Mercredi 9 octobre 2019
- Présidence de M. Alain Milon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Rapport annuel de la Cour des comptes sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale - Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes
M. Alain Milon, président. - Mes chers collègues, nous recevons ce matin M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, pour la présentation du rapport annuel de la Cour sur les lois de financement de la sécurité sociale.
M. Migaud est accompagné de M. Morin, président de la sixième chambre, Mme Pappalardo, rapporteure générale de la Cour, et de M. Viola, rapporteur général du rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.
Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo en vue de sa retransmission en direct sur le site du Sénat et de sa mise à disposition à la demande.
La présentation de ce rapport marque traditionnellement le début de nos travaux sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Le PLFSS pour 2020 est d'ailleurs délibéré ce matin même en conseil des ministres, et nous entendrons à partir de la semaine prochaine les dirigeants des différentes branches - ainsi que, dès que possible, les ministres concernés, dont l'organisation de l'audition s'avère quelque peu difficile...
Cette année, la Cour des comptes a présenté avant l'été la situation financière de la sécurité sociale de l'année écoulée, répondant ainsi à une demande ancienne de notre commission et de son rapporteur général. Ce calendrier tout à fait opportun nous a permis d'enrichir l'examen de cette situation auquel nous procédons chaque année dans le cadre de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss), à l'occasion du débat d'orientation des finances publiques.
La dégradation des comptes sociaux entérinée par le PLFSS pour 2020 n'est pas une surprise pour notre commission, qui l'avait anticipée lors de l'examen du projet de loi portant mesures d'urgence économiques et sociales. La Cour souligne toutes les fragilités qui s'attachent à la nouvelle trajectoire des finances publiques.
Monsieur le Premier président, quel est l'intérêt, du point de vue des finances publiques dans leur ensemble, des entorses répétées et d'importance croissante au principe de compensation des pertes de recettes de la sécurité sociale ? Je le trouve, pour ma part, particulièrement vertueux, et j'observe que, depuis qu'une compensation budgétaire est prévue pour les exonérations ciblées, leur opportunité est regardée de plus près par les ministres au sein des crédits de la mission dont ils ont la charge, ainsi qu'en témoignent les hésitations du Gouvernement sur les micro-entrepreneurs et les exonérations des plus de 70 ans.
Par ailleurs, comment expliquer qu'avec un effort de plus de 11 % du PIB pour la santé, notre système paraisse à bout de souffle, avec des hôpitaux en crise ?
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. - Je suis heureux de vous présenter l'édition 2019 de notre rapport sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, un rapport établi, comme chaque année, dans le cadre de la mission de la Cour d'assistance au Parlement et au Gouvernement. Il accompagne le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, dont la présentation au Parlement est imminente.
La sécurité sociale est une institution-clé, sur laquelle reposent la solidarité et la cohésion nationales. Elle mobilise à ce titre des montants financiers très élevés. Ainsi, en 2018, les régimes de sécurité sociale ont versé près de 480 milliards d'euros de prestations, soit environ 21 % de notre richesse nationale. Quand on prend en compte également les retraites complémentaires, l'assurance chômage et les aides au logement, ainsi que les prestations de solidarité financées par l'État et les départements, les prestations sociales représentent 28 % de notre produit intérieur brut et la moitié de nos dépenses publiques.
Le niveau de protection sociale dont bénéficient nos concitoyens est, en moyenne, très élevé par rapport à celui de la plupart des autres pays européens. De fait, en 2018, l'assurance maladie a pris en charge plus de 78 % des dépenses de santé des Français, ce qui place notre pays dans la fourchette haute du financement public des dépenses de santé au sein de l'Union européenne. De même, grâce à notre système de retraites, le taux de pauvreté de nos retraités est de 8 %, contre 14 % pour la population française dans son ensemble.
Toutefois, la sécurité sociale connaît depuis de trop nombreuses années une situation financière fragilisée, et les performances de notre système de protection sociale ne sont pas toujours à la hauteur des efforts consentis pour le financer.
Les travaux que nous publions nous conduisent, année après année, à analyser la trajectoire financière des comptes sociaux. Ils visent aussi à formuler des recommandations et à esquisser des pistes de réforme pour parvenir à un équilibre financier durable et à une efficacité renforcée dans l'emploi des ressources de la sécurité sociale. C'est à cet exercice que nous nous sommes livrés cette année encore, dans un contexte qui, vous le savez, diffère sensiblement de celui de l'année dernière.
Notre rapport dresse trois constats : alors qu'elle s'approchait de l'équilibre financier l'année dernière, la sécurité sociale s'en éloigne désormais brutalement, ce qui constitue une rupture avec la trajectoire de redressement suivie depuis 2011 ; pour que la sécurité sociale soit durablement à l'équilibre, il convient de ramener l'évolution de ses dépenses à un niveau compatible avec celle de ses recettes, ce qui suppose notamment de maîtriser plus efficacement ses postes de dépense les plus dynamiques ; pour maîtriser l'évolution des dépenses et mieux répondre aux attentes de nos concitoyens, il est possible de mobiliser plus activement les marges d'efficience de notre système de protection sociale.
La Cour exprime ainsi un message simple, mais important : alors que le retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale s'éloigne, au moins provisoirement, il existe des réserves d'économies et d'efficience pour atteindre un équilibre durable, tout en améliorant l'efficacité et l'équité de notre système de protection sociale.
S'agissant d'abord de l'appréciation que porte la Cour sur la situation financière de la sécurité sociale, je commencerai par un bref rappel historique.
Depuis les années 1990, la sécurité sociale est toujours en déficit, à l'exception d'une brève rémission, au début des années 2000. Avant la récession de 2009, son déficit avoisinait les 9 milliards d'euros. En 2010, au plus fort de la crise, il a atteint près de 30 milliards d'euros. Ce déficit a ensuite été réduit de manière continue, jusqu'à ce que l'équilibre soit pratiquement atteint l'année dernière : le déficit de l'ensemble des régimes de base de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) a été ramené en 2018 à 1,4 milliard d'euros, dont 1,2 milliard d'euros pour le régime général et le FSV.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoyait pour cette année le retour à l'équilibre financier, pour la première fois depuis 2001. Ensuite, la sécurité sociale devait dégager des excédents croissants, permettant d'atteindre simultanément trois objectifs : un équilibre financier durable ; l'amortissement par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), d'ici à 2024, de la partie de la dette sociale financée par des emprunts de trésorerie de court terme émis par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), grâce à un transfert à la Cades de recettes de CSG ; le rééquilibrage des relations financières de la sécurité sociale avec l'État par la réaffectation à celui-ci de recettes de TVA.
Mais, en quelques mois, la donne a radicalement changé, rendant désormais caduc ce scénario très favorable, alors même que la conjoncture économique de notre pays ne s'est pas fondamentalement dégradée depuis l'année dernière. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 prévoit en effet un déficit de 5,4 milliards d'euros pour le régime général et le FSV, soit un écart de 5,5 milliards d'euros par rapport à la prévision de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 ; en 2020, le déficit ne se réduirait que légèrement, à 5,1 milliards d'euros. Surtout, le retour à l'équilibre de la sécurité sociale est désormais reporté, au mieux, à 2023, soit après la législature en cours - une grande partie de l'effort intervenant d'ailleurs après 2022.
En conséquence, les trois objectifs que j'ai mentionnés ne seront pas atteints. Faute de retour à l'équilibre financier de la sécurité sociale et compte tenu de cette nouvelle trajectoire, la dette sociale diminuera moins vite que prévu. La rétrocession de TVA à l'État et le transfert de CSG à la Cades n'auront pas lieu non plus. Du fait de l'accumulation des déficits, la dette sociale maintenue à l'Acoss pourrait atteindre près de 30 milliards d'euros à la fin de cette année et près de 46 milliards d'euros à la fin de 2022, sans solution d'amortissement. Un nouvel échéancier de remboursement et d'extinction de la dette maintenue à l'Acoss doit donc être défini.
Cet écart massif par rapport à la prévision de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 tient à deux facteurs, de poids équivalent.
Pour moitié, le dérapage de la trajectoire de retour à l'équilibre de la sécurité sociale traduit les mesures d'urgence économiques et sociales adoptées à la fin de l'année dernière, à la suite du mouvement dit des « gilets jaunes ». Pour 2019, leur effet sur les comptes sociaux est évalué à 2,7 milliards d'euros ; ce montant intègre le rétablissement du taux de CSG de 6,6 % pour une partie des retraités et l'avancement au 1er janvier de l'exonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires. Le Gouvernement a choisi de financer ces mesures par la dette, et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 comme le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 écartent leur compensation par l'État.
Pèseront aussi sur le déficit de cette année, à hauteur de 2,8 milliards d'euros, des corrections importantes des hypothèses d'évolution des dépenses et des recettes par rapport à celles retenues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.
Du côté des recettes, la masse salariale augmentera finalement de 3 %, au lieu des 3,5 % prévus, ce qui engendre 1 milliard d'euros de recettes en moins. Du côté des dépenses, l'accélération se poursuivrait, puisqu'elles augmenteraient à périmètre constant de 2,5 % en 2019, après 2,4 % en 2018 et 2 % en 2017, alors que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 prévoyait un ralentissement à 2,1 %. De ce décalage il résulterait 1,4 milliard d'euros de dépenses supplémentaires par rapport au niveau prévu.
Cette analyse devra être confirmée par les résultats complets de l'exécution financière pour 2019, que la Cour devra certifier. Mais il est déjà assez évident que le déficit de 2019 sera principalement structurel, c'est-à-dire indépendant des effets de la conjoncture économique. Or tant que la sécurité sociale n'aura pas atteint un équilibre structurel, un équilibre pérenne sur la durée des cycles économiques sera impossible. C'est pourtant le seul moyen d'éviter la constitution d'une dette sociale durable. À cet égard, je souligne que nos concitoyens ont acquitté en 2018 près de 16 milliards d'euros de prélèvements sociaux pour financer les remboursements d'emprunt et les intérêts sur les emprunts non encore remboursés.
Comment donc parvenir à un équilibre structurel de la sécurité sociale ?
S'agissant des recettes, les pouvoirs publics considèrent en général que le niveau atteint en France par les prélèvements obligatoires rend difficilement envisageable une nouvelle augmentation. À taux global inchangé ou en baissant les prélèvements obligatoires, la Cour estime qu'il existe des marges pour améliorer la cohérence des prélèvements sociaux, affectée par de multiples exemptions et exonérations - les fameuses niches sociales.
La Cour évalue l'incidence de ces niches sur les recettes de la sécurité sociale à plus de 90 milliards d'euros par an, principalement compensés par l'État. Bien entendu, il s'agit d'un montant brut : supprimer la totalité des niches n'engendrerait pas 90 milliards d'euros de recettes supplémentaires, la disparition de certaines pouvant avoir des effets défavorables sur l'emploi qui rétroagiraient sur les recettes de la sécurité sociale.
Hétérogènes, ces niches intègrent 52 milliards d'euros d'allègements généraux de cotisations visant à réduire le coût du travail et à stimuler l'emploi. Elles comprennent aussi des exemptions d'assiette, ainsi que des exonérations ciblées en faveur de secteurs d'activité, zones géographiques ou publics particuliers. Or le renforcement continu des allègements généraux intervenu ces dernières années ne s'est pas accompagné d'une réduction des exonérations ciblées, ce qui aurait pu être considéré comme logique.
En outre, les allègements généraux n'ont pas été intégrés aux taux de cotisation, ce qui renvoie l'image d'un prélèvement social beaucoup plus élevé qu'il ne l'est en réalité. Souhaitable dans son principe, cette barémisation comporte toutefois des préalables. En effet, les incidences des allègements généraux sur l'emploi et la compétitivité des entreprises, ainsi que sur la distribution des salaires, sont débattues, compte tenu notamment du profil de ces allègements en fonction des niveaux de salaire. Le travail d'objectivation en la matière doit être poursuivi.
La Cour recommande aussi d'évaluer les effets des exemptions d'assiette et des exonérations ciblées selon des méthodes robustes, afin de supprimer ou de fermer aux nouveaux bénéficiaires les dispositifs qui s'avèrent inefficaces. Dans l'attente de telles évaluations, il conviendrait de réduire dans le temps le poids financier des dispositifs dont l'efficacité est incertaine, en gelant leurs paramètres de calcul ou de plafonnement. Non seulement les évaluations n'existent pas toujours, mais, quand il y en a et qu'elles sont négatives, on n'en tient pas compte...
Reste que l'enjeu principal pour le retour de la sécurité sociale à un équilibre financier durable porte sur les dépenses. C'est sur ce point que se concentre l'essentiel de nos observations.
Pour que la sécurité sociale connaisse un équilibre structurel, l'évolution des dépenses ne devrait pas dépasser la croissance potentielle de la richesse nationale, qui détermine l'évolution des recettes sociales à moyen terme. Or depuis le début des années 2000, les dépenses de sécurité sociale ont presque toujours augmenté plus vite que la croissance potentielle. Cette augmentation trop rapide ne concerne pas toutes les dépenses au même degré. Notre rapport s'attache à trois postes particulièrement dynamiques : les retraites, les transports de malades et les indemnités journalières d'arrêt maladie.
En ce qui concerne les retraites, la Cour s'est penchée cette année sur un aspect particulier de notre système : les départs en retraite à taux plein avant l'âge légal ou à l'âge légal, mais sans la durée d'assurance requise.
Dans le débat actuel sur l'avenir de notre système de retraite, ce sujet est majeur. En effet, alors que, au début de la décennie, un départ à la retraite sur trois se faisait de manière anticipée, en 2017, cette proportion a atteint un sur deux, du fait principalement des retraites anticipées pour carrière longue, dont les règles ont été assouplies en 2012. Ces départs anticipés ont un coût évalué à près de 14 milliards d'euros en 2016.
En 2018, le flux des départs anticipés pour carrière longue, qui sont fonction de la durée d'assurance, s'est inversé, pour la première fois depuis 2010, sous l'effet de l'allongement de la durée requise par la réforme des retraites de 2014. Afin de conforter cette évolution, la Cour préconise de stabiliser durablement les règles des retraites anticipées pour carrière longue, qui peuvent être tout à fait légitimes. En outre, le périmètre des catégories actives dans la fonction publique devrait continuer à être réexaminé.
Alors que peu d'assurés partent aujourd'hui en retraite de manière progressive, il conviendrait aussi de privilégier les transitions souples de l'emploi vers l'inactivité. En outre, la Cour recommande d'inciter financièrement les employeurs à mieux prévenir la pénibilité du travail, en modulant les cotisations finançant le compte professionnel de prévention (C2P).
S'agissant de l'assurance maladie, le rythme d'évolution des dépenses relevant de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été nettement réduit depuis le milieu de la décennie ; cet objectif est respecté année après année, et, selon toute vraisemblance, il le sera également en 2019. Toutefois, certains postes de dépense connaissent une véritable dérive. Cette année, la Cour s'est penchée sur deux d'entre eux : les transports de patients et les indemnités journalières pour maladie.
Les dépenses de transport de patients sont dépourvues de mécanismes de régulation efficaces et pèsent à hauteur de 5 milliards d'euros sur les comptes de l'assurance maladie. À périmètre constant, elles ont augmenté de 4 % en 2018. Les établissements de santé sont à l'origine de plus de 60 % de ces dépenses, mais n'en assument qu'une part limitée sur leurs budgets. Il existe bien des quotas départementaux de véhicules de transport, mais ils ont souvent été dépassés dès leur instauration, en 1995, n'ont pas été régulièrement actualisés depuis lors et ne couvrent toujours pas les taxis conventionnés. Les coûts moyens de transport diffèrent aussi grandement entre les départements, selon la place relative des transports les plus coûteux - ambulances et taxis conventionnés - et de ceux qui le sont moins - véhicules sanitaires légers, notamment.
En la matière, la Cour préconise deux évolutions essentielles.
En premier lieu, il convient de mener à son terme le transfert au budget des établissements de santé du financement des dépenses de transport, qui concerne aujourd'hui uniquement les trajets internes aux établissements ou entre établissements. Ce transfert devrait concerner d'abord les trajets domicile-structure de soins pour les séances de dialyse.
En second lieu, il faut faire de l'appréciation indépendante par le médecin de l'incapacité ou des déficiences du patient le seul critère de la prescription des transports, alors que près de 140 critères entrent en jeu aujourd'hui.
Quant aux indemnités journalières pour arrêt de travail lié à une maladie, elles constituent aussi des dépenses particulièrement dynamiques : elles ont augmenté de 4,4 % en 2018. Si les dépenses d'indemnisation se contentaient de suivre les effectifs de salariés et les rémunérations versées, elles ne soulèveraient pas de difficulté. Seulement voilà : elles augmentent plus vite que la masse salariale, et cet écart ne résulte pas seulement de la participation accrue à l'activité économique de salariés dont les réformes des retraites conduisent à reporter la fin de l'activité ; il s'explique aussi par un allongement général de la durée moyenne des arrêts de travail. La Cour préconise donc de responsabiliser davantage les trois parties prenantes des arrêts de travail pour maladie : les employeurs, dont les conditions de travail peuvent contribuer à la demande d'arrêt, les assurés, qui sollicitent ces arrêts, et les médecins, qui les prescrivent.
Ainsi, la mise à la charge des employeurs d'une part accrue du financement des arrêts de travail pour maladie, à niveau inchangé d'indemnisation globale pour les salariés, pourrait être étudiée. Un jour de carence d'ordre public non indemnisé - ni par l'assurance maladie, ni par les employeurs, ni par les assurances privées - pourrait être instauré pour les salariés, comme c'est déjà le cas pour les fonctionnaires. Enfin, une minorité de médecins prescrivent beaucoup plus de journées d'arrêt de travail que leurs confrères, à patientèle comparable. L'assurance maladie tente de faire évoluer les pratiques par la persuasion, mais avec des effets limités. La Cour estime que la dématérialisation obligatoire des prescriptions d'arrêt de travail par les médecins, que la loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé vient d'instaurer, devrait s'accompagner d'une obligation de motivation par les médecins des arrêts dépassant les durées préconisées par la Haute Autorité de santé pour les pathologies courantes. Des conséquences financières pourraient être tirées à l'encontre des médecins dépassant ces durées sans justification de manière importante et durable.
Ces enjeux ne sont pas seulement financiers : ils soulèvent aussi des questions d'équité entre les parties prenantes de la protection sociale, qu'elles en bénéficient ou qu'elles contribuent à son financement.
Ainsi, les assurés qui partent en retraite de manière anticipée au titre d'une carrière longue n'ont pas, en moyenne, pour ce que l'on en sait, une espérance de vie inférieure à la moyenne des assurés. Il en va de même pour les départs anticipés dans la fonction publique au titre d'une catégorie active. Par ailleurs, le dynamisme des dépenses de transport de patients a pour corollaire les ressources plus limitées consacrées au transport de personnes âgées ou handicapées entre leur domicile et les établissements médico-sociaux. Quant à la hausse des arrêts de travail pour maladie, elle s'accompagne de transferts de charges entre les différents secteurs d'activité, dans la mesure où l'importance relative des arrêts varie grandement. Notre rapport présente plusieurs illustrations de telles situations non équitables.
J'en viens au dernier aspect de nos travaux de cette année : l'organisation et le fonctionnement de nos systèmes de santé et de protection sociale.
Si les technologies numériques sont un puissant vecteur de transformation de la relation de service des caisses de sécurité sociale avec les assurés sociaux, qui peuvent effectuer un nombre croissant de démarches sur internet à partir d'un ordinateur, d'une tablette ou d'un smartphone, cette transformation reste incomplète.
Au-delà de la généralisation de l'offre de services numériques à toutes les démarches, des objectifs nouveaux ou plus ambitieux devraient être fixés aux caisses de sécurité sociale pour l'accompagnement des assurés à l'utilisation des outils numériques et le développement des échanges à distance sur rendez-vous avec des agents. Les caisses doivent aussi améliorer l'accessibilité des accueils téléphoniques et la qualité des réponses apportées aux appels et aux courriels des assurés.
Concrétiser ces progrès très attendus permettrait aux caisses de déléguer plus largement l'accueil physique à des partenaires - nous pensons notamment aux maisons France Services, qui succéderont aux maisons de services au public. Les demandes des personnes à mobilité réduite et les situations complexes qui appellent une expertise particulière seraient alors traitées à distance, dans des conditions meilleures qu'aujourd'hui.
Le développement des usages du numérique peut simplifier les démarches des assurés, en leur évitant de produire les mêmes documents ou d'effectuer les mêmes démarches auprès de plusieurs organismes sociaux. Il doit aussi contribuer au paiement à bon droit des prestations sociales.
Sur ce point, un enjeu essentiel porte sur l'utilisation à court terme par les caisses d'assurance maladie et d'allocations familiales des données - salaires, prestations sociales, entre autres - rassemblées dans la base des ressources mensuelles mise en place pour permettre, à compter de 2020, le calcul des aides au logement en fonction des revenus. Ces données peuvent permettre de réduire les erreurs, mais aussi les fraudes affectant les prestations versées au titre du RSA, de la prime d'activité, des pensions d'invalidité et de la reconnaissance du droit à la CMU-C.
La Cour souligne aussi l'existence d'un important potentiel d'économies au titre des indemnités journalières, trop souvent affectées par des erreurs ou des délais de versement anormalement longs, du fait de processus de gestion sous-optimaux de l'assurance maladie. En utilisant les données de la base des ressources mensuelles, les caisses de sécurité sociale pourront, par ailleurs, mieux accompagner les assurés, en détectant les situations de non-recours aux droits.
Cet enjeu de l'accompagnement des assurés, la Cour le souligne cette année pour un domaine insuffisamment suivi de notre système de protection sociale : les pensions d'invalidité. Depuis son instauration pour les salariés, en 1945, l'assurance invalidité a peu évolué, et ses enjeux humains et financiers sont aujourd'hui insuffisamment pris en compte. Nous préconisons donc de mieux accompagner les 820 000 personnes invalides vers l'emploi et leurs droits sociaux. Plus précisément, il conviendrait de lisser le plafonnement du cumul entre revenus d'activité et pensions d'invalidité pour les personnes invalides qui travaillent, dans la mesure où le plafonnement au niveau de salaire précédant immédiatement la mise en invalidité pénalise la reprise d'activité des assurés les plus modestes. Nous suggérons aussi de verser aux personnes invalides les plus proches de l'emploi des pensions pour une durée définie, renouvelable en fonction de leur état de santé, et d'identifier celles qui ont besoin d'un suivi particulier sur les plans médical, social et professionnel. Par ailleurs, l'ensemble des médecins-conseils de l'assurance maladie gagneraient à évaluer l'état d'invalidité à partir d'un référentiel national homogène et pertinent - là aussi, c'est un enjeu d'équité entre les assurés.
Les enjeux d'efficience concernent aussi notre système de santé.
À la veille de la révision de la loi relative à la bioéthique, la Cour a souhaité examiner deux activités de soins qui en dépendent : les greffes d'organe et l'assistance médicale à la procréation. Bien entendu, il ne s'agit pas pour nous de prendre position sur les questions éthiques, qui n'ont rien à voir avec nos attributions. En revanche, il nous est apparu utile de porter à votre connaissance et à celle de nos concitoyens les points forts, mais aussi les faiblesses, de l'organisation et du fonctionnement actuels de ces activités.
Développer les greffes d'organe est en soi un enjeu d'efficience pour notre système de santé. Nous le savons tous : les greffes - au nombre de 5 781 en 2018 - sauvent des vies. Pour les patients qui connaissent une insuffisance rénale terminale, elles sont à la fois plus efficaces et moins contraignantes que les séances de dialyse ; elles sont aussi moins onéreuses. Même si la France est bien placée au niveau international en matière de prélèvements et de transplantations d'organe, la file des patients en attente d'une greffe s'allonge, et le nombre de greffes a baissé en 2018. Il convient donc plus que jamais de chercher à surmonter l'appréhension d'une partie des familles à l'égard du prélèvement d'organe sur un proche décédé et de favoriser le développement du don de reins entre vivants. Nous recommandons aussi de mieux structurer et sécuriser les différents segments de la chaîne de la greffe.
Quant à l'assistance médicale à la procréation, elle permet un nombre croissant de naissances : 25 614 en 2017, soit 3,3 % du total. Toutefois, de plus en plus de couples se tournent vers l'étranger pour réaliser leur projet de conception d'enfant. En effet, les dons d'ovocytes, bien qu'en augmentation, ne couvrent aujourd'hui qu'une partie des besoins ; pour leur part, les dons de sperme les couvrent tout juste.
Indépendamment de ces constats, le taux de succès des tentatives de fécondation in vitro (FIV) en France se situe seulement dans la moyenne européenne et présente d'importantes disparités entre centres clinico-biologiques. Dans le cadre bioéthique en vigueur, les prises en charge d'actes médicaux et biologiques par l'assurance maladie devraient mieux prendre en compte les enjeux d'efficience de l'assistance médicale à la procréation. Il conviendrait ainsi de mieux apprécier le bénéfice de l'insémination relativement à la FIV. Par ailleurs, la nomenclature des actes biologiques doit être actualisée plus rapidement afin de suivre le progrès des techniques, dans le cadre bioéthique en vigueur.
J'en viens à un dernier sujet : les rôles respectifs de la médecine hospitalière et de la médecine de ville dans la prise en charge des besoins de nos concitoyens.
Dans notre rapport annuel sur la sécurité sociale de l'an dernier, nous avions souligné le caractère inachevé du virage ambulatoire de notre système de santé, freiné à la fois par la stagnation de la part des séjours à l'hôpital sans nuitée en médecine - alors que cette part augmente en chirurgie - et l'inorganisation de la médecine de ville. Dans notre dernier rapport public annuel, nous avons souligné qu'un passage aux urgences hospitalières sur cinq pourrait être évité si les besoins étaient couverts comme ils le devraient par la médecine de ville.
À travers le plan « Ma Santé 2022 » et la loi de juillet dernier sur l'organisation et la transformation de notre système de santé, les pouvoirs publics ont fixé des orientations visant à mieux structurer le premier recours aux soins. Le Gouvernement prévoit notamment la création d'hôpitaux locaux de proximité et le renforcement des communautés professionnelles territoriales de santé, qui doivent mieux prendre en charge les soins non programmés.
Il nous est apparu qu'une pièce manquait à ce jour dans ce travail de réorganisation de l'offre de soins au niveau territorial : les actes et consultations externes. Je ne parle pas de l'activité libérale de certains praticiens hospitaliers, mais des actes et consultations réalisés par ces derniers dans des conditions de droit commun. Il s'agit d'une activité hybride : assurée à l'hôpital, elle ne donne pas lieu à séjour hospitalier ; les tarifs sont, pour l'essentiel, ceux pratiqués en ville. Cette activité, qui représente 11 % du total des consultations médicales dans notre pays et progresse plus vite que l'activité de ville, tout en ayant un caractère financièrement déséquilibré pour les hôpitaux, reste insuffisamment suivie par le ministère de la santé.
Dans le cadre de la transformation du système de santé, la place des actes et consultations externes dans l'offre de soins devrait être mieux définie en fonction des enjeux d'accès aux soins et d'efficience des organisations hospitalières au lieu de découler, comme c'est le cas aujourd'hui, des seules décisions autonomes des hôpitaux. Lorsque l'offre libérale de ville est insuffisante, les actes et consultations externes à l'hôpital peuvent utilement la compléter ; tel n'est pas le cas dans la situation inverse.
Permettez-moi de conclure sur ce message : faire revenir la sécurité sociale à un équilibre financier durable et éviter que la dette sociale ne se reconstitue au détriment des générations futures, voilà qui est à la fois nécessaire et possible. Derrière les chiffres, derrière l'éloignement brutal du retour à l'équilibre des comptes sociaux, il y a un enjeu essentiel pour notre pays : sauvegarder la sécurité sociale et sa fonction centrale de soin et de solidarité au service de nos concitoyens.
M. Alain Milon, président. - Les premières questions vont être posées par notre rapporteur général et le président de la Mecss, puis nos rapporteurs sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - La qualité de ce rapport se confirme d'année en année. Ses 42 recommandations nous seront précieuses, et certaines, notamment en matière de dépense, pourront inspirer des amendements au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.
Jean-Noël Cardoux évoquera dans quelques instants la question de la dette sociale, qui doit être apurée. Pour ma part, monsieur le Premier président, je vous poserai trois questions sur les recettes.
D'abord, la prime exceptionnelle exonérée de toute contribution et cotisation, dont les statistiques salariales montrent qu'elle s'est en partie substituée à des augmentations de salaire, sera reconduite en 2020, cette fois avec un délai permettant aux employeurs d'anticiper. Pouvez-vous estimer l'effet de substitution dans un tel contexte, ainsi que ses conséquences sur les comptes sociaux ?
S'agissant ensuite des niches sociales, dont l'annexe du PLFSS devrait rendre compte de manière vraiment exhaustive et pertinente, vous vous interrogez particulièrement sur les 52 milliards d'euros d'allègements généraux, encore insuffisamment évalués. La Cour des comptes pourrait-elle assurer elle-même ce type d'évaluation ? Pensez-vous que le dispositif devrait être encore plus centré sur les bas salaires ?
Enfin, la Cour regrette que l'objectif de stabilisation en valeur des niches sociales n'ait pas été atteint. Ne croyez-vous pas que cette tendance au développement des niches risque d'être accentuée par la mise en oeuvre, à rebours de la loi Veil, du « chacun chez soi », principe affirmé récemment par le ministre des comptes publics ?
M. Jean-Noël Cardoux, président de la Mecss. - Cet exposé clair et sans concession de la situation de la sécurité sociale ne nous surprend pas - tout surprenant qu'il soit par rapport au langage que tenait le Gouvernement l'année dernière...
Je remercie M. le Premier président d'avoir répondu à la question à laquelle le ministre des comptes publics n'avait pas répondu avant l'été, s'agissant du remboursement par l'État des mesures concédées à la fronde des gilets jaunes, qui pèsent pour environ 2,7 milliards d'euros dans le déficit de cette année. On verra, avait-il dit, ma décision n'est pas prise... Nous savons désormais que la compensation n'aura pas lieu.
L'autre moitié du déficit résulte de l'excès d'optimisme du Gouvernement dans ses prévisions conjoncturelles.
Un déficit de 5 milliards d'euros en 2019, un autre du même ordre en 2020 : dans ces conditions, le stock de dettes restant à l'Acoss risque d'atteindre 46 milliards d'euros en 2022, ce qui représente à peu près trois années d'amortissement par la Cades. Je le répète depuis des années, le jour où les taux d'intérêt remonteront, même légèrement, ce sera catastrophique - or des frémissements à l'échelle mondiale laissent craindre un éclatement de la bulle dans un proche avenir... Ce stock de dettes est-il de nature à remettre en cause la date d'expiration de la Cades, prévue en 2025 ?
Corrélativement, je me rappelle que le rapporteur général de l'Assemblée nationale avait affirmé, dans un excès d'optimisme que l'on connaît un peu, que la Cades rembourserait la dette sociale avec un an et demi d'avance, ce qui permettrait de financer la dépendance en prolongeant la Cades et en maintenant la CSG et la CRDS. Ce plan paraît quelque peu plombé... Reste qu'il faudra bien financer les 10 milliards d'euros de la dépendance : comment la Cour des comptes juge-t-elle l'idée de prolonger la Cades, et quelles mesures structurelles permettraient de trouver un financement alternatif ?
Mme Catherine Deroche, rapporteure pour l'assurance maladie. - Si l'Ondam progresse plus vite que la richesse nationale, la situation de l'hôpital reste préoccupante, avec un déficit encore très élevé, ce qui conduit la Cour des comptes à recommander l'adossement à l'Ondam d'un objectif de maîtrise des déficits et de la dette des hôpitaux publics, pour ne pas en faire un point de fuite de la maîtrise des dépenses.
Dans ce contexte, la moindre progression de l'Ondam hospitalier en 2020 est-elle soutenable pour l'hôpital ? Sur quoi achoppent les leviers d'efficience de la dépense hospitalière ? Je pense en particulier aux actes et consultations externes, dont M. le Premier président a souligné qu'ils progressent à un rythme dynamique, sans que les établissements puissent en contrôler tous les paramètres, notamment les tarifs.
En ce qui concerne les transports sanitaires, le rapport contient des propositions claires, notamment pour limiter la prépondérance des modes les plus onéreux.
S'agissant des indemnités journalières, les tables rondes organisées dans le cadre du groupe d'études sur le cancer ont débouché sur l'idée d'étendre aux salariés du privé le congé de longue maladie fractionné prévu pour les fonctionnaires. Cette souplesse permettrait moins d'arrêts de travail en même temps que des reprises fractionnées importantes dans le traitement psychologique des patients.
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure pour la famille. - La branche famille, qui revient à l'équilibre, ne fait pas l'objet d'observations particulières dans le rapport de cette année.
Alors que le coût des niches sociales a considérablement progressé ces cinq dernières années, le rapport indique que ces dispositifs sont insuffisamment encadrés et évalués. Si les niches permettent de soutenir certains secteurs d'activité, il n'est pas normal qu'elles soient source d'importantes irrégularités.
Or les niches constituent l'une des principales sources d'irrégularités déclaratives aux prélèvements sociaux. De fait, en 2017, les régularisations conduites dans le cadre des contrôles des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations (Urssaf) portant sur les niches sociales ont représenté 350 millions d'euros. Quelle est la nature de ces irrégularités : s'agit-il principalement de fraudes à la déclaration ou d'erreurs liées à la complexité des dispositifs ? Comment réduire ces irrégularités ? Certains secteurs d'activité sont-ils davantage concernés - je pense en particulier aux particuliers employeurs ?
M. René-Paul Savary, rapporteur pour l'assurance vieillesse. - L'analyse du Premier président sur les dispositifs de départ anticipé rejoint les travaux que Mme Lubin et moi-même avons menés dans le cadre de la mission d'information sur l'emploi des seniors. Non seulement l'espérance de vie de ceux qui partent plus tôt n'est pas plus faible, mais ces personnes représentent 30 % des cumuls emploi-retraite. Il est nécessaire de travailler sur ce sujet si l'on veut que la future réforme des retraites soit acceptée.
Il faudra bien, d'une manière ou d'une autre, trouver un équilibre pour tenir compte de l'allongement de l'espérance de vie - l'âge de la retraite sera probablement reculé pour les générations futures, comme c'est le cas dans les autres pays d'Europe. En tout cas, dans un système universel, comment accepter qu'un retraité sur deux parte de façon anticipée par rapport aux âges préconisés ? Or il a été annoncé, sans doute pour rassurer, que le système de départs anticipés ne serait pas revu. Je comprends le discours, mais on ne peut pas faire un système universel pour une personne sur deux !
Parmi les pistes qu'elle examine, la Cour n'envisage pas la suppression de ces dispositifs de départ anticipé. Que propose-t-elle ?
Je n'ai pas lu non plus dans ce rapport que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 ne comporte aucune mesure paramétrique d'équilibrage de la branche vieillesse. On les prendra après la réforme des retraites, nous dit-on : bref, on ne nous dit pas franchement tout... Pourquoi la Cour des comptes n'a-t-elle pas fait ce constat ?
M. Didier Migaud. - Chacun doit rester dans son rôle : nous n'avons pas d'appréciation à porter sur des projets d'actualité défendus par le Gouvernement, ni à nous substituer au pouvoir politique sur un certain nombre de décisions à prendre.
Il peut être justifié de prendre en considération la pénibilité du travail au nom de l'équité, mais tout cela doit être objectivé par rapport à l'espérance de vie. De même, les prestations doivent être toujours médicalement justifiées.
Notre modèle est-il à bout de souffle, monsieur le président ? Nous ne le pensons pas et nous nous efforçons d'identifier les moyens de le préserver.
Le déficit des comptes sociaux est une anomalie, dans la mesure où les dépenses courantes n'ont pas à être financées par l'emprunt. C'est pourquoi nous insistons chaque année sur l'importance de réduire, voire d'annuler, la dette sociale.
La prévision de hausse de la masse salariale à 3 % contenue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 suppose que la prime exceptionnelle exonérée ne se substitue à aucun élément de rémunération déjà prévu. Le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale du mois dernier se fonde sur la même hypothèse. Or les sommes versées au titre de ce dispositif - 2,2 milliards d'euros jusqu'à la fin du premier trimestre 2019 - suggèrent un possible effet de substitution, que nous n'avons pas encore été en mesure de chiffrer. En 2020, les employeurs disposeront d'un délai plus important pour anticiper la mesure, ce qui augmente la probabilité d'une substitution.
En ce qui concerne les niches sociales, nous avons constaté que l'annexe V du projet de loi de financement de la sécurité sociale n'était pas complète. L'exécutif fait état de 66,5 milliards d'euros pour 2020 ; pour notre part, nous identifions près de 90 milliards d'euros de niches sociales, voire 100 milliards d'euros si l'on prend en compte les régimes complémentaires. Il est de la plus haute importance d'évaluer les effets de ces mesures d'exonération et d'exemption.
Pour ce qui est de l'allégement général dégressif jusqu'à 1,6 Smic, plusieurs évaluations économétriques ont mis en évidence un effet positif sur l'emploi. En revanche, l'allégement proportionnel de 1,8 % de cotisations famille instauré en 2015-2016 jusqu'à 3,5 Smic et l'allégement proportionnel de 6 % de cotisations maladie instauré cette année jusqu'à 2,5 Smic en remplacement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) n'ont fait l'objet que de travaux partiels. Il est très important que des évaluations complémentaires soient menées, pour que vous, parlementaires, puissiez apprécier la pertinence de ces dispositifs ; c'est le rôle de France Stratégie, par exemple, davantage que de la Cour des comptes. Il nous paraît qu'il y a des marges possibles de recettes supplémentaires par la remise en cause de quelques-unes de ces exonérations et exemptions.
La Cades remplit son rôle en remboursant progressivement la dette sociale. Mais si l'on reconstitue cette dette au niveau de l'Acoss, on risque de ne jamais en finir... Nous n'avons pas pris position de manière aussi catégorique, mais je dirais qu'il faut permettre à la Cades d'aller jusqu'au bout sans qu'il soit utile de la prolonger une nouvelle fois ; ensuite, ses recettes pourront servir à rembourser la dette reconstituée au niveau de l'Acoss. Il est sûr que cela conduit à reporter les propositions du rapport Libault... D'où l'intérêt d'équilibrer le plus rapidement possible la sécurité sociale. Or, pour l'instant, 46 milliards d'euros de dette sont prévus pour la fin de 2022 - le niveau constaté pouvant être supérieur.
La compensation par l'État est une question politique, qui doit recevoir une réponse politique. Du point de vue de l'ensemble des comptes publics, elle est sans conséquence... La loi Veil est une loi ordinaire : ce qu'elle énonce peut être modifié par une loi postérieure - c'est d'ailleurs ce que font les lois de financement de la sécurité sociale. Toutes les dérogations à cette loi ont été votées par le Parlement.
L'État compense, mais, en effet, pas à la hauteur de toutes les pertes de recettes. Il faut toutefois rappeler que, à d'autres périodes, l'État a surcompensé - de l'ordre de 3 à 4 milliards d'euros.
Au reste, le déficit de 2019 ne s'explique pas seulement par la non-compensation d'un certain nombre de décisions. Il résulte aussi de la surestimation de la masse salariale et d'une évolution des dépenses supérieure aux anticipations.
En tout cas, il est souhaitable que les critères implicites proposés au Parlement en matière de compensation et de non-compensation soient plus stables à moyen terme.
M. Denis Morin, président de la sixième chambre de la Cour des comptes. - La loi Veil a eu le mérite de fixer une règle du jeu claire : l'État compense les exonérations de charges sociales. Depuis lors, ces exonérations ont beaucoup augmenté...
La Cour considère qu'on ne peut pas accepter un système dans lequel les déficits se logent ici ou là, au gré des circonstances. Il n'est pas indifférent de commenter des comptes sociaux présentant un déficit de 5,5 milliards d'euros ; on voit bien le message qui est envoyé aux acteurs du système.
De même, il est nécessaire que les niveaux de déficit des différentes branches aient du sens. C'est pourquoi nous avons critiqué ces dernières années la tendance gouvernementale à réaffecter les ressources d'une branche à une autre en fonction des circonstances.
Si l'instabilité des règles est critiquable, il est vrai aussi que, au cours des cinq dernières années, l'État a surcompensé le coût des exonérations de charges, pour près de 4 milliards d'euros.
Pour ce qui est du déficit de cette année, la Cour des comptes a été beaucoup plus sensible, comme c'est son rôle, à l'observation d'une accélération régulière et sensible de l'évolution des dépenses sociales - sur une masse de 500 milliards d'euros, 1 % de progression représente déjà 5 milliards d'euros... C'est cette accélération qui explique, davantage que la non-compensation, le creusement du déficit en 2019.
Dans la trajectoire présentée à l'appui du projet de loi de financement de la sécurité sociale, la Cades poursuit le remboursement de la dette sociale jusqu'à l'échéance de 2024 avec les ressources qui lui sont affectées, soit chaque année 16 milliards d'euros de CRDS et de CSG et 2 milliards d'euros prélevés sur le fonds de réserve des retraites. Mais la dette flottante à l'Acoss continue de s'accroître au rythme des déficits annuels, pour atteindre, dans la trajectoire du Gouvernement, 46 milliards d'euros en 2022.
Comme l'a expliqué le Premier président, la réouverture de la Cades ne serait pas une solution envisageable. Après 2024, les 18 milliards d'euros de prélèvements disponibles pourraient être conservés dans les comptes sociaux pour apurer peu à peu la dette flottante - à ceci près que les 16 milliards d'euros de prélèvements sociaux ont déjà fait l'objet, sinon d'une pré-affectation, en tout cas de beaucoup de convoitises... Il est vrai que, compte tenu de l'ampleur des besoins mis en évidence par la commission Libault, un basculement aussi rapide que possible d'une partie de ces prélèvements vers l'amélioration de la situation du secteur médico-social est en débat. La Cour des comptes constate que, compte tenu de la dégradation de la trajectoire financière de la sécurité sociale, ces ressources ne seront pas disponibles en 2024.
À propos des transports de patient, nous soulignons l'ampleur des dépenses et, parfois, leur insuffisante justification médicale. Nous dépensons 5 milliards d'euros dans le secteur sanitaire, soit quatre fois plus que l'Allemagne, mais seulement 1 milliard d'euros dans le secteur médico-social - un chiffre que nous avons eu du mal à reconstituer. Ces dépenses pèsent lourdement sur les budgets des établissements médico-sociaux, sans que les besoins les plus élémentaires soient satisfaits, notamment en matière de transport de personnes handicapées. Peut-être y a-t-il un peu trop de dépenses insuffisamment justifiées médicalement du côté sanitaire et pas assez de moyens pour le secteur médico-social.
Madame Deroche, les déficits hospitaliers restent en effet un point de fuite, même s'ils se réduisent - de 1 milliard d'euros, ils ont baissé à 650 millions d'euros en 2018. La moindre progression de l'Ondam hospitalier s'explique par la progression nettement moindre de l'activité hospitalière depuis deux ans. Nous aurons probablement à affiner nos diagnostics sur ce point, les réponses reçues de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) n'étant pas très convaincantes. Ce ralentissement résulte de données démographiques, comme le moindre recours à l'hospitalisation des personnes de plus de 80 ans et la réduction de la natalité, ainsi que d'autres facteurs que nous examinerons plus à fond. En tout cas, le rythme de 2,1 % pour la progression de l'Ondam hospitalier ne traduit pas un durcissement, mais un moindre dynamisme de l'activité sous-jacente.
Le domaine des transports est probablement l'un des plus difficiles à réguler, notamment parce que le taux de socialisation de ces dépenses est très élevé - 93 %, contre 78 % en moyenne. C'est pourquoi nous suggérons qu'un forfait spécifique pour le secteur des transports sanitaires pourrait être justifié, même si ce n'est pas une mesure simple.
En la matière, nous avons été frappés par les écarts de coût très importants entre les différents départements : les transports sanitaires représentent 78 euros par habitant dans les Bouches-du-Rhône, mais seulement une vingtaine d'euros dans certains départements. Contrairement à ce que nous attendions, les départements où la dépense par habitant est la plus forte ne sont pas nécessairement les plus isolés et ruraux.
J'attire votre attention aussi sur l'invraisemblable complexité de la réglementation : 140 hypothèses doivent être balayées pour déterminer si l'assuré social doit ou non bénéficier d'une exonération de ticket modérateur...
Nous proposons de renforcer la médicalisation de ces transports, de veiller à ce que la prise en charge soit le plus souvent justifiée médicalement et de renforcer la régulation à l'égard de l'ensemble des transports concernés, y compris les taxis, dont la « part de marché » a très fortement augmenté. Si des initiatives très récentes marquent une première inflexion, il faut aller plus loin.
S'agissant du congé de longue maladie fractionné dont a parlé Mme Deroche, nous ne l'aurions pas spontanément proposé, puisqu'il s'agit d'une dépense supplémentaire, mais il s'inscrit parfaitement dans la logique de notre rapport : en matière d'indemnités journalières pour congés de longue durée, nous suggérons plus d'accompagnement, plus de souplesse et un maintien des liens avec l'emploi, chaque fois que c'est possible.
À la souplesse que nous souhaitons pour les congés de longue durée répond la fermeté que nous préconisons pour les congés courts, qui désorganisent assez gravement entreprises et administrations, avec l'idée d'un jour de carence d'ordre public.
Madame Doineau, nous n'avons pas spécifiquement approfondi l'examen des 350 millions d'euros d'irrégularités de déclaration, mais nous pensons qu'il s'agit, pour l'essentiel, d'erreurs. Les systèmes d'allégements ont été très fortement modifiés à plusieurs reprises, ce qui est source d'erreurs. On peut imaginer qu'il y en aura moins si le système se stabilise, compte tenu du basculement du CICE vers les allégements de charges. Il importe néanmoins que l'Acoss maintienne la pression sur les contrôles d'assiette, qui permettent de s'assurer de la fiabilité des déclarations.
S'agissant de l'évaluation des allègements de charges, un constat au moins se dégage clairement : l'effet sur l'emploi est maximal au voisinage du Smic, voire un peu au-delà, jusqu'à 1,5 Smic, et moindre dans les tranches hautes de revenus.
S'agissant des retraites, monsieur Savary, nous avons effectivement été frappés par la proportion de départs anticipés - un sur deux, contre un sur trois voilà cinq ans. C'est le résultat des sept dispositifs étudiés dans notre rapport, dont le dispositif des carrières longues et celui des catégories actives dans la fonction publique. Compte tenu des souplesses accordées au fil du temps, l'âge moyen de départ en retraite dans notre pays s'accroît très lentement : on a pris à peine une année en dix ans. Cela étant, la proportion de un sur deux a vocation à baisser dans les années à venir, à condition que le dispositif des carrières longues reste stable dans ses paramètres.
À la demande de l'Assemblée nationale, nous avons travaillé sur les régimes spéciaux de retraite. Notre constat d'ensemble est que les situations de départ en retraite dans notre pays sont très hétérogènes, ce qui est un élément de complexité quand on amorce une réforme visant une égalité, une équité et une simplicité plus grandes.
M. Yves Daudigny. - Le Gouvernement a créé de la dette par les mesures d'urgence de décembre dernier - je les ai votées et je l'assume. La non-compensation est une décision politique lourde de conséquences, puisqu'elle revient à faire porter sur les assurés sociaux des mesures de pouvoir d'achat. Elle ouvre la porte à une mise en cause de la crédibilité de l'ensemble de notre système de protection sociale. C'est pourquoi nous combattons avec vigueur la non-application de la loi Veil !
Il y a une forme de contradiction entre la maîtrise des dépenses sur laquelle vous insistez fort logiquement et la nécessité qui apparaît aux yeux de beaucoup d'augmenter les crédits de l'hôpital, compte tenu de sa crise et de la souffrance qui y règne. Quel regard portez-vous sur la situation de nos hôpitaux et le manque de moyens exprimés par les grèves dans nos services d'urgence ?
Enfin, si nous mettons souvent en avant l'augmentation de la part de la CSG et de la TVA dans le financement de la sécurité sociale, il me semble que le financement par les cotisations assises sur le travail reste dominant. Quels sont aujourd'hui les poids respectifs de ces deux sources de financement ?
Mme Laurence Cohen. - Voilà un rapport sérieux, comme toujours, mais aussi sans surprise : suivant sa logique, la Cour plaide pour une réduction des dépenses de santé, notamment d'assurance maladie.
Ne croyez-vous pas que l'argument des économies structurelles est finalement assez utile pour le Gouvernement, au moment où il veut faire adopter, après les municipales, une réforme des retraites consistant à faire travailler nos concitoyens plus longtemps pour une pension réduite. L'objectivité de la Cour des comptes est à cet égard interrogée.
Dans les 90 milliards d'euros de niches sociales, il y a les 18 milliards d'euros que coûte la transformation du CICE en exonérations : 18 milliards d'euros, quand le déficit de la sécurité sociale est de 5,4 milliards d'euros... Je ne suis pas satisfaite de votre explication selon laquelle l'évaluation d'un tel dispositif relèverait plutôt de France Stratégie. Je ne comprends pas pourquoi la Cour des comptes ne demande pas la suppression d'une mesure qui a raté sa cible !
Enfin, je suis assez perplexe sur vos observations en matière de PMA. Vous parlez de performances relatives de ce genre de procédés. D'habitude, la Cour des comptes ne se s'engage pas sur ce genre d'analyses, liées plutôt aux enjeux de santé. Cela me semble très limite...
Mme Michelle Gréaume. - Dans son dernier bilan, l'assurance maladie a indiqué que le montant de la fraude à l'assurance maladie avait atteint en 2018 261 millions d'euros, dont la moitié serait imputable aux professionnels de santé. En réalité, ce sont les trois quarts qui sont dus aux fraudes des professionnels et des établissements de santé : 47 % pour les professionnels et 30 % pour les établissements de soins.
Les fraudes les plus importantes concernent le remboursement des soins de ville hors hôpital, pour 128,8 millions d'euros. Or 96 % de ce préjudice est imputable aux médecins, infirmiers, pharmaciens, laboratoires de biologie et ambulanciers ; seulement 4 % proviennent de la consommation des assurés.
En ce qui concerne la lutte contre la fraude, les logiciels de détection ont des limites. Préconisez-vous de renforcer les contrôles humains sur les professionnels et établissements de santé, donc d'augmenter le nombre de contrôleurs et d'inspecteurs ?
Mme Véronique Guillotin. - L'évaluation des niches sociales paraît indispensable pour éclairer nos choix, qui devront parfois être courageux.
S'agissant du transport sanitaire, vous proposez de mener à terme le transfert de la prise en charge de la sécurité sociale vers les hôpitaux. Compte tenu de la santé financière de nos hôpitaux, aujourd'hui à l'os, cette charge supplémentaire pourra-t-elle être absorbée ? En outre, on constate déjà des effets pervers de ce transfert, notamment des reports de consultation après l'hospitalisation, voire l'arrêt de certains soins.
Ne faudrait-il pas envisager une refonte globale des conditions de remboursement des transports, qui devrait être fondée sur l'incapacité du patient à se déplacer plutôt que sur une liste de pathologies ? Un patient diabétique peut, quoiqu'il soit atteint d'une affection de longue durée (ALD), être pleinement autonome ; il voit toutefois tous ses transports remboursés. En revanche, un patient âgé, polypathologique et ayant du mal à se déplacer, mais qui ne rentre pas dans une case d'ALD, voit ses maladies s'aggraver, faute de pouvoir se déplacer...
L'organisation des transports sanitaires est un vieux modèle, qui repose essentiellement sur des pathologies aiguës et des maladies graves. Avec l'explosion des maladies chroniques et le vieillissement de population, il est devenu peu efficient et coûteux. Ne serait-il pas souhaitable de décloisonner et de décentraliser davantage cette organisation en mettant autour de la table les collectivités territoriales, qui ont des compétences en la matière, la sécurité sociale, les mutuelles et l'État, pour ne plus travailler en tuyaux d'orgue ?
Dans certains territoires ruraux, éloignés ou enclavés, il devient difficile, voire impossible, pour des patients de se déplacer. Les retards de soins ou renoncements qui en résultent affectent nécessairement, à terme, les comptes de la sécurité sociale.
M. Philippe Mouiller. - En matière de transport sanitaire, vous proposez, en fin de compte, de renforcer la responsabilité du médecin à l'égard de la dépense engendrée. Dans un contexte général où l'on s'interroge sur l'attractivité du métier et la désertification médicale, cette pression permanente est-elle souhaitable ?
En matière de pensions d'invalidité, n'y a-t-il pas un lien à faire avec les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) pour gagner en efficience ?
Sur les niches sociales, le comité d'évaluation existe-t-il toujours, et quelles ont été ses préconisations ?
M. Didier Migaud. - La compensation, vous aurez à en débattre avec le Gouvernement. Dans l'intérêt du débat public, nous plaidons pour des règles claires et constantes.
Non, madame Cohen, la logique de la Cour n'est pas la réduction de la dépense ! Je vous invite à nous lire avec une plus grande attention. Tout notre travail vise à conforter le régime de sécurité sociale, en agissant à la fois sur les recettes et les dépenses. Ainsi, en matière de niches sociales, nous recommandons aux pouvoirs publics un travail d'évaluation, dès lors que de nombreux dispositifs dérogatoires ont pour conséquence de diminuer un certain nombre de recettes, alors que tous ne paraissent pas justifiés au regard des objectifs fixés par le Parlement en matière d'emploi ou d'aménagement du territoire.
Au reste, la dépense ne se réduit pas ; elle augmente continuellement. C'est même la composante la plus dynamique de la dépense publique !
La Cour des comptes raisonne à partir des décisions prises par le Parlement, donc par une majorité. Quand il y a un écart entre une prévision et un résultat, nous le constatons et essayons d'en rechercher les causes.
Si l'on se refuse à voir les problèmes d'efficacité et d'efficience, la dépense continuera d'augmenter sans que les besoins de la population soient satisfaits. Nos rapports montrent que l'augmentation des crédits n'entraîne pas automatiquement une amélioration de la réponse aux demandes des citoyens. Nous sommes tout à fait dans notre rôle quand nous constatons des disparités extrêmement importantes entre les départements en matière de transports sanitaires ou des disparités entre citoyens qui pourtant sont dans la même situation.
C'est vous qui êtes souverains et votez la loi ; la Cour raisonne par rapport aux décisions que vous prenez. Nous ne sommes pas contre la fonction publique ni contre les fonctionnaires - nous sommes nous-mêmes des fonctionnaires. Pourquoi attaquerions-nous par dogmatisme la dépense publique ? Nous essayons d'objectiver les situations pour que le débat public soit le plus clair possible.
S'agissant de la PMA, il faut distinguer le cadre bioéthique, qui ne relève évidemment pas de nos attributions, et l'organisation des activités de soins et la prise en charge de dépenses de santé liées à la PMA dans le cadre bioéthiques en vigueur, à l'égard desquelles nous sommes fondés à formuler des observations. Quand nous comparons les performances de la France en matière de réussite des tentatives de naissance, nous sommes aussi dans notre rôle. De même quand nous soulignons la nécessité d'adapter plus rapidement la nomenclature des actes biologiques pris en charge par l'assurance maladie à l'évolution de toutes les techniques d'assistance médicale à la procréation, dans le cadre bioéthique en vigueur.
L'observation de Mme Guillotin sur les transports sanitaires me paraît aller tout à fait dans le bon sens. Il est loin d'être évident, d'après nos constats, que les dépenses engagées soient toujours médicalement justifiées. Il est vraisemblable qu'il soit nécessaire de refondre les conditions de remboursement pour gagner en efficacité et en équité.
M. Denis Morin. - En effet, madame Guillotin, vous avez pleinement raison. Un certain nombre de nos concitoyens n'ont pas de prise en charge, alors qu'ils en auraient besoin, quand d'autres bénéficient de remboursements non justifiés médicalement. Il y a là une bonne illustration de notre démarche : encourager la bonne dépense publique.
Madame Gréaume, nous suivons très attentivement le déploiement de tous les dispositifs de lutte contre les erreurs et les fraudes dans l'ensemble des branches de la sécurité sociale, notamment dans le cadre de notre rapport annuel sur la certification des comptes. Nous ne cautionnons pas les chiffres astronomiques évoqués ici ou là relativement à des montants de fraude calculés par des règles de trois... C'est un sujet complexe, que nous abordons en soulignant la nécessité de renforcer les dispositifs de contrôle interne, les dispositifs de contrôle embarqués dans les systèmes d'information et, naturellement, le volume des contrôles humains.
Madame Cohen, sur la PMA comme sur les greffes, nous mettons simplement en évidence des pertes de chances pour un certain nombre de patients et de couples. Dans un système qui se veut égalitaire, largement socialisé et assez présent sur le territoire, il est de notre devoir d'identifier de telles pertes de chances.
Monsieur Daudigny, la fréquentation de l'hôpital public évolue aujourd'hui beaucoup moins vite que dans les années passées. Vous avez à l'esprit, je pense, que les tarifs ne baissent plus depuis deux ans. Par ailleurs, l'ensemble des dotations budgétaires régulées pour respecter l'Ondam sont aujourd'hui totalement dégelées. La progression de l'Ondam hospitalier se traduira tout de même par 1,7 milliard d'euros de moyens supplémentaires pour l'hôpital public en 2020. Beaucoup de secteurs seraient heureux de pouvoir afficher une telle progression.
Pour répondre au malaise que vous avez rappelé, monsieur le sénateur, la bonne réponse, comme nous l'avons écrit dans nombre de rapports, c'est le virage ambulatoire, ce sont les réformes structurelles dans le secteur de l'assurance maladie, c'est la structuration du premier recours pour la prise en charge en proximité de nos concitoyens par des structures plus légères que l'hôpital. De ce point de vue, les instruments mis en place dans le cadre du plan « Ma Santé 2022 » peuvent améliorer la structuration des prises en charge. Les négociations conventionnelles menées par l'assurance maladie sur les Communautés professionnelles territoriales de santé sont achevées. Celles-ci vont pouvoir se déployer dans les territoires et apporter des éléments de réponses. La Cour des comptes plaide pour une réforme du régime des autorisations et pour la fixation, à chaque fois que cela est possible, de seuils d'activité, y compris pour les plateaux de chirurgie, car certains ont une activité extrêmement réduite, ce qui ne garantit pas une prise en charge optimale pour les patients, ni leur sécurité. Il vaut mieux pour un patient recevoir une greffe dans un centre qui réalise 1 500 opérations de ce type chaque année que dans un centre qui en réalise deux ou trois. Certains incidents qui se sont produits dans certains centres montrent que la fixation de seuils contribue à garantir la sécurité des patients.
Je n'ai pas à l'esprit les données concernant le poids des cotisations sociales dans le financement de la sécurité sociale branche par branche. Leur part a baissé fortement depuis 30 ans, pour s'établir en moyenne désormais à environ 50 %, ce qui constitue une révolution pour le financement de notre système. Cela vaut aussi pour l'assurance chômage ou les régimes complémentaires, compte tenu des décisions du gouvernement. Nous pourrons vous transmettre, si vous le souhaitez, un tableau plus précis présentant la part des cotisations par branche.
Mme Victoire Jasmin. - Vous avez évoqué les transports sanitaires et médico-sociaux. Quid des évacuations sanitaires ? De même, vous n'avez pas évoqué les dépenses de prévention de la sécurité sociale. Enfin, ma dernière remarque concerne l'amélioration continue de la qualité dans les services hospitaliers et dans le privé. Des démarches de certification des pratiques et des normes ont lieu. Or les laboratoires de biologie médicale rencontrent de grandes difficultés à cause de la révision de la nomenclature et de la cotation des actes. Je voudrais attirer votre attention sur l'incohérence de la démarche : on veut améliorer la qualité, mais en même temps on diminue les recettes des laboratoires, c'est contradictoire et cela aura des conséquences graves.
Mme Florence Lassarade. - J'ai été surprise de constater que le PLFSS évoque très peu la médecine libérale. On vit une crise des urgences. Il y a, vous l'avez souligné, une pression en milieu hospitalier pour augmenter les consultations externes, mais il s'agit souvent d'une pression de la part de la direction des hôpitaux sur les médecins. Qu'en est-il de la revalorisation des actes en médecine libérale ? Ne conviendrait-il pas de se préoccuper sérieusement de la question, en particulier pour la médecine de spécialité, si l'on veut que les urgences se désengorgent ?
Mme Martine Berthet. - Ma première question concerne les transports de patients : ne pensez-vous pas qu'une meilleure coordination entre les ARS serait souhaitable ? Chaque ARS délivre des agréments, mais les critères varient selon les régions. Les prestataires souhaitent une harmonisation. Pensez-vous faire des recommandations en ce sens ?
En ce qui concerne les arrêts maladie, votre tableau indique que les salariés des domaines de la santé humaine et de l'action sociale sont beaucoup plus concernés que les autres. Lors des mouvements de grève des urgences ou des personnels de l'aide à domicile, on a constaté que les revendications concernaient autant la revalorisation des salaires que la revalorisation des métiers et leur évolution. Ferez-vous des préconisations au gouvernement en ce sens ? Une meilleure reconnaissance contribuerait à réduire le nombre d'arrêts maladie.
M. Michel Forissier. - Lorsque l'on est dans l'opposition et que l'on analyse les comptes de la sécurité sociale, on est toujours plus réalistes et pessimistes. Quand on arrive au gouvernement, et malheureusement ce gouvernement n'échappe pas à la règle, on devient plus volontiers optimiste. Certes des mesures structurelles ont été prises en début de mandat, mais dès qu'un accident de parcours est survenu, avec la crise des gilets jaunes, le gouvernement a lâché du lest en pensant qu'il pourrait financer ce qu'il donnait par des économies ultérieures. Évidemment, celles-ci ne sont jamais à la hauteur... Comment parvenir, dès lors, à l'équilibre des comptes dans ces conditions ? Si le gouvernement ne doit suivre aucune règle d'or, on n'y arrive jamais ! Comment inculquer à nos dirigeants le sens de la rigueur budgétaire ? Vos recommandations et vos analyses sont précieuses à cet égard, mais c'est au moment de la mise en oeuvre que le bât blesse...
Mme Monique Lubin. - La Cour a formulé des préconisations sur les retraites anticipées. M. Savary est en faveur de mesures radicales et pour leur suppression. Si nous sommes d'accord sur un certain nombre de points sur l'emploi des seniors, nous sommes en parfait désaccord sur ce sujet. Vous dites que les décisions relèvent du pouvoir politique, c'est vrai, mais il n'en demeure pas moins que les politiques s'appuient sur vos rapports. Dès lors je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi vous abordez cette question, sous cet angle, au moment où une grande réforme des retraites est annoncée. De plus le coût des dispositifs de départs anticipés sera amené à baisser compte tenu du recul de l'âge moyen d'entrée dans le monde du travail.
Ensuite, comme ma collègue Laurence Cohen, je constate que si votre rapport aborde la question des dépenses à maîtriser, il est beaucoup moins clair sur l'amélioration des recettes. Je ne suis pas une forcenée de la dépense et je pense faire partie des gens responsables ; je considère que l'on doit veiller à contenir les dépenses et veiller à ce que les hausses éventuelles soient judicieuses. Toutefois, pourquoi n'engagez-vous pas une réflexion pour trouver de nouvelles modalités de financement de notre protection sociale ? Les cotisations versées par les employeurs et par les salariés constituent le socle du financement de la protection sociale. Doivent-elles reposer uniquement sur le salaire ? Ne pourrait-on envisager un financement reposant sur les bénéfices des grandes entreprises qui gagnent beaucoup d'argent ?
M. Didier Migaud. - La Cour a lancé des travaux de réflexion sur plusieurs des sujets que vous avez évoqués. La question de la prévention est en effet fondamentale. Nous allons travailler dessus. Nous avons aussi eu l'occasion de vous remettre une analyse sur les urgences dans un rapport récent.
Nous avons travaillé sur les régimes spéciaux à la demande de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale. Nous formulons un certain nombre de constats à l'égard de ceux qui peuvent partir en retraite avant l'âge légal ou sans avoir cotisé pendant la durée requise. Un débat sur les retraites est en cours. Il semble normal que la Cour apporte un éclairage et chiffre le coût de certains dispositifs. Quant au reste, il appartient au pouvoir politique de décider. Plus il est éclairé, plus il est apte à se prononcer en connaissance de cause. Nous ne nous prononçons pas sur l'opportunité des dispositifs, mais présentons une analyse objective et chiffrée en fonction de tous les paramètres, comme l'espérance de vie, l'espérance de vie en bonne santé, etc.
Notre rapport comporte un chapitre sur les recettes. Nous estimons en effet que le pouvoir politique dispose d'une marge de manoeuvre à travers les niches sociales. Lorsque nous regardons vos débats, on constate que vous êtes nombreux à considérer que le niveau de prélèvements obligatoires est élevé et qu'il ne doit pas être dépassé. C'est dans ce cadre que vous fixez que nous nous inscrivons. Dans cette perspective, on constate qu'il existe des marges, car certaines exonérations ou exemptions ne répondent pas aux objectifs que vous vous êtes fixés.
En ce qui concerne la dépense, nous raisonnons par rapport aux objectifs de dépenses que fixe le Parlement et puis nous essayons d'apprécier, chapitre par chapitre, si des marges d'économies ou d'efficience sont possibles, sans remettre en cause l'accès aux soins ni la qualité des soins.
Je ne ferai pas de commentaire sur la question d'ordre général de M. Forissier. Je rappellerai simplement la position constante de la Cour. Le déficit des comptes sociaux est une anomalie. Dans la mesure où il s'agit de dépenses courantes, de fonctionnement et non d'investissement, il n'apparaît pas légitime de les faire financer par les générations futures. Le débat sur la règle d'or est complexe - j'ai eu l'occasion d'ailleurs de participer à ces débats dans une vie antérieure. À chaque fois qu'il a été envisagé d'instaurer une règle d'or rigide pour le budget de l'État, le pouvoir politique a reculé. La Constitution retient une rédaction très souple en évoquant « l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques ». Les Allemands ont une formule un petit peu plus rigide pour des raisons historiques. Mais autant il semble difficile de fixer une règle d'or pour le budget de l'État, autant une règle d'or pour le budget de la sécurité sociale, peut-être dans une perspective pluriannuelle, pourrait se justifier. Là encore, la décision vous appartient.
M. Denis Morin. - Monsieur Mouiller, l'idée d'inclure la question des pensions d'invalidité et leur évolution dans la réflexion engagée par le gouvernement sur l'unification des minima sociaux me paraît une très bonne idée. Il y a des liens entre l'invalidité et le handicap. Si les réglementations et les modes de financement sont distincts, les publics visés sont parfois les mêmes. Il convient d'intégrer cet angle mort que constitue l'invalidité dans la réflexion d'ensemble, ce qui éviterait que les bénéficiaires de pensions d'invalidité d'un montant modeste aient à demander successivement le bénéfice de l'allocation supplémentaire d'invalidité puis le bénéfice de l'allocation adulte handicapé. Cela simplifierait les démarches.
Vous avez évoqué le comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales. Je pense qu'il a dû être absorbé par le haut conseil du financement de la protection sociale, présidé par Dominique Libault et qui a aussi vocation à se prononcer sur la pertinence des niches sociales.
Enfin, vous avez évoqué la possibilité de confier des responsabilités supplémentaires aux professionnels de santé, et aux médecins en particulier. Il s'agit d'une tendance qui est relativement longue maintenant. Elle est positive et concerne aussi les pharmaciens à travers les honoraires de dispensation. Elle est couverte en principe par les rémunérations forfaitaires ROSP qui prennent en compte les caractéristiques de santé publique propres aux territoires où les médecins travaillent.
Nous n'avons effectivement pas abordé les transports d'urgence. À la demande du Comité d'évaluation et de contrôle des dépenses publiques de l'Assemblée nationale, nous allons réaliser un rapport sur la prévention l'année prochaine. Il ne s'agit pas d'un thème nouveau puisque lorsque nous évoquons le diabète, les maladies cardio-vasculaires, les soins visuels, ou les greffes par exemple, nous mettons à chaque fois en évidence l'insuffisance de la politique de prévention. La forte hausse du nombre de personnes inscrites sur la liste des personnes en attente d'une greffe - 16 000 personnes aujourd'hui contre 10 000 personnes il y a 5 ans - est aussi la traduction d'une défaillance des politiques de prévention en la matière.
En ce qui concerne l'amélioration de la qualité, la démarche de Haute Autorité de Santé à travers la certification constitue une démarche excellente qu'il faut encourager. Tous les établissements de santé sont extrêmement sensibilisés et j'ai le sentiment que cette démarche a fait énormément progresser la qualité au sein de l'ensemble de nos services hospitaliers.
Madame Lassarade, les dernières négociations conventionnelles de 2017 ont abouti à une revalorisation des actes de médecine libérale, avec une dépense de deux milliards d'euros sur ce sujet. De même la négociation conventionnelle interprofessionnelle sur les CPTS comportait un volet financier d'accompagnement qui n'est pas négligeable, qui a été négocié par l'Assurance maladie et qui va dans le sens des préoccupations que vous avez exprimées.
Madame Berthet, nous n'avons pas traité le sujet des ARS de manière spécifique dans ce rapport, mais on les évoque à travers les différents sujets que nous abordons, y compris le sujet des transports. Faut-il accroître la coordination ou bien au contraire laisser davantage de marge d'action pour s'ajuster à la réalité des territoires ? J'incline plutôt pour la seconde hypothèse, mais notre pays est traditionnellement traversé par une tension entre ceux qui prônent des règles nationales qui s'appliquent uniformément partout et ceux qui plaident pour une certaine diversité afin de mieux s'adapter aux besoins du terrain. Nous travaillons sur les ARS. Nous en avons contrôlé plusieurs, à la fois à travers des contrôles organiques classiques, mais aussi pour évaluer la manière dont elles remplissent leur mission. Nous pourrons vous communiquer nos rapports si vous le souhaitez.
Enfin, nous avons noté l'importance des arrêts de travail dans le secteur de la santé. Nous l'avions également souligné l'année dernière dans nos travaux sur les maladies professionnelles et les accidents du travail. Je ne peux que vous renvoyer aux travaux de la commission Libault sur le grand âge et l'autonomie. Les besoins pour assurer la prise en charge de nos aînés sont considérables. Il faut mieux reconnaître la qualification professionnelle des personnels concernés et garantir le déroulement des carrières dans ces secteurs difficiles.
M. Alain Milon, président. - Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) - Examen du rapport d'information
M. Alain Milon, président. - Nous examinons désormais le rapport d'information sur l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) fait au nom de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (Mecss), présenté par nos collègues Mme Catherine Deroche et M. René-Paul Savary. Je remercie le président de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, de bien avoir voulu accepter d'ajouter ce sujet à un programme de travail déjà bien chargé, mais il me tenait particulièrement à coeur.
Nous constatons régulièrement qu'en dépit de dépenses de santé qui soutiennent tout à fait les comparaisons européennes, notre système de santé semble craquer de toute part. Nous l'avons encore observé lors de l'audition du collectif inter urgences la semaine dernière. Nous constatons aussi que le fait de « tenir » l'Ondam n'a pas empêché la constitution d'une dette sociale très largement composée de la dette de la branche maladie, mais aussi d'une dette hospitalière conséquente. Il était donc nécessaire de s'interroger sur cet outil.
Mme Catherine Deroche, rapporteure. - La Mecss nous a confié en début d'année une mission sur l'Ondam, dont nous votons chaque année le montant au moment de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Cette mission est l'occasion de prendre du recul par rapport aux commentaires à chaud auxquels nous nous livrons chaque automne - à partir notamment des analyses de la Cour des comptes - sur le respect ou non de l'objectif voté l'an passé, son taux d'évolution pour l'année à venir ou encore la ventilation des crédits et des efforts d'économies entre les différents acteurs de l'offre de soins.
Nous formulons, année après année, certaines réserves, qui justifient de se pencher plus en détail sur un outil qui soulève par ailleurs de plus en plus de critiques de la part d'acteurs du système de santé quant à son manque de transparence et d'équité.
Rappelons-le, l'Ondam repose sur une logique a priori vertueuse. C'est un objectif ad hoc de dépenses, distinct de celui de la branche maladie et de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) dont il recouvre une partie des prestations et dépenses. L'Ondam a permis de renforcer le suivi par le Parlement d'une dépense dynamique : d'un peu plus de 90 milliards d'euros dans la première LFSS pour 1997, elle représente aujourd'hui environ 200 milliards.
Mais cet objectif ne reflète pas toute la dépense de santé : d'autres agrégats, la consommation de soins et de biens médicaux et la dépense courante de santé réunissent, sur d'autres périmètres, la part prise en charge non seulement par la sécurité sociale (que retrace l'Ondam), mais aussi par les autres financeurs (organismes complémentaires et reste à charge des ménages). La dépense courante de santé représente ainsi 276 milliards d'euros.
L'Ondam n'est pas un simple outil statique de suivi de la dépense : il sert d'abord à en assurer le pilotage et la régulation, de manière à ce que la dépense publique consacrée à la couverture des besoins de santé soit compatible avec les recettes votées, pour un niveau de solde donné. Autrement dit, ce niveau de dépense doit être soutenable pour notre modèle de prise en charge solidaire des soins, et susceptible de garantir sa pérennité s'agissant de dépenses courantes dont le financement par la dette ne peut se justifier.
De ce point de vue, l'Ondam est devenu au fil du temps un instrument plus crédible de pilotage budgétaire de la dépense de santé. Depuis 2010, l'Ondam voté a été systématiquement respecté, alors qu'il avait connu jusqu'à cette date des évolutions erratiques. Suivant des recommandations formulées à cette date par le groupe de travail présidé par Raoul Briet, ses outils de pilotage ont été renforcés : le comité d'alerte de l'Ondam, créé en 2004, a vu ses missions étendues, et des mesures de régulation infra-annuelle (les gels de crédits) ont été généralisées - nous y reviendrons.
Le taux moyen d'évolution de l'Ondam sur la période 2010-2018, en exécution, s'est stabilisé à environ 2,28 % par an, quand il était de 4,78 % en moyenne annuelle entre 2000 et 2009. Cette modération a contribué, sans en être toutefois la seule explication, à la réduction du déficit de l'assurance maladie sur la période.
Faut-il, dès lors, se satisfaire de ce constat et se dire que tout va bien dès lors que l'on « tient » l'Ondam ? La doctrine économique confirme que les dépenses de santé tendent à croître sur le long terme plus rapidement que la richesse nationale : la part de la consommation de soins dans le PIB a ainsi plus que triplé de 1950 à 2018, passant de 2,5 % à 8,6 %. La vocation de l'Ondam est d'éviter toutefois la fuite en avant en mobilisant des gains d'efficience au sein du système de santé.
La nécessité de cette régulation est incontestable. Il nous semble pour autant que nous touchons aujourd'hui aux limites d'un pilotage budgétaire à courte vue, certes efficace, mais qui ne parait plus en mesure d'accompagner la transformation tout aussi nécessaire de notre système de santé.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Nous avons identifié un double besoin : d'une part, celui de redonner du sens et de la visibilité aux acteurs du système de santé, d'autre part, celui de renforcer notre rôle, celui du Parlement, dans le pilotage d'une dépense portée par de lourds enjeux comme le vieillissement de la population ou l'innovation thérapeutique.
Nos observations, guidées par ce double objectif, portent à la fois sur le champ des dépenses incluses dans l'Ondam, la construction de cet objectif, sa structuration en sous-objectifs et les modes de régulation sur lesquels il repose.
S'agissant du périmètre de l'Ondam, la tentation du jardin à la française est parfois d'y inclure des prestations qui en sont exclues, comme les indemnités journalières de maternité ou les pensions d'invalidité, qui représentent un total de 17 milliards d'euros. Cela ne nous semble pas être un réel enjeu, car la logique sous-jacente se justifie : si ces dépenses ne sont pas régulables, les inclure dans l'Ondam ne fait pas de sens.
En revanche, la vision éclatée qu'offre l'Ondam sur certaines dépenses stratégiques pose davantage question. C'est notamment le cas dans le secteur médico-social qu'analyse chaque année notre collègue Bernard Bonne : l'Ondam retrace la majorité, mais non pas l'ensemble des dépenses de soins des établissements et services médico-sociaux, également abondées par des prélèvements sur les ressources propres de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). Il nous semblerait utile de disposer, au moment de l'examen du PLFSS, d'une vision plus globale de l'effort public dédié à la prise en charge de la perte d'autonomie. Ces mêmes observations peuvent s'appliquer aux dépenses de prévention, dont il est regrettable de ne pas pouvoir apprécier le retour sur investissement.
La construction de l'Ondam est également un sujet constant d'attention. Nous vous avons distribué un schéma qui en retrace les grandes étapes. Deux d'entre elles sont essentielles : l'évaluation du tendanciel, c'est-à-dire la croissance spontanée des dépenses, et la présentation des économies qui permettent de contenir cette tendance dans le taux-cible d'évolution voté.
Pour 2018 comme 2019, le tendanciel de dépenses était évalué à 4,5 %, imposant un quantum d'économies sur la tendance de plus ou moins 4 milliards d'euros, presque équivalent à la dépense supplémentaire engagée, sachant que le taux d'évolution de l'Ondam était fixé à 2,3 % pour 2018 et 2,5 % pour 2019.
Si l'exercice est complexe, l'évaluation du tendanciel reste opaque, ce qui ne manque pas de soulever chaque année des interrogations. La méthode est plus étoffée pour les soins de ville que pour l'hôpital ; elle est comme le note la Cour des comptes largement empirique pour le médico-social.
L'enjeu est loin d'être neutre, car en découle pour les secteurs de l'hôpital ou encore du médicament une régulation par les prix plus ou moins « agressive », au regard des volumes d'activité anticipés. Il nous semble utile de renforcer la transparence de l'exercice, sur la base d'une méthodologie partagée avec les acteurs. L'annexe au PLFSS consacrée à l'Ondam gagnerait à être étoffée de la décomposition du tendanciel et des hypothèses qui le sous-tendent. C'est un document que nous devons examiner avec vigilance.
Quant aux plans d'économies détaillés à titre indicatif en annexe au PLFSS, ils peinent à refléter un pilotage véritablement stratégique, et surtout lisible, de la dépense de santé. Certes, de grandes orientations se précisent au fil des années, autour de la structuration de parcours de soins efficients, de la pertinence des prescriptions et des prises en charge, de la performance interne des établissements ou de la maîtrise du prix du médicament.
Toutefois, s'y mêlent des mesures de nature diverse, qui ne sont parfois que des économies opportunistes comme des transferts vers d'autres financeurs... En outre, toutes ces mesures, en dehors de celles de maîtrise médicalisée, ne donnent pas lieu à un suivi dans le temps, ce qui confère à l'exercice un caractère artificiel. Là aussi, un effort d'évaluation devrait être déployé pour donner du sens et renforcer notre suivi du pilotage budgétaire et stratégique de l'Ondam.
Au total, cet exercice de construction de l'Ondam ne permet pas véritablement d'objectiver les besoins de financement du système de santé, d'analyser ou d'anticiper les grandes tendances comme les effets du virage ambulatoire, par son caractère très cloisonné.
Mme Catherine Deroche, rapporteure. - L'Ondam est d'abord, en effet, un levier de régulation : l'un des principaux enjeux vient d'ailleurs aujourd'hui du mode même de régulation de la dépense de santé sur lequel repose l'Ondam. Le respect de l'Ondam voté, s'il faut bien sûr s'en réjouir, s'appuie sur une asymétrie des mécanismes de régulation qui fragilise, peu à peu, l'adhésion des acteurs.
La régulation infra-annuelle, c'est-à-dire les mesures permettant de « tenir » l'objectif en cours d'exécution, s'appliquent d'abord aux enveloppes fermées à destination des établissements de santé, à travers les coefficients prudentiels ou les mises en réserve de crédits.
Les gels sur l'Ondam hospitalier ont représenté en moyenne 400 millions d'euros par an en début d'exercice sur la période 2010-2018, et, en cumulé sur la période, ce sont plus de deux milliards de crédits votés qui ont été in fine annulés pour garantir le respect de l'Ondam total.
Ce mécanisme est efficace pour tenir l'Ondam, mais il se révèle perdant-perdant pour l'hôpital : même quand des arbitrages plus favorables pour reverser des crédits mis en réserve aux établissements hospitaliers sont pris, comme ce fut le cas sur les exercices 2017 et 2018, ils n'interviennent que tardivement (en février ou mars de l'année suivante), ce qui prive les établissements de la visibilité nécessaire pour piloter leur activité ou leurs choix d'investissements.
De surcroît, et s'il faut là aussi leur reconnaître le mérite de l'efficacité, les leviers de régulation de l'Ondam sont de manière prépondérante des actions sur les prix.
Pour les établissements de santé, cela se décide lors de la « campagne tarifaire » qui conduit à la publication, généralement en mars, de l'arrêté ministériel fixant les tarifs pour l'année en cours au vu des prévisions d'activité. En 2019 et pour la première fois depuis 10 ans, les tarifs hospitaliers marquent une progression à la hausse, certes modeste de 0,2 %, qui met fin à une spirale à la baisse. Il faut y reconnaître un signal positif, dans un contexte de ralentissement de l'activité hospitalière.
Le poste des médicaments a aussi fortement contribué à la modération de l'Ondam, avec deux leviers directs d'action dans ce secteur que sont les conventions de fixation des prix et les clauses de sauvegarde qui se déclenchent en cas de dépassement d'un certain chiffre d'affaires des entreprises pharmaceutiques. Les dépenses de médicaments relevant de l'enveloppe soins de ville ont évolué entre 2010 et 2017 de 1,6 % quand les dépenses totales de ce sous-objectif augmentaient de 16,6 %, et les honoraires de paramédicaux de 40 %.
Les autres secteurs des soins de ville ne sont pas exempts de régulation. Mais contrairement à l'hôpital, les conventions tarifaires ne sont pas utilisées en cours d'année pour ajuster les tarifs aux volumes d'activité. Les accords de modération dans le secteur de la biologie médicale, qui font l'objet d'une renégociation délicate, sont jusqu'alors la seule exception.
Les solutions ne sont pas simples, mais un constat se détache : celui d'inscrire l'Ondam dans une trajectoire réellement pluriannuelle et une réflexion prospective sur la dépense de santé. En théorie, la pluriannualité existe déjà : tel est notamment l'objet des lois de programmation des finances publiques. Connaître le taux d'évolution à trois ou quatre ans de l'Ondam est un progrès, mais cet exercice de projection reste très formel et trop peu documenté.
Les fédérations hospitalières appellent de leurs voeux une plus grande visibilité dans la tarification, sur une base au moins triennale : cette préconisation, reprise par la task force sur le financement du système de santé pilotée par Jean-Marc Aubert, nous semble être une évolution indispensable, a fortiori avec la réforme du financement de l'hôpital que va engager le PLFSS pour 2020.
Les modes de régulation fondés sur la modération des volumes par la qualité et la pertinence, plutôt que ceux résultant de la logique du rabot, nécessitent également de s'inscrire dans la durée. Le secteur de la radiologie a ouvert la voie en ce sens. Nous pourrions également, dans ce cadre pluriannuel, envisager des formes de lissage dans le temps de la dépense, pour absorber les chocs éventuels sur une année, par exemple dans le secteur du médicament en cas d'arrivée sur le marché d'innovations thérapeutiques.
Un autre sujet qui s'accommode mal de l'annualité de l'Ondam est celui des investissements hospitaliers, qui marquent un net recul depuis 2009. Nous réitérons la préconisation portée par le rapport de la Mecss sur la tarification à l'activité (T2A) dès 2012 de mieux prendre en compte le cycle de vie des investissements hospitaliers, en déconnectant ces dépenses des tarifs.
De manière générale, il manque une vision stratégique et prospective pour objectiver les besoins de santé et identifier les grandes tendances à moyen terme, liées aux effets du vieillissement, à l'arrivée d'innovations, et mettre en regard les financements mobilisables. La régulation à courte vue via l'Ondam nous éloigne de cette réflexion collective aujourd'hui indispensable.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Un dernier sujet de réflexion vient de la structure même de l'Ondam qui est voté, depuis 2005, en six sous-objectifs : l'Ondam soins de ville, l'Ondam hospitalier, les deux sous-objectifs relatifs au secteur médico-social, le fonds d'intervention régional (FIR) et les autres prises en charge ; leur contenu est présenté dans le document qui vous a été distribué. Ce découpage avait constitué un progrès, en renforçant la portée du vote par le Parlement. Il a aussi le mérite de la clarté puisqu'il correspond à des canaux de financement et à des modes de régulation distincts.
Ce découpage n'est toutefois pas parfait. Les deux secteurs de la ville et de l'hôpital sont ainsi plus poreux qu'on ne le pense parfois : les prestations hospitalières exécutées en ville, qui représentent près de 12 milliards d'euros et connaissent une progression dynamique, s'imputent sur l'objectif soins de ville alors que leur fait générateur est à l'hôpital. Quant aux honoraires conventionnels, ils ont un impact sur le budget des établissements de santé par le biais des consultations externes. Cela invite à penser la régulation de manière plus transversale : notamment, la demande récurrente des fédérations hospitalières d'être associées aux négociations conventionnelles nous paraît devoir être entendue.
La structuration actuelle de l'Ondam entretient les clivages entre les offreurs de soins du système de santé, à rebours des enjeux de parcours de soins et de décloisonnement ; elle reproduit en l'amplifiant son pilotage dual entre le ministère et l'assurance maladie. Comme l'a souligné Jean-Marc Aubert, cette structuration a tendance à figer le regard et les parts de marché. Son récent rapport a préconisé de supprimer les sous-objectifs ou d'en redéfinir le périmètre, pour tenir compte des évolutions proposées pour le financement du système de santé.
Pour autant, le regroupement des deux principaux sous-objectifs (ville et hôpital) paraît prématuré. Il serait intéressant en revanche de croiser les approches pour sortir du seul clivage ville-hôpital et suivre des agrégats de dépenses plus transversaux, par exemple pour des enjeux importants comme la santé mentale ou la perte d'autonomie, ou pour mesurer les effets de reversement de l'hôpital vers la ville du fait du virage ambulatoire.
Pour finir, et en écho à ce besoin de plus grande transversalité, nous nous sommes interrogés sur la transformation de l'Ondam en Ordam, à savoir un objectif régionalisé de dépenses d'assurance maladie. Ce débat revient régulièrement dans l'actualité. Il avait conduit à la création en 2012 du FIR, géré par les agences régionales de santé (ARS), et qui constitue depuis 2014 un sous-objectif de l'Ondam, dont il ne représente que moins de 2 % du total, soit 3,5 milliards d'euros pour 2019.
L'objectif serait double : favoriser une plus grande fluidité entre secteurs et contribuer à résorber les inégalités territoriales. Mais cette évolution se heurterait aussi à des difficultés qui ne sont pas que techniques : notamment, pourrait-on accepter des mécanismes régionaux de régulation de la dépense, par exemple des tarifs différents d'un territoire à l'autre ? L'idée est séduisante mais elle poserait en l'état plus de questions qu'elle n'apporterait de réponses.
Elle ne prendrait sens que dans une refonte de la gouvernance de notre système de santé pour aller vers un pilotage régionalisé. Ce n'est pas à l'ordre du jour et la brèche que nous avions ouverte lors de l'examen de la dernière loi santé, en confiant la présidence du conseil de surveillance des ARS au président de région, s'est vite refermée...
Il n'en demeure pas moins que le principe d'Ordam indicatifs, comme outil de suivi dans le temps et d'aide à la décision pour le rééquilibrage d'inégalités entre territoires, serait un premier pas utile.
Les dotations du FIR pourraient également être relevées pour donner plus de marges de manoeuvre à l'échelon territorial dans la conduite de politiques transversales entre la ville, l'hôpital et le médico-social, avec une gouvernance des ARS refondée dans le sens que nous avions préconisé.
Telles sont nos principales observations et recommandations. En l'absence d'un autre mode de régulation de la dépense de santé, l'Ondam est un outil dont on ne saurait se passer. Mais il faut aujourd'hui remettre les termes de transparence, d'équité et de visibilité au coeur de sa gestion et l'inscrire dans une réflexion stratégique et prospective qui fait défaut alors que l'on touche dans de nombreux domaines aux limites d'un pilotage budgétaire à courte vue de notre système de santé.
M. Michel Amiel. - La création d'objectifs régionalisés est une piste intéressante. Ne craignez-vous pas toutefois que cela n'entraîne une aggravation des inégalités territoriales ?
M. Jean-Noël Cardoux. - Je félicite nos rapporteurs pour la qualité de leur travail. Le rapport met l'accent sur des pistes que l'on évoque depuis longtemps. Si l'Ondam est un excellent outil, il s'est révélé au fil du temps très rigide. La pluriannualité serait donc judicieuse. Le décloisonnement, notamment entre la médecine de ville et l'hôpital, apparaît aussi fondamental, au même titre qu'une réforme des ARS.
M. Alain Milon, président. - Nous vous présenterons la semaine prochaine un rapport sur notre déplacement à Madrid. Je n'ai pas été convaincu par tous les aspects du système de santé espagnol, mais je l'ai été par la régionalisation qui s'est accompagnée d'une réduction considérable des inégalités territoriales.
Mme Michelle Gréaume. - L'Ondam est établi à partir de la tendance naturelle d'évolution des dépenses de santé. Mais depuis dix ans, il est calculé à partir d'une situation déjà contrainte par les restrictions budgétaires successives. On observe un décalage entre les besoins et les moyens qui ne cessent de diminuer. La crise des urgences n'est-elle pas ainsi le résultat des Ondam passés ? Ne vaudrait-il pas mieux investir pour remettre à niveau le système hospitalier, plutôt que de régionaliser au risque d'accroître les inégalités entre régions ? Depuis sa création, l'Ondam est un outil de maitrise des dépenses. Il a systématiquement été inférieur au tendanciel d'évolution des dépenses de santé, imposant un effort d'austérité à tous les acteurs. C'est pourquoi le groupe CRCE ne cesse de réclamer sa suppression. Que pensez-vous de la déclaration du président du conseil d'orientation des retraites qui estime qu'une progression de l'Ondam de 2,3 % sera dommageable pour l'hôpital public et la qualité des soins ?
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Les représentants de l'assurance maladie sont réservés sur la territorialisation car les tarifs sont les mêmes sur tout le territoire. D'autres acteurs y sont plus favorables. Le mécanisme peut être intéressant si l'on se dote de moyens supplémentaires pour lutter contre les inégalités. C'est pourquoi nous proposons d'abord d'augmenter les dotations au FIR.
M. Michel Amiel. - Cela s'accompagne-t-il d'une forme de péréquation ?
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Une forme de péréquation existe s'agissant du FIR. La péréquation consiste toujours à prendre aux uns pour donner plus aux autres, c'est toujours un peu critiquable, mais il faut bien reconnaître qu'il existe des inégalités criantes entre territoires en matière de psychiatrie par exemple. On pourrait réduire certaines inégalités en faisant en sorte que l'ARS porte des projets territoriaux. C'est pourquoi nous proposons que le président du conseil régional préside son conseil de surveillance. Le travail en silo des ARS ne peut plus continuer.
L'Ondam est un instrument budgétaire à courte vue. Fixer des objectifs pluriannuels permettrait d'aller au-delà. Je précise toutefois que l'Ondam ne représente pas l'ensemble des dépenses de santé. La dépense courante de santé s'élève à plus de 275 milliards d'euros. La consommation de soins et de biens médicaux, c'est-à-dire les soins remboursés, sans les dépenses de prévention, représente environ 200 milliards d'euros. La sécurité sociale assure 78 % de ces remboursements, les organismes complémentaires 13 %, tandis que le reste à charge des ménages s'élève à environ 7 %. L'Ondam ne représente que la partie régulée des soins, mais les soins de ville relèvent d'un système conventionnel, tandis que l'hôpital peut être plus facilement régulé par la modulation des tarifs en fonction de l'activité.
Madame Gréaume, effectivement à force de faire des économies de plusieurs milliards chaque année, il arrive un moment où l'hôpital craque. Certes, la question des moyens n'épuise pas le sujet, car il faut aussi poser la question de l'organisation, toutefois je plaide pour l'organisation d'états généraux sur l'hôpital ou au moins pour la réalisation d'un grand audit.
Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Si l'assurance maladie n'est pas favorable à la création d'objectifs régionalisés de dépenses, d'autres acteurs soutiennent l'idée. Il est vrai que la création des grandes régions, marquées par des disparités internes importantes, rend la réforme plus compliquée. Toutefois cette évolution parait judicieuse mais devra s'accompagner d'une modification de la gouvernance.
M. René-Paul Savary, rapporteur. - Cela parait inéluctable.
M. Alain Milon, président. - On peut prendre l'exemple des lois de décentralisation de 1982 et 1983 : chacun a pu constater leur effet bénéfique pour les écoles, les collèges et les lycées.
M. Michel Amiel. - Grâce à des moyens nouveaux !
M. Alain Milon, président. - On a simplement donné aux collectivités territoriales le pouvoir de faire. Le modèle de l'État centralisateur n'est pas toujours très bon.
M. Daniel Chasseing. - La régionalisation pourrait aller dans le bon sens. Il conviendrait toutefois de réfléchir à une modulation des dotations du FIR en fonction de plusieurs critères, comme l'âge de la population, afin d'améliorer la prise en charge des premiers recours ou de financer la couverture médico-sociale adaptée.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Questions diverses
M. Alain Milon, président. - Je souhaiterais consulter la commission sur l'organisation de nos travaux. Devant la difficulté de déterminer une date d'audition des ministres, je vous avais saisis de plusieurs dates et nous avions arrêté le mardi 15 octobre à 21 heures. Le ministre des comptes publics étant retenu à l'Assemblée nationale par l'examen du budget, il nous est proposé de substituer à ce créneau une audition de deux ministres le mardi 15 octobre à 9 h 30 qui devra prendre fin avec les réunions de groupe.
La commission se prononce contre la proposition.
M. Alain Milon, président - Nous conservons donc la date du mardi 15 octobre à 21 heures.
La réunion est close à 12 h 40.