- Mercredi 15 mai 2019
- Bilan annuel de l'application des lois - Communication
- Audition sur les enjeux environnementaux et territoriaux du développement éolien, autour de MM. Pierre Dumont, co-auteur de l'ouvrage Éoliennes : chronique d'un naufrage annoncé, Lionel Quillet, premier vice-président du département de Charente-Maritime, en charge des questions relatives à l'éolien, Rémi Chabrillat, directeur production et énergies durables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie et un représentant de France énergie éolienne
Mercredi 15 mai 2019
- Présidence de M. Hervé Maurey, président -
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Bilan annuel de l'application des lois - Communication
M. Hervé Maurey, président. - Comme chaque année, il nous appartient de dresser le bilan de l'application des lois suivies par notre commission, qui porte sur les lois adoptées au cours des dix dernières années jusqu'au 30 septembre 2018. Sont comptabilisées, dans ce bilan, les mesures d'application prises jusqu'au 31 mars 2019.
Deux lois ont été examinées au fond par notre commission et sont entrées en vigueur au cours de la session parlementaire 2017-2018 : la loi du 2 mars 2018 ratifiant des ordonnances relative à l'évaluation environnementale et à la participation du public, qui était d'application directe et la loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire.
Sur ce projet de loi important, trois types de mesures d'application sont prévus : des décrets d'application, des ordonnances, et des rapports au Parlement.
S'agissant des décrets d'application, sur les 28 mesures nécessaires à l'application des dispositions législatives entrées en vigueur, 17 ont été prises au 31 mars 2019, soit un taux d'application de 60 %, ce qui n'apparaît pas totalement satisfaisant.
Pour ce qui concerne les ordonnances, sur les 5 ordonnances prévues, 3 ordonnances ont été publiées, mais il n'en reste qu'une à publier prochainement, car pour la cinquième, l'habilitation a été prolongée dans le projet de loi d'orientation des mobilités.
Le 12 décembre 2018 a été publiée l'ordonnance qui transpose le droit européen pour adapter le système ferroviaire français à l'ouverture à la concurrence.
Gérard Cornu et moi-même avons été, conformément à ce que nous avions demandé, destinataires de ce projet d'ordonnance. Après étude de celle-ci, nous avons décidé d'écrire à la ministre des transports Élisabeth Borne pour demander des modifications sur des points qui ne nous ont pas parus conformes à la volonté du législateur.
En particulier, sur la question du transfert des ateliers de maintenance, l'ordonnance prévoyait de « faire obstacle, pour les conventions en cours, à l'intégration des ateliers de maintenance multi-affectés de SNCF Mobilités dans le patrimoine des autorités organisatrices ». Or, dans la mesure où il n'existe pas (ou très peu) d'ateliers exclusivement affectés à des services conventionnés, ce dispositif ne nous a pas paru conforme à la volonté du législateur. Nous avons donc obtenu une clarification du texte sur ce point.
Deux autres ordonnances ont été publiées : l'une sur les modalités, les critères et la procédure de fixation des redevances d'infrastructures liées à l'utilisation du réseau ferré national, et l'autre sur l'interopérabilité du système ferroviaire au sein de l'Union européenne et sur la sécurité ferroviaire.
S'agissant de l'ordonnance restant à prendre, relative à la transformation du groupe public ferroviaire, nous avons clairement exprimé notre souhait, avec Gérard Cornu, que soit prévue la participation de parlementaires au conseil d'administration de SNCF Réseau.
S'agissant des rapports du Gouvernement prévus par la loi, un rapport était particulièrement attendu, relatif à l'intégration d'indicateurs dits « événementiels » au sein de la réglementation relative aux nuisances sonores des infrastructures ferroviaires. Issu d'un amendement de nos collègues Nicole Bonnefoy et Louis-Jean de Nicolaÿ, ce rapport est paru le 19 décembre 2018, et préconise une évolution de la règlementation, notamment pour prendre en compte l'impact des « pics de bruit » sur la santé.
Aujourd'hui la réglementation ne retient qu'un indicateur : le calcul de la moyenne de bruit, sans prendre en compte les pics. Pour que le Gouvernement se saisisse enfin de ce problème particulièrement pénible pour les riverains (en particulier ceux de la LGV Paris-Rennes), nous avons adopté dans la LOM, à l'initiative, encore, de nos collègues Louis-Jean de Nicolaÿ et Nicole Bonnefoy, un amendement prévoyant la prise en compte par un arrêté de la différence entre le niveau de bruit ambiant habituel et le niveau de bruit au passage des trains.
Enfin, le Gouvernement n'a pas toujours réalisé - ni commencé à réaliser - le schéma national des services de transports qui doit déterminer, dans un objectif d'aménagement et d'égalité des territoires, les services de transport ferroviaire de voyageurs conventionnés par l'État qui répondent aux besoins de transport.
Je rappelle que l'année dernière, le Conseil d'État, saisi par des associations, avait enjoint au Gouvernement de prendre deux mesures d'application de la loi Grenelle II - votée en 2010 !! -, sur la pollution lumineuse, et sur la protection de la biodiversité.
Sur ce dernier sujet, le Gouvernement n'a même pas réussi à respecter le délai de 6 mois fixé par le Conseil d'État, puisque le décret relatif à la protection des biotopes et des habitats naturels a été publié avec un mois de retard sur cette échéance, soit le 18 décembre 2018. Le Président de la République vient d'annoncer, à la suite du rapport alarmant de l'IPBES, que les espaces naturels à protéger seraient étendus, mais qu'en penser alors qu'il a déjà fallu 8 ans aux gouvernements successifs, et plus de 18 mois à l'actuel, pour édicter des mesures simples mais fondamentales pour la protection des de la biodiversité comme la liste des habitats naturels à protéger.
S'agissant de la loi pour la reconquête de la biodiversité, l'interdiction des néonicotinoïdes est bien entrée en vigueur le 1er septembre 2018. Dans son avis final publié le 30 mai 2018, l'Anses a indiqué que, pour la majorité des 130 usages étudiés, des alternatives (chimiques et non chimiques) suffisamment efficaces, et opérationnelles ont pu être identifiées. Elle a souligné que l'impact sur l'activité agricole de l'interdiction des néonicotinoïdes reste toutefois difficile à anticiper et recommande d'accélérer la mise à disposition de méthodes alternatives respectueuses de la santé humaine et de l'environnement.
Un arrêté permettant trois dérogations est en voie de finalisation, concernant la lutte contre le balanin de la noisette, les mouches du figuier et les pucerons du navet. Ce texte devrait être publié dans les prochains jours.
Par ailleurs, afin d'éviter que cette interdiction ne soit contournée, la loi EGALIM l'a étendue aux produits contenant une ou des substances actives présentant des modes d'action identiques à ceux de la famille des néonicotinoïdes et des semences traitées avec ces produits. Selon les éléments qui nous ont été transmis, cette extension concernera des substances pour lesquelles aucun produit phytopharmaceutique n'est autorisé sur le marché français à ce jour, ce qui est rassurant sur le fait que l'interdiction ne sera pas contournée.
Un mot sur les rapports au Parlement : cette année encore, nous constatons la lenteur de remise des divers rapports demandés au Gouvernement voire l'absence totale de remise.
Sur les 59 rapports demandés au Gouvernement depuis le 1er octobre 2008 au titre de dispositions issues de lois suivies par la commission, 30 ont été remis au Parlement, c'est-à-dire à peine un peu plus de la moitié du nombre total de rapports attendus.
Nous constatons de surcroît que dans certains cas, les rapports sont transmis très tardivement au Parlement, parfois plus d'un an après leur achèvement : ainsi le rapport prévu par la loi pour la reconquête de la biodiversité sur l'impact sur le littoral des activités d'exploitation des ressources minérales n'a été transmis au Parlement qu'en avril 2019 alors qu'il avait été produit en décembre 2017 : sa transmission aura donc nécessité près d'un an et demi. Nous interrogerons le Gouvernement sur ce point.
S'agissant des lois antérieures à la dernière session, douze lois adoptées entre le 1er octobre 2008 et le 30 septembre 2017, nécessitent encore une ou plusieurs mesures d'application au 1er avril 2019. Six lois ont vu leur taux d'application progresser entre le 1er avril 2018 et le 31 mars 2019 du fait de l'adoption de 22 mesures d'application. Mais cinq autres lois n'ont connu aucune avancée de mise en oeuvre au cours de la période considérée.
Mais près de trois ans après leur promulgation, d'importantes lois ne sont toujours pas totalement applicables : il manque 12 % des mesures d'application prévues pour la loi du 20 juin 2016 pour l'économie bleue dont le rapporteur était Didier Mandelli, 18 % des mesures prévues pour la loi pour la reconquête de la biodiversité du 8 août 2016 dont le rapporteur était notre collègue Jérôme Bignon et 30 % des mesures prévues pour la loi du 28 décembre 2016 sur la montagne dont notre collègue Cyril Pellevat avait été rapporteur.
Voici les principales remarques qu'appelle cette année le bilan de l'application des lois suivies par notre commission, que vous retrouverez détaillé dans le rapport qui sera prochainement publié sous la signature de notre collègue Valérie Létard, vice-présidente en charge de ce domaine.
Le débat public aura lieu le mardi 11 juin prochain à 8 heures du matin en salle Clemenceau. Chaque président de commission pourra poser des questions sur l'application des lois relevant de son champ de compétences.
Avez-vous des questions ou des commentaires ?
M. Ronan Dantec. - Parmi les lois dont le Gouvernement manifeste peu d'empressement et un manque d'enthousiasme certain à leur mise en application, je voudrais notamment citer la loi relative à l'indépendance de l'expertise en matière de santé et d'environnement et à la protection des lanceurs d'alerte adoptée en 2013. Marie-Christine Blandin était l'auteure du texte et j'en étais le rapporteur.
M. Hervé Maurey. - Je n'ai pas voulu être dans la redite annuelle. Les années précédentes, j'avais déjà noté que l'on attendait toujours et que l'on n'aurait vraisemblablement jamais les décrets d'application permettant de mettre en oeuvre le fonds d'aménagement numérique du territoire que l'on avait créé dans le cadre de la loi Pintat de 2010. Le Sénat avait introduit dans cette loi certaines mesures relatives à la gouvernance dans laquelle figurait la présence des élus. Le Gouvernement avait contourné la loi en créant le FSN, Fonds de la Solidarité Numérique, organe devenu totalement gouvernemental.
M. Ronan Dantec. - C'est extrêmement troublant que la loi ne soit pas appliquée. Est-ce une spécificité française ou existe-t-il les mêmes tendances dans les autre pays européens ? Il serait intéressant d'avoir un débat sur ce sujet.
M. Hervé Maurey. - Je pense que c'est une bonne question à laquelle je n'ai aucune réponse mais qui mériterait d'être étudiée. Demain a lieu une réunion avec le Secrétaire général du Gouvernement dans laquelle Patrick Chaize représentera la commission. Ce sera l'occasion d'évoquer ce sujet, choquant d'un point de vue démocratique.
Il faudrait également évoquer l'application qualitative de la loi. Parfois, en effet, les décrets et les circulaires s'éloignent de la volonté du législateur. Claude Bérit-Débat, qui a présidé au sein du Bureau la délégation d'application des lois, connait bien ce sujet. Nous l'avons souvent évoqué lors des réunions annuelles avec le Secrétaire général du Gouvernement, en soulignant que ce sont les circulaires qui prennent le plus de liberté avec le texte de la loi afin de contourner le texte.
M. Jérôme Bignon. - Sur ce sujet, la loi sur l'eau de 1992 en est également un parfait exemple. Le Parlement avait souhaité que deux éléments soient réunis pour qu'une zone soit déclarée humide : l'analyse du sol et la présence d'une végétation spécifique. Dans l'application de cette loi, l'administration a finalement et progressivement, par différents textes d'application, considéré qu'une seule de ces conditions requises était suffisante. Il aura fallu attendre une décision du Conseil d'État rendue en février 2017, soit quinze ans plus tard, donnant raison à un plaignant, pour constater une profonde déformation de la loi et. L'administration a une capacité fantastique, y compris quand la loi est claire, à l'interpréter à sa façon. Bien souvent, il faut attendre de nombreuses années pour constater que l'intention du législateur a été oubliée ou déformée.
M. Michel Vaspart. - Concernant la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique de 2018, le ministre s'était engagé à nous associer à la rédaction de la circulaire relative à la modification de la loi Littoral sans toutefois la remettre en cause. Après une très longue attente, nous avons enfin reçu un projet de circulaire auquel nous avons proposé en retour des modifications. Nous en attendons toujours la publication malgré des relances répétées auprès du ministère. Je n'incrimine aucunement la volonté du ministre, très souvent pris par son emploi du temps, mais plutôt les services du ministère qui font finalement ce qu'ils veulent.
M. Benoît Huré. - Sans vouloir aborder le débat sur les zones humides, il faudra avoir le courage de le rouvrir. Faisant suite à l'intervention de Jérôme Bignon, je serais curieux de savoir quelle est, aujourd'hui, l'évolution des surfaces considérées comme zones humides en France. Je parle des zones devenues humides en France. Nous sommes, avec cette problématique, dans l'exemple flagrant de sur-transposition européenne. La notion de zone humide est apparue voici quelques années au niveau de l'Europe. Des critères très précis avaient été définis. Et j'ai la certitude que nous sommes allés bien au-delà. Avec la déprise agricole dans certaines régions, de nombreuses zones ont été qualifiées de zones humides en raison d'un manque d'entretien, en s'appuyant sur l'interprétation extensive de la loi que l'administration a privilégiée. En « cassant » les textes réglementaires en question, le juge administratif a sans doute été plus raisonnable et prudent que nous, car cette dérive nous met de fait dans une distorsion flagrante avec les autres pays européens en matière de production agricole.
M. Jérôme Bignon. - 80 % des zones humides dans le monde ont disparu depuis cent ans.
M. Hervé Maurey. - Je retiens de vos échanges la confirmation de mes propos précédents : outre la mesure quantitative de l'application des lois peu convaincante, nous devons surtout retenir la mesure qualitative très peu satisfaisante.
Le Parlement a des efforts à faire pour mieux suivre l'application des lois, notamment, comme le constatait Michel Vaspart, en insistant sans relâche auprès des ministères.
Enfin, nos échanges montrent que la situation actuelle est peu satisfaisante et toutes les réflexions qui sont en cours au sein du Parlement pour améliorer l'application des lois, notamment le suivi par les rapporteurs concernés de l'application de leurs textes, vont dans le bon sens.
Audition sur les enjeux environnementaux et territoriaux du développement éolien, autour de MM. Pierre Dumont, co-auteur de l'ouvrage Éoliennes : chronique d'un naufrage annoncé, Lionel Quillet, premier vice-président du département de Charente-Maritime, en charge des questions relatives à l'éolien, Rémi Chabrillat, directeur production et énergies durables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie et un représentant de France énergie éolienne
M. Hervé Maurey, président. - Nous avons ce matin une table ronde sur les enjeux environnementaux et territoriaux du développement éolien.
Comme vous le savez, la loi de transition énergétique a fixé des objectifs ambitieux en termes de développement des énergies renouvelables : elles devront représenter 23 % de la consommation finale brute d'énergie en 2020 et 32 % en 2030. Présentée en 2016, la programmation pluriannuelle de l'énergie a décliné les objectifs de la loi de transition énergétique par type d'énergie renouvelable ; l'objectif pour l'éolien terrestre - une puissance totale de 15 gigawatts fin 2018 - a été atteint, jusqu'à 26 gigawatts en option haute d'ici 2023. À cette trajectoire s'ajoutent de nouveaux objectifs, puisque le projet de loi relatif à l'énergie et au climat, que nous examinerons prochainement, vise la neutralité carbone d'ici à 2050, et la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie, en cours de finalisation, fixe des objectifs en matière d'éolien terrestre de 35,6 gigawatts en 2028 et tend à un développement important de l'éolien en mer.
Si, aujourd'hui, l'éolien ne représente que 5,5 % de la consommation électrique française, on assiste à une multiplication rapide des projets éoliens qui n'est pas sans susciter de nombreuses réactions. Certains considèrent que c'est une bonne solution pour atteindre nos objectifs en matière de mix énergétique et de décarbonation, d'autres, comme M. Dumont, que nous entendrons tout à l'heure, pointent les inconvénients financiers et environnementaux que l'éolien engendre.
Avec l'organisation de cette table ronde, nous cherchons à répondre à plusieurs questions : l'éolien est-il un levier efficace de la transition énergétique ? Quel est son impact réel sur notre territoire ? Quel est le bilan coût-avantages de cette énergie ?
Récemment, un hebdomadaire qui paraît le mercredi indiquait que l'éolien en mer représentait un coût de 15 milliards d'euros. Mais beaucoup évoquent aussi le coût environnemental de l'éolien et ses conséquences sur les paysages et la biodiversité. On peut donc s'interroger sur la pertinence environnementale de cette énergie.
Parmi les intervenants qui vont nous présenter leur point de vue, M. Pierre Dumont est coauteur de l'ouvrage Éoliennes : chronique d'un naufrage annoncé, qui dénonce le développement de l'éolien et les problèmes qui y sont liés, notamment l'intermittence de l'énergie et la dégradation des paysages. M. Lionel Quillet est le premier vice-président du département de Charente-Maritime, chargé de l'éolien. Le département vient de décider de surseoir à l'implantation des éoliennes pendant une période de deux ans, ce qui témoigne de la réticence des élus de ce territoire ; ce ne sont d'ailleurs pas les seuls, puisque Régions de France a une position similaire.
M. Rémi Chabrillat est directeur production et énergies renouvelables à l'Ademe, qui a réalisé une analyse du cycle de vie de l'éolien permettant d'évaluer son impact environnemental. Cette étude conclut que le taux d'émission de gaz à effet de serre de l'éolien est cinq fois inférieur à celui du mix, et ses conséquences sur l'air et l'eau - notamment l'acidification - sont moindres qu'avec d'autres énergies. Le rapport souligne également les conséquences positives de l'éolien, en particulier en matière de création d'emplois.
M. Pierre Muller est vice-président de France énergie éolienne, association qui regroupe 300 professionnels de l'éolien en France. France énergie éolienne a réalisé un sondage montrant que 80 % des Français vivant à proximité d'un parc éolien en ont plutôt une bonne image.
Les points de vue sont donc très différents, cela promet une table ronde intéressante. Les sénateurs sont nombreux ce matin, aussi je vous demanderai de limiter vos interventions à sept minutes, afin que l'on puisse ensuite échanger.
M. Pierre Dumont, coauteur de l'ouvrage Éoliennes : chronique d'un naufrage annoncé. - L'ouvrage Éoliennes : chronique d'un naufrage annoncé est parti de l'indignation des deux auteurs contre les conséquences fâcheuses du développement de l'éolien. Nous avons essayé de mesurer les conséquences positives et négatives du développement de l'éolien, en particulier sur l'environnement. Eh bien, nous n'avons hélas trouvé aucune conséquence favorable à l'environnement ! En effet, il faut savoir que la part des sources fossiles dans notre production d'énergie est infime ; elle ne peut pas être davantage réduite, car il faut conserver un minimum d'énergie « pilotable », afin de compenser la très forte intermittence de l'éolien et du photovoltaïque.
En France, une éolienne ne fonctionne en moyenne qu'à 21 % de sa puissance. Pourtant, il faut alimenter les consommateurs de façon régulière. Même si l'éolien se développe, il faudra pallier son intermittence par des centrales à gaz, qui utilisent un combustible non renouvelable et polluant. Cela accroît donc la pollution au CO2.
Au titre des conséquences défavorables, on compte tout d'abord la mutilation des paysages. Les éoliennes implantées actuellement font couramment 180 mètres de haut ; il y a même, dans l'Yonne, un projet d'éolienne de 240 mètres : on commence à s'approcher de la hauteur de la tour Eiffel, c'est quand même particulièrement inquiétant ! Notre-Dame de Paris, avec ses 69 mètres de haut, est absolument pulvérisée. Le paysage français était jusqu'alors rythmé par les clochers ; désormais, il sera rythmé par les éoliennes, et nous sommes de ceux qui pensent qu'un paysage doit être rythmé par les clochers, pas par d'autres structures.
Par ailleurs, nous avons mené une étude des conséquences de l'objectif proposé par le projet de loi de transition énergétique. D'ici 2035, la part du nucléaire dans la production totale d'énergie doit être ramenée à 50 %. Nous avons montré que, en 2035, la totalité de la France rurale se trouverait à moins de six kilomètres d'une grande éolienne. Pourquoi six kilomètres ? Parce que c'est le rayon d'affichage des enquêtes publiques ! Il est officiellement reconnu que, dans ce rayon, la probabilité de nuisances est significative.
S'agissant du bruit, en particulier les infrasons, c'est un sujet qui a longtemps été méprisé, car il était mal connu. J'ai assisté en novembre dernier à un colloque scientifique, et les conclusions sont claires : la conjonction des infrasons et du champ magnétique produit des effets nuisibles, certes variables d'un individu à l'autre, mais que l'on ne peut négliger. Ils touchent particulièrement le bétail : certains élevages ont été gravement atteints et ont fait l'objet de plusieurs articles dans la presse régionale. Une récente étude allemande a montré que les infrasons peuvent être nuisibles dans un rayon de vingt kilomètres. Je suis allé plusieurs fois à Coutances, dans la Manche, où des maisons se trouvent à seulement 500 mètres d'une éolienne : la vie des gens est complètement bouleversée ! Pourtant, ils ne reçoivent aucune indemnité. Et encore, il ne s'agit que d'une seule éolienne, qui ne mesure que 100 mètres de haut. Les maisons voisines des éoliennes font également l'objet d'une dépréciation. Celle-ci n'est pas facile à mesurer, mais peut atteindre jusqu'à 40 %. Souvent, en acceptant un projet éolien, un maire espère une rentrée d'argent pour sa commune, mais c'est illusoire. En effet, entre l'argent reçu par la commune et les dépréciations que vont subir les administrés, le résultat est négatif.
Les éoliennes ont également des incidences sur les oiseaux. L'an dernier, un communiqué du CNRS et du muséum national d'histoire naturelle indique que, en 10 ou 15 ans, la population d'oiseaux dans nos campagnes avait diminué d'un tiers. C'est un désastre. Certes, les éoliennes ne sont pas les seules coupables - la raréfaction des insectes joue également au rôle -, mais le mouvement des pales, qui balaient 1,3 ha à chaque rotation, peut causer un massacre. La multiplication des lignes électriques, nécessaires pour alimenter les éoliennes, est aussi en cause.
Enfin, les éoliennes ont des conséquences néfastes sur le développement rural et l'aménagement du territoire. Je ne vous apprendrai pas que beaucoup de régions rurales en France sont en perte de vitesse économique et démographique : elles ont besoin de touristes, et de l'arrivée de nouveaux habitants, retraités ou télétravailleurs. Or, il est évident que ces habitants potentiels ne s'installeront pas à proximité d'éoliennes.
Pour terminer, je rappelle que les éoliennes sont fabriquées à l'étranger.
En conclusion, vous me pardonnerez l'expression : les éoliennes sont en train de bousiller la France.
M. Rémi Chabrillat, directeur production et énergies durables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. - Depuis 2002, on assiste en France à une politique continue de développement de l'éolien, de la loi pour la modernisation du service public à la loi de transition énergétique en passant par les lois Grenelle. Il y a donc une réelle volonté publique de diversifier notre mix énergétique et de développer l'éolien.
L'an dernier, dans le monde, 50 gigawatts d'éolien ont été installés : c'est moins que le solaire - 95 gigawatts -, mais autant que le charbon. L'éolien est donc la deuxième énergie la plus installée au niveau mondial, et la première au niveau européen depuis plusieurs années. L'éolien est également devenu la deuxième énergie en termes de capacité électrique installée, même si cela ne correspond pas à la production réelle.
L'Ademe a mené des travaux d'analyse de cycle de vie de l'éolien, dont les conclusions sont disponibles sur notre site. L'enjeu essentiel de l'intégration territoriale de l'éolien, comme cela vient d'être dit, c'est le paysage. Certes, les éoliennes changent le paysage, comme l'homme change le paysage depuis qu'il est sorti des cavernes : déboisement, agriculture, reboisement, développement d'infrastructures, construction des villes, des routes, tout cela transforme le paysage. Les lignes électriques mentionnées par M. Dumont ont été développées pour alimenter l'ensemble du territoire, par spécifiquement les centrales thermiques et les éoliennes.
La question est donc la suivante : jusqu'à quel point accepte-t-on de changer le paysage ? Quel paysage veut-on, ou non, changer, et dans quelles conditions ? Nous avons travaillé sur ces questions avec le ministère de la transition écologique et solidaire et la chaire Paysages Énergie de l'école du paysage de Versailles ; plusieurs démarches paysagères sont possibles. Il est évident que cette dimension n'a pas été suffisamment prise en compte dans les premiers parcs éoliens. Se pose également la question de la gouvernance : qui décide ? À l'évidence, c'est un enjeu de territoire et les collectivités doivent faire entendre leur voix. La participation des citoyens, preuve de leur engagement et de leur appropriation des projets, est également extrêmement importante.
S'agissant de la biodiversité, sujet sur lequel nous travaillons en bonne intelligence avec la ligue de protection des oiseaux (LPO), l'union nationale de conservation de la nature (UICN) et l'agence française pour la biodiversité (AFB), l'enjeu se pose en termes d'implantation. Les oiseaux ne sont pas aveugles, lorsqu'ils voient une éolienne de 150 mètres devant eux, ils dévient leur trajectoire, parfois de façon significative. Nous travaillons donc avec la LPO sur la question des couloirs migratoires et d'habitat.
Troisième enjeu : le recyclage des pales. Nous savons traiter toutes les parties métalliques, l'enjeu porte sur le recyclage des pales. L'Ademe finance des travaux sur le recyclage des composites plastique-fibre, car c'est un problème qui se pose pour les bateaux. Aujourd'hui, l'absence de gisement ne permet pas le développement d'une filière dédiée et structurée, car les gisements sont récents. Mais il existe d'ores et déjà des solutions transitoires. Je l'ai déjà évoqué, nous travaillons avec l'école du paysage de Versailles et le ministère de la transition écologique et solidaire sur l'identification des bonnes pratiques, à partir de retours d'expérience, qu'ils soient positifs ou négatifs.
S'agissant de l'intégration territoriale, nous avons mené une enquête auprès de 850 communes : la moitié ont répondu qu'elles s'étaient engagées dans le projet pour des raisons fiscales ou économiques : en effet, l'éolien en France, ce sont tout de même 18 000 ETP et 600 entreprises. Le principal enjeu d'intégration territoriale est l'implication des citoyens, notamment grâce au financement participatif. La gouvernance des projets est assurée par les collectivités, mais l'énergie est partagée avec les associations citoyennes.
Aujourd'hui, on compte en France environ 300 projets toutes énergies renouvelables confondues, dont une soixantaine de projets éoliens. Ce nombre a été multiplié par trois depuis 2014. La Caisse des dépôts et consignations a mis en place un fonds de soutien à l'investissement pour ce type de projets, véritable aide au développement.
Pour conclure, je crois qu'il existe différentes raisons qui amènent à dire des choses inexactes : on peut se tromper, on peut mentir, on peut avoir été mal informé. Je pars du principe que M. Dumont et ses collègues ont été mal informés : l'éolien contribue bien à la décarbonation du mix. Le bilan annuel de RTE a montré que le développement de l'éolien avait complètement compensé la baisse de la production au charbon, au fioul et au gaz entre 2011 et 2018 - on a d'ailleurs fermé 12 gigawatts de centrales au charbon.
Certes, l'éolien est variable et intermittent, mais les choses sont plus compliquées que « ça tourne » ou « ça ne tourne pas » : ça tourne, en moyenne 80 % du temps, mais plus ou moins vite. La production actuelle n'atteint que 20 % à 25 % de la productivité maximale, mais elle est prévisible. En effet, RTE, qui est une entreprise extraordinaire, a développé un outil de prévision fondé sur les prévisions météo à l'échéance d'une heure, avec une marge d'erreur de 3 %. En France, il y a quatre régimes majeurs de vent non corrélés : façade Atlantique, façade Manche-Mer du Nord, zone méditerranéenne et Occitanie. Ce foisonnement permet à RTE d'assurer un relatif équilibre entre la production et la consommation d'électricité. Cette dernière varie en effet bien plus que la production. L'éolien contribue donc bien à décarboner le mix.
M. Lionel Quillet, premier vice-président du département de Charente-Maritime, en charge des questions relatives à l'éolien. - Je représente M. Dominique Bussereau, président de Charente-Maritime et président de l'assemblée des départements de France.
Aujourd'hui, nous cherchons à comprendre comment le
législateur a pu à ce point assouplir la loi, de sorte que
l'installation d'une éolienne dans un territoire rural est devenue plus
facile que de construire un garage. Le maire d'une commune rurale de 50
habitants doit composer avec un budget de 8 000 ou 10 000 euros ; or, il
se trouve face à des commerciaux
- de vrais commerciaux, des
gens formés à la vente -, qui lui expliquent qu'accepter un
projet lui permettra d'équilibrer son budget et d'avoir une vision
à long terme pour sa commune
- car ce n'est pas avec la simple DGF
que leur commune peut fonctionner. L'implantation d'éoliennes ne
répond donc en rien à un objectif public : il n'y a pas de
permis de construire, pas de schéma d'implantation structurant, il n'y a
que du commerce ! Voilà la réalité en
Nouvelle-Aquitaine !
On ne trouve pas d'éoliennes dans les Landes, on ne trouve pas d'éoliennes en plaine Atlantique, on n'en trouve pas non plus en Lot-et-Garonne ou en Gironde : il n'y en a qu'en Poitou-Charentes ! Ce n'est pas un schéma de développement durable, c'est juste une filière exploitée par les commerciaux pour des raisons purement mercantiles. Cela n'est pas l'objectif de la République, ni des élus ! En tant que président de la communauté de communes de l'île de Ré, je peux vous dire qu'un permis de construire en site classé pour une simple cabane peut représenter six mois de travail, des passages en commission, la sollicitation d'un avis ministériel et que, au final, le projet est souvent rejeté ; l'implantation d'une éolienne, rien ne l'empêche. Tout a été assoupli, le préfet a des consignes et il décide souvent sans l'avis des élus concernés.
Les collectivités qui acceptent les projets vous le diront, elles le font toujours pour des raisons financières. Donc, on achète les territoires. Sauf que lorsqu'ils seront couverts d'éoliennes - ce qui arrivera à terme si l'on continue ainsi -, plus personne n'y vivra. Les gens sont contents d'avoir des éoliennes, mais lorsqu'elles sont chez les autres.
À l'aide de drones, nous avons visualisé une zone de 25 km² dans laquelle on dénombre pas moins de 476 éoliennes. Ce n'est plus qu'un schéma commercial d'aménagement. Les recours sont déjà difficiles, et avec l'impossibilité d'un recours en premières instance, les recours deviendront inexistants car il faudra aller directement en cour d'appel !
Des associations militent à nos côtés : des associations de riverains, la LPO, France Nature Environnement 17, car ce n'est plus possible : il y a actuellement des projets d'éoliennes dans l'estuaire de la Gironde, sur des sites classés patrimoine, des sites protégés, ZNIEFF et ZICO. Quant au préfet, il est sur ordre...
Aujourd'hui, il faut réaliser des projets structurants et redonner force à la loi car, actuellement, on achète les élus. Des maires ruraux s'excusent d'avoir accepté des projets d'éoliennes alors que l'on est en train de réaliser des projets de protection de l'environnement dans les communes d'à côté ! Le discours est toujours le même : financièrement, c'était la solution.
Installer des éoliennes sur un territoire sans habitations, c'est tout à fait concevable, mais planter des éoliennes de 100 mètres, 200 mètres voire 800 mètres, au coeur de sites protégés ou paysagers, ce n'est pas acceptable. Je suis favorable à l'environnement durable et je mène actuellement dans mon territoire des projets sur la méthanisation, le solaire et l'éolien. Mais pas de cette manière ! Je ne sais pas à quel sondage M. Dumont a fait référence, mais je peux vous dire que les gens sont tellement ulcérés de voir qu'il n'y a aucune résistance, que l'on ne peut rien faire, qu'ils en deviennent extrêmement agressifs. Souvent, après une éolienne en arrivent trois, puis dix, puis trente : les habitants sont cernés et finissent par partir. Personne ne veut s'installer dans un champ d'éoliennes ! Et ceux qui sont favorables à l'éolien n'en ont jamais en bas de chez eux.
Bien entendu, c'est une énergie très intéressante, mais il faut que le législateur refixe le cadre de la loi : il faut des projets qui permettent une valorisation, il faut que les élus reprennent toute leur place. Lorsque l'on voit tous les schémas d'aménagement et les permis de construire que l'on nous demande chaque jour pour nos territoires, je ne comprends pas comment l'éolien peut nous échapper ! Cela rappelle l'époque où, pourvu que l'on arrive avec des billets, on pouvait monter des projets immobiliers dans n'importe quelle collectivité. Ce n'est pas acceptable. Il faut un moratoire, il faut un plan de déploiement, il faut que des procédures comme les enquêtes publiques s'appliquent à l'éolien.
Je ne sais pas si l'éolien est une bonne ou une mauvaise solution : je laisse la discussion aux spécialistes, car je n'ai pas les capacités d'avoir un avis. Mais la loi doit reprendre ses droits et rendre aux élus le pouvoir d'aménager leur territoire.
M. Pierre Muller, France énergie éolienne. - Je suis accompagné ce matin de M. Mahfouz, président de la commission environnement de France énergie éolienne.
Je débuterai mon propos en évoquant la marche pour le climat, qui a eu lieu en mars dernier un peu partout dans le monde - environ un millier de villes y ont participé. Les jeunes, à l'origine de cette « marche du siècle », nous ont rappelé notre responsabilité en matière de réchauffement climatique. Nous avons tous des enfants et des petits-enfants, nous avons le devoir de leur léguer un monde vivable, et France énergie éolienne est très fière de contribuer à cet effort. Le monde a changé, place aux énergies renouvelables et à une transition énergétique efficace ! N'en déplaise à certains, l'éolien est fiable, efficace, compétitif et créateur d'emplois et il fait désormais partie du paysage.
Je dresserai un état des lieux en quatre points.
Tout d'abord, l'éolien fonctionne avec le vent, et c'est une ressource locale et inépuisable.
Ensuite, c'est une énergie fiable et efficace : en effet, comme cela a déjà été dit, elle a permis d'assurer 5,5 % de la consommation française en 2018. Son coût est également compétitif, puisque cela ramène le mégawattheure à 66 euros sur 20 ans.
En outre, les coûts de l'éolien sont connus et maîtrisés sur l'ensemble du cycle de vie de l'éolien, démantèlement compris. Ce n'est pas le cas pour les autres filières.
Enfin, l'éolien représente 18 000 emplois français non délocalisables et répartis sur l'ensemble du territoire. Il permet donc de faire émerger de nouvelles dynamiques pour les territoires ruraux.
Beaucoup d'associations anti-éoliennes remettent régulièrement en cause le bilan environnemental de l'éolien : c'est pourtant un impératif écologique et l'un des premiers leviers dans la lutte contre le réchauffement climatique. N'oublions pas que l'éolien est une énergie totalement réversible qui n'émet aucun gaz à effet de serre et ne présente aucun risque industriel. Par ailleurs, les éoliennes sont recyclables à 85 %.
Cependant, il faut être réaliste : des difficultés se sont fait jour lors de l'installation de la première série d'éoliennes, il y a 15 ans, notamment sur le plan environnemental. En effet, la mortalité aviaire avait considérablement augmenté. Depuis, les études ont été affinées et la réglementation renforcée, permettant la mise en place de contre-mesures efficaces. Un rapport publié en 2017 par la LPO conclut en effet que, aujourd'hui, l'impact des éoliennes sur les oiseaux est relativement faible.
Par ailleurs, l'éolien est une opportunité pour nos territoires. En effet, les 1 500 parcs éoliens sont répartis sur l'ensemble du territoire, sans que soient spécifiquement ciblés certains départements ou certaines régions. L'éolien crée quatre emplois par jour - citez-moi une autre industrie qui puisse en dire autant ! Il permet donc de redynamiser des territoires ruraux parfois en déshérence. Certains évoquent la difficile cohabitation entre l'agriculture et l'éolien. Pourtant, il n'y a aucun conflit d'usage du foncier : l'emprise d'une éolienne au sol est de 400 m², c'est moins que pour les autres types d'énergie.
Bien entendu, le développement de l'éolien passe par une acceptation locale et une participation des acteurs locaux aux projets, comme cela a été le cas pour le projet Theolia en Allemagne. Pour appliquer la même démarche, nous poussons au développement d'outils de financement participatif, ce qui nécessite une évolution de la réglementation.
Nous souhaitons également diffuser largement les bonnes pratiques. Nous avions incité M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales, à créer un groupe de travail pour éditer, en concertation avec les acteurs locaux et les développeurs, un guide des bonnes pratiques, afin d'éviter des développements sauvages et anarchiques.
Pour répondre à M. Lionel Quillet, qui s'interrogeait sur l'origine du sondage cité par M. Dumont, je pense qu'il s'agit d'une enquête réalisée par Harris Interactive, qui est un acteur de sondage d'opinion reconnu. Voilà les conclusions : 73 % des Français ont une bonne image de l'éolien, et ce chiffre monte à 80 % pour les riverains des parcs éoliens existants. Il n'y a donc, mesdames et messieurs les Sénateurs, pas d'opposition généralisée à l'éolien : juste une minorité bruyante et intéressée !
Bien sûr, je suis provocateur...
M. Rémy Pointereau. - Ce n'est pas le lieu !
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Exactement !
M. Pierre Muller, France énergie éolienne. - Je pense que nous sommes ici pour débattre de tous les sujets sensibles, comme le fonctionnement des énergies fossiles, la mutilation des paysages par les éoliennes, la dépréciation immobilière, qui semble vous tenir à coeur, la multiplication des lignes électriques, la mortalité aviaire... Et puis, sujet le plus sensible de tous : l'achat des élus.
Pour nous, les énergies renouvelables portent la reconquête de l'avenir de notre espèce. En ce début de XXIe siècle, l'éolien doit être notre cheval de bataille dans la recherche d'une sobriété énergétique ; d'autant que, si dans 10 ans, 20 ans, ou 30 ans, nos petits-enfants trouvent une autre source d'énergie plus intéressante, ils pourront s'affranchir de l'éolien, qui est totalement réversible.
M. Hervé Maurey, président. - Ces premières prises de parole montrent bien la diversité des points de vue sur le sujet et prouve à quel point il est difficile pour nous, élus et citoyens, de faire la part des choses, tant les opinions sont passionnelles.
Nous manquons d'informations fiables et scientifiquement fondées sur le rendement énergétique et le bilan global des énergies renouvelables, l'éolien comme le solaire - et je le dis malgré l'oeil réprobateur de l'Ademe ! Je sais que l'agence a mené de nombreux travaux, il faudrait que la communication autour des conclusions de ces études soit plus accessible et pédagogique. Tous les élus, moi le premier, cherchent à savoir quelles sont les « meilleures » énergies renouvelables, leurs avantages et inconvénients, celles dont il faut encourager - ou non - le développement.
M. Jean-Marc Boyer. - Je souscris totalement aux propos de M. Quillet. En tant qu'ancien président d'un parc régional naturel à proximité duquel se trouve un parc éolien, je voudrais dénoncer l'implantation totalement anarchique des éoliennes, et les méthodes employées par les porteurs de projet. En effet, ceux-ci pratiquent un démarchage au domicile des particuliers parfois douteux ; sans parler des « carottes » financières proposées aux collectivités car, quoi que l'on en dise, aujourd'hui, on achète les collectivités.
Le diagnostic étant posé, quelles solutions peut-on apporter au problème ?
S'agissant de la distance minimale entre une habitation et une éolienne, qui est aujourd'hui fixée à environ trois fois la hauteur de l'éolienne, il faut l'augmenter, car elle n'est pas suffisante. Par ailleurs, il n'est que trop peu tenu compte des avis donnés par les parcs naturels, qu'ils soient régionaux ou nationaux. Enfin, il me semblerait opportun de limiter le nombre d'éoliennes sur chaque partie du territoire, car il est tout à fait déraisonnable de trouver 40 ou 50 éoliennes dans une zone limitée, comme M. Quillet nous l'a montré tout à l'heure.
Il faut que le législateur se saisisse rapidement de ces sujets.
M. Jean-Michel Houllegatte. - Personnellement, je suis convaincu que la réponse à nos problématiques climatiques passe par un mix énergétique au sein duquel l'éolien a toute sa place. Il ne faut surtout pas céder devant les critiques qui assaillent l'éolien, qu'il soit terrestre ou maritime.
La France possède la deuxième façade maritime d'Europe et, en tant qu'élu d'un territoire maritime, je réalise le potentiel que cela représente pour notre pays. L'éolien en mer, en particulier, est actuellement sous-exploité puisque, à la différence d'autres pays européens, nous ne disposons pas de champs d'éolien offshore en activité. Malgré un appel d'offres publié au Journal officiel européen en juillet 2011 et les avancées portées par le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance, les projets ont du mal à se concrétiser.
Le facteur de charge de l'éolien offshore est de 40 %, mais les récentes évolutions technologiques laissent envisager que l'on pourra monter jusqu'à 60 %. Comment améliorer le développement de l'éolien offshore et les retombées économiques pour les territoires ?
Enfin, je tiens à souligner la qualité de l'excellent ouvrage Un vent de transition, publié par France énergie éolienne, qui présente des infographies permettant de mieux comprendre l'énergie éolienne.
M. Rémy Pointereau. - Nous avons entendu des pro-éolien et des anti-éolien, je crois que la vérité se situe à mi-chemin. Il existe des difficultés techniques, comme le stockage, et des problèmes de zonage. En effet, il faudrait pouvoir délimiter des zones dédiées au développement éolien, par exemple dans les plaines de la Beauce, le long des autoroutes ou en pleine mer, mais éviter de mettre des éoliennes devant le piton de Sancerre ou la chaîne des Puys.
L'acceptabilité est également un enjeu majeur. Ma communauté de communes avait créé une zone de développement de l'éolien (ZDE), en ciblant une zone où il n'y avait pas de population. Seulement, quelques années plus tard, la compétence est passée au niveau régional, et la ZDE a été supprimée. Finalement, on se retrouve dans une sorte de jungle administrative et même les communes qui sont opposées à l'éolien en sont cernées, en subissant les inconvénients sans en tirer les avantages. Il y a aussi un effet d'entraînement, chacun se disant : « Si les autres en installent, pourquoi pas moi ? » Tout le monde a envie d'installer quelques éoliennes pour compenser la baisse des dotations de l'État, et l'on se retrouve avec des territoires saturés.
Je pense que plutôt que de planter quelques éoliennes un peu partout, il vaut mieux les concentrer sur des zones bien définies, loin des zones habitées. Il faudrait également se doter d'un moratoire, afin de repartir sur de bonnes bases.
Mme Nelly Tocqueville. - Comme M. Muller, je crois qu'il est nécessaire de prendre conscience qu'il faut absolument décarboner l'énergie. Toutes les solutions technologiques permettant de lutter contre le réchauffement climatique doivent être envisagées, c'est pourquoi nous avons déjà abordé cette question au sein de la commission, et nous continuerons de le faire.
Au-delà du clivage pour-contre, nous devons réfléchir à la place de l'éolien de façon pragmatique et réaliste. L'impact sur le paysage est réel, et nous ne pouvons pas ignorer la centaine de milliers de kilomètres de lignes à haute tension qui parcourent le territoire. Les éoliennes ne sont pas toujours installées là où elles seraient le plus efficace, il y a donc une réflexion à mener sur la répartition géographique des éoliennes - la carte présentée par M. Quillet en est la preuve.
M. Guillaume Gontard. - Je pense que la première chose à faire est de réduire notre consommation d'énergie, car, que l'énergie vienne du nucléaire, du solaire, du charbon ou de l'éolien, lorsqu'on en consomme, on a forcément un impact sur l'environnement ! Comme cela a déjà été dit, l'éolien a l'avantage d'être largement réversible : en termes d'artificialisation des sols, l'installation d'une éolienne est équivalente à la construction d'une maison individuelle. La création d'un lotissement mal pensé a des conséquences beaucoup plus négatives sur l'environnement !
La réflexion doit être menée à une échelle au moins intercommunale, en associant les citoyens, les parcs naturels régionaux. Nous l'avons fait sur mon territoire, afin que les projets ne se fassent pas commune par commune, et nous avons fixé un cahier des charges contraignant pour les opérateurs. Dans l'ensemble, et même si la Caisse des dépôts répond souvent présente, beaucoup d'opérateurs sont encore frileux sur le montage financier et la participation des collectivités à ces projets.
M. Joël Bigot. - La production éolienne fait partie du mix énergétique et, à ce titre, il est difficile de s'en passer. Pour autant, la construction d'éoliennes terrestres pose actuellement de gros problèmes. Dans mon département, l'acceptabilité des projets est très faible et les éoliennes largement contestées. Je m'interroge donc sur l'opportunité de légiférer, afin de contraindre à un regroupement des installations.
Par ailleurs, certaines régions littorales ont appelé à construire des parcs éoliens marins. Peut-être est-ce un moyen de contourner les règles pour avoir des parcs d'ampleur.
Enfin, il est important de créer et structurer d'ores et déjà une filière de recyclage, de sorte qu'elle soit opérationnelle lorsqu'il faudra démonter les éoliennes.
M. Éric Gold. - On peut constater avec les interventions de ce matin que les opposants au développement éolien fondent souvent leur argumentaire sur les conséquences de ces infrastructures sur le paysage. C'est le seul argument qui me paraisse recevable. Or, un projet de décret visant la déconcentration totale des autorisations de travaux en site classé est actuellement en préparation. Alors que jusqu'ici, la protection des sites et des paysages était assurée par un régime d'autorisation spécial, qui suspendait tous les travaux modifiant l'aspect des lieux à une décision délivrée par le ministre concerné, elle relèverait, au terme du décret, du seul préfet de département. Lorsque l'on sait le poids et la force de certaines entreprises développant l'éolien, on peut s'interroger sur le risque qu'un tel décret représente pour les paysages remarquables, dont on oublie trop souvent qu'ils sont un atout touristique très important pour certains territoires, bien plus que les éoliennes.
M. Jordi Ginesta. - Je tiens pour ma part à féliciter chaleureusement les auteurs du livre Éoliennes : chronique d'un naufrage annoncé, qui, ce n'est pas courant, dit clairement les choses. L'objectif d'une éolienne, c'est de produire de l'énergie, pas de savoir si les oiseaux s'adaptent ou les paysages en sont dégradés. Or, le livre explique qu'il existe un facteur 5 entre les infrastructures installées et l'énergie produite, pour un coût total de l'ordre de 15 milliards d'euros. L'éolien est une source d'énergie intermittente et aléatoire : la seule énergie décarbonée produite de façon régulière, qui permet d'alimenter notre industrie, et dont la surface est la plus réduite, est celle produite par les centrales nucléaires.
Aujourd'hui, avec l'éolien, on n'est plus très loin de l'escroquerie intellectuelle : l'Allemagne a arrêté ses centrales, et cela a créé beaucoup plus de nuisances que si elles fonctionnaient encore. L'énergie produite par les éoliennes devra toujours être accompagnée d'une énergie que l'on peut réguler, comme celle d'origine nucléaire.
M. Ronan Dantec. - La France s'est lancée dans la transition énergétique. Et, comme chaque fois que l'on essaie de changer, il faut faire face à beaucoup de positions conservatrices. Aujourd'hui, le coût de production de l'éolien est deux fois moins cher que celui du nucléaire, qui n'est donc absolument plus compétitif. La France est hélas piégée dans ce choix énergétique des années 1970, mais l'éolien est bien l'une des grandes réponses mondiales au défi posé par la transition énergétique.
Je reprendrai l'exemple de l'Allemagne, car tout ce que l'on peut entendre sur leur système énergétique est généralement faux. Ce pays a fait le choix de mettre fin au nucléaire au profit d'énergies renouvelables, et ses émissions de gaz à effet de serre diminuent très rapidement. Ils cherchent aujourd'hui à remplacer également les centrales à charbon par plus d'énergies renouvelables. L'Angleterre, qui a également fait le choix massif de l'éolien, et notamment de l'éolien offshore, a vécu pour la première fois le mois dernier une journée sans recours à ses centrales à charbon.
La France, elle, a fait le choix tragique, il y a dix ou quinze ans, de s'opposer au développement de l'éolien. Nous sommes donc un nain économique en la matière, alors que c'est l'une des grandes énergies les plus robustes actuellement en termes de coût et de production locale. Certains semblent considérer que les composants des éoliennes, en particulier les roulements à billes, sont majoritairement produits à l'étranger. La Vendée, c'est l'étranger ? Pour moi, c'est encore la France...
Autre point essentiel en faveur de l'éolien - même si cela est vrai également du photovoltaïque, bien que dans une moindre mesure -, il crée des recettes pour les territoires qui produisent de l'énergie. Je suis choqué d'entendre, au sein même du Sénat, que les maires et les citoyens qui font conjointement le choix de l'éolien sont des gens faibles, incapables d'établir un budget et victimes de commerciaux brillants. Ce sont des propos inacceptables !
J'inaugure régulièrement des parcs éoliens en Loire-Atlantique, et la population locale, comme les maires de tous bords politiques, demandent souvent ces investissements, considérant que les services rendus par la recette sont supérieurs à la nuisance paysagère des éoliennes. Certes, pour certains paysages remarquables, il faut être prudent ; mais, s'agissant de la transition énergétique, l'éolien rend le pays plus robuste.
Mme Martine Filleul. - Comme nombre de mes collègues, je pense que l'éolien est absolument indispensable à la réussite de notre transition énergétique - sous réserve, cependant, de lever un certain nombre de difficultés préalables en termes de santé et de répartition territoriale. Beaucoup ce matin ont déjà évoqué l'importance de la concertation publique, du dialogue et de l'appropriation des projets par les personnes qui habitent à proximité d'une éolienne. Malheureusement, la législation n'évolue pas dans le bon sens : en effet, un décret supprime le processus d'enquête publique, le remplaçant par une consultation en ligne des citoyens. C'est en particulier le cas en Bretagne et dans les Hauts-de-France, où il existe pourtant des projets importants comme la ferme industrielle des Mille Vaches, dans la Somme, ou le parc éolien de Dunkerque.
Nous nous trouvons donc dans une situation paradoxale : alors que nous sommes tous d'accord sur la nécessité de dialoguer, la concertation va en s'amenuisant. Comment faire pour assurer concertation et pédagogie pour les citoyens ?
M. Lionel Quillet, premier vice-président du département de Charente-Maritime, en charge des questions relatives à l'éolien. - Je souhaite d'abord m'excuser pour le ton un peu vif de mon intervention : en tant qu'élu, je ne suis pas anti-éolien, mais lorsque j'entends le terme de « minorité agissante », cela me fait bondir. Tout ce que je demande, c'est que le cadre de la loi soit retravaillé. M. Dantec a dit que l'éolien était une grande énergie, vouée à devenir de plus en plus importante. Je suis tout à fait d'accord, mais ce n'est pas parce que les projets sont portés au niveau départemental ou régional qu'il ne doit pas y avoir de concertation avec les élus locaux. Des maires viennent me voir en me disant : « Je ne veux pas de l'éolien, mais je ne peux rien faire ! » Surtout lorsque, sur la commune d'à côté, le maire a accepté un projet...
Combien de personnes favorables à l'éolien en sont effectivement riveraines ? Il n'y en a pas ! Si, aujourd'hui, les gens sont exaspérés, c'est que certains territoires sont saturés ! Le président de la région, Dominique Bussereau, n'a pas la réputation d'un va-t-en-guerre : mais la situation est devenue intenable. De l'éolien, oui, mais pas trop ! Cela est d'ailleurs vrai de tous types de projets. Tous les arguments avancés font état de l'intérêt de l'éolien - je laisse la discussion à plus expert que moi -, mais quid de la prise en compte du terrain ? Je demande simplement l'encadrement des installations, car à trente, voire quarante éoliennes sur un même territoire, c'est invivable ! Or, ni l'État, ni l'Ademe ne regardent le nombre d'éoliennes au kilomètre carré. Pourquoi ne pas encadrer le démarchage ? Pourquoi la procédure pour obtenir un marché n'est-elle pas publique ? Pourquoi sont-ce des commerciaux qui se présentent ?
M. Rémi Chabrillat, directeur production et énergies durables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. - Les commerciaux sont accrédités.
M. Lionel Quillet, premier vice-président du département de Charente-Maritime, en charge des questions relatives à l'éolien. - Ils sont extraordinairement doués : si je suis un commerçant, moi, je les embauche immédiatement ! Cela fait bien longtemps, nous le savons tous, que, dans la petite ou la grande histoire de France, on a laissé à des lobbies commerciaux le soin de réaliser des aménagements publics dans un intérêt dit général, et que cela a fini par causer des problèmes. Dans dix ou vingt ans, il ne sera plus possible d'installer de l'éolien, car ce sera devenu insupportable. Voilà pourquoi il faut équilibrer les choses ! Parfois, l'issue de la concertation locale est positive ; mais, lorsque les territoires sont totalement opposés, on leur impose d'autorité la réalisation du projet. Dans ce cas-là, l'enquête publique ne sert plus à rien, aucun recours n'est possible sans aller directement en appel : ce n'est pas une procédure digne d'un État républicain ! Aucun autre type de projet n'est aussi facile que l'éolien.
Je siège à la commission supérieure des sites, perspectives et paysages, à laquelle participe une trentaine de représentants environnementaux. Il arrive que tous soient contre un projet éolien, mais cela n'empêche pas le préfet de conclure : « Je vous remercie pour vos avis très intéressants, mais c'est moi qui déciderai ». Que la loi s'applique et que l'éolien soit encadré : c'est tout ce que nous demandons !
M. Roy Mahfouz, président de la commission environnement de France énergie éolienne. - Il est vrai que nous avons des problèmes avec l'acceptabilité des projets et leurs conséquences sur les paysages. Mais on ne peut pas dire que les élus sont achetés. Concernant l'acceptabilité et la saturation, nous avons mené une comparaison avec le Danemark : on y trouve 423 éoliennes aux mille kilomètres carrés, contre 40 en Espagne et seulement 14 en France. Cela vous donne une idée des seuils d'acceptabilité des projets. Nous avons également comparé la région des Hauts-de-France, où l'on parle de saturation, avec la Basse-Saxe : la première compte 50 éoliennes aux mille kilomètres carrés, la seconde pas moins de 232.
Le coeur du sujet n'est donc pas l'environnement, ni la biodiversité : c'est une question d'acceptabilité de l'éolien dans le paysage, sujet très subjectif. Si nous parvenons à donner du sens à la présence des éoliennes, alors elles ne choquent pas ; dans le cas contraire, on les perçoit comme une pollution visuelle.
L'éolien est un sujet qui fait largement appel au domaine de l'affectif, et nos débats ce matin ont montré que la salle était majoritairement opposée à l'éolien. Alors peut-être mes propos paraîtront-ils provocateurs, mais je pense que si la moyenne d'âge avait été de 25 ans, les positions auraient été très différentes. Aujourd'hui, les jeunes trouvent du sens à l'éolien.
S'agissant des enquêtes publiques, l'opinion qui en ressort est bien entendu prise en compte : si une majorité est opposée au projet, l'autorisation est refusée. Quant à la facilité avec laquelle on installe une éolienne, ce n'est pas vrai : il faut une dizaine d'années de travail avant de voir aboutir un projet, car la loi relative aux installations classées pour la protection de l'environnement est contraignante.
Un troisième sujet n'a pas été abordé - il est pourtant développé dans l'ouvrage de MM. Dumont et de Kergolay - la question principale porte sur l'avenir. Aujourd'hui, l'énergie nucléaire suffit à la consommation, mais demain ? Lorsque les vieilles centrales seront arrêtées, nous aurons besoin d'une autre source d'énergie, car les EPR ne seront pas encore en activité : l'éolien aura toute sa place. L'Ademe a beaucoup travaillé sur ce sujet ; hélas, on ne l'entend pas assez.
M. Pierre Dumont, coauteur de l'ouvrage Éoliennes : chronique d'un naufrage annoncé. - Vous pardonnerez à un ignare menteur et mal informé d'oser prendre la parole devant votre assemblée. Je souhaite revenir sur la réalité du développement d'un parc éolien. Je suis élu depuis 30 ans d'une petite commune du Bas-Berry, composée essentiellement d'éleveurs de vaches limousines.
Les choses se passent en catimini : des commerciaux viennent voir le maire, il ne résiste pas - l'église à refaire, la salle des fêtes à rénover : il cède. Il va voir l'agriculteur. Un agriculteur du bas-Berry, ça élève une soixantaine de vaches pour un chiffre d'affaires de 60 000 euros. Forcément, si on lui propose 5 000 ou 6 000 euros pour l'installation d'une éolienne, il accepte - cela s'appelle très clairement de l'abus de faiblesse.
La population n'est informée du projet que lors du dépôt de permis de construire. Or, à ce moment-là, la messe est déjà dite : le maire est d'accord, les terrains sont loués. Des commissions se réunissent pour juger l'étude d'impact, pitrerie commandée à bas prix à un petit bureau d'études ou à un grand bureau d'études qui aura réalisé de beaux dessins. Qu'importe : la commission départementale des sites, perspectives et paysages est contre, l'architecte des bâtiments de France est contre, mais leur avis n'est pas pris en compte. Les conséquences sur les oiseaux, les chauves-souris, les paysages, sont balayées d'un revers de main.
On est face à un véritable déni de démocratie. Je ne jette pas la pierre aux élus locaux : ils se débrouillent comme ils peuvent pour faire vivre leurs communes et j'ai beaucoup de respect pour eux. Je constate simplement que les projets sont menés avec le plus grand mépris pour la population.
J'ai entendu que l'éolien participait à la lutte contre le réchauffement climatique et contribuait à décarboner notre énergie : je vous rappelle, s'il en était besoin, que l'énergie française est, grâce au nucléaire, l'une des plus décarbonées après la Suisse. Je ne dis pas que nous n'avons pas besoin d'éoliennes ; je dis que nous n'en avons pas besoin pour lutter contre le réchauffement climatique, car nous ne ferons pas mieux qu'aujourd'hui avec le nucléaire et l'hydraulique.
Ensuite, la disparition du schéma régional éolien a entraîné un développement totalement anarchique : aujourd'hui, plus personne ne prend en compte les espaces protégés, les paysages. Dans de telles conditions, la France entière est susceptible de se trouver couverte d'éoliennes. Si on voulait remplacer les 58 réacteurs nucléaires qui produisent actuellement 62 400 mégawatts d'énergie, il faudrait 99 040 éoliennes : je vous laisse imaginer... Ce serait un désastre ! Plus un seul paysage en France, hormis au coeur des grandes villes, ne serait exempt d'éoliennes. Ce sont des choses qu'il faut dire, parce que nous sommes noyés de bonnes intentions : on nous explique que refuser les éoliennes, c'est être un très méchant citoyen qui refuse la transition énergétique et de lutter contre le réchauffement climatique. Mais c'est un mensonge ! Pour lutter contre le réchauffement climatique, il faut jouer sur la consommation, puisque notre production est déjà totalement décarbonée. En France, le lobby écologiste est puissant et, de fait, le mythe de la sortie du nucléaire reste très présent. J'engage ceux qui font l'apologie du système allemand, à lire cet excellent article du Spiegel, ce grand quotidien allemand à tendance écologique : il est édifiant ! La transition écologique allemande est un véritable désastre. L'éolien n'a permis d'assurer la consommation énergétique que d'un seul jour en 2018 ! Le reste du temps, les centrales à charbon tournent à plein régime et leur fonctionnement a d'ailleurs été prolongé jusqu'en 2038.
M. Hervé Maurey, président. - Pour terminer ce tour de table, je donne la parole à M. Chabrillat qui, je l'espère, apportera un peu de sérénité et d'objectivité à ce débat, dont nous souhaiterions tous ici qu'il reste courtois.
M. Rémi Chabrillat. - Vous faites peser une lourde responsabilité sur mes épaules !
S'agissant de la pertinence locale de l'implantation des éoliennes, l'Ademe a réalisé, en partenariat avec les conseils régionaux, des atlas de l'éolien. Nous cherchons à travailler au plus près des collectivités territoriales sur ces sujets.
La France a choisi de désengager l'État des investissements dans les outils de production d'électricité et de laisser cela aux opérateurs privés. La présence de commerciaux n'est que le résultat d'un choix politique.
Ensuite, doit-on installer des éoliennes uniquement là où il y a du vent ? France énergie éolienne en parlerait mieux que moi, mais ces entreprises privées doivent gagner de l'argent ; or, elles sont rémunérées uniquement sur l'énergie qu'elles vendent. Donc, sur la question de l'implantation, je fais confiance aux industriels : ils ont tout intérêt à s'implanter là où ils vont faire de l'argent, donc là où la production est maximisée.
Enfin, pour terminer sur ce sujet de la planification territoriale, les schémas régionaux éoliens existent toujours et, personnellement, j'étais favorable aux zones de développement de l'éolien, les ZDE. En tant que citoyen et en tant qu'ancien responsable local d'un établissement public d'État, j'ai travaillé avec les élus locaux et j'ai confiance en eux. Certains des propos tenus aujourd'hui m'affectent. J'ai en tête plusieurs exemples de projets qui ont été portés par des collectivités et des parcs naturels régionaux, comme celui d'Ardes-sur-Couze, porté par le président de la communauté de communes, qui a fait réaliser les études. Je crois fermement à l'implication des collectivités dans le portage des projets.
Enfin, je n'ai pas souvenir en trente-huit ans d'activités administratives d'un projet d'infrastructure qui n'ait été contesté, que ce soit une autoroute, une nationale ou une déviation.
Mme Marta de Cidrac. - Le débat de ce matin est passionnant et les prises de positions passionnées de chaque côté. En préambule, je souhaiterais dire que l'éolien n'est pas une affaire d'âge, mais une question d'expertise et d'expérience. Vous avez tous parlé de paysages, c'est-à-dire de la partie visible de l'éolien. Je voudrais revenir sur la partie infrastructure. La plupart des ouvrages sont hauts, pesants et supportés par des fondations pour lesquelles on fait couler du béton par centaine de tonnes. Nous savons également que l'espérance de vie moyenne d'une éolienne est de vingt à trente ans, durant lesquels ces ouvrages doivent être entretenus. Cela suppose donc une infrastructure pour accéder à ces éoliennes ainsi qu'une déminéralisation invisible de nos territoires. Que vont devenir ces parcs à un horizon de cinquante ou cent ans ? Comment le prépare-t-on ? Qu'avez-vous à répondre à nos inquiétudes quant à ce qui se passera après l'éolien ? Par ailleurs, M. Muller a évoqué le chiffre de 18 000 emplois locaux. Je souhaiterais savoir qui fabrique ces éoliennes aujourd'hui, quelles sont les principales entreprises productrices ? Où sont-elles implantées ? Quel est le poids de ce marché ? Enfin, je rappelle que l'enjeu environnemental ne concerne pas uniquement l'énergie ; il est beaucoup plus vaste.
Mme Angèle Préville. - Je souhaiterais apporter une réponse à propos des mâts des éoliennes. J'ai eu l'occasion de visiter une entreprise française qui en fabrique. Le marché européen de l'électricité est un marché foisonnant, marqué par de multiples échanges entre la France et les autres pays européens. La production française d'énergie par les éoliennes rentrera dans ce mix européen et sera la bienvenue. Or, nous sommes en retard sur la production d'énergies renouvelables. Le nucléaire peut être intéressant mais nous ne devons pas oublier que le démantèlement de nos centrales, de plus en plus vieillissantes, ainsi que la question des déchets nucléaires constituent un énorme problème. Nous sommes, de toute façon, dans l'obligation de rentrer dans un mix énergétique, dans lequel l'éolien doit prendre toute sa part. J'ai été choquée par ce qui s'est passé dans le département de Charente-Maritime. Dans mon département, il se passe une chose similaire avec des unités de méthanisation qui s'installent partout, parfois sans l'accord des élus, via des décisions du Préfet. Nous assistons à un phénomène à marche forcée consistant à imposer partout des éoliennes et de la méthanisation. Nous devons réfléchir à un cadre législatif pour répondre à ce problème de développement anarchique. Enfin, je serais favorable à ce que la part des citoyens et des collectivités soit significativement plus importante s'agissant des projets participatifs.
M. Benoît Huré. - Je constate depuis quelques mois que ce débat devient de plus en plus conflictuel. Les autorités publiques devraient faciliter le développement d'autres énergies alternatives, comme l'exploitation de la biomasse ou l'hydroélectricité. Nous avons eu tort de supprimer le débat et la concertation autour des ZDE, qui nous permettaient d'avoir une approche un peu différente. S'agissant des filières de recyclage des éoliennes, je n'ai pas de doute sur le fait que nous en trouverons. Je suis néanmoins plus inquiet sur le devenir des terres rares, qui viennent essentiellement de Mongolie, et dont l'extraction est à l'origine de gros problèmes environnementaux. Enfin, je souhaiterais souligner un point qui n'a jamais été traité : l'artificialisation des sols, qui n'est pas si réversible, compte tenu des centaines de tonnes de béton enfouies dedans. Sur l'incitation fiscale, je regrette que la fiscalité soit anarchique. J'attends beaucoup de la réforme des financements dédiés aux collectivités.
M. Claude Bérit-Débat. - L'éolien a toute sa place dans le mix énergétique, que nous avons voté dans cette assemblée. En Dordogne, où nous n'avons pas encore d'éolien, nous avons de nombreux projets actuellement débattus. Le seul argument qui va à l'encontre de l'installation d'éoliennes est « l'atteinte aux paysages ». Je regrette que le système des ZDE ait disparu. Il faudrait arriver, à l'échelle de la région ou de l'intercommunalité, à mettre en place un schéma de programmation, qui soit le plus près possible des territoires, et dans lequel la totalité des élus locaux et les citoyens puissent se prononcer. Le refus du recours à ce type d'énergie renouvelable s'explique souvent pas la non implication des citoyens et des élus dans la réflexion. Je souhaite que le Sénat, avec la sagesse qu'on lui connaît, puisse se saisir de ce problème et fasse des propositions dans ce sens.
M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Lorsque nous avons discuté la transition énergétique, nous avons retenu le principe d'un éloignement minimum de 500 mètres entre les éoliennes et les habitations. Un amendement de notre collègue Jean Germain avait même proposé d'étendre ce rayon à 1 000 mètres. Or, à l'époque, les éoliennes étaient beaucoup moins hautes qu'elles ne le sont aujourd'hui. Je me demande donc si nous ne devrions pas reconsidérer la distance réglementaire entre les habitations et les éoliennes, afin d'en améliorer l'acceptabilité. J'y serais plutôt favorable. Par ailleurs, je déplore l'anarchie dans les projets d'implantation d'éoliennes. Dans ma communauté de commune, par exemple, nous avons récupéré un ancien terrain militaire sur lequel nous avons fait installer des panneaux photovoltaïques. Malgré cela, nous avons sept projets d'éolien, en raison du bénéfice attendu par les maires concernés. Je déplore qu'il n'y ait aucun projet de concertation en amont. Il devient extrêmement difficile de contester ces projets, à partir du moment où l'argent a été versé. Certains propriétaires se voient proposer jusqu'à 11 000 euros par éolienne installée. Or, ces propriétaires sont souvent des retraités touchant une pension très faible, ce qui facilite « l'acceptabilité » des éoliennes.
Mme Nicole Bonnefoy. - Dans mon département, la Charente, notamment dans le nord du territoire, sont installées de nombreuses éoliennes à l'origine d'un sentiment d'encerclement, voire de déclassement. Je pense que ce n'est pas l'éolien qui pose problème, mais la concentration des éoliennes dans un espace restreint. Il y aurait lieu d'améliorer les outils de planification afin de mieux répartir les éoliennes. Si les ZDE et les schémas régionaux n'existent plus, en revanche, nous avons toujours les schémas de cohérence territoriale (SCOT), dans lesquels nous pouvons intégrer les énergies renouvelables. Certains élus travaillent sur un guide de l'éolien avec la population. Puis, dans le plan d'urbanisme intercommunal, les élus peuvent définir des zones éoliennes, de telle sorte que nous disposions d'outils prescriptifs, notamment face aux entreprises qui, dès lors, ne peuvent plus implanter les éoliennes que dans ces zones. Tout cela montre que des outils existent. Il appartient au législateur de les renforcer, de les rendre plus lisibles, ce que nous pourrions faire à l'occasion de l'examen du projet de loi sur le climat et l'énergie, qui sera prochainement examiné. J'ai constaté, dans mon département, que peu d'élus savent qu'ils peuvent s'impliquer dans des projets publics de développement d'énergies éoliennes. Il y a donc également un travail de communication à mener.
M. Jérôme Bignon. - Je suis favorable au mix énergétique de façon résolue. À titre personnel, j'ai vécu deux expériences compliquées avec l'éolien : d'une part, le projet de parc naturel marin du Tréport, dans lequel un parc d'éolien a été implanté et, d'autre part, la concentration de 600 mâts dans le département de la Somme (soit un mât tous les trois kilomètres en moyenne), quand on nous annonce l'arrivée de 400 nouveaux mâts. Je comprends l'éolien mais je souhaiterais qu'il soit mieux réparti. Nous aurions besoin de davantage de rationalisation et de planification pour mieux encadrer ces implantations. On pourrait par exemple imaginer que les régions s'investissent davantage dans le mix énergétique, à l'instar de ce que propose Xavier Bertrand pour la méthanisation.
Mme Pascale Bories. - L'enjeu actuel est la décarbonation de la production d'énergie. Mais nous ne pouvons pas limiter cet enjeu au seul territoire français. En réponse à M. Dantec, je rappelle que la France émet 4,38 tonnes de CO2 par habitant, alors que l'Allemagne ou le Danemark en émettent respectivement 8,88 et 9,10. Ces pays-là ont une marge de progression d'autant plus importante. S'agissant de l'impact sur l'environnement, M. Dumont, dans son ouvrage, a évoqué le recyclage des pales fabriquées en fibre de carbone avec d'autres éléments difficilement recyclables. J'aimerais avoir des éléments plus précis sur les processus de recyclage : où en est-on ? Y a-t-il une filière en Europe ? Sachant que la durée de vie des mâts et des pales est de quinze à vingt ans, nous pourrions nous retrouver, d'ici quelques années, avec un stock important à recycler. Vous avez également évoqué le devenir des socles bétonnés. Lorsqu'un mât doit être remplacé, il faut réimplanter un nouveau socle. Sachant que les socles sont bétonnés, qu'avez-vous prévu pour déterrer l'ensemble des stocks existants ? Il y a également un enjeu sur la biodiversité : une étude de la Ligue pour la protection des oiseaux, en 2015, a montré que sur les 97 espèces retrouvées mortes aux alentours des éoliennes, 75 % sont officiellement protégées en France. Je souhaiterais donc demander à M. Chabrillat si un protocole de suivi a été réalisé sur le sujet. L'éolien touche aussi des enjeux économiques : certains acteurs économiques sont touchés par les parcs éoliens en mer, essentiellement les pêcheurs, particulièrement impactés dans leurs zones de pêche. Enfin, s'agissant du coût de production, je rappelle qu'il est de 15 dollars aux États-Unis. Je souhaiterais demander à M. Muller ce qu'il en est actuellement en France.
M. Christophe Priou. - J'ai toujours été plus favorable à l'éolien offshore qu'à l'éolien terrestre, étant originaire d'une région dans laquelle nous avons connu de nombreux problèmes paysagers. Il y a urgence à intervenir pour définir une politique environnementale qui manque actuellement de bon sens : tantôt on aurait dû favoriser la filière bois, tantôt le méthane, tantôt le photovoltaïque, tantôt l'éolien. Mais la politique environnementale, en France, est une politique fiscale. On a pu le constater sur le développement du photovoltaïque stoppé en plein vol par Bercy ; on verra peut-être le même phénomène pour l'éolien, même si celui-ci est supporté par un lobby. Dans deux communes de Loire-Atlantique, Saffré et Puceul, nous craignons une concomitance entre l'installation de l'éolien terrestre et d'éventuelles conséquences sanitaires sur les humains et les élevages d'animaux. Nous avons de vraies interrogations à ce sujet. On peut se demander si le principe de précaution, pourtant inscrit dans notre Constitution, est vraiment appliqué pour l'éolien.
M. Olivier Jacquin. - Merci pour ce débat que je qualifierais de baroque. Je suis étonné que l'on approche le dossier avec des croyances, nous sommes des êtres rationnels, doués de bon sens. Je pense que ces questions de rendement énergétique s'abordent par des données techniques que nous avons : la Cour des comptes a publié de nombreuses études sur la pertinence économique des différents modes de production et je serais demandeur d'une table ronde à l'occasion sur ce sujet, certainement avec l'Ademe pour aborder les choses de manière posée. Mais ce qui compte, c'est le coût global de production. Je ne comprends pas l'approche de Monsieur Dumont qui compare la production effective et la capacité. Ce qui nous intéresse, c'est le coût global de production du kW/h, coût global de production qui intègre l'ensemble des coûts jusqu'au au démantèlement et nous avons des chiffres qui sont assez intéressants. Sur la question de l'acceptabilité, tout le territoire français ne peut pas porter de l'éolien. J'étais président d'une communauté de communes qui avait mis en place, dans un parc naturel, une zone de développement éolien et je rejoindrai mes collègues qui se sont exprimés en ce sens, Rémy Pointereau, Benoît Huré ou Guillaume Gontard : on avait là une approche de concertation qui permettait sans aucun doute une meilleure acceptabilité, d'autant plus si elle est doublée d'un véritable partage de la valeur économique. Il y a effectivement des situations, et je le vois sur certains territoires, où les promoteurs de l'éolien viennent avec une valise de billets et vendent l'offre au plus offrant : des pacotilles contre les bénéfices potentiels qu'ils peuvent retirer. Cela n'est pas acceptable. J'ai dans mon département un parc éolien exemplaire qui n'a donné lieu à aucun recours parce qu'il a fait l'objet d'un financement participatif et parce qu'une société d'économie mixte a été créée, dans laquelle le rendement pour les collectivités qui ont pu investir avec des prêts était trois fois supérieur à celui du simple rendement fiscal par l'Ifer.
M. Hervé Maurey, président. - Merci mes chers collègues pour toutes ces interventions. Je vais redonner la parole aux différents intervenants. Je souhaiterais que vos réponses soient brèves, mesurées, qu'elles ne soient ni caricaturales ni agressives et que nous puissions aborder un certain nombre de points qui n'ont pas encore été évoqués et qui me paraissent essentiels, comme la question du rendement énergétique. Nous sommes tous d'accord pour dire qu'il faut une transition écologique et développer les énergies renouvelables, et d'ailleurs c'est un objectif, je l'ai rappelé en ouverture, qui est dans la loi. La vraie question est de savoir si l'éolien est le meilleur moyen d'y parvenir et dans quelle proportion organiser ce mix énergétique entre les différentes énergies renouvelables. J'aimerais que dans ce dernier tour de table, vous puissiez apporter des éléments très concrets et très précis.
M. Pierre Muller, France énergie éolienne. - Une première remarque simplement : l'éolien est un sujet toujours passionné qui entraîne dans les débats, soit des mots mal compris, soit des mots qui trop puissants. La remarque de mon collègue au sujet des 25 ans faisait allusion à mon propos préliminaires sur les marches vertes.
La planification est un vrai sujet. À une époque, nous avions des ZDE qui cadraient bien le sujet. Mais le problème est qu'elles étaient longues à mettre en place, petites, sans vision macro et faisaient l'objet de recours systématique. Par conséquent, les projets n'avançaient plus. Aujourd'hui, il existe des outils : les PLU, les PLUI, les SCOT, les Sraddet, qui sont en train d'être mis en place. Autant d'outils qui sont sûrement méconnus par les municipalités. C'est à nous aussi de communiquer pour montrer ce qui a été décidé au niveau macro et au niveau de la collectivité. Auparavant, nous avions les schémas régionaux climat air énergie dans lesquels il y avait les schémas régionaux éolien, ce qui était pour nous extrêmement lisible : nous savions où aller. L'inconvénient de cet exercice-là est que la volonté était de densifier au lieu de miter et donc on se retrouvait avec des zones où il y avait beaucoup d'éoliennes, ce qui était difficile pour l'acceptation. Plus nous aurons de cadres, moins nous aurons de densification sauvage.
Sur 40 à 50 % du territoire, il n'est pas possible de développer l'éolien à cause de différentes contraintes. Ces contraintes sont justifiées pour le moment et nous essayons d'agir pour les limiter ou les réduire. Pour la DGAC, nous avons des balises aériennes qui s'appellent des VOR : il y a un périmètre de sécurité de 15 kilomètres autour des VOR et il y en a 80 en France : imaginez la partie de territoire qui est bloquée. La DGAC va passer sur un système satellitaire et donc à terme bon nombre de ces VOR vont disparaître, ce qui va libérer de la place pour l'éolien. Nous travaillons avec la DGAC sur ce sujet. C'est la même chose pour les radars Météo France où il existe un périmètre de 20 km : nous sommes en train de mettre au point des pales qui permettent d'implanter des éoliennes dans ce périmètre, sans gêner la sécurité civile. Nous travaillons également avec l'armée qui a plus de 50 radars militaires pour couvrir la France et assurer notre sécurité, mais qui impose un périmètre de 30 km de contraintes autour. Nous sommes, France énergie éolienne, moteurs, pour essayer de trouver des équipements qui conviennent à l'armée, pour contrebalancer les effets néfastes des éoliennes, afin de libérer de la place. Des efforts qui sont également faits par la défense, puisque la défense a besoin pour ses opérations extérieures d'entraîner ses avions sur tous types de terrain. Une bonne partie du territoire est réservée pour les zones d'entraînement.
En conclusion, nous avons besoin de schémas, qui permettront d'éviter un développement que vous appelez sauvage. Nous avons besoin de communication vis-à-vis des élus pour leur dire ce qui existe. Et la situation va s'améliorer avec la libération de certaines contraintes.
M. Pierre Dumont, coauteur de l'ouvrage Éoliennes : chronique d'un naufrage annoncé. - Je vais répondre à une partie des questions de Mme Bories concernant précisément le démantèlement. Il s'agit d'un sujet important, d'autant plus qu'il me semble que toutes les précautions n'ont pas été prises pour assurer un démantèlement raisonnable des éoliennes en fin de vie. Sauf erreur de ma part, la seule contrainte qui soit imposée au promoteur est de provisionner 50 000 euros pour le démantèlement. Il est clairement admis que cette somme est déraisonnable par rapport au coût réel du démantèlement d'une éolienne dont le montant est évidemment tout à fait différent selon qu'on s'intéresse au socle ou simplement à la structure. Je crois savoir qu'aujourd'hui, il n'est question que de démanteler la structure et d'araser un peu le sol. Il n'en demeure pas moins que rien n'est prévu pour retirer le socle et le ferraillage, ce qui va se chiffrer en millions de tonnes lorsque le programme actuellement en cours sera réalisé. Les 50 000 euros qui sont provisionnés sont tout à fait insuffisants pour assurer un démantèlement complet : je sais qu'une partie du métal pourrait être recyclée et revendue. Nous n'avons pas aujourd'hui de solution crédible pour les pales mais en tout état de cause cette somme est tout à fait insuffisante. À cela s'ajoute le fait que les structures porteuses de projets éoliens sont souvent des sociétés en nom collectif créées par des promoteurs. Elles ont un capital ridicule : celui d'un projet qui me concerne, dans le Bas-Berry est de 100 euros. Je doute que ces 100 euros suffisent à garantir le démantèlement. Je crois savoir qu'il n'y a aucune garantie bancaire sous forme de caution ou de dépôt qui soit prévue. Cette question du démantèlement est donc une question extrêmement grave, qui ne me semble pas avoir été traitée aujourd'hui et dont il est important de s'occuper rapidement.
M. Rémi Chabrillat, directeur production et énergies durables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. - Sur l'origine des composants, les emplois, les fabricants, nous avons réalisé en 2017 une étude bilan industrie, production, service, qui est à votre disposition. C'est de ce travail qu'est issu le chiffre de 18 000 emplois directs, quelques milliards d'euros par an, dont 30 % à l'export. En ce qui concerne les démarches, les outils, les dispositifs, je remercie Nicole Bonnefoy de son intervention. Je pense réellement qu'il existe des outils. Mon premier métier était inspecteur des installations classées, je ne peux donc pas complètement laisser dire qu'il n'y a aucune réglementation sur l'éolien, dans la mesure où ce sont des installations classées pour la protection de l'environnement et soumises à autorisation. Que ce processus ne règle pas, et je l'entends complètement, la question de la répartition géographique, c'est une certitude. Mais il y a un ensemble d'outils, qui peut sûrement être toujours mieux cadré. Il y a déjà eu, je crois, sept lois qui ont traité de l'éolien, dont les deux lois Grenelle, la loi de transition énergétique.
Concernant les questions posées par Madame Bories sur le suivi de l'avifaune, nous travaillons depuis plus de dix ans avec la LPO sur ces sujets-là et nous avons mis en place des suivis. Nous avons notamment publié l'an dernier avec la ligue un travail sur une dizaine de parcs. Le sujet essentiel qui ressort de nos travaux, et de ceux de la LPO, n'est pas la quantité (la mortalité estimée des oiseaux), mais plutôt éventuellement la question de savoir quelles espèces sont touchées. Ce sont donc des questions d'implantation qui se posent : soit de localisation même des parcs, soit de la manière dont les parcs sont construits.
Sur la question du devenir, je pense que si on a confiance dans la capacité de notre pays à gérer la fin de vie de centrales nucléaires et la gestion de leurs déchets sur plusieurs siècles, nous arriverons à trouver une solution pour gérer un mélange de plastique et de fibres de carbone.
Enfin, sur la question de la programmation et de la construction du mix, si vous deviez faire une autre table ronde je vous suggérerais d'inviter la direction générale de l'énergie et du climat, qui est porteuse pour le compte de l'État d'un outil qui s'appelle la programmation pluriannuelle de l'énergie en déclinaison de la loi de transition énergétique.
M. Hervé Maurey, président. - Ma question ne portait pas sur ce qui est prévu par le ministère en termes de mix mais de savoir ou d'essayer de savoir quelles sont les énergies les plus pertinentes en termes de bilan coûts avantages.
M. Rémi Chabrillat, directeur production et énergies durables de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. - Il n'y a pas d'énergie parfaite, il n'y a pas d'énergie qui n'ait pas de défaut. La question du bilan coûts avantages va énormément dépendre de la manière dont vous évaluez les avantages et les coûts non financiers. Avec les objectifs que l'on s'est fixés, y compris de baisse de la part du nucléaire dans le mix énergétique français, nous avons des objectifs de développement des renouvelables qui sont ambitieux et nous aurons besoin de toutes les technologies. En termes de coûts mégawattheure produit, ce qui coûte le moins cher c'est effectivement le photovoltaïque et l'éolien, si l'on excepte ce qu'on ne développera plus, à savoir l'hydraulique historique.
M. Lionel Quillet, premier vice-président du département de Charente-Maritime, en charge des questions relatives à l'éolien. - Quand on a installé le nucléaire, il y avait trois arguments : ça créé des emplois, c'est une bonne énergie et nous n'aurons pas de problème pour le démantèlement. S'agissant de l'éolien, les mêmes arguments sont avancés : on refait exactement les mêmes erreurs. Au moins sur le nucléaire, c'était une initiative publique d'installation publique sous une maîtrise publique. Il ne faut jamais laisser le soin au privé de gérer l'aménagement du territoire : c'est une règle absolue. Avant, on concertait, on avait des ZDE, on a fait de beaux projets. Aujourd'hui le Sraddet de Nouvelle Aquitaine ne prévoit pas les implantations éoliennes sur un schéma, il pose un principe général. Les SCOT ne peuvent pas résister à un aménagement privé de l'éolien sur le territoire : il faut un PLUI actuellement. Les SCOT sont battus en brèche, regardez la jurisprudence. Aujourd'hui, l'aménagement du territoire ne se fait plus comme il y a quelque temps, où on pouvait concerter des problèmes : ce sont des commerciaux qui installent des éoliennes.
Quand des présidents de département disent, et l'ADF le dira, dans beaucoup de département « nous ne maîtrisons plus la situation », ce ne sont pas des gens qui n'ont pas la connaissance du territoire. Parce qu'actuellement, nous ne demandons qu'une chose : nous sommes pour l'éolien, comme nous sommes pour le mix énergétique, mais nous voulons un cadre législatif et des outils véritables de décision publique. Sinon dans quelques années on se demandera comment on a laissé des commerciaux, des entreprises et des fonds de pension qui viennent de l'étranger, installer les ouvrages sur le territoire français en pleine anarchie et en plein mitage. Nous aimerions avoir des schémas mais nous n'avons que du mitage anarchique, nous n'avons plus le contrôle. Redonnez le contrôle aux territoires car le système a évolué. Vous êtes débordés par les initiatives privées.
M. Hervé Maurey, président. - Merci beaucoup pour ces interventions qui étaient passionnées, et qui ont montré encore une fois la tension qui peut exister sur ces sujets. J'ai quand même le sentiment, au terme de cette table ronde qu'il y a plus que jamais besoin d'information objective et accessible. C'est vraiment un effort qu'il faut arriver à faire. Je pense qu'il y a besoin d'une meilleure planification et vous avez été nombreux à regretter la disparition des ZDE. Je vois que c'est un sujet sur lequel les régions n'ont pas forcément envie de s'impliquer davantage parce que c'est justement très compliqué. Et je crois aussi qu'il y a besoin d'améliorer la gouvernance, parce que quand il y a des implantations d'éoliennes qui se font sans l'accord des élus, ce n'est pas normal. Quand elles se font sans l'accord des populations, ça n'est pas normal non plus. Ca influe suffisamment sur les territoires pour que ceux qui y vivent et ceux qui ont en charge le devenir de ces territoires soient plus associés qu'ils ne le sont aujourd'hui. J'espère que dans le projet de loi climat-énergie nous aurons la possibilité d'évoquer ces sujets. Je dis j'espère car comme vous le savez, les questions d'irrecevabilité de l'article 45 sont de plus en plus strictes. Nous devons satisfaire à nos obligations en matière de transition écologique, mais nous devons également arriver à un mixte, le plus équilibré possible, en prenant en compte le bilan coût avantages. Évidemment, il n'y a pas d'énergie, quelle qu'elle soit, qui n'ait pas un coût. Il n'y a pas d'énergie, quelle qu'elle soit, qui n'ait pas des avantages et des inconvénients. Il faut essayer de mettre tout cela en regard.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 25.