Mardi 22 octobre 2019
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 15 h 40.
Audition de M. Éric Schnur, président-directeur général du groupe Lubrizol
M. Hervé Maurey, président. - Mes chers collègues, nous procédons aujourd'hui à la première audition de notre commission d'enquête sur la gestion des conséquences de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, dans le cadre d'une réunion ouverte au public et à la presse, dont un compte rendu sera publié.
Nous recevons, pour cette première audition, M. Eric Schnur, président-directeur général du groupe Lubrizol.
La commission d'enquête a été créée à la demande de l'ensemble des présidents de groupes politiques et des présidents de commissions du Sénat. Elle a été installée le 17 octobre dernier et deux rapporteurs, issus de groupes politiques différents, ont été désignés : Mmes Christine Bonfanti-Dossat et Nicole Bonnefoy.
Son objectif est d'examiner l'intervention des services de l'État dans la gestion des conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol, d'évaluer la politique de prévention et de gestion des accidents liés aux installations classées et d'en tirer des enseignements pour améliorer la maîtrise des risques technologiques.
Nous avons souhaité vous entendre, monsieur Schnur, à l'occasion de votre venue à Paris, afin d'obtenir des premières réponses sur les conditions de l'incendie du 26 septembre dernier, à l'origine de la crise qui perdure sur le territoire rouennais et en Seine-Maritime.
L'un des principes structurants de la prévention des risques technologiques veut effectivement que l'exploitant soit le premier responsable de la sécurité de ses installations et qu'il lui incombe de réduire à la source les risques liés à ses activités industrielles. Il était donc essentiel que nous puissions vous interroger rapidement, étant entendu que nous aurons certainement à vous solliciter à nouveau.
Dans le respect de la séparation des pouvoirs, il nous appartient non pas de rechercher ou d'établir la responsabilité judiciaire de votre entreprise, mais de comprendre les faits ainsi que leur contexte, et d'en tirer des enseignements pour la politique de prévention et de gestion des accidents industriels. Nous attendons toutefois des réponses claires et précises afin de disposer des éléments nécessaires à nos travaux.
Nous souhaiterions, à ce titre, que vous puissiez nous rappeler les principales caractéristiques de l'usine Lubrizol de Rouen, ainsi que les mesures de prévention et de gestion de crise mises en place sur ce site ; la chronologie des événements ; les principales actions et décisions prises par votre entreprise depuis le début de l'accident ; votre appréciation des dommages causés par l'accident et de l'étendue de votre responsabilité en termes d'indemnisation, notamment s'agissant de l'indemnisation à l'amiable que vous avez envisagée la semaine dernière ; la façon dont vous avez coopéré avec les pouvoirs publics ; vos choix en matière de communication, la ministre de la transition écologique et solidaire ayant émis, ici même, la semaine dernière, quelques réserves à ce sujet.
Avant de vous laisser la parole, je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Eric Schnur prête serment.
M. Eric Schnur, président-directeur général du groupe Lubrizol. - Je vous remercie de me donner l'occasion de m'entretenir avec vous aujourd'hui.
Au nom des 8 700 employés de Lubrizol dans le monde, je voudrais tout d'abord adresser mes plus sincères excuses à toutes les personnes touchées par l'incendie du 26 septembre dernier, qui a détruit nos équipements d'enfûtage et nos installations de stockage à Rouen. Nous sommes profondément désolés pour les perturbations occasionnées au cours des jours et des semaines qui ont suivi.
Lubrizol fait partie du territoire rouennais depuis plus de soixante ans, tout comme nos centaines d'employés et leurs familles - certains depuis le début de leur vie. Les résidents des communes concernées sont nos voisins et nos amis. Nous souhaitons leur apporter notre soutien.
Dans les soixante sites que nous exploitons à travers le monde, notre objectif a toujours été de garantir une sécurité maximale. Ma première responsabilité est la sécurité de nos employés. D'après les informations à notre disposition, l'incendie s'est déclenché à l'extérieur de notre site, mais nous attendons d'en connaître exactement l'origine et la cause.
Nous contribuons pleinement à l'enquête en cours et devons tirer les leçons des événements de Rouen. Nous avons eu la chance de ne compter aucun blessé - nous en sommes très heureux -, mais savoir ce qui s'est réellement passé est, pour moi, d'une importance capitale. Il ne s'agit pas d'une question juridique ; il s'agit de la sécurité de ma famille - ma famille Lubrizol -, dont j'ai la responsabilité, à Rouen comme sur chacun de nos soixante sites.
J'ai passé personnellement beaucoup de temps avec nos employés français au cours des dernières semaines et mon groupe, au niveau mondial, se mobilise quotidiennement depuis le 26 septembre pour répondre aux besoins de terrain. Le dévouement de nos employés envers leur territoire, leurs collègues et leur entreprise est vraiment impressionnant. Beaucoup d'entre eux travaillent sur le site rouennais de Lubrizol depuis de nombreuses années, parfois depuis plusieurs décennies. Le site est leur deuxième maison ; une partie de chez eux a brûlé. L'émotion est très forte. Mais ils sont plus que jamais déterminés à reconstruire ce qui constitue le moyen de subsistance de leur famille et à aider leurs voisins et amis.
Ma détermination à les aider, eux et les populations locales, est tout aussi inébranlable.
Le monde compte sur Lubrizol, et cela depuis plus de
quatre-vingt-dix ans.
La moitié des véhicules de la
planète utilisent nos additifs, notre objectif constant étant de
réduire les émissions et de diminuer l'impact environnemental.
Environ la moitié des consommateurs mondiaux utilisent quotidiennement
nos produits, qui sont employés dans la fabrication d'appareils
médicaux, d'équipements de sport, de soins de la peau, etc.
Nous prenons très au sérieux nos responsabilités envers ces milliards de consommateurs. Notre métier est d'apporter de l'efficacité et de la valeur en relevant les défis. C'est exactement ce que nous avons l'intention de faire au sein du territoire rouennais : oeuvrer ensemble pour résoudre ce défi et redevenir un atout pour nos employés, les populations locales et les milliers de personnes dépendant de notre site.
Dès les premières heures de l'incendie, et durant les jours et semaines qui ont suivi, nous avons privilégié une communication ouverte. Nous avons répondu à toutes les questions dans la mesure de nos capacités et donné suite, le plus rapidement possible, à toutes les requêtes formulées par les autorités.
Le 26 septembre, à environ 2 heures 39, notre équipe d'intervention est intervenue pour tenter de maîtriser l'incendie. Elle a rapidement été rejointe par les sapeurs-pompiers. Nous remercions chaleureusement ces premiers intervenants de leurs efforts pour lutter contre l'incendie. Leurs compétences et leur rapidité ont permis de contenir et, par la suite, de maîtriser l'incendie du site ce même jour.
Dès la première heure de l'incendie, nous avons mis en place un centre de commandement avec les autorités afin de fournir toutes les informations nécessaires pour contenir l'incendie et veiller à la sécurité du site et des populations environnantes.
Dans les heures suivantes, nous avons activé notre équipe mondiale de gestion de crise composée de plusieurs de nos dirigeants internationaux, dont moi-même, pour apporter soutien et expertise à nos collègues de Rouen.
Le jour de l'incendie, à 5 heures 30 du matin, la directrice générale de Lubrizol France avait déjà rejoint la préfecture pour fournir toutes les informations potentiellement nécessaires et répondre à toutes les demandes, afin que la crise puisse être gérée aussi efficacement que possible.
L'équipe de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) a également rejoint notre site dès les premières heures de l'incendie et a reçu le plein soutien des salariés de Lubrizol pour gérer la crise.
Le site rouennais de Lubrizol produit des additifs pour lubrifiants utilisés dans le domaine du transport et des applications industrielles, notamment des composants pour les huiles de moteur et des fluides hydrauliques. Nous avons également répondu à toutes les demandes d'informations concernant nos produits impliqués dans l'incendie.
Moins de huit heures après le départ de l'incendie, nous avions déjà fourni aux autorités locales la liste des 380 produits Lubrizol présents dans nos entrepôts, ainsi que la composition détaillée et les fiches de données de sécurité des 10 produits présents en plus grande quantité.
Au cours des jours suivants, nous avons fourni des fiches de données de sécurité étendues sur ces 380 produits, énumérant tous les composants de chaque produit, pour compléter les informations et faciliter les analyses environnementales.
S'agissant des produits Lubrizol entreposés chez Normandie Logistique, cela fait des années que nous faisons appel à cette entreprise pour stocker des produits, conformément à une pratique courante dans toutes les industries du monde. À cet égard, nous avons pleinement respecté la législation et la réglementation applicables, et informé les autorités locales, notamment la Dreal.
Le jour de l'incendie, nous avons également informé les autorités locales que nous stockions des produits chez Normandie Logistique. Une liste complète de ces produits, ainsi que les fiches étendues de données de sécurité, leur a été communiquée, à leur demande, le 4 octobre.
Nos produits représentent moins de la moitié du stock ayant brûlé lors de l'incendie sur le site de Normandie Logistique.
Nous restons fermement engagés à maintenir une communication ouverte et à répondre à toutes les questions relatives aux produits impliqués dans l'incendie.
Ces informations étaient importantes, non seulement pour gérer la crise sur le terrain, mais également pour déterminer les effets sur la santé.
De nombreuses questions ont été soulevées sur ce sujet et celui de l'environnement, je le comprends parfaitement. Mais les produits Lubrizol ayant brûlé ne représentent aucune menace pour la santé, hormis l'irritation passagère normalement provoquée par la fumée, celle qui s'est dégagée de l'incendie étant similaire à la fumée émise par d'autres types d'incendies ordinaires. Nos produits sont principalement composés de matières organiques, essentiellement de carbone et d'hydrogène.
Néanmoins, nous sommes profondément désolés pour les irritations que la fumée a provoquées et reconnaissants envers la préfecture d'avoir appelé la population à rester confinée.
Par ailleurs, nous avons mené une évaluation rigoureuse de tous les produits Lubrizol ayant brûlé dans nos entrepôts. Nous savons également très précisément quels étaient nos produits entreposés sur le site de Normandie Logistique. Nous pouvons affirmer en toute confiance, sur la base des analyses environnementales effectuées à ce jour, que l'ensemble de ces produits ne constitue aucune menace sur la santé en dehors de l'irritation passagère que j'ai déjà évoquée.
Mais nous comprenons que des préoccupations persistent et soutenons pleinement la décision de mener des analyses complémentaires, tout en poursuivant la surveillance pour apaiser les inquiétudes de la population. Nous avons travaillé, avec les autorités locales et les organismes environnementaux de Rouen, à l'élaboration d'un plan détaillé en matière d'analyses environnementales, notamment pour l'analyse continue des sols, de l'eau et de l'air. Ce plan a été publié sur le site internet de la préfecture.
Chez Lubrizol, rien n'est plus important que de préserver la santé, la sûreté, l'environnement et la sécurité de nos employés et des collectivités.
Comme je l'ai indiqué, notre objectif en tant que groupe international est zéro accident et zéro blessure ; nous sommes déterminés à améliorer continuellement toutes nos mesures en matière de santé, de sûreté, d'environnement et de sécurité.
Notre site rouennais satisfait entièrement à toutes les exigences réglementaires, y compris à la réglementation Seveso. Dans le cadre de cette réglementation et de notre propre culture de sécurité, nous effectuons fréquemment des évaluations et des exercices à l'aide de scénarios de risques potentiels, impliquant, notamment, une collaboration et un partage des connaissances avec les autorités.
Nous procédons à des simulations d'incendie sur le site pour assurer la sécurité de nos employés et de nos voisins particuliers et industriels. Dans ce cadre, nous étudions également les impacts potentiels de la fumée et les effets sur l'environnement. Ces évaluations confirment l'absence totale de conséquences immédiates ou permanentes sur la santé, autres que les irritations passagères occasionnées par la fumée.
D'ailleurs, nous avons récemment mis à jour notre analyse officielle des risques concernant la zone de l'entrepôt ayant brûlé : elle a été transmise aux autorités le 18 septembre dernier.
Nous devons maintenant envisager comment aller de l'avant. Nos soixante années d'appartenance au territoire rouennais nous ont permis de tisser des relations solides avec la préfecture et les élus locaux. Nous avons l'intention de continuer à être le bon voisin que nous avons toujours cherché à être, en aidant dès maintenant notre territoire à revenir à une situation normale.
Au cours des dernières semaines, nous avons collaboré avec les autorités locales et nationales, ainsi qu'avec les parties prenantes, pour évaluer le soutien à fournir, dans l'immédiat comme dans la durée.
Nous nous sommes engagés à apporter notre soutien aux agriculteurs ayant enregistré des pertes à la suite de l'incendie et, plus largement, à la population, notamment en finançant les petits commerces et entreprises affectés. Nous souhaitons veiller à ce que l'activité touristique de la région ne subisse pas d'interruption et nous octroierons des fonds pour promouvoir la belle ville de Rouen et l'ensemble de la région normande. Nous apporterons également des fonds pour contribuer aux analyses environnementales évoquées plus haut, afin d'apaiser les inquiétudes de la population.
Par ailleurs, nous continuerons à soutenir nos employés. Nous avons informé tous nos travailleurs du site rouennais qu'ils conserveront leur emploi et percevront intégralement leur salaire pendant notre reconstruction. Ces résidents de Rouen et leur famille continueront de faire l'objet du plein soutien de Lubrizol. Leurs salaires, les taxes qui y sont associées et l'investissement de l'entreprise sur le site de Rouen représentent plus de 200 millions d'euros injectés dans l'économie française chaque année.
Le site rouennais de Lubrizol ne sera plus jamais le même. Nous ne reconstruirons pas ce que nous avons perdu. Mais nous espérons faciliter un retour à la normale pour nos voisins aussi rapidement que possible.
Nous souhaitons sincèrement continuer à faire partie intégrante du territoire rouennais, accompagnés du soutien de chacun d'entre vous, des autorités locales et de la population environnante. Nous espérons pouvoir reprendre nos activités dans l'usine de production qui n'a pas été détériorée par l'incendie. C'est primordial dans l'intérêt de nos milliers d'employés et de leurs familles, et pour nos clients et fournisseurs dépendant du site.
Même si j'aimerais qu'il en soit autrement, la date du 26 septembre restera gravée dans l'histoire de notre groupe. Mais nous en tirerons toutes les leçons qui s'imposent. Nous soutiendrons nos voisins et ressortirons plus forts de cette crise, et plus performants pour la ville de Rouen et pour toutes les communautés auxquelles nous appartenons à travers le monde.
M. Hervé Maurey, président. - Pouvez-vous répondre à mes questions avant que nos rapporteurs ne prennent la parole ?
M. Eric Schnur. - Je pense avoir répondu sur la séquence des événements, mais n'hésitez pas à revenir sur le sujet si des informations manquent. Nous ne connaissons pas l'évaluation des dégâts subis par la communauté. Cela étant, nous avons clairement annoncé notre volonté d'aider, que ce soit les agriculteurs, via la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), ou toute personne impactée. Nous avons une grande responsabilité en tant que voisin, et nous l'assumerons. J'ai également indiqué que nous souhaitions tirer les leçons de cet incendie - nous sommes preneurs de tout renseignement ou toute critique -, que nous avions communiqué avec la presse et travaillé jour après jour pour aider les autorités. J'ai notamment eu un entretien très productif avec Mme Élisabeth Borne. Je suis aujourd'hui à Paris pour m'assurer que nous pouvons commencer à verser les indemnisations.
M. Hervé Maurey, président. - Concrètement, où en êtes-vous au sujet des indemnisations ? À quoi pensez-vous quand vous parlez d'indemnisation forfaitaire, sachant que certains dommages ne peuvent pas encore être évalués ?
M. Eric Schnur. - Un certain nombre de mesures ont été prises, en lien avec le Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental (FMSE), pour savoir quels étaient les agriculteurs touchés et répondre aux priorités. Nous allons gérer les fonds avec le FMSE et travailler avec la préfecture de la Seine-Maritime afin de répondre aux besoins de l'économie locale. Des travaux de nettoyage et d'évaluation environnementale sont d'ores et déjà financés.
M. Hervé Maurey, président. - À ce stade, il n'existe donc pas encore, de votre part, d'évaluation globale du préjudice, mais uniquement des dispositifs tendant à faire face aux besoins les plus urgents ?
M. Eric Schnur. - C'est bien cela, monsieur le président.
M. Hervé Maurey, président. - Nous serons certainement appelés à revenir sur la question de l'indemnisation globale.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Vous l'imaginez, nos questions sont nombreuses. Tout d'abord, avez-vous répertorié le nombre d'accidents industriels du groupe Lubrizol au cours des dernières années, non seulement en France, mais aussi en Europe et dans le monde ? En quoi le régime de protection américain diffère-t-il du nôtre ? Quelles sont ses particularités dont nous pourrions nous inspirer ?
J'ai bien entendu votre propos rassurant : vous indiquez que l'on connaît la nature et la quantité de produits chimiques qui ont brûlé. N'étant pas diplômée en chimie, je n'ai pu analyser outre mesure la liste publiée par la préfecture de la Seine-Maritime. Cela étant, en brûlant ensemble, ces produits n'ont-ils pas provoqué une combustion sauvage ? Dès lors, connaît-on réellement la dangerosité du panache de fumée qui s'est élevée sur Rouen et ses environs ?
M. Hervé Maurey, président. - En complément du premier point évoqué par Mme la rapporteur, je rappelle que, en 2013, une importante fuite de gaz était survenue dans votre établissement de Rouen. À ce titre, la justice a condamné l'entreprise Lubrizol en 2014, considérant qu'il y avait « une série d'insuffisances dans la maîtrise des risques de la part de la société ». L'incident de septembre 2019 n'est donc pas une première sur ce site. Quelles conséquences avez-vous tirées, à Rouen, des événements de 2013 et de la condamnation de 2014 ?
M. Eric Schnur. - En 2013, le site de Rouen a subi une fuite de mercaptan ; ce produit n'est pas dangereux, mais il dégage une odeur très désagréable. Nous avons investi 20 millions d'euros pour améliorer la sécurité des équipements et prévenir toute répétition de cet accident, qui n'a aucun lien avec l'incendie du 26 septembre dernier.
Les incidents survenus au cours des dernières
années ont provoqué quelques blessures mineures. À
Hambourg, en 2015, de petites fuites d'huile ont été
observées dans les systèmes d'évacuation. Elles ont
été rapidement réparées. En Belgique, en 2018,
on a détecté une fuite au titre d'un conduit, et des poudres se
sont accidentellement répandues sur la chaussée. Elles ont
été nettoyées très rapidement. En 2017, en
Pennsylvanie, l'un de nos sites a subi un incendie. Les produits qui y
étaient stockés ont été rapidement
identifiés.
Nous avons pris les mesures et déployé des
investissements - nouveaux agencements des sites, nouveaux
matériaux - pour que ces incidents ne se reproduisent plus.
J'en viens aux procédures de sécurité
américaines et françaises. En vertu de la réglementation
française dite « Seveso », qui est très
rigoureuse, les scénarios potentiellement dangereux, susceptibles de
toucher nos sites, doivent faire l'objet d'une simulation.
Nous faisons
régulièrement ce travail, notamment sur le site de Rouen. Nous
cherchons constamment à simuler et à anticiper les risques, que
ce soit en Amérique, en Asie ou partout ailleurs. Les règlements
varient selon les régions du monde, mais notre objectif est partout le
même : éviter toute blessure et tout incident.
Au sujet du panache de fumée et de son impact sur la santé, nous connaissons en détail toutes les matières qui ont brûlé lors de l'accident. Nous pouvons donc effectuer des simulations. Ce panache se composait, à hauteur de 90 %, de carbone et d'hydrogène. Il n'y a aucune différence significative avec les fumées dégagées lors d'un incendie ordinaire, comme celui d'une maison ; lors de l'incendie d'un logement, les fumées qui se dégagent peuvent même être plus toxiques.
Nous pouvons prédire les impacts à court et long termes sur la santé. Il s'agit d'une fumée irritante : nous nous en excusons de nouveau très sincèrement. Mais il n'y aura aucun autre impact sur la santé que cette irritation.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Vous affirmez que, depuis des années, vous travaillez de concert avec Normandie Logistique, en vertu de pratiques communes dans votre secteur. Vous ajoutez avoir fourni la liste détaillée des produits concernés quand les autorités vous l'ont demandée, après l'incendie. Les substances stockées chez Normandie Logistique et chez Lubrizol sont-elles les mêmes ? Avez-vous régulièrement signalé aux services de l'État le transport de fûts de substances dangereuses entre l'usine Lubrizol et Normandie Logistique, dont l'établissement n'est pas classé Seveso ?
En outre, vous avez évoqué votre grande
responsabilité en matière de sécurité.
Or,
en 2010, une étude a mis en lumière une grave
méconnaissance des enjeux de sécurité de la part des
sous-traitants des industries rouennaises. Sur la base de ce constat, avez-vous
revu vos exigences, notamment quant aux formations imposées à vos
prestataires ? Pour quelles activités et depuis combien de temps
avez-vous recours à la sous-traitance ? Dans quelles conditions vos
sous-traitants ont-ils été formés ?
M. Eric Schnur. - À Rouen, Lubrizol stocke uniquement des matières non dangereuses. Les autorités savaient que nous entreposions également des matières chez Normandie Logistique, mais elles n'étaient pas régulièrement informées de ce que nous y stockions : nous n'y déposions pas de matières dangereuses soumises à la réglementation Seveso.
Je ne connais pas tous les détails de l'étude que vous évoquez. Cela étant, tous nos sous-traitants sont tenus d'être en conformité avec les règles que nous suivons en matière de sécurité : toutes les personnes travaillant sur nos sites de stockage, dont les sous-traitants, reçoivent la même formation que nos employés.
Mme Pascale Gruny. - La région dont je suis l'élue, les Hauts-de-France, a elle aussi été touchée par cet accident, bien qu'elle soit située à plus de 200 kilomètres de Rouen.
Je pense d'abord aux agriculteurs : qu'en sera-t-il des
indemnisations ?
Les assurances de l'entreprise Lubrizol vont-elles
prendre en charge les pertes agricoles ? Il faudra du temps pour
connaître l'étendue des dégâts. Comment, par exemple,
évaluer le préjudice provoqué, pour les betteraves, par la
perte de teneur en sucre ? Comment se contenter d'une indemnisation
forfaitaire ? Les agriculteurs doivent être remboursés
à hauteur de leurs pertes réelles.
De surcroît, dans quels délais les indemnisations
seront-elles octroyées ?
Les avances sont versées
plutôt par l'interprofession que par l'État français.
Or
l'interprofession ne dispose pas de moyens extensibles pour soutenir des
agriculteurs qui, au demeurant, sont déjà en grande
difficulté.
Vous affirmez que toutes les mesures de sécurité ont été prises par l'entreprise. Mais aujourd'hui, pensez-vous prendre de nouvelles initiatives à cet égard ?
M. Hervé Maurey, président. - La région de Normandie a, elle aussi, mis en place des mesures de soutien en faveur des agriculteurs.
M. Eric Schnur. - En premier lieu, nous nous excusons de l'impact que vous avez éprouvé dans le nord de la France. Il y aura des conséquences pour les légumes, le lait et les oeufs ; d'autres produits ont certainement été affectés, et c'est là un enjeu de long terme.
Cela étant, les agriculteurs ont besoin d'aide maintenant ; nous travaillons avec le FMSE pour définir les aides prioritaires et nous devons faire en sorte d'indemniser toutes les exploitations agricoles affectées. Dans les tout prochains jours, une annonce devrait être faite, pour préciser comment les différents acteurs agricoles touchés pourront bénéficier d'une première compensation. Pour l'heure, ce problème complexe n'est pas de nature juridique ; il nous faut garantir un soutien en tant que bon voisin.
Les entrepôts détruits ne seront pas reconstruits. Une fois nettoyé, le site n'aura plus les mêmes fonctions qu'avant l'accident. Il ne sera plus destiné à la production.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Je vous ai entendu exprimer des excuses et une forme de compassion. J'ai également lu un certain nombre d'articles de presse où vous exprimiez les mêmes sentiments, à l'instar du directeur de l'usine de Rouen. Malgré tout, il a fallu attendre quelques jours pour que ces excuses officielles soient formulées et cette lenteur a heurté les Rouennais, dont je suis.
Il faut indemniser, non seulement les agriculteurs et les éleveurs, mais aussi les commerçants, dont les maraîchers. Vous affirmez qu'il n'y a pas de risque sanitaire à moyen terme. Je ne suis pas, moi non plus, experte en chimie ; mais, à mon sens, il faut faire preuve d'une certaine prudence en la matière.
Le Premier ministre a demandé un suivi sanitaire et épidémiologique extrêmement strict, et ce sur plusieurs années. Êtes-vous prêt à prendre toute votre responsabilité à cet égard si des effets se révélaient plus tardivement ?
Quelles nouvelles mesures de sécurité envisagez-vous de prendre, puisque vous parlez d'ores et déjà de rouvrir le site ?
Pourriez-vous nous expliquer précisément ce qui s'est passé le jour de l'incendie ? L'entreprise disposait-elle d'un système de sécurité permettant de maîtriser l'incendie en interne, sans faire appel aux pompiers ?
M. Hervé Maurey, président. - Pour compléter la première question de Mme Morin-Desailly, qu'est-ce qui vous permet d'affirmer que les fumées n'étaient pas nocives pour la santé ? Quel élément nous permet de vous croire et, surtout, convaincre l'opinion publique, laquelle doute fortement de tout ce qu'on lui raconte ?
M. Eric Schnur. - Je suis tout à fait conscient des doutes de l'opinion publique sur les risques sur la santé. Nous allons continuer les tests et les échantillonnages, et fournir des informations détaillées sur les produits consumés dans l'incendie. Nous avons fait appel à un spécialiste de la toxicologie - je peux comprendre que ses évaluations suscitent également le scepticisme - et à des experts indépendants. Nous fournirons toutes les éléments nécessaires à notre disposition pour rassurer le public.
Nous étions désolés de cet accident dès qu'il est survenu, mais nous devions respecter la procédure de communication de la préfecture sur l'incendie, ses dangers et les mesures prises. Bien entendu, nous aurions préféré nous adresser directement aux habitants, comme nous l'avons fait par la suite et continuerons de le faire. Mais, ne vous méprenez pas, pendant ces deux ou trois jours, nous étions vraiment extrêmement désolés de ce qui s'était passé.
Nous nous penchons sur la question des agriculteurs, mais nous savons que toutes les entreprises locales ont été impactées. Nous travaillerons avec la préfecture sur la question des fonds nécessaires pour les indemnisations. Nous avons contacté des sociétés pour nettoyer les sites impactés.
S'agissant de l'incendie, nous attendons le résultat de l'enquête, comme je l'ai dit dans mon propos liminaire. Nous disposons de caméras de surveillance dans un grand nombre de lieux du site. La loi française nous interdit de visionner les images qui montrent des lieux autres que celui-ci. Ces vidéos montrent que l'incendie s'est propagé sur le site. Notre système anti-incendie, qui a fonctionné pendant au moins deux heures et a nécessité 2 000 litres d'eau par minute, est conçu pour éteindre un incendie dans les lieux de stockage. Si l'incendie vient de l'extérieur, ce genre de système ne peut pas protéger le bâtiment.
M. Hervé Maurey, président. - Vous nous avez indiqué que vous étiez prêt à nous communiquer toutes les études et analyses réalisées. Je vous en fais formellement à cet instant la demande, afin que nous puissions examiner ces éléments avec, si nécessaire, le concours d'experts et de spécialistes, puisque, comme mes collègues vous l'ont dit, notre commission d'enquête compte peu de chimistes avisés.
M. Jean-François Husson. - Depuis l'incendie, il est question d'un départ de feu qui aurait pris naissance à l'extérieur du périmètre de votre usine. Aujourd'hui, puisque vous avez évoqué des outils de télésurveillance et de vidéoprotection, pouvez-vous nous dire si cette hypothèse est confirmée ?
À la suite de l'incident intervenu en 2013 sur un site de Lubrizol entraînant à l'époque déjà le dégagement de gaz malodorants, le Gouvernement avait pris, en 2014, une instruction visant à faciliter le recours rapide à l'expertise des services de la Dreal et à doter les sites Seveso de capacités indépendantes de prélèvement et de mesure de l'air post-incident. Pouvez-vous nous dire si cette instruction a été respectée ?
Par ailleurs, des rapports officiels, dont il a été fait état dans la presse, évoquaient la présence en 2016 dans l'usine Lubrizol de produits « très dangereux » pour l'environnement et « nocifs ». Ils indiquaient qu'un incendie pourrait donner lieu à la formation de substances toxiques. Vous nous avez dit il y a quelques instants : « Il n'y a, je le garantis, aucune toxicité des fumées. » Vous l'avez confirmé au président de notre commission d'enquête. Qu'est-ce qui vous permet, en l'état actuel, d'être absolument certain de la non-toxicité des fumées ? D'autant qu'il est également fait état d'un mur couvre-feu qui aurait été demandé en 2010 à votre entreprise par arrêté préfectoral et qui n'aurait pas été construit.
Enfin, au début de cette année, une augmentation de l'autorisation de stockage de produits inflammables dans l'usine n'aurait, là encore selon certains organes de presse, pas fait l'objet d'une procédure spécifique et obligatoire d'autorisation. Pouvez-vous nous apporter des éléments de réponse sur ce point ?
M. Eric Schnur. - Nous avons déposé une demande d'augmentation du stockage en 2019 pour des ISO conteneurs. Le préfet et la Dreal décident de l'opportunité de mener des analyses environnementales. Notre demande représentant une augmentation d'environ 3 % des produits stockés sur site, il a été considéré que ces analyses n'étaient pas nécessaires. Nous n'avons pas exécuté ce projet, nous étions simplement dans la phase des préparatifs.
Après l'incident de 2013, nous avons mis en oeuvre tout ce qui a été décidé, avec la Dreal et la préfecture.
En ce qui concerne le pare-feu, des discussions ont eu lieu en 2010. Comme il a été estimé que les probabilités d'incendie étaient très faibles, la construction de ce mur n'a pas été jugée nécessaire.
Sur la source de cet incendie, hors de notre site, de nombreux éléments d'information figurent sur les vidéos, mais je n'ai pas accès aux éléments de l'enquête judiciaire, qui est en cours. Je peux vous assurer que je fournirai toutes les informations nécessaires à l'enquête.
Mme Céline Brulin. - Je voudrais revenir sur la fuite de mercaptan en 2013. Vous avez évoqué un montant d'investissement réalisé à la suite de cet accident et affirmé vous être mis en conformité avec les exigences de la Dreal. Pouvez-vous être plus précis sur ce point ?
Vous avez évoqué les incidents survenus sur vos différents sites, mais pas l'incendie qui s'est produit il y a quelques semaines sur le site Lubrizol d'Oudalle, dans la région havraise. Pourrions-nous avoir des éléments sur ce point ?
Ensuite, j'ai relevé quelques contradictions dans vos propos. Vous dites avoir, le plus rapidement possible - vous avez évoqué la date du 4 octobre dernier -, communiqué aux services de l'État le contenu des produits stockés non seulement sur le site de Lubrizol, mais également sur celui de Normandie Logistique. Or les services de l'État nous ont dit avoir eu des difficultés à obtenir la liste précise de tout ce qui y était stocké. À ma connaissance, pour ce qui concerne Normandie Logistique, la liste promise pour le 11 octobre n'a finalement été communiquée à la préfecture que le 14 octobre.
Vous voulez vous comporter en bon voisin. Compte tenu de l'inquiétude qui taraude les habitants de notre région, dire que le contenu des fumées n'est pas différent de celles émises lorsqu'une maison brûle ne peut pas - je tiens à vous le dire - être entendu par les habitants qui ont subi l'incendie.
Enfin, vous avez annoncé que les salaires des travailleurs du site seraient garantis. Je voudrais savoir ce qu'il en sera pour les salariés du site d'Oudalle, puisque les deux entreprises sont extrêmement liées et que l'arrêt de la production de l'une a des conséquences sur l'autre, et pour les entreprises sous-traitantes, qui sont extrêmement nombreuses et dont les salariés sont à juste titre également inquiets.
M. Eric Schnur. - S'agissant du mercaptan tout d'abord, nous avons investi 20 millions d'euros afin de nous assurer d'avoir résolu le problème. Nous avons fourni toutes les informations dont nous disposions pour garantir la sécurité et éviter que cela se reproduise.
L'incident survenu au Havre était un feu électrique de petite ampleur, immédiatement éteint : il n'a pas eu d'impact sur les communautés environnantes. Néanmoins, comme pour toute situation de ce type, nous informons les autorités locales. Il n'y a aucun lien, mais les sites du Havre et de Rouen sont, vous avez raison, étroitement liés. Certains employés de Rouen travaillent au Havre. Toutefois, les types d'opérations menées sont différents, et nous ne pouvons pas transférer au Havre tout ce qui était fait à Rouen.
Je me suis engagé auprès des employés de Rouen à maintenir leur rémunération. Mais il y aura un impact, dont nous ne connaissons pas encore l'ampleur, sur les sous-traitants que nous allons essayer de gérer au mieux.
Pour ce qui est de Normandie Logistique, nous avons fourni le 4 octobre dernier la liste entière des produits Lubrizol stockés sur leur site. Mais l'entreprise stocke aussi des produits pour d'autres entreprises, dont je ne connais ni le nombre ni les noms. Normandie Logistique est la seule en mesure de communiquer la liste exhaustive et je ne sais pas quand elle l'a fait. Je le redis, nous avons donné la liste complète des produits Lubrizol stockés chez Normandie Logistique, ainsi que les fiches produits pour chacun d'entre eux, le 4 octobre.
Pour ce qui est de la toxicité, je comprends complètement le scepticisme ambiant. Comme M. le président l'a demandé, nous allons faire en sorte que des experts en toxicité indépendants puissent bénéficier de toutes les informations nécessaires pour mener leurs études.
M. Jean-Claude Tissot. - J'ai écouté avec attention votre propos introductif, et permettez-moi de vous dire que je suis quelque peu étonné par votre quasi « optimisme » quand vous dites que les fumées et les retombées ne sont pas nocives. Sans faire de catastrophisme, nous sommes tout de même là devant une catastrophe non seulement économique pour le pays rouennais, mais également écologique pour notre pays et surtout les environs de Rouen.
Vous évoquez la toxicité aiguë, qui est maîtrisée, et vous allez indemniser tout ce qui y a trait. Mais je voudrais que vous vous prononciez clairement, aussi, sur une éventuelle toxicité chronique. Pour préparer votre audition, j'ai lu tout ce qui avait pu être écrit ou presque sur cet accident : aujourd'hui, personne n'est capable de dire s'il y aura des retombées graves pour les êtres humains. Quels sont les engagements que vous prenez, voire les mesures que vous avez déjà envisagées, pour les nappes phréatiques ? Quelles études allez-vous mener sur la faune sauvage, sur les insectes ? Les animaux migrateurs vont se déplacer et peuvent contaminer des zones bien au-delà de la région de Rouen.
Quid de l'eau utilisée par les pompiers ? Elle est bien allée quelque part ! Avez-vous envisagé de la traiter ? Suit-on son parcours ? La Seine ne passe pas très loin...
Vous faites preuve de bonne volonté, je ne le nie pas, mais il a fallu du temps, comme l'a dit ma collègue, pour obtenir des éléments probants. Si vous aviez voulu rassurer la population, certains éléments étaient faciles à mettre en oeuvre, comme vérifier les filtres de ventilation mécanique contrôlée de bâtiments fermés. Avez-vous fait ces investigations rapides, hors procédure ?
Je n'ai pas de doute sur le fait que vous allez indemniser les agriculteurs qui ont dû jeter le lait de plusieurs traites dans les fosses à lisier, lesquelles devront être épandues. Imaginons que les analyses démontrent que le lait est aussi contaminé ...
Sans faire de catastrophisme, mais lucidement, comment imaginez-vous accompagner la problématique future ?
M. Eric Schnur. - Les effets sanitaires sont les effets de toxicité à la fois aigus et chroniques. Jusqu'à présent, 2 000 échantillons et 1 000 résultats de ces échantillons ont confirmé l'absence d'impact sanitaire. Nous allons continuer cette surveillance et être pleinement transparents. Un plan de surveillance sanitaire et environnementale a été mis en place, pour les effets à moyen et long terme.
L'eau a été confinée et sera traitée - la Seine est concernée.
Je ne sais pas, et je m'en excuse, ce qui a été concrètement fait s'agissant des filtres de ventilation, mais l'information relative à la toxicité des produits affectés par le feu dont nous disposons a été fournie aux autorités locales. Nous sommes disposés à donner d'autres informations si on nous les demande.
Pour ce qui est des agriculteurs, nous nous sommes engagés à les soutenir à court et long terme. Nous allons continuer à faire partie de la communauté locale, à être un bon voisin.
M. Ronan Dantec. - Vous nous avez expliqué - l'enquête éclaircira ce point - que le feu est peut-être parti de l'extérieur et que vos dispositifs anti-incendie ne permettaient que de faire face à un départ de feu à l'intérieur des entrepôts. Quelles études aviez-vous menées sur les risques extérieurs par rapport à votre activité industrielle ? Dans ce cadre, quels travaux avaient été menés avec la Dreal, les pompiers et les autres services de l'État pour mesurer les risques liés à l'environnement, immédiat ou plus lointain, de l'entreprise ?
M. Eric Schnur. - Dans le cadre de la réglementation Seveso, nous faisons des analyses de risque très nombreuses. Nous avions fait une telle évaluation pour le site et la partie qui a brûlé quelques jours seulement avant l'incident.
Nous ne pouvons pas faire une analyse de risques pour un
événement qui se déclarerait en dehors de notre site,
parce que nous ne savons pas précisément ce qui se passe à
l'extérieur de ce périmètre. Nous connaissons les
matériaux et substances présents sur notre site dans les plus
infimes détails, mais pas ceux qui sont situés à
l'extérieur de notre site.
Une simulation a été
menée autour de la zone impactée et notre évaluation a
porté sur les fumées et la toxicité. Nous transmettons
cette information à la Dreal et aux services de l'État.
J'espère que cela répond à votre question.
M. Hervé Maurey, président. - Je pense que ce n'est pas le cas, et je peux comprendre que M. Dantec ne soit pas convaincu par la réponse.
M. Ronan Dantec. - Vous lisez dans mes pensées, monsieur le président !
Prenons des risques extérieurs connus : chute d'un aéroplane, intrusion terroriste... Ces risques font normalement partie de l'analyse menée sur les sites Seveso. Pour préciser ma question, ce travail sur les risques extérieurs de l'environnement immédiat de l'entreprise a-t-il eu lieu avec la Dreal, les pompiers, ou d'autres services de l'État ?
M. Eric Schnur. - Quelle que soit la source extérieure, nous essayons de mesurer l'impact sur notre site. Nous comprenons pleinement les risques associés.
Ce que nous ne pouvons pas en revanche estimer, ce sont les composantes de ce feu s'il vient d'un site extérieur. Normandie Logistique n'étant pas classé Seveso, ce site est considéré comme à faible risque. Mais nous sommes pleinement en mesure de mener des analyses de risques pour notre site, quelle que soit la source de l'incendie.
J'espère avoir mieux répondu à votre question.
M. Ronan Dantec. - Malheureusement toujours pas !
La question était précise, et sans piège : avez-vous travaillé avec les services de l'État, la Dreal, les pompiers sur cette analyse du risque extérieur ?
M. Hervé Maurey, président. - Pour essayer d'être plus clair que M. Dantec, qui est pourtant très clair, on a du mal à imaginer que vous n'ayez pas intégré dans votre réflexion et dans votre analyse de prévention des risques le fait que, à la porte de chez vous, une entreprise avait en son sein des produits qui présentaient quelques dangers... Vous considérez même que l'incendie est venu de chez votre voisin, ce qui reste à prouver.
Il est difficile de concevoir que vous avez travaillé comme si votre entreprise était au milieu d'un no man's land.
M. Eric Schnur. - Je n'ai jamais dit que je pensais que le feu venait de notre voisin. J'ai dit que la source de l'incendie était extérieure à notre site.
M. Hervé Maurey, président. - Cela doit venir d'une erreur de traduction.
M. Eric Schnur. - La question reste valable. Nous ne savons pas où le feu s'est déclaré. Ce que j'ai dit, c'est que la source de l'incendie se situait en dehors de notre site.
Dans notre analyse de risques, nous avons intégré la présence de cet entrepôt. Mais les risques associés à ce site qui n'est pas classé Seveso étaient peu élevés. S'il s'était agi d'une usine de traitement de produits chimiques Seveso ou à haut risque, nous en aurions bien sûr tenu compte.
M. Ronan Dantec. - Je ne voudrais pas insister, mais la question est simple : avez-vous travaillé avec l'État, la Dreal, sur les analyses de risques extérieurs ? Je ne vous demande pas si vous les avez pris en compte, mais si un travail collaboratif a été mené.
M. Eric Schnur. - Oui. Quelle que soit la source, un incendie dans le cas présent, nous menons l'analyse d'impact de l'événement avec la Dreal, avec la préfecture. Ce que nous faisons pour essayer de résoudre ces risques est basé sur notre évaluation de la probabilité de survenance de cet événement. Généralement, cette probabilité est faible s'agissant d'un espace de stockage.
L'évaluation de l'impact de ce qui a brûlé dépend non pas de la source, mais de la propagation du feu. Pour ce faire, nous avons mené des analyses de risques et décidé d'investissements, pas seulement à Rouen, mais pour l'ensemble de nos sites dans le monde, afin d'assurer la sécurité de toutes nos opérations.
M. Pascal Martin. - J'étais présent le jour même de l'incendie, à 11 heures, sur le site de Lubrizol puisque j'étais à l'époque président du conseil départemental de la Seine-Maritime. J'ai pu mesurer l'ampleur de cet incendie hors norme, avec un panache de fumée de plus de 22 kilomètres de long sur 6 kilomètres de large.
Vous avez évoqué les moyens techniques dont dispose l'entreprise : vidéosurveillance ou vidéoprotection, détecteurs... Je voudrais, pour ma part, connaître les moyens humains dédiés à la lutte contre l'incendie que Lubrizol pouvait engager à l'instant t, en pleine nuit.
La doctrine de la directive Seveso et de la politique des installations classées consiste à faire en sorte que l'entreprise contienne, autant que faire se peut, l'incendie à l'intérieur même de son site, avant que le service public d'incendie et de secours ne vienne en renfort. Quelles ont été les mesures de coopération et de solidarité avec les entreprises voisines ? Des conventions de solidarité interentreprises existent en effet en cas de risque majeur.
Vous avez parlé de l'engagement de l'entreprise Lubrizol pour promouvoir l'attractivité de Rouen. Je veux simplement faire remarquer que cela va bien au-delà de la ville de Rouen : sont concernés aussi la métropole Rouen-Normandie, le département de la Seine-Maritime et la région Normandie.
Enfin, pourquoi l'entreprise Lubrizol stocke-t-elle des fûts chez Normandie Logistique ? Les fûts stockés au sein de votre entreprise étaient-ils tous dans un entrepôt ? Si tel n'était pas le cas, faisaient-ils l'objet de procédures de sécurité particulières, notamment en matière de protection contre l'incendie ?
M. Eric Schnur. - À
2 heures 40, au milieu de la nuit, nous avions 17 personnes
formées, qui ont permis de prendre les premières mesures.
L'entreprise Borealis est venue en renfort. Je pourrais vous donner les noms
des autres entreprises qui ont apporté leur aide.
Je témoigne
ici de ma reconnaissance aux pompiers et à tous ceux qui nous ont
aidés dans les premiers instants.
L'idée est de contenir dans un périmètre le plus restreint possible ce qui peut survenir sur notre site. Pendant deux heures, des milliers de litres d'eau ont été déversés. La zone de stockage chez Normandie Logistique était considérée comme une zone à faible risque. Dans la zone de stockage de Lubrizol, il n'y a en principe pas de source potentielle de départ d'incendie. Il n'y avait donc pas de raison d'avoir de protection spécifique.
Je suis désolé si j'ai été trop rapide dans mon introduction : nous voulons absolument soutenir tout ce qui peut permettre la promotion et l'attractivité de la région dans son ensemble.
M. Daniel Gremillet. - Combien de temps durent les irritations que vous avez évoquées ? Provoquent-elles des séquelles ?
Vous avez évoqué le dédommagement des entreprises et des productions agricoles du secteur. Mais avez-vous conscience que les conséquences de l'incendie vont au-delà ? Nous avons connaissance de produits qui sont consignés au titre du principe de précaution. Des volumes de lait très limités ont été mélangés avec d'autres : dans les quatre coins de la France, de la poudre de lait ou certains fromages ne peuvent aujourd'hui pas être commercialisés. L'impact est national et dépasse largement le secteur local. Serez-vous capable de mesurer et d'apporter des réponses de dédommagement à l'ensemble des entreprises touchées ?
Ensuite, puisque le sinistre est a priori venu de l'extérieur, le système de sécurité n'a pas pu se déclencher normalement. Ma question est simple : si le sinistre était uniquement venu du site de Lubrizol, ce système aurait-il permis d'empêcher la propagation de l'incendie ?
Enfin, puisqu'il s'agit d'un site Seveso, les tests réalisés à la suite de l'incendie confirment-ils les mêmes situations d'exposition des populations et de l'environnement sur le secteur ?
M. Eric Schnur. - La durée des irritations causées par la fumée dépend de la condition respiratoire de chacun : ceux qui sont plus sensibles sont davantage affectés. Lorsque les fumées se sont arrêtées, les problèmes se sont dissipés. Les experts pourront nous donner des précisions.
Nous sommes tout à fait conscients de l'impact sur les
exploitations agricoles.
Les discussions que nous avons eues avec le FMSE
portent une zone assez étendue et incluent, je le pense, toutes les
régions concernées. Nous prenons l'engagement d'inclure celles
qui auraient été oubliées. Nous ne sommes pas à
même d'identifier toutes les fermes impactées, c'est la raison
pour laquelle nous devons travailler avec le FMSE et d'autres organismes.
Si l'incendie avait eu lieu uniquement à l'intérieur de Lubrizol, le système de prévention aurait-il permis d'arrêter le feu ? C'est comme cela qu'il a été conçu. Nous tentons de simuler l'efficacité des installations.
Nous continuons à prendre des échantillons sur le site et en dehors, et nous ne voyons pas d'impact.
Mme Agnès Canayer. - À plusieurs reprises, vous avez exprimé votre souhait de vous comporter en bon voisin, de vous investir dans la communauté locale. Dans la région du Havre, au sein de laquelle Lubrizol est un acteur, la communauté d'entreprises Synerzip intervient pour développer la culture du risque industriel, la solidarité entre les entreprises Seveso du territoire et les actions de sensibilisation des habitants. Lubrizol prend-elle part à ce type d'actions sur le territoire rouennais ?
Vous avez évoqué l'indemnisation des acteurs économiques et de ceux du monde agricole. Avez-vous envisagé d'indemniser les communes qui ont été fortement impactées par le sinistre et qui ont dû faire face à de nombreuses dépenses ?
M. Eric Schnur. - Lubrizol fait partie de Synerzip au Havre.
Nous n'avons pas encore évoqué la question des indemnisations avec les collectivités territoriales. Nous nous focalisons sur les habitants, les entreprises et les exploitations. Nous avons de bonnes relations avec les autorités locales, et nous aurons certainement ces discussions.
M. Frédéric Marchand. - Le site ne sera jamais plus comme avant, avez-vous déclaré ce matin à nos collègues de l'Assemblée nationale. Vous l'avez répété cet après-midi à plusieurs reprises. Cette déclaration ne sonne-t-elle pas comme un aveu que le site tel qu'il était configuré n'était pas forcément le plus optimal ? J'ai été interpellé par votre méconnaissance des contractants de Normandie Logistique, alors même que vous y stockiez des produits catalogués comme potentiellement dangereux et que l'addition de tous ces produits peut avoir des conséquences. N'y a-t-il pas eu des manquements au niveau des process ?
M. Eric Schnur. - Notre décision de ne pas reconstruire les installations comme auparavant est simplement liée à notre volonté de continuer à exploiter les installations non impactées par l'incendie. Pour cela, nous devons rassurer la population locale. Il n'est pas envisageable de continuer les mêmes opérations sur le site.
Chez Normandie Logistique, nous stockons seulement les produits qui ne sont pas dangereux selon les normes Seveso. Nous avons des consignes très strictes. Le détail des autres produits stockés par Normandie Logistique ne nous concerne pas. Pour notre part, nous devons nous assurer qu'ils ont l'autorisation de stocker nos produits.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - Pourriez-vous nous fournir une liste exploitable des produits stockés chez Normandie Logistique ?
Je répète une question à laquelle vous n'avez pas répondu : pourquoi stockiez-vous des produits chez Normandie Logistique ?
Sur la toxicité, vous avez dit à plusieurs reprises qu'il n'y avait pas d'impact sanitaire et que vous aviez mis en place un plan d'étude sur le sujet. Pouvez-vous me confirmer que c'est bien Lubrizol qui s'occupe de ce plan ? La toxicité s'évalue aussi eu égard à l'interférence des substances entre elles : c'est ce qu'on appelle les effets cocktail ou les effets combinés. Êtes-vous certains que l'interférence des substances entre elles n'a pas d'impact sanitaire ?
Au regard de la catastrophe qui est survenue, qu'améliorerez-vous pour éviter qu'elle ne se reproduise ?
M. Eric Schnur. - La liste de nos produits qui étaient stockés chez Normandie Logistique est disponible sur le site de la préfecture. Nous ne savons pas, parce que cela ne nous concerne pas, quels sont les produits des autres sociétés qui y étaient également entreposés.
Nous avons stocké des produits chez Normandie Logistique pour des raisons d'espace et de facilité logistique. Nous avons partout dans le monde des sites de stockage, qui sont exploités par des parties tierces.
Le plan relatif à la toxicité a été défini avec des associations environnementales et les autorités locales. Il a été publié sur le site de la préfecture.
La question concernant les cocktails de produits est très intéressante. Nous pouvons faire des simulations de la combinaison de nos produits Lubrizol qui sont dans nos entrepôts et chez Normandie Logistique. Nos produits sont des mélanges de différents produits chimiques et nous connaissons les effets de ces cocktails. 90 % des produits sont à base de carbone et d'hydrogène.
La question essentielle est de savoir ce qui s'est passé. Nous attendons les résultats de l'enquête pour connaître la source de l'incendie et nous assurer que cela ne se reproduise plus. Pour l'instant, je n'ai pas ces informations. Nous sommes certains que l'enquête sera menée de manière approfondie.
Mme Christine Bonfanti-Dossat, rapporteur. - Vous nous avez affirmé avoir parlé aux autorités locales du processus d'indemnisation. On a pu lire dans la presse la semaine dernière que vous aviez des entretiens prévus avec les ministres Élisabeth Borne, Agnès Buzyn et Didier Guillaume. Le ministre de l'agriculture a estimé le préjudice entre 40 et 50 millions d'euros. Vous avez, pour votre part, dit que cette somme n'avait jamais été évoquée.
Avez-vous eu des entretiens avec ces ministres ou avec le Président de la République sur ce sujet qui doit être une préoccupation majeure de l'État français ?
M. Eric Schnur. - J'ai rencontré Élisabeth Borne la dernière fois que j'étais à Paris, et j'espère la voir de nouveau. Nous avons discuté des moyens nécessaires pour soutenir les personnes concernées. Ce qui est sorti de ces échanges, ce qu'il faudrait avoir des commissions locales pour mesurer l'impact de l'incendie. Cette initiative a été lancée il y a la semaine dernière. L'idée est de travailler avec la population locale, les associations, les ONG et les autorités locales.
Je n'ai pas encore vu le ministre de l'agriculture, ni le président Macron, que je serais très honoré de rencontrer.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteure. - À combien estimez-vous le coût des opérations de dépollution qui seront probablement nécessaires sur le site et hors du site ? Comment seront-elles menées et combien de temps dureront-elles ? Il faut en effet évacuer les fûts endommagés.
M. Eric Schnur. - Je n'ai pas d'estimation du coût, mais je peux vous dire ce que nous allons faire. Un grand nombre de fûts ont été détruits dans l'incendie, mais beaucoup d'autres ont subi des températures très élevées. Nous avons fait appel à des spécialistes pour nous assurer qu'il n'y ait pas de problème de diffusion d'odeurs. Nous avons construit une tente à cette fin. Un robot sera utilisé pour déplacer les fûts et les placer dans un enclos. Cette opération prendra des mois, et nous la réaliserons dans les meilleures conditions de sécurité. Nous dépolluerons le site de la manière la plus efficace possible.
M. Hervé Maurey, président. - Vous souhaitiez dire quelques mots de conclusion.
M. Eric Schnur. - Je commencerai par vous remercier du temps que vous m'avez consacré et de vos questions pour comprendre ce qui s'est passé à Rouen et trouver des solutions afin d'améliorer la situation.
Nous voulons agir en bon voisin et aider la population, et nous avons d'ailleurs déjà commencé à le faire. Une des raisons de ma présence à Paris et à Rouen est que je veux m'assurer que nous fournissons le soutien et les ressources nécessaires. Nous sommes vraiment désolés et présentons toutes nos excuses aux personnes impactées par cet incendie. Je suis très fier des salariés du groupe Lubrizol en France, avec lesquels j'ai eu de nombreux contacts depuis l'accident et qui ont fait un très bon travail.
J'aimerais également remercier toutes les parties prenantes et le Gouvernement.
M. Hervé Maurey, président. - Nous avons noté vos bonnes intentions, soyez certains que nous serons très vigilants qu'elles se traduisent dans les faits.
De nombreuses questions ont été posées - certaines n'ayant pas eu de réponse, ce qui n'est pas forcément anormal à ce stade. Sur les aspects relatifs à l'indemnisation, qui sont très importants pour nous, vous n'avez pas été aujourd'hui en mesure d'apporter tous les éléments de réponse.
Vous avez certainement pu mesurer que nous avions quelques doutes sur la réalité des informations relatives à la non-dangerosité des fumées sur le site et aux alentours. Comme je vous l'ai demandé, nous attendons avec grand intérêt les analyses que vous pourrez nous produire.
Nous vous avons adressé une liste de questions. Nous aimerions que vous répondiez, par écrit dans un délai de deux semaines, à celles qui n'ont pas été évoquées aujourd'hui.
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous nous rendrons à Rouen jeudi prochain pour rencontrer les responsables de l'entreprise sur place, les personnels, les services de l'État et les acteurs du territoire.
La réunion est close à 17 h 25.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.