Mercredi 3 juillet 2019
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 9 h 45.
Défense européenne - Examen du rapport d'information
M. Christian Cambon, président. - Nous examinons ce matin le rapport d'information de M. Ronan Le Gleut et de Mme Hélène Conway-Mouret sur la défense européenne, fruit d'un travail de longue haleine avec de nombreux déplacements, rencontres et auditions.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - La défense européenne est un peu comme un verre à moitié rempli : certains voient le verre à moitié vide, quand d'autres le voient à moitié plein. Avec ma collègue Hélène Conway-Mouret, nous avons travaillé six mois sur ce sujet, mené de nombreuses auditions et effectué sept déplacements en Europe. Ce travail nous a conduits à nous ranger du côté de ceux qui voient le verre à moitié plein.
C'est vrai que la défense européenne, qu'on a parfois appelée Europe de la défense - vous vous souvenez du précédent rapport de notre commission, qui avait montré que ce concept d'Europe de la défense ne fonctionnait pas -, est un peu un serpent de mer dont on a beaucoup parlé, avec parfois l'impression de peu avancer.
Lorsqu'on regarde toutes les initiatives qui sont prises, dans des cadres différents - Union européenne, OTAN, bilatéral, multilatéral -, on se rend compte que les choses avancent. Certes, ce n'est pas d'une façon très planifiée ni inscrite dans un grand schéma politique d'ensemble, mais il faut bien admettre que la défense européenne progresse, de façon protéiforme, à des rythmes et selon des schémas différents selon les pays.
Une des premières choses qui nous ont frappés, c'est que l'approche traditionnelle française, qui consiste à avancer des concepts politiques et à tenter ensuite de faire rentrer la réalité dans ce cadre théorique, n'est pas la mieux adaptée à ce dossier. Soyons pragmatiques : si l'on veut une défense européenne, il faut peut-être se préoccuper un peu de ce qu'en pensent les autres Européens et s'intéresser à la façon dont nos partenaires perçoivent les enjeux.
De ce point de vue, il nous semble qu'il faut dépasser deux faux débats.
Le premier est l'opposition qui est faite par certains entre l'Union européenne et l'OTAN. On entend souvent en France l'idée qu'il faudrait choisir entre une défense européenne et la défense proposée par l'OTAN. Il faut avoir conscience que cette opposition est vraiment une idée franco-française qui n'est partagée par aucun de nos vingt-sept partenaires de l'Union. Donc si nous voulons être un peu efficaces, il nous faut faire attention dans nos discours et nos attitudes à ne pas laisser penser que nous souhaitons un retrait américain d'Europe, car, aujourd'hui, la défense de l'Europe est assurée essentiellement par les États-Unis, qui représentent à eux seuls les deux tiers des dépenses militaires totales des pays de l'OTAN. Au sein de ce budget, les dépenses militaires spécifiquement consacrées à la défense de l'Europe s'élèvent à 36 milliards de dollars, soit presque autant que le budget de défense de la France.
Je ne m'étendrai pas sur les arrangements de partage nucléaire ni sur le déploiement par les États-Unis d'une défense antimissile balistique en Europe, mais ce sont des questions fondamentales pour comprendre la position de beaucoup de nos partenaires européens.
La France fait figure d'exception dans ce paysage. L'autonomie stratégique est pour nous une évidence, garantie en dernier ressort par notre dissuasion nucléaire. Plusieurs Présidents de la République se sont prononcés, depuis le sommet de Chequers en 1995, pour une prise en compte des intérêts de nos partenaires européens dans la définition de nos intérêts vitaux.
C'est donc à l'aune de la prépondérance américaine qu'il faut jauger le débat sur le partage du fardeau. Le coût des investissements que devraient réaliser les pays de l'OTAN pour pouvoir assurer leur défense collective, dans l'hypothèse d'un retrait américain, a été évalué à environ 300 milliards de dollars. Le débat sur l'autonomie stratégique, c'est donc d'abord un débat sur nos lacunes capacitaires.
Le fait que nous dépendions largement des États-Unis pour notre défense collective est, sur le plan historique, une anomalie. Depuis que l'empire romain s'est effondré, les pays européens avaient toujours dû se défendre par eux-mêmes. La situation actuelle est donc bien un héritage historique de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide. D'une façon qui peut apparaître paradoxale, alors que la fin de la Guerre froide aurait dû conduire à la fin de cette situation et à une reprise en main par les pays européens de leur défense, il s'est passé tout le contraire : il y a eu une période où les pays européens ont cru pouvoir toucher les dividendes de la paix et ont donc plutôt réduit leur effort de défense.
Si une évolution est aujourd'hui perceptible, c'est que le contexte a radicalement changé. Plus personne ne croit à la fin de l'Histoire et on voit au contraire le retour à des comportements traditionnels de puissance, c'est-à-dire que les plus grandes puissances ont tendance à préférer le rapport de force, voire la force elle-même, au droit.
Dans ce contexte, la priorité des États-Unis est leur compétition avec la Chine, et non pas la sécurité de l'Europe. En outre, l'examen des budgets de défense fait apparaître très clairement que la Russie n'est pas de taille à rivaliser au niveau global avec les États-Unis ou la Chine. L'origine de la revendication américaine du partage du fardeau est celle-là : les États-Unis ont besoin de pouvoir concentrer leurs moyens sur leur compétition avec la Chine.
En revanche, nous nous sommes efforcés de montrer dans notre rapport qu'il y a une contradiction dans la logique américaine lorsque ceux-ci exigent en même temps que l'Europe achète du matériel américain et ne développe pas une véritable base industrielle et technologique de la défense européenne (BITDE). Il y a une concurrence, dans le discours américain, entre les préoccupations stratégiques - l'Europe doit se défendre par elle-même plutôt que de se reposer sur les États-Unis - et les préoccupations économiques et industrielles - l'Europe doit acheter américain si elle veut être défendue par les États-Unis.
Les pays européens ont bien compris que la garantie de protection américaine, formalisée dans l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord, n'est finalement ni inconditionnelle ni éternelle, pour reprendre les propos que nous a tenus un parlementaire dans un pays pourtant très atlantiste.
Dans le même temps, l'Europe est confrontée à la vigueur nouvelle de la menace à l'est, dans un enchaînement guerre de Géorgie, action au Donbass et annexion de la Crimée, test des frontières aériennes et maritimes, et diverses actions d'espionnage ou de tentatives de manipulation de l'information ou des scrutins.
Sur le front sud, la menace prend une autre forme qui découle d'abord de l'effondrement des États - Irak, Syrie, Libye, Mali -, avec deux conséquences : l'organisation pérenne d'une menace terroriste djihadiste en capacité de frapper le sol européen et des mouvements migratoires vers l'Europe dont la rapidité et le caractère inédit ont créé un trouble profond dans les pays européens en favorisant le populisme et les mouvements xénophobes.
C'est du reste le second faux débat qu'il faut écarter : il n'y a pas à privilégier la menace est où la menace sud. La défense européenne doit pouvoir faire front à l'est et au sud, sans quoi il n'y aura pas de défense commune des Européens. Il nous semble que ce débat est en partie derrière nous, et les signes de solidarité à l'égard de nos partenaires de l'est de l'Europe, notamment à travers la présence avancée renforcée de l'OTAN (enhanced Forward Presence, ou EFP), ont grandement aidé sur ce sujet.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Le troisième élément qui a poussé à un élan nouveau de la défense européenne, c'est la contrainte née du Brexit. Le Royaume-Uni joue en effet un rôle si important dans la défense du continent que son départ programmé de l'Union européenne a fait prendre conscience à beaucoup d'autres pays de la nécessité de faire plus en matière de défense et surtout de faire plus ensemble.
Mais le Brexit a entraîné paradoxalement un regain d'intérêt du Royaume-Uni pour les coopérations européennes. La géographie est implacable... Nous avons besoin du Royaume-Uni pour défendre l'Europe. C'est pourquoi nous plaidons pour une association étroite de celui-ci à la défense européenne, quitte à sortir des cadres habituels.
Il faudra un traité de sécurité et de défense entre l'Union européenne et le Royaume-Uni pour l'impliquer autant que possible et lui permettre de participer aux dispositifs européens, notamment le fonds européen de défense, la coopération structurée permanente et Galileo.
Nous devrons également veiller à ce que les positions de la France sur le Brexit ne soient pas préjudiciables à notre coopération bilatérale dans le domaine de la défense. Nous avons entendu plusieurs fois, à Londres, le mot « ressentiment ». Il est essentiel que la sortie du Royaume-Uni le 31 octobre prochain - si elle a bien lieu à cette date - se déroule dans de bonnes conditions pour pouvoir donner une impulsion nouvelle à nos relations bilatérales, alors que nous célébrerons l'an prochain les dix ans des accords de Lancaster House.
J'en viens maintenant à la seconde partie de notre rapport. J'indique à cette occasion que, plutôt que de nous reposer sur les nombreux rapports qui ont été publiés jusqu'alors, nous avons voulu aller au contact de nos partenaires, qui ont été très heureux de nous recevoir, peu habitués qu'ils sont à ce que nous les écoutions.
La défense européenne est multiforme : elle passe par l'OTAN, mais aussi, de plus en plus, par l'Union européenne et par une multiplicité de coopérations opérationnelles et capacitaires, dont nous donnons de nombreux exemples dans notre rapport.
L'Union européenne est devenue un acteur majeur de la défense européenne. C'est un tournant historique. Le traité de Lisbonne a rendu cette évolution possible, mais c'est le « réveil stratégique » de l'Europe, après 2014, qui l'a véritablement déclenchée.
Il y a eu, tout d'abord, en 2015, l'activation par la France de la clause d'assistance mutuelle de l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne.
En réponse, nos partenaires européens ont apporté de multiples contributions aux opérations françaises ou à des missions de l'Union européenne et de l'ONU sur plusieurs théâtres d'opération, notamment au Levant et en Afrique, mais aussi au Liban, avec l'engagement d'une compagnie finlandaise au sein de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) pour permettre aux militaires français de rentrer en France.
C'est une affirmation sans précédent de la solidarité européenne.
L'activation de cette clause n'avait jamais été réellement envisagée, avant 2015, par les institutions européennes. Il serait utile, aujourd'hui, de préciser les hypothèses d'activation et les modalités d'application de l'article 42, paragraphe 7, sur la base du retour d'expérience français.
L'Union s'est dotée d'une Stratégie globale en 2016. Celle-ci porte explicitement l'ambition d'autonomie stratégique, qui n'est donc pas qu'une élucubration française, mais bien un objectif partagé avec nos partenaires.
Paradoxalement, seules trois missions et opérations de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ont été lancées depuis 2015, avec néanmoins des résultats tangibles, notamment dans le cas de l'opération Sophia. La suspension partielle de cette opération est regrettable et n'a pas de sens, puisqu'elle est l'illustration même du continuum sécurité-défense et de l'« Europe qui protège ». Je ne reviendrai pas sur les divisions politiques qui ont entraîné la suspension des navires, privant ainsi la mission de moyens d'information et d'action et l'empêchant de mettre en oeuvre l'embargo sur les armes à l'encontre de la Libye.
L'élaboration de cette Stratégie globale a été suivie du lancement de la coopération structurée permanente (CSP) en mars 2018 par vingt-cinq États membres autour de trente-quatre projets.
Cette CSP inclusive ne correspond pas à ce que la France souhaitait ni aux dispositions du traité de Lisbonne, qui la réservait aux « États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires ».
Ce n'est donc pas l'avant-garde initialement imaginée, mais tous nos interlocuteurs en Europe nous ont indiqué en avoir une appréciation positive, ce qui est déjà une réussite en soi.
La CSP manque simplement d'une directive politique d'ensemble, qui en ferait une démarche ordonnée de comblement des lacunes capacitaires de l'Union. Elle doit s'inscrire dans le cadre d'une planification et ne pas répondre exclusivement à une logique de retour industriel aux États membres.
Par ailleurs, nous préconisons une réaffirmation claire du caractère obligatoire des engagements que les États prennent dans le cadre de la CSP. Les pays participants se sont en effet accordés sur vingt engagements, aux termes desquels ils promettent notamment d'augmenter leurs dépenses d'investissement et de recherche, de développer l'interopérabilité de leurs forces, mais aussi, de renforcer l'autonomie stratégique de l'Europe et sa base industrielle et technologique de défense.
Je voudrais maintenant aborder un point qui a beaucoup retenu notre attention dans nos travaux et dont beaucoup de personnes auditionnées ont souligné le caractère révolutionnaire : l'initiative de la commission européenne de créer un fonds européen de la défense (FEDef). Cette initiative lancée en 2016 et formalisée en 2018 a été approuvée par le Conseil au mois de février et par le Parlement au mois d'avril. Il s'agit de prévoir un fonds de soutien à la recherche en matière de défense d'un montant proposé de 13 milliards d'euros sur la période 2021-2027. Ces montants, qui devront encore être confirmés par le nouveau Parlement européen, se décomposent en 4,1 milliards d'euros pour la partie de recherche pure, et 8,9 milliards d'euros pour la partie R&D.
Pour cette partie R&D, le financement communautaire serait de l'ordre de 20 %. Il y aurait donc un effet de levier puisque les États membres apporteraient les 80 % restants.
Ce schéma reprend, d'une part, l'action préparatoire pour la recherche de défense, et, d'autre part, le plan européen de développement de l'industrie de défense (Pedid), ces deux outils provisoires ayant joué le rôle de prototypes du FEDef.
Il y a deux particularités fondamentales dans ces dispositifs : c'est la première fois que de l'argent communautaire finance une politique de défense, tournant majeur qui ramène l'Union européenne à sa vocation première, celle d'être une organisation destinée à protéger les peuples européens de la guerre ; en outre, pour être éligible, un projet doit être présenté par des entreprises d'au moins trois pays différents, ce qui veut dire que l'argent communautaire va servir à faire émerger une véritable BITDE. De plus, les projets seront en concurrence pour les crédits évalués selon ces critères, parmi lesquels leur apport en termes d'innovation de rupture ou leur contribution à l'autonomie stratégique européenne.
Comme le faisait remarquer un analyste, du fait de l'effet de levier, les montants sont tout à fait considérables. Pour la partie R&D, le financement des États membres représenterait 35,6 milliards d'euros, soit un total de 44,5 milliards d'euros de financement de R&D de défense sur la période, le tout dans cette perspective de coopération entre pays européens.
Il s'agit d'un dispositif remarquable. Il faudra néanmoins conserver quelques points de vigilance : tout d'abord, il faudra que le nouveau Parlement européen valide bien ces crédits ; ensuite, les projets retenus devront l'être pour leur efficacité, et non pas seulement dans une logique de cohésion ; enfin, les parlementaires nationaux devront être vigilants pour que cet apport nouveau d'argent pour la R&D de défense ne soit pas une justification pour les ministères du budget de réduire à due concurrence les crédits purement nationaux.
Enfin, il restera la question particulièrement sensible du statut des États tiers, c'est-à-dire les pays non membres de l'Union. Cela concerne en particulier deux pays, pour des raisons différentes : les États-Unis et le Royaume-Uni.
Pour ce qui est des États-Unis, la situation est simple : ils sont naturellement extrêmement hostiles à ce dispositif, car ils n'y ont pas accès. C'est pourtant parfaitement logique : on ne on ne voit pas pourquoi le contribuable européen devrait financer la R&D des entreprises américaines ! L'explication de cette hostilité tient plutôt à la crainte que suscite chez les Américains l'émergence d'une véritable BITDE, structurée autour de champions européens qui auront plus de facilité à l'avenir à séduire les clients européens dans la mesure où ils associeront nécessairement plusieurs pays de l'Union voire, pour les plus grands projets, une majorité d'entre eux. Nos amis américains savent que la concurrence sera plus rude ! Sur ce dossier, la partie n'est pas encore gagnée, mais il s'agit d'une avancée sans précédent pour la défense européenne.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Un dernier point sur lequel il nous semblait utile d'apporter un éclairage concerne le partenariat stratégique avec l'Allemagne dans le domaine capacitaire.
Comme vous le savez, la France s'est engagée à construire avec l'Allemagne le système de combat aérien du futur (SCAF) et le système de combat terrestre du futur, ou Main Ground Combat System (MGCS). Comme sans doute beaucoup d'entre vous, nous avons été informés des difficultés réelles qui sont apparues dans l'avancée de ces projets. Celles-ci tiennent pour l'essentiel à une remise en cause par une partie des interlocuteurs allemands du partage des tâches et du contrôle de ces projets.
Il faut être bien clair : ces projets ne peuvent être l'occasion pour l'Allemagne de récupérer les compétences aujourd'hui maîtrisées par la France qu'elle ne détient pas ni l'occasion pour Rheinmetall, dans le cas du MGCS, de prendre le contrôle de KMW+Nexter Defense Systems (KNDS). D'après les informations que nous avons recueillies, les difficultés ne viennent pas tant de l'exécutif que du Bundestag, sans doute en raison des intérêts locaux.
Je rappelle enfin le sujet que nous avons déjà évoqué en commission la semaine dernière : les difficultés rencontrées avec nos partenaires allemands en matière d'exportations.
Ces deux projets sont très ambitieux et s'inscrivent dans le long terme. Ils ne pourront réussir que s'ils sont équilibrés et bénéfiques pour les deux partenaires. Il nous reviendra, à nous parlementaires, de nous assurer que le Gouvernement tient bien cette ligne et aussi de relayer ce message auprès de nos collègues et amis du Bundestag.
Monsieur le président, vous nous avez indiqué la semaine dernière que vous comptiez bien vous saisir de ce dossier avec votre homologue : sachez que les rapporteurs de la mission « défense européenne » vous soutiennent entièrement dans cette démarche.
Le budget défense de l'Allemagne, pour la première fois, selon un document publié par l'OTAN le 25 juin 2019, vient de dépasser celui de la France : 47,3 milliards d'euros contre 44,3 milliards d'euros. Cela s'explique par l'augmentation du PIB allemand : ces dépenses représentent 1,35 % de leur PIB contre 1,84 % du nôtre.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - En conclusion, je voudrais souligner l'importance et la nouveauté des évolutions auxquelles nous assistons. La défense européenne a plus progressé ces trois dernières années qu'au cours des vingt années précédentes. Comme nous a dit un chercheur que nous avons auditionné, personne n'aurait pu imaginer il y a vingt ans que nous aurions les débats que nous avons aujourd'hui sur l'autonomie stratégique européenne et sur la défense européenne.
Beaucoup reste à faire, mais incontestablement les choses avancent dans la bonne direction.
Nous avons formulé douze propositions, que nous allons maintenant vous présenter.
Pour conforter les engagements de chacun des pays et forger les éléments d'une défense européenne à partir des initiatives existantes, travailler à la rédaction collective d'un Livre blanc européen de la défense, chaînon actuellement manquant entre la Stratégie globale de l'Union européenne, les processus capacitaires et les dispositifs opérationnels existants.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Créer les conditions d'une plus grande visibilité des enjeux de défense au sein des institutions européennes : direction générale défense et espace, voire création d'un poste de commissaire européen ou d'adjoint au Haut-Représentant dans ces domaines, reconnaissance d'une formation « défense » du Conseil, qui se réunit aujourd'hui sur les questions de défense en format « affaires étrangères ».
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Multiplier les échanges et les dispositifs de formation, ainsi que les exercices interarmées à l'échelle européenne, essentiels à la construction d'une culture stratégique commune. Au niveau militaire, la France doit participer davantage au dispositif d'Erasmus militaire, créer une session européenne, sur la base de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) afin de développer une vision stratégique commune des futurs décideurs, augmenter progressivement la capacité d'accueil dans les écoles de guerre afin de faciliter la formation commune des officiers, intensifier, sur le plan politique, les contacts avec nos partenaires européens, par exemple en mettant en place une université d'été de la défense européenne, qui soit une enceinte de réflexion et d'échange parlementaire.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - En conséquence du Brexit, créer à l'OTAN un nouveau poste d'adjoint au commandant suprême des forces alliées en Europe (Supreme Allied Commander Europe, ou SACEUR) réservé à un représentant d'un État membre de l'Union européenne en plus du poste déjà existant, traditionnellement réservé à un Britannique.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Mieux articuler les processus de planification capacitaire européens, les rendre cycliques et cohérents avec le processus structuré établi de longue date de l'OTAN.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Relancer la PSDC en concentrant les moyens là où l'Union européenne a la plus forte valeur ajoutée, ce qui est le cas en Afrique grâce à son « approche globale » combinant un volet militaire avec des volets diplomatique, économique et d'aide au développement. Renforcer par ailleurs les moyens de la capacité militaire de planification et de conduite récemment créée.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Défendre le budget proposé pour le fonds européen de défense dans le prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027, soit 13 milliards d'euros. Il faudra que ces crédits aillent à des projets d'excellence choisis pour leur apport à l'autonomie stratégique européenne et à la consolidation de la BITDE, et ne soient pas saupoudrés selon une logique de cohésion. Veiller à ce que le FEDef ne serve que les intérêts industriels de l'Europe. Prévoir un projet spécifique sur l'intelligence artificielle, enjeu transversal permettant d'associer aussi des États qui n'ont pas ou peu d'industries de défense.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Faire autant que possible de la coopération structurée permanente une démarche de comblement des lacunes capacitaires de l'Union européenne, cohérente avec le Livre blanc précédemment proposé, et réaffirmer le caractère obligatoire des engagements pris par les États dans ce cadre, s'agissant notamment de leurs stratégies d'acquisition, qui doivent être favorables au développement de la BITDE.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Préciser le fonctionnement de l'article 42, paragraphe 7, du traité sur l'Union européenne en attribuant un rôle d'information et de coordination à un organe de l'Union européenne, par exemple le Haut-Représentant. Réfléchir en amont aux hypothèses d'activation de cet article, ainsi qu'aux modalités de l'assistance requise, en tenant compte du retour d'expérience du déclenchement de cet article par la France en 2015.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Proposer comme priorité absolue de l'Union européenne la conclusion d'un traité de défense et de sécurité avec le Royaume-Uni, partenaire vital de la défense européenne, à qui nous devons proposer des solutions flexibles pour lui permettre de participer autant que possible aux dispositifs de l'UE - FEDef, CSP, Galileo, etc.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Les grands projets industriels franco-allemands sont structurants pour l'avenir de la défense européenne. Mais pour qu'ils aboutissent, il faut tenir un discours de vérité à notre partenaire allemand : sans accord clair sur les règles d'exportation, sans respect d'un partage industriel équilibré sur le long terme, c'est-à-dire sans sécurité sur les plans juridique et économique, ces projets ne pourront suivre leur cours. Ces projets doivent être un point de départ pour permettre à d'autres partenaires européens de les rejoindre afin de construire un vrai consortium européen.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Privilégier et encourager les dispositifs flexibles, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union européenne, c'est-à-dire les coopérations spontanées ou les mécanismes de mutualisation, à l'exemple de celui qui existe dans le domaine du transport aérien militaire, le European Air Transport Command d'Eindhoven (EATC), dont le principe mériterait d'être étendu à d'autres domaines - hélicoptères, soutien médical, par exemple.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Nous avons voulu aborder ce sujet sur plan politique plutôt que sur le plan capacitaire, pour que ce rapport se distingue de ceux, nombreux, qui ont été publiés antérieurement et qu'il s'inscrive dans le prolongement de celui, excellent, qui avait été publié en 2013.
M. Christian Cambon, président. - Je remercie nos rapporteurs pour ce travail de fond et d'actualisation d'un certain nombre de données sur l'Europe de la défense. Nous souscrivons à vos propositions. Nous mesurons à quel point ont été utiles et productives les rencontres régulières que nous avons eues avec nos collègues anglais pour mieux comprendre le Brexit. Par contraste, nous mesurons le déficit de communication avec nos amis allemands. Lundi prochain, je dois rencontrer mon homologue allemand, dans l'espoir d'aplanir nos difficultés en la matière.
De la même manière, le FEDef doit bénéficier à la BITDE ; les industriels ont en effet souligné le risque accru que les Américains, pour ne citer qu'eux, captent des marchés par le biais de filiales implantées en Europe.
Le nouveau traité de défense qui devra être signé avec le Royaume-Uni après le Brexit s'imposera de lui-même, et tout montre que cette volonté est partagée.
S'agissant de l'expérimentation de mécanismes de mutualisation tels que l'EATC, j'adhère à cette idée. Construisons l'Europe comme on l'a fait à travers l'accord Capacité motorisée (ou CAMO) : c'est ce que j'appelle la politique des briques. Je me suis exprimé cette semaine au sujet du drone MALE : pour concurrencer le Reaper, nous avons besoin d'un drone léger ; or les Allemands, pour faire de la surveillance urbaine, proposent un drone pesant onze tonnes et équipé de deux moteurs, ce qui le rendrait difficilement exportable.
Avant que les uns et les autres ne prennent la parole, j'indique que j'ai été mandaté par le Bureau pour faire respecter strictement les temps de parole. Nous sommes en revanche convenus unanimement de ne recourir à la procédure d'un orateur par groupe que lorsqu'il existe des contraintes horaires.
M. Joël Guerriau. - Cet exposé rompt avec cette ambiance pessimiste qu'on a connue les années précédentes. Un certain nombre d'indices indiquent que nous allons finalement dans la bonne direction. La création du fonds européen constitue un événement majeur. Au-delà, qu'est-ce qui, dans les contacts que vous avez eus, serait de nature à conforter cet optimisme ?
M. Olivier Cigolotti. - Merci pour la clairvoyance de ce rapport et l'objectivité de vos propositions. Vous avez dit qu'aucun État européen n'était en mesure de soutenir sa BITD, d'où l'intérêt d'une BITDE pour faire face à des États comme la Russie et la Chine. Or on a le sentiment que la défense européenne fait peur tant à l'extérieur - M. Trump évoque régulièrement une sortie éventuelle de l'OTAN et Washington accuse l'Union européenne d'écarter les firmes américaines des projets de défense - qu'à l'intérieur, les États membres conservant l'illusion de leur souveraineté. Ces peurs peuvent-elles être surmontées ?
M. André Vallini. - La défense européenne, l'Europe de la défense : cela me fait penser aux exportations d'armes, notamment vers l'Arabie Saoudite. Il conviendrait que l'Europe harmonise ses positions, entre l'Allemagne qui déclare ne plus en exporter, alors qu'elle le fait par pays détournés, et la France qui poursuit ses exportations alors qu'elle ne devrait plus le faire.
S'agissant du fonds européen de défense, chaque pays pourra-t-il prendre des initiatives en matière de recherche et développement dans le domaine du matériel militaire, d'armement et de défense en étant subventionné par l'Europe ou bien faudra-t-il un minimum de pays ?
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Au moins trois pays.
M. Ladislas Poniatowski. - Vous dites que le budget défense des Allemands est supérieur au nôtre. Où vont ces 47 milliards d'euros ? La moitié de leur flotte de sous-marins reste à quai !
M. Christian Cambon, président. - La totalité !
M. Ladislas Poniatowski. - N'existe-t-il pas un subventionnement déguisé des entreprises allemandes d'armement, particulièrement performantes, et qui parfois nous dament le pion ?
M. Richard Yung. - Cela sert peut-être à payer les retraites !
Les Britanniques, comme cela été dit, souhaitent continuer à participer à l'effort de défense européen. Pour autant, on a du mal à concevoir quelle forme prendrait cette participation. Nous avons essayé de construire avec eux un porte-avions, et cela n'a pas marché.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Merci pour ce très intéressant rapport, qui fait suite à celui de 2013, qui, au sujet de l'Europe de la défense, parlait d'un « fatras conceptuel intraduisible pour nos partenaires européens ». C'est encore un peu le cas : les Européens n'en veulent pas et les Américains exercent une pression considérable, encore récemment sur le Parlement européen au sujet des achats.
Lors du dernier conseil d'administration de l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), il a été annoncé que la voilure allait être réduite, en particulier à l'international. Comment faire alors pour aller de l'avant ?
Au sujet du SCAF, celui-ci comportera des éléments nucléaires. Or l'Allemagne a adopté une position antinucléaire. Comment surmonter cette contradiction ?
M. Robert del Picchia. - Une partie du budget militaire allemand est destinée à aider les centres de recherche civils qui ont une activité duale pouvant bénéficier aux militaires. J'ai un exemple en tête à côté de Munich.
Le Livre blanc, pourquoi pas, mais c'est un vaste programme ? Pour ne prendre que cet exemple, que voudra y inscrire l'Autriche, dont la neutralité permanente est inscrite dans sa constitution ?
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Beaucoup de nos interlocuteurs ont été surpris que nous venions les écouter, habitués à ce que la France soit force de proposition. Le sentiment global a été positif. Pour autant, nous avons été surpris par certaines de nos rencontres. Au Bundestag, notre interlocuteur, porte-parole sur les questions de défense au SPD, a défendu l'idée d'une armée européenne, ce à quoi nous ne nous attendions pas. En Pologne, nos interlocuteurs ont une position qui s'explique par l'Histoire. Les Polonais considèrent qu'il n'y a pas de défense européenne possible sans les Américains. C'est ainsi qu'ils veulent construire une base américaine, gérée par les Américains avec des missiles dont le déclenchement serait décidé par les Américains. Quelqu'un nous a dit que la Pologne se comportait comme un État américain sur le territoire européen.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Tous nos déplacements ont donné lieu à des surprises. Les visions développées par certains de nos interlocuteurs nous ont fait tomber de notre chaise. Le député du SPD dont a parlé Mme Hélène Conway-Mouret nous a dit qu'il était favorable à une armée européenne qui serait créée ex nihilo. C'est une idée à laquelle nous n'adhérons absolument pas. Il a précisé néanmoins - le SPD est membre de la coalition au pouvoir en Allemagne - qu'il émettait une opinion personnelle. Il faut savoir qu'il existe au sein du SPD un profond mouvement pacifiste qui a une influence considérable sur la politique allemande. Plus tard, un député CSU nous a expliqué que son parti avait rendu publique une position favorable à une armée européenne.
En Roumanie et en Pologne nos interlocuteurs nous ont dit craindre une menace depuis leur flanc est.
M. Christian Cambon, président. - M. Wolfgang Hellmich, président de la commission de la défense au Bundestag, nous indiquait que, selon un sondage récent, 86 % des Allemands souhaitaient le rapatriement des forces allemandes déployées à l'étranger, notamment dans le cadre d'opérations des Nations unies. Les positions des députés allemands sont atomisées, contrairement à ce qu'on constate chez nous.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Pour répondre à M. Olivier Cigolotti, nous avons constaté une volonté d'avancer sur la BITDE. Certes, il existe des réticences pour des raisons économiques - certains pays n'ont pas d'industries d'armement ni la capacité d'investir. De même, certains pays de l'est de l'Europe craignent d'irriter les Américains - M. Donald Trump, très imprévisible, a déjà menacé de quitter l'OTAN. Le FEDef permettra d'aider un certain nombre de pays. Si les projets, nécessairement présentés par au moins trois pays - un pays leader et deux autres -, dans les domaines de l'innovation et de la recherche, sont agréés, ils bénéficieront de l'aide du FEDef à hauteur de 20 %. Nous avons insisté sur l'importance de l'intelligence artificielle et du numérique, qui nécessitent des investissements moins importants au départ.
Le sentiment de faire partie de cette grande famille européenne peut aussi apaiser les peurs.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - En effet, certains de nos interlocuteurs nous ont donné le sentiment que la défense européenne pouvait faire peur. Depuis le discours de Barack Obama sur le pivot asiatique, la politique américaine a été réorientée dans cette direction - sans changement depuis lors. Tous nos interlocuteurs avaient en tête la déclaration de Donald Trump, qui a semblé indiquer que l'article 5 du traité de l'OTAN ne serait pas automatiquement appliqué en cas d'attaque du Monténégro. Une réponse, qui est notamment celle de la France, est de considérer que l'Europe ne pourra pas éternellement compter sur les États-Unis pour assurer sa sécurité et devra un jour la prendre davantage en main. D'autres États veulent tout faire pour empêcher ce mouvement, en considérant que la promotion d'une défense européenne risquait d'accélérer un éventuel désengagement américain. Comment surmonter ces divergences ? Nous avons évoqué les trente-quatre projets de la coopération structurée permanente, qui avancent, ou le fonds européen de défense - La Commission européenne propose 13 milliards d'euros sur la période 2021-2027. L'idée de ce fonds est de créer une base européenne à partir de projets reposant sur des industriels issus de trois pays différents au minimum. Si le projet s'inscrit parmi les trente-quatre projets évoqués à l'instant, il bénéficie d'un bonus supplémentaire. C'est également le cas si les industriels font appel à des PME ou des ETI d'autres États, la participation pouvant alors atteindre 50 %.
M. Ladislas Poniatowski a soulevé un point très important : son industrie est ce qu'il y a de plus important pour l'Allemagne. Un Allemand sur sept travaille de près ou de loin pour l'industrie automobile ! Indiquons aussi que les soldes des militaires allemands sont largement supérieures à ce qu'elles sont en France, de même que le niveau de confort des casernes militaires allemandes. Ce n'est pas dans les opérations extérieures que les Allemands dépensent leur argent - l'Allemagne compte 3 300 hommes en OPEX contre 10 000 pour la France.
Parlons aussi de l'Eurodrone, sur lequel travaillent la France, l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne, chacun de ces pays s'étant engagé à en passer une commande préalable pour son financement : sept pour l'Allemagne, cinq pour l'Italie et l'Espagne et quatre pour la France.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Le directeur général de l'Agence européenne de défense nous a dit que le Royaume-Uni n'avait jamais été aussi volontariste pour présenter des projets en matière de défense que depuis le vote du Brexit ! En quittant l'Union européenne, les Britanniques perdent tous les accès aux outils qui existent. L'idée de ce traité, c'est de voir comment l'armée britannique - que nous connaissons bien à travers les OPEX et des actions de formation conjointes - pourrait se voir faciliter l'accès à ces différents outils pour arrimer le Royaume-Uni au continent européen.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - À bien des égards, le partenaire naturel de la France, c'est le Royaume-Uni. Nous sommes membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, nous disposons de l'arme atomique, dont les doctrines d'emploi sont similaires. On ne retrouve ce degré de proximité nulle part ailleurs.
Nous sommes favorables à ce que le Royaume-Uni participe à un conseil de sécurité européen, idée développée par les dirigeants français et allemand. Il faut ancrer ce pays dans la politique européenne de sécurité et de défense, ne serait-ce que pour des raisons géographiques.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Nous collaborons étroitement avec le Royaume-Uni dans le domaine du renseignement, et il ne faut pas dissocier sécurité et défense.
Madame Garriaud-Maylam, vous connaissez bien l'IHEDN pour en être administratrice. Nous proposons de créer une sorte d'IHEDN européen à Bruxelles, sur le modèle français, qui rassemble pendant une année des militaires, de hauts fonctionnaires et des civils. Cela fonctionne très bien et permet de sensibiliser de futurs décideurs aux questions de défense et de sécurité.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - La plupart des pays vous répondront qu'une telle structure est inutile compte tenu de l'existence de l'OTAN. C'est en tout cas la réponse que m'avait faite son secrétaire général lorsque je l'avais interrogé sur la complémentarité entre l'Union européenne et l'OTAN en matière de défense. Il m'avait répondu qu'après le Brexit, 85 % de la défense européenne serait assurée par des pays n'appartenant pas à l'Union européenne.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Rien n'empêche de commencer avec deux ou trois pays.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Rappelons que le Brexit va amputer le budget du Royaume-Uni, qui n'aura peut-être pas les moyens d'avancer.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Sur le SCAF, il faut signaler, ce que peu d'Allemands savent, que des pilotes allemands pourraient être amenés à piloter des jets dotés d'armes nucléaires installées sur leur sol, et que des entraînements ont lieu quotidiennement.
La remarque de M. Robert del Picchia est tout à fait juste. Nous utilisons souvent des termes qui sont intraduisibles ou difficilement traduisibles, par exemple « Europe de la défense », cependant que d'autres n'ont pas le même sens d'un pays à l'autre. C'est pourquoi il faut mener un travail pour sortir de ce flou artistique, objet de ce Livre blanc européen : il faut définir des termes sur lesquels tout le monde se mettra d'accord.
Nous pensions que les Européens pouvaient être classés en deux catégories : ceux qui craignent une menace sud et ceux qui craignent une menace est. Nous en avons trouvé une troisième : ceux qui ne se sentent pas menacés. À partir de là, il est difficile de trouver des solutions en commun.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - L'idée du Livre blanc, c'est de mettre tout le monde autour de la table pour éviter toute duplication avec l'OTAN. Le discours de la Sorbonne du président français, ainsi que sa déclaration sur une armée européenne, nous ont conduits à parler de ce sujet. Et ce Livre blanc doit aussi nous permettre d'éviter que la France ne soit perçue comme voulant imposer sa vision à l'ensemble des autres pays. Il faut enclencher une réflexion stratégique au niveau européen : dans un certain nombre de pays, l'autonomie stratégique est un véritable chiffon rouge, parce qu'elle est synonyme d'indépendance vis-à-vis des États-Unis.
M. Christian Cambon, président. - Merci encore pour ce travail, qui remet à niveau les connaissances de la commission et qui lui fait honneur. La synthèse de ce rapport fera l'objet d'une traduction.
M. André Vallini. - Ce rapport me fait penser à celui que nous avions rédigé en 2013 avec nos anciens collègues Xavier Pintat, Jacques Gautier et Daniel Reiner.
Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure. - Vous figurez tous en bonne place dans notre rapport !
Mme Christine Prunaud. - Je vous félicite de ce travail et de l'intérêt qu'il suscite. Malgré tout, nous voterons contre. J'ai apprécié les réserves que vous avez formulées à l'égard de cette défense européenne qui ne concernait que la France et l'Allemagne. Il serait souhaitable que d'autres pays aient un pouvoir de décision. Pour mon groupe, le problème est de savoir ce que serait l'indépendance de cette défense européenne par rapport à l'OTAN, organisation dont nous contestons l'utilité. Qui commandera ? Qui assurera la gouvernance de cette future défense européenne ? L'OTAN ? Quelle autonomie stratégique par rapport à celle-ci ?
M. Christian Cambon, président. - C'est donc une opposition constructive...
Mme Gisèle Jourda. - Pour ma part, je m'abstiens.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Situation en Turquie - Examen du rapport d'information
M. Christian Cambon, président. - L'ordre du jour appelle la présentation du rapport de nos collègues Ladislas Poniatowski et Jean-Marc Todeschini sur la situation en Turquie.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - La politique étrangère de la Turquie a récemment évolué : ainsi le pays s'est-il davantage tourné vers le Moyen-Orient et le monde musulman depuis quelques années puis, plus récemment, vers la Russie.
Le basculement de la Turquie vers le monde musulman s'est produit à partir de 2007. Le ministre des affaires étrangères puis Premier ministre, Ahmet Davutoglu, nous a expliqué que l'objectif était de revenir à la grandeur passée de la Turquie et de la faire sortir du giron occidental, afin qu'elle se projette de manière autonome dans un monde s'étendant du Maroc à l'Indonésie, aussi bien dans les domaines économique, culturel et spirituel.
La Turquie a noué des relations étroites avec la Syrie, l'Irak, le Kurdistan irakien, certains pays du Golfe, le Maghreb et les pays d'Asie centrale. Elle a aussi cherché à s'affirmer comme médiatrice dans certains conflits, comme celui entre la Russie et la Géorgie ou entre la Syrie et Israël, ou encore comme modèle au début des printemps arabes.
Cette politique de puissance et d'influence s'est traduite par un renforcement impressionnant du réseau diplomatique turc, devenu le cinquième du monde. Le pays a ouvert 45 ambassades en Afrique depuis l'arrivée de l'AKP au pouvoir et l'aide publique au développement augmente rapidement.
L'extension de la puissance turque a également pris appui sur la présidence des affaires religieuses (Diyanet), dont le budget est actuellement très supérieur à celui des affaires étrangères du pays : celle-ci est un instrument d'influence considérable, notamment en direction de la diaspora en Europe. Souvenons-nous de la présence du ministre turc des affaires étrangères sur le sol français lors de la dernière élection présidentielle turque...
Toutefois, ce modèle comporte de graves faiblesses.
La Turquie est une puissance émergente qui n'a pas tout à fait les moyens de ses ambitions. Elle a le taux de dépendance énergétique le plus élevé de tous les pays émergents. Son « islamisme conservateur d'État » inquiète les Occidentaux comme ses voisins, y compris musulmans, qui craignent un néo-ottomanisme. Elle est également restée au milieu du gué sur la question kurde. Malgré ses velléités d'indépendance, la Turquie apparaît aujourd'hui comme subordonnée aux grandes puissances : le lien avec les États-Unis reste ainsi très fort.
Toutes ces faiblesses expliquent que la crise syrienne ait en grande partie mis à bas les ambitions régionales de la Turquie.
La diplomatie turque a vite montré ses limites. Erdogan a dû tourner le dos à Bachar al-Assad et a soutenu l'ensemble de la rébellion, jusqu'à adopter une attitude plus qu'ambigüe vis-à-vis de Daech, ce qui a placé la Turquie dans une situation inconfortable. Aux yeux de ses voisins, la Turquie est vite apparue comme une puissance interventionniste prosunnite, alors qu'elle se voulait au-dessus de la mêlée. Ultime revers, la Russie est intervenue pour soutenir le régime syrien en septembre 2015. Les autorités turques l'ont mal pris à l'époque et ont intentionnellement fait abattre un avion russe au-dessus de la frontière.
La Turquie doit surtout affronter un afflux massif de réfugiés syriens, qui représentent près de 3,6 millions de personnes. Il faut rendre hommage à la manière dont la Turquie les a pris en charge. L'Union européenne a certes lancé deux programmes d'aides de 3 milliards d'euros chacun, mais ce soutien est à relativiser : les autorités nous ont en effet affirmé que l'accueil de ces réfugiés avait coûté 35 milliards de dollars. Aujourd'hui, ces réfugiés bénéficient d'un accès gratuit aux écoles et à la santé : 85 % des enfants sont ainsi scolarisés.
À partir de 2016, la Turquie est parvenue à redresser en partie la situation au prix d'un rapprochement avec la Russie. Cela s'est concrétisé par la participation turque au processus d'Astana en mai 2017, duquel il n'est pas sorti grand-chose, si ce n'est une implantation renforcée de la Russie au Proche-Orient. Malgré l'affirmation de sa puissance, la Turquie est aujourd'hui dans une situation très délicate.
En résumé, sous l'effet de la guerre en Syrie, la Turquie est passée en quelques années d'une posture de puissance moyenne cherchant à séduire par son soft power à une posture plus martiale, mais aussi plus inconfortable et largement subordonnée à la Russie.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. - Sur le plan politique intérieur et s'agissant de l'évolution de la société turque, nous avons observé des évolutions contrastées, voire pour le moins inquiétantes, dans la période récente.
Depuis le XIXe siècle, le développement politique de la Turquie s'articule autour de deux modèles étatiques concurrents. Le premier s'inspire des règles du libéralisme politique quand le second, dans un souci d'efficacité, importe des modèles plus étatistes, autoritaires, voire dictatoriaux et identitaires, qui ont pu conduire au génocide arménien ou, dans la période plus récente, à une gestion essentiellement sécuritaire de la question kurde et à une guerre sanglante contre le PKK, qui a causé plus de 35 000 morts de 1984 à 1999.
La République de Turquie fondée par Kemal Atatürk a recréé un État unitaire puissant, ancré sur la fondation et l'exaltation de l'unité de la nation turque, le contrôle de la religion pratiquée par 95 % de la population, l'islam, une modernisation certes dirigiste de l'économie et de la société, mais avec des avancées comme le vote des femmes ou l'éducation obligatoire. Cela étant, ce n'est pas une démocratie, c'est un régime à parti unique.
Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour constater une compétition électorale relativement ouverte, mais les institutions politiques apparemment démocratiques restent sous la tutelle de l'armée, gardienne du dogme kémaliste, mais aussi de l'ancrage dans l'Alliance atlantique en période de Guerre froide. L'armée intervient pour éviter tout désordre ou dérive, soit violemment au travers de coups d'État à répétition - 1960, 1971, 1980 -, soit via des pressions plus subtiles - 1994, 1997. Cette démocratie électorale, sous tutelle militaire, n'est pas le meilleur exemple de respect des droits de l'homme malgré l'adhésion de la Turquie au Conseil de l'Europe dès 1950 et la ratification de la Convention européenne des droits d'homme en 1958.
Cette situation va évoluer au début des années 2000 pour deux raisons : tout d'abord, l'influence de l'option géostratégique européenne, objectif majeur partagé par l'ensemble des forces politiques et économiques comme par les autorités militaires de tutelle ; ensuite, l'évolution de la société dans le contexte post-guerre froide et de la mondialisation.
La compétition politique va conduire à l'arrivée au pouvoir en 2002 de l'AKP, un parti conservateur d'inspiration islamiste, mais démocrate et rassembleur, dirigé par une personnalité charismatique, Recep Tayyip Erdogan. Ce parti a remporté depuis lors toutes les élections législatives et tous les référendums constitutionnels.
Cette stabilité au pouvoir et le cadre incitatif des négociations pour l'entrée dans l'Union européenne vont lui permettre de réaliser une évolution institutionnelle importante, ainsi que des progrès significatifs dans le domaine des droits de l'homme. Ils vont même contribuer au passage d'un traitement « tout sécuritaire » de la question kurde au développement économique des régions kurdes et à des avancées dans les domaines de l'éducation, de la culture et des médias, jusqu'à l'ouverture d'un bien éphémère processus de négociation avec le PKK de 2012 à 2015.
Cette stabilité permet également le développement économique remarquable du pays qui bénéficie à une très large partie de la population. Aujourd'hui, la Turquie assure largement l'emploi de sa population active. Le niveau de vie a augmenté, le pays s'est urbanisé et le niveau éducatif s'est élevé. Une grande partie de la population vit selon les standards du monde occidental et partagent ses valeurs, même si un clivage existe sur les questions religieuses, avec l'émergence dans le débat politique d'un courant islamiste soucieux de conserver des traditions auxquelles une grande partie de la population demeure attachée. Cette partie de la population est le socle électoral de l'AKP.
Beaucoup de facteurs laissent penser que ces évolutions, qui ont suscité beaucoup d'espoir, ont commencé à s'inverser dans la période récente.
La concentration du pouvoir par Erdogan et le recul de l'État de droit que l'on observe depuis quelques années peuvent trouver une explication dans l'existence d'un contexte sécuritaire plus incertain, mais ce n'est peut-être pas la seule.
Ils répondent à des résistances pouvant venir aussi bien des cercles kémalistes écartés du pouvoir, mais encore actifs, que de courants islamistes rivaux, comme celui de l'imam Fethullah Gülen, ou encore de la détérioration de la situation au Kurdistan. Ces reculs démocratiques n'en apparaissent pas moins comme disproportionnés et inadmissibles lorsqu'ils ont pour conséquence de réduire toute forme d'expression politique et d'influencer les processus démocratiques.
Cette évolution est le fruit d'une réforme constitutionnelle ouvertement présidentialiste. La première élection du président au suffrage universel direct a été remportée par Erdogan en 2014. La réforme constitutionnelle adoptée par référendum en 2017 supprime la fonction de Premier ministre et instaure un régime présidentiel. Toutefois, ce régime est déséquilibré, car il n'y a pas de véritable séparation des pouvoirs ni de contre-pouvoirs forts. Le Président concentre tout le pouvoir exécutif et dirige de fait la majorité parlementaire. Au cours de la même période, Erdogan a repris en main l'AKP, en contrôlant toutes les nominations et investitures et en évinçant non seulement les proches de M. Gülen, mais aussi les cadres historiques de l'AKP qui auraient pu se positionner en rivaux.
En outre, le contrôle des institutions militaires, administratives et judiciaires est de plus en plus étroit. Des épurations massives ont eu lieu à la suite du coup d'État déjoué en 2016, notamment pendant la période de l'état d'urgence qui a duré deux ans. Selon un rapport de la Commission européenne, 115 158 fonctionnaires ont été mis à pied et 78 000 personnes ont été arrêtées en deux ans. Selon les chiffres du ministère turc de la justice, 3 239 personnes ont été condamnées à l'issue de 261 procès, 28 procès restant à venir. Ces personnes écopent de très lourdes peines, comme les 151 individus condamnés à la prison à vie la semaine dernière. Le pouvoir contrôle, en outre, non seulement les médias publics, mais aussi une part importante de la presse écrite et audiovisuelle.
Parallèlement, la crise syrienne n'a pas été sans conséquence sur le plan intérieur.
La part active qu'ont prise les forces kurdes des YPG - acronyme désignant les unités de protection du peuple, historiquement liées au PKK - dans la lutte contre Daech et leur montée en puissance ont été vécues comme une grave menace par les autorités turques. De nombreux jeunes kurdes ont rejoint ou soutenu ces forces. Le gouvernement turc a décidé de fermer la frontière et de les combattre directement. Ceci a déclenché des manifestations puis une forme de guérilla urbaine dans les villes kurdes. La crainte d'un embrasement a conduit à la destitution des maires appartenant au parti kurde HDP au profit de fonctionnaires et à l'arrestation de certains parlementaires comme le président du HDP, M. Demirtas. Des politiques répressives ont été mises en oeuvre, y compris le déplacement de populations via des opérations de « rénovation urbaine ». Bien entendu, le processus de négociation avec le PKK a été interrompu et des opérations militaires sur le territoire national et au nord de l'Irak se poursuivent.
La situation d'insécurité croissante et la fin récente des dérogations au régime de sanctions contre l'Iran, son principal fournisseur de pétrole, ont entraîné un ralentissement économique. Compte tenu de sa démographie, la Turquie a besoin d'une croissance économique soutenue. Faute d'épargne interne suffisante, elle a besoin de capitaux extérieurs. L'instabilité accroît le coût de ce financement, ce qui entraîne une inflation élevée : 17 % l'an dernier. Le ralentissement implique un tassement de l'emploi et du niveau de vie, ce qui a également des incidences sur la popularité du gouvernement.
Globalement, on observe une répression massive de toute forme d'opposition. La répression des manifestations dans le quartier de Gezi à Istanbul en 2013 a marqué un tournant. Toute critique est assimilée à une complicité de terrorisme. Cela n'est cependant pas allé jusqu'à l'interdiction des partis d'opposition et la suspension de toute liberté d'expression. Le pouvoir a jusqu'à présent compris les conséquences que pourraient avoir de telles mesures sur le plan intérieur, sur le plan économique et sur le plan diplomatique.
Pour autant, la situation doit être surveillée de très près et les atteintes aux droits dénoncées sans relâche. Cette dérive commence à affecter le système électoral jusqu'ici préservé. On l'a vu lors des dernières élections municipales : les conditions dans lesquelles se déroulent les compétitions ne sont plus égalitaires, notamment l'accès aux médias, en raison des pressions très fortes exercées par le pouvoir, y compris dans son opiniâtreté à contester les résultats qui lui sont défavorables.
On observe également le resserrement politique de l'AKP : le parti a aujourd'hui un discours plus clivant sur le plan politique avec le développement d'une rhétorique nationaliste et religieuse fondée sur l'exaltation du passé ottoman, une tendance à s'inventer assez systématiquement des ennemis intérieurs ou extérieurs sans admettre ses propres insuffisances, et une incapacité à regarder son histoire en face. En outre, les programmes de grands travaux ont été lancés dans un contexte moins favorable sur le plan économique et social marqués par la révélation d'affaires de clientélisme et de corruption.
Cela étant, le raidissement de l'AKP ne lui assure pas de meilleurs résultats dans les urnes et n'est sans doute pas suffisant pour lui assurer un soutien pérenne de l'opinion publique turque. Les dernières consultations ont plutôt marqué l'émergence du HDP et le renouveau du parti kémaliste historique, le CHP, ce qui traduit une forme de lassitude à l'égard des dirigeants au pouvoir depuis dix-sept ans.
Le président Erdogan a certes remporté les élections présidentielles de 2014 et de 2018 dès le premier tour, mais ses scores n'ont pas excédé 53 % des suffrages. L'AKP a du mal à remporter la majorité des sièges à l'Assemblée : la première élection de 2015 fut un revers, et celle de 2018 l'oblige à s'appuyer sur un parti d'extrême droite, le MHP. Aux dernières municipales, si l'Alliance AKP/MHP reste majoritaire en voix sur l'ensemble du territoire, elle a perdu quelques grandes villes conquises de longue date par l'AKP comme Ankara et Istanbul. La victoire éclatante du CHP Ekrem Imamoglu lors de l'élection rejouée le 23 juin dernier est bien le symbole de cette lassitude. Il est néanmoins encore trop tôt pour tirer toutes les conclusions de ce message adressé par l'opinion publique.
Quoi qu'il en soit, ce recul persistant et très inquiétant de l'État de droit et des droits fondamentaux rend impossible toute reprise du processus de négociation en vue de l'adhésion à l'Union européenne comme la modernisation de l'union douanière. Aujourd'hui, la déception est à la mesure des espoirs suscités. Elle nourrit également le scepticisme naturel et l'inquiétude des Européens face à cette intégration, d'autant que le contexte s'est assombri en raison des chocs migratoires, de la menace terroriste islamiste, de la montée des courants populistes et identitaires, comme de l'islamophobie en Europe.
Il est difficile d'affirmer que l'évolution de l'État de droit en Turquie n'est qu'une orientation conjoncturelle pour faire face à des menaces sécuritaires récentes. Je crains qu'il ne s'agisse aussi d'une orientation destinée à se maintenir à tout prix au pouvoir, ce qui éloignerait encore davantage la Turquie des standards européens et compromettrait son aspiration à rejoindre l'Union européenne.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Même si notre constat est sévère, nous n'avons pas l'intention de rompre avec la Turquie. Au contraire, je suis convaincu qu'il est nécessaire de la rattacher au monde occidental et à l'Europe.
Il faut, selon nous, distinguer court terme et long terme. Actuellement, l'alliance russe présente des avantages certains. La Russie ne dit mot sur les droits de l'homme, soutient la Turquie contre les gülenistes, tolère les offensives turques en Syrie, lui vend son gaz à prix compétitif et des missiles dernier cri, les S-400, et il y a même des discussions pour de futurs S-500. Surtout, elle a le leadership sur le théâtre syrien tandis que l'on assiste à un désengagement américain.
Sur le plus long terme, en matière économique, malgré un discours orienté vers le Moyen-Orient, les exportations de la Turquie se font toujours à 51 % vers l'Europe. Plus des trois quarts des investissements directs à l'étranger en Turquie proviennent de pays de l'Union européenne. Comme nous l'ont expliqué les patrons de la Tusiad, le Medef turc, pour une économie ouverte et sans grandes ressources énergétiques comme celle de la Turquie, rester aux standards occidentaux est vital. Sinon, la monnaie se déprécierait et les investissements cesseraient. En outre, c'est bien l'Union européenne qui a engagé 6 milliards d'euros pour aider la Turquie à prendre en charge les réfugiés syriens.
Il existe aussi de solides raisons pour que la Turquie ne rompe pas avec l'Occident. Ainsi, les experts que nous avons interrogés ne la voient pas sortir de l'OTAN à moyen terme. Pour le moment, elle y remplit d'ailleurs toujours son rôle correctement.
Actuellement, la Turquie se sert de son rapprochement avec la Russie pour « punir » les Occidentaux. Erdogan joue un rôle ambigu et pragmatique : il espère pouvoir acheter des missiles russes, tout en ne rompant pas avec les États-Unis pour obtenir des avions de chasse F-35.
Il est primordial de garder des liens très forts avec la Turquie dans les domaines de la coopération et de la sécurité.
Depuis les accords Cazeneuve de septembre 2014, 231 Français passés par la Syrie ont été rapatriés de Turquie et judiciarisés. En échange de cette coopération, les Turcs demandent l'extradition de membres du PKK, ce que la France se refuse toujours à faire, à juste titre selon moi.
Deuxième aspect essentiel, malgré la crise économique qu'elle traverse, la Turquie reste un marché de plus de 80 millions d'habitants, en majorité jeunes, culturellement proches de l'Occident et bien formés. Elle est notre quatorzième partenaire commercial avec 6 milliards d'euros d'exportations en 2017 pour 14 milliards d'euros d'échanges, et un objectif affiché de 20 milliards d'euros à brève échéance. Les chefs d'entreprise français que nous avons rencontrés à Istanbul nous ont expliqué combien la Turquie était essentielle pour se projeter au Moyen-Orient et en Asie centrale.
Troisième aspect, la question des réfugiés. La Turquie verse parfois dans une forme de chantage, mais il est clair qu'il faut continuer à la soutenir : il faudra que les financements européens se poursuivent au-delà de la réalisation des accords FRIT 2, avec le concours de la France.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. - Sur le plan intérieur, la Turquie est entrée dans une période d'incertitude politique qui inquiète ses partenaires internationaux. Dans ce contexte, quelle peut être la position de la France et de l'Union européenne ? Quelles recommandations pouvons-nous formuler sur l'attitude de notre pays et de notre diplomatie sur ces aspects de politique intérieure ? On ne peut pas se dire à la fois optimiste et pessimiste, ni être d'un optimisme béat face à la situation.
Nous ne pouvons pas renoncer à construire une relation avec un pays appelé à jouer un rôle important sur la scène internationale du fait d'une position géographique stratégique, ni à soutenir son développement démocratique. La position française doit faire preuve de réalisme. Elle doit être fondée sur une logique d'intérêts et de valeurs, mais il faut aussi utiliser les leviers dont nous disposons. M. Poniatowski en a évoqué certains, en lien avec la diplomatie, la défense, la sécurité et le commerce extérieur. Nous devons promouvoir nos valeurs.
Sur ce point, la France et l'Union européenne doivent maintenir une position constante, ferme et exigeante en matière d'État de droit et de respect des droits fondamentaux. Ces valeurs constituent le socle, auquel la Turquie a souscrit, des conditions d'ouverture des négociations d'adhésion. Il s'agit de rappeler ces exigences à chaque fois qu'elles ne sont pas respectées, mais aussi de souligner les progrès réalisés, comme l'annonce récente d'une réforme de la justice, qu'il faudra toutefois observer de près. La Turquie doit également renforcer sa coopération avec le Conseil de l'Europe, donner suite à ses recommandations et mettre en oeuvre tous les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme.
Il est clair de ce point de vue que le processus de négociation en vue de l'adhésion constitue toujours un levier efficient. Le gouvernement turc comme les entrepreneurs considèrent que ce maintien est un élément d'incitation à la modernisation du pays par un alignement sur les normes européennes. Son interruption aboutirait à une dégradation de la réputation de la Turquie sur la scène internationale, notamment sur le plan économique, alors que la Turquie est une économie ouverte, dont la croissance dépend des investissements étrangers. Les partis politiques d'opposition que nous avons rencontrés - CHP, HDP -, la société civile et les associations de promotion des droits de l'homme ont besoin de ce processus, qui contribue à maintenir l'ancrage démocratique de la Turquie. Ces arguments s'ajoutent à ceux développé par M. Poniatowski en matière de politique extérieure.
Renoncer à ce processus, c'est perdre un levier important et décevoir une grande partie de l'opinion publique turque, même si l'issue de ce processus est lointaine et improbable. Ceci vaut naturellement pour toutes les participations de la Turquie à des instances multilatérales soutenant nos valeurs démocratiques, comme l'OTAN ou le Conseil de l'Europe.
Nous devons également continuer à utiliser tous les moyens de notre diplomatie d'influence pour nous adresser à l'ensemble de la société civile turque en matière culturelle, éducative, universitaire, environnementale et économique. La France bénéficie d'une bonne réputation et d'une réelle implantation en Turquie, mais elle doit développer une approche plus large en développant les moyens audiovisuels et numériques, au besoin d'ailleurs en coopération avec d'autres partenaires européens. Comme l'a souligné mon collègue, elle doit également encourager ses entreprises à développer leurs relations commerciales comme leurs investissements.
Ainsi, la fermeté ne doit pas être exclusive de tout dialogue. La France et l'Europe n'ont aucun intérêt à ce que l'instabilité gagne la Turquie et la pousse à rechercher de nouvelles alliances.
Il faut être conscient que la déception éprouvée par la Turquie devant l'incompréhension par ses alliés occidentaux de ses priorités sécuritaires, et le tournant très nationaliste du pouvoir, font que les Occidentaux sont regardés avec méfiance. Tout évènement, toute action ou parole sont vite interprétées comme des pressions destinées à ruiner les efforts de la Turquie pour prendre la place qui lui revient sur la scène internationale. Sur ce point, les partis d'opposition sont à l'unisson du pouvoir.
Face à cette attitude regrettable, la patience stratégique s'impose, en évitant d'entrer dans le jeu des provocations du pouvoir turc. La constance et la tempérance sont les meilleurs moyens de faire entendre aux dirigeants que la provocation est un signe de faiblesse dans les relations internationales et que la création d'un climat de confiance suppose un dialogue apaisé et sincère dans son expression auquel, sur le long terme, la Turquie et la France auraient beaucoup plus à gagner qu'à perdre.
En somme, on a toujours l'impression que la Turquie tire sur l'élastique, pour voir où il va casser... Et ce n'est jamais de leur faute ! Toujours celle des autres, qui ne les ont pas compris.
M. Christian Cambon, président. - Merci pour ce travail approfondi, et sans complaisance : c'était la règle du jeu. J'adhère à vos conclusions. Il faut être lucide sur les importantes atteintes aux droits de l'homme, tout en reconnaissant la nécessité absolue de maintenir une relation aussi sereine que possible avec la Turquie, qui joue un rôle essentiel dans cette partie du monde, et où nos intérêts stratégiques et économiques sont importants. La situation à Chypre est un élément irritant dans nos relations. Un important gisement de gaz en mer Ionienne est réparti entre le Liban, Israël, l'Égypte et la République chypriote - qui était ouverte à l'idée que la Turquie reçoive aussi une partie. Mais pour la Turquie, il n'y a rien entre elle et l'Égypte. Les Turcs ont donc « tendu l'élastique » au maximum : ils ont envoyé deux plateformes de forage, et celles-ci ont commencé leur oeuvre la semaine dernière dans la zone économique exclusive de Chypre. La France a pris fait et cause pour la République chypriote, et le Président de la République a parlé d'action illégale. L'Union européenne a changé de ton et parle de sanctions - c'est-à-dire qu'on entre de nouveau dans une escalade négative. Les autorités chypriotes attendent beaucoup de la France pour le respect du droit international.
M. Olivier Cigolotti. - Merci pour votre objectivité. En imposant un deuxième scrutin à Istanbul, M. Erdogan s'est piégé, en quelque sorte. La situation diplomatique est très tendue - comme un élastique qui va finir par rompre, en effet. Les S-400 doivent être livrés dans une dizaine de jours. Si M. Erdogan y renonce, il s'attire les foudres du Kremlin. S'il finalise l'acquisition, il se met dans une situation inextricable vis-à-vis des États-Unis, dont l'importance est vitale pour son économie, déjà fragilisée. Comment peut-il s'en sortir ?
M. Yannick Vaugrenard. - C'est un rapport sans complaisance, mais diplomate. Entre les Kurdes, les Arméniens, et l'échec à Istanbul, M. Erdogan est dans une situation difficile. Sa population est jeune - 20 % a entre 18 et 25 ans - et tentée par la culture européenne. La Turquie joue un rôle régional incontestable y compris en Libye contre les troupes du maréchal Haftar. Elle n'adhérera pas à l'Union européenne dans des délais rapides, c'est une évidence. Pour autant, il faut répondre aux aspirations de sa jeunesse. M. Erdogan ne sera pas toujours au pouvoir, et Istanbul n'est peut-être que le début d'une chronique annoncée. Dès lors, la France ne devrait-elle pas insister pour mettre en oeuvre une coopération très renforcée avec la Turquie sur le plan économique et culturel - et sur le plan éducatif ? Cela aiderait à maintenir ce pays dans la voie de la démocratie.
M. Robert del Picchia. - Dans un précédent rapport, nous disions que la Turquie, un jour, ne voudrait plus adhérer à l'Union européenne. C'est M. Gül qui nous l'avait expliqué en personne. Sa politique du bâton et de la carotte devait amener les Turcs à développer le pays mais, lorsqu'il serait prêt à rejoindre l'Union européenne, les conditions fixées par celle-ci seraient telles que la population ne les accepterait pas. Les relations de la France avec la Turquie ont traversé plusieurs périodes difficiles, sur la coopération militaire, lors du vote sur les Arméniens... Pour autant, elles se sont développées continument sur le plan économique. Il y a à Bursa une usine Renault ultramoderne, qui produit chaque année plus d'un million de voitures. Cette dimension manque un peu dans votre rapport.
Mme Christine Prunaud. - Merci pour vos excellentes interventions, qui ont bien décrit la situation des droits de l'homme. Je voterai pour sa publication. La retenue des migrants arrange bien l'Union européenne, qui paie pour cette tranquillité, mais n'est pas la solution au problème. Suggérez-vous des pistes pour le résoudre ? Le PKK est sur la liste noire du terrorisme. La France va-t-elle changer d'opinion sur son compte ? Enfin, vous avez raison, nous ne devons pas nous couper de la Turquie, et il est important de renforcer nos liens avec sa jeunesse.
M. Olivier Cadic. - En effet. Merci pour ce rapport pragmatique et positif. Je suis allé il y a deux ans à Istanbul et Ankara. Un des problèmes principaux que j'avais repéré était l'évolution du système éducatif, et notamment de son contenu pédagogique, qui commençait à tourner le dos à une approche laïque, ce qui crée un risque pour l'avenir. Aussi, mettre l'éducatif en avant, pour maintenir notre lien, est une idée intéressante. Le lycée français de Galatasaray, dont le général de Gaulle avait célébré le centenaire en 1968, n'a plus d'échanges avec la France depuis quelques années, sous prétexte de risque terroriste. Symboliquement, il serait bon de rétablir ces liens. Les échanges économiques doivent aussi être préservés. Vous n'avez pas abordé le problème des barrages installés sur le Tigre et l'Euphrate et l'hydro-diplomatie. Si on leur coupe l'eau, comment les pays en aval pourront-ils se relever ?
Mme Hélène Conway-Mouret. - Bravo pour ce rapport équilibré. Il ne faut pas avoir peur de tenir aux Turcs un discours de fermeté. M. Erdogan a changé la Constitution pour rester plus longtemps président. L'élection du maire d'Istanbul ouvre toutefois un espoir. Nous fait-elle entrer dans une nouvelle période, de préparation de l'après-Erdogan ? Quelle peut être la forme de cette préparation alors que les médias sont verrouillés ?
M. Gilbert Roger. - Ce rapport correspond pleinement au rôle de parlementaires, qui est d'énoncer des vérités sans complaisance, mais sans donner de leçons. Il est bon qu'il soit publié, car la Turquie a besoin d'entendre ces vérités.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Quand Total et BP sont venus pour la première fois à Chypre, des navires militaires turcs les ont empêchés d'installer quoi que ce soit - et Total et BP sont repartis. Cette fois, c'est l'inverse et, comme au poker, M. Erdogan essaie de voir jusqu'où il peut aller. Forer, ce n'est pas exploiter, mais c'est planter les premiers tuyaux... Le partage des eaux territoriales autour de Chypre est un vrai problème, et aucun processus n'est engagé pour chercher une solution.
Le discours officiel sur les S-400 est stupéfiant : des ministres nous ont dit qu'ils ne les installeraient pas, et se contenteraient d'en prendre livraison et de les mettre dans des hangars... M. Erdogan ne veut pas rompre avec les États-Unis, pour pouvoir avoir les F-35.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. - Une des versions est que les S-400 ne seraient utilisés que pour protéger les bâtiments publics - donc M. Erdogan. Mais ils ne rompront pas avec les Américains... Pour ce qui est d'une coopération renforcée avec nous, ils n'en veulent pas : ils veulent continuer à négocier leur adhésion - quitte à ne pas adhérer le moment venu. Sur ce point, ils tiennent tous le même discours, même les opposants.
Avec la crise économique récente, plus de 25 % des jeunes de moins de 25 ans sont au chômage. Ce sont les femmes qui ont le plus bénéficié de l'ouverture économique. Entre les provinces les plus riches et les autres, les différences de revenu par habitant vont du simple au triple.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - C'est vrai que notre rapport est un peu faible sur les échanges économiques, mais ceux-ci ont considérablement ralenti, avec l'activité économique en 2018. L'effondrement de la monnaie complique tous les jeux et remet en cause tous les accords. Je n'irais pas, en ce moment, investir là-bas...
Les 6 milliards d'euros que l'Europe dépense pour les migrants ne sont pas un investissement de tranquillité. Les 3,6 millions de Syriens qui sont allés en Turquie vont y rester longtemps. Ils n'ont pas envie d'aller ailleurs et, de part et d'autre de la frontière - qui ne revêt d'ailleurs guère de réalité géographique - ce sont les mêmes populations, parfois les mêmes familles. Et comme ils sont bien accueillis par la population, qu'ils ont accès aux écoles et aux hôpitaux... Pour l'instant, ils n'ont aucune envie de retourner en Syrie.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. - Les réfugiés sont très bien intégrés. Très peu sont dans des camps, et les jeunes filles sont scolarisées. Il ne s'agit pas d'acheter la tranquillité de l'Union européenne, mais d'éviter que des jeunes non éduqués ne fournissent des troupes au terrorisme. La jeunesse qui aura grandi en Turquie ne repartira pas en Syrie. Sur le PKK, nous n'avons pas de raison d'évoluer. Nos services coopèrent très bien. Les Turcs nous donnent des informations, et voudraient qu'en échange nous extradions des Kurdes. Pour le moment, aucune évolution n'est possible sur ce point. Il y a eu des gels d'avoir. Mais en Syrie, nous nous sommes appuyés sur les Kurdes, qui étaient nos partenaires. Le danger pour les Kurdes serait que les Américains s'en aillent brutalement...
Les purges ont touché largement les universitaires. Quelqu'un qui appelait à négocier avec les Kurdes est considéré comme terroriste, et condamné à de la prison ferme... Résultat : il y a un problème de niveau d'enseignement. Pour autant, on n'a pas l'impression que la jeunesse turque adhère massivement à une forme d'islamisation. La jeunesse des villes, en tous cas, entend pratiquer un islam plutôt modéré. Et, en France, nous refusons pour le moment l'ouverture d'écoles turques.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - La fermeté, nous avons dû l'utiliser à plusieurs reprises avec nos interlocuteurs, lorsque ceux-ci revenaient avec agressivité sur leur désir d'adhérer à l'Union européenne, et nous reprochaient d'avoir arrêté le processus. Nous leur répondions alors que, si on laissait les opinions publiques des 27 États-membres voter, il y aurait 27 refus !
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. - L'élection du maire d'Istanbul est le premier - double - revers de M. Erdogan. Je pensais qu'il y aurait de la tricherie dans les urnes, mais il n'y en a pas eu massivement et, si triche il y a, elle a lieu dans les campagnes. En général, les élections étaient propres - le jour de l'élection, car la campagne elle-même n'est pas équitable, l'opposition n'ayant pas accès aux médias. Clairement, vu le niveau de richesse de la région d'Istanbul, perdre son contrôle est terrible pour M. Erdogan. Et cela montre à la population que le changement est possible... Même si journalistes comme universitaires savent qu'ils sont menacés de prison. Il n'y aura pas de succession de M. Erdogan avant 2023.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - La perte d'Istanbul est une catastrophe financière pour l'AKP - et pour M. Erdogan. Du coup, il n'est pas impossible qu'il change les règles du jeu, pour qu'une partie du contrôle soit redonnée à l'administration centrale.
M. Jean-Marc Todeschini, rapporteur. - Le nouveau maire est toutefois minoritaire et, dans les conseils locaux, le pouvoir central a déjà commencé la redistribution des cartes.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. - Nous souhaitons que ce rapport, lucide, réaffirme notre volonté de ne pas rompre.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
Ratification du traité d'Aix-la-Chapelle - Examen d'une question préalable
M. Christian Cambon, président. - La question préalable se fonde sur deux arguments : le traité porterait atteinte à notre souveraineté nationale, et nous tirerait vers le moins-disant social. Je pense que c'est l'inverse : rester seuls diminuerait notre souveraineté, et le modèle social allemand diffère sensiblement du nôtre, sans que la France n'ait jamais été contrainte de s'aligner. Ce traité serait un signal fort, au moment où la relation franco-allemande n'est pas au mieux... Les nominations décidées à Bruxelles sont satisfaisantes, et Mme von der Leyen est une défenseure ardente de la coopération franco-allemande. Avec quatre nominés francophones, on peut espérer que les intérêts de la France ne seront pas négligés.
La commission émet un avis défavorable à l'adoption de la question préalable.
La réunion est close à 12 h 20.