- Mardi 16 juillet 2019
- Audition de MM. Etienne Desplanques, sous-directeur des politiques publiques à la direction générale des outre-mer, Arnaud Martrenchar, adjoint au sous-directeur, et Oudi Serva, adjoint au chef du bureau des politiques européennes, de l'insertion régionale et de la valorisation des outre-mer
- Audition de Mme Véronique Gallo, adjointe au sous-directeur Europe et international à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle du ministère du travail
- Audition de M. Daniel Prieur, secrétaire adjoint de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, président de la chambre interdépartementale d'agriculture du Doubs-Territoire de Belfort
Mardi 16 juillet 2019
- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 45
Audition de MM. Etienne Desplanques, sous-directeur des politiques publiques à la direction générale des outre-mer, Arnaud Martrenchar, adjoint au sous-directeur, et Oudi Serva, adjoint au chef du bureau des politiques européennes, de l'insertion régionale et de la valorisation des outre-mer
Mme Laurence Harribey, présidente. - Nous avions prévu d'entendre M. Emmanuel Berthier, directeur général des outre-mer au ministère des outre-mer, qui s'est excusé au dernier moment. Nous accueillons donc M. Etienne Desplanques, sous-directeur des politiques publiques, son adjoint, M. Arnaud Martrenchar, et M. Oudi Serva, adjoint au chef du bureau des politiques européennes, d'insertion régionale et de valorisation de l'outre-mer - thèmes au coeur de notre mission d'information.
La direction générale des outre-mer (DGOM) est notamment compétente pour les affaires européennes concernant les outre-mer. Sa sous-direction des politiques publiques anime et coordonne les politiques publiques conduites outre-mer et contribue à la mise en oeuvre outre-mer des politiques européennes de cohésion économique, sociale et territoriale.
Notre mission d'information s'intéresse à l'utilisation des fonds européens en France et a souhaité avoir un éclairage particulier sur l'outre-mer. Nous avons d'ailleurs auditionné, la semaine dernière, le président de la collectivité territoriale de Guyane, M. Rodolphe Alexandre, de passage à Paris.
Nous avons associé à cette audition les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer, que préside notre collègue Michel Magras.
Les régions ultrapériphériques (RUP) sont des bénéficiaires importantes des fonds européens structurels et d'investissement (FESI), dont la gestion outre-mer a fait l'objet d'un rapport de la Cour des comptes en février dernier. Les territoires ultramarins comptent aussi les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) qui, à la différence des RUP, ne font pas partie de l'Union européenne.
Quelles sont les spécificités de l'outre-mer en matière de gestion et d'utilisation des fonds européens ? La situation est-elle différenciée, et dans quelle mesure, selon les différentes collectivités ? Comment ces collectivités d'outre-mer ont-elles abordé la décentralisation de la gestion des fonds européens ? Disposent-elles de moyens suffisants, notamment en ressources humaines ? Ce dernier sujet semble récurrent, à la suite des transferts de compétence...
Nous vous avons adressé un questionnaire, qui peut constituer le fil conducteur de votre intervention. Après votre propos liminaire, notre rapporteure, Mme Colette Mélot, puis nos collègues vous poseront quelques questions. Cette audition est ouverte au public et à la presse et sera diffusée en direct sur le site internet du Sénat ; elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
M. Étienne Desplanques, sous-directeur des politiques publiques à la direction générale des outre-mer du ministère des outre-mer. - Merci de votre invitation. Votre mission d'information intervient à un moment charnière, après les élections européennes et au moment où nous négocions la prochaine programmation et le cadre financier pluriannuel (CFP) post-2020. Je vous prie d'excuser M. Emmanuel Berthier, retenu cet après-midi. Nous vous apporterons des réponses écrites au questionnaire dans les prochains jours.
Selon l'accord de partenariat, la DGOM est une autorité de coordination, au même titre que le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA), la direction générale de la performance économique et environnementale et des entreprises (DGPE) et la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Elle s'en distingue car elle a une approche géographique - les outre-mer dans leur diversité, RUP et PTOM - et non liée à la gestion d'un fonds en particulier. La DGOM s'intéresse globalement aux différents FESI, au Fonds européen de développement (FED) et aux programmes horizontaux comme Erasmus ou Life, avec une valeur ajoutée territoriale. Un bureau leur est dédié, dans lequel trois agents sur six travaillent sur les fonds européens structurels d'investissement (FESI).
La DGOM a un rôle d'animation et réunit tous les deux mois les directeurs « Europe » des autorités de gestion des RUP. Tous les deux ans, nous organisons un séminaire sur les fonds européens, dont le dernier s'est tenu en novembre 2018, en Martinique. Nous avons un contact privilégié avec les autorités de coordination, notamment le CGET, avec lequel nous entretenons des relations hebdomadaires, et avec l'unité RUP à la direction régionale REGIO de la Commission européenne, qui est en quelque sorte notre miroir.
Nous apportons un appui technique et juridique aux autorités de gestion, pour des dossiers techniques comme l'octroi de mer, la défiscalisation, l'articulation des aides d'État, ou pour de l'ingénierie - nous venons de lancer une étude sur des projets de mutualisation pour la gestion des déchets. À la demande des autorités de gestion, nous intervenons aussi sur des problèmes plus complexes, comme Synergie, l'outil informatique de mise en oeuvre des fonds européens pour lequel la DGOM a monté un groupe de travail spécifique sur les problématiques RUP.
Par ailleurs, nous défendons la spécificité des RUP et des PTOM dans le cadre des négociations européennes. Nous négocions la décision d'association des PTOM et l'ensemble des règlements européens pour la future programmation. Nous nous occupons autant, en temps et en disponibilité, des RUP, qui reçoivent 4,8 milliards d'euros de fonds européens, que des PTOM, qui n'en reçoivent que 105 millions d'euros, et nous traitons les négociations avec le même sérieux.
Les RUP sont caractérisées par l'ampleur des fonds européens qui leur sont consacrés : 4,8 milliards d'euros, soit un cinquième des fonds européens pour la France, et 30 % des crédits du Fonds européen de développement régional (FEDER). Ces sommes sont nécessaires et stratégiques pour l'outre-mer qui a des besoins importants pour rattraper son retard en matière d'infrastructures de transport, de déchets, d'assainissement, d'hôpitaux, etc. Le taux de chômage y est deux fois supérieur à celui de la métropole. Toutes ces raisons justifient la mobilisation constante de la France, pour laquelle les RUP sont une priorité dans les négociations. L'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne reconnaît les régions ultrapériphériques, caractérisées par leur insularité et leur éloignement.
Les règlements européens prévoient quelques spécificités pour les RUP : un taux de cofinancement supérieur aux autres régions, actuellement de 85 % ; la possibilité de financer des dépenses non éligibles en métropole, comme des filiales de grandes entreprises, des aéroports, des infrastructures de transport, etc. ; et une allocation spécifique aux RUP (ASRUP) au sein du FEDER, d'un montant de 35 euros par habitant par an sur la programmation 2007-2013, 30 euros durant la programmation actuelle, pour prendre en charge les surcoûts spécifiques outre-mer, comme le fret.
Les autres modalités de mise en oeuvre des fonds n'ont pas de spécificité procédurale pour les RUP : les conditions de programmation, d'audit, d'organisation des autorités de gestion sont les mêmes qu'en métropole.
Les situations des RUP sont diverses : La Réunion n'a pas les mêmes besoins que Mayotte, ni les mêmes capacités en ingénierie
Votre mission d'information traite de la sous-utilisation chronique des fonds européens. Sur la programmation précédente 2007-2013, les chiffres sont quasiment stabilisés. Comme le souligne la Cour des comptes, le FEDER a été utilisé à 100 %, le Fonds social européen (FSE) massivement - entre 99 % et 100 %, hormis en Guyane, en raison d'une période difficile en 2015-2016 pour les trois niveaux concernés : l'autorité de gestion - à l'époque, l'État - l'organisme intermédiaire, soit le conseil régional, et l'autorité de certification. En revanche, le taux de consommation du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) oscille entre 91 % et 94 %.
Nous sommes prudents sur la période actuelle car les taux de programmation et de réalisation sont très variables et peuvent évoluer en quelques mois. Ainsi, entre le 1er janvier et le 30 juin derniers, les taux de programmation du FSE et du FEDER ont augmenté de 12 %. Néanmoins, l'outre-mer souffre d'un retard de programmation par rapport à la moyenne nationale, qui est de 67 % pour le FEDER et le FSE, avec des taux de programmation parfois inférieurs à 60 % au 30 juin pour les deux fonds, notamment pour le FEDER en Guyane et en Martinique, pour le FSE géré par les collectivités en Guadeloupe et en Martinique, et par l'État à La Réunion et à Mayotte. L'écart est plus marqué pour le FEADER : alors que le taux de crédits engagés est de 63 % à l'échelle nationale, les outre-mer sont un tiers en dessous... La situation évolue très vite pour la programmation, avec une croissance très forte depuis quelques mois. Il nous faut programmer des fonds européens avant fin 2020, sinon nous aurons un télescopage entre l'ancienne programmation et la nouvelle, comme ce fut le cas en 2014. Nous sommes en liaison étroite avec les autorités de gestion pour programmer au maximum, tout en veillant à la qualité des projets.
Pourquoi les outre-mer ont-ils un taux de programmation plus faible ? Il faut distinguer les spécificités ultramarines des raisons communes à toutes les autres autorités de gestion. Toutes les autorités de gestion ont souffert de l'adoption tardive des règlements et des accords de partenariat ; de l'adoption de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, la loi MAPTAM, et de ses décrets fin 2014 ; de la mise en place de la décentralisation des autorités de gestion - jusqu'en août 2017 pour Mayotte ; de la bascule tardive des équipes dédiées de l'État vers les conseils régionaux après les décrets de 2014 et 2015 ; du renforcement des exigences réglementaires pour la programmation actuelle ; du démarrage compliqué des outils informatiques, Osiris et Synergie.
Les spécificités ultramarines sont d'abord conjoncturelles. Le début de la programmation a coïncidé avec la fusion des collectivités de Guyane et de Martinique en une collectivité unique. Il n'y a pas de lien de cause à effet, mais cet élément de contexte a compliqué le démarrage de la programmation. Par ailleurs, certaines collectivités - notamment la Guyane et surtout Mayotte et, dans une moindre mesure, les directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi pour le FSE - sont pénalisés par une faible attractivité pour attirer et fidéliser des agents formés à la gestion des des fonds européens. Au Secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) de Mayotte, les agents sont majoritairement contractuels et restent en poste un à deux ans maximum. Ce turn-over est également important en Guyane. Les autorités de gestion décentralisées ont été confrontées au même problème et n'ont pas toutes pu bénéficier du transfert d'agents de l'État, souvent repartis en métropole.
En outre, une autorité de gestion du FEDER en outre-mer gère de nombreux dossiers techniques et complexes sur les ports, les aéroports, les routes, les déchets, l'assainissement, etc. L'ingénierie publique et privée est souvent faible. On observe une telle situation pour les crédits de l'État, comme les fonds exceptionnels et les contrats de plan État-région. Les projets ont du mal à sortir faute d'ingénierie suffisante et compte tenu de la complexité des dossiers ultramarins - spécificités foncières, normes parasismiques ou para-cycloniques.
Nous avons actuellement deux préoccupations : d'abord, nous craignons le risque de dégagement d'office. Il n'y a pas eu, en 2018, de dégagement d'office, sauf sur le programme INTERREG Mayotte/Madagascar/Comores, à hauteur de 200 000 euros. En 2019, sur le FEDER et le FSE, de nombreuses RUP ne présentent pas de risque de dégagement d'office, même si la marche est plus haute. Il existe un risque de dégagement d'office pour le FSE à Mayotte, mais qui est géré par l'État et non par la collectivité. En revanche, nous sommes préoccupés par le FEADER : la Martinique et la Guyane, fin mai, étaient à 65 % du seuil de dégagement d'office. La marche est élevée, mais les responsables sont conscients des difficultés et y travaillent.
Deuxième point d'attention : le CFP post-2020. Le ministère des outre-mer est attaché au maintien de spécificités ultramarines dans les fonds, avec le maintien d'un taux de cofinancement spécifique et une concentration thématique sur des priorités ultramarines - eau, déchets, environnement. Nous ne voulons pas que les projets soient entravés par une concentration inadaptée, des règles d'éligibilité trop strictes - ainsi, la Commission européenne prévoit à ce stade l'inéligibilité de projets de valorisation des déchets-. Nous sommes également attentifs aux montants financiers, l'ASRUP notamment, mais plus généralement le montant global pour les RUP et PTOM dans le cadre des négociations réglementaires. La négociation financière se tiendra au second semestre 2019.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Merci de ce tableau complet des politiques européennes ultramarines. Vous avez bien distingué RUP et PTOM. L'engagement est le même qu'en France métropolitaine. La programmation 2007-2013 a des résultats très honorables, notamment pour le FEDER.
Pouvez-vous nous présenter des exemples concrets de projets d'infrastructure financés par les FESI ? En Guyane, malgré les besoins, les résultats sont maigres.
Que pensez-vous des critiques de la Cour des comptes qui pointe plusieurs défaillances dans la gestion des fonds européens ? Quelles améliorations seraient réalisables ?
Même si la programmation est en cours jusqu'en 2023, qu'attendez-vous pour la prochaine programmation, au regard des deux dernières programmations ? Avez-vous des inquiétudes ou des préconisations particulières ?
M. Étienne Desplanques. - La programmation 2007-2013 était plutôt bonne. Les problèmes rencontrés pour le FEADER existent partout ; notamment, le programme LEADER ne fonctionne ni mieux ni moins bien qu'en métropole...
Nous sommes inquiets sur la programmation et souhaitons que le rythme ultramarin rejoigne le niveau métropolitain. Mais, à l'exception du cas mahorais, nous n'avons pas atteint le seuil d'alerte.
Les projets financés par des fonds européens sont nombreux : le nouvel hôpital de Fort-de-France répond aux nouvelles normes parasismiques ; la route des Tamarins à La Réunion a été réalisée ; des pistes aéroportuaires ont été allongées ; le service militaire adapté, outil extraordinaire pour former les jeunes ultramarins, est en grande partie financé par le FSE ; des fonds européens ont permis la rénovation d'hôtels, souvent en complément de la défiscalisation ; en Guadeloupe, une partie de la réfection des réseaux d'eau et d'assainissement est prise en charge par les fonds européens. Ces enjeux sont déterminants pour les outre-mer afin de rattraper leur retard et de compenser leurs handicaps.
Certaines remarques de la Cour des comptes sont pertinentes. Compte tenu de l'ampleur des fonds européens, les autorités de gestion ont parfois tendance à privilégier la consommation sur la qualité des dossiers financiers, mais de telles critiques seraient valables en métropole.
Mme Laurence Harribey, présidente. - En début, sinon en fin de programmation...
M. Étienne Desplanques. - Il y a des injonctions contradictoires : ne pas rendre de fonds à Bruxelles, mais consommer au mieux. Les règles ont été fortement renforcées sur la programmation 2014-2020 ; la désignation des autorités de gestion avec un audit initial garantit des procédures plus serrées. La Cour des comptes prend ses exemples surtout sur la programmation 2013-2020, durant laquelle l'État était autorité de gestion. Il n'est pas sûr qu'il y ait les mêmes problèmes pour l'actuelle programmation. Sept projets, qui font l'objet d'une analyse plus poussée de la Cour, sont pointés du doigt. Cet échantillon n'est pas nécessairement représentatif de la totalité des projets financés. Certes, il y a parfois des difficultés à maîtriser le calendrier, et l'intérêt économique de certains projets n'est pas avéré. Mais il n'y a pas de défaillance généralisée ni de volonté délibérée de contournement des règles. Il y a eu des dérapages en raison de problèmes fonciers, d'autorisations environnementales, des problèmes qui peuvent aussi se poser en métropole. Mais restons soucieux de financer de bons projets, dans les délais, avec une programmation efficace et complète.
Oui, il faut consommer les fonds européens. Comme autorité de coordination, nous venons en appui des autorités de gestion. Nous lancerons dans quelques semaines une étude spécifique sur la programmation 2014-2020, pendant de celles qui seront réalisées par la DGEFP et le CGET, pour apporter un appui en ingénierie. Ce n'est pas un audit, mais nous allons, dans chaque territoire, identifier les bonnes pratiques pour mieux les partager et tirer les leçons des échecs. Nous voulons éviter les dégagements d'office, qui risquent d'être importants entre 2021 et 2023, à la fin de la programmation, lorsque les seuils de dégagement d'office augmentent.
Pour les prochaines programmations, plus nous commencerons tôt le travail de définition des programmes opérationnels et des accords de partenariat, plus nous serons prêts à consommer vite les crédits. Nous devons être prêts, au niveau national, dès que les règlements sortiront. Nous militons pour que la procédure et les règles dans les prochains règlements soient les plus souples possible, notamment pour la désignation des autorités de gestion, afin d'éviter un délai d'un an avant leur désignation.
L'année 2014 a été une révolution avec la décentralisation des autorités de gestion. Elles ont besoin, désormais, de stabilité ; elles ont acquis une grande expérience, ce qui facilitera le démarrage des prochains programmes. Le ministère des outre-mer n'est pas favorable à une trop forte créativité dans ce domaine.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Que pensez-vous de la nouvelle règle de dégagement d'office à n+2, qui serait prévue pour la prochaine programmation ? Avec quel risque pour les RUP ?
M. Étienne Desplanques. - Actuellement, la règle applicable est n+3. La Commission européenne propose n+2, mais les négociations ne sont pas terminées. Ce scénario est probable, même s'il reste des partisans du n+3. Nous préférons n+3, mais dans la programmation précédente 2007-2013, c'est la règle n+2 qui s'appliquait déjà, et cela ne s'est pas si mal passé...
Mme Laurence Harribey, présidente. - Ce n'est donc pas un problème ?
M. Étienne Desplanques. - C'est un problème, mais est-il possible de défendre une dérogation de n+3 pour la programmation ultramarine au nom d'une spécificité ultra-marine ? Il serait difficile de se prévaloir de difficultés de gestion pour demander cette année supplémentaire. L'outre-mer risque de devoir suivre la métropole. Respecter le n+2 est contraignant, mais tout dépend de la chronique des seuils de dégagement.
M. Oudi Serva, adjoint au chef du bureau des politiques européennes, de l'insertion régionale et de la valorisation de l'outre-mer à la sous-direction des politiques publiques de la direction générale des outre-mer au ministère des outre-mer. - La question se pose surtout en début de programmation, lorsque les porteurs de projets n'ont pas toute la connaissance sur les règles applicables. Mais plus il y a d'informations et de communication, plus les porteurs de projets peuvent s'adapter aux règles. L'Espagne propose de lisser le rendu dans les premières années, pour que la règle du n+2 s'applique avec plus de souplesse en début de programmation. Cette proposition, intéressante, doit encore être débattue à l'échelle nationale.
Mme Laurence Harribey, présidente. - La priorité résiderait davantage dans le maintien de taux de cofinancement spécifiques que sur le n+2 ou le n+3 ? Il y a plus de chances d'honorer la règle du n+2 s'il y a des taux de cofinancement différenciés et une concentration thématique sur la réalité des territoires ultramarins...
M. Étienne Desplanques. - Le problème du cofinancement est différent selon les territoires. La Réunion utilise rarement un cofinancement à hauteur de 85 %, tandis qu'à Mayotte, vous ne pourrez pas financer de réseau d'eau sans ces 85 % de cofinancement, car le syndicat mixte n'a pas les capacités d'obtenir un prêt, même de l'Agence française de développement (AFD), et les moyens de l'État ne sont pas extensibles.
Je ne sais pas si nous pourrons maintenir un taux de cofinancement à 85 %. La proposition est actuellement de 70 %, mais un taux inférieur à 80 % posera problème en Guyane et à Mayotte. Nous pouvons espérer une alliance avec les RUP des autres États membres.
Sur la concentration thématique, si l'on applique les critères du nouveau projet de règlement, 65 % des fonds européens seraient concentrés sur les objectifs 1 relatifs à une Europe intelligente, et 2 sur l'Europe verte. Or il est nécessaire de restructurer les réseaux d'eau, d'assainissement, de rénover les hôpitaux, etc. Soutenir les entreprises de haute technologie en outre-mer est important, mais soyons réalistes, il faut d'abord assurer les infrastructures de base.
Ces deux sujets sont plus faciles à défendre que le n+3 et le préfinancement, même si nous espérons plus de souplesse pour récupérer de la trésorerie en début de programmation. Les outre-mer ont besoin d'une assistance technique musclée.
M. Victorin Lurel, membre de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je partage votre avis sur la programmation 2007-2013 et l'avis de la Cour des comptes. Pourriez-vous nous préciser les taux d'exécution et de certification territoire par territoire ?
À Saint-Martin, c'est l'État qui exécute. Or, selon le CGET, au 31 décembre 2018, le taux de programmation atteignait 38 %, et, en mars 2019, le taux de certification atteignait 18 %. En Guadeloupe, le taux de certification pour le FEDER atteignait 16 %, le taux de programmation 55 % au 31 décembre 2018 - certes, ce taux a augmenté de 12 % entre janvier et juin 2019. Les taux sont similaires en Martinique, en Guyane, à Mayotte et à La Réunion. Vous citiez un taux de 60 %, qui est une moyenne sur l'ensemble des outre-mer.
Nous craignons, à deux ans de la fin de la programmation, qu'il y ait des dégagements d'office : 16 % sur le FEDER en Guadeloupe, 7 % sur le FSE.
L'eau est-elle un objectif thématique ou ces objectifs ne concernent-ils que la recherche, l'innovation, les technologies de l'information et de la communication, la transition énergétique ? Certains sujets spécifiques justifient-ils des financements plus confortables ?
Le taux d'ASRUP était de 36 % au 31 décembre 2018. Qu'en sera-t-il en 2019 ? Quels sont les risques potentiels d'ici à 2022, notamment sur les paiements ?
M. Etienne Desplanques. - Nous pourrons vous transmettre les données dont on dispose sur les taux de programmation et de certification dans les RUP. Les chiffres que vous évoquiez sont probablement ceux du 31 mars 2019. Les taux ont évolué depuis : par exemple, en Guadeloupe, les taux de programmation s'élèvent désormais à 71 % pour le FEDER et à 52 % pour le FSE. Les taux de certification ne sont pas éloignés des chiffres que vous indiquiez : 18 % pour le FEDER et 11 % pour le FSE, soit des chiffres comparables aux autres RUP.
Il est vrai que nous enregistrons des retards à Saint-Martin. La crise liée au passage de l'ouragan Irma n'a pas facilité les choses et nous a obligés à remanier le programme opérationnel. Pour autant, les retards sont importants. Il convient de rappeler toutefois qu'il s'agit d'un programme de taille modeste. Au 30 juin 2019, le taux de programmation s'élevait à 46 % au titre du FEDER et à 65 % au titre du FSE. Il reste donc encore un effort important à faire car ces chiffres sont inférieurs à la moyenne des RUP.
L'enjeu du débat sur la concentration thématique après 2020 concerne les deux premiers objectifs stratégiques : le premier est l'Europe intelligente, qui inclut le numérique et la recherche ; le second est l'Europe verte, qui inclut la gestion des déchets, l'eau, l'assainissement, etc. Le projet de règlement de la Commission prévoit d'affecter 35 % des crédits à l'Europe intelligente et 30 % à l'Europe verte. Mais, si l'on compare avec les chiffres de la précédente programmation, on constate que les sommes allouées à l'Europe verte ne sont pas suffisantes pour des territoires comme Mayotte, la Guyane ou la Guadeloupe. Si l'autorité de gestion doit dépenser 30 % des crédits sur les actions relatives à l'Europe intelligente, elle n'aura pas assez d'argent pour financer les actions nécessaires au titre de l'Europe verte... C'est pourquoi nous militons pour alléger cette contrainte de répartition en facilitant la fongibilité des crédits entre les objectifs. Il serait inconcevable qu'un projet d'assainissement en Guadeloupe se trouve bloqué à cause de règles de gestion de ce type.
M. Oudi Serva. - Sur l'ASRUP, le taux de programmation s'élevait, en coût total, à 60 % en juillet 2018 et atteindra 73 % au mois de juin 2019. Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir en la matière. Le seul point d'inquiétude à cet égard concerne Mayotte et le cadre de performance, ce qui pose la question d'éventuels redéploiements entre territoires.
M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. - Je n'ai pas lu le rapport de la Cour des comptes. La DGOM est l'autorité de coordination du dispositif. Avec 4,8 milliards d'euros pour les RUP et 105 millions pour les PTOM, l'enveloppe est globalement de 5 milliards d'euros. Cela ne justifie-t-il pas une représentation permanente de l'autorité de régulation à Bruxelles ? Peut-on continuer, comme on le fait actuellement, en nous appuyant sur des notes des autorités françaises et en envoyant sur place un fonctionnaire de temps en temps ?
Pour les PTOM, une enveloppe était prévue au titre de l'appui technique. Je constate que le système ne fonctionne pas à la vitesse à laquelle il devrait fonctionner. Nous devrions respecter le calendrier européen. L'Europe n'a pas de temps à perdre. La programmation dure quatre ans. Les projets doivent être montés, financés et exécutés durant cette période et les crédits que nous n'aurons pas dépensés seront donnés à d'autres pays ! J'entends le bilan que vous dressez, mais on ne sait pas qui est responsable ni ce que l'on peut faire pour améliorer la situation. Or, il importe de faire en sorte de nous mettre au diapason de Bruxelles. L'Europe ne fonctionne pas comme la France. Nous savons qu'en France, la bureaucratie est très développée. Qu'attendez-vous des parlementaires pour faire évoluer le dispositif et donner à la France les moyens d'utiliser les fonds programmés ? Je rappelle que la France est le deuxième contributeur au budget européen.
La partie française de Saint-Martin est une RUP, tandis que la partie néerlandaise de l'île est un PTOM. Il me semble qu'un fonds de coopération entre les deux parties de l'île avait été prévu. La partie néerlandaise avait demandé à être nommée chef de file pour la coopération dans la zone des Caraïbes. Mais il est paradoxal d'être nommé coordonnateur d'un dispositif et de ne pas être capable d'utiliser les fonds... J'aimerais que le gouvernement français agisse pour améliorer la situation. Il importe désormais de faire preuve d'efficacité. Discuter entre nous ne suffit pas. Il faut aller à Bruxelles, être présents sur place en permanence. L'État est-il conscient que des crédits sont disponibles pour les RUP et qu'ils sont sous-utilisés ?
M. Étienne Desplanques. - Comment faire en sorte que le système fonctionne mieux ? Nous avons d'abord besoin de stabilité afin que les autorités de gestion puissent aborder avec sérénité la prochaine programmation et mettre leur expérience à profit. Il faut aussi mettre l'accent sur l'ingénierie, en y consacrant des fonds spécifiques, pour mieux accompagner les petits porteurs de projets qui souhaitent déposer un dossier. Si l'on veut que le FSE fonctionne mieux, notamment à Mayotte, il faut aussi réfléchir au préfinancement. Nous travaillons sur ce sujet avec l'AFD. Plus que le montant total des fonds, le soutien en ingénierie et l'appui en amont aux porteurs de projets apparaissent essentiels.
Vous posez la question de la représentation à Bruxelles. L'État français est organisé de manière efficace. Le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) coordonne l'action du Gouvernement. La Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne assure les négociations à Bruxelles. La collaboration entre les ministères, le SGAE et la Représentation permanente fonctionne très bien. Mais, pour se faire entendre à Bruxelles, il ne suffit pas d'exposer un problème, il faut aussi présenter une solution sérieuse, susceptible d'être acceptée par les autres États membres ! On peut toujours réclamer des règles spécifiques pour les RUP ou demander de supprimer les règles, cela ne sera jamais entendu à Bruxelles si ce n'est pas étayé. Nous devons élaborer des propositions sérieuses.
En ce qui concerne l'articulation des RUP et des PTOM, les prochains règlements comportent des avancées notables, avec, notamment, des possibilités de mixage entre le FED et le FEDER. Mais encore faudra-t-il que les autorités de gestion acceptent parfois que les fonds soient confiés à un gestionnaire tiers, une organisation internationale ou l'AFD par exemple...
Mme Laurence Harribey, présidente. - Je vous remercie.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.
- Présidence de Mme Laurence Harribey, présidente -
Audition de Mme Véronique Gallo, adjointe au sous-directeur Europe et international à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle du ministère du travail
Mme Laurence Harribey, présidente. - Notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de Mme Véronique Gallo, adjointe au sous-directeur Europe et international à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) du ministère du travail. Mme Gallo est accompagnée de M. Jocelyn Vidon-Buthion, chef de la mission d'appui au déploiement des programmes.
Je déplore que ni le délégué général ni le sous-directeur n'aient dégagé un peu de leur temps pour être entendus par la représentation nationale...
La sous-direction Europe et international de la DGEFP est notamment autorité de gestion des programmes européens nationaux cofinancés par le Fonds social européen (FSE). À ce titre, elle en définit le contenu, en veillant à ce que la stratégie portée par les programmes réponde aux enjeux inscrits dans la stratégie européenne pour l'emploi et vienne en appui des politiques publiques nationales. Elle anime et appuie le réseau des services déconcentrés dans la mise en oeuvre des programmes et suit l'état de leur avancement.
Instance de coordination au niveau interministériel pour le FSE, elle est, en liaison avec le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), garante de la cohérence et de la coordination des actions contenues dans les programmes nationaux avec celles qui sont portées par les programmes des conseils régionaux. En liaison avec le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) et le CGET, elle participe à la négociation de la réglementation communautaire.
Notre mission d'information a pour objet de dresser un bilan de l'utilisation des fonds européens en France, dans un contexte marqué par le transfert aux régions de la gestion de ces fonds, qui contribuent directement au développement de nos territoires.
Naturellement, cette audition sera essentiellement consacrée au FSE. Quel est le niveau d'utilisation des crédits alloués à ce fonds ? La gestion de ce dernier dans notre pays présente-t-elle des spécificités par rapport à d'autres États membres ? Comment expliquer le maintien d'une compétence partagée entre l'État et les régions pour la gestion du FSE ? Comment les régions ont-elles abordé la décentralisation de la gestion d'une partie du FSE ? Comment le FSE évoluera-t-il dans la prochaine programmation 2021-2027 ?
Mme Véronique Gallo, adjointe au sous-directeur Europe et international à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle du ministère du travail. - La DGEFP est l'autorité de gestion pour le programme opérationnel national pour l'emploi et l'inclusion en métropole, doté de 2,8 milliards d'euros, et du programme opérationnel national pour la mise en oeuvre de l'Initiative pour l'emploi des jeunes (IEJ) doté de 660 millions d'euros. Elle est aussi autorité de coordination pour le FSE. Concrètement, en tant qu'autorité de gestion, nous sommes chargés de rédiger les programmes ; nous en définissons la stratégie et assurons leur pilotage avec les organismes intermédiaires et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. Nous sommes aussi chargés de mettre en place un cadre de gestion et de contrôle interne efficace et sécurisé. Nous avons mis à la disposition des gestionnaires et des porteurs de projets un système d'information pour les programmes gérés par l'État, il s'agit de ma-demarche-fse.fr. Nous lançons des appels à projets, définissons les critères de sélection, concluons les conventions et payons les porteurs de projets. Enfin, nous évaluons l'impact du FSE sur nos programmes et communiquons sur l'utilisation des crédits.
La DGEFP joue le rôle d'autorité de coordination du FSE depuis la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (loi MAPTAM). Il existe trente-trois programmes opérationnels cofinancés par le FSE, dont huit sous la responsabilité de l'État (trois nationaux et cinq en outre-mer) et vingt-cinq sous celle des régions. L'État gère 65 % de l'enveloppe nationale, qui est répartie à parts égales entre le l'emploi et l'inclusion. Les régions gèrent les crédits relatifs à la formation professionnelle des demandeurs d'emploi, l'apprentissage et l'orientation, soit 35 % de l'enveloppe. En tant qu'autorité de coordination, nous faisons la liaison avec la Commission européenne, garantissons la cohérence d'utilisation des fonds entre les différents acteurs, consolidons les résultats en liaison avec les conseils régionaux et apportons un appui réglementaire aux autorités de gestion qui le souhaitent. Nous veillons à éviter les doubles financements, en définissant des lignes de partage des compétences entre les acteurs.
Votre mission a pour thème la sous-utilisation chronique des fonds européens. Le FSE ne semble pas concerné par cette problématique car les taux de programmation et de réalisation sont très satisfaisants. Les taux de programmation en France sont ainsi supérieurs de quatre points à la moyenne européenne pour le programme opérationnel national pour l'emploi et l'inclusion en métropole et de dix points pour l'IEJ, même si les taux sont inférieurs outre-mer. Les crédits du FSE permettent de financer 20 000 projets qui concernent plus de 3,5 millions de participants. Le FSE constitue donc un levier important pour les politiques d'insertion. Grâce à sa participation de 150 millions d'euros sur le programme IEJ, la garantie jeunes a pu être généralisée. Le FSE cofinance à hauteur de 350 millions d'euros les actions de Pôle emploi ; plus de 200 millions d'euros servent à soutenir les salariés menacés de chômage ; 500 millions contribuent au financement de l'insertion par l'activité économique. De même, le FSE finance 17 % des dépenses d'insertion des conseils départementaux. Conformément à nos engagements, nous visons les publics les plus fragiles dans le champ de l'inclusion : 70 % des bénéficiaires perçoivent les minimas sociaux ; 25 % sont issus de l'immigration. Nous devions consacrer 10 % des crédits à la politique de la ville, nous y consacrons 20 %. Les actions menées ont des effets positifs sensibles : ainsi, alors que les bénéficiaires de l'IEJ sont chômeurs ou inactifs à l'entrée dans le dispositif, le taux de sortie en emploi ou en formation s'établit à 60 %.
Les procédures de gestion ont été améliorées. À la différence des programmations antérieures, il n'y a pas eu de correction financière sur les programmes nationaux ni de dégagement d'office sur l'ensemble des programmes FSE, même si ce risque n'est pas à exclure à Mayotte. Toutefois, les profils de dépenses définis par l'Europe sont très soutenables : ainsi, au 31 décembre 2022, soit un an avant la date limite fixée pour l'éligibilité des dépenses, il faudra avoir consommé 60 % de la dotation du programme, ce qui signifie qu'il restera encore 40 % des crédits à justifier d'ici la clôture. En 2018, nous avions déjà atteint les cibles fixées pour 2020 sur les programmes nationaux.
Nous utilisons de manière systématique, lorsque cela est possible, les options de coûts simplifiés : 95 % des opérations sur les programmes opérationnels de l'État ont recours à ces options. Les conseils régionaux les utilisent aussi. Pour faciliter la gestion, nous avons développé un système d'information dématérialisé, pédagogique, à destination des porteurs de projets et des gestionnaires, qui contient des formulaires en ligne et résume sous forme de tutoriels ou de notices les règles en vigueur, souvent complexes. Les délais de paiement ont été raccourcis par rapport à la programmation précédente : la moitié des dossiers complets sont payés en moins de 90 jours. Cependant, le sujet des avances reste problématique car les préfinancements communautaires, qui s'élevaient à 7 % lors de la précédente programmation, ont diminué et s'élèvent désormais à 3 %, et le rythme de mise à disposition de ce même pourcentage sera réduit à 0,5 % par an sur la prochaine programmation. La question des avances est donc cruciale car certains délais sont incompressibles. Nous versons des avances à 50 % de nos porteurs de projets, essentiellement à des associations, mais nos capacités de préfinancement sont limitées. C'est pourquoi la réserve que nous avons constituée, qui sert de fonds de roulement, est précieuse, même si elle a fait l'objet de critiques de la part de la Cour des comptes.
J'en viens aux marges de progrès. Il convient tout d'abord de renforcer l'attractivité du FSE. Pour cela, il importe de raccourcir les délais de traitement des dossiers : si les options de coûts simplifiés sont généralisées dans les programmes opérationnels nationaux, elles ne couvrent finalement que 20 % des dépenses des porteurs de projets au total sur ces programmes. Nous considérons qu'il serait judicieux de recourir plus systématiquement aux options de coûts simplifiés et sur des assiettes plus larges de dépenses et de procéder, comme la Commission européenne le souhaite d'ailleurs, à des paiements au résultat, comme c'est déjà le cas, par exemple, pour la garantie jeunes : la Commission européenne octroie une somme forfaitaire à l'État pour tout jeune ayant suivi le parcours pendant douze mois et pour lequel sont justifiées des sorties positives. Si nous généralisons le paiement au résultat, il conviendra d'associer les cofinanceurs pour éviter que ceux-ci ne continuent à payer sur la base de subventions de fonctionnement.
Autre axe de progrès, nous devons améliorer la lisibilité du FSE sur le terrain car les lignes de partage entre acteurs ne sont pas toujours très claires pour les porteurs de projets. Nous devons placer ces derniers au centre du dispositif et définir une offre de services adaptée à leurs besoins.
Nous souhaitons aussi que le FSE constitue un levier structurant de nos politiques sociales et d'insertion. La Commission européenne souhaite faire de l'innovation sociale une priorité de la prochaine programmation ; or, celle-ci est aussi portée par de petits porteurs de projets sur le terrain qui devront continuer de pouvoir accéder au FSE. Comme l'enveloppe du FSE sera au mieux constante, avec un périmètre d'intervention plus large, nous devrons faire des choix, éviter la dispersion et définir une stratégie d'utilisation pertinente. Le FSE sera aussi, dans la prochaine programmation, l'instrument financier du socle des droits sociaux. Il devra répondre aux besoins d'investissements sociaux que la Commission européenne aura identifiés pour chaque pays.
Enfin, il convient aussi de renforcer la coordination entre l'État, chef de file pour l'emploi, les régions, chefs de file pour la formation professionnelle, et les conseils départementaux, chefs de file pour l'inclusion sociale, afin d'éviter les fonctionnements en silos et permettre d'offrir aux publics cibles des parcours individualisés.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Merci pour cette présentation. Vous avez évoqué la nécessité de renforcer la lisibilité du FSE sur le terrain. La DGEFP a-t-elle déjà mis en place des mesures d'information et d'accompagnement des porteurs de projet ? Comment travaillez-vous avec les régions dans la gestion du FSE ?
Mme Véronique Gallo. - Nous avons mis en place un comité de suivi pour le programme opérationnel national, qui associe la DGEFP et Régions de France. Nous pouvons ainsi élaborer ensemble une stratégie d'intervention et mieux partager les informations. De même, au niveau local, les comités régionaux de suivi et les comités de programmation, chargés de sélectionner les opérations, associent des représentants de l'État et des régions. La DGEFP anime, deux fois par an, des réunions de concertation avec les représentants des conseils régionaux pour partager des informations sur la programmation, les difficultés rencontrées lors des audits, etc. Ainsi, la coordination entre l'État et les régions est bien réelle.
En ce qui concerne la lisibilité, les lignes de partage ont été définies en 2014 : à l'État, la responsabilité de l'emploi et de l'inclusion sociale ; aux régions, la formation professionnelle des demandeurs d'emploi. Des aménagements sont possibles localement pour tenir compte des réalités locales. Selon les régions, la création d'entreprise, par exemple, relève tantôt de la compétence de la région, tantôt de celle de l'État. Mais il faut bien reconnaître que, si ce partage des responsabilités est clair entre la région et l'État, il n'est pas toujours évident pour un porteur de projets de savoir qui peut l'aider. Peut-être pourrions-nous réfléchir à des lignes de partage communes à toute la France.
Pour renforcer l'accompagnement des porteurs de projets, la DGEFP a mis en place un système d'information à destination des gestionnaires, « Ma Ligne FSE », qui leur permet de nous interroger sur des points techniques ou juridiques. Les gestionnaires ont aussi pris des initiatives selon des modalités diverses. Ainsi, certaines régions, avant de lancer un appel à projets, réunissent les porteurs de projets potentiels pour leur présenter le dossier. Des ateliers d'écriture ont été créés, qui proposent à des porteurs de projets de monter des dossiers de financement « à blanc » pour les aider à comprendre les règles européennes. Les gestionnaires du FSEparticipent souvent aussi aux comités de pilotage des opérations cofinancées. On compte ainsi de nombreuses initiatives d'accompagnement au niveau local. En ce qui nous concerne, nous avons d'abordprivilégié l'appui aux gestionnaires afin de sécuriser les projets et éviter que les porteurs de projet ne se voient contraints de rembourser par la suite certaines aides.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - À quelles difficultés les porteurs de projets ont-ils été confrontés pour l'obtention de fonds européens ? Ces dernières sont-elles dues à la réglementation européenne ou française ?
Mme Véronique Gallo. - Sans doute, aux deux... La réglementation européenne est souvent assez exigeante. Les règles d'éligibilité pour les participants à l'IEJ n'ont ainsi été connues qu'au moment de la réalisation des audits, ce qui nous a mis en difficulté. Il s'agit de jeunes de moins de vingt-six ans sans emploi qui ne sont inscrits dans aucune formation, ni en éducation. Mais quels justificatifs réclamer pour répondre à des conditions négatives ? Fallait-il demander une carte d'identité à des publics parfois très fragiles ? Exiger une inscription à Pôle emploi ? Pendant deux ans, les règles du jeu n'étaient pas claires et cela est dû à la réglementation européenne. Les contraintes sont nombreuses : nous sommes tenus de procéder à des contrôles de service fait ou à des contrôles internes, comme l'exigent la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC) et la Commission européenne. La réglementation relative aux aides d'État est également complexe. Les porteurs de projets qui ne sollicitent pas d'aide européenne ont peu de chances d'y être sensibilisés. Pour la Cour des comptes européenne, le point d'entrée pour le contrôle du respect de cette règlementation par l'Etat membre est le contrôle des opérations financées par des crédits des fonds européens structurels et d'investissement (FESI). Mais les règles relatives aux FESI et aux aides d'État sont parfois contradictoires... Au total, les règles sont complexes. Le socle des exigences vient de la réglementation européenne. La France a-t-elle rajouté des contraintes ? Je ne le crois pas. Nous avons simplement cherché à tirer les leçons des audits que nous avons subis ou à anticiper les attentes de la Commission européenne.
Mme Annick Billon. - Vous avez parlé de simplification. Quels sont les critères, selon vous, qui mériteraient d'être simplifiés ? Le FSE a été créé initialement pour aider les régions en difficulté. Mais est-ce bien le cas ? De même, les porteurs de projets doivent être accompagnés. L'accompagnement varie selon les régions. Est-il efficace partout ?
Mme Véronique Gallo. - Un dossier de demande de fonds européens est toujours plus compliqué à monter qu'un autre dossier de demande de subventions publiques. Lorsqu'ils ont le choix, les porteurs de projets essaient toujours de trouver d'autres financements, comme on le voit parfois avec la concurrence du Plan d'investissement dans les compétences (PIC). Pour simplifier, la Commission européenne encourage le plus possible le paiement au résultat. Sur les dossiers, les dépenses de personnels sont encore complexes à justifier. On a quand même réussi à obtenir quelques simplifications : ainsi, il ne sera plus nécessaire de produire tous les relevés bancaires pour prouver le paiement des salaires ; les bulletins de salaire suffiront pour le contrôle du service fait sur le FSE. En cas d'affectation de personnes à temps plein sur un projet, une lettre de mission suffit maintenantà justifier le suivi des temps. Mais si ce n'avait pas été le cas, comment, par exemple, faire cosigner des fiches de présence sur un chantier d'insertion lorsque que l'on travaille à l'extérieur de la structure ? C'est un exemple de difficulté !
Mais tous les porteurs ne veulent pas s'engager dans la simplification ; certains d'entre eux veulent maximiser le budget qu'ils présentent pour remboursement au détriment de la sécurisation de leur subvention. Il faut faire de la pédagogie en la matière.
Par ailleurs, on n'est pas dans un contexte d'augmentation des moyens, qu'il s'agisse des conseils régionaux ou de l'État. Les crédits d'assistance technique nous permettent de compenser les sous-effectifs. Avec l'autorisation de la direction du budget, nous avons recruté 60 équivalents temps plein : ils apportent un appui important aux services de l'Etat dans l'accompagnement sur le terrain afin d'éviter l'existence de zones sinistrées. L'outre-mer a largement bénéficié de ces crédits, avec la création d'une trentaine de postes. Il n'en demeure pas moins qu'il est parfois difficile de mobiliser les moyens suffisants pour gérer ces aides.
M. Bernard Delcros. - Le FSE apporte un soutien très important à toutes les activités d'insertion. Celles-ci sont portées non seulement par la sphère publique, les collectivités et les départements, qui disposent de l'ingénierie nécessaire pour monter ces dossiers complexes et faire face à la trésorerie, mais également par le secteur associatif. Les délais de versement du FSE sont tels que les associations sont en difficulté. Quelles sont les pistes d'amélioration pour régler ce problème ?
M. Victorin Lurel. - Concernant le préfinancement, l'État oblige aujourd'hui les associations, notamment les associations d'insertion - c'est le cas en Guadeloupe -, à être entreprise d'insertion et à participer aux appels d'offres. Chez moi, une association importante a mis au chômage technique 150 agents d'insertion faute de préfinancements. Existe-t-il des solutions pour régler cette question majeure ?
Mme Véronique Gallo. - Ce n'est pas au travers du projet de règlement 2021-2027 que l'on pourra régler cette question. En effet, le taux de préfinancement sera identique à celui de la programmation actuelle : 3 % de la dotation sont versés au début de la programmation - 1 % chaque année pendant trois ans, contre, à l'avenir, 0,5 % pendant six ans. Il revient aux organismes intermédiaires d'assurer une part de préfinancement ; c'est d'ailleurs ce que font les conseils départementaux.
Nous avions trouvé la solution de recourir au fonds de roulement, constitué par les reliquats non consommés des programmations précédentes, pour avoir des avances sur la programmation future. Cette solution nous a permis par exemple de faire des avances aux missions locales à hauteur de 40 % en début de programmation pour soutenir des appels à projets en faveur de l'accompagnement renforcé des jeunes. Toutefois, la Cour des comptes nous demande maintenant de ne plus l'utiliser. Nous considérons que cette réserve de trésorerie est régulière, puisqu'elle est autorisée par le règlement. Je ne vois pas d'autre solution. Cette question reste donc à expertiser.
Doit-on recourir à une budgétisation ? Cette solution serait assez complexe à mettre en oeuvre car les crédits du FSE sont versés sur un compte de tiers.
M. Victorin Lurel. - La mise en concurrence oblige les associations à participer aux appels d'offres alors qu'elles travaillaient en régie, à faire du in house. Avez-vous des solutions ?
Mme Véronique Gallo. - Les appels d'offres sont un mécanisme indépendant du FSE. Les appels à projets font partie du mode de fonctionnement classique pour ce qui concerne les fonds européens, avec des critères de sélection qui doivent objectiver l'octroi ou non d'une subvention. Je ne connais pas exactement le dossier dont vous parlez.
M. Victorin Lurel. - Comment passer de la régie - on lui confiait intuitu personae un marché ou une opération au nom de la collectivité et pour le compte de celle-ci - à l'appel d'offres, avec toute l'incertitude que cela comporte pour les associations ?
Se pose en effet un double problème : celui du préfinancement, même si la région octroie des avances importantes, et celui de l'appel d'offres. La procédure du in house était tout à fait légale.
Mme Véronique Gallo. - Cette mise en concurrence plus formalisée est peut-être la conséquence des contrôles diligentés sur le respecte des règles relatives à la commande publique - c'est là un point de vigilance particulier des auditeurs. Il s'agit peut-être d'un besoin de sécurisation des procédures.
M. Bernard Delcros. - Je précise qu'il ne s'agit pas d'un dossier particulier. Cette procédure est généralisée. Est-elle consécutive à l'attribution du FSE ou à une autre réglementation ? Cette mesure fragilise notamment le secteur associatif.
Mme Laurence Harribey, présidente. - C'est un véritable problème. Nombre d'associations renoncent aujourd'hui à répondre aux appels d'offres pour cette raison. La réglementation vaut pour tout le monde, mais la question de la sécurisation se pose dès lors qu'il s'agit de fonds européens. D'ailleurs, ce problème commence à se poser pour des missions locales dans le cadre de la garantie jeunes. Au regard de l'évaluation sur le résultat, nombreuses sont les missions locales qui s'interrogent : même si ce dispositif fonctionne plutôt bien, vu le public concerné, le résultat n'est pas toujours au rendez-vous. Prenons garde à l'éventuel effet de déviance, qui serait catastrophique.
Mme Véronique Gallo. - Je vous l'accorde, il est souvent compliqué pour les missions locales d'assurer le suivi de l'ensemble des obligations liées à l'octroi d'une subvention européenne.
Toutefois, le dispositif de la garantie jeunes a bénéficié d'un règlement délégué de la Commission. Les missions locales n'ont pas à ce titre de convention FSE : la DGEFP obtient un remboursement par la Commission des dépenses de la Garantie jeunes si elles atteignent les résultats escomptés. En dehors du reporting, elles n'ont pas à assurer la gestion du FSE.
M. Victorien Lurel. - En Guadeloupe, nous avons créé un successeur de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), Guadeloupe Formation. Par cette structure publique, la région fait du « in house », en lui confiant des crédits importants au titre du FSE pour ce qui concerne les appels d'offres. Pour éviter les contentieux, un tiers des appels d'offres sont laissés au privé. Cette formation en direct n'a jamais été contestée par la CICC. Il en va différemment pour les associations car nous n'avons pas trouvé la bonne formule.
M. Pierre Louault. - Je connais la question des fonds européens depuis vingt-cinq ans et je reconnais que le FSE a été beaucoup simplifié, avec des résultats indiscutables. Cependant, la Cour des comptes pointe deux faiblesses.
La première concerne le manque de concertation avec les régions, les départements et l'État. Vous l'avez dit, les fonds européens sont forcément plus complexes que les fonds français car on empile les réglementations, au lieu de les harmoniser. Or, c'est ce vers quoi nous devons tendre. Il n'est pas normal que l'État fixe des règles contradictoires avec les règles européennes, et vice versa, pour les mêmes objectifs et les mêmes services rendus. Quelles améliorations peuvent être envisagées en la matière ?
La seconde faiblesse a trait à la question des délais de paiement. La France se met un point d'honneur à sécuriser les versements de l'Europe. Ne pourrait-on pas prévoir un paiement semestriel, ce qui permettrait d'améliorer considérablement la trésorerie des associations ?
La semaine dernière, j'ai rencontré les membres d'une association qui avait répondu à un appel à projets européen. Le processus a été rapide : l'appel à projets a été déposé au mois d'octobre ; la réponse a été donnée en janvier ; un acompte de 50 % a été versé au mois de mars. Pourquoi les acomptes sont-ils possibles dans certains cas et pas dans d'autres ? La faute incombe-t-elle à la France, à l'Europe ?
Mme Laurence Harribey, présidente. - Le mécanisme est un peu différent puisque l'évaluation des projets est faite au niveau européen.
M. Pierre Louault. - On posera la question à Bruxelles.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Oui, mais force est de constater que ce type d'appels d'offres pose beaucoup moins de problèmes.
Mme Véronique Gallo. - Concernant les délais de paiement, les associations ou les organismes se plaignent souvent d'attendre les crédits pendant deux ou trois ans. Mais entre la demande de financement et le moment où les versements sont effectués, il se passe beaucoup de choses. Je l'ai dit, la procédure est très encadrée, avec une instruction, une programmation dans une instance partenariale, un conventionnement et une demande de remboursement, qui donne lieu à un contrôle de service fait et au paiement. Dans le cadre de nos règles de gestion, nous imposons un bilan intermédiaire lorsqu'une opération est longue, afin de rembourser le porteur à mi-parcours. Nous lui laissons aussi contractuellement la possibilité de faire des demandes de remboursement dès lors qu'il a atteint un volume significatif de dépenses - 30 % environ. Mais les porteurs de projets ne sont pas toujours désireux de faire plusieurs demandes de remboursement. Nous nous retrouvons souvent avec un engorgement des demandes de remboursement en juin après la fin des opérations. Je le redis, il s'agit d'une pratique ; nous n'imposons pas qu'il en soit ainsi : il est possible pour les porteurs de projets de déposer plus fréquemment des demandes de remboursement.
Certes, cette question reste posée, mais c'est plus le délai de traitement de la chaîne qui doit être analysé, et nous y travaillons en vue de la prochaine programmation : comment faire pour conventionner plus rapidement ? On parle toujours du délai de paiement, mais il est en bout de chaîne. Nous analysons toutes les étapes pour voir comment on pourrait simplifier les procédures. L'instruction est-elle plus courte et le conventionnement plus rapide lorsque l'on accompagne les porteurs de projets en amont ? Nous voulons vraiment replacer la qualité de service dans la gestion des fonds européens.
Concernant les fonds nationaux, je ne sais pas si le délai d'attribution des aides est beaucoup plus court. De nombreux projets sont bloqués parce qu'un cofinanceur n'apporte pas la preuve de son conventionnement avec l'organisme public qui lui a attribué.
Les avances permettent au moins de supporter le délai de traitement. Toutefois - et là est toute l'ambiguïté -, le règlement européen impose comme critère de sélection une capacité administrative et financière des porteurs. Pour pouvoir bénéficier de fonds européens, il faut donc avoir une assise financière suffisante.
M. Pierre Louault. - L'accord avec les conseils départementaux a souvent réglé le problème.
Mme Véronique Gallo. - Il est très intéressant que des organismes intermédiaires aient la capacité d'assurer le préfinancement. Vu le faible volume des avances dont nous disposons, nous privilégions les associations fragiles. Je l'ai dit, 50 % des porteurs bénéficient des avances, et 85 % de ces avances sont consenties aux associations.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Je vous remercie infiniment de votre participation et de votre éclairage.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.
Audition de M. Daniel Prieur, secrétaire adjoint de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, président de la chambre interdépartementale d'agriculture du Doubs-Territoire de Belfort
Mme Laurence Harribey, présidente. - Notre mission d'information poursuit ses travaux avec l'audition de M. Daniel Prieur, secrétaire-adjoint de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), président de la chambre interdépartementale d'agriculture du Doubs-Territoire de Belfort. M. Prieur est accompagné de M. Éric Collin, directeur entreprise et conseil.
Vous avez sollicité cette audition et nous avons jugé utile de vous écouter. Vous représentez le réseau des chambres d'agriculture. Ce réseau assume plusieurs missions : contribuer à l'amélioration de la performance économique, sociale et environnementale des exploitations agricoles et de leurs filières ; accompagner, dans les territoires, la démarche entrepreneuriale et responsable des agriculteurs, ainsi que la création d'entreprises et le développement de l'emploi ; contribuer, par les services mis en place, au développement durable des territoires ruraux et des entreprises agricoles, ainsi qu'à la préservation et à la valorisation des ressources naturelles, à la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires et à la lutte contre le changement climatique.
Notre mission, à l'initiative du groupe Les Indépendants, a pour rapporteure Colette Mélot et porte sur la sous-utilisation chronique des fonds européens en France. Nous nous sommes rapidement aperçus qu'il ne convenait pas de parler de sous-utilisation chronique puisque la consommation se trouve dans la moyenne, même si des difficultés existent, en particulier pour le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Cette formulation répond toutefois à des questionnements du territoire. Cette mission d'information vise à mieux comprendre la situation et à formuler des préconisations.
Nous vous avons envoyé un questionnaire, fil conducteur de nos échanges.
M. Daniel Prieur, secrétaire adjoint de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, président de la chambre interdépartementale d'agriculture du Doubs-Territoire de Belfort. - Je vous remercie, Madame la Présidente et Madame la Rapporteure, de nous auditionner sur ce sujet récurrent du développement rural avec la consommation ou la non-consommation des crédits.
Je commencerai par un rappel historique. La politique agricole commune (PAC) comprend deux piliers : un pilier agricole et un pilier axé sur le développement rural, avec, dans les politiques du second pilier, une politique particulière qui repose sur les initiatives locales, avec l'utilisation des fonds LEADER.
Je suis jeune entrant au Bureau de l'APCA, mais je dispose d'une expérience dans les organisations agricoles, puisque nous avons souvent une expérience syndicaliste avant d'être missionnés au sein de l'APCA. Dans ce cadre, j'ai été, lors de la deuxième vague des fonds LEADER, président d'une structure qui faisait partie d'un groupe d'action locale (GAL) pour gérer les fonds LEADER consacrés au développement local à finalité touristique, avec un volet sur l'accompagnement social.
Nous avons un avis partagé sur la question. Le monde agricole a l'habitude de gérer les problématiques sur la compensation de handicaps, les politiques d'investissement, l'accompagnement des démarches de qualité, en lien avec les interlocuteurs du Réseau d'innovation et de transfert agricole (RITA) ou les interlocuteurs de la région. Or, les projets de développement rural sollicitent d'autres acteurs et le monde agricole se retrouve moins à l'aise, selon l'expérience des chambres d'agriculture et des porteurs de projets. Tout dépend également si le projet est déjà écrit ou pas, si le programme LEADER intervient en accompagnement du projet. S'il faut tout écrire, la situation est plus compliquée.
Dans les structures comme Nouvelles Ruralités, présidée par le sénateur Joly, les participants s'interrogent sur la manière de sortir les territoires de difficultés et demandent plus de moyens consacrés au développement rural, pour ne pas tout axer sur le développement agricole. Nous sommes confrontés à un certain dilemme. Je suis personnellement persuadé qu'élargir la réflexion contribue à une meilleure vie dans les territoires et à un meilleur positionnement de l'agriculture. J'en veux pour preuve l'expérience des pôles d'excellence ruraux, pendant des pôles de compétitivité, avec des universités, de la recherche et du développement et de grosses infrastructures industrielles. Pour les territoires ruraux, le pôle était constitué à l'échelle des territoires, avec une confiance accordée aux acteurs, et des services naissaient de ces pôles, notamment sur la santé ou sur la constitution de micro-filières. Un dossier emblématique sur la Lozère portait ainsi sur la production de thé pour apporter de la valeur ajoutée à des territoires. Une telle initiative de développement locale peut alors bénéficier de financements LEADER.
Nous en sommes à la quatrième ou cinquième génération du programme LEADER, entre les simples initiatives qui représentaient initialement 5 % de l'enveloppe, puis LEADER +, qui avait pris le relais avec l'obligation d'entrer dans un réseau au niveau local, puis l'échange de partages avec le niveau européen sur des projets transfrontaliers. De tels programmes peuvent présenter un fort intérêt, mais aussi freiner la mise en place d'un certain nombre d'initiatives. Partir d'un projet local pour établir des connexions avec des collègues européens donne un objectif louable, mais peu accessible d'emblée à l'ensemble des territoires.
Pour la future PAC, nous ne connaissons pas la totalité de l'architecture, entre États et régions, puisque les discussions sont en cours. Une première évolution est intervenue, dans la précédente PAC, avec la gestion par les régions du deuxième pilier, avec de nombreux éléments téléguidés, ou fléchés, par le niveau national. Les chambres d'agriculture se situent dans une logique d'accompagnement des exploitations agricoles, avec des mesures de transition face aux enjeux environnementaux, agro-écologiques et carbone. L'enjeu carbone est sociétal et l'agriculture peut jouer un rôle-clef en adaptant ses productions ou en mettant en place de nouvelles techniques pour les systèmes d'exploitation. En lien avec les organisations syndicales agricoles nationales, l'APCA a proposé des éléments pour ne pas être en rupture avec ces évolutions de l'agriculture. Un autre enjeu reste prégnant dans le deuxième pilier et vise à conserver de la vie et des moyens dans certains territoires, avec la politique de compensation de handicap qui représente un budget conséquent, justifié dans de nombreux territoires. Dans la dernière définition des zones défavorisées, nous avons dernièrement vu que la région Nouvelle-Aquitaine avait été particulièrement éprouvée par le nouveau zonage avec des personnes qui voulaient y entrer. La position des organisations nationales a consisté à souligner le sens de l'accompagnement et de l'investissement.
Cette politique reste une politique d'initiative avec des territoires qui n'ont pas toujours l'ingénierie nécessaire pour répondre. En Franche-Comté, il est difficile pour une communauté de communes en territoire rural, avec un ou deux salariés seulement, de gérer ces dossiers, tandis qu'une agence d'urbanisme du pays de Montbéliard comptant une quinzaine d'ingénieurs peut aisément répondre aux appels d'offres et fournir les informations dans les délais impartis.
Les chambres d'agriculture doivent donc s'interroger sur l'accompagnement des groupes. Ces éléments sont sortis du dernier brainstorming que nous avons mené sur la définition de nos métiers. Le territoire arrive à parts égales avec les sujets relatifs à la transition et à l'accompagnement des agriculteurs.
Au niveau syndical - puisque je siège toujours au Bureau de la FNSEA -, nous avons mené un travail sur le positionnement de l'agriculture dans dix ans et le couple agriculture et territoires nous semble constituer un levier pertinent pour éviter les délocalisations, apporter de la valeur ajoutée et être facteur d'emploi et de cohésion dans l'ensemble des territoires.
Mme Colette Mélot, rapporteure. - Nous arrivons à la fin de la programmation 2014-2020. Savez-vous combien de projets ont été déposés par les chambres d'agriculture depuis le début de la programmation ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets ?
Pouvez-vous dresser un bilan du transfert aux régions de la gestion des fonds européens ? Ce transfert a-t-il posé des problèmes, selon vous, notamment au sein des régions issues de fusion ?
Connaissez-vous les délais moyens de versement des aides aux chambres d'agriculture ou aux agriculteurs ?
M. Éric Collin, directeur entreprise et conseil. - Les chambres d'agriculture travaillent sur les fonds européens pour les dossiers agricoles, les instructions et l'émergence de projets d'investissement dans les exploitations, les projets territoriaux, en particulier lorsqu'ils nécessitent de l'émergence ou de l'appui sur les filières locales, avec circuits courts ou plus localisés. Ceci peut concerner des travaux menés sur l'évaluation des potentiels des marchés, des aides individuelles pour les exploitations, voire des projets plus ou moins collectifs ou de petits projets de transformation.
Nous travaillons également sur des sujets transversaux à l'agriculture, dans le cadre des transitions. Certains dossiers sont accompagnés dans le cadre du FEADER, dans le cadre de diagnostics territoriaux ou de conseils sur la gestion de la ressource en eau ou sur des changements climatiques.
D'autres dossiers sont moins connus, comme le dispositif de coopération, qui permet de créer des groupes pour des projets de taille réduite conduits de manière hétérogène dans les régions. Il s'agit d'une coopération qui permet de créer et d'appuyer des projets européens pour l'innovation (PEI) demandant une structuration dans le groupe d'agriculteurs et un transfert sur l'innovation.
Telle est la typologie des actions menées sur le dispositif. Pour compléter notre analyse de la consommation, nous avons identifié les facteurs qui pourraient être améliorés et les facteurs qui constituent des freins. Parmi ces derniers, certains sont liés à la mécanique et aux mesures qui ont posé des difficultés dans la mise en place des dispositifs.
La notion de sous-consommation doit effectivement être relativisée puisque notre flux de consommation se situe effectivement dans la moyenne européenne. Sur la mécanique, il convient de noter que nous avons connu, au cours de la programmation, des éléments rendant l'exercice plus compliqué qu'habituellement. Je peux citer la négociation, menée en 2012, pour transférer la gestion des fonds européens aux régions, avec une mise en oeuvre assez rapide de ce transfert, alors que les outils informatiques n'étaient pas prêts. Un décalage a donc été enregistré entre la production du back office et le transfert effectif, ce qui a engendré un retard au démarrage que nous avons beaucoup de difficultés à résorber.
Un deuxième élément a impacté les chambres d'agriculture et les régions : la réforme territoriale avec le nouveau découpage des régions. Au moment où nous définissions la chaîne d'instruction et de contrôle, les régions ont dû travailler avec des régions qui ne disposaient pas de services instructeurs, et ces services ont dû être recalibrés. Je ne pourrai mesurer l'impact quantitatif précis, mais le point nous a posé problème. La Commission européenne ne voulait pas renégocier les programmes opérationnels, mais nous avons eu la tentation d'arriver à une certaine convergence des mesures et nous avons donc dû retravailler sur les mesures les plus emblématiques, pour ne pas créer de biais de concurrence au sein d'une nouvelle région fusionnée. Des discussions sont tenues sur la modification des programmes opérationnels et nous sommes entrés dans un dispositif de convergence. Ceci a alourdi structurellement la mécanique de projets et a pu avoir un effet sur la consommation de leurs crédits.
La réforme territoriale et les outils constituent deux éléments. Un troisième est lié aux thématiques. Certaines mesures, comme les mesures agro-environnementales (MAE), posent question. Beaucoup de personnes s'accordent à dire qu'avoir des MAE définies au plan régional pose problème. Nous estimons que deux vices originels existent sur la MAE. La MAE, par nature, est un dispositif qui vise à accompagner un changement de pratiques très précises, normées et renseignées, avec une aide qui compense le surcoût lié à la mesure. Il a fallu écrire des cahiers des charges, pratique par pratique, avec un grand nombre de MAE, modulées au niveau régional. Nous pensons donc qu'une véritable réflexion doit être menée sur la refonte des MAE. Nous pensons que les MAE doivent être dé-zoomées pour avoir un effet de transformation véritable, avec des objets et des cahiers des charges plus larges qu'action par action et mesure par mesure. Pour une transition dans le domaine climatique, qui engage des choix en matière de variétés et d'agronomie, plusieurs modifications des pratiques peuvent être nécessaires. Le même sujet se pose pour les phytosanitaires. Dans ce cas, il convient de renégocier et de réduire le nombre de MAE en tant que telles. Dans la programmation, il n'existait pas forcément de lien entre le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE), les investissements et les mesures d'accompagnement (mesures de transition ou MAE). De ce fait, les guichets pouvaient fonctionner de manière rapide, accessible et utile sur les investissements, tandis que des freins existaient pour accéder à des MAE sous-utilisées. Ces points devraient sans doute être corrigés.
Avec une politique portée par les régions, nous séparons, dans la mission des autorités de gestion, l'information, l'instruction des aides, le payeur et le contrôle. Le fait de se rapprocher des régions, pour certaines mesures, a amélioré la capacité d'accès à l'information et l'ajustement des instructions. Le fait d'arriver au niveau régional a rapproché ce dispositif. Pour la chaîne du payeur et du contrôle, un biais existe néanmoins dans la mesure où la reconcentration sur l'Agence de services et de paiement (ASP), restée centralisée, nuit à la souplesse instaurée sur l'instruction et sur l'information. Ce point pourrait également être revu dans la prochaine programmation, si une séparation est maintenue entre l'instruction du projet, au niveau régional, et le paiement, au niveau national, puisqu'il crée des difficultés dans la consommation et dans la fluidité du dispositif.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Sur le fond, vous estimez donc que la compétence des régions en la matière ne doit pas être remise en cause et que le problème vient plus de la séparation de l'instruction par les régions et du paiement effectué au niveau centralisé ?
M. Éric Collin. - Pour une prochaine programmation, si nous voulons véritablement nous concentrer sur les transitions auxquelles l'agriculture est confrontée, il convient d'accompagner des projets d'exploitation qui comportent de l'investissement, c'est-à-dire un accompagnement à la prise de risques Dès lors, il convient que les décisions se trouvent dans les mêmes mains pour la cohérence de l'instruction du projet de l'entreprise, plutôt au niveau de la région pour être au plus près du projet, tant en matière de filière que de territoire.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Avez-vous conscience que ces propos sont en contradiction avec ceux de la FNSEA nationale ?
M. Daniel Prieur. - Ce n'est pas une contradiction, mais plutôt une nuance : nous proposons une nouvelle mesure intitulée « mesure de transition ». Ce qui relève du premier pilier doit rester au niveau national, tandis qu'il convient de distinguer, sur le second pilier, les politiques nationales d'installation ou de compensation de handicap, de l'accompagnement qui pourrait être réalisé au niveau local, en particulier pour les transitions
Sur l'utilisation des fonds, j'aurais du mal à vous dire si des initiatives ont été permises par ces fonds. En termes de transfert technologique et d'accompagnement de la filière fromagère, la Franche-Comté est connue pour ses fromages haut de gamme, et le programme LEADER avait permis un transfert technologique pour maintenir une filière valorisante dans ce cadre. Dans le département du Lot, des accompagnements avaient été proposés pour la filière produit, par exemple pour la renaissance du Rocamadour. Des formations ont été dispensées sur le développement du tourisme de pays, avec de nouvelles dynamiques sur l'offre de services et un tourisme fédérant des hôteliers et permettant aux touristes de faire de la randonnée sans gérer les aspects logistiques : une action a ainsi été mise en place sur le plateau montagne de mon département. Une adaptation est réalisée, pas seulement agricole, quand les dossiers ont été conçus et instruits dans l'esprit des décideurs. LEADER vient alors pour accompagner une démarche ascendante. En Midi-Pyrénées, un sénateur du Tarn, Jean-Marc Pastor, et André Valadier avaient voulu cartographier le territoire pour inciter les personnes à monter des projets, sachant qu'ils recherchaient des financements régionaux, nationaux ou européens pour l'accompagnement. Tous les territoires ne disposent toutefois pas des ressources nécessaires pour s'inscrire dans une telle démarche.
Le travail des chambres d'agriculture pour les six prochaines années devra faire la jonction entre les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), communauté de communes ou communauté d'agglomération, et les chambres d'agriculture pour intervenir en matière réglementaire, sur l'urbanisme par exemple, et sur les projets à porter au niveau territorial.
Mme Pascale Gruny. - J'entends la répartition que vous proposez entre l'État et les régions, mais je trouve qu'un seul ordonnateur semble plus logique, avec l'État, pour décliner ensuite dans les départements. Il sera sinon difficile d'atteindre l'objectif de simplification, alors que les agriculteurs demandent de la simplification et une diminution des contrôles.
Le verdissement n'induit-il pas plus de difficultés pour la consommation des fonds ?
Dans la prospective sur la politique agricole commune, avec une mise en oeuvre qui reviendrait davantage au niveau national, avec vingt-sept politiques agricoles différentes, ne craignez-vous pas que des différences soient créées, notamment entre le premier et le deuxième pilier ?
M. Daniel Prieur. - Nous ne partons pas à égalité puisque les États membres ont décidé, dès le départ, de faire de la régionalisation ou de la mutualisation de moyens. L'Allemagne a ainsi confié beaucoup de responsabilités à ses Länder, avec une architecture politique différente de la nôtre. J'ai visité des exploitations en Allemagne où j'ai constaté que les politiques sociales étaient bien moins contraignantes, augmentant leur compétitivité. J'exprime donc un avis réservé sur la question. Nous allons vers un certain nombre d'obligations, dont une obligation de convergence qui institue des transferts massifs entre les régions, selon le mode d'agriculture.
Les organisations nationales souhaitent un socle commun à la politique agricole, avec des objectifs communs poursuivis au niveau européen - et non avec un budget accordé à chaque État membre qui en dispose à sa guise. La politique menée ne peut être la même avec vingt-sept États membres qu'avec six. De grands pays agricoles qui avaient besoin de forts développements ont rejoint l'Union européenne et ont fortement consommé les crédits. Je connais assez bien l'agriculture polonaise puisqu'un directeur adjoint de ma chambre est d'origine polonaise, et j'ai constaté que cette agriculture avait opéré de grandes transformations, comme nous l'avions fait dans les années 1960 ou 1970. La technologie est maintenant présente partout en Europe.
La politique agricole comprend l'aspect communautaire et l'aspect national, avec une demande sociétale.
Je n'ai pas forcément l'accord de l'APCA et de la FNSEA, mais je considère qu'un axe majeur s'ouvre aujourd'hui, qui vise à aller de l'alimentation à l'agriculture, alors que l'axe inverse était observé jusque-là, de l'agriculture à l'alimentation. Les aspects d'adaptation locale sont donc importants. Avec les États généraux de l'alimentation et la mise en place des projets alimentaires territoriaux, de nouvelles problématiques émergent. Le citoyen-consommateur affirme de nouvelles exigences. L'agriculture dispose d'outils pour protéger des cultures et ces points suscitent désormais un débat. Les aspects de transition sont un levier d'accompagnement des agriculteurs et de communication sur les actions menées par les agriculteurs qui se trouvent déjà dans cette démarche.
Les pratiques sur les exploitations ont changé depuis dix ou vingt ans. Les agriculteurs demandent à être accompagnés dans leur développement et à ne pas subir des critiques quotidiennes. Les agriculteurs ont une utilité territoriale, économique, sociale et sociétale. Si certaines de ces utilités sont remises en cause, ils évolueront vers d'autres métiers.
Dans mon territoire, l'agriculture se porte bien, grâce aux appellations d'origine contrôlée, mais les agriculteurs chercheraient sinon un autre emploi.
Mme Annick Billon. - L'agriculture remplit plusieurs fonctions, notamment alimentaire, et les Français accordent de l'importance à leur alimentation, comme le montre l'actualité sur les échanges commerciaux, qui fait ressortir une inquiétude sur l'alimentation. L'agriculture remplit également un rôle par rapport aux paysages, à l'économie et au tourisme, comme le Marais poitevin en Vendée.
Comment faire pour que les MAE soient enfin payées dans des délais raisonnables ? Nous voyons bien souvent que la pérennité des exploitations est mise en danger à cause des délais de paiement extrêmement longs. L'État est bien plus performant pour retrouver des non-payeurs d'impôts que pour verser des MAE aux agriculteurs... Comment faire pour simplifier les critères et les périmètres octroyés ? J'ai cru comprendre que les critères avaient pu évoluer dans le temps par rapport aux périmètres et aux conditions d'éligibilité aux MAE. Je rejoins ma collègue Pascale Gruny qui parlait d'un souci de simplification. Ne serait-il pas plus pertinent d'avoir un objectif simple poursuivi par les MAE, avec des critères identiques déclinés dans les régions ?
Lors du pic de non-paiement des MAE, certaines régions ont dû pallier le désengagement de l'État en devenant les payeurs.
M. Pierre Louault. - J'essaie de me battre à vos côtés pour la simplification des mesures de la PAC. Je défends cette position auprès du ministre de l'agriculture. Il m'a en effet indiqué que les 4 500 mesures pour la future PAC que lui proposent les chambres d'agriculture ne pouvaient pas être efficaces, et que ces dernières devaient les réduire à 45.
M. Michel Raison. - Au-delà des systèmes de paiement complexes, dans le cadre de la PAC, et des modifications que doit subir l'agriculture, nous devons avoir le souci de chaque agriculteur et du consommateur. Le politique, agricole ou parlementaire, doit également avoir le souci de la « ferme France ». Si nous ne souhaitons que répondre aux demandes du consommateur français et que nous fixons nos normes internes, nous perdrons encore plus de parts de marché par rapport au marché international et risquons de ne plus être autosuffisants. Je m'inquiète parfois des orientations prises sur ce que sera notre « ferme France » dans dix ou quinze ans, sachant que le sujet est stratégique pour notre alimentation et notre économie, si nous avons une politique de repli, de jardinage et de vente directe - même si j'exagère un peu à dessein.
M. Daniel Prieur. - Sur les MAE, nous avons évoqué les difficultés rencontrées avec la fusion des régions.
La région Pays de la Loire n'a pas été fusionnée avec la Bretagne, mais, dans de nombreuses régions, la double peine a été subie. Sans distribuer les bons et les mauvais points aux ministres, la situation était extrêmement compliquée avec Stéphane Le Foll qui ne considérait pas que le sujet était urgent. Quand Stéphane Travert est arrivé, il nous a indiqué qu'il rencontrait un problème de budget et qu'il convenait, pour faire face, de basculer une partie du premier pilier de la PAC vers le deuxième pilier, ce que nous avons fait. Ceci a permis d'avoir un calendrier de paiement plus satisfaisant.
Nous avons sûrement proposé des mesures trop détaillées, alors qu'il aurait convenu de proposer des mesures plus générales. Quand l'APCA, en lien avec les organisations syndicales nationales, propose des mesures de transition qui pourront avoir un réel impact sur les fermes, selon la stratégie de haute valeur environnementale, la politique des labels pour la filière bovine - qui entraîne des retours financiers sur les exploitations - ou la stratégie bas carbone pour la production laitière, il s'agit de solutions concrètes, demandées par les agriculteurs sur le territoire.
Une autre politique me paraît intéressante pour conquérir un nouveau marché avec l'évolution vers l'agriculture biologique pour laquelle il convient de raisonner avec une politique de qualité qui n'enferme pas trop. Les agriculteurs biologiques historiques et les nouveaux agriculteurs biologiques devraient s'harmoniser. Les agriculteurs biologiques historiques tiraient il y a quelques années à boulet rouge sur l'agriculture conventionnelle, alors que l'agriculture biologique commence forcément sur des champs conventionnels qui se transforment.
Sur le repli sur soi, j'ai longtemps siégé à l'Institut national d'origine et de la qualité (INAO) et je considère qu'il convient de savoir quel marché nous ciblons. Ciblons-nous uniquement le marché des matières premières à l'échelle française et mondiale ? Je ne suis alors pas certain que nous sommes suffisamment compétitifs puisque d'autres territoires sont mieux armés que nous en termes de structures agricoles. En Russie, les agriculteurs ont des parcelles de 440 hectares. Nous n'avons pas le même dimensionnement. Vladimir Poutine dispose de terres qui se dégèlent chaque année avec le réchauffement climatique. Notre rôle deviendra donc sûrement différent dans les marchés mondiaux
Sur la qualité, l'agriculture française ne doit-elle pas cibler son positionnement sur les produits transformés et sur le marché de la qualité, pour son positionnement à l'international ? Ceci demande une évolution. J'ai connu une production de comté à 35 000 tonnes, et elle atteint aujourd'hui 60 000 tonnes. Je sais qu'il nous faut aujourd'hui un peu d'export, même si je ne souhaite pas que l'export dicte la totalité de notre politique.
Si, demain, nous continuons à avoir une production agricole un peu plus élitiste, nous risquons de perdre des paysans qui auront du mal à accéder à des standards de qualité supérieurs. Nous avons introduit cet accompagnement dans le rôle des chambres d'agriculture, puisqu'une partie de la population ne sollicite pas forcément nos services, alors qu'elle doit être accompagnée.
La politique agricole française devrait peut-être s'orienter vers le haut de gamme, comme la viticulture a pu le faire dans le passé dans de nombreux domaines. Dans la viticulture, la PAC différait de celle des autres secteurs, avec des actions sur les évolutions de cépages, la modernisation des outils de vinification et le positionnement du marché.
M. Éric Collin. - Nous ne pouvons nous satisfaire de la situation des 5 000 MAE peu utilisées sur les 9 000 disponibles. Dans nos mesures de transition, pour les MAE qui seront transformées, les cahiers des charges devront être plus ouverts, peut-être partie prenante d'un socle national.
Dans la période de transition, nous préconisons d'accompagner les exploitations au travers d'une nouvelle mesure de transition bâtie autour d'un projet d'entreprise qui identifie les investissements nécessaires à la transition, avec une dotation de transition plutôt qu'une MAE qui remplacerait d'autres MAE. La MAE est effectivement trop précise et ne compense que le manque à gagner lié à la mise en place d'une pratique. Pour assurer une transition, il convient de modifier plusieurs paramètres de l'exploitation, ce qui requiert des investissements et une prise de risques. Nous suggérons donc un nouvel outil dans la future PAC : une dotation de transition, sur le modèle de l'installation, avec un projet pour cinq ans, défini pour l'exploitation, qui comporte un point d'équilibre économique et des engagements contractuels, ainsi qu'une aide versée pour accompagner l'exploitation. Je pense que cette mesure est de nature à être appliquée sans distorsion, plutôt à un niveau régional.
Mme Laurence Harribey, présidente. - Nous avons choisi de travailler sur la sous-utilisation chronique des fonds européens en France pour susciter un débat et approfondir le sujet. Je ne pensais pas que nous sous-utilisions les fonds européens par rapport aux autres États membres et nous sommes effectivement dans la moyenne européenne. Il serait toutefois intéressant de progresser pour la future programmation à compter de 2021, même si la programmation 2014-2020 se poursuivra jusqu'en 2023 au niveau des traitements des dossiers. Il convient d'avancer. Nous partageons tous l'objectif de simplification et celui de l'agriculture de qualité, même si je pense que l'agriculture française est déjà une agriculture de qualité. Des mesures peuvent être prises pour progresser. Nous poursuivrons le travail pour promouvoir les fonds européens, notamment pour que le programme LEADER soit mieux et davantage utilisé.
Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site Internet du Sénat.
La réunion est close à 18 h 30.