- Mercredi 23 octobre 2019
- « La fiscalité environnementale au défi de l'urgence climatique » - Audition de M. Patrick Lefas, président suppléant du Conseil des prélèvements obligatoires
- Projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, d'orientation des mobilités - Examen, en nouvelle lecture, du rapport et du texte de la commission
- Questions diverses
Mercredi 23 octobre 2019
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
« La fiscalité environnementale au défi de l'urgence climatique » - Audition de M. Patrick Lefas, président suppléant du Conseil des prélèvements obligatoires
M. Hervé Maurey, président. - Nous recevons ce matin M. Patrick Lefas, dans ses fonctions de président suppléant du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), à la suite de la publication récente par cet organisme rattaché à la Cour des comptes d'un rapport intitulé « La fiscalité environnementale au défi de l'urgence climatique ».
Nos collègues de la commission des finances ont procédé à une audition sur le même sujet la semaine dernière, mais il nous semblait important que notre commission puisse également bénéficier d'une restitution des constats et des propositions contenues dans ce rapport.
Le mouvement des « gilets jaunes » à l'automne dernier a conduit au gel de la taxe carbone, instaurée en 2014 et qui devait augmenter jusqu'en 2022. Beaucoup se demandent s'il faut relancer cette trajectoire et, le cas échéant, comment le faire.
Plusieurs notes et rapports ont été publiés ces derniers mois sur le sujet, que ce soit par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), par le Conseil d'analyse économique ou encore par des think tanks. Certains se demandent si l'un des objectifs de la convention citoyenne sur le climat, qui a commencé ses travaux il y a deux semaines, n'est pas de faire avaliser par les citoyens une reprise de la hausse de cette taxe que le Gouvernement a quelque scrupule à relancer.
La plupart des économistes, pour ne pas dire tous, estiment que nous ne pourrons tenir nos engagements climatiques sans donner un prix au carbone, afin de favoriser la réduction de la consommation d'énergies fossiles et de rendre rentables les investissements bas carbone.
L'année dernière, avant même la crise des « gilets jaunes », notre commission avait organisé une table ronde sur la question, où il avait été rappelé que la finalité première du prix du carbone est de modifier les comportements et de rendre rentables les investissements verts ; ce n'est pas une taxe de rendement visant à combler le déficit de l'État ou réduire la dette. Nous avions également souligné qu'une telle taxe devait s'accompagner d'un volet social et territorial, de manière aussi transparente que possible.
En somme, notre commission est favorable à une taxe carbone et à une fiscalité écologique, sous réserve qu'elles n'accroissent pas la masse globale des prélèvements obligatoires, qu'elles soient transparentes, qu'elles soient réellement affectées à la transition écologique, et qu'elles s'accompagnent d'un volet social et territorial. C'est parce que ces conditions, que nous avions rappelées au Président de la République à l'époque, n'ont pas été prises en compte l'année dernière que la taxe carbone a été un échec.
Je vous cède la parole pour nous présenter vos travaux et nous indiquer quelle est, selon vous, la trajectoire d'augmentation souhaitable et comment une relance peut être envisagée.
M. Patrick Lefas, président suppléant du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO). - Veuillez excuser l'absence du premier président, retenu par une audition devant une autre commission parlementaire.
Le thème de la fiscalité environnementale a été retenu par le Conseil en septembre 2018, soit avant le début de la crise des « gilets jaunes ». Le Conseil des impôts avait déjà traité ce sujet en 2005 ; il s'agissait d'évaluer les difficultés rencontrées par les gouvernements successifs dans les arbitrages en matière de fiscalité énergétique et de fiscalité du carbone. Le sujet est d'une brûlante actualité puisque le FMI vient de préconiser dans un rapport une taxe mondiale de 75 dollars, soit 68 euros, sur le carbone. Puisque ce sujet doit être traité au niveau européen et international, cette recommandation est une indication positive, dans la perspective de retrouver une trajectoire de fiscalité du carbone cohérente avec les objectifs climatiques ratifiés par le Parlement.
Ce travail a été coordonné par Mme Catherine Perrin, secrétaire générale du Conseil des prélèvements obligatoires jusqu'à une date très récente ; je suis accompagné, pour la présentation, de Florian Bosser, auditeur à la Cour des comptes, qui a rédigé ce rapport avec le rapporteur général Antoine Fouilleron.
Ce travail s'appuie sur cinq rapports particuliers, tous mis en ligne. Pour la première fois, le CPO a procédé à des simulations sur les effets macroéconomiques et microéconomiques à partir des modèles utilisés par l'administration : l'Ademe et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) pour la partie macroéconomique et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) pour la partie microéconomique. Cette démarche s'inscrit dans notre volonté de contribuer au débat public.
La fiscalité environnementale se décompose en 46 instruments fiscaux avec un rendement de 56 milliards d'euros en 2018, une agrégation de dispositifs hétérogènes dont la finalité environnementale n'est pas toujours explicite. S'y ajoutent les dépenses fiscales, y compris les dépenses déclassées qui ne figurent pas dans le tableau des voies et moyens, qui s'élèvent à 13,2 milliards d'euros, et certains instruments fiscaux comme le versement transport et les taxes d'enlèvement des ordures ménagères pour un total de 17 milliards d'euros. L'agrégat total se monte donc à 89,7 milliards d'euros. Au total, les taxes sur l'énergie représentent 2 % du PIB, alors que les taxes sur la pollution ont un poids relativement marginal.
Sur l'indicateur de la part de la fiscalité
environnementale dans le PIB, la France a longtemps été en
deçà de la moyenne européenne, mais elle a à peu
près rattrapé son retard, arrivant aujourd'hui à
2,4 % du PIB. En revanche le taux implicite de taxation de
l'énergie est très supérieur, à cause du niveau
élevé de taxation des énergies fossiles en France.
Nous
sommes le pays qui a le taux le plus élevé des cinq principaux
pays européens.
Notre travail s'est donc porté sur la fiscalité des énergies fossiles et du carbone, qui concentrent les principaux enjeux en matière de finances publiques et posent le plus de problèmes d'acceptabilité pour les ménages comme pour les entreprises. Enfin, c'est la fiscalité qui a connu la gestion la plus chaotique puisque deux précédentes tentatives ont été censurées par le Conseil constitutionnel, en 2000 et 2009.
Historiquement construite dans une optique de rendement, la fiscalité énergétique a depuis deux décennies intégré les objectifs environnementaux et comportementaux. Nos engagements internationaux, consacrés par l'accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015 et les paquets énergie-climat de l'Union européenne, ont été transposés dans la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui fixe un objectif de réduction de 40 % des effets de serre entre 1990 et 2030 et de division par quatre entre 1990 et 2050. Ces objectifs viennent d'être renforcés dans le projet de loi relatif à l'énergie et au climat, qui fixe un horizon de neutralité carbone en 2050.
Pour atteindre ce nouvel objectif, il faudra multiplier par deux le rythme de réduction des émissions : entre 2015 et 2018, il a été de 1,1 % par an alors que la stratégie nationale carbone que vous avez approuvée, qui détermine la programmation pluriannuelle de l'énergie, prévoyait une réduction de 1,9 % par an, et 3,3 % dès 2025.
Pour y parvenir, les pouvoirs publics ont plusieurs instruments visant à donner au prix au carbone : les quotas carbone, qui ne relèvent pas du champ du CPO, et la fiscalité carbone, sur laquelle nous allons nous arrêter.
Premier constat, qui confirme le grand nombre de travaux académiques conduits sur le sujet, la fiscalité carbone est un instrument efficace. Selon les deux hypothèses retenues de prix du carbone, soit 100 euros et 250 euros la tonne, si la trajectoire carbone était reprise en 2020 - ce qui n'est pas l'option retenue par le Gouvernement - la réduction des émissions en 2030 serait respectivement de 5 et 18 % par rapport à 2019. Rappelons cependant que la fiscalité carbone a également pour effet de stimuler les importations et les délocalisations. Ainsi l'empreinte carbone a augmenté de 7 % entre 1995 et 2007 alors que les émissions domestiques ont baissé de 27 %. Il est donc indispensable de ne pas limiter la réflexion à l'horizon national : nous devons prendre en compte les conséquences pour notre balance commerciale et nos importations de produits carbonés.
Deuxième constat, les effets macroéconomiques de l'augmentation de la fiscalité carbone sont limités à quelques dixièmes de points de PIB. En revanche, l'impact sectoriel peut être significatif. L'enjeu le plus important est celui du recyclage des recettes : en son absence, les effets macroéconomiques sont globalement négatifs, mais si les recettes sont recyclées à part à peu près égale entre les ménages et les entreprises, l'effet peut être positif en termes de PIB et de créations d'emplois, mais négatif sur la balance commerciale.
Troisième constat, les effets très hétérogènes de la fiscalité carbone pour les ménages. Relevons à ce propos que la facture énergétique est restée stable sur la longue période : la part des taxes dans les prix à la pompe est passée de 72 à 59 % pour le gazole et, pour l'essence sans plomb 95, de 80 à 63 % entre 1995 et 2018. L'hétérogénéité constatée résulte de la diversité des pratiques de déplacement en voiture particulière. Le poids de la fiscalité carbone dépend surtout de la localisation, avec de grandes variations entre les communes rurales et les très grandes agglomérations. Moins la zone d'habitation est urbaine, plus la facture énergétique du ménage est élevée.
Le taux d'effort en fonction du revenu est régressif, même en tenant compte du chèque énergie : les 20 % de ménages les plus modestes consacrent 7,2 % de leurs revenus à la fiscalité énergétique contre 2,1 % pour les 20 % les plus aisés. En croisant les revenus avec la répartition territoriale, nous parvenons au constat d'une plus grande vulnérabilité des ménages modestes dans les zones rurales et les unités urbaines de taille moyenne.
Les entreprises sont responsables de 61 % des émissions nationales, mais n'acquittent que 36 % du produit de la fiscalité. La première explication est que les principaux pollueurs sont soumis au marché européen des quotas, à un prix du carbone qui, bien qu'en hausse, reste peu élevé. L'autre raison est l'ampleur des dispositifs dérogatoires que sont les exemptions, les exonérations, les taux réduits ou les remboursements. Le niveau de tarification est très hétérogène en fonction du secteur d'activité et du type d'énergie fossile.
Quatrième constat : la fiscalité carbone dégage des marges budgétaires limitées. Le propre d'une taxe comportementale est en effet d'éroder l'assiette. Le produit de la fiscalité sur les énergies fossiles pourrait ainsi s'affaisser de 9 milliards si la fiscalité carbone se maintenait au niveau fixé dans la loi de finances initiale de 2019, soit 44,6 euros la tonne. Seule une augmentation de la composante carbone augmenterait le rendement de la fiscalité. La décision dépend en grande partie de la position dans le cycle économique et des conditions dans lesquelles les arbitrages sont rendus.
Je terminerai par les conclusions et orientations du rapport.
D'abord, la fiscalité carbone est dans un jeu d'opportunités et
de contraintes dont le maniement est complexe.
Le gel de la trajectoire,
sans limitation des ambitions environnementales, prive la France du principal
outil dont elle s'était dotée contre les émissions de gaz
à effet de serre. Or la cible de la neutralité carbone implique
une mobilisation de tous les instruments de politique environnementale :
marchés, normes, subventions et fiscalité, tout en tirant les
enseignements de la contestation de l'automne 2018.
Le rapport formule plusieurs recommandations.
Première recommandation, remobiliser la taxe carbone
dans une trajectoire de moyen et long termes lisible et cohérente avec
les objectifs environnementaux, en élargissant son assiette par la
suppression ou la réduction des dépenses fiscales. Cela semble
être le choix du Gouvernement. Deux trajectoires ont été
testées. La première reprend l'objectif fixé en 2015
dans la loi de transition énergétique d'un prix de 100 euros
la tonne, qui impliquerait une réduction de 5 % les
émissions par rapport à 2019 et de 29 % par rapport à
1990.
Le surcoût moyen par an et par ménage serait de
13 euros, guère plus l'effet d'une indexation des tarifs sur
l'inflation. Une trajectoire plus ambitieuse de 250 euros la tonne en
2030, recommandée par le rapport Quinet de 2019, permettrait des baisses
d'émissions respectives de 19 % par rapport à 2000 et de
34 % par rapport à 1990, avec un surcoût moyen par an et par
ménage de 56 euros. En revanche, pour atteindre l'objectif d'une
réduction de 40 % des émissions entre 1990 et 2030, il reste
une marge de 32 millions de tonnes de CO2 à
combler.
L'effet d'une telle trajectoire sur les entreprises dépend de l'intensité énergétique dans leurs processus de production et des conditions de concurrence. En effet, une entreprise en position dominante peut répercuter une hausse de la taxe sur les clients ; dans le cas contraire, la marge est comprimée, et avec elle la capacité d'investissement.
Pour les ménages, l'effet dépend des revenus, de la localisation et des pratiques de déplacement. Ainsi avec une tonne de carbone à 100 euros en 2030, le taux d'effort des 10 % de ménages les plus affectés du premier quintile serait supérieur à 0,6 % du revenu disponible ; avec une tonne de carbone à 250 euros, il atteindrait 2,5 %. Cela montre l'importance du ciblage des mesures de compensation.
Le CPO propose d'élargir l'assiette de la taxe carbone en remettant progressivement en cause différentes dépenses fiscales - 23, pour un total de 5,8 milliards d'euros sur la seule TICPE. En y ajoutant les exonérations prévues par le bloc d'exemptions européen, notamment pour le transport aérien et maritime, nous arrivons à 26 mesures dérogatoires pour 10 milliards d'euros de pertes fiscales.
Or certaines dépenses fiscales présentent un taux de soutien sectoriel dépassant largement la valeur de la tonne de carbone, qui fait bien plus que compenser le coût des émissions. D'où l'idée qu'il faut fixer le prix du carbone à un niveau compatible avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Partant de là, la réforme des dépenses fiscales pourrait consister à supprimer les remboursements de TICPE en faveur du transport routier et de marchandises, émetteur important ; à inclure une composante carbone pour les secteurs économiques faisant l'objet d'une exonération - le transport aérien international, le transport maritime, le transport fluvial et la pêche ; et enfin à faire converger certains taux réduits pour le gazole non routier vers les tarifs de droit commun. Le Gouvernement privilégie la remise en cause de certaines niches fiscales, mais est resté sur ses positions quant à la trajectoire de hausse de la fiscalité carbone.
Deuxième recommandation, dissocier la composante carbone de la fiscalité énergétique, afin de conserver à la seconde sa vocation de rendement tout en maintenant l'effet incitatif et comportemental de la première.
Troisième recommandation, assurer une meilleure articulation avec les autres outils fiscaux et non fiscaux de politique environnementale. Outre les instruments réglementaires et le marché européen des quotas de gaz à effet de serre, on peut évoquer une taxe kilométrique nationale sur les poids lourds, en contrepartie de la suppression de la taxe à l'essieu, la révision des modalités de calcul de la taxe additionnelle sur les certificats d'immatriculation, la révision du barème kilométrique de l'impôt sur le revenu et de l'avantage lié aux voitures de fonction. Il convient également de bien articuler le prix du carbone avec le marché européen des quotas carbone. Le Royaume-Uni a choisi d'introduire une taxe additionnelle sur les quotas, et a fait une proposition en ce sens au niveau européen, conjointement avec les Pays-Bas.
La reprise d'une trajectoire de taxe carbone ne peut faire l'économie de la prise en compte de son acceptabilité : cela réclame de la stabilité, de la visibilité et de la pédagogie, ainsi qu'un meilleur système de compensation, pérenne ou transitoire, forfaitaire ou ciblé. Plusieurs de ces dispositifs sont évalués dans le rapport. C'est l'objet de la quatrième recommandation.
Les trois dernières recommandations portent sur le niveau européen et international. D'abord, il faut soutenir les initiatives de révision de la directive du 27 octobre 2003, après une première tentative avortée en 2011, pour définir un cadre harmonisé de la fiscalité carbone et renforcer son articulation avec le marché européen des quotas. Il convient également de soutenir les initiatives européennes de mise en oeuvre d'un droit de douane uniforme sur les importations en provenance de pays non coopératifs en matière environnementale. Enfin, le CPO recommande de promouvoir la suppression de l'exemption de fiscalité des carburants des transports internationaux aériens et maritimes au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) et de l'Organisation maritime internationale (OMI), ce qui peut impliquer un renforcement de nos engagements dans ces deux organisations. À défaut, il conviendrait de soutenir la suppression des exemptions de fiscalité énergétique dans les secteurs aériens et maritimes.
Voilà nos propositions, que le CPO a voulu pragmatistes, réalistes et concrètes.
M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie pour cette présentation, qui apporte des éléments très intéressants à notre réflexion.
M. Jean-François Longeot. - Merci pour ce rapport éclairant. Vous avez souligné la nécessité de reprendre la trajectoire d'augmentation de la taxe carbone tout en reconnaissant ses effets négatifs sur les ménages modestes et ceux qui sont éloignés des grands centres urbains.
Lors du vote de la trajectoire d'augmentation de la taxe, en 2017, nous étions nombreux à alerter le Gouvernement sur la nécessaire transparence dans l'utilisation des recettes et la mise en place de dispositifs de compensation pour les ménages, qui subissent ces mesures de plein fouet sans avoir accès à des alternatives abordables. Je partage votre constat du manque de lisibilité de cette taxe, qui est en réalité une fraction supplémentaire de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Vous conditionnez la reprise de sa hausse à des compensations tenant compte des revenus des ménages, du lieu d'habitation et du niveau de mobilité routière, sous forme de crédit d'impôt sur le revenu ou de chèque énergie.
Quel serait le vecteur le plus efficace et le plus facilement mobilisable ? Les dispositifs existants de soutien aux ménages, comme les aides à la rénovation énergétique des bâtiments ou la prime à la conversion, sont-ils efficaces et suffisants eu égard aux objectifs de réduction de la consommation d'énergies fossiles que nous nous sommes fixés ? Enfin, allez-vous être entendu par la Convention citoyenne sur le climat ?
M. Patrick Lefas. - Nous n'avons pas été sollicités par la Convention, qui vient de commencer ses travaux, mais nous serons entendus par la section économie et finances du Conseil économique, social et environnemental.
Pour les compensations, il convient de cibler les recettes
additionnelles engendrées par la hausse de la taxe. Nous avons
examiné trois critères de redistribution :
le revenu par
unité de consommation, le revenu et la taille de l'unité urbaine,
et enfin le revenu et le niveau de mobilité routière. Les
difficultés de mise en oeuvre écartent le troisième
mécanisme de compensation, qui serait pourtant le plus pertinent. Les
vecteurs de compensation peuvent être le crédit d'impôt ou
le chèque énergie, mais une bonne partie des ménages ne
sont pas soumis à l'impôt sur le revenu. Il existe une marge de
manoeuvre sur l'allègement des tarifs de la TICPE socle, qui est
uniquement orientée vers le rendement énergétique.
Certes, le secteur des transports est pénalisé
par la fiscalité énergétique, mais la part carbone de
cette fiscalité est très modeste : il existe donc une
flexibilité sur ce vecteur.
Il est préférable
d'accompagner ceux qui ont le plus de difficultés à s'adapter,
qu'il s'agisse du logement, de la chaudière ou du véhicule. Les
mesures de compensation doivent être mieux ciblées, en jouant
également sur la durée : ainsi il faut que l'entrée
en vigueur d'une norme puisse être anticipée par le
propriétaire d'un véhicule.
M. Jean-Michel Houllegatte. - La taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité, qui couvre notamment les surcoûts liés à l'obligation d'achat d'électricité d'origine renouvelable, est-elle incluse dans les 46 instruments de la fiscalité environnementale que vous recensez ? Son taux actuel est de 22,5 centimes d'euros par mégawatt-heure, et elle représente un peu plus de cent euros par ménage et par an. Cette taxe est-elle équitable, notamment en comparaison avec celle qui porte sur la consommation du gaz ?
Enfin, cette fiscalité environnementale ne devrait-elle pas être agglomérée dans un seul compte d'affectation spéciale ?
M. Patrick Lefas. - Nous n'avons pas traité de ce sujet, qui relève plutôt du mix énergétique et, à ce titre, ne relevait pas de notre étude. La taxe que vous mentionnez est bien incluse dans l'agrégat des instruments de la fiscalité environnementale.
M. Michel Vaspart. - Vous évaluez le produit total de la fiscalité environnementale à 87 milliards d'euros, soit 3,73 % du PIB ; au Royaume-Uni il représente 2,4 % du PIB, en Espagne et en Allemagne 1,8 %, en Italie 3,3 %. En d'autres termes, la fiscalité environnementale est deux fois plus importante en France qu'en Espagne et en Allemagne, et 55 % plus élevée qu'au Royaume-Uni. Si cette fiscalité verte est croissante, il faudra qu'en parallèle la fiscalité non verte soit décroissante, sinon nous aurons non seulement des gilets jaunes, mais aussi des bonnets rouges et des pantalons bleus !
La taxation du kérosène ne peut être qu'internationale : une fiscalité nationale mettrait en danger nos entreprises.
M. Patrick Lefas. - Nous sommes tout à fait conscients de cela, c'est pourquoi nos propositions comprennent un volet européen et international. La question du transport aérien prend de l'ampleur dans l'opinion publique : des campagnes se font jour en Europe pour ne plus prendre l'avion.
Le Gouvernement a choisi d'augmenter la taxe sur les billets d'avion. C'est une option possible, mais le secteur du transport aérien ayant déjà fait des efforts, puisque la croissance des émissions est très inférieure à celle du trafic, ne serait-il pas opportun de redistribuer l'argent collecté dans ce secteur, afin de soutenir les investissements permettant de réduire les émissions ? L'option du Gouvernement n'est pas la plus incitative pour les entreprises. Le sujet sera à l'agenda de la prochaine Commission européenne, comme l'a indiqué clairement sa présidente, Mme von der Leyen.
Il faudra également trouver des solutions pour le transport maritime, les premiers bâtiments concernés étant les vaisseaux de croisière. À niveau de prélèvements obligatoires constant, cela implique des arbitrages ; la solution pourrait consister à réinjecter une bonne partie de la recette supplémentaire dans l'économie, dans une proportion qui reste à fixer entre ménages et entreprises.
M. Claude Bérit-Débat. - Une harmonisation européenne et internationale de la fiscalité environnementale est-elle seulement possible, et acceptable pour nos partenaires ? Quels autres instruments que l'outil fiscal préconisez-vous ?
M. Patrick Lefas. - L'ensemble des chefs d'État et de gouvernement doivent comprendre qu'il est impératif de se donner les moyens des objectifs ambitieux qu'ils se sont fixés. Il faut donc tirer toutes les conséquences de l'horizon de neutralité carbone. La Commission européenne a recensé, dans un document publié en 2018, toutes les options possibles dans chaque secteur.
La principale difficulté dans la recherche de consensus vient des États-Unis, qui estiment que la taxe carbone n'est pas une solution alors que des États fédérés comme la Californie l'ont mise en oeuvre ! De même, la Chine n'a pas de système de tarification du carbone, sauf dans quelques provinces. Le rapport du FMI nous aidera à aller dans cette direction : on peut imaginer que l'OCDE se saisira du sujet, comme elle l'a fait pour la taxation du numérique, et qu'ainsi le handicap de compétitivité dont souffre l'Europe, bonne élève de la taxation, se résorbera.
M. Jean-Marc Boyer. - Je suis heureux de découvrir l'existence du CPO, que je ne connaissais pas... Je partage l'avis de Michel Vaspart. Vous avez expliqué qu'en zone rurale, beaucoup plus de CO2 est libéré qu'en zone urbaine, dans le transport comme dans le logement. J'estime qu'il faut remobiliser la taxe carbone.
Air France a souligné, dans une récente réunion, que l'ensemble du transport aérien était responsable de 4 % des émissions de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, contre 13 % pour le numérique. Arrêtons de culpabiliser et de stigmatiser certaines populations. Nous ne sauverons pas la planète seuls. La Chine, les États-Unis n'envisagent aucune mesure pour taxer le carbone, alors que nous multiplions les taxes et les normes. C'est exaspérant, insupportable, inacceptable pour les citoyens et certaines professions comme le transport routier. L'urgence climatique ne doit pas se traduire par de nouvelles taxes.
M. Patrick Lefas. - Il est important de forger la prise de conscience environnementale. Cela réclame une pédagogie de l'action et une grande clarté sur les trajectoires et les objectifs. Il faut se donner les moyens de l'équité fiscale. Il est donc nécessaire de traiter des compensations au plan européen et international. Même si les États-Unis en sont sortis, l'accord de Paris oblige l'ensemble des signataires à des mesures, notamment fiscales, pour tenir les objectifs.
Mme Martine Filleul. - La fiscalité écologique repose surtout sur les ménages les plus modestes. Peut-on imaginer un rééquilibrage entre la fiscalité sur ces ménages et la fiscalité sur les entreprises, moins importante alors qu'elles sont très émettrices en carbone, sans pour autant détériorer leur compétitivité ?
On parle beaucoup de taxation, mais une forme de fiscalité positive pour les modes de transport doux, et notamment pour le transport fluvial, pourrait être envisagée.
M. Patrick Lefas. - L'équilibre est très difficile à trouver. La question des compensations doit être abordée secteur par secteur. L'agriculture, par exemple, pose des problématiques spécifiques. La capacité d'exportation et la compétitivité doivent être prises en compte. Ainsi l'impact d'une hausse de la taxe sur le BTP sera faible, de l'ordre de quelques centaines de millions d'euros, même si les représentants de ce secteur mettent en avant les surcoûts.
Quoi qu'il en soit, il est incohérent de faire peser sur les entreprises l'ensemble de la charge liée à une augmentation, puisque, au bout du compte, c'est le revenu disponible des ménages qui souffrira des hausses de prix qui suivront.
M. Hervé Maurey, président. - C'est pourquoi il faut un volet social et territorial pour rendre acceptable la fiscalité énergétique.
M. Éric Gold. - Vous avez évoqué, en envisageant les compensations possibles, les ménages les plus fragiles, mais pas les territoires les plus fragiles. Est-ce à dire que des mécanismes de compensation, avec un retour de fiscalité en faveur de certaines collectivités, ne sont pas envisageables ? Ce sont pourtant ces collectivités qui mettent en place des systèmes de déplacements collectifs ou construisent des logements moins énergivores.
M. Patrick Lefas. - La question que vous posez est très importante, même si notre rapport ne pouvait l'aborder : à quelle administration publique sont affectées les recettes additionnelles de fiscalité ? Encourager les modes de transport doux et collectif implique d'aider les autorités organisatrices de transport, et pas seulement Île-de-France Mobilités. C'est un enjeu de coordination des politiques publiques : les aménagements urbains, les plans locaux d'urbanisme développant l'habitat périurbain posent la question du mode de transport. La coordination entre l'État et les collectivités est une condition très importante de réussite.
M.
Hervé Maurey, président. -
C'est la raison pour laquelle le Sénat avait voté, il y a deux
ans, l'affectation d'une part du produit de la TICPE au bloc communal.
Les
collectivités territoriales ont un rôle essentiel à jouer
en matière de mobilité, et par là de transition
écologique. L'État conserve les recettes et impose un partage des
dépenses défavorable aux intercommunalités.
M. Christophe Priou. - Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire viennent aisément... Votre présentation est, pour utiliser des termes diplomatiques, assez complexe, et il serait difficile d'organiser un débat public sur le thème dans nos circonscriptions.
Le transport maritime bénéficie d'une croissance à deux chiffres, or il pollue beaucoup. Chacun des vingt ou trente plus grands bateaux au monde pollue autant que plusieurs centaines de véhicules automobiles. Au sein de l'OMI, que vous avez évoquée, il a été très difficile de faire bouger les lignes, en matière de sécurité comme de statut social du personnel navigant. De plus, comment est calculé l'impact environnemental des bateaux qui passent au large de nos côtes pour rejoindre des ports européens ? Et comment taxer les entreprises, alors que la plupart d'entre elles ont des navires sous pavillon d'autres pays ?
M. Patrick Lefas. - J'entends votre critique, mais nous avons souhaité rendre compte en toute rigueur de notre travail pour aboutir à des préconisations immédiatement compréhensibles par le plus grand nombre.
Il est indispensable que l'OMI se saisisse du sujet de la taxation environnementale. On ne peut plus se contenter de mettre en avant les bienfaits de la mondialisation dans des arènes comme l'OMC sans en assumer les externalités sur le plan de la pollution atmosphérique. Il existe des instruments fiscaux et normatifs pour accompagner la modernisation de la flotte de pêche et concevoir des moteurs moins polluants. Dissocier la composante carbone de la fiscalité énergétique permettrait de tenir compte, secteur par secteur, de l'environnement économique des entreprises.
Pour les mêmes raisons, il est important de mettre en place un droit de douane uniforme sur les importations en provenance de pays non coopératifs. Rien ne s'oppose, dans les règles de l'OMC, à sa mise en place. Sans cela, nous laissons subsister des passagers clandestins dans le système mondial.
M. Benoît Huré. - Les enjeux politiques de vos travaux sont très importants. Tout le monde est d'accord sur le diagnostic, et même peut-être sur le traitement ; en revanche, les limites de mesures strictement nationales apparaissent rapidement. Il faut prendre l'affaire à bras-le-corps au niveau européen, et l'Europe est peut-être plus prête qu'on ne le pense à bâtir une politique environnementale forte. Le désordre qu'a introduit M. Trump dans le multilatéralisme donne à l'Europe une fenêtre de tir pour imposer une taxation environnementale sur les produits qui entrent sur le territoire européen sans respecter nos normes. Or nous voulons régler les problèmes au coup par coup, au niveau français, peut-être par un orgueil mal placé, un désir d'être exemplaires. C'est pédagogiquement dévastateur et parfois néfaste sur le plan de la cohésion sociale, car nous sommes condamnés à des politiques illisibles, de mesure fiscale en compensation différenciée. MM. Jean Jouzel et Pierre Larrouturou, que nous avons entendus il y a quelques mois, nous ont confirmé que les leviers se trouvaient au niveau européen. La France représente moins de 1 % de la population mondiale et des terres émergées...
M. Patrick Lefas. - Le principe de
subsidiarité justifie qu'on traite ce sujet à l'échelle
européenne. Les blocs d'exemption fiscale s'imposent au droit
national.
La coopération renforcée peut être aussi une
solution. Cela ferait écho aux propositions de l'économiste
américain, William Nordhaus, pour que plusieurs pays s'associent en club
afin de mettre en oeuvre sur leur territoire des mesures de taxation. Nous
devons raisonner à l'échelle de l'espace économique
européen, en espérant que le Royaume-Uni coopérera avec
l'Union européenne après le Brexit. Nous devons envisager une
harmonisation, certains pays prenant cependant le leadership.
M. Olivier Jacquin. - Je remercie le président Maurey d'avoir invité le CPO. Je suis heureux que nos impôts servent à réaliser des travaux clairs, limpides et salutaires.
Un double dogme prédomine : d'une part qu'il faut
réduire les dépenses publiques, d'autre part qu'il y a trop
d'impôts. Travaillez-vous spécifiquement sur ce couple
consentement à l'impôt et justice fiscale, au-delà de la
fiscalité environnementale ?
Nous constatons un sentiment
d'injustice presque révolutionnaire, remettant en cause l'impôt.
Lorsque les dépenses publiques sont efficaces et justement
réparties entre les citoyens, l'impôt est moins remis en
question...
Vous analysez la trajectoire de la fiscalité carbone
à l'échelle nationale, mais vous donnez peu d'informations sur
l'affectation locale. Ne faudrait-il pas qu'une partie des recettes de la
fiscalité verte soit affectée aux collectivités
locales ? Nous avons pu en avoir l'expérience avec les territoires
à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) :
les
collectivités étaient très motivées pour agir, mais
elles manquent de moyens...
M. Patrick Lefas. - Le consentement à
l'impôt et la justice fiscale sont au coeur de nos travaux. Un rapport
particulier centré sur le cadre juridique, qui accompagne le rapport de
synthèse, met en avant l'intégration de ces enjeux de justice
fiscale et de compatibilité.
Le Conseil constitutionnel peut censurer
une disposition lorsque l'imposition est trop forte, voire confiscatoire.
Le choix de répartition entre administrations publiques est un choix de politique publique. Il est nécessaire si l'on veut convenablement accompagner la modification des comportements. Cela implique que l'État accompagne les différents acteurs, par exemple les autorités organisatrices de transport.
Les collectivités ont des solutions, y compris sur la pollution atmosphérique. Certaines villes européennes ont des péages urbains. C'est un énorme sujet de santé publique.
A contrario, le Gouvernement a favorisé fiscalement le diesel, ce qui a abouti à l'explosion du parc automobile au diesel, singularité française. La cohérence n'était pas au rendez-vous des choix de politique publique, notamment fiscale. Nous devons avancer sur tous ces sujets. Chaque acteur a son rôle, vous au premier chef...
Mme Angèle Préville. - Chacun d'entre nous est responsable des émissions de gaz à effet de serre. En tant que pays développé, la France a déjà beaucoup pollué la planète.
La taxe carbone n'est pas seulement ressentie comme injuste, elle est injuste, en témoignent les manifestations de l'hiver dernier.
Hier, un rapport déplorait l'augmentation de la pauvreté en France. Ne faudrait-il pas prévoir, simultanément voire en amont de la remise en oeuvre de la taxe carbone, des mesures de compensation ou de transparence sur son utilisation, plutôt que de ne réfléchir à ces dispositions qu'a posteriori ? Sinon, cette taxe est injuste.
Les transports sont parmi les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. Toute notre société est fondée sur de grands déplacements domicile-travail. Revenons un peu en arrière pour développer des mobilités véritablement douces : marche à pied, vélo non électrique... Remettons en cause notre manière de consommer, et tenons compte des externalités des droits de douane.
M. Patrick Lefas. - Nous sommes conscients des enjeux de pauvreté, particulièrement prégnants. Pour les populations les plus défavorisées, le 1er décile, l'enjeu est avant tout le logement, suivi des transports collectifs. Nous associons à une trajectoire retenue de fiscalité carbone une courbe des compensations pour les ménages les plus modestes et surtout, les plus affectés. Cette fiscalité doit être vécue comme juste, pour permettre l'adaptation des premières victimes de la pollution en ville.
Vous évoquez les importations, ce qui renvoie à l'économie circulaire. La fiscalité relative au développement durable est au coeur de vos travaux, mais ce rapport ne prend qu'un seul prisme, la fiscalité des énergies fossiles et carbone.
M. Hervé Maurey, président. - Je vous remercie de cette présentation et de vos travaux qui éclairent notre réflexion. Notre commission a beaucoup travaillé sur ce sujet, notamment en organisant une table ronde à l'automne dernier. Nous réfléchissons à l'avenir de la taxe carbone et de la fiscalité écologique ; nous recevrons les animateurs de la convention citoyenne d'ici la fin de l'année.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, d'orientation des mobilités - Examen, en nouvelle lecture, du rapport et du texte de la commission
M. Hervé Maurey, président. - Après l'échec de la commission mixte paritaire (CMP), le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) est revenu à l'Assemblée nationale début septembre. Il sera examiné en séance publique au Sénat, en nouvelle lecture, mardi 5 novembre.
Le travail réalisé par le Sénat a été salué par tous les acteurs, et conservé en grande partie par l'Assemblée nationale. Toutes les conditions étaient réunies pour un accord en CMP. Notre ligne rouge était le financement, qui n'était pas prévu dans le texte initial. Nous avons eu un courrier du Premier ministre l'avant-veille de la CMP, un autre de la ministre quelques heures avant... Ils ne nous ont pas rassurés sur la question des moyens donnés aux intercommunalités pour exercer la compétence « mobilité ». Notre position était sage. On nous annonçait que le futur projet de loi de finances (PLF) résoudrait cette question, mais rien n'est prévu pour le moment...
Autre inquiétude, l'Assemblée nationale a adopté subrepticement des amendements élargissant le périmètre des concessions autoroutières aux sections à gabarit routier. Pour la ministre, cette modification ne change pas grand-chose, mais selon l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), elle autorise le transfert aux sociétés autoroutières de la gestion de certaines portions de routes, en contrepartie d'une augmentation des péages. Cela m'interroge, et va à l'encontre de la loi « Macron » qui voulait encadrer les sociétés d'autoroute et leur capacité à se voir renouveler les concessions ou à élargir leur périmètre.
M. Didier Mandelli, rapporteur. - Nous examinons en nouvelle lecture le projet de LOM à la suite de l'échec de la CMP le 10 juillet dernier.
Je rappelle l'important travail que nous avons réalisé, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, pour améliorer le projet de loi initial sur de nombreux volets. Plus de 35 ans après la loi d'orientation des transports intérieurs (LOTI), la LOM était très attendue tant par les acteurs du secteur que par nos citoyens, en particulier ceux vivant dans des territoires dépourvus d'une offre de mobilité - en témoignent les manifestations depuis un an...
Nous avons abordé ce texte dans un état d'esprit constructif, en partageant son objectif de mettre fin aux « zones blanches de mobilité » et de développer les mobilités propres et partagées pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre.
Au Sénat, plus de 450 amendements ont été adoptés, la moitié en commission et l'autre moitié en séance. L'implication sur ce texte des différents groupes politiques a permis d'intégrer des propositions de tous bords, dans une logique transpartisane.
À l'issue de cet examen, le projet de loi était substantiellement amélioré par rapport à sa version initiale, ce qui a été salué par de très nombreux acteurs.
Nos collègues députés ont adopté, à leur tour, de nombreuses modifications qui, pour certaines, précisent et complètent utilement celles adoptées par le Sénat. Ils ont conservé un grand nombre des ajouts du Sénat, ce dont nous pouvons nous féliciter.
Parmi ces apports, je citerai la sanctuarisation des ressources de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), la pérennisation du Conseil d'orientation des infrastructures et des contrats opérationnels de mobilité, et l'allongement du délai pour la prise de compétence « mobilité » par les communautés de communes ou la possibilité pour les présidents de département d'adapter la vitesse maximale autorisée sur les routes dont ils ont la gestion, qui était un marqueur fort du Sénat à la suite des travaux du groupe de travail sur la sécurité routière dont notre collègue Michèle Vullien était corapporteure. On peut y ajouter les nombreuses dispositions visant à favoriser le développement des véhicules à faibles émissions - je pense, par exemple, à l'inscription d'une obligation de verdissement des flottes de véhicules des entreprises, sur l'initiative de M. Dantec -, à encourager les mobilités partagées et actives, avec la mise en place d'obligation de systèmes d'emport de vélos dans les trains et les bus sur l'initiative de Mme Assassi, ou encore à renforcer la sécurité et la sûreté dans les transports.
Toutefois, et c'est normal, le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale comprend aussi un certain nombre de dispositions avec lesquelles nous sommes en désaccord.
Je citerai en particulier la suppression du troisième cas de réversibilité du transfert de la compétence « mobilité » fondé sur un commun accord entre la région et une communauté de communes, qui donnait pourtant de la souplesse aux collectivités, notamment en cas de changement de contexte ou de projet par les élus ; la suppression de la possibilité offerte aux préfets de relever les vitesses maximales autorisées sur les voies dont ils ont la gestion à 90 kilomètres par heure; le rétablissement de l'article 20 relatif à la responsabilité sociale des plateformes de mobilité, qui ne permet pas de définir un véritable statut pour les travailleurs indépendants de ces plateformes et qui conserve la possibilité pour celles-ci de mettre en place des chartes sociales facultatives à la portée juridique sans doute limitée ; la suppression de l'article visant à flécher davantage les certificats d'économies d'énergie en faveur de la mobilité propre ; l'obligation pour certaines personnes publiques et privées de publier les taux de verdissement de leurs flottes renouvelées tous les ans, qui pourrait conduire à une forme de « name and shame » ; ou encore les dispositions permettant d'inclure dans le périmètre des concessions autoroutières des sections à gabarit routier.
Les échanges que nous avons eus avec les rapporteurs de l'Assemblée nationale en vue de préparer la commission mixte paritaire ont permis de trouver des rédactions de compromis sur la quasi-totalité des sujets qui restaient en discussion. J'indique que 110 propositions de rédaction ont été cosignées par les rapporteurs de l'Assemblée nationale et moi-même, ce qui témoigne d'un important travail de concertation.
Ne subsistait en réalité qu'une seule question en suspens, mais une question de taille : celle du financement des intercommunalités qui se saisiront de la compétence d'organisation des mobilités.
Vous le savez, le projet de loi prévoit que les communes devront délibérer avant le 31 décembre 2020 pour transférer, à compter du 1er juillet 2021, cette compétence aux communautés de communes dont elles sont membres. Il s'agit, selon la promesse du Gouvernement, de mettre fin aux « zones blanches de la mobilité ».
Ce transfert pose la question des ressources dont disposeront ces intercommunalités pour développer une offre de mobilité, étant donné que la plupart d'entre elles ne mettront pas en place de services réguliers de transport, compte tenu du coût de tels services, et qu'elles ne bénéficieront donc pas des recettes du versement mobilité.
Nous avions à cette fin intégré au Sénat un dispositif de financement permettant à ces intercommunalités d'instaurer un versement mobilité à taux minoré, à hauteur de 0,3 %, même en l'absence de services réguliers de transport, et de bénéficier d'une part du produit de la taxe carbone en complément lorsque les ressources perçues sont insuffisantes pour développer une offre de mobilité satisfaisante.
Les députés ont supprimé ces dispositions, renvoyant, comme le Gouvernement, le règlement de cette question au prochain projet de loi de finances. Nous étions prêts à accepter cette suppression en contrepartie d'un engagement formel du Gouvernement à prendre, dans ce projet de loi de finances, les mesures appropriées.
Ce n'est que deux jours avant la commission mixte paritaire que le Gouvernement nous a indiqué, par courrier, que pour financer leur compétence « mobilité » les intercommunalités pourraient compter sur le dynamisme de la part de la TVA qui leur serait attribuée pour compenser la suppression de la taxe d'habitation.
Cette réponse ne nous a absolument pas paru à la hauteur des enjeux, pour deux raisons.
D'une part, rien ne dit que ce supplément de recettes de TVA sera suffisant et stable dans le temps, ce qui pose problème lorsque l'on souhaite organiser des services de mobilité sur un temps long nécessitant des investissements importants.
D'autre part, ces ressources ne seront pas liées à l'exercice de la compétence « mobilité », ce qui n'incitera pas les intercommunalités à se saisir de cette compétence, d'autant que celles-ci pourraient être amenées à les utiliser pour financer d'autres priorités budgétaires.
Le projet de loi de finances pour 2020 entérine ce choix et ne prévoit aucune autre mesure permettant d'assurer un financement pérenne de la compétence « mobilité ». Pire, au lieu d'attribuer aux autorités organisatrices de la mobilité des moyens supplémentaires, il les prive en réalité d'une partie de leurs ressources, puisqu'il prévoit d'amputer de 45 millions d'euros la compensation que l'État leur verse à la suite du relèvement du seuil de salariés à partir duquel les employeurs sont assujettis au versement mobilité opéré en 2016.
Dans ces conditions, la promesse du Gouvernement de mettre fin aux « zones blanches de la mobilité » risque fort de rester lettre morte, au détriment des habitants de ces territoires, qui n'ont pourtant cessé de rappeler au cours des derniers mois à quel point il était urgent de répondre à leurs besoins de mobilité.
Je le regrette, car je crains que cette loi ne crée au final beaucoup de déception au regard des attentes de ceux qui habitent dans ces territoires dépourvus d'alternatives à la voiture individuelle.
C'est pourquoi je considère qu'il n'y a pas lieu de poursuivre les discussions sur ce texte, et vous propose d'adopter une motion tendant à lui opposer la question préalable.
M.
Hervé Maurey, président. - La
proposition du rapporteur me paraît sage.
De toute évidence, il
n'est pas utile de consacrer de nombreuses heures à examiner de nouveau
l'ensemble du texte avant de donner le dernier mot à l'Assemblée
nationale.
Mme Michèle Vullien. - Je remercie le rapporteur de son propos. Nous avons fourni un travail important sur ce projet de loi car la mobilité est un enjeu transversal important, comme l'a montré le mouvement des gilets jaunes.
J'entends le raisonnement du rapporteur, mais je ne le partage
pas totalement.
J'ai l'impression de rester au milieu du gué. Il
faudrait continuer à travailler, car il est par exemple dangereux de
laisser les routes au privé - on va finir par vendre tous les
bijoux de famille !
Lever les fourches ne rend pas justice au travail que nous avons fait. Il faut dire avec force que nous ne sommes pas d'accord sur la question du financement. Les territoires attendent ce texte, et il ne faudrait pas donner l'impression que le Sénat s'en remet à l'Assemblée nationale.
M. Hervé Maurey, président. - Je rappelle que l'examen de la question préalable est précédé d'une discussion générale : l'ensemble des groupes pourront s'exprimer.
M. Didier Mandelli, rapporteur. - La question préalable est justifiée par le blocage sur la question du financement, mais également par le fait que la majeure partie de notre travail a été conservée par l'Assemblée nationale.
M. Claude Bérit-Débat. - Nous partageons la position du rapporteur, notamment sur la question du financement. Lors de la discussion générale, nous évoquerons les propositions qui n'ont pas été retenues, mais il est inutile de consacrer davantage de temps à ce texte si nos propositions doivent encore une fois être balayées d'un revers de main.
M. Jean-François Longeot. - Je suis ennuyé. Le rapporteur a souligné l'important travail de notre assemblée, qui a adopté plus de 450 amendements et amélioré le projet de loi. Alors que nous sommes en désaccord avec l'Assemblée nationale, nous brandissons la question préalable. Je ne suis pas certain que notre décision de ne pas poursuivre les débats soit bien interprétée par nos territoires. Comme Mme Vullien, je pense qu'il faut aller jusqu'au bout.
Certes, chaque groupe pourra exprimer son mécontentement lors de la discussion générale. C'est comme si une équipe de football ne jouait pas la deuxième mi-temps d'un match...
M. Guillaume Gontard. - Je partage les propos de Michèle Vullien et Jean-François Longeot : ce texte a été fortement enrichi par le travail constructif du Sénat.
J'ai participé à la commission mixte paritaire : nous étions très proches d'un accord, le seul problème restant étant celui du financement, sur lequel nous n'avancerons pas. La question préalable me convient donc.
M. Olivier Jacquin. - Par courrier, le Premier ministre et la ministre nous ont promis de prévoir des financements dans le projet de loi de finances. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il s'agissait d'une arnaque, mais c'était à tout le moins de la tromperie sur la marchandise. Dans ces conditions, il est difficile de faire un simulacre de débat. La proposition du rapporteur me semble pertinente eu égard à ce que j'ai entendu lors de la commission mixte paritaire. Il était impossible de parvenir à un accord.
Je ferai une proposition : nous pourrions tous signer une tribune sur le seul point de l'absence de financement dédié, que les médias pourraient relayer. Il faut avoir la sagesse de n'évoquer que ce point, car nous ne pourrons être tous d'accord sur d'autres articles, comme l'article 20 ou celui sur les concessions autoroutières. Ce dernier point est extrêmement important, car sans argent il n'est pas possible d'avoir de politique des mobilités.
M. Didier Mandelli, rapporteur. - Je suis d'accord avec cette proposition.
M. Frédéric Marchand. - Je suis chagriné par la fin du film, car le Sénat a fait un travail extraordinaire. Je ne suis pas d'accord avec les propos d'Olivier Jacquin sur le déroulement de la commission mixte paritaire. Bien malin celui qui aurait pu dire comment les choses allaient se dérouler... Nous avions eu encore la veille des échanges avec le Premier ministre et la ministre chargée des transports. Étant nouveau dans la fonction, je suis peut-être naïf, mais je pense encore que la parole de l'État a du sens. Des engagements ont été pris, la discussion budgétaire a commencé à l'Assemblée nationale, les députés rapporteurs du texte ont aussi pris des risques... Le rapporteur l'a dit, les sujets de divergence sont relativement mineurs.
Nous ne pouvons nous rallier à la position du rapporteur.
M. Ronan Dantec. - Je rejoins l'analyse de Michèle Vullien et Jean-François Longeot. Nous perdons une occasion de réaffirmer notre position en refusant de discuter de nouveau du texte.
Le fait que ce projet de loi ait d'abord été soumis au Sénat était une victoire politique. La situation aurait été différente si l'on avait refusé de débattre d'un texte venant de l'Assemblée nationale.
J'aurais préféré que l'on se mette d'accord sur quelques amendements portés par le rapporteur, qui auraient correspondu aux amendements déposés en vue de la commission mixte paritaire, et que l'on remette le financement dans le texte. Nous aurions alors laissé l'Assemblée nationale prendre la responsabilité de retoquer les articles sur le financement. Cette solution aurait été politiquement plus lisible.
M. Didier Mandelli, rapporteur. - Monsieur Dantec, nous discutons aujourd'hui du texte issu de l'Assemblée nationale, qui l'a déjà examiné en nouvelle lecture après l'échec de la commission mixte paritaire.
M. Ronan Dantec. - Alors vous pouvez supprimer mon intervention du compte rendu ! (Sourires.)
M. Benoît Huré. - Quid du courrier du Premier ministre et de la ministre ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. - Il portait uniquement sur l'affectation d'une partie de la TVA aux intercommunalités dans le cadre de la réforme de la taxe d'habitation. Ce n'était pas ce que nous attendions.
M. Benoît Huré. - La solution proposée par le Sénat était plus lisible.
M. Alain Fouché. - Je suis plutôt d'accord avec M. Longeot et avec M. Dantec qui a un peu changé d'avis en cours de route !
M. Hervé Maurey, président. - M. Dantec ne s'est pas exprimé !
M. Alain Fouché. - La proposition de M. Jacquin me semble intéressante. Notre retrait risque d'être mal compris sur le terrain. Je me rallierai à la majorité de la commission, comme à mon habitude.
M. Jean-Michel Houllegatte. - J'approuve la stratégie proposée par le rapporteur.
Nous sommes très cohérents : nous avons obtenu ce que nous voulions sur le fond du texte. Ne manque que le volet financier. À nous de poser un acte politique fort, en quelque sorte un préavis de grève !
M. Hervé Maurey, président. - Pas un droit de retrait ?... (Sourires.)
M. Jean-Michel Houllegatte. - Le combat doit continuer dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances. Les intercommunalités doivent avoir les moyens d'exercer la compétence d'organisation des mobilités.
M. Hervé Maurey, président. - Le dispositif de la motion tendant à opposer la question préalable est bref. En revanche, l'objet de la motion développe longuement les raisons de notre position qui ont été rappelées par le rapporteur.
Comme certains d'entre vous l'ont dit, le projet de loi de finances pour 2020 nous permettra de déposer des amendements, notamment sur la baisse de la compensation du versement mobilité de 45 millions d'euros. Rien n'est prévu alors même que nous avions indiqué, dès le premier jour, que nous ne pourrions accepter qu'une compétence aussi importante soit confiée aux intercommunalités sans financement dédié.
Je retiens l'excellente suggestion d'Olivier Jacquin. Nous allons essayer de rédiger une tribune pour réaffirmer nos positions sur ce projet de loi.
La motion COM-9 est adoptée. En conséquence, la commission décide de soumettre au Sénat une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.
L'ensemble des amendements deviennent sans objet.
M. Hervé Maurey, président. - La commission n'ayant pas adopté de texte, en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture. Les amendements qui avaient été déposés pourront l'être de nouveau en vue de la séance publique. Dans l'hypothèse où la question préalable ne serait pas adoptée par notre assemblée, l'examen des articles porterait sur le texte adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
TABLEAU DES SORTS
Article 31 |
||
Auteur |
N° |
Sort de l'amendement |
M. BONNECARRÈRE |
7 |
Satisfait ou sans objet |
M. BONNECARRÈRE |
8 |
Satisfait ou sans objet |
M. BONNECARRÈRE |
6 |
Satisfait ou sans objet |
RAPPORT ANNEXÉ |
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Auteur |
N° |
Sort de l'amendement |
M. LUCHE |
1 |
Satisfait ou sans objet |
M. POINTEREAU |
5 |
Satisfait ou sans objet |
Questions diverses
La commission autorise la publication du compte rendu de la table ronde sur l'application de la loi pour un nouveau pacte ferroviaire accompagné d'un état des lieux introductif sous forme d'un rapport d'information de MM. Hervé Maurey et Didier Mandelli.
La réunion est close à 11 heures 25.