Mardi 7 mai 2019
- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -
La réunion est ouverte à 14 h 45.
Proposition de résolution européenne sur la réforme de la politique agricole commune (PAC) - Examen des amendements de séance
Mme Sophie Primas, présidente. - Nous examinons deux amendements sur le texte de la proposition de résolution européenne relative à la PAC.
M. Joël Labbé. - Mon amendement 2 mentionne la notion de paiements pour services environnementaux. Les rapports se suivent et se ressemblent, hélas. Le dernier en date est celui de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES).
Nous travaillons avec la « plateforme pour une autre PAC » ; l'amendement fait suite à une proposition de loi du groupe SOCR pour cibler les aides vers l'agriculture vertueuse, afin d'accélérer la transition, indispensable.
L'amendement 1 va dans le même sens. Il y a des externalités positives dans l'agriculture, il faut les prendre en compte. Elles ont été ajoutées dans le texte à mon initiative, mais dans le cadre, trop restrictif, du programme « Horizon Europe ». C'est dans la PAC entière qu'il faut les reconnaître.
M. Franck Montaugé, rapporteur. - Je partage pour l'essentiel les propos de M. Labbé, néanmoins on peut parvenir à financer les externalités et les services environnementaux sans toucher au budget de la PAC, qui sera en baisse, on le sait. Le programme « Horizon Europe » est doté de 100 milliards d'euros pour 2021-2027 et le sujet évoqué par notre collègue me semble éligible à la ligne « défis sociétaux », au titre du « changement climatique et ressources » ; et au programme transversal « Science avec et pour la société ». Cela renvoie aux problématiques des enjeux climatiques et à la contribution positive de l'agriculture en ce domaine, séquestration du carbone, qualité de l'air et de l'eau... Je crois que nous avons intérêt, dans la PPRE, à nous référer à d'autres programmes qu'à ceux de la PAC. Je vous propose de donner un avis défavorable.
M. Laurent Duplomb. - La réforme de la PAC, dans la dernière mouture concoctée par la Commission européenne, est marquée par une baisse drastique du budget, de 408 à 365 milliards d'euros, ce qui signifie que les aides perçues par chaque exploitant français vont diminuer.
Or, le petit message incessant, encore véhiculé par les deux amendements, va inévitablement amplifier le phénomène. Chaque État membre a déjà la possibilité d'opérer des transferts du premier vers le second pilier, à hauteur de 15 % ; désormais l'inverse est possible, ainsi que le doublement de ce transfert.
Le discours de M. Macron à la Sorbonne, la volonté de certains États qui réclament plus de subsidiarité, autrement dit une PAC de moins en moins « commune » et la possibilité de ces transferts vont dégrader notre situation. En France, l'alimentation n'a jamais été de meilleure qualité alors que l'agriculture n'a jamais été aussi maltraitée ; et les discours anxiogènes rendront inévitable en France un transfert de 30 % du premier au second pilier pour financer des mesures agro-environnementales. Or, pendant ce temps, la Pologne transférera 15 % du deuxième au premier pilier pour accroître sa compétitivité !
Le 28 mai prochain, je vous présenterai le rapport du groupe d'études Agriculture et alimentation qui montre comment, à chaque nouvelle contrainte imposée à l'agriculture, à chaque nouveau coup de masse, nous subissons un peu plus l'assaut de productions européennes ou mondiales qui ne suivent pas les mêmes règles que les nôtres. Déjà, une partie importante de notre alimentation est importée ; 90 % du poulet congelé servi en restauration vient de Pologne ! Continuons à superposer les contraintes, à prétendre que les agriculteurs ne font pas bien leur travail, à les détruire psychologiquement : cela ne sauvera pas la biodiversité, mais au moins, nous n'aurons plus d'agriculture en France. Et l'alimentation ne correspondra plus à la qualité que nous voulons...
M. Joël Labbé. - La proposition de résolution concerne la politique à appliquer au niveau européen. Nous ne cherchons pas à tracasser les agriculteurs français, mais à faire en sorte que l'agriculture européenne dans son ensemble, puis mondiale - car il faudra bien finir par remettre en cause les accords actuels - évolue. La mondialisation, en matière d'alimentation, tend vers l'abomination - qui sera atteinte dans un futur très proche. Il ne s'agit pas de susciter l'anxiété : mais le rapport de l'IPBES décrit une catastrophe. Une résolution européenne est le moyen pour le parlement français de dire vers quelle Europe agricole et alimentaire il souhaite aller.
M. Jean-Claude Tissot. - Ce matin, les journaux se faisaient l'écho du rapport de l'ONU sur la biodiversité. C'est un constat, un million d'espèces animales ou végétales ont disparu ou sont en passe de disparaître : quels outils nous donnons-nous pour enrayer ce déclin ?
M. Daniel Laurent. - Je pensais rédiger un amendement pour rendre pérenne jusqu'en 2050 - au lieu de 2030 - le système d'autorisations des plantations de vignes, seul outil européen de gestion de la production viticole. M. Gremillet, tout en m'indiquant que la proposition de résolution n'était pas le bon véhicule pour en traiter, m'a promis d'évoquer ce point en séance publique. Le Parlement européen a voté cette prolongation jusqu'en 2050, mais la situation reste fragile en raison du prochain renouvellement parlementaire. Ce régime permet de limiter à 1 % l'extension du vignoble européen : je ne présente pas d'amendement mais souhaite que cela soit dit en séance.
M. Michel Raison. - Les effets médiatiques du rapport sur la biodiversité me laissent perplexe. La France émet 1 % du CO2 mondial... Je souhaiterais que nous établissions une note sur les causes de la perte de biodiversité et les pays responsables. En effet, pourquoi pénaliser les agriculteurs français parce que le Brésil se lance dans la déforestation, que la Chine cultive différemment de nous, que les braconniers sévissent en Afrique ? En outre, si l'action des hommes a des effets néfastes sur la biodiversité, ce n'est pas le fait des seuls agriculteurs ! Les voies de chemin de fer, les routes, les villes, la construction des maisons perturbent le milieu ambiant, et pas seulement en France. Les agriculteurs français, après ceux d'Autriche et d'un ou deux autres pays européens, sont les plus respectueux de l'environnement au monde ! On veut les punir pour les errements des autres, quand ils sont à l'origine de peut-être moins de 0,03 % du phénomène.
M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je remercie tous mes collègues de s'être abstenus de déposer des amendements : non que ceux-ci soient sans intérêt, mais quelles que soient nos sensibilités, nous avons compris que l'essentiel, c'est le budget de la PAC et la stratégie que se donnera l'Europe en matière d'alimentation. La proposition de résolution est parvenue à dégager un consensus. Le sujet numéro un, c'est la sécurité alimentaire future en Europe, et c'est maintenant qu'elle se joue. Car l'agriculture s'inscrit dans le temps long.
M. Labbé aborde un vrai sujet. Cependant je partage les propos de M. Duplomb, il ne faudrait pas inciter à l'éclatement de l'Europe, avec une renationalisation de la politique agricole, soumise aux choix stratégiques de chaque État membre. Quand nous étions jeunes, nous avons défilé pour une harmonisation européenne !
Ce n'est pas un hasard si ces rapports sont publiés aujourd'hui. Et j'ajoute, après M. Raison, que la présence humaine, mais aussi bien l'absence humaine, peut tuer la biodiversité. Dans mon département, le conservatoire des sites, pour protéger les pelouses calcaires, a banni jadis l'activité agricole et l'élevage. On y a consacré beaucoup d'argent et l'on a stigmatisé les éleveurs ! À présent, on réintroduit de l'élevage pour sauver la biodiversité... Il est un peu trop facile de chercher à faire peur.
Les services environnementaux rendus par l'agriculture sont réels, indéniables. Mais l'enjeu majeur, c'est l'affirmation d'une véritable politique européenne. L'avis des rapporteurs est par conséquent défavorable aux deux amendements.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 2 ainsi qu'à l'amendement n° 1.
Désignation d'un rapporteur
Mme Sophie Primas, présidente. - Le groupe CRCE a demandé que M. Gay soit désigné rapporteur sur sa proposition de loi visant à instaurer un droit effectif à l'accès à l'énergie et à lutter contre la précarité énergétique. Ce n'est pas l'usage, et je trouve compliqué qu'un rapporteur ait à défendre une position de la commission contraire à ses convictions. La pluralité fera l'objet d'une discussion au sein de la conférence des présidents, mais dans l'immédiat, c'est Mme Saint-Pé que je vous propose de désigner rapporteur.
M. Fabien Gay. - Notre groupe est minoritaire, mais nous ne travaillons pas moins que les autres sénateurs : nous aimerions nous aussi être chargés d'un rapport de temps à autre. J'entends l'argument de Mme la présidente, même si je suis tout à fait capable de présenter l'avis de la commission ainsi que le mien propre. Jamais, en trois ou six ans, nous n'avons l'occasion d'être rapporteurs, de travailler avec les secrétariats de commission, de mener des auditions. Cela nous place dans la position de sous-sénateurs. Nous avons l'exemple aujourd'hui même : deux rapporteurs de groupes distincts, nos collègues Montaugé et Gremillet, parviennent à travailler ensemble... Le Sénat est le lieu du pluralisme. Je ne demande pas que l'on me confie un rapport sur une proposition de loi de la droite ; mais mon groupe dispose de peu de niches parlementaires, il n'aura plus l'occasion dans les deux années à venir de présenter une proposition de loi à la commission des affaires économiques. Par conséquent, sans aucune hostilité à l'égard de notre collègue pressentie, j'indique que je souhaite, oui, être désigné rapporteur.
Mme Sophie Primas, présidente. - J'ai fait valoir mes arguments à la présidente Assassi également : sur un tel sujet, c'est l'ensemble des commissions permanentes du Sénat qui devraient se prononcer. Je n'aurais aucune difficulté à accepter un changement de cet ordre, à condition que les commissions le décident ensemble.
Mme Denise Saint-Pé est désignée rapporteur.
La réunion est close à 15 h 10.