Les bâtiments sont du ressort des collectivités locales. Ce budget ne nous offre pas de vision particulière sur cette question. Nous devons nous appuyer sur notre expérience d'élus locaux.

Patrice Joly, je ne doute que le collège de Château-Chinon fonctionne bien, tout comme celui de Montsauche-les-Settons. J'ai défendu autrefois le maintien d'un collège de soixante-dix élèves, mais je dois avouer que j'étais de mauvaise foi : on ne prépare pas les enfants au lycée avec une seule classe par niveau. Il s'agit en outre d'un gaspillage considérable en termes de moyens humains : les professeurs devant tourner sur deux ou trois collèges finissent par connaître davantage les routes départementales que leurs élèves.

Vous avez évoqué la qualité de notre enseignement. Les choses ont été reprises à la base, à savoir au primaire. Le drame de ce ministère, c'est qu'il a toujours été dirigé par l'élite de l'enseignement, c'est-à-dire par les agrégés, par les professeurs du secondaire, par les professeurs de grandes écoles qui deviennent, pour les meilleurs d'entre eux, inspecteurs généraux. Les instituteurs, aujourd'hui professeurs des écoles, forment les gros bataillons. Or on leur confie la mission la plus difficile, celle de faire des fondations. J'ai toujours préféré enseigner à des élèves de troisième cycle qu'à des élèves de première année : il est beaucoup plus facile de former des gens qui ont déjà une base. C'est aussi la raison pour laquelle je soutiens globalement, malgré ses imperfections, cette politique de dédoublement.

Il s'agit tout de même de la troisième hausse de crédits la plus importante du projet de loi de finances après la défense et la solidarité. C'est un bel effort.

Pour Bernard Delcros, un fonds a été mis en place pour accompagner la fin des contrats aidés, devenus parcours emploi compétences (PEC), doté de 300 millions d'euros en 2019 et de 30 millions en 2020 - cette baisse s'explique par le fait que beaucoup de ces contrats aidés correspondaient à des AESH.

S'agissant de l'organisation du temps scolaire dérogatoire, 15 % des établissements en 2019 sont passés aux neuf demi-journées.

Le Fonds de soutien au développement des activités périscolaires est maintenu pour financer le plan Mercredi, qui concerne 40 % des élèves.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Justice » - Examen du rapport spécial

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la mission « Justice ». - Avec un budget de 9,38 milliards d'euros en 2020, le ministère de la justice bénéficierait de 242 millions d'euros supplémentaires par rapport à l'année précédente, soit une hausse de 2,7 % de ses moyens à périmètre constant.

Hors CAS « Pensions », en 2020, les crédits augmenteront de 2,8 %, soit 205 millions d'euros. Cette hausse s'inscrit dans la continuité des précédents budgets : + 3,9 % en 2018, + 4,5 % en 2019. Toutefois, en 2020, cette augmentation sera inférieure à la trajectoire fixée par la loi de programmation des finances publiques (LPFP), ainsi qu'à l'annuité prévue par l'article 1er de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

En effet, alors que la loi de programmation adoptée par le Parlement en février dernier prévoyait une augmentation de 400 millions d'euros de crédits entre 2019 et 2020, cette hausse est deux fois inférieure.

Le Gouvernement explique que cet écart résulte principalement des crédits immobiliers de l'administration pénitentiaire : s'ils progressent fortement, comme je le détaillerai plus tard, ils sont ajustés « au vu de l'avancement réel des opérations ». La question se pose alors de la sincérité de la programmation que nous avons adoptée, puisque le Gouvernement ne pouvait ignorer, voilà huit mois, ces aléas inhérents à la construction des prisons.

Surtout, cette révision à la baisse des crédits ne serait pas rattrapée ; l'écart avec la loi de programmation se porterait donc à 115 millions d'euros en 2022.

Ainsi, la mission « Justice » n'est que la huitième mission du budget de l'État dont les crédits de paiement augmentent le plus en valeur absolue en 2020, à égalité avec les missions « Aide publique au développement », « Direction de l'action du Gouvernement » et « Sport, jeunesse et vie associative ».

Toutefois, même si la situation demeure fragile, les choses commencent à s'améliorer, notamment dans les juridictions. En effet, les recrutements de magistrats et de greffiers ont permis d'améliorer le fonctionnement des juridictions et les crédits supplémentaires votés chaque année commencent à porter leurs fruits, comme le montre la baisse du délai moyen de traitement des procédures civiles, en particulier pour les cours d'appel, et des procédures pénales, notamment en matière criminelle.

La masse salariale représente plus de 60 % des dépenses du ministère de la justice. Ainsi, la moitié des moyens supplémentaires prévus en 2020 - soit 134 millions d'euros - correspond à une augmentation des dépenses de personnel.

En effet, il est prévu de créer 1 520 emplois supplémentaires en 2019, dont 1 000 pour l'administration pénitentiaire. Sur les 384 postes créés pour la justice judiciaire, 100 sont des postes de magistrats et 284 des postes de fonctionnaires. En outre, 40 % de l'augmentation du budget de la mission sont consacrés aux dépenses d'investissement dont la majeure partie concerne l'administration pénitentiaire.

Au lieu de construire 15 000 places de prison sur le quinquennat, comme le prévoyait le candidat à l'élection présidentielle, Emmanuel Macron, 7 000 places seront créées d'ici à la fin du quinquennat et la construction de 8 000 autres serait lancée d'ici à 2022. Je rappelle que ce report est regrettable, car il y a urgence.

Il y a surtout lieu de regretter « l'ajustement » du programme immobilier pénitentiaire en 2020, sur lequel est imputé l'écart à la loi de programmation. Les crédits demandés ont été ajustés pour tenir compte de l'avancement réel des opérations, mais aucune opération ne serait remise en cause. De 88 millions d'euros en 2019, les crédits demandés au titre du programme immobilier pénitentiaire pour 2020 atteignent 176 millions d'euros, en hausse de 88 millions.

S'agissant des recrutements, 300 des 1 000 emplois créés en 2020 au sein de l'administration pénitentiaire permettraient de combler des vacances de postes de surveillants pénitentiaires. Jusqu'à présent, l'administration pénitentiaire rencontrait des difficultés en matière de recrutement, mais aussi de fidélisation, notamment des surveillants pénitentiaires.

Pour y remédier, l'organisation de la formation des surveillants pénitentiaires a été modifiée. Le protocole d'accord signé en janvier 2018 prévoit, quant à lui, diverses revalorisations, ainsi qu'une prime de fidélisation mise en oeuvre à compter du 1er janvier 2019 - il est encore trop tôt pour en mesurer les effets...

Hors dépenses de personnel, l'augmentation des dépenses du ministère de la justice de 3 % s'explique également par la nécessité de mettre à niveau l'informatique du ministère : le plan de transformation numérique poursuit sa mise en oeuvre.

En revanche, je note une diminution des dépenses d'intervention de la mission résultant principalement d'une baisse des moyens consacrés à l'aide juridictionnelle. La dépense relative à l'aide juridictionnelle diminuerait de 13 millions d'euros entre 2019 et 2020 grâce à une augmentation moins élevée de la dépense tendancielle et à un transfert de 9 millions d'euros du Conseil national des barreaux (CNB). Le Gouvernement a profité de la budgétisation de ressources jusqu'ici affectées au CNB, d'un montant de 83 millions d'euros, pour diminuer le montant de crédits budgétaires alloués à l'aide juridictionnelle. La dynamique de cette dépense, qui résulte des réformes de 2015 et 2017, demeure toutefois identique.

Enfin, s'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), 4,3 millions d'euros supplémentaires sont prévus pour la création de cinq centres éducatifs fermés (CEF), le Gouvernement envisageant d'en créer vingt sur la mandature. Ces structures d'hébergement constituent une alternative à l'incarcération pour des mineurs multirécidivistes, multiréitérants ou ayant commis des faits d'une particulière gravité.

Comme je viens de le souligner, le Gouvernement s'affranchit nettement des engagements pris devant la représentation nationale au moment du vote de la loi de programmation et de réforme pour la justice, et ce même si les crédits augmentent, si des postes de magistrats et de surveillants pénitentiaires sont créés et si le programme immobilier pénitentiaire est engagé - avec toutefois un certain nombre de retards.

Mercredi dernier, Le Canard enchaîné a révélé l'existence d'une note du directeur des services judiciaires du ministère conditionnant le maintien de certains pôles d'instruction en fonction des résultats électoraux des prochaines municipales.

L'année dernière, je vous demandais d'approuver les crédits de la mission « Justice ». J'avais d'ailleurs réussi à convaincre le président de la commission des lois d'adopter une attitude positive à l'égard de ce budget, ce qui a permis son approbation par le Sénat qui souhaitait donner davantage de moyens à la garde des sceaux.

J'estime aujourd'hui que notre confiance est entachée par le manque de transparence de ces nominations de magistrats. Si nous voulons collectivement donner plus de moyens à la justice, nous voulons unanimement que ces moyens nouveaux soient plus judicieusement employés. Eu égard aux révélations que je viens d'évoquer, je ne suis pas en situation de donner, cette année, un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Justice », que je ne voterai pas.

Ce choix relève sans doute davantage de considérations politiques que budgétaires, mais nos choix doivent être en accord avec nos convictions. Quand le ministère de la justice fait dans la tambouille électoraliste, il faut le rappeler à son devoir de totale impartialité.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Cette position à la fois claire et tranchée donnera à la ministre l'occasion de s'expliquer sur cette note.

Mme Nathalie Goulet. - Avez-vous pu distinguer les budgets consacrés à la lutte contre la radicalisation ? Une partie d'entre eux relève du ministère de la justice et une autre du ministère de l'intérieur. Nous ne disposons d'aucune évaluation. Bernard Cazeneuve nous l'avait promis, mais personne ne l'a fait. Il s'agit d'un vrai sujet sur des budgets importants, éclatés entre différents ministères.

Ma deuxième question concerne les pôles sociaux des cours d'appel. Les tribunaux des affaires de sécurité sociale ont été supprimés au profit d'instances dont certaines ne sont pas encore en place. Le contentieux de la sécurité sociale, c'est compliqué ; les poursuites en matière de fraude sociale, c'est compliqué. Si les instances judiciaires prévues à cet effet ne sont pas en place, la situation devient kafkaïenne. Dispose-t-on d'un état des lieux de la mise en oeuvre de la réforme judiciaire ?

M. Michel Canévet. - Je remercie le rapporteur spécial de son travail, même si je ne suis pas sûr de partager ses conclusions. Nous voulons tous que les dépenses publiques baissent, mais il me semble important de souligner l'effort incontestable qui a été fait pour accroître les moyens de cette mission, même si beaucoup reste encore à faire, notamment en matière de construction de places de prison. Nous sommes en situation de surpopulation carcérale, ce qui est difficile à la fois pour les détenus et les surveillants pénitentiaires. Monsieur le rapporteur, il reste trois ans pour créer les 7 000 places prévues. Pensez-vous que cette échéance soit tenable eu égard aux inscriptions budgétaires ?

Par ailleurs, savez-vous quand entrera en service le dispositif Portalis ?

M. Marc Laménie. - Je voudrais tout d'abord remercier notre rapporteur spécial pour la qualité de son travail.

Voilà un an ou deux, de nombreuses manifestations avaient lieu dans les prisons. Les créations de postes prévues répondent-elles aux attentes ? Les personnels réclamaient également des travaux de sécurisation. Ont-ils été entendus ?

Les postes des tribunaux de grande instance sont-ils globalement pourvus, même si les choses peuvent varier d'un département à l'autre ?

M. Thierry Carcenac. - À mon tour, je voudrais remercier notre rapporteur spécial de la qualité de son travail.

Je m'étonne toujours qu'on nous demande de voter des lois de programmation qui ne sont pas respectées. Celle dont il est ici question remonte seulement à février dernier...

Comment l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) agit-elle ? Il me semble qu'elle va être amenée à s'occuper de la restructuration du palais historique de Paris. Le rapport de la Cour des comptes sur les partenariats publics-privés et le refinancement du contrat de partenariat du tribunal de Paris sont des éléments intéressants. J'ai cru toutefois comprendre que l'on maintiendrait en totalité les locaux pour la justice - le ministère de la culture occuperait une partie pour assurer les visites historiques et le ministère de l'intérieur en occuperait une autre partie. Or il ne me semble pas que les sommes nécessaires à la réalisation de ce projet aient été correctement appréciées. Nous risquons de faire face à des déconvenues importantes. Disposez-vous d'éléments sur cette question ?

Par ailleurs, la transformation numérique a induit la création de nombreux emplois. La Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (Dinsic) a-t-elle vraiment été impliquée ? Est-on sûr de ce que l'on est en train de mettre en oeuvre ?

Je partage votre avis sur les crédits de cette mission eu égard à ce que nous venons d'apprendre sur l'organisation de la carte judiciaire.

M. Philippe Adnot. - Je partage la position du rapporteur spécial sur ces crédits et voterai en conséquence.

Disposez-vous de statistiques sur le temps de rotation des magistrats dans les différentes instances ? Il me semble qu'ils tournent en moyenne tous les deux ans, ce qui représente, sur vingt-quatre mois, une perte d'efficacité de 20 à 25 % entre le départ et l'arrivée d'un magistrat. À moyens constants, on pourrait donc augmenter considérablement l'efficacité en ralentissant quelque peu cette rotation.

Vous avez évoqué la création de deux prisons expérimentales, centrées sur la réinsertion de détenus par le travail. Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur leur lieu d'implantation et sur le programme ?

Mme Christine Lavarde. - A-t-on une idée des gains liés à la réorganisation de la carte judiciaire, notamment de la fermeture des tribunaux d'instance au profit des pôles plus importants, à savoir les tribunaux de grande instance. Ces fermetures ont-elles eu des conséquences en termes d'accès à la justice des personnes les plus fragiles ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Je partage l'inquiétude de Nathalie Goulet sur la question de l'évaluation de la lutte contre la radicalisation. Nous avons évoqué cette question avec la directrice de la PJJ. Les centres de détention pour mineurs sont également touchés par ces problèmes de radicalisation. Face à plusieurs constats d'échec de cette évaluation, le groupe Les Républicains a proposé la création d'une commission d'enquête sur les politiques de lutte contre la radicalisation.

Je ne dispose pas d'éléments plus précis que ceux dont vous avez fait mention s'agissant de la mise en place des pôles sociaux au sein des cours d'appel.

Michel Canévet, le ministère semble plutôt confiant sur la réalisation des 7 000 places de prison : le foncier est identifié à hauteur de 60 % ; le programme spécifique est finalisé à hauteur de 79 % ; le marché a été notifié aux groupements de maîtrise d'oeuvre et d'entreprises à hauteur de 64 % ; le lancement des travaux est effectif à hauteur de 28 % et 20 % des places ont d'ores et déjà été livrées, notamment pour les prisons de la Santé, à Paris, et pour le quartier de semi-liberté de Nanterre.

Les efforts engagés en matière de transformation numérique commencent à porter leurs fruits. Les outils mis en place sont plus compatibles entre eux. Le projet de procédure pénale numérique, associant le ministère de l'intérieur et celui de la justice, vise la dématérialisation de la chaîne pénale dès le début de la procédure. Il devra être contrôlé et encadré attentivement, afin d'éviter les désagréments rencontrés par la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ).

Le projet Portalis permet au justiciable de saisir directement la justice via un portail Internet. Mis en service en mai 2019 dans les TGI de Lille et de Melun pour les affaires civiles, ce portail a été généralisé le 31 mai. Fin 2019, le justiciable pourra saisir en ligne les juridictions civiles et pénales, pour la constitution de partie civile. Le portail des juridictions sera ensuite déployé en 2020 afin de remplacer les huit applicatifs civils utilisés dans les tribunaux judiciaires. Le coût de ce projet, qui suscite beaucoup d'attentes, s'élève à 74 millions d'euros.

Marc Laménie, j'imagine que vous assistez, comme moi, aux rentrées solennelles de cour. Les discours que j'y entends expriment aujourd'hui une certaine satisfaction en termes de nomination sur les postes à pourvoir. Pour les créations de postes dans les prisons, et les dépenses de sécurisation, tous les éléments sont dans mon rapport.

Thierry Carcenac, je ne peux que regretter le non-respect des lois de programmation. Les missions semblent mieux suivies depuis la création du poste de secrétaire général du ministère. Les politiques d'objectifs mises en place portent leurs fruits.

Je ne dispose pas d'éléments précis sur la restructuration du palais de justice historique. Curieusement, de nouveaux besoins se sont fait jour. Je ne suis pas persuadé non plus que les sommes aient été bien évaluées. Je signale par ailleurs que le contrat PPP conclu pour la construction du nouveau TGI de Batignolles a fait l'objet d'une renégociation permettant à l'État d'économiser environ 3 millions d'euros.

Nous allons globalement vers un mieux informatique en ce qui concerne le ministère de la justice ; il était grand temps. Lors de la présentation de mon rapport sur le recouvrement des amendes pénales, j'avais souligné que l'absence de logiciel compatible entre Bercy et le ministère de la justice obligeait à une saisie manuelle de 500 000 fiches. Les choses ne peuvent que s'améliorer.

Philippe Adnot, les temps de rotation varient en fonction de l'attractivité de telle ou telle cour d'appel. Le turn-over peut parfois être important. Au 1er octobre 2019, 42 postes de magistrats étaient vacants au sein des juridictions en tenant compte des 57 lauréats du concours complémentaire de 2018 installés en juridiction le 16 septembre 2019.

Pour les magistrats, le taux de vacances s'établissait à 5,18 % au 1er octobre 2017 et à 2,89 % le 1er octobre 2018. Il est de 0,52 % le 1er octobre 2019. Afin de limiter le turn-over, des incitations ont été mises en place pour que les jeunes magistrats restent au moins deux à trois ans dans leur premier poste.

Christine Lavarde, la fusion TGI/TI s'est faite à coût constant. Il s'agit d'une simple rationalisation de l'organisation fonctionnelle des tribunaux. Tous les lieux de justice ont été maintenus, conformément à l'engagement de la garde des sceaux.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je voudrais revenir un instant sur le palais de justice historique qui se trouve dans la capitale : on trouve sur l'île de la Cité les motos de la préfecture de police. Je ne suis pas certain qu'il s'agisse du meilleur lieu de stationnement eu égard aux millions de touristes qui visitent ce lieu.

En outre, tous les locaux du tribunal ayant été libérés au sein du palais, ne serait-ce pas l'occasion de mieux accueillir les touristes qui visitent la Sainte-Chapelle ou la Conciergerie ? La gestion des locaux par l'administration est parfois assez aberrante.

M. Thierry Carcenac. - Une réunion interministérielle a eu lieu sur ce sujet : tous les locaux seront réoccupés par la justice, la culture et l'intérieur. On a retenu une base de 100 millions d'euros pour les premiers travaux, mais la somme finale pourrait être dix fois plus importante...

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial. - Il est assez inédit d'apprendre par la presse des suppressions de pôles d'instruction en fonction des résultats électoraux, raison pour laquelle je ne suis pas favorable à l'adoption de ces crédits.

La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Justice ».

La réunion est close à 16 h 50.

Mercredi 30 octobre 2019

- Présidence de M. Vincent Éblé, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Défense » - Examen du rapport spécial

M. Vincent Éblé, président. - Nous entamons notre réunion de ce matin par l'examen des crédits de la mission « Défense » pour 2020. Je salue la présence parmi nous de notre collègue Gilbert Roger, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial des crédits de la mission « Défense ». - Ce projet de budget est conforme à la loi de programmation militaire (LPM) : il progresse de 1,7 milliard d'euros en crédits de paiement, à quelques ajustements près.

Les principales évolutions viennent de la contractualisation de nombreuses opérations d'armement, comme le système de combat aérien du futur (SCAF), inscrit pour 1,4 milliard d'euros en autorisations d'engagement, ou la poursuite de la modernisation de la dissuasion avec 3,8 milliards d'euros de crédits dédiés.

La diminution des crédits du programme 212 « Soutien de la politique de défense » s'explique par la mise en oeuvre d'une nouvelle organisation budgétaire qui se traduit par le transfert au programme 146 « Équipement des forces » des crédits des programmes majeurs d'infrastructure adossés aux programmes d'armement et au programme 178 « Préparation et emploi des forces » des crédits destinés aux infrastructures à caractère opérationnel.

D'un strict point de vue budgétaire, nous ne pouvons que nous féliciter du respect de la programmation. Pour autant, ce budget répond-il aux besoins des armées ?

Quelques points de vigilance méritent d'être soulignés.

Les autorisations d'engagement de la mission connaîtront une progression très significative de près de 20 %, soit une hausse de 10,9 milliards d'euros par rapport à 2018. Cette forte progression est une bonne nouvelle. Toutefois, comme nous avions eu l'occasion de le souligner, elle illustre la fragilité de la LPM qui renvoie à une prochaine mandature, c'est-à-dire après 2022, la progression la plus importante des crédits de paiement et donc le financement de décisions prises sous celle-ci. Nous aurions préféré une montée en puissance plus linéaire. Il s'ensuit que le ratio de couverture des autorisations d'engagement par les crédits de paiement se dégrade de dix points entre 2019 et 2020, passant de 0,81 à 0,71.

Par ailleurs, la question de la remontée en puissance des effectifs sous le double effet des difficultés de recrutement et de la fidélisation des personnels reste une préoccupation. La mise en place d'une nouvelle politique de rémunération et d'une réforme du ministère pour améliorer la productivité n'épuise pas le sujet.

La mise en oeuvre, en 2019, de la prime de lien au service (PLS), abondée à hauteur de 12 millions d'euros en 2020, constitue une innovation bienvenue, spécifiquement créée pour faire face à ces difficultés, même si les premiers résultats semblent contrastés en fonction des spécialités. La question de la fidélisation doit inévitablement être replacée dans le contexte plus large de l'amélioration générale de la condition militaire. La revalorisation indiciaire, comme la réforme du système de retraite, est devant nous.

Le maintien en condition opérationnelle (MCO) demeure également un sujet, malgré la réforme de la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) et la mise en place de contrats dits « verticalisés ». La baisse des crédits de l'entretien programmé au profit de la régénération, avec l'arrivée de nouveaux matériels, fragilise la situation : tout retard de livraison ou toute intervention rendue nécessaire et non programmée se traduira par une détérioration du MCO.

Je voudrais également exprimer une inquiétude sur la fin de gestion. Nous arrivons à un paradoxe : sous le précédent gouvernement, nous avions une loi de finances initiale totalement insincère avec, entre autres, une sous-provision des opérations extérieures (OPEX). Ces errements étaient corrigés en fin de gestion via la solidarité interministérielle. Désormais, nous avons une loi de finances apparemment sincère avec une meilleure prise en compte des OPEX, mais une fin de gestion qui affecte l'exécution en laissant au ministère des armées le soin de prendre sur sa substance le surcoût des OPEX, en totale contradiction avec l'article 4 de la LPM, et en retardant le dégel des crédits d'investissement au risque de ne pas permettre leur engagement.

Je vous proposerai donc, malgré un sentiment général favorable, de réserver notre vote sur ce budget en fonction des annonces que doit faire le Gouvernement sur la fin de gestion. L'impasse s'élève tout de même à 600 millions d'euros, dont la moitié pour les OPEX et le reste au titre des gels. Certains nous expliqueront que cela ne représente que six jours de fonctionnement... Mais, comme me le faisait remarquer un haut gradé, encore faudrait-il nous dire quels sont les jours supprimés et à quel endroit !

La commission des affaires étrangères et de la défense est certainement plus compétente que votre rapporteur spécial pour apprécier la situation internationale. Je me permets toutefois de souligner deux fragilités.

Premièrement, le SCAF repose sur la coopération franco-allemande. Or, si la volonté politique semble au rendez-vous, le dossier est loin d'être bouclé sur le plan industriel. Le parlement allemand doit être consulté. Il ne donnera son feu vert que si les industriels estiment que leurs intérêts sont suffisamment pris en compte. Tout retard dans le projet aurait des conséquences graves sur la régénération de nos matériels et décalerait d'autant des programmes aussi importants que celui du successeur du porte-avions Charles de Gaulle. Par ailleurs, une approche exclusivement industrielle, qui reposerait sur la seule exigence de « servir » les différents constructeurs, conduirait à reproduire les déboires que nous avons connus avec certains hélicoptères ou le A400M.

Deuxièmement, la crise autour des Kurdes et de la Syrie, avec le retrait des États-Unis, l'engagement de la Turquie et la médiation russe ne peuvent que poser la question du jeu des alliances au sein de l'OTAN, rendant encore plus nécessaire une coopération au sein de l'Union européenne dont plusieurs membres continuent de préférer le matériel américain aux matériels européens - et ce, surtout quand les États-Unis conditionnent leur soutien à l'acquisition de leurs armes... À terme, ce n'est plus seulement notre industrie de la défense qui est remise en question, mais bien notre souveraineté nationale.

Je voudrais enfin souligner l'absence d'inscription budgétaire spécifique pour le service national universel (SNU). Le ministère a formé des cadres et continuera de le faire en 2019 et en 2020, notamment pour la journée de défense et de mémoire. Toutes choses égales par ailleurs, il semble que le financement du SNU pourra passer dans l'épaisseur du trait en 2020 ; la question se posera véritablement en 2021.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Je voudrais tout d'abord remercier Dominique de Legge pour cette synthèse très claire. Je partage ses interrogations sur le SNU : si on décide de le faire, encore faut-il s'en donner les moyens.

Le produit des cessions immobilières doit normalement abonder le budget de la défense. Qu'en est-il des grandes opérations ? Je pense notamment à celle de l'îlot Saint-Germain dont la valorisation peut être très élevée. Des décotes sont-elles prévues pour transformer ces bâtiments en logements sociaux ? La défense récupérera-t-elle des ressources importantes au titre de ses cessions immobilières ?

M. Gilbert Roger, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères et de la défense sur les crédits du programme 212 « Soutien de la politique de défense » de la mission « Défense ». - Le SNU constitue effectivement une inquiétude : nous ne voudrions pas voir arriver dans le budget de la défense tout ou partie de ce programme dont personne n'arrive à nous préciser le contenu.

En ce qui concerne l'industrie de défense européenne, on ne cesse de souligner la grande amitié franco-allemande. Pour autant, elle ne se concrétise toujours pas dans la réalisation de matériels européens.

Les produits de cessions des programmes immobiliers vont bien au budget de la défense. J'ai moi-même beaucoup critiqué la vente de l'îlot Saint-Germain. Nous sommes très attentifs au devenir du Val-de-Grâce qui devrait rester dans le patrimoine de la défense jusqu'à la fin des Jeux Olympiques. Nous ignorons encore tout du futur bénéficiaire de cette emprise. Il nous semble important de pouvoir continuer à loger des militaires dans Paris intra-muros, ce qui n'a pas l'air d'être du goût de tout le monde.

M. Antoine Lefèvre. - Depuis 2010, une importante restructuration du service de santé des armées est en oeuvre. Les effectifs et les bâtiments dédiés ont fortement diminué. On en vient à parler maintenant de problèmes de sous-effectifs. Ce service peut-il encore assurer de manière satisfaisante ses missions ?

Selon le Haut Comité d'évaluation de la condition militaire, la question du logement était une source d'insatisfaction pour les trois armées en 2018. Il s'agit d'un enjeu extrêmement sensible qui concerne 14 000 logements sur l'ensemble du territoire. Une externalisation de la gestion du parc domanial de l'armée avait été envisagée. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Mme Nathalie Goulet. - Il est beaucoup question de la suspension ou de l'annulation de contrats de vente d'armes à l'étranger, notamment avec l'Arabie saoudite et la Turquie. Sommes-nous capables d'absorber la perte desdits contrats ?

Mme Sylvie Vermeillet. - Les annonces du Président de la République et du Premier ministre et les préconisations du Haut-Commissaire aux retraites sont-elles de nature à rassurer les militaires ? Observe-t-on d'ores et déjà des difficultés de recrutement en raison de cette réforme encore bancale ?

M. Jean-Claude Requier. - Le C-130 Hercules est un vieil avion américain. Je pensais qu'il était en fin de vie, mais je constate que ce n'est pas le cas. Pourriez-vous nous en dire plus ? Par ailleurs, en ce qui concerne le A400M, vous soulignez l'absence de transmission de « liasses » au Service industriel de l'aéronautique (SIAé). Il me semble que ce programme a pris beaucoup de retard. Pourriez-vous nous en expliquer les raisons ?

M. Marc Laménie. - A-t-on une idée du nombre de militaires affectés aux opérations Sentinelle et du coût que cela représente ?

Comment se répartit la forte augmentation de plus de 10 milliards d'euros en autorisations d'engagement du programme 146 « Équipement des forces » ?

M. Roger Karoutchi. - Une partie du Val-de-Grâce est en train de se dégrader considérablement. Je ne comprends pas bien l'objectif du ministère des armées. Les crédits affectés à la rénovation des hôpitaux de Percy et de Bégin devaient être compensés par la vente du Val-de-Grâce. Si nous laissons traîner les choses jusqu'après la fin des Jeux Olympiques, nous aurons payé ces rénovations sans nous appuyer sur le produit de cette vente.

Lorsque la caserne Reuilly-Diderot a été désaffectée, le ministère des armées et la ville de Paris ont refusé un grand projet immobilier pour loger des militaires. Je me demande s'il existe une réelle politique de logement des militaires dans Paris ou à proximité.

Ne sommes-nous pas en train de perdre beaucoup de temps et donc d'argent avec le Val-de-Grâce ? Plus le temps passe, plus les frais de rénovation et d'entretien seront considérables. Il ne s'agit pas seulement de bâtiments, mais d'espaces verts très importants aujourd'hui laissés à l'abandon.

M. Jean-François Rapin. - Dominique de Legge a également été rapporteur d'une mission de contrôle sur le maintien en condition opérationnelle des hélicoptères des armées. Nous avons participé ensemble à une mission commune d'information sur le sauvetage en mer. À cette occasion, nous avons pu constater combien la déficience du matériel volant était importante. Où en est-on ? Des crédits spécifiques ont-ils été débloqués ? Cette question nous avait particulièrement inquiétés lors de la présentation du rapport de la mission commune d'information.

M. Thierry Carcenac. - La nouvelle secrétaire générale pour l'administration du ministère des armées, Mme Saurat, est également l'ancienne directrice de l'immobilier de l'État. Je m'inquiète donc de l'évolution du compte d'affectation spéciale (CAS) « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », notamment au regard des cessions et je partage les observations de Roger Karoutchi sur le devenir du Val-de-Grâce : reporter à 2024 les décisions pose un réel problème.

Depuis le début de l'examen des différentes missions par nos rapporteurs spéciaux, nous constatons que des travaux sont confiés au CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'État » en les gageant sur des cessions futures. Or, de telles promesses ont déjà été faites pour le budget de l'Élysée, pour la justice et maintenant pour la défense. Ce CAS représente des soldes dérisoires au regard de l'ensemble du patrimoine immobilier de l'État dont sont en charge près de 11 000 fonctionnaires... Chaque ministère gère son patrimoine de manière verticale. C'est un vrai problème.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - C'est un scandale : l'État ne connaît pas l'étendue de son patrimoine immobilier, ne consacre aucun moyen à son entretien et parvient à céder des immeubles qu'il rachète ensuite plus cher - souvenez-vous de l'Imprimerie nationale !

M. Jérôme Bascher. - Les crédits alloués aux cybercombattants et aux satellites militaires, dont Gérard Longuet a souligné l'importance dans son rapport fait au nom de la commission d'enquête sur la souveraineté numérique, sont-ils bien identifiés ?

M. Rémi Féraud. - Ce budget s'inscrit dans le rythme prévu par la LPM. C'est heureux, car les premières années constituent souvent les plus petites marches. Les plus hautes seront en fin de processus, après l'élection présidentielle...

Attendre 2024 pour commencer à réfléchir à un nouveau projet pour le Val-de-Grâce me semble particulièrement long. Mais une véritable réflexion est-elle menée ? La fermeture de cet hôpital, dont la dimension symbolique était très forte, a suscité beaucoup d'émotion chez les Parisiens.

L'année dernière, monsieur le rapporteur spécial, vous vous étiez réjoui de la montée en puissance du plan famille, tout en soulignant l'importance de sanctuariser ces crédits. Qu'en est-il dans ce projet de budget ?

M. Sébastien Meurant. - Le taux d'activité des personnels navigants de l'armée de l'air s'est-il amélioré ? L'entraînement des personnels est-il monté au niveau des standards réclamés par l'armée de l'air et nos alliés de l'OTAN ? Le budget traduit-il une réelle volonté d'améliorer la fidélisation du personnel formé ?

M. Claude Raynal. - Vous soulignez le peu d'amélioration en termes de disponibilité des équipements militaires, ainsi que la baisse des crédits d'entretien. J'aimerais connaitre votre position sur cette question.

En ce qui concerne l'A400M, vous employez des termes très diplomatiques : vous faites état d'une « disponibilité limitée », d'une coopération avec l'industriel « perfectible ». Pouvez-vous être plus précis, quitte à employer un langage plus militaire ?

Pouvez-vous nous dire quelques mots du futur commandement militaire de l'espace qui devrait être basé à Toulouse ? De premiers éléments budgétaires figurent-ils déjà dans le projet de loi de finances ?

M. Philippe Dallier. - Qu'en est-il réellement du respect de la LPM ? Je finis par m'y perdre. Certains de nos collègues ont l'air de dire qu'elle est respectée, mais il me semble, par exemple, que les OPEX ne devaient pas être financées uniquement par le ministère des armées. Pourriez-vous clarifier ce point ?

Comme Claude Raynal, je m'interroge sur les problèmes de disponibilité des matériels, notamment pour l'armée de l'air. Nous en sommes toujours au strict minimum en termes d'heures de vol. Les crédits supplémentaires qui ont été évoqués semblent n'avoir aucune traduction concrète.

M. Gérard Longuet. - Dans votre rapport, vous évoquez des perspectives d'amélioration en ce qui concerne la fidélisation des personnels des armées. Quel est votre sentiment personnel sur cette question ? Quel est le taux de candidats par rapport aux postes offerts ? Enfin, qu'en est-il de la succession du logiciel Louvois ?

M. Emmanuel Capus. - Le contexte international évolue à toute vitesse. Qui pensait, voilà quelques semaines, que les États-Unis quitteraient la Syrie, laissant le champ libre à la Russie ?

Je me félicite de cette LPM extrêmement ambitieuse qui nous permet de rattraper les retards cumulés par tous les gouvernements précédents. Cela étant dit, dans ce contexte de sortie du multilatéralisme, est-elle encore assez ambitieuse pour maintenir un système d'armée complet ? Comme vous le soulignez dans votre rapport, nous ne sommes pas capables de mener une action autonome en Syrie sans les Américains. Devons-nous revoir encore à la hausse nos ambitions, notamment à l'échelle européenne ? La LPM permet-elle de disposer des nouveaux matériels Scorpion dans les délais et en quantité suffisante ? A-t-on les moyens de fidéliser nos militaires ? Je pense notamment aux métiers les plus techniques.

M. Alain Houpert. - Peut-on parler d'une armée de l'avenir face au désengagement de l'État ? En Bourgogne, nous avons perdu la mythique base aérienne 102. On a coupé les ailes des Chevaliers du ciel ! Au regard des opérations Sentinelle et du service national universel, le désengagement de l'État en matière immobilière me semble contra-cyclique. Où va-t-on loger tous ces gens ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Y a-t-il une politique immobilière des armées ? Certainement pas. Y en a-t-il une de l'État ? J'en doute. L'évolution du discours à propos du Val-de-Grâce me semble assez emblématique de cette absence de politique.

Il y a trois ans était annoncée la vente de l'îlot Saint-Germain et du Val-de-Grâce. L'îlot a bien été vendu - je vous renvoie à mon rapport - et le ministère de la défense peut disposer de ces fonds. Nous avons été nombreux ici, comme à la commission des affaires étrangères, à souligner combien il serait important de conserver au moins un site à Paris pour héberger les militaires. On nous a alors opposé l'équilibre du budget de la défense. Lors de son audition, la semaine dernière, Mme Saurat n'a pas parlé de vente du Val-de-Grâce. Nous en avons besoin pour héberger, dans de mauvaises conditions, les militaires concernés. La décision finale est donc renvoyée à la fin des jeux Olympiques : l'État n'a plus de projet. Roger Karoutchi a raison, il est temps de prendre position. Il n'y a rien d'infamant à reconnaitre que l'on s'est trompé. Il devient urgent de réaliser les travaux nécessaires pour héberger nos militaires.

Antoine Lefèvre, les personnels du service de santé des armées bénéficieront de la prime de lien au service. Cela sera-t-il suffisant ? Je crains que non. On ne pourra échapper, à un moment ou à un autre, à la question de la revalorisation indiciaire pour un certain nombre de métiers en tension.

En ce qui concerne les retraites des militaires, pour répondre à Sylvie Vermeillet, le président de la République a déclaré qu'elles feraient l'objet d'un traitement particulier dont on ignore encore tout, ce qui ne cesse d'alimenter les inquiétudes. Il s'agit pourtant d'une situation doublement particulière : on a tendance à assimiler les militaires à la fonction publique, alors que plus de la moitié d'entre eux sont des contractuels. De plus, on ne peut à la fois vouloir une armée jeune et professionnelle et ne pas permettre à ceux qui ne sont plus tout à fait jeunes ni en état d'exercer leur métier de bénéficier, sinon d'une retraite, du moins d'un salaire différé lié à l'engagement demandé durant les vingt meilleures années de leur vie. Sans vouloir tomber dans la spécificité d'une profession que j'aime et que je défends, il me semble que la question de la retraite des militaires est directement liée à celle de notre souveraineté nationale et de notre capacité à disposer d'une armée de métier opérationnelle.

Beaucoup d'entre vous ont évoqué la question de l'amélioration du MCO. Les effets des politiques engagées se font attendre, mais il est vrai qu'il est difficile de rattraper autant de retard. Faut-il s'inquiéter de la diminution des crédits fléchés pour l'entretien programmé du matériel ? En 2015, il s'agissait d'un pic et donc d'une situation exceptionnelle. Les livraisons de matériels neufs doivent être plus fréquentes pour faire baisser nos besoins d'entretien programmé. Si ces livraisons prennent du retard, il faudra faire davantage appel à du matériel usagé que nous ne pourrons plus entretenir. Préférer le matériel neuf peut sembler de bonne gestion budgétaire, mais encore faut-il bien tenir compte de l'intensité de nos engagements et de la situation extrêmement fragile dans laquelle nous sommes. Il s'agit d'un point d'inquiétude réel.

En ce qui concerne le SNU, 30 millions d'euros ont été ajoutés aux crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative ». Le ministère des armées pourra-t-il se faire rembourser les frais engagés ? J'ai posé la question ; la réponse m'a laissé perplexe. Le sujet ne se posera vraiment qu'en 2021.

Les prévisions ne sont pas trop mauvaises sur le A400M, non plus que sur les hélicoptères. Pour ce qui est du A400M, les difficultés sont de deux natures : lorsqu'un projet industriel réunit quatre pays ayant chacun des entreprises différentes, il faut prendre garde à ce qu'elles ne se renvoient pas les responsabilités en cas de difficulté lors de l'assemblage. C'est la raison pour laquelle il peut être pertinent de recourir à des contrats verticalisés. Le taux de disponibilité de l'A400M, de l'ordre de 50 %, n'est pas bon et doit s'améliorer. Les « liasses » que je mentionnais sont en fait des modes d'emploi. Airbus a tendance à ne pas les livrer pour justifier le fait qu'elle seule peut entretenir ce matériel. On pourrait le comprendre s'il s'agissait d'un produit totalement nouveau, encore en phase de mise au point, mais, en l'occurrence, il est indispensable que la direction de la maintenance aéronautique puisse disposer désormais de ces documents nécessaires à l'entretien.

Marc Laménie, le nombre de militaires susceptibles d'être mobilisées dans le cadre de l'opération Sentinelle s'élève à 10 000. En ce qui concerne notre capacité de recrutement, nous parvenons à recruter à peu près le nombre de personnes souhaité, mais beaucoup de jeunes ne terminent pas leur formation ou quittent l'armée très vite après leur formation. D'où la prime de lien au service pour tenter de fidéliser les recrues.

Je vous rassure, ce budget comporte bien les crédits du plan famille. Le taux d'activité des personnels navigants figure dans mon rapport ; il est évidemment étroitement lié au taux de maintien en condition opérationnelle des appareils, car il est difficile de s'entraîner si l'on ne dispose pas d'appareil en état de voler !

Le programme Louvois est mort, remplacé par Source Solde, dont les premiers essais dans la marine nationale semblent bien se passer.

Emmanuel Capus, vous m'avez interrogé sur la situation internationale. Elle est complexe. La Turquie fait partie de l'OTAN, mais on ne peut pas vraiment dire qu'elle agisse comme un allié. La Russie est sur place et sert de médiateur tandis que les États-Unis se retirent. Pendant ce temps, on tient de beaux discours sur l'Europe de la défense, mais cela n'a pas grand sens, car seules la France et la Grande-Bretagne disposent d'armées de projection et les règles d'engagement des autres pays européens ne sont pas les mêmes que les nôtres. Le président de la République est le seul dirigeant à pouvoir engager ses troupes sans demander l'autorisation de son Parlement. Dès lors, une coopération opérationnelle semble difficile à envisager. On peut envisager, en revanche, une coopération industrielle. Encore faudrait-il toutefois que nos partenaires veuillent bien acheter du matériel européen, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. L'Allemagne semble prête à travailler avec nous, d'autant plus si ses industries fabriquent les matériels que nous lui achèterons...

M. Vincent Éblé. - Quelle est votre proposition de vote ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Mon avis est plutôt favorable, car ce projet de budget est en conformité avec la loi de programmation militaire. Toutefois, vous avez été nombreux à souligner vos inquiétudes sur la fin de gestion. C'est pourquoi je vous propose de réserver notre vote en attendant les annonces du Gouvernement lors de la présentation du projet de loi de finances rectificative qui devrait être examiné par le Conseil des ministres très prochainement.

La commission décide de proposer au Sénat de réserver son vote sur les crédits de la mission « Défense ».

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Outre-mer » - Examen du rapport spécial

M. Vincent Éblé, président. - Nous examinons désormais les crédits de la mission « Outre-mer ». Je salue la présence de M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois.

M. Nuihau Laurey, rapporteur spécial des crédits de la mission « Outre-mer ». - La mission « Outre-mer » comprend l'ensemble des interventions spécifiques de l'État dans les collectivités d'outre-mer. Elles s'élèvent à 2 555,9 millions d'euros en crédits de paiement (CP) et à 2 409,5 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE).

Ces interventions représentent à peu près 11,6 % de l'ensemble des crédits budgétaires octroyés cette année à l'outre-mer, à côté des 29 autres missions totalisant 90 programmes, auxquelles il convient, par exhaustivité, de rajouter les dépenses fiscales pour un montant de 4,5 milliards d'euros, soit une contribution totale de l'État de 26,55 milliards d'euros en AE et de 26 milliards d'euros en CP aux collectivités d'outre-mer. Ce budget ne diffère pas grandement des précédents, avec son lot de mesures de périmètre et sa tendance générale baissière sur le long terme, avec cette année une baisse des crédits de 6,5 % en CP et 4 % en AE. La mission fait ainsi l'objet de deux grandes mesures de périmètre et de transferts : le prélèvement sur recettes au bénéfice de la collectivité territoriale de Guyane (CTG), relatif à l'octroi de mer, est réintégré dans l'enveloppe de la mission pour un montant de 27 millions d'euros, alors que la dotation globale d'autonomie de la Polynésie française est pour sa part transformée en prélèvement sur recettes à compter de l'exercice 2020, pour 90 millions d'euros.

En tenant compte de ces mouvements, les crédits alloués à la mission s'avèrent, à périmètre constant, en baisse de 1,3 % en AE et de 3,9 % en CP par rapport à 2019. La mission comprend deux volets, le programme 123 pour les crédits relatifs aux dispositifs permettant l'amélioration des conditions de vie en outre-mer et le programme 138 pour les mesures destinées à favoriser l'emploi.

Je laisserai à mon collègue Georges Patient le soin de présenter les mesures relatives à l'emploi et présenterai pour ma part le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », qui totalise 808,9 millions d'euros de crédits en AE et 659,2 millions d'euros en CP.

Il convient de noter que la baisse globale du budget évoquée précédemment se retrouve mécaniquement dans l'évolution budgétaire du programme « Conditions de vie outre-mer » avec une baisse particulièrement marquée.

Dans le domaine du logement tout d'abord, qui représente près de 29 % des crédits de paiement du programme, où nous indiquons chaque année que les moyens mis en oeuvre restent largement inférieurs aux besoins exprimés par tous les acteurs publics ou privés, nous notons pour 2020 une baisse particulièrement importante des crédits alloués, de plus de 3 % en AE et de plus de 13 % en CP. Ces crédits s'avèrent malheureusement en baisse chaque année depuis 2014, avec en 2020 un plus bas historique sur les dix dernières années, alors que le déficit de logements est de plus en plus criant dans tous les territoires.

S'agissant des crédits relatifs à l'aménagement du territoire, on note une hausse des AE de plus de 6 % et une baisse des CP de 7 %.

Derrière cette évolution divergente, nous trouvons en réalité le mécanisme de substitution des contrats de développement et des contrats de projets en cours dans les différentes collectivités par les contrats de convergence et de transformation prévus par la loi sur l'égalité réelle outre-mer (EROM) promulguée en février 2017. Il s'agit de sa troisième année de mise en oeuvre, avec des crédits alloués en hausse de 10 millions d'euros pour 2020 - je rappelle à ce propos que la hausse annoncée en 2018 dans le projet de loi de finances pour 2019 s'était élevée à 23 millions d'euros. Nous ne pouvons donc que faire le constat d'une montée en puissance très modeste de ces plans de convergence conçus pour réduire les écarts de développement constatés entre l'outre-mer et l'hexagone.

Quelques points positifs ont aussi attiré notre attention.

En matière de relance de l'activité économique, nous notons avec satisfaction le maintien, en 2020, du Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) à 110 millions d'euros en AE. Je rappelle qu'en 2019 le Gouvernement avait demandé la suppression de 170 millions d'euros de dépenses fiscales en outre-mer. En contrepartie, il s'était engagé à utiliser les gains budgétaires dégagés à l'abondement de ce fonds destiné à soutenir le développement économique. Ce choix était justifié par le caractère plus « pilotable » des dépenses budgétaires qui permettent un meilleur ciblage que la dépense fiscale. Il n'offre cependant aucune garantie quant à leur pérennité.

Comme pour d'autres missions, la question de l'efficacité de la conversion des dépenses fiscales en dépenses budgétaires se posera, sachant que la réponse ne pourra être pleinement appréciée que dans la durée et en prenant en compte l'ensemble des crédits de la mission. Il est important de le rappeler, car certaines dépenses qui n'avaient pas fait l'objet d'engagements gouvernementaux font l'objet d'importantes baisses. C'est le cas des dépenses en faveur du logement ou encore de la participation de l'État au financement du régime de solidarité de la Polynésie française (RSPF) qui est supprimée dans l'attente de la mise en oeuvre de nouvelles mesures faisant suite à une mission diligentée par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en 2018-2019. Il aurait été, à notre sens, préférable de les maintenir en attendant la mise en oeuvre effective de ces mesures de substitution.

Les crédits de la mission « Outre-mer » ne peuvent que faire l'objet d'appréciations générales nuancées, compte tenu de la diversité des collectivités auxquels ils sont destinés. L'État intervient ainsi aussi bien à Mayotte, marquée par une immigration clandestine massive, que dans les Antilles, touchées par des fléaux sanitaires comme le chlordécone ou les sargasses, ou encore en Polynésie française, collectivité qui doit gérer les conséquences du passé nucléaire qu'elle a subies, ou dans une collectivité où se pose la question de son avenir institutionnel.

Chaque élu d'outre-mer aura donc sa propre vision de ce budget, d'où la difficulté de le synthétiser. Cependant, en tenant compte de ces éléments de prudence nécessaires à une appréciation mesurée de ce budget, deux faits nous conduisent à une extrême réserve.

Premièrement, force est d'abord de constater qu'il s'avère en baisse, aussi bien en AE, avec une baisse de 1,3 %, qu'en CP avec une baisse de 4 %, après prise en compte des mesures de périmètre, cela en contradiction avec les engagements répétés du Gouvernement en faveur des outre-mer.

Deuxièmement, ce budget créé une véritable déception au regard des attentes légitimes engendrées par l'adoption à l'unanimité de la loi pour l'égalité réelle en outre-mer promulguée le 28 février 2017. Cette loi faisait le juste constat d'un écart de développement particulièrement important entre les collectivités métropolitaines et celles d'outre-mer, sur la base de nombreux indicateurs, tels le PIB par habitant ou l'indice de développement humain.

Ces écarts de développement résultent de problématiques insulaires connues depuis longtemps : la petite taille des marchés économiques, les coûts d'éloignement et de dispersion, la concurrence limitée dans de nombreux secteurs, le sous-emploi ou encore le manque de qualification, avec des taux de chômage oscillant entre 17,7 % pour la Martinique et 35,1 % pour Mayotte, contre une moyenne nationale de 9,1 %.

Cette loi proposait de prendre à bras-le-corps ces difficultés en prévoyant des moyens importants pour résorber sur le long terme ces écarts, dans le cadre de contrats de convergence propres à chaque territoire et tenant compte des spécificités de chaque territoire. En réalité, cet engagement de la loi n'est pas tenu, puisque les crédits consacrés à ces contrats de convergence et de transformation viennent en substitution des contrats de projets ou de développement qui existaient déjà. Si le nom des contrats a changé, les crédits n'ont pas augmenté, ceux de la mission ont même diminué, et l'écart de développement que l'on constate depuis plusieurs décennies restera probablement le même à long terme. Le constat tiré en 2017 risque donc d'être le même en 2027 si un redimensionnement de l'accompagnement des outre-mer n'est pas clairement acté...

Compte tenu de ces éléments, je proposerai à la commission d'émettre un avis de sagesse sur les crédits de la mission « Outre-mer ».

M. Georges Patient, rapporteur spécial de la mission « Outre-mer ». - Les crédits de la mission « Outre-mer » ne s'élèvent qu'à 2,5 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). C'est l'une des plus petites missions du budget de l'État, mais ses crédits ne retracent que 12 % de l'effort total de l'État en faveur des outre-mer, estimé à 22,05 milliards d'euros en AE et 21,5 milliards d'euros en CP, portés par 90 programmes relevant de 30 missions. Les dépenses fiscales étant estimées à 4,5 milliards d'euros, l'effort total de l'État devrait s'élever à 26,55 milliards d'euros en AE et 26 milliards d'euros en CP en 2020.

Les principales missions concernées sont la mission « Enseignement scolaire », qui porte 24,8 % de l'effort de l'État en faveur de l'outre-mer, la mission « Gestion des finances publiques », avec 15,3 %, la mission « Outre-mer », avec 12 %, la mission « Relations avec les collectivités territoriales », avec 10 % et la mission « Écologie, développement et mobilités durables », avec 8 %.

Hors dépenses de personnel, les missions « Enseignement scolaire » et « Écologie » connaissent les hausses les plus importantes en valeur absolue tandis que la mission « Outre-mer » connaît la plus forte diminution en valeur absolue, avec une baisse de 105,5 millions d'euros entre 2019 et 2020. Cette baisse me paraît regrettable dans la mesure où cette mission a vocation à favoriser le rattrapage des territoires ultramarins. La situation économique des outre-mer apparaît en effet bien plus défavorable qu'en métropole.

La situation en matière de chômage est révélatrice. Le taux de chômage atteignait ainsi, en 2018, 35 % à Mayotte, 24 % à La Réunion et 23 % en Guadeloupe : c'est toujours plus du double que dans l'Hexagone. L'Insee a récemment relevé que les cinq DOM faisaient partie des 10 % des régions européennes les plus touchées par le chômage. En particulier, le taux de chômage à Mayotte - 30 % - est le plus élevé de toute l'Union européenne.

Le programme 138 « Emploi outre-mer » rassemble les crédits visant à lutter contre ces forts taux de chômage. Plus spécifiquement, il comporte les crédits visant à compenser aux organismes de sécurité sociale les exonérations spécifiques de cotisations patronales. En 2019, le dispositif d'allègements et d'exonérations de charges patronales dans les outre-mer a été modifié afin de répondre entièrement aux dispositions de l'article 86 de la loi de finances pour 2018 qui a acté la suppression du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) au 1er janvier 2019.

Cette réforme avait entraîné, en 2019, une augmentation de plus de 42 % des crédits affectés à la compensation de ces exonérations de charges. Ces derniers subissent, en 2020, une baisse de 2,3 %, mais il semblerait que cette baisse soit purement technique, liée à la fiabilisation en cours des prévisions de compensation par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).

Sur le fond, je tiens à dire que les nouveaux paramètres du régime issu de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 n'ont pas pleinement compensé les effets de la suppression du CICE. Au total, la perte nette pour les territoires ultramarins pourrait être de l'ordre de 60 millions d'euros pour l'année 2019, selon les estimations de la Fédération des entreprises d'outre-mer (Fédom). Je relève toutefois que le Gouvernement s'est montré réactif lors du débat sur le PLFSS à l'Assemblée nationale. Deux amendements ont été adoptés le 23 octobre dernier qui ont intégré la presse dans le régime dit de « compétitivité renforcée » et modifié les seuils d'entrée dans ce régime. De même, dans l'aérien, les cotisations de retraite complémentaire seront prises en compte dans le calcul des allégements généraux. Ces mesures permettront de récupérer 35 millions d'euros. Il nous appartiendra au Sénat de déposer des amendements pour relever le seuil de sortie à trois fois le niveau du SMIC, notamment en faveur des entreprises guyanaises qui sont les plus pénalisées dans cette affaire.

Le programme 138 finance également les crédits du service militaire adapté (SMA), qui constitue un dispositif efficace d'insertion socioprofessionnelle des jeunes ultramarins puisque 82 % des 6 000 jeunes qui y ont été accueillis se sont retrouvés insérés à l'issue de leur parcours de formation. En 2020, commencera la mise en place du plan « SMA 2025 » qui vise à renforcer l'encadrement et à améliorer l'adéquation entre l'offre du SMA et les besoins géographiques, conformément aux préconisations du contrôle budgétaire que nous avions réalisé en 2019 avec Nuihau Laurey. Ainsi l'encadrement augmentera, avec le recrutement de 135 équivalents temps plein sur le quinquennat, dont 35 en 2020. L'objectif fixé par le Gouvernement est un taux d'encadrement de 16,3 % en 2022, contre 15,6 % en 2018, mais 22 % en 2010.

Avant de conclure, je voudrais également vous faire part de ma désapprobation concernant la suppression du prélèvement sur recette (PSR) qui existe depuis 2017 au profit de la collectivité territoriale de Guyane. D'un montant de 27 millions d'euros, celui-ci a vocation à compenser les pertes de recettes résultant de la suppression de la part d'octroi de mer de la collectivité. Le Gouvernement souhaite transformer ce PSR en dotation budgétaire, dont le versement serait conditionné au respect d'une convention par la collectivité territoriale de Guyane. Cela pourrait mettre en danger les finances de cette collectivité. Je compte déposer un amendement pour maintenir ce dispositif.

En dépit de cette dernière remarque, je vous proposerai de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Outre-mer ».

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Votre rapport montre bien que le SMA est un outil très pertinent pour l'outre-mer.

J'ai une interrogation sur le logement. L'outre-mer cumule les handicaps, avec 60 000 demandes de logement non satisfaites et des coûts de construction souvent plus élevés qu'en métropole. Pourtant les crédits consacrés au logement sont en forte baisse et certains dispositifs fiscaux de soutien sont en voie d'extinction. Comment faire ? En outre, les normes de construction métropolitaines sont-elles adaptées à l'outre-mer ?

M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Outre-mer ». - Je tiens à remercier nos deux rapporteurs spéciaux pour leur présentation détaillée. Je m'en inspirerai dans mon avis budgétaire.

Je voudrais aussi attirer votre attention sur la sous-consommation des crédits dans certains territoires, notamment à Mayotte.

L'architecture du budget ne permet pas d'identifier clairement les moyens consacrés à l'outre-mer. La mission « Outre-mer » ne représente que 12 % de l'effort budgétaire, le reste étant porté par d'autres missions. Ne faudrait-il pas modifier cette construction ? Si l'on estime que les collectivités d'outre-mer sont spécifiques et justifient l'existence d'une mission budgétaire ad hoc, il conviendrait de concentrer les moyens.

M. Philippe Dallier. - Les crédits consacrés au logement outre-mer échappent à la mission « Cohésion des territoires » et figurent sur la ligne budgétaire unique. Il en va de l'outre-mer comme de la métropole : plus les objectifs affichés sont ambitieux, plus on réduit les crédits... En 2018, la sous-exécution a été importante puisque seuls 71 % des crédits alloués ont été dépensés. Comment expliquer cette sous-consommation ? Est-ce dû à la disponibilité du foncier ?

M. Jean-François Rapin. - Les crédits du Fonds exceptionnel d'investissement sont maintenus. Toutefois si les critères d'attribution ne sont pas revus, le risque de sous-consommation est réel, car les collectivités n'ont pas les moyens d'investir davantage. Les critères changeront-ils ?

M. Jérôme Bascher. - La sous-consommation des crédits chaque année n'est-elle pas le signe que le budget de l'outre-mer est un budget d'affichage ? Ne faudrait-il pas revoir en profondeur le système, avec des crédits plus fongibles, pour améliorer l'exécution ?

M. Éric Bocquet. - Le Président de la République s'est rendu à Mayotte la semaine dernière : il a beaucoup été question de sécurité ou d'immigration, sujets certes importants, mais je n'ai pas entendu un mot sur la situation économique et sociale du département, où 84 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, où l'illettrisme concerne 42 % des adultes, où l'accès à l'eau courante est limité... Le projet de loi de finances comporte-t-il des mesures exceptionnelles pour faire face à cette situation exceptionnelle ? Le président de la République devrait s'inspirer du candidat Macron qui déclarait en juillet 2017 que le statu quo pour Mayotte était inenvisageable !

M. Marc Laménie. - La mission « Outre-mer » représente 12 % des crédits de l'État à destination des outre-mer, le reste étant ventilé entre différents programmes budgétaires. Comment peut-on évaluer la présence de l'État sur ces territoires confrontés à des difficultés sérieuses dans de nombreux domaines ? Peut-on aussi chiffrer la participation de l'Éducation nationale ? Un effort important s'impose si l'on veut que les jeunes maîtrisent les fondamentaux, la lecture, le calcul ou l'écriture. N'oublions pas la solidarité derrière la complexité des chiffres.

M. Julien Bargeton. - Il existe un document de politique transversale sur l'outre-mer qui récapitule toutes les actions engagées.

Faut-il réunir au sein d'une même mission budgétaire toutes les actions évoquées dans ce document ? Ou bien, à l'inverse, faut-il renoncer à cette mission « Outre-mer » en ventilant les crédits entre les différents ministères compétents ?

M. Nuihau Laurey, rapporteur spécial. - Il est vrai que les crédits en faveur du logement baissent significativement, y compris sur la ligne budgétaire unique comme l'a souligné Philippe Dallier. On a constaté une forte sous-exécution en particulier à la Réunion et en Guadeloupe. Les dépenses fiscales baissent et les dispositifs fiscaux de soutien, reposant sur une défiscalisation, sont réduits. La sous-exécution peut s'expliquer en partie par la multiplicité des normes, qui varient en fonction des lieux, ou par des problématiques foncières spécifiques à chaque territoire. Le FEI est un dispositif souple. Dans notre contrôle budgétaire, avec Georges Patient, nous avions montré toutes les possibilités qu'il offrait. Nous avons été suivis par le Gouvernement qui a abondé le fonds dès le projet de loi de finances pour 2019 afin d'améliorer l'exécution. Mais nous avons aussi constaté dans le passé de nombreuses sous-exécutions, pour des raisons propres à chaque territoire, et nous serons vigilants quant à l'utilisation de cette enveloppe. Celle-ci augmente grâce à la suppression de certaines dépenses fiscales. On comprend la logique du Gouvernement, qui souhaite un pilotage plus fin grâce à des crédits budgétaires plutôt que par des dépenses fiscales, mais rien ne l'empêchera de réduire à l'avenir les enveloppes si l'on constate des sous-exécutions.

L'architecture du budget de l'outre-mer est en débat. La mission ne représente que 12 % de l'intervention de l'État outre-mer. Cette présentation a des avantages et des inconvénients. Ainsi, cette année, certains prélèvements sur recettes en faveur de la Guyane sont transformés en dépenses budgétaires, alors que la Polynésie, à l'inverse, a souhaité transformer sa dotation budgétaire en prélèvement sur recettes... Au-delà de la problématique budgétaire se pose aussi la question de la capacité du ministère des outre-mer à répondre à des défis multiples et très différents selon les collectivités. La question du rattachement du ministère des outre-mer au ministère de l'intérieur a aussi été souvent évoquée pour renforcer la coordination sur ces sujets. Nous devrons trancher ces points, sinon ils se reposeront tous les ans.

Beaucoup ont été déçus après les espoirs suscités par la loi sur l'égalité réelle outre-mer, qui visait à résorber les écarts de développement entre collectivités par le biais de contrats de convergence. Mais ces contrats, en définitive, ne font pas l'objet d'une budgétisation spécifique : ils remplacent les contrats de projet et de développement qui arrivent à terme avec une enveloppe constante et tout l'effort de rattrapage annoncé dans la loi de programmation s'est noyé dans la gestion budgétaire annuelle. Si l'ambition portée par la loi sur l'égalité réelle outre-mer n'est pas réaffirmée, elle restera lettre morte.

M. Georges Patient, rapporteur spécial. - Si notre collègue Victorin Lurel était présent, il nous dirait que la sous-exécution des crédits est une astuce utilisée par le ministère... Quelle est la situation financière des collectivités d'outre-mer ? Avec un collègue député, je remettrai prochainement au Premier ministre une étude sur les finances locales des collectivités d'outre-mer. Leurs recettes sont insuffisantes au regard de leurs missions de service public et cette situation est inégalitaire au regard des collectivités territoriales de l'hexagone : il existe un écart de péréquation de 85 millions d'euros entre les collectivités d'outre-mer et les collectivités de l'hexagone ! Les collectivités d'outre-mer sont dans une situation d'asphyxie financière qui ne leur permet pas de réaliser leurs investissements ni de bénéficier du FEI.

M. Vincent Éblé, président. - Nuihau Laurey nous propose de donner un avis de sagesse, tandis que Georges Patient nous suggère un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission. Je soumets ces deux propositions à votre appréciation.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Outre-mer ».

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Direction de l'action du Gouvernement » et budget annexe « Publications officielles et information administrative » (et communication sur son contrôle budgétaire sur le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA)) - Examen du rapport spécial

M. Michel Canévet, rapporteur spécial des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » et du budget annexe « Publications officielles et information administrative ». - À périmètre constant, les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » augmentent de 0,7 %. Cette mission était composée jusqu'à présent de trois programmes : le programme 129 qui concerne les services du Premier ministre, le programme 308 consacré à des autorités administratives indépendantes (AAI) et le programme 333 qui regroupait les moyens mutualisés des administrations déconcentrées. Ce dernier programme disparaît en 2020 et ses 540 millions d'euros de crédits sont transférés à la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». Avec ses quelque 800 millions d'euros, cette mission est de dimension modeste et l'essentiel de ses crédits concerne les services du Premier ministre.

La baisse des dépenses de personnel est notable, mais il s'agit plutôt d'une débudgétisation en raison de la décision de ne plus procéder, à compter de 2020, au remboursement des 255 équivalents temps plein travaillés (ETPT) mis à disposition par le ministère des armées. La mission bénéficie de la création nette de 67 ETP au profit notamment de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) pour 42 postes, du Groupement interministériel de contrôle (GIC) pour 13 ETP et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) pour 10 ETP.

Les dépenses de fonctionnement augmentent de 13 millions d'euros, notamment en raison de la croissance des fonds spéciaux. Les dépenses d'investissement augmentent de 10 millions d'euros.

Cette mission, qui est celle du Premier ministre, doit montrer l'exemple : je proposerai donc un amendement de réduction des crédits de 5,8 millions d'euros, afin de les ramener au niveau de 2019. Cette réduction de crédits ne devrait pas présenter trop de difficultés, les crédits de la mission étant régulièrement sous-consommés. Nous devons maintenir notre effort de réduction des dépenses publiques et ne pas surdoter les missions.

Ces 5,8 millions d'euros pourront être pris sur plusieurs lignes budgétaires qui augmentent cette année. Le service d'information du Gouvernement (SIG) pourrait ainsi contribuer à hauteur de1 million d'euros. Il a en effet bénéficié de cinq créations de postes en 2019 puis, à nouveau, de cinq créations de postes en 2020 ; il a consommé 10 millions d'euros de crédits de fonctionnement en 2018 ; or 14,5 millions d'euros sont proposés pour 2020. Sachons rester mesurés en matière de communication et n'oublions pas que les ministères disposent déjà tous de leurs propres moyens de communication !

Nous pourrons également tirer les conséquences de la disparition de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) annoncée par le Premier ministre après la publication du bleu budgétaire. Je soutiens cette initiative. Faut-il aussi supprimer l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) ? Je ne le pense pas, compte tenu de l'importance actuelle des questions de sécurité et de défense nationale, mais j'estime néanmoins que l'IHEDN doit se réformer. Il a une nouvelle direction et un nouveau projet, cela va dans le bon sens.

Une économie de 800 000 euros pourrait également s'appliquer à certaines AAI comme le Défenseur des droits et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dont les crédits augmentent respectivement de 3 % et 13 % et qui pourront, même si mon amendement est voté, s'acquitter de leurs missions sans difficulté.

Le budget annexe concerne la Direction de l'information légale et administrative (DILA) qui connaît une nouvelle diminution de ses effectifs. Ceux-ci s'établissent à 660, après une diminution d'une quarantaine de postes en 2019. En effet, ses missions évoluent : elle ne publie plus de Journal officiel en format papier ; elle conserve néanmoins une imprimerie bien équipée pour d'autres éditions et est responsable de la mise à jour de sites internet tels que legifrance.gouv.fr et vie-publique.fr. Le contexte budgétaire lui est moins favorable : ses recettes de publication d'annonces devraient diminuer en raison de l'application de dispositions de la loi Pacte. Néanmoins, grâce à ses efforts de gestion, la DILA devrait reverser en 2020 un excédent de 20 millions d'euros au budget de l'État.

Mon contrôle budgétaire a concerné le CSA, AAI créée depuis 1989, et doté de l'autonomie financière depuis 2015. Le CSA bénéficie à ce titre d'une enveloppe budgétaire annuelle de 37,5 millions d'euros environ et est doté de sa propre agence comptable. Ses activités se sont considérablement développées, y compris récemment dans le cadre de la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l'information, qui lui confie une mission de contrôle des plateformes numériques dans le cadre des campagnes électorales. Elles devraient encore être élargies après le vote de la proposition de loi dite Avia qui le doterait d'un pouvoir de sanction des plateformes numériques qui auraient manqué à leur devoir de lutte contre les contenus haineux sur internet. Le projet de loi sur l'audiovisuel prévoit de fusionner le CSA avec la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), qui dispose d'un budget de l'ordre de 9 millions d'euros sur la mission « Médias, livres et industries culturelles », pour donner naissance à un super-régulateur dans le domaine de l'audiovisuel et du numérique : l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).

J'ai constaté une forte hausse de l'activité du CSA à budget constant. Le nombre de saisines par agent traitant a été multiplié par 2,6 entre 2016 et 2019 et par 1,4 entre 2018 et 2019, en raison d'évènements ponctuels comme les élections de 2017, mais aussi d'affaires médiatiques concernant des émissions telles que Touche pas à mon poste ou On n'est pas couché, qui donnent lieu à de nombreuses réactions des téléspectateurs. Je propose donc de créer des sous-indicateurs relatifs au délai moyen de traitement des saisines et au nombre de saisines par affaire afin de mieux appréhender la réalité de l'activité du CSA.

Depuis 2015, la dotation annuelle allouée au CSA a été maintenue autour de 37,5 millions d'euros. Le plafond d'emplois est lui aussi resté fixé à 284 ETP depuis 2014, mais devrait être porté à 290 en 2020 afin de prendre en compte ses nouvelles missions. Je recommande a minima d'assurer la stabilité de la dotation du CSA, voire de l'ajuster à la hausse si nécessaire en fonction de ce que décidera le législateur en 2020.

Le personnel du CSA bénéficie d'un régime attractif, notamment pour les agents contractuels de catégories A et A+, qui représentent environ les trois quarts des effectifs et qui bénéficient de primes relativement élevées - plus de 9 000 euros en moyenne pour les contrats à durée indéterminée de catégorie A+. Les membres du collège du CSA, nommés pour six ans, bénéficient de l'intégralité de leur rémunération - environ 11 000 euros par mois -, pendant un an après l'expiration de leur mandat. À titre de comparaison, les anciens membres du Gouvernement ne perçoivent plus leur traitement que pendant trois mois après la cessation de leurs fonctions. Je réfléchis donc à déposer un amendement afin de revoir ce dispositif et d'harmoniser les pratiques.

Je terminerai par une note positive concernant les dépenses de fonctionnement du CSA. Celles-ci sont bien maîtrisées, tout particulièrement les frais de déplacement qui, me semble-t-il, ont bénéficié des suites de l'affaire des frais de taxi de l'ancienne présidente de l'Institut national de l'audiovisuel (INA).

Je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission et du budget annexe, sous réserve de l'adoption de mon amendement de réduction des crédits.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Qu'advient-il de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ?

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - La Miviludes est supprimée, ses deux postes restants sont transférés au ministère de l'intérieur.

M. Jean-Yves Leconte, rapporteur pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement »- Je remercie le rapporteur spécial pour ces éléments.

Le Premier ministre fait payer certains de ses personnels par une autre mission : cela me semble contraire au principe de sincérité budgétaire et à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). L'économie ainsi réalisée n'est que de façade !

Je salue l'évolution des moyens consacrés au renseignement ; nous devons veiller aux moyens de la cybersécurité, à ceux de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) et plus largement à ceux du GIC.

Je ne partage pas totalement l'avis du rapporteur spécial concernant les moyens de la HATVP. Cette AAI a repris la responsabilité du registre des représentants d'intérêts et elle intégrera l'an prochain la Commission de déontologie de la fonction publique, sans moyens supplémentaires. Les emplois programmés me semblent insuffisants au regard de ses nouvelles responsabilités.

S'agissant de la CNIL, je partage l'avis du rapporteur spécial : la gestion des données personnelles et les développements de l'intelligence artificielle sont un enjeu de société majeur et exigent que la CNIL soit correctement défendue.

La fusion du CSA avec l'Hadopi devrait coûter a minima 1 million d'euros. Or, elle n'est pas budgétée. Nous devons veiller aux moyens du CSA dont le périmètre ne cesse de s'élargir en direction des services en ligne avec la loi dite anti fake news, la proposition de loi Avia ou la directive sur les services de médias audiovisuels.

Ne touchons pas aux moyens du Défenseur des droits. Une expérimentation de médiation en matière de contentieux social est actuellement menée, à moyens constants, dans certains départements ; elle semble positive puisqu'elle a permis de diminuer d'environ 35 % les charges des départements. Si cette expérimentation devait être élargie, les moyens devront impérativement être renforcés. J'ajoute que le Défenseur des droits a reçu, en 2019, trois fois plus de requêtes en lien avec la déontologie des forces de l'ordre, que l'année précédente.

Je ne suis pas favorable à ce que les AAI soient soumises à la réserve de précaution qui contraint leur liberté d'action.

La CNIL et le CSA infligent désormais des sanctions très importantes - en pourcentage du chiffre d'affaires ou sous la forme d'interdictions de publicité sur les réseaux - or, n'oublions pas que c'est la responsabilité de l'État qui sera recherchée en cas de contentieux. Ces contentieux risquent de se développer et l'État devra assumer les conséquences d'éventuelles annulations par le Conseil d'État.

Je suis enfin inquiet de la disparition de la Miviludes.

Compte tenu de l'insincérité de ce budget, je suis réservé sur l'adoption des crédits de la mission. J'aurais souhaité que nous nous concertions entre rapporteurs afin de préserver nos AAI, tout en restant critiques sur la non-sincérité de ce budget et l'augmentation des crédits du SIG.

M. Bernard Delcros. - Je remercie notre rapporteur spécial de sa présentation et le félicite de sa cohérence : rares sont les rapporteurs spéciaux qui prônent une maîtrise des dépenses publiques et présentent, pour leur propre mission, un amendement de réduction des crédits !

Où en est le regroupement des services du Premier ministre sur le site Ségur-Fontenoy ? Les économies annoncées ont-elles été réalisées ? Quels services sont concernés ? Que devient le patrimoine libéré ?

M. Jérôme Bascher. - J'invite notre collègue Jean-Yves Leconte à relire la LOLF : elle ne prévoit pas de coûts complets !

Les fusions d'AAI sont comme la réduction du nombre de parlementaires : elles ne génèrent aucune économie, que des coûts ! Alors, autant ne pas les fusionner.

Je ne suis pas hostile à la disparition de l'INHESJ. L'IHEDN doit aussi être repensé ; certaines des sessions de formation sont devenues très coûteuses. Je voterai l'amendement de notre rapporteur spécial, mais j'en déposerai peut-être d'autres. Je m'interroge notamment sur l'augmentation des crédits et des personnels du SIG.

Nous avons déjà trente-huit ministres et secrétaires d'État qui font de la communication au lieu d'être dans l'action ! Existe-t-il d'autres pistes d'économies supplémentaires ?

M. Emmanuel Capus. - Ma première question concernait la Miviludes et vous y avez répondu.

Sur la proposition du président Gérard Larcher, je suis cette année l'un des deux sénateurs auditeurs de l'IHEDN, avec notre collègue sénatrice Marta de Cidrac. J'ai ainsi assisté, il y a quinze jours, à l'intervention du Premier ministre devant l'IHEDN et l'INHESJ. Je voudrais témoigner de l'utilité de l'IHEDN, dont la mission est de former, d'informer et de fédérer. Depuis sa création il y a presque quatre-vingts ans, nous n'avons jamais été confrontés à de telles difficultés en matière de défense : il est indispensable de conserver l'IHEDN. Il permet aussi de maintenir un lien entre l'armée et la nation ; je fais, en effet, partie de la première génération de sénateurs qui n'a pas effectué de service militaire obligatoire ! Je suis favorable à la réforme de l'IHEDN : il verra d'ailleurs ses effectifs réduits de 9 ETP l'an prochain et tous ses réseaux régionaux vont être supprimés, c'est dommage pour nos territoires. Mais l'IHEDN ne pourra pas faire plus avec moins !

M. Antoine Lefèvre. - Les effectifs de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Midelca) diminuent : sa suppression est-elle programmée ou s'agit-il d'une simple diminution conjoncturelle ?

M. Roger Karoutchi. - Je regrette que beaucoup d'AAI ne soient pas réellement indépendantes et ne représentent que des moyens de retirer au Parlement des pouvoirs. Le vrai défenseur des libertés publiques, c'est le Parlement !

L'ancêtre de la Miviludes avait été créé à la suite de la première commission d'enquête parlementaire sur les sectes. Je ne comprends pas qu'on accepte sa disparition sans rien dire !

En tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » et du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public », je pense qu'il faudra mieux définir les pouvoirs du CSA dans le prochain projet de loi sur l'audiovisuel.

Mme Christine Lavarde. - Notre collègue Jérôme Bascher a évoqué la semaine dernière, dans une communication, la sécurité informatique des pouvoirs publics. Qu'en est-il, pour 2020, des crédits de l'Anssi ? L'Agence a-t-elle résolu ses difficultés de recrutement, notamment de certains profils spécialisés en sécurité informatique ? Elle propose, en effet, des rémunérations inférieures au secteur privé et peine à fidéliser son personnel.

M. Marc Laménie- Nous assistons à une diminution des moyens humains dans les services publics, exception faite des AAI : je m'interroge, au regard notamment des besoins de nos territoires. Pourquoi ne pas renforcer les moyens alloués à la sécurité intérieure ?

Par ailleurs, les crédits figurant à l'action n° 13 « Ordre de la Légion d'honneur » du programme 129 « Coordination du travail gouvernemental » me semblent élevés. De quels moyens humains dispose cette institution, alors que d'autres distinctions existent que la Légion d'honneur ?

M. Claude Raynal. - Le SIG voit ses moyens croître en 2020. Je m'interroge sur le principe d'une telle augmentation au bénéfice de la communication institutionnelle du Gouvernement... Nous pourrions utilement la supprimer pour revenir au niveau de crédits de 2019.

La suppression de la Miviludes constitue un sujet plus préoccupant. Quel en est le sens ? Il convient, selon moi, de conserver une structure consacrée à la lutte contre les dérives sectaires ; le symbole est d'importance. Son rattachement au ministère de l'intérieur revient à mal connaître les missions de la Miviludes, notamment en matière de pratiques non-conventionnelles dans les domaines de la santé et de l'éducation. Je ne peux donc être favorable à ce budget.

M. Alain Houpert. - Nous avons évoqué le CSA, la CNIL et les conséquences du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Je crains, pour ma part, que les règles ainsi établies aient des compétences dommageables sur la compétitivité de la France dans le domaine de l'intelligence artificielle.

Mme Nathalie Goulet. - Je partage les inquiétudes exprimées par notre collègue Claude Raynal s'agissant de la Miviludes. Sa fusion avec le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) n'a nul sens : radicalisation et phénomènes sectaires ne peuvent être confondus. En outre, les actions du CIPDR n'ont jamais été évaluées, alors que la lutte contre la radicalisation s'est révélée un fiasco, comme l'ont montré nos collègues Esther Benbassa et Catherine Troendlé dans un rapport d'information.

Quelles sont, par ailleurs, les missions exactes de la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication (Dinsic) ? L'heure est à la fusion des fichiers, notamment de sécurité sociale, mais nous connaissons mal cet organisme pourtant utile en matière de protection des données personnelles.

M. Michel Canévet, rapporteur spécial. - J'ai pris bonne note des observations de notre collègue Jean-Yves Leconte, mais, pour maîtriser les finances publiques, il apparaît nécessaire de trouver des sources d'économies. Les AAI doivent également participer à l'effort budgétaire. Je partage en revanche son inquiétude sur la débudgétisation des effectifs du ministère des armées détachés auprès du Premier ministre.

En réponse à Bernard Delcros, l'opération Ségur-Fontenoy, destinée à rassembler les services du Premier ministre, la CNIL et le Défenseur des droits sur un site proche du ministère des affaires sociales, représente un investissement de 370 millions d'euros. Les gains estimés des cessions de patrimoine s'élèvent à 268 millions d'euros, au lieu des 250 millions d'euros initialement envisagés, ce qui réduit le coût final de l'investissement. En outre, des économies seront réalisées grâce à des mesures de rationalisation et de mutualisation. L'opération améliorera enfin le confort des usagers des bureaux.

Notre collègue Jérôme Bascher a évoqué les nécessaires réductions d'effectifs, mais certains organismes, comme l'Anssi, ont besoin de recruter.

Mme Goulet et MM. Capus, Raynal et Karoutchi ont fait part de leurs inquiétudes quant à la suppression de la Miviludes. La structure comptait six ETP : deux ont été supprimés en 2018, deux autres cette année. Elle ne pouvait poursuivre ainsi une activité indépendante. En outre, les services du Premier ministre favorisent une agilité de gestion, plus aisée avec un nombre limité de structures, ce qui explique aussi le transfert des deux emplois restants au ministère de l'intérieur.

Notre collègue Emmanuel Capus a livré un plaidoyer pour l'IHEDN. L'organisme doit mener une action efficiente pour renforcer le lien entre la société et les forces de sécurité et de défense. Le SNU pourrait constituer une opportunité pour étendre ses missions.

Roger Karoutchi craint que les AAI ne se substituent au Parlement, qui doit évidemment assumer les responsabilités qui lui sont confiées. Quant à la fusion entre le CSA et la Hadopi, le projet de loi à venir permettra utilement de clarifier le dispositif.

Antoine Lefèvre, la Midelca poursuit son action, malgré une diminution de ses moyens.

Christine Lavarde, entre 2015 et 2020, les effectifs de l'Anssi seront passés de 460 ETP à 692 ETP. Pour son directeur général, l'agence fonctionnera dans des conditions idéales à 750 ETP. Certaines autorités publiques, concurrencées par l'attractivité du secteur privé, peinent parfois à recruter, mais l'Anssi ne se trouve pas dans cette situation. Si le turn-over y est élevé, il a aussi quelque utilité : les anciens salariés de l'Anssi transmettent ailleurs leur savoir-faire en matière de sécurité informatique.

Marc Laménie, le numérique prenant de l'ampleur dans le secteur public, il convient d'adapter les moyens aux besoins. Quant à l'Ordre de la Légion d'honneur, je vous informe qu'il a également la charge des médaillés militaires, de l'Ordre du mérite, du musée de la Légion d'honneur et de deux maisons d'éducation pour jeunes filles, lesquels affichent de spectaculaires résultats aux examens.

Nous proposons justement, Claude Raynal, de supprimer l'augmentation octroyée au SIG.

Alain Houpert, l'intelligence artificielle représente effectivement un sujet important.

Enfin, Nathalie Goulet, la Dinsic est une direction de taille modeste comptant moins d'une centaine d'agents. Elle vérifie les marchés publics liés au numérique passés par les services de l'État, afin d'éviter des échecs comme celui du logiciel Louvois. La structure est efficace : elle a notamment développé des logiciels permettant aux petites et moyennes entreprises de répondre aisément à des appels d'offres. Par décret du 25 octobre 2019, elle est devenue la Direction interministérielle au numérique (Dinum).

L'amendement n° 1 est adopté.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », sous réserve de l'adoption de son amendement.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, du budget annexe « Publications officielles et information administrative ».

La commission des finances autorise la publication de la communication du rapporteur spécial sous la forme d'un rapport d'information.

Projet de loi de finances pour 2020 - Mission « Conseil et contrôle de l'État » - Examen du rapport spécial

M. Vincent Éblé, président. - Nous en venons à l'examen des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». Je salue la présence parmi nous de Patrice Kanner, rapporteur pour avis de la commission des lois.

M. Didier Rambaud, rapporteur spécial des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État » - Le projet de loi de finances pour 2020 prévoit une hausse de 3,6 % des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État », qui sera ainsi dotée de 705 millions d'euros. Cette augmentation, non prévue par la programmation triennale, bénéficie à hauteur de 80 % au programme « Conseil d'État et autres juridictions administratives », qui concentre près des deux tiers des crédits de la mission avec un budget de 440 millions d'euros.

L'augmentation de 19,5 millions d'euros de crédits pour ce programme s'accompagne d'une création de 93 emplois, dont 59 au profit de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Les moyens alloués à cette juridiction progresseront ainsi de plus de 20 %, pour atteindre le niveau inédit de 67,5 millions d'euros. L'augmentation substantielle des crédits de la CNDA, non anticipée par la loi de programmation des finances publiques, se traduit par un dépassement de plus de 5 % du plafond de la programmation triennale. Elle se révèle néanmoins indispensable, dans un contexte marqué par la hausse considérable du contentieux de l'asile depuis 2017. Les chiffres sont éloquents : le nombre d'affaires entrantes, de l'ordre de 40 000 en 2016, a progressé de 34 % en 2017, puis de 9,5 % en 2018, pour atteindre près de 60 000 affaires en 2019.

Selon les dernières estimations de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), cette progression devrait s'accélérer encore dans les années à venir, puisque le nombre de recours portés devant la CNDA devrait s'élever à 90 000 en 2020. Il était primordial d'accroître la capacité de jugement de la CNDA, afin de ne pas détériorer davantage les délais de jugement. Je me félicite donc du budget présenté pour 2020 : les 122 recrutements réalisés en 2019, ajoutés aux 59 nouveaux emplois prévus pour 2020, devraient porter la capacité de jugement de la CNDA à près de 90 000 affaires par an en 2021. Les effectifs de la Cour seront donc, à terme, suffisamment nombreux, si tant est que le nombre d'affaires se stabilise, ce que rien ne laisse présager.

L'augmentation des crédits alloués à la CNDA laisse cependant craindre, cette année encore, un effet d'éviction au détriment des autres juridictions administratives. Le projet de loi de finances leur accorde treize nouveaux emplois et leur permet de recruter vingt-et-un juristes assistants, mais uniquement à la condition que ces emplois soient autofinancés en gestion sur les crédits du programme grâce à un moindre recours aux vacataires. Cet effort parait relativement modeste au regard de l'augmentation considérable du contentieux, principalement imputable au contentieux des étrangers, qui représentait plus de 98 000 nouvelles affaires en 2018, soit plus du tiers des entrées dans les juridictions administratives et près de 50 % dans les cours administratives d'appel. Il y a fort à craindre que cette dynamique finisse par peser sur les délais de jugement ; dans ce contexte, le Premier ministre a confié au Conseil d'État le soin de réfléchir à une réforme du droit des étrangers pour simplifier les procédures liées à ce contentieux. Je prendrai connaissance avec intérêt des conclusions que le groupe de travail rendra en mars 2020.

Les crédits des autres programmes demeurent quasiment stables. Après avoir connu une relative stagnation en 2019, le budget du Conseil économique, social et environnemental (CESE) bénéficiera d'une augmentation de 4,2 millions d'euros pour permettre l'organisation d'une deuxième convention citoyenne thématique. En effet, pour rappel, en réponse à la crise des gilets jaunes, le Président de la République a confié au CESE l'organisation d'une convention citoyenne pour le climat, dont les membres sont chargés de formuler des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France d'ici 2030. Le CESE a organisé dès le mois d'août 2019 le tirage au sort des 150 citoyens participant à la convention, si bien que la première des sept sessions de la convention a eu lieu en octobre. Les travaux sur le climat se terminant en janvier 2020, une seconde convention citoyenne, portant sur un autre thème, devrait être organisée l'année prochaine.

Les crédits alloués à la Cour des comptes et aux autres juridictions financières - 220 millions d'euros - n'évoluent pas, alors que la programmation pluriannuelle prévoyait une augmentation de près de 2 millions d'euros. Cette stabilité est la conséquence d'un schéma d'emploi revu à la baisse sur le triennal 2020-2022 : seuls trente emplois seront créés sur la période, en lieu et place des cinquante initialement prévus, bien que les missions confiées aux juridictions financières ne cessent de s'étendre.

Je vous invite, en conclusion, à adopter les crédits de cette mission.

M. Patrick Kanner, rapporteur pour avis de la commission des lois sur crédits des programmes 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives », 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » et 340 « Haut Conseil des finances publiques » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ». - Pour la troisième année consécutive, j'accompagne mon rapport pour avis sur les crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État », amputés de ceux alloués au CESE, par des visites de terrain : à Lille en 2017, à Dijon en 2018 et à Marseille cette année, où je me suis rendu auprès de la chambre régionale des comptes, du tribunal administratif et de la cour administrative d'appel. La chambre régionale des comptes m'a fait part de ses inquiétudes concernant l'extension de ses compétences, notamment la certification des comptes des collectivités territoriales et des établissements sociaux et médico-sociaux à but non lucratif. Le législateur crée trop souvent de nouvelles compétences, parfois légitimes, sans en mesurer les impacts réels.

Dominique Kimmerlin, présidente de la CNDA, s'inquiète de la croissance du contentieux des étrangers, qui représente désormais 50 % de l'activité des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. La CNDA va créer une vingt-troisième chambre, et les postes correspondants, pour suivre cette évolution. Pour autant, il convient de réfléchir au droit d'asile. La CNDA n'a plus suffisamment de place dans ses locaux de Montreuil, mais ne devrait déménager dans d'anciens bâtiments de l'Association de formation professionnelle des adultes (Afpa) qu'en 2024. La situation est proche de la saturation. Elle est également préoccupante au sein des greffes. Globalement, la souffrance du personnel concerne l'ensemble des juridictions administratives.

S'ils demeurent insuffisants, je suis favorable à l'adoption des crédits de la mission pour 2020.

M. Emmanuel Capus. - Je salue la qualité de la présentation du rapporteur spécial. Les crédits de la CNDA augmentent ; elle a bénéficié de 122 créations d'emplois en 2019, complétées à hauteur de 59 ETP en 2020. Comment sécuriser, à l'avenir, cette évolution exponentielle, concomitante à celle du contentieux des étrangers ?

Je ne suis pas opposé, bien au contraire, à l'organisation d'une convention citoyenne sur le climat, mais je m'interroge sur les 4,2 millions d'euros alloués à une nouvelle convention en 2020. Est-ce réellement une dépense exceptionnelle ? L'organisation de ces événements ne devrait-elle pas être réalisée par le CESE à budget constant ?

M. Jérôme Bascher. - Je partage l'analyse de notre rapporteur spécial s'agissant d'une fusion de la Cour des comptes et du Haut Conseil des finances publiques. Quelle somme est-elle dédiée, au sein de cette dernière instance, aux rapporteurs de la Cour des comptes et, partant, pourrait être économisée ?

M. Thierry Carcenac. - La CNDA bénéficie d'un plafond d'emplois de 719 ETP, mais sa situation immobilière rend impossible l'accueil d'un tel effectif. Quelle solution envisage-t-elle en attendant son déménagement en 2024 ? Le projet sur l'Île de la Cité est-il toujours d'actualité ? J'approuve les crédits de la mission, malgré leur caractère limité.

M. Didier Rambaud, rapporteur spécial. - Je partage l'analyse de Patrick Kanner. La CNDA travaille dans des conditions épouvantables, avec des agents répartis sur quatre sites. Son regroupement avec le tribunal administratif de Montreuil et son déménagement dans de nouveaux locaux, qui nécessitent des travaux, n'interviendront pas avant 2024. D'ici là, elle louera des bureaux supplémentaires.

Emmanuel Capus, je souhaite également la stabilisation du contentieux du droit des étrangers, dont la croissance a des conséquences budgétaires importantes sur la CNDA depuis 2017. Le Conseil d'État travaille sur le droit des étrangers : nous serons attentifs à ses conclusions. Les procédures, complexes, sont susceptibles de multiples recours : il conviendrait de les simplifier.

Le CESE a effectivement bénéficié par deux fois - en 2019 et en 2020 - d'une enveloppe de 4,2 millions d'euros pour l'organisation de conventions citoyennes. La dépense pourrait devenir récurrente. Il nous a été indiqué que le recrutement de 150 citoyens volontaires, dont il faut également payer les frais de déplacement et de séjour, a nécessité près de 300 000 appels téléphoniques. Tel est le prix de la démocratie citoyenne...

Jérôme Bascher, le Haut Conseil des finances publiques emploie deux magistrats de la Cour des comptes et un rapporteur extérieur. Je vous rappelle toutefois que sa fusion avec la Cour des comptes ne peut être réalisée que par une loi organique.

La commission décide de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

La réunion est close à 12 h 15.