- Mardi 9 avril 2019
- Jeudi 11 avril 2019
- Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de MM. Charles Giusti, adjoint au directeur général des outre-mer, et Alexis Bevillard, directeur de cabinet du directeur général des outre-mer, ministère des outre-mer
- Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de Mme Valérie Denux, directrice générale de l'Agence de santé (ARS) de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, et du professeur Louis Jehel, chef de pôle adjoint du CHU de Martinique et vice-président de l'Université des Antilles, pôle Martinique
Mardi 9 avril 2019
- Présidence de M. Michel Magras, président -Représentation et visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public - Présentation du rapport d'information
M. Michel Magras. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour la présentation par les rapporteurs Maurice Antiste et Jocelyne Guidez du rapport d'information sur la représentation et la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public.
L'annonce officielle par le Gouvernement, le 19 juillet 2018, de la disparition de France Ô de la TNT, consécutive au discours du 28 juin 2018 du Président de la République à l'issue des Assises des outre-mer, avait provoqué une onde de choc dans le monde de l'audiovisuel public ultramarin.
Si nous avions déjà réalisé plusieurs auditions sur ce sujet dès le 5 juillet 2018, la délégation a choisi en octobre dernier de mener une étude sur cette question afin de dresser un état des lieux circonstancié de la situation des outre-mer dans l'audiovisuel public pour formuler des préconisations éclairées.
Pour l'instruction de son rapport, la délégation a ainsi entendu quelque 58 interlocuteurs qualifiés, au cours de près de 30 heures d'auditions, dont le ministre de la culture, M. Franck Riester, des membres du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), la présidente de France Télévisions, Mme Delphine Ernotte-Cunci, les présidents de Public Sénat et de LCP Assemblée nationale, MM. Denis Kessler et Bertrand Delais, un panel de représentants du secteur de la production audiovisuelle, l'ensemble des directeurs des stations régionales La 1ère, ainsi que les dirigeants et personnels du pôle outre-mer de France Télévisions à l'occasion de deux déplacements au siège de Malakoff.
Elle a en outre sollicité par écrit les autres sociétés de l'audiovisuel public, Radio France, France Médias Monde, Arte et l'INA.
Les rapporteurs ont, je le disais, voulu objectiver ce sujet. Pour ce faire, ils ont également souhaité compléter les données transmises par les sociétés et le Gouvernement et ont procédé à des analyses statistiques à partir des bases de données de l'Institut national de l'audiovisuel.
Soucieuse de recueillir l'avis des publics sur un sujet comme celui-ci, la délégation a enfin lancé, en décembre 2018, une consultation en ligne sur le site du Sénat. Ce sujet a suscité l'intérêt et cette consultation a rencontré un réel succès puisque près de 6 000 personnes y ont répondu, joignant de nombreux commentaires.
Ce travail dense réalisé par les rapporteurs permet à la délégation de produire une nouvelle fois un rapport étayé qui fera, je n'en doute pas, honneur à la crédibilité des travaux du Sénat.
Je laisse sans plus tarder la parole à nos deux rapporteurs pour qu'il vous expose leurs conclusions.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Vous l'avez dit, monsieur le président, nous souhaitions dresser un état des lieux précis de la situation. Cet état des lieux est une nécessité pour que le débat puisse se dérouler sur des bases saines et objectives, non sur des émotions ou rumeurs et dans la confusion.
Ce constat que nous avons dressé s'articule autour de trois axes :
- le dynamisme réel du réseau des stations La 1ère ;
- l'absence des outre-mer dans les chaînes publiques ;
- la place controversée de France Ô dans le paysage audiovisuel national.
Je commencerai par les conclusions que nous tirons concernant le réseau ultramarin.
Ce réseau s'est construit de manière progressive et je ne vais pas ici vous en tracer l'historique complet que vous trouverez dans le rapport. Il est né à partir des premières radios locales - et je salue nos collègues de La Réunion qui étaient les pionniers en 1929 - qui ont été progressivement réunies en une société commune - longtemps la même que celle dédiée aux anciens territoires français d'Afrique -, avant l'intégration au sein d'une société rattachée à l'ORTF et l'arrivée de la télévision.
Ensemble mais à part, ces stations ? Sans doute. Intégrées au sein de FR 3 DOM-TOM à partir de 1975, elles sont à nouveau distinguées dans une société autonome, RFO à partir de 1982.
En 2005, alors que les chaînes publiques - France 2, France 3, France 4 et France 5 - sont déjà réunies au sein de la holding France Télévisions, RFO intègre ce groupe, et le réseau avec. Les chaînes RFO deviennent les neuf stations La 1ère que chaque ultramarin connaît bien.
Cette intégration n'a pas été sans heurt et, si greffe il y a eu, force est de constater que celle-ci n'a pas pris. Le pôle outre-mer de France Télévisions, qui réunit le réseau des chaînes La 1ère et France Ô, demeure bien à part, comme si le périphérique qui le sépare du siège de France Télévisions était une frontière infranchissable.
Ce réseau a toujours eu pour mission, de concrétiser, par l'audiovisuel, ce beau concept de « continuité territoriale » entre l'hexagone et nos territoires, partout à travers le monde. Cela était même inscrit aux cahiers des charges.
Celle-ci a très bien fonctionné vers les territoires et les stations rediffusaient les programmes des grandes chaînes nationales. Cela ne s'est pas fait vers l'hexagone, et les contenus des stations sont trop peu souvent arrivés sur les écrans hexagonaux.
Je parlais des stations en disant tout à l'heure que chaque ultramarin les connaît bien. Oui. Les ultramarins que nous sommes pour beaucoup d'entre nous connaissent ces chaînes qui sont dans la quasi-totalité des territoires la première chaîne du paysage audiovisuel local, aussi bien en télévision qu'à la radio.
Ces chaînes sont toutes aujourd'hui décrites comme des modèles de médias locaux, à juste titre. Même si leurs moyens sont contraints tant en termes d'effectifs que de budgets de production, ces stations ont réussi à prendre le tournant du numérique.
Nous avons entendu l'ensemble des directeurs des neuf stations, à Paris et pour certains en visioconférence. Ils ont eu l'occasion de présenter leurs stratégies éditoriales, notamment comme chaînes généralistes de proximité.
Tous ont pu nous expliquer combien le média global - à savoir la combinaison de la radio, de la télévision et d'internet - était une réalité dans leurs stations. Le numérique est venu en complément des deux médias traditionnels, obligeant à repenser les méthodes de travail et à unifier les médias.
Les stations ont réussi ce pari et leur dynamisme pour faire vivre un réel service public local est à saluer.
Mais ce dynamisme local du réseau ultramarin est à opposer à une autre réalité : l'invisibilité des outre-mer dans les chaînes nationales.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - En effet, le constat que nous dressons là est sans appel : une « invisibilité » totale.
Pourtant, cette situation ne devrait pas être telle que nous la connaissons.
En effet, depuis 1975, les cahiers des charges des sociétés nationales de programme, depuis France Régions 3 à ceux de France 2, France 3 et France Télévisions aujourd'hui, comme ceux de RFO en complément, prévoyaient des exigences.
Nous avons scrupuleusement répertorié dans ce rapport les exigences formulées cahier des charges après cahier des charges, contrats d'objectifs et de moyens après contrats d'objectifs et de moyens et, parfois même, dans la loi.
Depuis la loi égalité et citoyenneté, il est ainsi écrit dans la loi de 1986 sur l'audiovisuel que les sociétés de l'audiovisuel public « s'attachent (...) à assurer une meilleure représentation de la diversité de la société française, notamment d'outre-mer ».
Dans les cahiers des charges de France Télévisions, il est écrit actuellement que la société veille à réaliser une « continuité territoriale (...) de la métropole vers l'outre-mer et de l'outre-mer vers la métropole ». Aussi, elle s'appuie sur la diffusion de contenus du réseau des stations La 1ère pour, « à des heures d'écoute favorable », « rendre compte de la vie économique, sociale et culturelle en outre-mer ». France Télévisions est aussi chargée de « contribuer à la visibilité des populations et cultures ultramarines sur l'ensemble de ses services notamment par la présence de programmes de fictions et de documentaires relatifs à l'outre-mer (...) ».
Les exigences sont là, écrites dans la loi et le décret. Je vous épargne la lecture des COM, détaillée dans le rapport : elle n'est qu'une déclinaison supplémentaire.
Tout est écrit, répété. Tout est écrit, mais rien n'est fait.
Combien de programmes dédiés aux réalités de nos territoires sur les antennes de France 2 et France 3 ? On pourrait les répertorier intégralement, tellement la liste est courte.
Si l'on s'intéresse aux premières parties de soirées, c'est encore pire : en 2018, les premières parties de soirée représentant les outre-mer étaient une demi-douzaine pour l'ensemble des soirées de France 2, France 3 et France 5. Les deux seules existantes sur France 2 étaient consacrées à l'ouragan Irma.
Ce constat ne relève pas du ressenti mais est bien étayé par des données concrètes.
Pourtant, encore, le bilan est bien le même dans l'information où les apparitions des outre-mer sont limitées aux visions de « carte postale » ou aux crises sociales ou catastrophes naturelles que peuvent vivre nos territoires, et ce de l'aveu même des dirigeants du service public.
Les données de l'INA montrent que, dans les journaux télévisés de France 2 en 2017, les mentions des outre-mer concernent quasi exclusivement quatre grandes occasions :
- les déplacements de candidats à l'élection présidentielle dans des territoires ultramarins ;
- la crise sociale en Guyane au printemps ;
- le passage de l'ouragan Irma à la fin de l'été ;
- l'enterrement du chanteur Johnny Hallyday sur l'île de Saint-Barthélemy.
Mémona Hintermann-Afféjee, membre du CSA, évoquait même le journal de France 2 la veille de l'ouragan Irma en septembre 2017 : 9 secondes sur la naissance de deux pandas au zoo de Beauval, 11 secondes sur un ouragan majeur menaçant les Antilles en off à la fin du JT. Voilà la réalité.
Je le disais, parfois les exigences sont précises, et cela a été le cas avec l'information. Le cahier des charges de France Télévisions prévoit ainsi qu'un bulletin d'information quotidien sur les outre-mer est diffusé sur France 3. Je vous laisse chercher ce journal dans la grille actuelle de cette chaîne : il a été supprimé en 2014. Était-ce sans conséquence ? Loin de là : cette disparition a brutalement fait passer le nombre d'occurrences d'apparition des outre-mer référencées sur la chaîne dans les bases de l'INA de 2 065 en moyenne sur la période 2007-2013 à 328 en 2014.
Le constat que nous dressons là est sans appel.
Pourtant, cette situation ne devrait pas non plus être celle que nous connaissons pour une raison simple : les outre-mer ne sont pas des pays étrangers. Pas plus qu'ils ne sont des « confettis » d'un empire lointain. Les outre-mer sont partie intégrante de notre République et, pour reprendre les mots du poète Aimé Césaire, les ultramarins sont des Français « à part entière » et non « entièrement à part ». Lorsque la délégation avait auditionné Wallès Kotra le 5 juillet 2018, celui-ci avait interrogé : « Peut-il y avoir une citoyenneté sans visibilité ? ». La question est bien celle-ci : le service public représente-t-il l'ensemble des territoires de notre République et les populations qui y vivent ?
Mais, si ces exigences n'ont pas été respectées, elles n'ont pas non plus été contrôlées.
Pas contrôlées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, faute de moyens juridiques notamment. Pas contrôlées, non plus, par la tutelle, à savoir le Gouvernement, qui n'a rien trouvé à redire au non-respect de ces exigences.
Mais, il faut bien que nous l'admettions, nous, parlementaires, n'avons pas non plus suffisamment alerté sur la question lorsque les COM nous étaient soumis. Il faudra à l'avenir que ce contrôle soit l'affaire de tous.
J'en viens désormais au bilan de France Ô. Cette chaîne est critiquée et le Gouvernement, ne la jugeant pas à la hauteur, engage sa suppression. Mais qu'en est-il réellement de cette chaîne ?
France Ô est l'héritière de RFO Sat, créée pour offrir aux ultramarins de l'hexagone la possibilité de garder un lien avec leurs territoires, notamment par la retransmission de bulletins d'information.
Si cette chaîne n'a pas atteint son objectif d'incarner réellement « la chaîne des outre-mer », c'est bien faute de moyens.
Moyens éditoriaux d'une part, avec une feuille de route erratique dont la priorité ultramarine n'a été réaffirmée que très récemment.
Moyens financiers d'autre part, avec un budget de 25,2 millions d'euros en 2018 : 1 % de la grille des programmes du groupe France Télévisions.
Comment reprocher aujourd'hui à une chaîne de n'avoir pas su faire ce qu'on ne lui permettait pas de réaliser ?
Les critiques se concentrent sur son coût au regard de ses audiences. Celles-ci ne sont cependant qu'un indicateur d'évaluation biaisé. Considérons ces audiences au regard des moyens : France Ô apparaît une des chaînes les plus productives du PAF !
Surtout, évaluer cette chaîne sous le seul prisme de l'audience, comme cela est toujours fait, c'est nier sa place dans le service public.
C'est nier le lien qu'elle incarne - et que les répondants à la consultation en ligne ont massivement souligné - entre les territoires et l'hexagone, un lien qui participe de la cohésion de la communauté nationale.
C'est nier, aussi, le rôle que la chaîne a pu jouer pour offrir aux téléspectateurs hexagonaux des programmes d'information nombreux et des documentaires de qualité.
C'est nier la visibilité qu'elle offre à la richesse des cultures.
Quelle autre chaîne a donné sa juste place aux commémorations du 170e anniversaire de l'abolition de l'esclavage ? Quelle autre chaîne retransmet des compétitions de va'a ? Quelle autre chaîne parle des sargasses, du chlordécone, et autres maux profonds de nos territoires ?
C'est oublier, surtout, qu'aujourd'hui, sans France Ô, il n'y aurait pas d'outre-mer à la télévision : 0,3 %, nous dit le CSA. Entendons ce chiffre : France Ô est aujourd'hui la seule visibilité des outre-mer dans l'hexagone.
C'est oublier, enfin, l'appui que peut constituer France Ô pour l'ensemble du réseau des chaînes La 1ère et le levier important qu'il constitue comme soutien à la production d'oeuvres dédiées aux outre-mer.
Enfin, si France Ô est considérée par certains comme un « alibi » ayant permis aux autres chaînes de s'exonérer de leurs obligations, ce n'est pas France Ô qui doit s'excuser, mais bien ceux qui ont ignoré les devoirs du service public.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Le constat que nous dressons avec Jocelyne Guidez est donc clair : alors que les stations sont en pointe, l'invisibilité nationale est indéniable en dehors de ce seul canal qu'est France Ô.
Ce constat amer force à réagir. Aussi, si pour nous le projet gouvernemental est, au mieux candide, au pire dangereux, nous ne vous proposons pas aujourd'hui de revendiquer un statu quo.
Ce projet se résume en une orientation simple : une meilleure programmation sur l'ensemble des chaînes publiques et la création d'un portail numérique censé se substituer à la diffusion de France Ô sur la TNT, appelée à cesser en 2020.
Aujourd'hui, France Télévisions propose comme déclinaison de ces orientations :
- un portail numérique dédié dont Wallès Kotra a pu nous présenter des contours non aboutis le 26 mars ;
- une première partie de soirée par mois sur France 2, France 3 ou France 5 en tout ou partie consacrée aux outre-mer et une « semaine des outre-mer » une fois par an ;
- un meilleur traitement de l'information ;
- un maintien de 10 millions d'euros de cofinancements avec les stations.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Ce projet n'est pas crédible.
Le Gouvernement propose des exigences chiffrées sur les chaînes publiques. C'est louable.
Mais, interrogé sur leur définition, sur les critères envisagés et les moyens qui seront retenus dans la loi et le décret pour rendre ces exigences plus contraignantes, les deux ministères de la culture et des outre-mer avaient une position commune : pas de position à ce jour. Nous pouvons donc être rassurés...
Que dit France Télévisions ? Un prime time par mois « en tout ou partie » ? Qui sera juge de la qualité de cette « case cochée », quand on nous dit que la participation d'une jeune Wallisienne au « Grand oral » est un programme qui sert à la visibilité des outre-mer en prime time ? Parmi ces premières parties de soirées, plus de la moitié sur France 5 dans des émissions de découverte, comme en 2015 ?
Quant à la meilleure visibilité sur l'ensemble des chaînes : penser que les contenus ultramarins trouveront une bonne place sur France 2, France 3 et France 5 qui devront en plus accueillir des programmes rescapés de France 4 est une chimère.
Une « semaine des outre-mer » ? Mais est-ce sortir du « ghetto » que de programmer une soirée spéciale « Questions pour un champion » avec uniquement des candidats ultramarins comme cela a été indiqué ? Je vous laisse juges.
Le Gouvernement considère que France Ô n'est plus nécessaire et qu'une plateforme numérique pourra aisément s'y substituer.
Sans compter la fracture numérique qui est une réalité de l'hexagone comme des outre-mer, le Gouvernement propose donc un changement brutal - dans moins d'un an - de mode de consommations de l'audiovisuel.
Les publics ne « basculeront » pas sur le numérique en un clic. La coupure du signal hertzien, c'est aussi la perte sèche d'un public non ultramarin qui, par curiosité, regarde aujourd'hui France Ô et enrichit ses connaissances sur ces territoires éloignés et oubliés.
La transformation de France Ô, précipitée et non concertée, apparaît comme une expérience hasardeuse. Si les outre-mer sont souvent pionniers, ils n'ont pas vocation à être cobayes des évolutions numériques de l'audiovisuel.
Quant aux 10 millions d'euros « sanctuarisés », dont une partie pour des co-financements avec les chaînes La 1ère, ils semblent bien un leurre pour les stations. Pire, la disparition de France Ô pourrait être pour les stations comme pour le secteur de la production audiovisuelle un choc et conduire à une fragilisation durable de leurs situations.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Sur tous ces éléments, nous ne nous contentons pas aujourd'hui de dénoncer le projet indigent et encore flou qui est avancé. Nous avons des propositions en la matière.
Nous appelons à une restructuration programmatique et fonctionnelle des chaînes publiques.
Parvenir à une visibilité des outre-mer sur les écrans implique que des responsables soient nommés et que ceux-ci aient une expérience ultramarine crédible. Il s'agit de promouvoir au sein des organigrammes des directions comme des antennes de France Télévisions les talents et compétences issus du réseau La 1ère et de désigner des référents outre-mer dans les strates décisionnelles des directions des antennes et des programmes ainsi que des directions de l'information et des rédactions nationales (recommandations 1 et 2).
En termes de programmation, oui, il sera nécessaire de fixer des exigences précises, j'insiste sur ce point.
Les exigences générales n'ont pas suffi et il faut donc recourir à une périodicité chiffrée, pour des contenus dédiés dans différents genres et différents créneaux horaires, assurant une visibilité de chaque territoire et de problématiques transversales propres aux outre-mer.
Il faut bien évidemment, aussi, intégrer les outre-mer dans le traitement normal et ordinaire de l'ensemble des sujets d'actualité, avec spécifiquement le rétablissement d'un journal quotidien sur France 3 à la mi-journée (recommandations 3 et 4).
Selon nous, la visibilité audiovisuelle minimale des outre-mer au cours d'une « saison » sur l'ensemble des grandes chaînes nationales de France Télévisions doit être formulée selon les modalités suivantes :
- au moins un programme essentiellement dédié aux outre-mer par semaine en soirée, dont la moitié des occurrences en première partie de soirée et dont au moins un quart sur France 2 ;
- au moins un numéro de chaque magazine hebdomadaire économique, social ou culturel entièrement dédié aux outre-mer, et au moins un par mois pour les émissions quotidiennes ;
- un magazine d'information ou d'investigation par trimestre consacré en tout ou partie principale aux outre-mer ;
- un programme participatif hebdomadaire, sur le modèle de l'émission « Les Témoins d'outre-mer », programmé en journée.
Pour l'information, doivent être programmés toute l'année :
- un bulletin d'information relatif aux outre-mer rétabli dans le journal de la mi-journée de France 3 ;
- sur France 2, selon une régularité hebdomadaire, des focus d'information sur des sujets propres aux outre-mer ou la déclinaison ultramarine de sujets d'intérêt national.
Ces programmations doivent se faire sur des synergies nouvelles. Il faut que la confiance des chaînes nationales s'établisse enfin avec les stations La 1ère, notamment dans le traitement de l'information. France Ô doit incarner cela en se positionnant comme interface entre les stations La 1ère et les chaînes nationales, mais aussi comme garante du respect des exigences formulées (recommandations 5 et 6).
Cet effort de programmation ne doit pas servir uniquement à France Télévisions, et la délégation appelle à la conclusion de nouveaux partenariats avec les autres sociétés de programme sur ce sujet (recommandation 7).
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Ces exigences programmatiques devront être formalisées dans les cahiers des charges mais aussi reposer sur un fondement législatif clair : nous voulons réaffirmer dans la loi la mission de juste représentation des outre-mer incombant au service public de l'audiovisuel (recommandation 9).
Mais ces exigences devront surtout être évaluées et contrôlées.
Évaluées, par des rapports annuels de France Télévisions, qui devront rendre compte de manière précise du respect de son cahier des charges et de son COM. Plus question de se cacher derrière de faux prétextes (recommandation 7).
Contrôlées, enfin, par le régulateur. Eu égard au non-respect systématique constaté jusqu'à présent, les moyens de contrôle dévolus au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) doivent être renforcés, au-delà de la simple mission de veille (recommandation 10).
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Nous n'oublions pas ici les territoires, leurs paysages audiovisuels et les filières locales de production. Comme le disait Jocelyne Guidez, la disparition de France Ô pourrait fragiliser durablement l'audiovisuel dans les outre-mer.
Le renforcement du service public dans les territoires passe également par son extension aux outre-mer qui n'en bénéficient pas encore, comme Saint-Barthélemy et Saint-Martin, et par une avancée qualitative de diffusion en haute définition en 2020 des programmes des stations La 1ère (recommandations 19 et 20).
Il est enfin vital de soutenir la production audiovisuelle relative aux outre-mer et de dynamiser le développement des filières de production en cours de structuration dans les territoires.
Pour ce faire, nous proposons, d'une part, de renforcer les budgets de programmation de France Ô et des stations La 1ère pour leur permettre de densifier leurs commandes au niveau local et, d'autre part, d'adapter les critères d'éligibilité aux financements du CNC pour que la création de contenus numériques puisse en bénéficier (recommandations 11 et 12).
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Le numérique ne doit pas être un repli. Il doit être un tremplin.
Il ne s'agit pas ici d'être conservateur ou de lutter pour ce qui s'assimilerait à un « droit acquis ». Nous ne refusons pas le progrès comme nous ne nions pas les nouvelles technologies.
Au contraire, nous voulons que les usages de demain soient anticipés et France Ô transformée. Mais pas n'importe comment, pas n'importe quand. La transition doit être maîtrisée, organisée.
Oui, nous soutenons la transformation de France Ô en média de demain : faisons de France Ô le média global des outre-mer partout en France.
Cette transformation doit s'appuyer sur une plateforme permettant d'agréger des contenus vidéo, audio et d'information. Celle-ci doit être réactive et relayer les informations des sites des stations La 1ère. Elle doit aussi héberger les contenus vidéos de France Ô mais beaucoup plus largement ceux des stations qui sont aujourd'hui souvent géobloqués. Enfin, les contenus audio - podcasts et webradios - doivent être développés (recommandations 13 à 15).
Mais la transformation numérique ne doit pas être une bascule vers une « deuxième division de l'audiovisuel » où ne serait atteint qu'un public averti. Face aux risques majeurs de pertes de publics et de visibilité que provoquerait l'arrêt brutal et précoce de la diffusion linéaire de France Ô, nous refusons la coupure du signal et avec elle la rupture du lien. Nous proposons donc un maintien à ce jour de la diffusion TNT (recommandation 16). Celui-ci devra être réévalué en 2025 en considérant les évolutions numériques du service public.
Un média ne se construit pas sans une ligne directrice. C'est ce qui a trop longtemps manqué à cette chaîne. À l'heure du média global, il faut lui donner une orientation claire. Nous voulons que France Ô incarne résolument cette mission de « chaîne des outre-mer » et que sa programmation soit désormais essentiellement consacrée aux réalités politiques, économiques, sociales et culturelles de nos territoires, et ce notamment par un relais plus important de programmes des stations (recommandations 17 et 18). France Ô, une dixième station La 1ère émergée dans l'hexagone.
Les 20 propositions que nous venons de vous décliner sont solidaires : nous n'opposons pas les réalités ni les nécessités.
Une présence renforcée sur l'ensemble des chaînes ne s'oppose pas à une chaîne dédiée permettant l'épanouissement des cultures et le traitement de sujets spécifiques, bien au contraire.
De la même façon, on ne peut concevoir la visibilité des outre-mer sans jouer sur l'ensemble des supports ou sans prendre en compte tous les publics.
Le projet que nous vous présentons essaye de répondre à tout cela : c'est l'ambition durable que nous vous proposons de soutenir avec nous.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Je voudrais enfin vous faire une brève présentation de la consultation en ligne que la délégation avait lancée, comme le rappelait le président en introduction.
Comme vous le montre l'infographie que vous avez entre les mains, celle-ci a rencontré un franc succès avec près de 6 000 répondants dont 43,3 % d'ultramarins.
Cette consultation nous a permis de voir plusieurs choses sur le ressenti concernant cette réforme. D'une part, une opposition massive des répondants au projet du Gouvernement, à plus de 96 %. D'autre part, des opinions intéressantes sur le degré de pertinence des différentes options possibles pour renforcer la visibilité sur les antennes. Le canal dédié est plébiscité !
Mais cette enquête participative contenait également un espace de contribution libre. Ces messages laissés par les internautes ont également été riches de sens pour notre réflexion.
L'analyse sémantique des contributions fait ainsi apparaître un attachement fort aux contenus de France Ô, notamment l'information et les documentaires.
Surtout, des mots sont revenus avec des occurrences parfois très nombreuses. Nous avons identifié trois grandes thématiques :
- l'appartenance, avec le mot « lien », très fort, et des mots insistant sur la cohésion nationale et l'identité ;
- la culture, un des mots les plus utilisés, avec de fortes mentions de l'histoire et du patrimoine ;
- l'ouverture, avec les aspects de diversité, de découverte et de fenêtre sur le monde.
Ces contributions mettent en évidence des valeurs fortes que doit incarner le service public et que doit continuer de porter France Ô. C'est le sens de notre appel aujourd'hui pour que, demain, nous ne soyons plus « le jouet sombre au carnaval des autres ou dans les champs d'autrui l'épouvantail désuet ».
M. Michel Magras, président. - Je tiens à saluer les rapporteurs pour la qualité de leur exposé. Les vingt propositions présentées forment un ensemble indissociable. Il ne s'agit pas du seul maintien de France Ô, mais d'un projet global. Fractionner les 20 propositions conduirait à un dispositif réducteur. Les outre-mer sont souvent précurseurs mais n'entendent pas être les cobayes de la République, dans le domaine des avancées numériques comme ailleurs.
Mme Victoire Jasmin. - Je tiens à mon tour à féliciter les rapporteurs pour leur travail remarquable. Dans le contexte que nous connaissons, il n'était pas évident de conduire ce travail. Je forme le voeu que les recommandations faites aujourd'hui soient suivies et que, en effet, les outre-mer ne soient pas « cobayes » de l'audiovisuel public.
M. Guillaume Arnell. - À mon tour de m'associer aux félicitations adressées aux rapporteurs. J'ai suivi avec plaisir la conduite de cette étude. Les auditions auxquelles j'ai pu assister ont été un enrichissement et nous avons entendu la détresse de ceux qui, avec des moyens souvent dérisoires, portent l'information sur les outre-mer.
Je sors conforté dans mon analyse sur le fait que des réformes soient nécessaires. Cependant, celles-ci doivent conduire à une amélioration, non à des suppressions et une dilution. Je m'associe donc pleinement aux recommandations formulées. Nous qui, et le président sait de quoi je parle, sommes noyés au sein de l'arc antillais, savons combien nous sommes stigmatisés parfois et combien un juste regard sur nos territoires par les chaînes publiques pourrait permettre de changer leur image.
Je vous remercie d'avoir mené cette étude au sein de la délégation, ce sujet doit nous unir. Soyons déterminés et apportons notre contribution : soyons les avocats de nos territoires et de nos populations.
M. Thani Mohamed Soilihi. - La qualité des rapports de notre délégation, à souligner une nouvelle fois, n'est plus à démontrer. Serge Letchimy l'a encore rappelé hier soir, la qualité des rapports sénatoriaux est sans nul doute meilleure que celle de ceux de l'Assemblée. Je tiens à féliciter les rapporteurs pour leur travail d'une importance toute particulière sur ce sujet très sensible et grave pour nos territoires, car leur connaissance conditionne leur existence même dans la communauté nationale. Ils ont eu à coeur d'associer les collègues à l'ensemble des auditions et je les en remercie.
La « visibilité des outre-mer », le sujet est beaucoup plus grave qu'il n'y paraît car il en va de notre existence, et je pèse mes mots. Dans ma formation d'avocat, on nous a appris qu'avant de défendre un justiciable, il fallait le faire connaître. Or, la visibilité des outre-mer n'est aujourd'hui pas satisfaisante : c'est un fait.
Nous avons l'habitude de formuler des recommandations et de saisir les véhicules législatifs opportuns pour les porter. Pouvons-nous attendre une occasion future pour un tel sujet ?
M. Victorin Lurel. - Je m'associe aux félicitations collectives faites à l'égard des travaux de la délégation. Ministre comme député je les saluais déjà et je salue le travail accompli.
Si j'avais des doutes sur ce sujet au lancement de l'étude, je partage totalement les recommandations formulées.
J'ai cependant une réserve : comment garantir le maintien de France Ô ? L'économie générale des propositions ne repose pas sur la loi et le Gouvernement avance à marche forcée. Surtout, je m'interroge sur notre capacité à le faire changer de cap. J'ai appris la semaine dernière que France info serait diffusée outre-mer, c'est effectif depuis le 8 avril. La chaîne sera diffusée en direct, c'est une première déclinaison du projet du Gouvernement.
Le Gouvernement avance comme un rouleau compresseur. Comment traduire nos recommandations ? Comment peser ? Comment assurer leur bonne prise en compte ? J'ose croire qu'il n'est pas trop tard car à l'heure du grand débat, la consultation réalisée par la délégation est éloquente !
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure. - Nous sommes conscients de la difficulté de la tâche. C'est en effet une marche forcée. Notre devoir était de faire ce rapport, de dénoncer ce faux débat dans lequel nous sommes pris pour des idiots. Je pense qu'il appartient désormais à chacun d'entre nous de défendre nos territoires, d'en faire la promotion.
Avec mes racines ultramarines, j'ai un attachement à France Ô. Cette chaîne incarne un lien et vous avez fait état de cette situation particulière qu'assume France Ô. France Ô était-elle suffisante, satisfaisante ? Non. Il ne s'agit pas aujourd'hui de la supprimer mais bien de lui donner les moyens de sa mission.
M. Maurice Antiste, rapporteur. - Je vous remercie pour vos mots chaleureux. Vous avez raison, il faut peser, et vite ! Je ne pense pas qu'il soit trop tard. La mesure a été brutale et ce rapport est attendu. J'ai conscience de ces attentes.
Victorin Lurel parlait, comme Thani Mohamed Soilihi, de la méthode à trouver. Il faut trouver les moyens d'agir rapidement.
L'arrivée de France info ne change pas l'orientation de nos travaux comme la nécessité des propositions que nous formulons.
M. Victorin Lurel. - Lorsque j'ai été invité la semaine dernière sur France info, je n'ai pas été naïf...
Je ne sais pas quelle est la tradition pour la remise des rapports, mais il faut le vendre. Comment le faire connaître au meilleur niveau ? Il faut que nous réfléchissions, peut-être avec la délégation de l'Assemblée nationale ou l'intergroupe parlementaire.
M. Michel Dennemont. - Il y a une conférence de presse, il faut également formaliser auprès du Gouvernement...
M. Maurice Antiste, rapporteur. - La conférence est une étape, nous continuerons la communication et les transmissions officielles ensuite.
M. Patrick Chaize. - Je souhaite saluer à mon tour le travail réalisé. Je pense qu'une note d'optimisme peut aussi être délivrée. Avec les gilets jaunes, on voit les préoccupations notamment des territoires ruraux. Il est question de lien. C'est cet enjeu que vous avez soulevé et qu'incarne France Ô, et la télévision est le média pour cela.
Je pense qu'il faut faire connaître ces propositions à l'ensemble de nos collègues. Beaucoup d'entre nous ne connaissent pas bien les outre-mer et les pensent comme une majoration - pour simplifier - des difficultés que connaissent les territoires ruraux. C'est un sujet touchant l'outre-mer qui ne doit pas être vu comme une affaire réservée aux outre-mer : nombre de nos collègues seront sensibles à ces préoccupations et vous feront écho.
Je pense que dans la temporalité, ce rapport arrive au bon moment.
M. Michel Magras, président. - J'insiste sur la performance qui a été réalisée pour la production de ce rapport. C'est un travail de fond mené dans un temps contraint. Si nous avons contesté la méthode gouvernementale, ce rapport n'entend pas être à charge : il s'agit de faire que la prise de conscience soit massive. Le constat est là, riche, étayé, précis. Il faut maintenant que les mauvaises décisions prises puissent être corrigées.
La délégation n'ayant pas de pouvoir d'initiative législative propre, il appartient à chacun d'entre nous de porter ses conclusions. Mais il ne faut pas attendre le texte de la réforme de l'audiovisuel pour agir auprès du Gouvernement.
J'insiste enfin sur la nécessité de France Ô dans le cadre d'une meilleure visibilité. Cette chaîne est complémentaire de la visibilité des outre-mer sur l'ensemble des chaînes. Pour France info, la diffusion outre-mer doit renforcer la présence des territoires sur la chaîne d'information.
Il faut maintenant assurer la communication de ce rapport et le Gouvernement doit désormais entendre notre message.
La Délégation sénatoriale aux outre-mer a adopté le rapport à l'unanimité des présents.
Jeudi 11 avril 2019
- Présidence de M. Michel Magras, président -Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de MM. Charles Giusti, adjoint au directeur général des outre-mer, et Alexis Bevillard, directeur de cabinet du directeur général des outre-mer, ministère des outre-mer
M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, cette semaine dense nous amène à nous réunir ce matin, après l'adoption mardi dernier du rapport sur la visibilité des outre-mer dans l'audiovisuel public, pour poursuivre nos travaux sur les risques naturels majeurs. Le second volet en cours d'instruction est consacré à la reconstruction et à l'organisation de la résilience des territoires sur le plus long terme. Nos collègues Abdallah Hassani, sénateur de Mayotte, et Jean-François Rapin, sénateur du Pas-de-Calais, sont conjointement rapporteurs. Guillaume Arnell est notre rapporteur coordonnateur pour l'ensemble de l'étude.
Avant d'aborder notre séance, je voudrais saluer la présence à nos côtés d'un groupe d'auditeurs de l'Institut du Sénat. Deux d'entre eux sont des auditrices issues de territoires ultramarins du Pacifique.
Après l'audition du préfet Philippe Gustin, délégué interministériel à la reconstruction des Îles du Nord, au mois de novembre, l'audition de la Caisse centrale de réassurance (CCR) en mars ainsi qu'une première séquence consacrée à l'accompagnement des populations la semaine dernière, nous recevons aujourd'hui l'adjoint au directeur général des outre-mer, M. Charles Giusti, en remplacement du directeur général des outre-mer, M. le préfet Emmanuel Berthier, qui a eu un empêchement de dernière minute, et M. Alexis Bevillard, directeur de cabinet du directeur général des outre-mer.
Les risques naturels majeurs ne sont pas propres aux outre-mer, mais ils sont dans nos territoires une réalité plus diverse et, surtout, dont la brutalité est souvent fortement majorée. Vous connaissez les spécificités de nos territoires, du fait de vos fonctions actuelles. À ce titre, il nous semblait nécessaire de vous entendre aujourd'hui, monsieur le directeur général adjoint, étant rappelé que la ministre des outre-mer avait également été auditionnée en ouverture du premier volet en novembre 2017.
Votre propos, sur la base de la trame détaillée qui vous a été transmise, ne manquera pas de faire un point d'étape sur la reconstruction à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin, à la veille du déplacement des rapporteurs que j'accompagnerai à la fin du mois. Cependant, ce rapport ne concerne pas seulement les Îles du Nord, et nous attendons également de vous une vision globale des enjeux de résilience de nos territoires et de leurs populations, en termes non seulement d'aménagement et de système assurantiel, mais aussi de meilleure préparation. Sans doute pourrez-vous évoquer les orientations du ministère pour atteindre l'objectif « zéro vulnérabilité » dans le cadre de la « stratégie 5.0 ».
Ce sujet concerne aussi au premier chef les îles du Pacifique, dont les statuts d'autonomie conduisent à des réponses ou moyens d'action parfois différents, et vous ne manquerez pas de nous éclairer sur ce point. Je vous laisse sans plus tarder la parole pour votre exposé liminaire avant que les rapporteurs et, éventuellement, les autres collègues puissent vous interroger.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Comme nous l'avons dit lors du premier volet, nous ne voulons pas pointer du doigt les incohérences, mais tirer les enseignements. Pour ce faire, nous vous invitons, monsieur le directeur général adjoint, à ne pas manier la langue de bois concernant les difficultés rencontrées, les obstacles à surmonter et la coordination entre les différents acteurs. Vous êtes devant les représentants de la Haute Assemblée, rompus à ce type d'exercice. Il y va de la crédibilité de notre rapport et de nos prochaines préconisations.
M. Charles Giusti, directeur général adjoint des outre-mer. - Je vous prie tout d'abord d'excuser le préfet Emmanuel Berthier, qui a été inopinément appelé à remplacer la ministre au conseil interministériel de prévention de la délinquance et de la revitalisation à Strasbourg, et m'a demandé de le suppléer.
L'ouragan Irma est la catastrophe naturelle la plus meurtrière depuis 1946, puisqu'elle a provoqué le décès de 11 personnes - 15 au total, car 4 décès sont à déplorer dans les Antilles, à la suite du cyclone Maria - : près de 95 % des habitations ont été touchées, les deux tiers des logements sont devenus inhabitables ; 226 tonnes de produits alimentaires et 735 000 litres d'eau ont été acheminés ; 200 gendarmes, 144 personnes de la sécurité civile et 27 militaires supplémentaires ont été envoyés dans les Îles du Nord, en complément des 280 agents de l'État déjà présents.
Le montant total des secours apportés par l'État s'élève à 53 millions d'euros pour les opérations de gestion de crise, dont 1,5 million d'euros au titre des crédits d'extrême urgence. Le coût des mesures de relogement post-crise est estimé à 17 millions d'euros. Sur les 7 000 personnes qui ont quitté Saint-Martin, on ne sait pas si toutes sont revenues. Néanmoins, dans la mesure où 90 % des élèves scolarisés sont présents à Saint-Martin, cela nous donne un petit indicateur. Les dégâts à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin sont estimés à 1,9 milliard d'euros concernant les biens assurés qui ont été identifiés.
La reconstruction de nombreux établissements scolaires se poursuit et devrait s'achever à l'automne, si possible avant la rentrée scolaire. Un grand chantier est prévu pour les lycées et les collèges à partir de 2020. S'agissant des établissements de santé, un nouveau pôle médico-social est en construction à Saint-Martin, qui devrait être fonctionnel très prochainement.
Concernant la reprise de l'activité économique, le groupement des hôteliers de Saint-Martin prévoit une offre partiellement opérationnelle en 2020, et totale seulement en 2022. Un appel à projets sur le fonds européen de développement régional (FEDER) a été lancé pour la reconstruction d'établissements.
Ces points ont été évoqués le 15 mars à l'occasion d'une réunion de suivi qui a été pilotée par la Direction générale des outre-mer. Celle-ci est désormais chargée des opérations de reconstruction au niveau national - en lien avec le préfet Philippe Gustin, qui demeure délégué à la reconstruction -, depuis que la délégation interministérielle à la reconstruction de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin a été dissoute à l'automne dernier.
Les programmes pluriannuels d'investissement avaient fait l'objet d'un focus lors du dernier comité interministériel à la reconstruction présidé par le Premier ministre le 18 mars, mais la date exacte du comité à venir n'est pas encore connue. La ministre se rendra à Saint-Martin ce week-end prochain pour faire le point sur place avec les élus et les représentants de l'État, la préfète déléguée et le préfet Philippe Gustin.
Concernant la résilience et la planification, le Livre bleu des outre-mer comporte plus de 20 axes de travail, dont le premier porte sur les risques naturels et les moyens d'y faire face. Une action a été entreprise sous l'égide du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, afin d'intégrer le retour d'expérience de l'ouragan Irma et d'engager une planification « de sécurité nationale » partant d'un cas d'école, celui d'un séisme dans une île éloignée. Cela inclura la déclinaison de toutes les mesures que devront prendre les différents ministères pour se préparer à un tel événement. Irma a été un événement extrêmement dramatique, mais au cours duquel les aéroports, notamment celui de Grand-Case à Saint-Martin, et le port étaient disponibles. Rien ne garantit que ces infrastructures soient toujours opérationnelles en cas de séisme.
Il s'agit d'aller plus loin et de décliner les différentes contraintes possibles, afin d'anticiper la réponse opérationnelle. Je pense aux secours, où la planification n'est pas la moins bonne, à la sécurité publique et à la coopération internationale. Dans le Pacifique, les accords FRANZ regroupent la France, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, mais on ne trouve rien de comparable dans les Antilles, où des échanges plus formels avec les États-Unis, qui sont pourtant intervenus, mériteraient d'être instaurés.
Un tremblement de terre provoquerait vraisemblablement beaucoup de victimes, ce qui conduirait, sur le plan judiciaire, à des identifications légales ou autres. Les enjeux de santé imposeraient aussi des réponses adaptées. Cela pourrait aussi nécessiter un flux logistique au cas où les infrastructures deviendraient inutilisables.
Autre élément important de la reconstruction : la nomination prochaine d'un délégué interministériel aux risques majeurs pour coordonner les actions. Le ministère des outre-mer pourrait jouer le rôle de coordinateur naturel, mais il est plus pertinent que le délégué interministériel soit placé auprès du ministre de la transition écologique et solidaire pour accomplir ses missions de prévention, d'information ou de sensibilisation des populations et ses actions en faveur des assurances. Il devra aussi être attentif aux opérateurs, car les réseaux ne sont pas forcément résilients. À Saint-Martin, des travaux d'enfouissement des réseaux de téléphonie et d'assainissement de l'eau doivent intervenir, dans le cadre des plans pluriannuels d'investissements notamment avec les contrats de convergence et de développement.
Ce délégué interministériel sera aussi chargé du pilotage du plan séisme Antilles mis en place depuis 2007. Par rapport aux préconisations qui figuraient dans le premier volet de votre rapport, des mesures ont été prises en loi de finances initiale pour 2019, afin d'augmenter le taux de contribution du fonds Barnier pour les constructions scolaires et bâtiments étatiques de gestion de crise. Il faudra aller plus loin dans ces efforts.
Du point de vue assurantiel, sujet très sensible, un travail de refonte du dispositif de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle doit être engagé, avec l'accélération des procédures, même si, dans le cadre d'Irma, celles-ci étaient liées aux difficultés logistiques de déplacement des experts et artisans.
La réforme portera également sur la simplification du système de franchises, l'inclusion éventuelle des frais de relogement dans une garantie optionnelle, et la sécheresse, mais qui intéresse moins les outre-mer.
Parallèlement, le fonds de secours outre-mer doit être déconnecté du dispositif d'indemnisation des catastrophes naturelles dit « catnat ». Ce fonds de secours repose sur une circulaire de 2012, mais on en distingue de plus en plus les limites : les procédures sont longues et le taux de remboursement des dépenses éligibles est de 25 % à 30 %. D'autres dispositifs de droit commun applicables sur le territoire métropolitain sont plus éprouvés, avec un taux de remboursement plus important.
C'est pourquoi nous avons lancé un chantier de refonte du fonds de secours, afin de ne conserver que ce qui n'est pas couvert par d'autres dispositifs d'indemnisation. L'idée est de faire appel au dispositif d'extrême urgence de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), qui a montré son efficacité. Nous nous étions battus, au ministère des outre-mer, pour que ce fonds puisse intervenir, mais avant 2017 les outre-mer n'y étaient pas éligibles. Une circulaire a remédié à cette situation.
Pour les entreprises, l'articulation était compliquée entre ce qui pouvait relever du fonds de secours outre-mer et ce qui était éligible à l'aide exceptionnelle au redémarrage de l'activité économique, mise en oeuvre par la direction générale des entreprises en Haute-Corse, pour Irma ou encore les inondations dans l'Aude. Ce dispositif ad hoc nous semble plus efficace et plus rapide que le fonds de secours outre-mer.
Un fonds de sécurité est prévu en faveur des collectivités dans le code général des collectivités territoriales, mais il est expressément mentionné qu'il n'est pas applicable aux collectivités d'outre-mer compte tenu de l'existence du fonds de secours outre-mer. Notre objectif est de modifier cette situation.
Sur le volet agricole, au lieu d'indemniser les pertes sur le fonds de secours outre-mer, à un taux maximal d'indemnisation de 35 % sur les dépenses éligibles, il sera possible de faire appel au fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), qui prévoit un remboursement jusqu'à 75 % à la condition que l'État verse des contreparties nationales. La loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer dite loi EROM a prévu la mise en place de fonds de mutualisation avec une contribution des agriculteurs adossée au FEADER, avec également une contribution nationale. De plus, un dispositif assurantiel pour les récoltes, adossé aussi sur le FEADER, devrait être mis en oeuvre lors de la prochaine programmation 2021-2027.
Un ajustement législatif et réglementaire pourrait également faire partie des travaux du délégué interministériel pour mieux répondre aux risques naturels majeurs. D'après les premières analyses, le dispositif juridique, notamment législatif, est déjà bien nourri, mais les textes d'application font défaut. Par exemple, peut-on forcer une personne à quitter son domicile et à abandonner ses biens ? Il faut une analyse pragmatique de la question pour éviter le mille-feuille qui serait néfaste.
Les moyens financiers dépendent des travaux du futur délégué interministériel sur le fonds Barnier. Au ministère des outre-mer, outre le fonds de secours, toujours établi à environ 10 millions d'euros par an en fonction des besoins, nous avons mis en place l'« équivalent fonds Vert », créé au départ pour les collectivités du Pacifique et étendu en 2018 à tous les outre-mer. Ce fonds, porté par l'Agence française de développement (AFD), doit financer des projets des collectivités pour renforcer l'adaptation face aux changements climatiques. Il représentait 103 millions d'euros en 2018 avec une bonification apportée par le ministère, et il est pérennisé en 2019 grâce aux économies réalisées dans le cadre de l'abandon de la TVA-NPR et de la réforme de l'impôt sur le revenu dans les DOM.
M. Michel Magras, président. - Le bilan que vous avez dressé, monsieur le directeur général adjoint, est particulièrement complet, mais je ne doute pas que mes collègues auront à coeur de revenir sur certains points que vous avez vous-même évoqués.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je m'associe aux propos du président sur l'étendue des sujets abordés. Malgré tout, quelques-unes de mes préoccupations attendent des réponses de votre part.
La catastrophe Irma a été de très grande envergure, et les dégâts occasionnés sans commune mesure avec ce que Saint-Martin et Saint-Barthélemy avaient connu auparavant. Après le phénomène, il a été difficile pour l'État, les collectivités territoriales et le ministère des outre-mer de faire face à l'attente de ces populations. Mais, avec le recul de ces deux dernières années, il est possible de mieux identifier un certain nombre de difficultés, en particulier sur la reconstruction.
Il convient de pallier les défauts de coordination et de mutualisation à Saint-Martin entre le préfet, la collectivité territoriale et l'ensemble des autres acteurs, en dépit des compétences de chacun d'eux. Il n'y a pas eu d'osmose entre eux pour sortir de cette situation. Or on ne peut reconstruire un territoire sans confiance réciproque. La reconstruction se mesure par rapport aux difficultés et à ce qui est réalisé chez nos voisins. Pourquoi ont-ils pu aller si vite ? Les deux territoires ont deux statuts différents et sont soumis à une réglementation différente, mais il faut concilier fermeté, souplesse et pédagogie. Cela explique les frustrations de la population.
N'oublions pas que, si Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont au centre de notre attention, le rapport porte sur l'ensemble des territoires, y compris ceux dont la vulnérabilité est très forte comme Mayotte ou La Réunion. La ministre se rendra prochainement à Saint-Martin, et je l'accompagnerai. Il est temps que les incohérences et les imperfections des uns et des autres puissent être évoquées pour donner un nouvel élan à la reconstruction et renouveler la confiance, indispensable dans une telle situation.
M. Abdallah Hassani, rapporteur. - Mon souci majeur concerne les habitants qui ne sont pas assurés. Quelles sont les aides prévues pour eux, sachant qu'au sein de nos territoires une grande partie de la population n'est pas assurée ? Et que fait-on des personnes en situation irrégulière, qui vivent dans des habitats précaires, en cas de catastrophe naturelle ?
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Le problème assurantiel se subdivise en plusieurs points. Que pensez-vous tout d'abord de la fuite potentielle des assureurs locaux, puisque la caisse de réassurance va augmenter ses taux ? Ensuite, on a entendu que le fonds « catnat » n'existait pas dans le Pacifique, qui pouvait être atteint de la même façon par un phénomène météorologique majeur susceptible d'engendrer des dégâts considérables. Que peut faire l'État français ? Enfin, pouvez-vous nous préciser exactement le montant annuel du fonds Vert ? D'où proviennent les crédits ? Sont-ils essentiellement ministériels et comment sont-ils versés ? S'agit-il de prêts proposés aux collectivités ou de crédits « sonnants et trébuchants » abondant leurs recettes ?
J'en viens à la réorganisation ministérielle. Auparavant, la direction générale de la prévention des risques (DGPR) couvrait tout le champ interministériel, y compris l'outre-mer. C'était une sécurité. Vous nous dites qu'un nouveau délégué interministériel va être nommé à l'outre-mer. Cela nous inquiète, car au-delà d'une nomination qui paraît très spécifique, la qualité du dispositif pourrait s'en ressentir.
S'agissant du secours en tant que tel, la population antillaise dépendant de la France est de 800 000 habitants, ce qui équivaut à un gros département. Aujourd'hui, les moyens de secours dont disposait un tel département métropolitain sont-ils identiques à ceux des territoires ultramarins ? Par ailleurs, une discussion est-elle engagée réellement concernant une coopération avec les États-Unis, ou n'est-il question que d'une éventualité ? Ne pourrait-on progresser grâce à l'ONU, car ce bassin regroupe une population diverse très exposée aux risques majeurs de météorologie ? Nous avons là plusieurs pistes de réflexion.
M. Michel Magras, président. - Merci mes chers collègues, pour la qualité et la précision des questions que vous venez de poser. De plus, monsieur le directeur général adjoint, où en êtes-vous, dans la réflexion, sur la méthode qui sera appliquée pour cette coopération à l'international ? Le Gouvernement prévoit-il une participation concrète des collectivités concernées du bassin régional ?
Les collectivités d'outre-mer ont toutes un statut différent. Or les fonds européens tels que le FEADER sont au service des régions ultrapériphériques (RUP). Par conséquent, les collectivités d'outre-mer en vertu de l'article 74 de la Constitution, à l'exception de Saint-Martin, qui a choisi de rester région ultrapériphérique, n'en bénéficient pas. Le statut des collectivités constitue-t-il un obstacle aux nombreuses améliorations prévues ?
Enfin, la relation entre le Gouvernement et les collectivités territoriales a-t-elle été bonne ? Si les deux Îles du Nord, victimes d'un phénomène assez exceptionnel, sont la cible et le catalyseur des futures améliorations, nous ne sommes pas les seules concernées - je pense à Mayotte ou aux collectivités du Pacifique.
M. Charles Giusti. - Je suis accompagné aujourd'hui d'Alexis Bevillard, directeur de cabinet du directeur général des outre-mer, qui s'occupe notamment des questions de sécurité, et de Fabien Neyrat, chargé de mission de sécurité civile à la direction générale des outre-mer.
Pour ce qui est des relations avec les collectivités, le choix retenu d'emblée, malgré l'ampleur de la reconstruction qui s'annonçait, a été de ne rien changer à la répartition des compétences entre l'État et les collectivités. Cela a conduit, dans le cadre d'une convention comportant deux volets, à formaliser l'articulation et les engagements mutuels de l'État et des collectivités dans le cadre de la reconstruction. Le premier volet du 6 novembre portait sur l'appui financier, et le second, du 21 novembre, avait trait au modus operandi de la reconstruction.
On pouvait se demander si l'État ne devait pas reprendre de manière transitoire des compétences, notamment en matière d'urbanisme, puisque la question fondamentale était celle de la reconstruction physique des bâtiments et des infrastructures. Cette hypothèse a été rapidement écartée au profit du plein exercice de ses compétences par une collectivité, mais avec un appui de l'État.
Cet appui est d'abord financier, puisque l'État s'est engagé à apporter les recettes que la collectivité de Saint-Martin ne percevait plus, outre le financement de la reconstruction par les crédits propres de la collectivité, les futurs contrats de convergence, le fonds exceptionnel d'investissement du ministère des outre-mer, le fonds Barnier, les fonds propres des opérateurs pour des opérations d'enfouissement ou les fonds européens. Parmi ces financements, on en trouve qui proviennent de l'État.
L'autre appui de l'État est d'accompagner la restructuration de la collectivité de Saint-Martin en finançant une mission d'appui de 5 agents de l'AFD, à hauteur de 2 millions d'euros et destinée à travailler sur des sujets généraux ou un sujet spécifique comme l'eau ou la mise en place des marchés de reconstruction. Mais c'est bien la collectivité qui exerce la responsabilité !
L'appui de l'État se manifeste aussi à travers l'action de la délégation interministérielle, dans la préparation des programmes pluriannuels d'investissement (PPI) et pour identifier les mesures principales de reconstruction et les financements associés. Ces PPI ont été l'un des principaux points abordés lors du comité de reconstruction du 18 mars 2018.
Ce panel de mesures repose sur la coordination et la coopération entre les acteurs, mais la mise en oeuvre est malheureusement plus complexe. Malgré la mise en place d'un comité de suivi se réunissant tous les mois, il est parfois difficile de faire avancer toutes les parties prenantes dans la même direction : l'État souhaite maintenir un calendrier de mise en oeuvre conforme à la dynamique des PPI, mais qui ne s'accorde pas toujours avec celui des collectivités. Naturellement, je ne peux me prononcer sur les difficultés qui, au-delà de la méthode, revêtent un caractère plus personnel ou politique.
Les difficultés seraient probablement analogues dans une collectivité du Pacifique relevant de l'article 74 de la Constitution, voire plus importantes du point de vue de l'articulation entre l'État et les collectivités. En effet, les compétences de ces dernières, à l'exception de Wallis-et-Futuna, sont extrêmement larges, notamment en matière de sécurité civile. Mais sauf à adopter des mesures draconiennes comme une reprise temporaire des compétences par l'État pour la reconstruction, un temps envisagée, le cadre restera défini par le conventionnement et le bon vouloir des acteurs.
Dans le Pacifique, le ministère des outre-mer a accompagné financièrement la construction d'abris anticycloniques par le gouvernement de Polynésie française.
Concernant le fonds Vert, 103 millions d'euros d'engagements de l'AFD ont été débloqués à ce titre pour 2018 sous forme de prêts bonifiés, la bonification étant financée par l'État et répartie ainsi : 41 millions d'euros pour le Pacifique, 62 millions d'euros pour les départements d'outre-mer. 60 % des investissements financés dans les grandes collectivités le sont au titre de l'atténuation du changement climatique : petites centrales hybrides en Polynésie, structures de production d'énergies renouvelables, éoliennes et photovoltaïques, en Guadeloupe, rénovations de réseaux de transport d'énergie, éclairage public, aménagements urbains, etc. 40 % relèvent de l'adaptation au changement climatique : travaux de protection contre les crues, rénovations de réseaux et de structures pour les rendre plus résilients en cas de catastrophe. Ce sont des projets de dimensions modestes, pour 75 % à destination des communes.
À Mayotte, le risque sismique fait l'objet d'un suivi très attentif. La DGOM a animé des travaux en lien avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et la direction générale de la prévention des risques (DGPR) pour mieux comprendre le phénomène, à travers une campagne de mesures reposant sur l'immersion de sismomètres à proximité d'un volcan sous-marin en cours de constitution. Le relevage aura lieu en mai, puis les sismomètres seront à nouveau immergés plus près du volcan. M'étant rendu à Mayotte il y a deux semaines, j'ai pu constater ce qu'était un séisme et l'impact qu'il pouvait avoir sur la population. Nous avons également conduit des travaux sur la fragilisation des infrastructures, en lien avec la DGSCGC.
Concernant la reconstruction dans les autres territoires, nous n'avons pas d'exemple d'entreprise d'aussi grande ampleur qu'à Saint-Martin, même s'il est arrivé que des catastrophes abîment les infrastructures. Il faudrait remonter aux ouragans Hugo ou Luis, mais ce sont des événements trop lointains pour en tirer un retour d'expérience significatif.
Autre sujet d'importance, l'assurance contre les risques naturels, dont le taux de pénétration dans les outre-mer est compris entre 45 % et 50 %. C'est un travail de longue haleine. La première difficulté est le risque de fuite. Allianz a eu un milliard de dégâts à indemniser, et l'offre n'a pas évolué dans les Antilles. Il existe aussi un risque de non-couverture très important à Wallis-et-Futuna, où l'offre est presque inexistante. Second sujet d'inquiétude, le coût des polices d'assurance : face à des catastrophes de cette ampleur, les assureurs prennent des marges supplémentaires. C'est un sujet très complexe, abordé dans le cadre de la refonte du dispositif, pilotée par la Direction générale du Trésor en lien avec la DGOM et les assureurs, avec la problématique suivante : comment amener les assureurs à venir dans des territoires exposés à d'importants aléas, avec en sus des difficultés à assumer le coût des polices d'assurance ?
M. Alexis Bevillard, directeur de cabinet du directeur général des outre-mer. - Le risque de fuite est réel, et les assureurs que nous avons rencontrés vous en ont sans doute fait part. Certains d'entre eux ont quitté les Antilles, tant le risque pour leur équilibre financier est grand. Néanmoins, les compagnies d'assurance présentes à Saint-Martin se sont mobilisées après l'ouragan Irma : aucune n'a tenté de se dégager de ses responsabilités.
L'implication de la Caisse centrale de réassurance (CCR) est également une garantie pour les assurances, qui n'ont pas d'obligation d'y adhérer mais y trouvent une aide pour assumer la couverture du risque.
L'obligation d'assurance, notamment pour l'habitation, nous semble être une fausse bonne idée. Compte tenu des risques naturels, il est probable qu'un très faible nombre d'assureurs acceptent de porter un tel dispositif.
La DGOM travaille sur trois pistes principales. La prévention d'abord, qui reste insuffisante. Il faut convaincre nos concitoyens de l'intérêt de s'assurer. Le taux de pénétration reste trop faible, alors que certains contrats sont peu onéreux. Il convient de travailler sur le niveau de la police et de mieux l'adapter aux besoins et aux attentes de la population. Deuxième piste, la prescription, qui repose sur des plans d'urbanisme et des plans de prévention des risques naturels (PPRN) encore trop inégaux. Elle rassure les assureurs et les incite à s'engager. Dernier volet, l'incitation, en agissant d'abord sur le fonds de secours, qui doit conserver son rôle de soutien aux citoyens non assurés sans pour autant réduire l'incitation à l'assurance, et ensuite sur la franchise, dont les montants trop élevés conduisent les particuliers à renoncer à l'assurance.
M. Charles Giusti. - Le secours aux populations non assurées après une catastrophe est totalement indépendant de la question de l'assurance.
Concernant les étrangers en situation irrégulière et nos compatriotes qui vivent dans des conditions difficiles, notre priorité est la lutte contre l'habitat illégal, à travers le foncier et les financements. La loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi ELAN, a prévu un mécanisme de lutte pour la Guyane et Mayotte, dont la mise en oeuvre facilite l'action du préfet. Le corollaire indispensable est le relogement, dont est chargé l'établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte. L'habitat illégal est le premier touché en cas de catastrophe. Éliminer les causes de risque est l'un des noeuds du sujet.
Vous avez exprimé vos interrogations sur l'amoindrissement du rôle de la DGPR dans la prise en charge du prisme des risques. La délégation interministérielle n'a pas vocation à se substituer à la DGPR pour l'information des populations, à la Direction générale du Trésor pour les questions assurancielles, ou aux directions juridiques des différents ministères pour les questions législatives et réglementaires. Elle a avant tout une fonction d'animation interministérielle. Ainsi, c'est bien la DGPR qui assure la mise en oeuvre du plan séisme Antilles en mobilisant le fonds Barnier et en suivant les travaux de confortement. Toutefois, la question de l'articulation avec d'autres ministères se pose, notamment la capacité de la DGPR à convaincre les ministères de consentir les investissements nécessaires au renforcement des bâtiments publics.
Autre illustration, le cas des sargasses qui ne sont pas un risque naturel mais entrent dans les compétences du délégué interministériel, car elles nécessitent des travaux de recherche, de détection, d'identification de solutions de valorisation, et d'organisation du ramassage. La DGPR ne peut assurer l'intégralité du pilotage d'un tel dossier.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - À plus forte raison si ce n'est pas identifié comme un risque naturel.
M. Charles Giusti. - De même, la prévention des tsunamis se divise entre ce qui relève strictement de la prévention, confiée à la DGPR, et la planification et la préparation à la gestion de crise, assurées par la DGSCGC. À ces deux acteurs s'ajoute, en cas d'événement climatique, la réponse complète attendue de l'État. Ainsi, après Irma, une cellule interministérielle de crise a été mise en place. Ce n'est pas au DGPR, par exemple, d'organiser la coopération internationale. Au-delà de la prévention des risques, le délégué interministériel sera donc chargé de ce que l'on appelle « la boucle de gestion de crise » : planification, prévention, gestion de crise proprement dite et retour d'expérience.
Quant à la coopération régionale en matière de moyens de secours en cas de catastrophe, ils ont été mis en place. Pour les Antilles, nous avons installé une capacité de projection depuis la Guyane, hors de la zone d'impact cyclonique. Le mécanisme européen de sécurité civile peut aussi apporter des moyens en hommes et en matériel. La coopération régionale porterait donc surtout sur une projection immédiate après la crise, notamment pour les moyens de transport. Dans le Pacifique, où les moyens logistiques sont limités, il est particulièrement opportun de mutualiser les moyens notamment militaires. Les Antilles sont plus proches de la métropole et peuvent s'appuyer sur la Guyane.
Sur le point de méthode que vous avez évoqué, c'est le ministère des affaires étrangères qui était chargé de travailler sur le sujet. Je ne crois pas qu'il associe les collectivités à ses travaux, car son action s'exerce essentiellement d'État à État, mais le ministère des outre-mer sera attentif à leur association.
Vous m'avez interrogé sur le dimensionnement des moyens de secours. Le Livre bleu des outre-mer prévoit un recensement des moyens de sécurité civile dans les ministères. Il a été estimé, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, que les armées n'avaient plus vocation à assurer de missions de service public dans les outre-mer. En 2013, cette approche a été confortée en précisant qu'il revenait à chaque ministère d'identifier des capacités critiques et de mettre en place des plans d'équipement mutualisés. Sur ce plan, les progrès sont faibles ; or il faut une réponse civile à la hauteur des enjeux de souveraineté et de sécurité en cas de catastrophe.
Le Livre bleu prévoit néanmoins une réponse des armées adaptée aux risques majeurs. Les hélicoptères de manoeuvre, les « casa », ont notamment joué un rôle indispensable après l'ouragan Irma : la composante militaire demeure essentielle dans la fourniture de moyens lourds de transport. Alors responsable des moyens aériens de la sécurité civile à la DGSCGC, j'avais envisagé en 2008, avec la gendarmerie, l'acquisition d'hélicoptères de manoeuvre pour la sécurité civile ; mais le ministère des finances avait jugé l'investissement trop lourd pour un risque dont la survenance reste assez minime.
La refonte du fonds de secours outre-mer ira jusqu'aux limites de l'existant en droit commun, pour la métropole et les départements et régions d'outre-mer. Ce fonds ne disparaîtra pas, et l'effort nécessaire en faveur des collectivités d'outre-mer sera consenti. En revanche, le mécanisme de solidarité nationale ne couvrira pas les collectivités relevant de l'article 74, et plus spécifiquement les pays et territoires d'outre-mer (PTOM).
Je suis bien sûr disposé à apporter des compléments écrits à ces réponses.
M. Michel Magras, président. - Nous avons auditionné à maintes reprises des représentants de la CCR. Bien que créée avec le capital de l'État, elle n'a plus besoin de son soutien, puisqu'elle reçoit 12 % des primes encaissées par les assurances. Or après le passage du dernier cyclone, les assurances ont toutes augmenté leurs cotisations, entraînant ainsi la hausse des versements à la CCR. Or le bruit a circulé d'un passage de 12 % à 18 % du taux de versement, ce qui pourrait décourager le secteur privé, qui voit à la fois la prime et la part dévolue à la CCR augmenter. Certes, l'assurance n'est pas obligatoire, mais notre rôle d'élus est d'inciter les gens à s'assurer, même si les collectivités doivent aussi avoir des exigences en matière de qualité du bâti.
J'attire votre attention sur un problème souvent passé sous silence : le fait que les bateaux ne sont pas couverts contre le risque de catastrophe naturelle, alors que celles-ci détruisent en général l'intégralité du parc marin. Les compagnies d'assurance qui acceptent de les assurer sont peu nombreuses, la multiplication des catastrophes ayant un effet dissuasif.
Autre observation, plus politique : vous avez évoqué l'utilisation des fonds provenant de la TVA non perçue récupérable (TVA NPR) pour les fonds de reconstruction confiés à l'AFD. La première année suivant la suppression de cette niche fiscale, les fonds initialement prévus ont été mutualisés ; mais comment pérenniser ces financements, sinon en reconduisant chaque année une enveloppe de 100 millions d'euros ?
Le service militaire adapté (SMA) a beaucoup contribué à la réponse immédiate au cyclone. Nous, élus d'outre-mer, nous sommes toujours battus pour son maintien.
Mme Vivette Lopez. - Dans un rapport d'information de 2017, « Le BTP outre-mer au pied du mur normatif », nous avons formulé des préconisations pertinentes pour la couverture assurancielle. Certaines d'entre elles seront-elles retenues ?
Comment a été conduite l'élimination des déchets produits par les catastrophes naturelles ?
M. Abdallah Hassani, rapporteur. - Nos îles sont sujettes à des périodes de sécheresse aiguë. Quelles sont les préconisations du ministère pour résoudre ce problème, surtout en cas de catastrophe naturelle ? Même en période normale, nous avons des problèmes d'approvisionnement en eau.
M. Charles Giusti. - Je ne puis vous répondre sur les assurances, cette problématique relevant de la Direction générale du Trésor.
M. Alexis Bevillard. - On prête souvent au dispositif catnat des fonctions qu'il n'a pas. Les particuliers peuvent contracter des polices d'assurance qui les couvrent mieux, car le dispositif catnat oblige les assurances à indemniser des dégâts non assurables, en cas de cyclone notamment, mais impose une franchise. Cela suscite une certaine incompréhension, car certaines polices ne prévoient aucune franchise.
Pour les bateaux, les dégâts à la mer peuvent être assurés en cas de tempêtes, mais le taux de pénétration des assurances est très faible.
Le « catnat » n'est qu'une réponse partielle. Un dispositif solide de réaction aux catastrophes réside dans le triptyque que j'ai évoqué : prévention, prescription, incitation.
M. Charles Giusti. - Il reposera aussi sur les offres des assureurs, avec qui nous sommes en discussion, pour couvrir les besoins de fonctionnement et assurer l'accessibilité des polices d'assurance.
Quant à la pérennisation de la somme correspondant à la TVA NPR, je rappelle que l'enveloppe du ministère des outre-mer est fixée dans le cadre des finances publiques. Dans la « trajectoire 5.0 » pour les outre-mer, la ministre a défini comme une priorité l'accompagnement des territoires pour un développement durable, à travers la réduction des vulnérabilités, la gestion des déchets et la lutte contre le changement climatique.
Les volontaires du SMA, qui sont en formation, ne peuvent être mobilisés à long terme sur des actions de sécurité civile. Nous avons tenté, à Saint-Martin, d'assurer un continuum entre la gestion de crise et la reconstruction en plaçant des jeunes du SMA dans les entreprises locales qui agissent dans le domaine de la reconstruction, mais cela n'a pas fonctionné. On n'a pas trouvé de débouchés suffisants pour ces jeunes face au recrutement de d'autres personnels venant d'ailleurs. C'est dommage.
La gestion des déchets est une dimension importante. À Saint-Martin, des stockages temporaires ont été mis en place. Cette gestion représente 9 millions d'euros dans les dépenses au titre du fonds de solidarité de l'Union européenne, qui couvre la période de crise et la reconstruction. Des filières adaptées sont mises en place, notamment pour la récupération des véhicules. C'est un travail extrêmement important des services de l'État.
La réponse à la sécheresse repose sur des investissements, clairement identifiés dans un plan stratégique, avec les retenues collinaires, les interconnexions, les forages. Dans le cadre de ce plan, l'AFD accompagne le syndicat des eaux de Mayotte, avec un financement de l'État. Sur le long terme, il sera nécessaire de mener un travail prospectif sur les ressources nécessaires. La construction d'une troisième retenue collinaire pourrait être envisagée.
M. Michel Magras, président. - La question de la franchise a fait débat, puisque sa suppression avait un temps été annoncée. Les particuliers sont tentés de se détourner de garantie catnat pour souscrire d'autres polices d'assurance.
Je vous remercie pour la qualité de l'exposé et de l'échange mais je dois malheureusement suspendre notre réunion.
Risques naturels majeurs dans les outre-mer (volet 2) - Audition de Mme Valérie Denux, directrice générale de l'Agence de santé (ARS) de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, et du professeur Louis Jehel, chef de pôle adjoint du CHU de Martinique et vice-président de l'Université des Antilles, pôle Martinique
M. Michel Magras, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux sur le second volet de l'étude sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer, volet relatif à la reconstruction et à l'organisation de la résilience des territoires sur le long terme dont Abdallah Hassani et Jean-François Rapin sont les rapporteurs. Guillaume Arnell est notre rapporteur coordonnateur pour l'ensemble de l'étude.
Si ce travail concerne l'ensemble des territoires et l'ensemble des risques, un focus porte plus particulièrement sur les îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin à la suite de l'ouragan Irma. Aussi, les rapporteurs et moi-même avons souhaité nous intéresser, au-delà de la reconstruction du bâti de nos îles, à la reconstruction des populations durement éprouvées par le cyclone dévastateur de l'été 2017.
Nous avons ainsi consacré la semaine passée deux auditions à cette thématique en recevant Mme Stéphanie Defossez, chercheuse à l'Université de Montpellier 3, puis M. Frédéric Pichonnat, directeur outre-mer de la Croix-Rouge française. Pour poursuivre cette séquence relative à l'accompagnement des populations, nous sommes heureux d'entendre aujourd'hui Mme Valérie Denux, médecin de formation et actuellement directrice générale de l'Agence de santé (ARS) de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui est avec nous en visioconférence depuis la Guadeloupe, et d'accueillir le Professeur Louis Jehel, chef de pôle adjoint du CHU de Martinique et vice-président de l'Université des Antilles. Dans vos fonctions respectives, vous avez pu suivre de près la réalité du terrain en termes d'accompagnement sanitaire et social de nos populations. Aussi, vous avez pu développer un projet innovant de télémédecine, Karib Trauma, consacré aux psychotraumatismes liés aux catastrophes naturelles, dont vous pourrez nous livrer un bilan. Vos expériences nous sont précieuses, et je vous laisse sans plus tarder la parole pour votre exposé liminaire, Madame la directrice générale. Le Professeur Jehel interviendra à votre suite puis les rapporteurs et, éventuellement, les autres collègues vous interrogeront.
Mme Valérie Denux, directrice générale de l'Agence de santeì de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. - Monsieur le président, merci beaucoup. Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités, je suis très heureuse de m'exprimer devant vous pour vous communiquer le dispositif mis en place concernant le psychotraumatisme suite à l'ouragan Irma. À Saint-Martin, l'évaluation de ce dispositif est plutôt mitigée. Assez peu de personnes sont en effet rentrées dans la file active, qu'il s'agisse du dispositif téléphonique SOS Kriz ou du dispositif de télémédecine Karib Trauma. Je me suis beaucoup interrogée sur ce résultat mitigé et nous avons longuement échangé avec le professeur Jehel sur le sujet, et sommes arrivés au même diagnostic.
D'abord, au-delà du psychotraumatisme, des difficultés psychosociales se sont exprimées. Un certain nombre de personnes les rencontraient déjà, et les ont vues s'aggraver avec Irma, qui a eu pour effet d'empirer la précarité. Le diagnostic de psychotraumatisme, en revanche, est plus mitigé, faute de symptômes. Certains en sont probablement atteints, mais ne l'ont pas exprimé, le dissimulent, ou n'ont pas été identifiés. Nous devons donc certainement mettre en place des mesures différentes, comme des groupes de parole, qui nous permettraient de dépister des cas effectifs de syndromes post-traumatiques, de dénouer cette dimension psychosociale et de permettre un suivi des personnes identifiées. Nous devons ainsi adopter une approche plus globale. Si le suivi psychologique voire psychiatrique est essentiel, l'absence de réponses sociales grèvera le succès possible de la prise en charge de ces personnes (logement, difficultés économiques). Ce n'est qu'en partenariat que nous pourrons être plus efficaces. J'ai rencontré le directeur général de la Croix-Rouge française et ses représentants locaux. Je souhaiterais impliquer davantage la Croix-Rouge dans cette prise en charge, sous la forme de groupes de parole ou de dépistage. Elle est de surcroît très présente à Saint-Martin. Un bus santé fait le tour de l'île, dans une démarche de prévention, mais nous pourrions y associer une démarche de dépistage, dans le cadre du psychotraumatisme ou des troubles psychosociaux. La Croix-Rouge y est favorable. Elle effectue en outre des maraudes dans le cadre de l'EMIS (Équipes mobiles d'intervention sociale). Je lui ai confié, en lien avec la Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DJSCS) et la Préfecture, un travail sur la notion de Samu social, aussi bien en Guadeloupe que dans les Îles du Nord. Le rôle de l'EMIS ou du Samu social est très important dans la dimension sociale, en lien avec la prise en charge psychologique voire psychiatrique de la population. Nous devons également progresser dans l'accompagnement relatif aux dispositifs SOS Kriz et Karib Trauma. Nous avons identifié une possible problématique de confidentialité au niveau de l'hôpital, qui dissuaderait les personnes de se rendre dans la cabine de télémédecine pour effectuer des consultations. Le dispositif à distance de télémédecine, en effet, fonctionne. Nous pourrions également mettre en place des groupes de paires, composées de personnes victimes de traumatismes.
Le professeur Jehel finalise actuellement le rapport sur le fonctionnement du dispositif. Celui-ci nous permettra d'identifier les leviers d'amélioration à mettre en place. Il sera prochainement remis à la Fondation de France, qui a financé ce dispositif. Nous devrons mettre en place une feuille de route. Je travaille pour ma part sur les territoires, au titre de l'ARS, afin de rédiger le projet territorial de santé mentale, en lien avec les acteurs de santé. Ce projet devrait probablement être lié à la dimension de prise en charge psychologique voire psychotraumatique. Nous rencontrons aujourd'hui un problème de déficit de psychiatres sur nos territoires. La complémentarité et la continuité de la prise en charge ne sont pas suffisamment décrites aujourd'hui.
Les pistes sont donc nombreuses. Nous y travaillons. Je laisse à présent la parole au professeur Jehel, qui complétera mes propos, puis je répondrai à vos questions.
Pr Louis Jehel, chef de pôle adjoint du CHU de Martinique et vice-président de l'Université des Antilles, pôle Martinique. - Mesdames et Messieurs, merci de votre accueil. Merci, Madame la Directrice générale de l'ARS, de toute la confiance que vous m'exprimez. Je suis d'accord avec les points d'analyse qui ont été soulevés.
Je suis professeur de psychiatrie et référent de la cellule d'urgence médico-psychologique zonale, la Martinique et la Guadeloupe constituant deux régions mais une seule zone. J'ai été mobilisé dès les premières heures du cyclone Irma pour mettre en place le dispositif des cellules d'urgence médico-psychologiques, qui a fait l'objet d'une escalade de moyens. Les équipes de Guadeloupe ont pu apporter leur aide aux populations de Saint-Martin dès le lendemain du cyclone. S'agissant de la Martinique, nous avons pu soutenir les populations en Guadeloupe, face à l'afflux très important de personnes en provenance de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Dans les 48 heures, des équipes de l'ensemble de la Nation sont intervenues. Plus de 120 personnes ont été déployées sur six semaines, pour des séjours d'une semaine, avec des équipes composées de psychiatres, psychologues et infirmiers. Il s'agit du plus gros dispositif de cellules d'urgence médico-psychologiques jamais déployé en France. Malheureusement, les catastrophes se sont succédé, avec les attentats parisiens et niçois. La réponse en phase immédiate fut lourde, mais importante et de qualité.
La question se pose ensuite du point de vue des blessures de cette population. 70 % des maisons ont été touchées par ce cyclone Irma, d'une violence exceptionnelle. Les habitants ont connu une véritable peur de mourir et un sentiment d'insécurité, notamment en tant que parents. Ce sentiment violent génère des cicatrices importantes, à la fois pour les individus et au sein des familles. Ce problème pèse encore dans l'interaction au sein des familles, nombre de parents peinant à aborder ce sujet dans leur foyer. Ce sentiment d'impuissance a entraîné des situations douloureuses, notamment avec des adolescents. Ces raisons ont contribué à des départs importants, notamment à Saint-Martin. Le traumatisme psychique définit la situation dans laquelle des personnes ont pensé être sur le point de mourir. Cette blessure est très difficile à dépasser, cette menace ayant duré plus de sept heures. La longueur de l'impact émotionnel est en effet un facteur de risque sur la durée des symptômes. 15 à 30 % des populations exposées à de tels aléas naturels ont des cicatrices durables, appelées aujourd'hui « troubles de stress post-traumatique », qui se caractérisent par des flashbacks, un état de réaction d'hypervigilance et des troubles de la concentration, ainsi qu'une atteinte de l'humeur.
La dimension sociale est, comme l'a indiqué Mme Denux, un facteur majeur sur la santé mentale. Des études conduites aux États-Unis ont rapporté que même pour des maladies comme la schizophrénie, en l'absence de foyer stable, les soins ne peuvent être organisés. Or, de nombreux habitants, notamment de Saint-Martin, ont pour priorité de retrouver un toit pour leur maison ou une organisation sociale, et ne parlent pas de la trace de cet événement traumatique, qui ne constitue pas pour eux une priorité. Ils sont par ailleurs en contact avec des professionnels de santé qui ont vécu ces événements, et ont par conséquent le sentiment que ce partage doit être implicite. Ces stigmates de traumatisme font aujourd'hui obstacle à un travail thérapeutique. Ce dernier peut en effet commencer une fois la personne concernée en sécurité. Les périodes cycloniques, de surcroît, sont relativement longues et font naître en amont une inquiétude et un climat de qui-vive, qui reste présent. La question prioritaire exprimée par la population est dès lors celle de sa sécurité.
Par ailleurs, les personnes estiment ne pas être malades ou faibles, mais expriment le besoin d'être soulagées ou reconnues. Elles ne souhaitent cependant pas être jugées. Aux Antilles particulièrement, une très forte attention est portée à l'image de soi et au regard de l'autre. Plus le niveau de responsabilité est important, plus les personnes sont identifiables, plus celles-ci craignent d'être reconnues. La question de la confidentialité et de la continuité des soins est donc centrale. L'intervention précoce a été appréciée, mais elle a aussi généré un sentiment d'abandon pour un certain nombre d'acteurs. Nous ne pouvons cependant déployer des professionnels sur des durées nécessaires à un temps de travail thérapeutique.
Je suis chef de service en Martinique depuis 2011, et dispose aujourd'hui d'un certain recul sur l'impact et l'intégration de ces phénomènes dans la vie culturelle et sociale de ces territoires. Plusieurs problématiques majeures s'y expriment, dont les psychotraumatismes dus à la récurrence des catastrophes et aléas naturels. Ceux-ci peuvent réveiller d'autres événements traumatiques, notamment la violence conjugale. Les addictions se trouvent également réactivées par des événements de cette nature. Beaucoup de personnes ont ainsi confié avoir consommé beaucoup d'alcool à leur suite, compte tenu de ses vertus apaisantes. Si aucune autre stratégie n'est proposée pour réduire cette douleur et cette angoisse, un risque d'introduire ou de réactiver, voire amplifier cette dépendance à l'alcool se présente. Je souhaite également insister sur la question du risque suicidaire. J'avais émis une alerte dès les premiers jours de mon intervention à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. À Porto-Rico, les morts par suicide dans les six mois qui ont suivi le dernier cyclone ont augmenté de 6 %. Ce phénomène est généralisé. Le comptage de ces morts par suicide pose de surcroît une difficulté, les médecins ne notant pas sur le certificat médical qu'il s'agit d'un suicide, convaincus que cette dissimulation protège la famille pour des raisons religieuses ou assurantielles. Les équipes des urgences de Saint-Martin m'ont cependant fait part de leurs difficultés face à des conduites suicidaires.
Ces problématiques me conduisent à considérer que, sur ces territoires particuliers, nous devons être en capacité de construire des actions de prévention tenant compte des spécificités insulaires. De nombreuses entreprises de Saint-Martin ont en effet quitté le territoire, et certains hôtels ne prévoient pas de réouverture prochaine. La télémédecine doit permettre de pallier la dispersion des territoires de l'archipel ainsi que l'isolement que ces populations en souffrance peuvent exprimer. Elle n'est pas encore entrée dans les habitudes. La Sécurité sociale reconnaît depuis peu qu'une consultation peut être effectuée en téléconsultation, mais des scepticismes persistent sur l'efficacité de cette démarche dans le champ de la psychiatrie. Les travaux conduits sur les territoires français démontrent cette dernière. Ces dispositifs sont particulièrement efficaces, aux États-Unis, dans le domaine de la psychiatrie. Ce déploiement de la télémédecine nécessite cependant une acceptation de la démarche et des réseaux de communication de qualité. La télémédecine recouvre en outre un volet de télé-expertise, susceptible d'apporter du soutien aux professionnels sur ces territoires, en développant des liens avec des partenaires.
Pour permettre à ces populations de retrouver un bien-être et une confiance dans leur capacité à bien vivre sur ces territoires, nous devons assurer un soutien humain, matériel et technologique, en termes d'innovations. Les jeunes, notamment, présentent des éléments de vulnérabilité. Selon le baromètre Santé DOM, la classe d'âge 15-30 ans voit ainsi une augmentation des risques suicidaires et de la souffrance liée à la dépression. Ce taux, initialement inférieur au reste de l'hexagone, affiche le même niveau voire un niveau légèrement supérieur depuis les dernières analyses. Une fuite des populations jeunes de ces territoires est fortement crainte. Pour apporter des soins à ces populations de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, nous devons mettre à nouveau en place des dispositifs de téléconsultation mais également de forums, en permettant notamment de repérer de façon automatisée des éléments de gravité et ainsi d'identifier des personnes à plus haut risque. Nous devons probablement chercher l'attention des jeunes via leur téléphone, en proposant plusieurs niveaux de réponse. Le projet que nous avons déployé se déclinait en trois axes, le premier consistant à renforcer la santé communautaire, en aidant la population à prendre soin de son bien-être et à se réunir pour partager une dynamique renforçant la résilience. En Martinique, depuis quatre ans, nous avons mis en place une plateforme SOS Kriz composée de personnes issues de la population et que nous avons formées. Elles ont été déployées dans des actions de soutien, notamment auprès de la Croix-Rouge. Des groupes de parole et d'entraide ont par ailleurs été mis en place. Ils ne font pas intervenir de professionnels, mais des personnes concernées, qui sont cependant en lien avec des professionnels, afin de réorienter les individus en cas d'alerte. Le modèle « Narcotiques anonymes », notamment, démontre son efficacité.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Merci beaucoup. Le dispositif émanant de la métropole a-t-il été consolidé, ou a-t-il pris fin au mois de décembre ? Karib Trauma peut-il être considéré comme un dispositif de consolidation ?
Madame la Directrice nous a par ailleurs fait part de son projet territorial de santé mentale. Est-il prévu qu'elle y intègre des éléments liés aux psychotraumatismes et aux pathologies qui pourraient déclencher d'autres pathologies psychiatriques ? À terme, devons-nous envisager d'augmenter les moyens développés sur le territoire, compte tenu du déficit de psychologues et de psychiatres relevés ?
En outre, nous savons qu'un organisme en situation de stress pendant six ou sept heures peut déclencher des pathologies organiques. Disposez-vous d'une estimation potentielle de pathologies organiques susceptibles de se déclencher après le stress (pathologies cancéreuses, diabète, hypo ou hyperthyroïdie, etc.) ?
Enfin, comment le bus santé fonctionne-t-il ? Une infirmière ou un médecin y sont-ils présents ? Vous évoquiez les difficultés liées à la télémédecine. Le bus ne permettrait-il pas de la mettre en place de façon plus discrète ?
Pr Louis Jehel. - Le dispositif a effectivement pris fin en décembre 2017, puis a laissé place à un renfort de la réserve sanitaire. Différentes actions ont été par la suite conduites, notamment sur le plan social. Le dispositif Karib Trauma n'a pas apporté tous les éléments de réponse et de satisfaction souhaités, notamment du point de vue de la téléconsultation. Le premier lieu qui avait été identifié, en l'occurrence, n'a pas pu être utilisé. Le second lieu ne s'est pas avéré être adéquat, en raison de sa position centrale dans l'hôpital. Il est possible d'imaginer un système mobile, si les réseaux sont stabilisés sur le territoire. Nous avons d'ores et déjà assuré des consultations par téléphone, qui sont utiles et efficaces, mais la réponse optimale réside dans un échange d'images. À l'avenir, nous devrions pouvoir assurer ces consultations sur tablette, à domicile, quand les réseaux le permettront. Nous souhaitions cependant privilégier un lieu de soin. De ce point de vue, la solution du bus santé paraît intéressante. En effet, l'entretien thérapeutique peut conduire la personne à se reconnecter avec son histoire traumatique et la placer dans une situation émotionnelle aiguë. Un environnement de santé peut lui permettre d'avoir recours à un professionnel.
Mme Valérie Denux. - Le bus santé ne fait pas intervenir de médecin, l'objectif n'étant pas de médicaliser mais d'apporter des réponses via des personnes paramédicales, généralement des infirmières, voire des travailleurs sociaux, dans des aspects de conseil, de prévention et de dépistage. Le médecin n'est sollicité que si des besoins de prise en charge sont identifiés.
Après décembre 2017, le dispositif de la métropole a pris fin, mais les renforts de Santé Publique France ont perduré. Le ministère avait mis en place un chargé de mission, le docteur Perrault, au côté de la délégation territoriale de l'ARS, afin de travailler sur le sujet du psychotraumatisme et la mise en place du dispositif.
Il n'est par ailleurs pas impossible d'envisager une télécabine pour la téléconsultation. Si l'hôpital n'offre pas la confidentialité requise, un travail pourrait être conduit avec la Croix-Rouge française pour y installer cet espace de téléconsultation, sous réserve qu'un personnel paramédical puisse accompagner la démarche.
Pr Louis Jehel. - Concernant la question de l'évolution des pathologies, des cohortes mises en place à Paris après les attentats ont permis d'observer une augmentation très significative d'accidents vasculaires. Nous n'avons pas retrouvé ces observations dans nos cas. La cellule d'épidémiologie n'a pas identifié de surmortalité dans les mois suivants les événements. En termes de veille, il est important de surveiller l'évolution de ce risque et de prévoir des mesures permettant d'aider les professionnels de santé dans ce repérage.
Mme Valérie Denux. - Au sujet du projet territorial de santé mentale, il s'agit bien de la santé mentale dans son approche globale, au-delà du dispositif post-Irma. Nous avons le devoir de mettre en place de tels projets sur tous les territoires dont nous sommes responsables. La ministre des solidarités et de la santé insiste fortement sur cet aspect, et demande aux ARS d'être particulièrement proactives dans ce domaine. Il s'agit de travailler sur la prise en charge de la santé mentale dans toutes ses dimensions. Des groupes de travail sont ainsi mis en place avec les acteurs de santé, afin d'identifier leurs difficultés et les problématiques, les éventuels manques et de formuler des propositions d'organisation. En Guadeloupe et dans les Îles du Nord, nous avons par ailleurs recours à l'Observatoire régional de santé de Guadeloupe, qui nous assiste dans le diagnostic des pathologies de santé mentale mais également sur les pathologies somatiques. Après Irma, nous avons demandé à Santé Publique France de suivre les pathologies des personnes des Îles du Nord ; aucune différence significative n'a été relevée par rapport à la situation habituelle, en termes de comorbidité ou de conséquences liées à l'ouragan. S'agissant de la prise en charge somatique, nous travaillons actuellement sur la mise en place de filières de prise en charge et de parcours, en particulier dans le cadre du groupement hospitalier de territoire des Îles du Nord, en association avec le groupement hospitalier de territoire de la Guadeloupe. Je souhaite que nous associions la santé mentale à la filière somatique. Les prises en charge multidisciplinaires sont généralement les plus efficaces. Les dimensions physique et psychique sont intriquées, et nous devons les suivre dans le cadre de la prise en charge.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - J'admets ma non-maîtrise de ces sujets post-traumatiques et être à l'écoute de votre expérience. Je suis donc ravi de vous entendre sur ces sujets.
Je souhaite que nous nous attardions sur une autre problématique inhérente au phénomène Irma : le sentiment d'abandon vécu par les professionnels qui ont subi personnellement les conséquences de l'ouragan. Le personnel médical, paramédical, le personnel hospitalier de Saint-Martin, mais également les médecins libéraux, ont, à titre privé, dû faire face à des dégâts conséquents. En termes d'organisation, certains personnels sont restés longuement en veille alors que d'autres n'ont pas pu prendre leur relais. Nous pouvons comprendre les raisons de sécurité, mais ces retours d'expérience doivent être pris en compte. Ces personnels, qui avaient connaissance des difficultés vécues par leurs collègues, n'ont pu les soulager comme ils le souhaitaient. Quelle est votre évaluation de la situation de cette population ? Une difficulté particulière a par ailleurs pesé sur la population des dialysés, particulièrement fragilisée.
Mme Valérie Denux. - Le personnel de santé, sur lequel reposent les prises en charge, se trouvent en effet trop souvent oublié. Leur accompagnement psychologique a une grande importance. La tendance vise à l'améliorer. La Cellule d'urgence médico-psychologique (CUMP) est à même d'aider les agents hospitaliers, mais des accompagnements spécifiques peuvent être conduits. Lors de la crise du CHU de Guadeloupe, j'ai demandé des renforts en psychologues du travail et psychologues cliniciens pour les agents du CHU.
Beaucoup de médecins libéraux m'ont en outre fait part de leur volonté d'aider leurs collègues et de leur frustration de ne pas avoir pu le faire, faute d'être intégrés dans le dispositif des réservistes sanitaires Santé Publique France. Je travaille ainsi avec eux et avec l'Union régionale des professionnels de santé (URPS) pour trouver d'autres solutions, éventuellement en leur proposant de bénéficier d'un statut de collaborateurs occasionnels du service public, les protégeant en termes de responsabilité médicale et leur permettant d'être valorisés.
Je travaillais au ministère de la Santé lors de l'ouragan Irma, plus principalement dans la salle de crise. Nous avons été particulièrement marqués, en tant que pilotes santé, par le fait que le faible nombre de victimes tendait à reléguer la santé au second plan.
S'agissant des dialysés, comme les personnes en perte d'autonomie, la solution dans le cadre d'un ouragan de ce type me semble résider dans une évacuation en amont. Il n'en va pas de même pour toutes les crises, comme les séismes.
Pr Louis Jehel. - Je suis d'accord avec M. Arnell et Mme Denux sur la question de la santé mentale des professionnels. Nous avons probablement pris avec trop de retard conscience de l'importance de cet enjeu. La culture des professionnels de santé tend en effet à les encourager à tenir debout, et ce jusqu'à l'épuisement. Nous avons ainsi vu des professionnels épuisés qui ne souhaitaient pas d'aide. Tout le monde a cependant été impacté par cet ouragan, notamment le site de l'ARS, conduisant à d'inévitables retards. Nous devons améliorer notre capacité à anticiper les décisions, afin que les mesures correspondent à des processus structurés. Nous pourrions envisager une meilleure continuité au profit des personnes fragilisées, et une plus grande systématisation de ces démarches. La téléconsultation peut notamment permettre d'assurer une certaine confidentialité.
Les médecins martiniquais m'ont rapporté être prêts à fournir de l'aide, mais n'avoir pas été mobilisés par les autorités, ce qui a créé un sentiment de frustration.
M. Michel Magras, président. - Je salue la qualité des analyses qui viennent d'être présentées et les problématiques qui ont été soulevées. En tant qu'élu, je peux témoigner de ce besoin de sécurité, cette peur, cette tentation de la fuite et cette problématique du logement et de l'image de soi chez les individus.
Je n'ai personnellement jamais assisté à une telle solidarité entre les îles des Antilles. Nos populations n'osent pas extérioriser leur ressenti. Je m'intéresse à la question de savoir si la population de Saint-Barthélemy, notamment, a fait la démarche de se faire entendre.
Mme Valérie Denux. - Je n'ai pas connaissance de personnes de Saint-Barthélemy qui aient bénéficié d'un suivi pour un problème de psychotraumatisme. La situation y est cependant particulière. La reconstruction y fut relativement rapide, et les maisons ont bien résisté. Le traumatisme ne fut donc pas aggravé par la difficulté à retrouver son domicile. Nous ne devons cependant pas oublier les traumatismes qu'ont pu subir les habitants de Saint-Barthélemy.
Pr Louis Jehel. - Je suis touché par vos propos, Monsieur Magras. Certaines personnes de Saint-Barthélemy nous ont interpelés. Un relais sur place a par ailleurs été assuré par une infirmière de qualité, vers les services de psychiatrie. Vous avez insisté sur un point très fort : spontanément, la réponse consiste à affirmer que l'on se porte bien, compte tenu, en particulier, de l'ampleur des tâches à accomplir. De plus, ces personnes savent que les médecins ont également été affectés. Au-delà de la question de la confidentialité, il se pose une problématique de culture. Je recommande ainsi de développer les débats grand public. Avec SOS Kriz, nous avons construit un court film d'animation avec un réalisateur martiniquais, qui décrit la situation d'une famille en quatre minutes. Nous avons gagné quatre prix internationaux. Ce film constitue un support de présentation qui permet d'aborder la violence, la peur, les cauchemars, la séparation des enfants, l'alcool, les médicaments, etc. Il s'agit d'un point de départ à une discussion qui permet d'échanger. L'objectif n'est pas de s'inscrire dans une position descendante, mais d'aider les individus, en renforçant la capacité à échanger, partant du principe qu'il est plus aisé de parler du film que de soi-même.
M. Michel Magras, président. - Le comportement d'un îlien qui a grandi sur une île n'est pas le même que celui d'une personne qui vient de s'y installer.
Concernant les personnes fragilisées, Madame la directrice, vous évoquiez la possibilité d'une évacuation. Sur une île aussi petite que la nôtre, les compagnies aériennes évacuent généralement leurs propres avions, et nous n'avons plus les moyens d'assurer ces évacuations. Je ne sais pas s'il existe une solution pour répondre à cette situation.
Je vous remercie infiniment pour ces échanges très instructifs. Nous restons à votre écoute, si vous souhaitez nous faire parvenir des remarques écrites. Nous nous rendrons à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, avec la délégation, lors de la dernière semaine d'avril.
M. Guillaume Arnell, rapporteur coordonnateur. - Je vous remercie, et suis admiratif de ce volume d'informations échangées, qui me conforte que c'est collectivement que nous trouverons des solutions. Le regard que nous porterons sur l'avenir sera nécessairement différent. La mission que nous conduisons pour le compte du Sénat nous impose de distiller aussi largement que possible cette information, afin de permettre à chacun de s'en saisir. Je suis très heureux d'avoir partagé ce moment avec vous, Madame la directrice générale.