Jeudi 10 octobre 2019
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 8 h 45.
Institutions européennes - Débat préalable au Conseil européen des 17 et 18 octobre, en présence de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes réunis pour débattre avant la prochaine réunion du Conseil européen, prévue les 17 et 18 octobre 2019 - ce ne sera pas la moins importante de l'année !
A une semaine de ce sommet, notre attention est, une fois de plus, focalisée sur la négociation avec le Royaume-Uni autour des modalités du Brexit. Au vu des dernières propositions de Londres à l'Union européenne, la séparation à l'amiable semble encore incertaine : cela nous épargnerait pourtant bien des dégâts, comme le groupe sénatorial de suivi du Brexit l'illustre dans son dernier rapport, adopté hier soir. Et rien ne laisse penser que le Royaume-Uni demandera au Conseil européen un nouveau report pour éviter un Brexit sans accord au 31 octobre prochain. Peut-être pourrez-vous nous en dire plus à ce sujet, madame la ministre.
Même s'il ne sera définitivement arrêté que par le prochain Conseil « Affaires générales », l'ordre du jour de ce Conseil européen comprend à ce stade d'autres points importants : d'une part, les négociations sur le cadre financier pluriannuel (CFP) ; d'autre part, le suivi de l'agenda stratégique fixé par le Conseil européen en juin dernier, à l'aube du nouveau cycle institutionnel qui s'ouvrira quand la nouvelle Commission européenne sera en état de marche.
La présidence finlandaise poursuit ses travaux sur le CFP, avec l'ambition d'obtenir un accord d'ici la fin de l'année. Quelle position la France entend-elle défendre, s'agissant du niveau global du budget européen, de sa ventilation entre les principales politiques européennes et de son mode de financement ? Vous savez l'attachement du Sénat au monde rural, et donc à la politique agricole commune (PAC) et aux fonds de cohésion.
Pour ce qui concerne l'agenda stratégique de l'Union européenne, le Conseil européen devra s'assurer de sa déclinaison transversale dans les différents formations du Conseil concernées : ainsi, l'ambition climatique et environnementale doit être assumée par les Conseils agriculture, compétitivité, environnement, transport et énergie ; pour ce qui est de la consolidation de la base économique européenne, quelle impulsion peut-on espérer de la part du Conseil européen en matière de révision des règles de concurrence ? Notre commission travaille depuis longtemps avec la commission des affaires économiques, sur l'inadéquation de la politique de la concurrence, écrite il y a un demi-siècle, aux enjeux du monde d'aujourd'hui. En matière internationale, plusieurs dossiers méritent l'attention du Conseil européen et ne sauraient attendre : comment sauver le mécanisme de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ? Comment mettre fin aux forages turcs illégaux dans la zone économique exclusive chypriote ? L'assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a adopté récemment une résolution sur ce point.
Nous souhaitons aussi savoir si le Conseil européen se penchera sur la question de l'élargissement : ce sujet, qui devait déjà être traité en juin, a vu son examen reporté en octobre ; or la décision de l'Union européenne d'ouvrir ou non les négociations d'adhésion est très attendue, particulièrement en Albanie et en Macédoine du Nord - dont nous avons reçu hier une délégation qui nous a redit ses attentes avec insistance - même si ces pays savent que le processus peut être très long. Où en est-on sur ce dossier, qui conditionne l'équilibre géopolitique fragile dans les Balkans ?
Après ce rapide tour d'horizon, je cède la parole à M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, et à M. Ladislas Poniatowski, qui représente ici le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La ministre introduira ensuite le débat. Puis les groupes s'exprimeront, chacun pour huit minutes maximum. La ministre leur fera ensuite une première réponse, puis s'engagera un échange de questions-réponses entre la ministre et les sénateurs.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Je sais que, lors de chaque débat préalable à un Conseil européen, nous disons tous qu'il sera décisif. Mais celui de la semaine prochaine le sera, je crois, particulièrement, et abordera des sujets très importants, comme le budget à long terme de l'Union européenne, la définition des priorités de la Commission européenne et, bien sûr, le feuilleton à rebondissements du Brexit, sur lequel il est bien difficile de tirer des conclusions définitives sans être rapidement démenti par l'actualité - mais les perspectives d'un accord semblent s'éloigner chaque jour davantage, alors que nous nous approchons de l'échéance.
D'importantes mesures budgétaires devraient être prises par les États membres directement touchés par une sortie sans accord. Ainsi, le ministre des finances irlandais a annoncé la semaine dernière un plan de soutien à l'économie à hauteur de 1,2 milliard d'euros, pour lutter contre les conséquences d'une sortie sans accord. Les prévisions de croissance économique de la France qui sont détaillées dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2020 intègrent-elles suffisamment le coût d'un probable Brexit dur ? Pour mémoire, les auditions que nous avons menées la semaine dernière nous ont donné des perspectives inquiétantes, et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) chiffre l'effet attendu d'un Brexit sans accord à 0,5 point de PIB. Avez-vous des précisions ?
La question de notre relation future avec le Royaume-Uni est évidemment au coeur de nos préoccupations, surtout lorsque le leader du Brexit Party déclare vouloir faire du Royaume-Uni le « Singapour de l'Occident » - il aurait pu dire le Hong-Kong mais ce n'est plus à la mode... Il songe en fait à un pays dont la fiscalité serait basse et les normes environnementales et sociales, faibles, ce qui le rendrait attractif. La construction d'une concurrence fiscale équitable en Europe reste à concrétiser. Ne faut-il pas s'inquiéter de ces projets ? Même avec un taux d'impôt sur les sociétés à 25 %, la France ne pourra pas suivre la course à la baisse et au moins-disant.
Par ailleurs, le Conseil européen devrait refaire un point d'étape sur l'avancée des négociations relatives au futur CFP. Je souhaite attirer votre attention, madame la ministre, sur les conséquences regrettables du retard qui a été pris dans les négociations de la précédente programmation financière, retard qui s'est répercuté dans la mise en oeuvre des fonds européens sur nos territoires. Une mission d'information du Sénat relative à la consommation des fonds européens, à laquelle plusieurs membres de la commission des finances ont participé, a d'ailleurs rendu dernièrement ses conclusions à ce sujet, et pointe des difficultés de consommation pour certains fonds en France.
Outre les montants alloués à chacune des politiques de l'Union européenne pour les sept prochaines années, il reste à s'accorder sur l'articulation du futur CFP avec le budget de la zone euro, qu'on appelle désormais instrument budgétaire de convergence et de compétitivité. Alors que la France préfèrerait restreindre cette ligne budgétaire à la zone Euro, les États membres les plus réticents défendent son intégration au sein du budget de l'Union européenne. Quel est l'état des négociations sur ce point ? La France compte-t-elle faire des concessions à ses partenaires européens ?
Deux autres sujets devraient être mentionnés lors des échanges entre les États membres. Le premier fait écho à l'adoption récente en France du projet de loi relatif à la taxe sur les services numériques. L'OCDE a présenté hier ses propositions d'actualisation des règles de fiscalité internationale pour intégrer les modèles d'affaires du vingt-et-unième siècle. Ce texte servira de base aux négociations, qui pourraient rapidement débuter et s'échelonner tout au long de l'année 2020. Il s'agit de répondre au défi de l'économie numérique. La taxe sur les services numériques introduite par la France n'apporte qu'une partie de la réponse, qui ne peut être que transitoire, limitée. Face aux pôles mondiaux de consommation, les intérêts des différents États pourraient se rapprocher, mais avec des solutions qui ne seront pas neutres du point de vue de nos entreprises et de nos recettes budgétaires. Nous avons constaté ces derniers mois des divergences entre pays européens sur la taxation des Gafam. Certains pays d'Europe du Nord, par exemple, y sont farouchement opposés. Pensez-vous qu'il sera possible de parvenir à un mandat de négociation commun à l'ensemble des États membres de l'Union européenne ?
Le dernier sujet, majeur, est la répercussion du conflit entre Airbus et Boeing. L'OMC estime à 7,5 milliards d'euros les dommages subis par les États-Unis. En retour, ces derniers devraient augmenter leurs droits de douane sur le secteur de l'aéronautique, mais également sur d'autres produits, industriels et agricoles. Pouvez-vous nous donner davantage d'informations ?
M. Ladislas Poniatowski. - Je souhaite vous poser plusieurs questions au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense et de son président, M. Christian Cambon.
Ce Conseil européen clôt la fin d'un cycle, avant l'entrée en fonction de la nouvelle Commission. La candidature française de Mme Sylvie Goulard est mal partie : à l'issue de son audition, tous les groupes politiques à l'exception du groupe Renew Europe ont voté contre son investiture. Une seconde chance lui a été offerte, mais elle a dû répondre à onze pages de questions, et elle passe en ce moment même une deuxième audition. Les coordinateurs des groupes politiques décideront donc de son sort aujourd'hui. Imaginez-vous qu'il puisse en aller, pour la candidature française, comme pour les candidats proposés par la Hongrie et la Roumanie, refusés par le Parlement européen ?
Nous aurions souhaité clore le feuilleton du Brexit, à quelques jours de l'échéance du 31 octobre 2019 qui devait être celle de la sortie du Royaume-Uni, avec un accord. Mais l'incertitude demeure et toutes les options sont encore sur la table. Celle d'un nouveau report paraît aujourd'hui la plus probable, les propositions du gouvernement de Boris Johnson étant totalement inacceptables en l'état. Est-ce aussi votre sentiment ? L'unité des 27 a été jusqu'à présent exemplaire. Y a-t-il un risque qu'elle se fracture, et notamment que Viktor Orbán mette son véto à un report ? Les Britanniques jouent au jeu dangereux du blame game, mais font-ils des propositions sérieuses ? Difficile de suivre les déclarations au jour le jour de M. Boris Johnson... Le gouvernement britannique a fait une partie du chemin en progressant sur l'idée d'un filet de sécurité. Il a en effet proposé un alignement réglementaire pour les échanges de biens entre l'Union européenne et l'Irlande du Nord. Mais le principe d'un consentement, renouvelable tous les quatre ans, du Parlement nord-irlandais, est un piège pour l'Union européenne. Les modalités des contrôles douaniers proposés restent floues et l'idée d'une tolérance particulière pour les petites entreprises pose une vraie question. C'est pourquoi la réaction de l'Union européenne à ces propositions ne pouvait être que mitigée. Notre commission pense qu'il aurait mieux valu revenir sur le « mini backstop » qui avait été proposé par Michel Barnier. Ce schéma signifie qu'il y aura bien une divergence réglementaire avec le reste du Royaume-Uni, et donc un risque de dumping fiscal, social et réglementaire. Vous l'avez souligné vous-même, madame la ministre, en dénonçant le risque d'un paradis fiscal à nos portes - et les Anglais évoquent Singapour. Comment ce risque est-il pris en compte dans la négociation des modalités du retrait et dans celle des relations futures ?
Les négociations sur l'élargissement avec la Serbie et le Monténégro suivent leur cours, mais je ne sais pas où nous en sommes des 32 étapes qu'il faut franchir. Pour autant, les progrès de ces pays sur la voie de la convergence sont-ils suffisants ? Dans une lettre ouverte datée du 3 octobre, les présidents Tusk, Sassoli et Juncker, ainsi que la présidente désignée Mme Ursula von der Leyen ont recommandé l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord. Quelle est la position du Gouvernement français ? Le Conseil européen de juin devait prendre une décision sur le fond, qui a été reportée à l'automne. Il faut s'attendre à ce que les futures présidences croate et allemande évoluent sur ce sujet. L'Union européenne est-elle vraiment en état de procéder à cet élargissement ? La commission des Affaires étrangères en doute sérieusement. Ne risque-t-on pas de décevoir ces pays en leur proposant des échéances irréalistes ? Pour demeurer un pôle de stabilité, l'Union européenne doit d'abord songer à consolider son agenda stratégique et à se réformer et se refonder. C'est la priorité.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. - Merci de votre invitation à venir m'exprimer devant vous, comme j'en ai pris désormais l'habitude avant le Conseil européen - et je viendrai vous faire rapport après ce Conseil européen. Si ces sommets sont décisifs, ils sont aussi extrêmement intenses et donnent lieu à des discussions approfondies et complexes, qui doivent aboutir à un accord. Ce Conseil européen sera assez particulier, puisque c'est le dernier avec Jean-Claude Juncker ; Mme van der Leyen sera présente mais elle n'aura pas encore pris ses fonctions. Lors du prochain Conseil européen, M. Donald Tusk aura rendu son tablier, et M. Charles Michel prendra ses fonctions. C'est donc un moment charnière, à la fin d'une législature et au début d'un nouvel agenda stratégique défini par les chefs d'État et décliné dans les feuilles de mission des différents commissaires. En somme, c'est le premier Conseil européen d'une nouvelle ère. D'où un ordre du jour mêlant sujets d'actualité, comme le Brexit ou l'élargissement, et des dossiers stratégiques.
Sur le Brexit, il faut être clair. Pendant des mois, nous avons demandé au Royaume-Uni de nous faire des propositions. Le Parlement britannique s'est prononcé contre la présence dans l'Union européenne, contre l'accord de retrait négocié entre Mme Theresa May et l'Union des 27, et contre une extension du délai. Restait à comprendre ce que ce pays souhaitait en positif pour ouvrir de nouveau des négociations et parvenir à un accord, ce qui est dans l'intérêt absolu des Britanniques et des Européens - et notamment des Français. Il y a des centaines de milliers de Français et de Britanniques concernés parce qu'ils habitent de part et d'autre de la Manche. Et des millions d'entreprises et d'emplois dépendent des relations quotidiennes entre les deux blocs.
Le 2 octobre, M. Boris Johnson a fait des propositions. Leur simple existence est une étape importante ; à ce titre, elles sont bienvenues, car l'Union européenne avait besoin que le Royaume-Uni mette sur la table des choses concrètes. À ce jour, ces propositions ne permettent pas de respecter les trois principes que nous avons posés depuis le début de la négociation. Le premier est un absolu respect des accords de Belfast, dits du vendredi Saint, pour préserver la paix en Irlande. Il s'agit d'éviter de rétablir une frontière physique, d'abord pour la simple et bonne raison qu'elle serait très difficile à concevoir : il y a plus de routes entre l'Irlande du Nord et l'Irlande qu'entre l'Union européenne et l'intégralité de sa frontière Est extérieure ! Deuxième principe, la protection du marché intérieur, afin que nos entreprises et nos consommateurs aient accès à des produits qui respectent nos normes, ce qui suppose des contrôles. Le troisième principe est la loyauté future de nos relations. Un partenaire qui veut construire avec l'Union européenne une relation future acceptable doit accepter un jeu de concurrence loyale et équilibrée. Le Royaume-Uni est souverain, mais à partir du moment où il exporte des biens et des services vers l'Union européenne, cela doit se faire dans un cadre équilibré.
Nous n'avons pas à ce jour de compréhension claire du mécanisme de consentement proposé par M. Boris Johnson. Nous comprenons, d'un point de vue démocratique, pourquoi il avance l'idée que les Nord-Irlandais devraient accepter l'idée de rester dans l'Union réglementaire européenne. Mais les 27 ne veulent pas s'en remettre à un système qui les placerait dans l'incertitude tous les quatre ans : nos acteurs économiques ne peuvent pas voir le régime commercial dans lequel ils agissent ainsi remis périodiquement en cause !
Deuxième difficulté, nous ne comprenons pas très bien pourquoi créer un régime de contrôle différent pour les PME et pour les grandes entreprises : être une PME ne rend pas par définition plus vertueux... Pour protéger le marché intérieur, les règles doivent pouvoir s'appliquer à tous. La simplicité du mécanisme est importante pour tout le monde. Au fond, ce qui se joue, c'est l'instauration de garanties juridiques, économiques et politiques dans un système complexe en raison de la porosité géographique.
Nous souhaitons un accord. Les négociations ne sont pas terminées. M. Boris Johnson rencontre aujourd'hui son homologue irlandais, M. Steve Barclay, et mon homologue, ministre en charge du Brexit, rencontre M. Michel Barnier. La Task force 50, qui est l'équipe de la Commission consacrée à ce sujet, a des échanges plus que quotidiens avec les équipes britanniques. Nos diplomates reçoivent des comptes rendus extrêmement précis tous les deux jours ou tous les jours. Je le redis, nous souhaitons un accord. On prête trop souvent à la France le rôle de celui qui veut à tout prix en finir. Or, 5 millions de camions traversent chaque année le Channel, soit par bateau, soit par tunnel. Les premiers impactés, après les Irlandais, seront bel et bien les Français.
M. Simon Sutour. - Mieux vaut tard que jamais...
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Je n'ai pas changé de position sur le fait que la France souhaite un accord - mais nous ne voulons pas n'importe quel accord, et nous voulons un accord qui respecte les trois principes que j'ai rappelés.
Sur l'extension du délai, notre position est aussi très simple. Nous considérons que le temps ne dissout pas un problème compliqué si rien ne change. Bien sûr, la ratification peut prendre du temps, mais ce temps commence une fois qu'on a un accord politique. Une extension est donc envisageable si elle est justifiée, par exemple par un changement politique de nature à nous placer en face d'autres interlocuteurs. Si la demande d'extension n'est pas justifiée par des faits probants, il nous semble difficile d'en discuter à 27. Encore faut-il, d'ailleurs, que l'extension nous soit demandée, car l'Union européenne n'a pas le droit de prolonger elle- même la discussion.
Pour le budget 2021-2027, il y a des restes à liquider de près de 300 milliards d'euros. Cela explique le montant que le Royaume-Uni devra verser pour s'acquitter de ses engagements. En ce qui concerne l'année 2020, un plan de contingence extrêmement précis a été négocié par la Commission européenne en cas d'accord. S'il n'y a pas d'accord, il est essentiel que le Royaume-Uni tienne ses engagements et verse l'intégralité de ce qui correspond aux politiques dont il a déjà bénéficié : il y a parfois un décalage entre le moment où l'on bénéficie d'une politique et le moment où l'on y contribue. Si le Royaume-Uni ne tient pas ses engagements, et que la France et d'autres doivent compenser le manque à gagner dans le budget européen, il y aurait un ressaut de plus d'un milliard d'euros de la contribution nationale française, ce qui est très significatif. La France s'oppose à ce que la proposition de la Commission puisse être appliquée. Celle-ci a en effet prévu que, si le Royaume-Uni ne paye pas son dû pour 2020, il y aurait 6 milliards d'euros de coupes dans les programmes européens et 6 milliards d'euros de contribution supplémentaire pour les États. C'est inacceptable : nous n'allons pas demander aux citoyens européens de payer les conséquences du fait que de l'argent qui est dû par le Royaume-Uni - c'est un engagement international - ne soit pas versé. Il ne s'agit, cela dit, que d'une question de trésorerie, puisque cet argent sera versé quoi qu'il arrive par le Royaume-Uni : M. Michel Barnier a déclaré très clairement que l'Union européenne et le Royaume-Uni ne s'engageront dans aucune discussion sur leur relation future si ces engagements ne sont pas tenus. Il ne s'agit pas de la facture du Brexit ni d'un chèque de compensation morale, mais bien de sommes dues pour des engagements passés.
Quant au coût macroéconomique, le no deal n'est qu'un moment, pendant lequel nous aurons perdu tout lien juridique avec la Grande-Bretagne. Le coût macroéconomique dépendra de la durée de ce moment. Mais aucun pays ne peut rester longtemps sans lien juridique avec ses voisins, et le besoin se ressentira très vite de part et d'autre de recréer un cadre d'échanges normalisé. Il est donc très difficile de chiffrer ce coût pour le moment.
Ce Conseil européen sera un moment important pour l'Union européenne. Il y aura une discussion sur la mise en oeuvre de notre agenda stratégique, et notamment sur la cohérence entre l'agenda fixé par le Conseil européen, les priorités des commissaires et celles que nous portons : lutte contre le changement climatique, avec le Pacte vert européen, création du bouclier social, avec un salaire minimum juste dans chacun des pays de l'Union pour limiter à la fois le phénomène des travailleurs pauvres et le dumping social entre États membres, ou protection des frontières extérieures.
Nous aurons également un échange sur les questions industrielles et économiques. Aujourd'hui, la politique de concurrence considère des acteurs au sein d'un marché fermé, le marché européen. Or les biens circulent au niveau mondial, et la concurrence vient de bien plus loin. On doit donc pouvoir laisser émerger un acteur avec une grande part de marché en Europe mais qui est dans une position normale de concurrence au niveau mondial. Et le numérique change la définition de ce qu'est un oligopole ou un monopole. Mme Vestager a donné, pendant son audition, de nombreuses pistes intéressantes pour poursuivre son action. Il faut mettre en cohérence la lutte contre le changement climatique et la politique de concurrence, qu'il s'agisse de fret ferroviaire ou de soutien aux infrastructures énergétiques. Sur tous ces sujets, il faut une part d'investissement public pour lancer les activités qui ne sont pas rentables.
Sur le CFP, nous devons absolument repolitiser le débat, qui ne doit pas tourner à des considérations mathématiques, pour savoir s'il faut porter l'enveloppe budgétaire européenne à 1 % ou 1,11 % du PIB... Nous devons avant tout nous demander ce que nous voulons faire ensemble et quelles sont nos priorités. Par exemple, nous avons besoin d'une politique agricole non pas pour maintenir des subventions aux producteurs agricoles mais pour les aider à se transformer. Cette discussion est plus intéressante que de savoir si la PAC doit représenter 32, 34 ou 35 % du budget ! C'est pourquoi le président de la République essaie souvent de ramener le débat sur le terrain politique. Nous voulons d'abord consolider les priorités, débattre de critères, poser la question des ressources propres : quelles autres sources de financement du budget européen pourraient compléter la contribution financière des contribuables nationaux ? Y a-t-il des évolutions sur des sujets techniques comme le déflateur ? Le budget européen est construit avec une prévision d'inflation de 2 %. S'il y avait 2 % d'inflation en Europe, nous le saurions ! Allons-nous appeler des contributions nationales pour financer des besoins liés à des prévisions d'inflation peu réalistes ?
Nous avons aussi des demandes très fortes sur le verdissement de ce budget. Nos concitoyens ne comprendraient pas pourquoi nous fixons des objectifs ambitieux sur le climat sans nous donner les moyens financiers de les atteindre. Verdir, cela ne veut pas dire peindre en vert ! Cela signifie qu'il faut permettre aux agriculteurs d'investir vraiment dans la transition écologique. Et les territoires doivent être d'autant plus accompagnés qu'ils sont éloignés de la neutralité carbone. Nous voulons donc consacrer 40 % du prochain budget à la lutte contre le changement climatique, à la protection de la biodiversité et à la lutte contre la pollution, contre 28 % en 2014-2020.
Il faut se féliciter de ce qui s'est passé cette nuit : un accord a eu lieu lors de la réunion des ministres de l'Eurogroupe sur le budget de la zone euro. Un montant dédié sera négocié dans le cadre du CFP. Nous devons encore préciser les modalités du financement, avec la possibilité d'affecter des ressources des États membres et des ressources propres. Il faut de la flexibilité sur les ressources que chaque État-membre voudra allouer à cette ligne. Un accord intergouvernemental est pour nous la seule possibilité d'avoir une gouvernance à 19. Il reste des questions sur le montant et l'objectif, mais nous avons une ligne rouge, c'est qu'il est essentiel que nous puissions discuter de ce budget à 19. Il serait baroque que son montant, son usage et ses objectifs soient fixés par des pays qui ne sont ni des bénéficiaires, ni des contributeurs à cette ligne.
Sur l'élargissement, nous connaissons l'aspiration européenne des pays candidats. En 2003, l'Union européenne a reconnu le fait que ces pays, par leur histoire et leur géographie, et par leurs aspirations, avaient une perspective européenne. Mais nous posons deux critères. D'abord quand nous fixons des conditions, il convient qu'elles soient remplies. Nous avons demandé à la Macédoine du Nord plusieurs réformes sur l'organisation de sa justice. L'accord de Prespa entre la Grèce et la Macédoine du Nord a constitué une avancée. Un accord est aussi intervenu avec la Bulgarie. Ensuite, nous avons des questions sur la procédure de négociation elle-même : le processus est-il crédible, créé-t-il un climat de confiance entre les parties ? Comme la procédure n'est pas réversible, les discussions se concentrent en amont. C'est paradoxal. Les négociations ne sont d'ailleurs pas efficaces car les pays qui ont ouvert une procédure d'adhésion continuent de subir un exode massif de leur jeunesse. Est-ce pertinent de mener, pendant quinze ans, des négociations complexes, dont la technicité les rend incompréhensibles pour les citoyens, alors que les ressortissants des pays concernés continuent de partir ? Quels pays rejoindront l'Union européenne : des pays vidés de leurs substance économique, culturelle ? Ce n'est pas souhaitable. C'est pourquoi la France a une position claire. Les critères posés doivent être respectés, et, comme le processus de négociation est complexe et inefficace, il sera nécessaire, avant d'envisager des négociations d'adhésion, que l'Europe ait procédé à des changements pour être capable de s'organiser et de fonctionner efficacement.
Sur la fiscalité du numérique, tous les pays européens participent aux négociations sous l'égide de l'OCDE et aucun ne bloque la négociation. Cela constitue déjà en soi une avancée car l'unanimité ne régnait pas au niveau européen.
En ce qui concerne le contentieux entre Airbus et Boeing, un conseil des ministres franco-allemand sera organisé mercredi à Toulouse, auxquels assisteront le président de la République et la Chancelière allemande, Mme Merkel. Au-delà de la dimension symbolique forte, cela permet de rappeler qu'Airbus est une société franco-allemande, et que nous devons la soutenir. Nous ne cherchons pas l'escalade. Une guerre commerciale n'est pas souhaitable, les avionneurs chinois en seraient d'ailleurs les seuls bénéficiaires. Mais nous ne sommes pas naïfs non plus. L'Union européenne a déjà préparé une liste de produits qu'elle pourrait taxer si le conflit persiste.
Sylvie Goulard est entendue en ce moment par les commissions du Parlement européen. Je n'ai pas de commentaire juridique à faire. Je note juste que la commission des affaires juridiques du Parlement européen a examiné les dossiers des candidats à la Commission européenne pour détecter d'éventuels conflits d'intérêts. Deux candidatures ont été rejetées dès cette étape, ce qui n'a pas été le cas de celle de Sylvie Goulard. Ce sujet a donc déjà été réglé. Les discussions en cours devraient donc porter sur le fond et les compétences. L'industrie, la défense, le marché intérieur sont au coeur de la construction européenne. Je regrette que les questions qui lui sont posées portent sur des sujets qui ont déjà été tranchés.
M. Ladislas Poniatowski. - Que dirait le Gouvernement si les parlementaires européens souhaitaient réduire son portefeuille ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Il appartient à la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, et à nul autre, d'attribuer les portefeuilles.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Vous avez souhaité une proposition commune en matière de fiscalité du numérique. Or la France s'apprête à taxer le kérosène de manière unilatérale. Est-ce judicieux d'avancer de manière isolée ? On comprendrait aussi mieux si la recette était consacrée au financement de la transition écologique, à la recherche pour développer des carburants verts, et non à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France.
M. Claude Kern. - L'ordre du jour du Conseil européen sera chargé. Les dirigeants européens discuteront du cadre financier pluriannuel, qui ne détermine rien de moins que l'évolution du budget communautaire pour les cinq années à venir ; du programme stratégique élaboré pour le cycle institutionnel qui s'ouvre, en présence de la nouvelle présidente de la Commission européenne, Mme von der Leyen ; des enjeux climatiques, notamment en vue de la prochaine Conférence de Santiago du Chili, en décembre ; et enfin du Brexit. Or, nous le savons bien, c'est bien ce dernier sujet qui occupera l'ensemble du champ politique et médiatique, au détriment de l'action globale de l'UE et de sa visibilité auprès des citoyens.
Nous voilà donc collectivement soumis aux conséquences d'une décision que nous n'avons pas prise, pris en otages par les dysfonctionnements de la vie politique britannique. Nul doute que l'image d'une Europe paralysée par des dissensions internes et éloignée des préoccupations quotidiennes pourra à nouveau être brandie par les opposants au projet européen.
Or cette situation intervient alors que l'Union européenne fait face à des défis d'une ampleur inédite depuis sa création aussi bien externes - crise climatique, afflux de réfugiés, guerre commerciale -, qu'internes - l'enracinement populiste ou les problèmes de dettes souveraines. Les réponses que nous apporterons à ces enjeux détermineront la vie de nos concitoyens européens pour les décennies à venir. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous laisser détourner de notre action par le seul Brexit. D'ailleurs, les responsables européens ont déjà indiqué, lors du Conseil européen des 22 et 23 mars, qu'il appartient aux dirigeants britanniques et à eux seuls de déterminer ce qu'ils souhaitent exactement. C'est une bonne chose, car nous ne saurions, nous « continentaux », être tenus responsables d'une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l'UE sans accord. La stratégie électoraliste de Boris Johnson visant à reporter sur nos épaules la responsabilité d'un no deal ne doit pas être tolérée.
Je joindrai la parole aux actes, et axerai le reste de mon intervention sur un sujet autre que le Brexit. Alors que les manifestations dénonçant l'inaction climatique se multiplient, que la jeunesse place cet enjeu au premier rang de ses préoccupations, nous nous devons d'apporter des réponses concrètes et efficaces pour lutter contre le changement climatique. Comment dès lors comprendre l'obstination des autorités de l'Union à poursuivre les démarches en vue de la ratification du Mercosur ? Cet accord commercial paraît en effet incompatible avec les exigences environnementales auxquelles nous devons souscrire. En outre, ce traité contribuera aussi à la dégradation de l'état sanitaire des biens consommés en Europe, tout en créant une concurrence déloyale pour nos agriculteurs.
Je tiens donc à saluer le refus du président de la République de ratifier ce traité, en l'état actuel des choses, à cause du non-respect manifeste par M. Jaïr Bolsonaro des engagements environnementaux du Brésil. En effet, si jusqu'à maintenant le projet de traité était présenté par les négociateurs européens comme une opportunité pour « arrimer » le Brésil à l'Accord de Paris, force est de constater qu'il n'en a rien été pour l'instant. Si le Président français est pour le moment le seul dirigeant européen à tenir cette ligne, le Conseil européen de la semaine prochaine ne saurait faire l'impasse sur ce sujet. Nous comptons sur votre écoute, madame la ministre, pour relayer nos préoccupations, et vous pourrez compter sur notre vigilance à ce sujet.
M. André Gattolin. - Pour une fois, les enjeux du débat sont très clairs. On peut certes railler, comme notre rapporteur général, la sempiternelle réunion de la dernière chance, malgré tout quelques sujets stratégiques se dégagent. Le cadre financier pluriannuel 2021-2027, tout d'abord : espérons que les 27 États membres dépasseront les logiques comptables et se montreront aussi unis qu'ils l'ont été jusqu'à présent dans les négociations sur le Brexit. Le cadre stratégique, ensuite. À cet égard, la procédure est originale car le Conseil européen n'a pas de compétence législative mais la démarche s'inscrit dans le prolongement des élections européennes et de la constitution de la nouvelle Commission. Des négociations sont en cours entre les formations majoritaires au Parlement européen pour fixer les grandes lignes qui orienteront le travail de la Commission. Le troisième sujet est le Brexit. Chacun se demande ce qu'il adviendra le 31 octobre. Trois scénarios sont envisageables : une sortie sans accord, une sortie négociée ou bien un report ; dans ce cas, la ministre nous a expliqué que, pour la France, un report n'était envisageable que si un accord préalable était signé.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Il faut une justification politique forte.
M. André Gattolin. - Or on a le sentiment qu'aucune décision définitive ne sortira du Conseil européen. Le 17 octobre au matin, la question du Brexit sera discutée à 27, puis le reste de la journée, ainsi que celle du 18 octobre, seront consacrés à l'examen des autres questions plus générales. Il est clair que Boris Johnson a fait du samedi 19 octobre une date clef dans sa bataille puisqu'il a convoqué le Parlement britannique à cette date. Celui-ci a voté une loi obligeant le gouvernement à demander un report si aucun accord n'est trouvé. L'idée de Boris Johnson est de revenir sur ce texte en demandant la permission de réaliser un no deal. Les députés travaillistes qui ne sont pas très favorables à l'Europe pourraient se joindre aux députés nord-irlandais et à la majorité conservatrice pour le soutenir. Une bataille rangée s'annonce ; il n'est pas certain que Boris Johnson obtienne une majorité mais on constate que l'opinion est lasse et en vient à souhaiter une issue, quelle qu'elle soit. Le gouvernement britannique a publié un document pour montrer qu'il était prêt en cas de no deal. Pour simplifier, il baissera fortement les droits de douane et espère répondre ainsi les problèmes des entreprises. Même s'il ne nous appartient pas de juger l'état de préparation britannique, on a toutefois l'impression qu'outre-Manche, rien n'a été préparé. Il suffit de voir la fébrilité sur le marché des changes et l'évolution du cours de la livre, à la suite de la divulgation du contenu d'une conversation entre Boris Johnson et Madame Merkel, pour s'en convaincre. Comme si les milieux économiques et financiers n'avaient pas anticipé l'hypothèse d'une sortie sans accord. Denis MacShane, ancien ministre des affaires européennes de Tony Blair, fait le parallèle avec l'Angleterre de juin 1940 qui était restée persuadée, jusqu'à l'arrivée des panzers à Dunkerque et les premiers bombardements en juillet sur Coventry et Londres, que la guerre concernait le continent et non l'Angleterre. De même, on a l'impression aujourd'hui que les Anglais sont désormais pressés de trouver une issue politique pour en finir, quitte à accepter un no deal, mais que la question économique n'est pas envisagée, au-delà de la question du filet de sécurité (« backstop »). Quel est votre sentiment concernant l'état de préparation de l'économie britannique ? Va-t-on vers une catastrophe ? Ne risque-t-on pas d'être accusés d'avoir abandonné ce pays, en dépit de son irresponsabilité ?
M. André Reichardt. - Le prochain Conseil européen sera particulièrement important. Au travers des discussions sur le cadre financier pluriannuel et sur l'agenda stratégique, c'est la trajectoire de l'Union européenne pour les années à venir que les chefs d'État et de gouvernement devront préciser. Le Brexit, dont les rebondissements ont porté ces dernières semaines la démocratie britannique à son point d'ébullition, devrait une nouvelle fois perturber l'ordre du jour. Face à un interlocuteur qui menace désormais l'Europe de dumping, et dont on a du mal à savoir s'il souhaite véritablement un accord ou s'il cherche davantage à s'adresser à son opinion publique, les 27 devront conserver l'unité qu'ils ont jusqu'ici su afficher. Ils ne devront pas reculer, malgré le blame game auxquels ne manqueront pas de se livrer Boris Johnson et les eurosceptiques de tous bords en cas de rejet de la tortueuse proposition faite récemment par Londres. Si cette issue négative devait se confirmer, pour peu que Boris Johnson renonce à provoquer un nouveau scandale constitutionnel en s'affranchissant de la loi anti-no deal, le scénario d'un nouveau report du Brexit, assorti d'élections générales anticipées, prendrait sans doute le pas sur celui d'une sortie sans accord qui n'est, au fond, souhaitée par personne. Madame la ministre, vous nous avez dit que la position de la France était de rechercher un accord et que vous étiez d'accord avec un nouveau report à condition qu'il soit assorti d'une « justification politique ». Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par cette expression ?
L'agenda stratégique adopté au mois de juin par le Conseil européen constitue un réel motif de satisfaction et de nombreux thèmes répondent aux attentes exprimées lors des dernières élections européennes. Je pense notamment à l'accent mis sur l'indispensable protection des citoyens et du territoire européen face aux menaces sécuritaires et à la pression migratoire, à la mise en place, enfin, d'une politique industrielle robuste, d'une politique commerciale plus protectrice et plus offensive, et d'une Europe mieux-disante sur le plan social. Je pense enfin aux réponses fortes que l'UE se doit d'apporter aux enjeux de la révolution numérique et du changement climatique. Mais après avoir énoncé ces grands principes, il convient désormais de les traduire en programmes d'actions concrets. Mme Ursula von der Leyen a commencé à le faire le 16 juillet avec sa présentation des orientations politiques de la future Commission.
J'en viens à la politique en matière d'asile et de migrations. Au-delà de la polémique excessive suscitée par l'intitulé du portefeuille confié à M. Margaritis Schinas consacré à « la protection du mode de vie européen », de nombreuses incertitudes demeurent sur ce dossier fondamental. La présidente de la Commission s'est engagée à relancer des négociations sur le règlement Dublin pour « adopter une nouvelle approche pour la répartition de la charge migratoire » et « trouver de nouvelles formes de solidarité entre États membres ». Faut-il voir dans cette affirmation le maintien de la proposition de la Commission visant à institutionnaliser un mécanisme de répartition obligatoire des migrants en cas de crise ? ou faut-il, au contraire, la considérer comme une ouverture en direction des pays du groupe de Visegrad qui préfèrent une forme de solidarité alternative, c'est-à-dire une solidarité matérielle et financière accrue à la place d'une obligation de relocalisation des migrants ? En tout cas, menacer ces pays d'une exclusion de l'espace Schengen, s'il ne changent pas de position, comme le fait désormais régulièrement le président de la République, semble vain et représente une bien mauvaise manière de parvenir à un consensus sur cette question épineuse. Pourriez-vous nous donner davantage de précisions sur le mécanisme annoncé en septembre à La Valette par la France, l'Allemagne, l'Italie et Malte, pour répartir entre les États volontaires, les demandeurs d'asile secourus en Méditerranée ? J'observe aussi que Mme Ursula von der Leyen n'a pas fait mention, dans ses orientations politiques, de plateformes régionales de débarquement ni de centres contrôlés. Où en est-on à ce sujet ?
Alors que la pression migratoire s'intensifie à nouveau sur les îles grecques et que M. Erdogan menace l'Europe de submersion migratoire si son pays n'obtient pas davantage de subsides, nous ne pouvons que soutenir la Commission dans son souhait d'atteindre en 2024, plutôt qu'en 2027, l'objectif des 10 000 garde-frontières permanents. Nous devons en effet intensifier encore nos efforts communs pour mieux contrôler nos frontières extérieures et organiser une politique de retour plus efficace.
Concernant enfin le cadre financier pluriannuel, le Conseil européen devrait se pencher sur une première proposition de compromis chiffré avec l'espoir de parvenir à un accord d'ici à la fin de l'année. Cette échéance vous paraît-elle réaliste ? L'adoption tardive du précédent CFP avait provoqué des retards dans la mise en oeuvre des programmes.
Qu'en est-il du plafond ? La Commission propose de le fixer à 1,1 % du RNB. Le Parlement européen souhaiterait le porter à 1,3 % tandis que plusieurs contributeurs nets veulent le limiter à 1 %. Ce chiffre symbolise le degré d'ambition des États membres pour l'Europe. Il permettra également de mesurer la capacité de l'Union à faire face aux conséquences du Brexit, et à financer les investissements d'avenir et les nouvelles priorités politiques - notamment le nouveau fonds en faveur d'une transition écologique annoncé par Mme von der Leyen. Un accord sur le montant global du CFP est-il envisageable la semaine prochaine ?
M. Simon Sutour. - Lors du prochain Conseil européen, nous devrions connaître la composition définitive de la Commission. Je fais partie de ceux qui regrettent qu'elle ne soit pas présidée par le président du parti majoritaire au Parlement européen, en application du système du Spitzenkandidat, plus démocratique. Résultat, Mme von der Leyen a été élue avec une majorité de neuf voix seulement. Je n'épiloguerai pas non plus sur le chemin de croix de la candidate française, Mme Goulard : même si elle se voit finalement désignée, sa crédibilité sera entamée, et son portefeuille sans doute restreint.
Une absence d'accord sur le Brexit aura des conséquences graves pour le Royaume-Uni, bien sûr, mais aussi pour les pays de l'Union européenne, et tout particulièrement pour la France, pays frontalier du Royaume-Uni, avec qui nous réalisons un excédent commercial de douze milliards d'euros - on l'oublie souvent. Il ne suffit donc pas d'affirmer péremptoirement que nous sommes prêts, de se féliciter que l'Union européenne soit restée unie. Nous devons faire preuve d'un peu plus de pragmatisme, mais il me semble percevoir dans vos propos, madame la ministre, une très légère évolution en la matière.
En ce qui concerne les relations entre l'Union européenne et la Russie, nous soutenons la position plus pragmatique du président de la République. Le Sénat avait voté, à une écrasante majorité, une résolution, dont j'étais rapporteur avec mon ancien collègue M. Pozzo di Borgo, en faveur de la levée des sanctions à mesure que les accords de Minsk étaient mis en oeuvre. Le processus reprend et nous ne pouvons que nous en féliciter.
Le Conseil européen devrait aussi reprendre les négociations sur le budget de l'Union européenne pour la période 2021-2027, vraisemblablement sur la base du projet présenté par la Commission Juncker, avec une forte diminution du budget européen, à cause de l'absence de volonté des États membres d'augmenter leur contribution, et in fine une forte baisse des crédits alloués à la politique de cohésion et à la PAC. La Commission avait déjà proposé début mai de réduire d'environ 7 % le budget global de la politique de cohésion pour tenir compte de la perte de la contribution britannique à partir de 2021. Cependant il est un peu facile d'attribuer la responsabilité des coupes budgétaires au Brexit, et de présenter les chiffres globalement. J'ai l'impression que l'on veut nous mascarer comme on dit en occitan. Les chiffres restent les chiffres. Le budget de la politique de cohésion, qui s'élève aujourd'hui à 352 milliards d'euros, devrait baisser de 50 milliards d'euros, mais seuls 11 milliards sont effectivement liés à la disparition de la contribution britannique. C'est inacceptable. D'où mon cri d'alarme. Cette politique est majeure pour notre pays et nous ne pouvons pas nous résigner, avec un silence complice, à sa diminution, car ce sont nos territoires qui en pâtiront.
Concernant les modalités d'attribution et de gestion des fonds européens par notre pays, pourquoi le Gouvernement ne s'inspire-t-il pas des conclusions de l'excellent rapport de notre mission d'information présidée par Laurence Harribey et dont la rapporteure était Colette Mélot ? Nous devons défendre le budget de la politique de cohésion, essentiel pour le développement des territoires les plus fragiles. Nous ne sommes pas isolés car de nombreux pays européens s'opposent à ces coupes qui visent aussi la politique agricole commune (PAC). La présidence finlandaise veut s'emparer de ce sujet. Nous soutenons l'action de M. Didier Guillaume pour faire en sorte que notre pays continue de bénéficier d'une enveloppe inchangée au titre de la PAC. La France n'est pas isolée : la question de la transition de l'agriculture vers un modèle vers un modèle plus qualitatif, plus durable, respectueux de l'environnement reçoit partout des échos favorables.
J'espère que le Conseil européen donnera son accord à l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Macédoine du Nord. Il s'agit de tenir l'engagement pris auprès des pays de l'ex-Yougoslavie et de garantir la paix au coeur de l'Europe. La Macédoine du Nord a fait les efforts nécessaires, en faisant notamment des concessions sur son nom pour trouver un accord avec la Grèce.
Un mot enfin sur l'offensive de la Turquie en Syrie. On accepte de ce pays ce que l'on n'accepterait de nul autre. Malheureusement, la raison du plus fort semble l'emporter. Les réponses de M. Lemoyne à nos questions étaient convenues. S'agissant des Kurdes et de la Syrie, nous souhaitons désormais des actes et non plus des larmes de crocodile.
Mme Colette Mélot. - Ce Conseil européen sera symbolique, puisqu'il aura lieu à quelques jours de la sortie présumée du Royaume-Uni de l'Union européenne. La perspective d'un Brexit sans accord n'a jamais été aussi forte et la tension est palpable, comme l'illustrent les récents tweets sur le sujet de Donald Tusk. Beaucoup partagent ses interrogations sur l'avenir de la relation entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, et sur l'objectif véritable du gouvernement britannique, dont les dernières propositions, notamment concernant la frontière irlandaise, ne sont pas satisfaisantes. La probabilité d'un échec lors du prochain Conseil européen est grande. Il faut, toutefois, saluer l'immense travail fourni par les équipes de Michel Barnier, depuis de longs mois.
Mais, c'est un fait, apparemment inéluctable, nous nous dirigeons vers une sortie sans accord. Un Brexit dur serait pourtant dévastateur, tant pour le peuple britannique que pour les peuples européens dans leur ensemble, avec des conséquences considérables sur les plans économique, industriel, politique mais aussi humain. Les pays européens s'y préparent depuis des mois, la France en particulier. Mais l'issue reste, quoi qu'il arrive, incertaine.
Cette situation n'a, malheureusement, que trop duré. Il est temps que l'Union se concentre sur son avenir et fixe ses priorités pour les cinq années qui viennent. Tel sera l'objet de ce Conseil européen. Nous espérons que les échanges sur le cadre financier seront constructifs, avec des éléments détaillés et chiffrés. Cela donnera le ton de l'issue des négociations, lancées déjà depuis plus d'une année et demie, et de l'accord à prévoir.
L'Europe doit se donner les moyens de ses ambitions avec cohérence, mais, dans un contexte de Brexit probable, elle doit également préserver ses politiques historiques en consacrant les moyens nécessaires à leur action et en les organisant de manière à gagner en efficience. Sur ce point, je voudrais attirer votre attention sur les fonds structurels européens qui représenteront un tiers du cadre financier pluriannuel pour la période 2021-2027. La mission d'information, dont j'étais rapporteure, vient de publier son rapport qui plaide pour une mobilisation plus ambitieuse des fonds européens au service des territoires. Ce rapport alerte sur la situation actuelle et fait plusieurs recommandations et propositions. Il constate qu'il n'y a pas eu de sous-exécution mais plutôt des difficultés d'ingénierie dans le montage des dossiers. Nous plaidons pour une simplification des procédures. Une clarification est aussi nécessaire pour parvenir à une répartition des compétences efficace entre l'État et les régions, et pour associer davantage les autres collectivités afin de répondre aux spécificités de nos territoires.
Madame la ministre, pouvez-vous nous assurer que lors des échanges de vues du Conseil européen des prochains jours, les États membres garderont comme objectifs un cadre financier pluriannuel équilibré et réorganisé de manière à gagner en efficience et à répondre aux objectifs cruciaux des prochaines années ?
La future Commission européenne présentera les priorités de la nouvelle mandature. Déjà les grandes lignes ont été esquissées avec deux axes dominants : le changement climatique et le numérique. Les deux commissaires en charge de ces sujets nous ont rassurés, lors de leur audition, quant à leurs visions et leur calendrier. Les priorités de la prochaine Commission sont claires et je les partage : la protection des citoyens européens et de leurs libertés ; la promotion de l'Europe et de son modèle au niveau international ; le maintien d'une Europe économiquement solide et dynamique ; et, enfin l'émergence d'une Europe plus verte, respectueuse de l'environnement, juste et sociale.
Les institutions européennes dans leur ensemble doivent se mettre en ordre de marche avec comme chef d'orchestre la Commission européenne épaulée par le Parlement. Les États membres également, de concert avec leurs territoires, seront mis à contribution. Chacun devra s'adapter et jouer son propre rôle de manière efficace. Les principes de subsidiarité et de proportionnalité en seront le moteur.
L'Europe est en proie à des déséquilibres à la fois internes, qu'elle doit vite résoudre, et externes. Son rôle dans le monde doit se concrétiser. L'Europe est chef de file sur nombre de sujets primordiaux à l'international et doit faire entendre sa voix pour un monde plus apaisé. Le changement climatique représente un exemple du rôle d'impulsion concret que l'Europe accepte progressivement de jouer. Le président du Conseil européen l'a rappelé à la fin du mois de septembre à New York, lors du sommet Action Climat de l'Organisation des Nations unies (ONU) : l'Union européenne doit s'affirmer comme leader et comme exemple sur cette problématique.
Enfin, les citoyens méritent que les défis auxquels l'Europe fait face soient relevés ; ils méritent une Europe en accord avec elle- même, active, équitable et proche de ses peuples. Construisons l'avenir de notre jeunesse en bâtissant son rêve d'Europe réelle pour les cinq ans à venir ! Il faut rapprocher l'Europe des citoyens, car nous ne pourrons réussir sans elle. Quelles initiatives concrètes la France compte-t-elle prendre lors du prochain Conseil européen pour contribuer à la refondation de l'Europe, qui doit assurer une protection dans un monde de plus en plus instable ?
M. Pierre Laurent. - Je souhaite évoquer, s'agissant du Brexit, les incertitudes pesant sur le secteur de la pêche, lequel, en cas de no deal, serait touché durement alors qu'il se trouve déjà dans la tourmente. Le 1er novembre, son inquiétude pourrait se transformer en colère... Sommes-nous prêts à mettre en place un dispositif de soutien concret pendant la période nécessaire à la négociation d'un nouvel accord sur la pêche ?
Concernant le cadre financier pluriannuel, vous avez souhaité que le débat ne se limite pas aux chiffres. Pourtant, le sujet du développement social me semble absent du projet budgétaire européen dont l'inflexion consiste à réduire les fonds de cohésion et, peut-être, la PAC, au profit de la politique de défense et de la sécurité aux frontières. Nous nous éloignons de l'exigence d'égalité que devrait porter l'Europe, alors que le décrochage social des populations se trouve au coeur de la crise de confiance envers l'Union européenne qu'illustrent le succès de l'extrême droite dans les Länder de l'Est de l'Allemagne, la crise politique en Italie et le Brexit. Nous ne tenons nullement compte des alertes qui se multiplient depuis plusieurs années ! Je ne constate pas de volonté de réorientation sociale sérieuse du projet européen. Quand allons-nous prendre la mesure de la question sociale en Europe ?
J'évoquerai également la Macédoine du Nord, dont vous avez confirmé le caractère lointain de l'adhésion à l'Union européenne. Nous nous prononcerons prochainement sur son entrée dans l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) ; le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) s'y opposera. Pourquoi intégrer les pays des Balkans à l'OTAN, satisfaisant ainsi aux exigences anciennes des États-Unis d'extension de la ligne de front, avec la Russie alors qu'avec la Turquie ils s'opposent à l'Europe sur le Moyen-Orient, sans leur proposer d'adhérer à l'espace politique européen ?
Enfin, l'annonce, par Ursula von der Leyen, de la création d'un commissaire au mode de vie européen a suscité des réactions indignées. Cette formulation sera-t-elle in fine retenue ? Quelle est, à cet égard, la position de la France ? Si une telle dénomination venait à être maintenue, elle constituerait une honte pour l'Europe.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - La France condamne fermement l'offensive turque au Nord de la Syrie et l'Union européenne a appelé à un cessez-le-feu immédiat. Des civils se trouvent en péril et le processus politique interne syrien risque d'être fragilisé. La résolution 2254 du conseil de sécurité de l'ONU, comme la réflexion initiée en 2012 à Genève, indiquent que seul le cadre multilatéral peut efficacement assurer la sécurité de la Turquie et la stabilité de la Syrie. Jean-Claude Juncker a été très ferme : les Européens ne contribueront pas au retour de réfugiés dans une zone instable. L'offensive turque fait actuellement l'objet de discussions à l'ONU ; elle sera également abordée lors du prochain Conseil européen. Nous devons nous montrer clairs quant à notre soutien à ceux qui ont combattu pour nous et qui contribuent à assurer la sécurité dans une zone encore fragile.
M. Jean Bizet, président. - Chacun appréciera votre déclaration. Il semble inadmissible d'envisager l'intégration de la Turquie, alors qu'elle occupe en partie, à Chypre, le territoire d'un État membre. L'Europe ne peut plus poursuivre dans cette voie !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Soyons clairs : les négociations en vue d'une éventuelle adhésion de la Turquie n'ont pas lieu et aucune perspective ouverte n'existe.
Vous m'avez interrogée, monsieur le rapporteur général, sur le kérosène. Nous avons un débat sur la stratégie de mise en oeuvre du plan de lutte contre le changement climatique. En investissant notamment dans des infrastructures plus modernes, en particulier de mobilité dite non carbonée, nous contribuons à la transition écologique. Au niveau européen, le débat est également nourri entre les ministres des transports concernant le secteur aérien et sa contribution à la lutte contre le changement climatique, avec notamment une réflexion sur l'investissement à consentir pour renouveler les flottes qui survolent l'espace aérien européen, sur les alternatives aux carburants fossiles et sur des appareils sans émission de biogaz et à l'hydrogène. Nous devons accélérer la recherche et renforcer le système d'échange de quotas d'émission de dioxyde de carbone, ou Emission Trading Scheme (ETS), pour le rendre plus opérationnel. Il s'agit de disposer d'un système de taxation qui réduise les émissions au niveau européen, y compris dans le secteur du transport aérien, sans exclure d'autres approches, comme la fiscalité, à condition qu'elles soient concertées entre les États membres. Le Danemark et les Pays-Bas défendent un principe de pollueur payeur, qui pourrait converger avec l'approche partagée par la France, l'Allemagne, la Suède et le Luxembourg. Par ailleurs, je vous confirme qu'une la ligne budgétaire indépendante relative à la zone euro sera négociée parallèlement au cadre financier pluriannuel.
Vous avez évoqué, monsieur Kern, les perspectives climatiques. Budgétairement, l'Europe dispose d'un double levier pour mettre en oeuvre une politique environnementale : des dépenses destinées à la lutte contre le réchauffement climatique, via le verdissement, et des ressources poursuivant le même objectif - taxe sur le plastique non recyclé, mécanisme d'inclusion carbone correspondant à une taxe carbone aux frontières sur des produits comme l'aluminium, l'acier ou le ciment. La France et l'Allemagne travaillent activement à la création d'un tel dispositif, afin d'introduire le carbone dans les tarifs douaniers. Le système ETS pourrait également générer des ressources.
Je ne connais pas tout, monsieur Gattolin, des intentions britanniques dans le cadre du Brexit. La France a mis en place des dispositifs pour la gestion des ports et des flux, mais il n'est pas certain qu'ils existent de l'autre côté de la Manche. Malgré les déclarations antérieures de Theresa May pour la période allant jusqu'à la fin de l'année 2020, le flou demeure quant au régime de circulation des personnes. Le ministre de l'intérieur britannique a récemment fait état de procédures différenciées pour les Européens vivant au Royaume-Uni. Nous avons, pour notre part, travaillé à un système simple pour que les Britanniques demeurant en France puissent poursuivre leur activité, y compris comme fonctionnaires, notamment professeurs.
Monsieur Reichardt, l'extension du délai de mise en oeuvre effective du Brexit n'a aucun caractère automatique. Si le Royaume-Uni venait à le demander, les chefs d'État européens en discuteront. L'extension peut être justifiée lorsqu'un accord politique nécessite une ratification, en cas d'élection ou de nouveau référendum. Les positions divergent hélas entre l'opinion britannique, le Parlement et le Gouvernement.
S'agissant de la politique d'asile et d'immigration, que vous avez également abordée, j'ai détaillé nos perspectives de travail lors du débat en séance publique. Nous poursuivons d'abord un objectif humanitaire et sanitaire en application de l'accord de La Valette. Au côté de l'Italie, de l'Allemagne, de la France et de Malte, une dizaine de pays européens est prête à accueillir des réfugiés. Depuis le mois de juin 2018, la France a recueilli 600 personnes et l'Allemagne 300, tandis que plus de 2 000 migrants ont péri en mer. Nous sommes loin d'une filière d'immigration comme d'aucuns le dénoncent ! Nous travaillons également en amont dans les hotspots, avec le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) et l'Office international des migrations. La France s'est engagée à accueillir 10 000 personnes en demande de protection, en lien avec le HCR qui gère les camps de réfugiés et les identifie comme tels. Elles arrivent en avion, ce qui facilite leur accueil. L'engagement français a déjà été rempli pour 8 000 réfugiés. L'immigration ne pose un problème que lorsque nous sommes en incapacité de nous organiser. La France porte, au niveau européen, la question humanitaire du plein respect du droit d'asile qui fait honneur à la Constitution.
Le respect des accords de Schengen et le contrôle de nos frontières extérieures constituent un autre sujet. L'Europe a renforcé la liberté de circulation du sein de l'espace Schengen, sans améliorer les contrôles à l'entrée. Nous devons nous montrer plus clairs vis-à-vis des passeurs et des trafiquants. Ursula von der Leyen propose, à cet effet, un pacte asile et immigration. La législation européenne, avec sept textes différents, peut sembler complexe et incohérente et susciter une défiance réciproque entre États membres. La présidente de la Commission européenne souhaite établir un accord politique sur ces sujets, préalablement à sa traduction législative : les textes européens n'entreront en vigueur que lorsqu'ils seront votés par tous les États membres.
Madame Mélot, les fonds européens représentent, pour la France, un sujet majeur. S'agissant des fonds de cohésion, nous soutenons le maintien de la catégorie des régions de transition. À cette condition, les fonds étant stabilisés en valeur, les régions françaises demeureront dans une situation favorable. Le travail du Sénat sur la sous-utilisation des fonds européens est important car, si les élus locaux n'arrivent pas à dépenser les sommes dédiées, la crédibilité de la France dans la négociation du budget de la politique européenne de cohésion en pâtit. J'ai observé, lors de mes déplacements, de grandes disparités dans la consommation des fonds européens selon les territoires. Les procédures administratives permettant le versement des fonds apparaissent, en France, fort compliquées et le régime de gestion et de contrôle particulièrement lourd, par rapport aux autres États membres. Il convient donc de simplifier nos dispositifs, notamment lorsque le projet est considéré comme d'intérêt général. À titre d'illustration, les missions locales peuvent bénéficier du Fonds social européen (FSE), mais la complexité des procédures rend les versements moins systématiques en France qu'en Belgique. Il ne faut pas décourager les acteurs. Pour ma part, je ne peux négocier à Bruxelles un budget ambitieux pour la France si les enveloppes de certains programmes ne sont pas dépensées. Aidez-nous à identifier dans les territoires les démarches aberrantes pour améliorer le fonctionnement des procédures dans la perspective du budget 2021-2027. Il en va de l'efficacité du budget européen et de la crédibilité de l'Europe auprès de nos concitoyens.
Monsieur Sutour, la France ne soutient le système des Spitzenkandidaten qu'à la condition que les listes électorales soient élaborées, partiellement au moins, à l'échelle européenne. S'agissant du Brexit, je rappelle que je défends depuis six mois, un accord et je garde espoir...
Présidence de M. Simon Sutour, vice-président
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Didier Guillaume travaille activement à la réforme de la PAC dans le cadre du cadre financier pluriannuel. L'Europe doit investir et accompagner l'agriculture. La PAC représente 0,3 % du produit intérieur brut (PIB) européen, mais concerne 80 % du territoire : elle n'apparaît pas si coûteuse au regard des enjeux de souveraineté alimentaire et de qualité de l'alimentation en Europe. Lorsque j'ai évoqué ces chiffres au Bundestag, mes interlocuteurs ont été surpris...
Monsieur Laurent, nous avons réfléchi à un dispositif de soutien des acteurs économiques les plus fragilisés en cas de no deal, dont les pêcheurs. Les Britanniques, toutefois, n'ont nullement indiqué qu'ils interdiraient la pêche dans leurs eaux. Ils s'inquiètent, en revanche, de possibles tensions avec les pêcheurs britanniques qui ne tolèreraient pas le maintien de l'autorisation. L'accès réciproque aux eaux territoriales représente un sujet majeur du Brexit. Nous devons y travailler à vingt-sept et nous échangeons, avec mes homologues, pour transmettre un message commun. L'objectif ne consiste pas à laisser nos pêcheurs à quai avec une compensation financière, mais à leur permettre de continuer à travailler. Considérant que 60 % de leur production halieutique est transformée à Boulogne-sur-Mer, les Britanniques ont également intérêt à un tel accord.
Je m'étonne de vos propos sur la question sociale, car Ursula von der Leyen a repris, dans son programme, nombre de priorités françaises : l'instauration d'un salaire minimum dans chaque État membre garantissant à tout travailleur à temps plein de vivre au-dessus du seuil de pauvreté, la coordination des régimes de protection sociale et d'assurance chômage, le renforcement des programmes de mobilité et de formation comme Erasmus Pro pour les personnes les plus éloignées de l'emploi, notamment. Le bouclier social a été intégré, comme nous le souhaitions, au semestre européen. Nous devons, cependant, convaincre les pays du Nord de l'Europe qu'il s'agit d'objectifs, non d'une obligation de moyens.
Je partage, en revanche, votre analyse sur la Macédoine du Nord. Nous ne pouvons laisser les pays des Balkans dépendre de l'OTAN sans leur offrir de perspectives politiques au sein de l'Union européenne. Le Président Emmanuel Macron a ainsi indiqué qu'il convenait de développer la défense européenne pour pourvoir à la défense du continent, y compris au-delà des frontières de l'Union européenne.
Quant à vos critiques relatives à la dénomination du commissariat chargé de la protection de notre mode de vie européen, je vous invite à écouter l'audition de M. Schinas qui la lie à l'article 2 du Traité portant sur la capacité de l'Union européenne à faire respecter ses valeurs. Il ne s'agit donc nullement d'une position défensive ou d'exclusion. En matière sociale, culturelle, économique et sociétale, l'Europe possède des valeurs qu'elle souhaite préserver ; M. Schinas l'explique parfaitement.
M. Simon Sutour, président. - Nous vous remercions pour la clarté et l'exhaustivité de vos réponses, notamment s'agissant de la position du Gouvernement sur l'attaque turque en Syrie.
M. Olivier Cadic. - Au mois d'août dernier, Emmanuel Macron demandait aux ambassadeurs de réinvestir géographiquement les Balkans occidentaux pour ne pas laisser des puissances non européennes y faire le jeu à notre place. À défaut, ils seront déchirés entre les États-Unis, la Russie et la Turquie. L'Allemagne, sur ce dossier, a développé une stratégie plus efficace... J'entends vos propos sur l'élargissement qui renvoient à un avenir lointain l'adhésion de la Serbie, du Monténégro, de la Macédoine du Nord et de l'Albanie. La position française y est mal vécue, d'autant que les pays d'Europe de l'Ouest apparaissent en grande partie responsables du brain drain. Ainsi, l'Allemagne propose des cours d'allemand aux médecins en Albanie, avant de leur offrir un poste. Si l'Union européenne tient la ligne que vous présentez, elle commettra une erreur historique. Qu'allez- vous proposer aux candidats à l'adhésion pour éviter qu'ils ne se tournent vers la Russie, la Chine ou la Turquie ?
Je vis au Royaume-Uni depuis vingt-deux ans et je puis vous assurer qu'un no deal correspondrait à un multi deal et, partant, au chaos. L'Union européenne avait trouvé un accord avec Theresa May, hélas rejeté par le Parlement britannique. En cas de nouveau rejet, il faudra organiser des élections générales. Dans ce contexte, un délai de trois mois vous semble-t-il réaliste, alors que nous leur avions accordé six mois la fois précédente ?
Je souhaite enfin rendre hommage à ceux qui, au Royaume-Uni, défendent les droits des Européens, quand les discours anti-européens font rage. Je suis, pour ma part, préoccupé par la sécurité des citoyens européens, stigmatisés par les Brexiteurs. Avez-vous prévu d'exprimer officiellement, pendant le Conseil européen, que le gouvernement britannique porte une responsabilité pour garantir leur sécurité ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Le président de la République a fait part de sa volonté de réinvestir économiquement, culturellement et politiquement la région des Balkans. Il est allé en Serbie ; je me rendrai prochainement en Croatie et ma collègue Geneviève Darrieussecq au Monténégro. L'objectif n'est pas seulement d'établir des partenariats, mais de s'y investir pleinement, en développant notamment des infrastructures et des marchés de capitaux. Ce processus, politique et économique, diffère des négociations d'adhésion à l'Union européenne qui ressortent davantage d'un cadre juridique. La position de l'Europe mérite certes d'être clarifiée pour plus de cohérence - le président de la République en est convaincu - mais le développement économique, culturel et social des Balkans ne sera pas accéléré par l'envoi d'un questionnaire d'adhésion. Ne soyons pas hypocrites ! Les représentants de ces pays en sont conscients : le développement économique constitue un prérequis essentiel à des réformes sur l'état de droit, car la population doit y voir un bénéfice tangible.
S'agissant de la sécurité des citoyens européens au Royaume-Uni, les Britanniques me semblent parfaitement clairs. J'encourage, pour ma part, les Européens à réaliser les démarches de régularisation de leur statut migratoire, afin d'éviter toute incertitude. J'ai fait récemment part à l'ambassadeur britannique des difficultés rencontrées par certains. À mon sens, le bien-être des citoyens européens ne doit pas être mêlé à une question politique et diplomatique.
Je ne vais pas commenter le fait que le Parlement britannique n'ait pas ratifié l'accord trouvé avec Theresa May. La vie politique britannique peut encore nous réserver des surprises, mais si un délai d'extension apparaissait à nouveau nécessaire, le Royaume-Uni devrait en faire la demande. L'acceptation n'en sera pas automatique, compte tenu des conséquences pratiques d'un report sur le fonctionnement de l'Union européenne.
M. Ronan Le Gleut. - Après l'action préparatoire et le Programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (Pedid), devrait être créé un fonds européen de défense administré par la nouvelle direction générale Défense et espace - dont la création constituait l'une des douze propositions d'un rapport du Sénat - et doté, a priori, de 13 milliards d'euros pour une période sept ans. Cette dotation sera-t-elle effective ?
Par ailleurs, s'agissant des accords sur les exportations d'armement avec les Allemands, le conseil franco-allemand du 16 octobre devrait annoncer que, sous certaines conditions de seuil, les équipements conjoints seraient librement exportables. Cette décision paraît essentielle pour un grand nombre de programmes industriels franco-allemands de défense. Or, les négociations entre le gouvernement allemand et le Bundestag sont particulièrement difficiles. En outre, la coalition au pouvoir en Allemagne pourrait ne pas tenir jusqu'à la fin de son mandat, ce qui compliquerait encore les négociations. Que fait la France pour faire avancer ce dossier ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État. - Les 13 milliards d'euros que vous évoquez ressortent d'une proposition de la Commission européenne que nous soutenons, afin de disposer des moyens d'assurer la souveraineté européenne en matière de défense. La négociation budgétaire se poursuit : nous souhaitons un budget le plus cohérent possible avec l'ambition qui est la nôtre. La nouvelle Agence de l'innovation de défense (AID) montre, dans le cadre des premiers appels à projets, que la politique de défense européenne a un véritable sens.
La question des exportations d'armement sera au coeur des discussions du prochain conseil des ministres franco-allemand. J'ai la certitude de la nécessité d'un accord, mais il dépend, pour partie, d'une décision souveraine de l'Allemagne. Des accords existent s'agissant de projets en cours, mais les règles d'exportation méritent d'être revues pour l'avenir, notamment pour que l'avion du futur puisse être lancé. Pour autant, j'estime compliqué d'avoir des débats picrocholins sur des avions et des chars qui n'existent pas et qui n'auront à être exportés que dans vingt-cinq ou trente ans. Quoi qu'il en soit, l'accord que nous pourrions conclure serait bien évidemment conforme au droit européen. Je dis souvent aux pacifistes qui s'inquiètent d'une vision militarisée de la société, que ce type d'accord constitue la meilleure garantie pour la paix en Europe. Il devient difficile de déclarer la guerre à un pays avec lequel nous avons échangé des informations secrets-défense !
M. Simon Sutour, président. - Nous vous remercions.
La réunion est close à 11 h 15.