Mercredi 27 mars 2019
- Présidence de M. Franck Menonville, président -
La réunion est ouverte à 15 h 05.
Audition de M. François Marzorati, ancien sous-préfet de Thionville, ancien chargé de mission auprès du Premier ministre de 2012 à 2019, responsable du suivi des engagements pris par ArcelorMittal
M. Franck Menonville, président. - Nous entendons aujourd'hui M. François Marzorati, ancien sous-préfet de Thionville, qui a été chargé de mission auprès des Premiers ministres qui se sont succédé de 2012 à 2019. À ce titre, il a été responsable du suivi des engagements pris par ArcelorMittal à Florange. Cette audition nous permet de revenir sur son rapport, qui vient d'être rendu, de préparer notre déplacement en Lorraine prévu le 5 avril prochain, et d'évoquer l'abandon du projet Ulcos, Ultra Low Carbon Dioxyde Steelmaking), qui visait à la captation souterraine de CO2.
Il y a 15 jours, nous nous sommes rendus dans les Hauts-de-France. Je remercie Valérie Létard pour l'organisation de cette journée, qui a permis des rencontres de qualité et des échanges d'une grande richesse, tant à Dunkerque qu'à Valenciennes. Ce déplacement a également été l'occasion d'une visite sur le site d'Ascoval ; le tribunal s'est prononcé très récemment sur le désengagement d'un premier repreneur.
M. François Marzorati, ancien chargé de mission auprès du Premier ministre de 2012 à 2019, responsable du suivi des engagements pris par ArcelorMittal. - Il est rarissime, lors d'une carrière dans la fonction préfectorale, d'être convié à s'exprimer devant une commission sénatoriale : je vous remercie vivement de cette invitation.
Lors d'une nomination dans le corps préfectoral en Lorraine, on ne peut que penser à la lignée des préfets dans laquelle on s'inscrit, et qui, depuis 1960, ont tous eu comme préoccupation essentielle l'identité minière et sidérurgique de la région.
J'ai été nommé en 2005 et j'ai alors repris trois dossiers principaux portés pendant de très nombreuses années par mes prédécesseurs : la fin de l'ennoyage des mines, le projet de reconversion du site de Belval, et la fin de la filière chaude liquide.
Quelques années après la fin de l'exploitation de la minette lorraine, il avait été décidé l'ennoyage des mines, par récupération des eaux dans le sous-sol. Or, cela a posé des problèmes d'effondrement de cités entières, qui ont entraîné l'expulsion d'une population très sensible au passé minier du territoire. Le représentant de l'État était chargé de l'accompagnement de ce processus, socialement très délicat.
Le projet de la friche industrielle de Belval est moins connu. Située en Pays Haut, territoire à cheval entre la Meurthe-et-Moselle et les Portes du Luxembourg, la friche devait faire l'objet d'un réaménagement rendu compliqué par l'absence d'intercommunalité interdépartementale. À l'occasion du conflit de Gandrange, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, avait annoncé la création d'une opération d'intérêt national sur ce site, visant à assurer le développement sur la partie française et à créer un établissement public. Malheureusement, peu de choses se sont passées depuis, notamment pour des raisons de fiscalité d'entreprise ; seuls les Luxembourgeois, avec les moyens qui sont les leurs, ont tiré parti de ce territoire, créant une université, et restaurant un haut-fourneau à Esch.
Troisième grand dossier : la fin de la filière chaude liquide, décidée en 2004 avec le plan Apollo, qui fixait l'objectif de la fermeture des hauts-fourneaux de Florange pour 2010.
Trois dossiers, donc, qui permettaient d'entrer pleinement au coeur des préoccupations sidérurgiques de la région.
Peu de temps après, Mittal a fait une offre publique d'achat hostile sur le groupe Arcelor. Rapidement, a émergé le premier conflit, celui de Gandrange. Le contexte économique difficile de l'époque avait conduit Nicolas Sarkozy à fermer l'aciérie de Gandrange. Des engagements avaient été pris, notamment en termes de formation professionnelle, mais leur réalisation était conditionnée à l'évolution de la situation économique. S'en est suivi un conflit social, sur fond de chute du marché mondial de l'acier dans un contexte extrêmement tendu, avec des occupations de site parfois violentes. En tant que sous-préfet, j'ai géré ce dossier complexe, mobilisant le monde politique et les médias.
En 2012, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, demande la nationalisation des hauts-fourneaux, dont la fermeture provisoire avait eu lieu courant 2011. Le 30 novembre 2012, ArcelorMittal prend alors un engagement solennel vis-à-vis de l'État, dans des accords signés par les dirigeants européens de Mittal et le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Il se trouve que ces accords sont intervenus le jour de ma retraite du corps préfectoral et que, en raison de mon ancienneté, de ma connaissance du terrain, et de mes rapports avec l'ensemble des élus syndicaux, l'administration et le groupe ArcelorMittal, le Premier ministre m'a confié une mission de suivi de ces accords. Ce type de mission dure généralement 6 mois, rarement plus d'un an ; celle-ci aura duré 6 ans, pour se terminer en décembre 2018. J'ai ainsi pu rencontrer plus de 2000 personnes et réaliser 150 déplacements en Lorraine, à Dunkerque et à Fos-sur-Mer, mais également sur d'autres petits sites qui comptent beaucoup pour le groupe ArcelorMittal et la sidérurgie française - Saint-Chély-d'Apcher en Lozère, Basse-Indre en Loire-Atlantique, Montoire dans l'Oise, Mouzon dans les Ardennes.
Aujourd'hui, ArcelorMittal a plus de 10 000 salariés en France, dont la moitié dans le Grand-Est. C'est d'ailleurs le deuxième plus gros employeur privé de la région. L'approche du dossier ArcelorMittal ne se fait jamais sans une petite appréhension : on a tant entendu parler de la dureté du conflit social qui a touché Florange qu'on a l'impression qu'il n'y a plus aucune activité. Or, plus de 2 200 employés y travaillent encore, et le plus grand centre mondial de recherche et développement d'ArcelorMittal, qui accueille près de 800 personnes, se trouve à Maizières-lès-Metz.
M. Franck Menonville, président. - Nous irons le visiter.
M. François Marzorati. - On peut également citer l'usine Tailored Blanks d'Uckange.
Cinq engagements ont été pris par ArcelorMittal. Le premier concerne les investissements. Un élément de l'accord signé à Gandrange m'a beaucoup aidé pour faire pression sur ArcelorMittal : l'adjectif « inconditionnel ». Le groupe s'était engagé à investir 180 millions d'euros en cinq ans sur le site de manière inconditionnelle. Malgré un contexte économique difficile pour le marché de l'acier en 2013, le groupe a dû commencer ses investissements. Six ans plus tard, ce sont finalement près de 330 millions d'euros qui ont été ou seront investis à Florange - une partie de la somme a été budgétisée, mais n'a pas encore donné lieu à des réalisations concrètes -, auxquels il faut ajouter les investissements réalisés à Dunkerque, à Fos-sur-Mer, à Saint-Chély-d'Apcher... Je pense que, au total, ArcelorMittal a déboursé pas moins d'un milliard d'euros en France. Cette somme souligne bien l'importance de l'ancrage territorial du groupe, dont l'image avait été malmenée par les conflits sociaux et l'OPA hostile.
Les investissements ont permis la consolidation, la mise aux normes, la création de nouveaux trains à chaux.
Le deuxième engagement était la transformation de l'activité « emballage », importante à Florange, mais également dans des usines plus petites comme celle de Basse-Indre, spécialisée dans les boîtes de conserve alimentaire. Cette filière packaging, qui nécessite un acier de qualité, a dû être réorganisée suite à la fermeture des hauts-fourneaux. Les brames de Dunkerque sont transportés vers Florange, où ils sont transformés en coils, ces bobines qui sont ensuite dirigées vers Basse-Indre. Malgré les difficultés, l'activité packaging a donc pu être stabilisée.
Troisième engagement : le développement de la recherche sur le site de Maizières-lès-Metz, en partenariat avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui finance les recherches sur de nouveaux aciers plus solides. En effet, si la Lorraine continue d'être un centre majeur d'aciérie, c'est parce que la qualité de l'acier qui y est produit le rend très attractif pour les constructeurs automobiles, notamment allemands. Cette clientèle est essentielle pour maintenir l'activité en Lorraine. L'usine Tailored Blanks d'Uckange, que j'ai déjà évoquée, réalise en particulier les soudures de châssis.
Le projet Ulcos, qui consistait à capter du CO2 puis à l'enfouir dans le sous-sol de la Meuse, n'a pas vu le jour. En effet, il n'avait fait l'objet d'aucune enquête et d'aucune autorisation. De plus, même si l'enfouissement de CO2 n'aurait pas eu les mêmes impacts que celui des déchets nucléaires, l'acceptabilité sociale du projet aurait été difficile à atteindre. Cet engagement sur Ulcos était toutefois porteur d'enjeux importants, c'est pourquoi ArcelorMittal a lancé en remplacement le projet de recherche fondamentale LIS, le « Low Impact Steelmaking », qui s'intéresse à la captation du CO2 et aux possibilités de le réinjecter dans les processus de combustion. Un préfigurateur de ce projet a été construit au pied des hauts-fourneaux de Dunkerque, et différents travaux ont d'ores et déjà été menés, en lien avec l'université de Lorraine et des partenaires privés, grâce au financement de l'Ademe.
L'aspect social des engagements d'ArcelorMittal n'est pas à négliger. J'ai pu lire parfois dans la presse que la fermeture de Florange avait entraîné 2 000 licenciements : c'est faux. Sur les 629 emplois supprimés lors de l'arrêt des hauts-fourneaux, 256 ont fait l'objet de départs à la retraite avec des aménagements, 40 ont fait l'objet d'un départ volontaire, et 333 nouvelles affectations sur le site ont été décidées : aucun salarié n'a donc fait l'objet d'une mesure de licenciement. Ces reclassements et mesures sociales d'accompagnement sont une sorte de constante dans le milieu sidérurgique. La fermeture du site de Florange a également eu des impacts sur les sous-traitants : la DIRECCTE, la chambre de commerce et d'industrie et le conseil régional de Lorraine avaient mis en place des dispositifs d'aide à ces entreprises. Sur les 200 entreprises sous-traitantes recensées, certaines, spécialisées dans le maintien des hauts-fourneaux, ont déposé le bilan ; d'autres se sont redéployées sur de nouveaux marchés. La fermeture des hauts-fourneaux a donc eu un impact social certain, mais on ne déplore aucun licenciement. La filiale qui, au sein de la filière logistique, acheminait le charbon aux hauts-fourneaux, transportait les déchets et assurait la distribution des produits finis, a connu une baisse d'activité difficile à pallier. Une partie des employés a pu être reclassée, les autres continuent de travailler dans un contexte social tendu.
La poursuite des investissements dans les deux sites côtiers de Dunkerque, qui compte trois hauts-fourneaux, et Fos-sur-Mer, qui en compte deux, vise à renforcer l'ancrage territorial du groupe.
L'an dernier, après 5 ans d'investissements, le groupe devait décider, en fonction du marché et des nouvelles technologies, si les hauts-fourneaux de Florange seraient rallumés. Des études détaillées ont montré qu'une telle solution n'était pas opportune. En effet, il faudrait réobtenir les autorisations administratives liées aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) - cela implique notamment une enquête publique, et donc 18 à 24 mois de procédure, dans un contexte environnemental compliqué - et réaliser des investissements considérables. Même si, dans la situation actuelle, la France est obligée d'importer de l'acier, le rallumage des hauts-fourneaux serait trop onéreux - les chiffres fournis par ArcelorMittal ont été vérifiés par le ministère de l'Industrie. D'ailleurs, une reprise de la production à Florange impliquerait une réorganisation complète du circuit logistique et une baisse de production qui fragiliserait le site de Dunkerque, mais également la nécessité de retrouver du personnel qualifié. Or, nous savons tous que les métiers sidérurgiques, physiquement difficiles, ne suscitent pas énormément de vocations... Sur les 330 reclassés de Florange, environ 150 sont encore en activité, mais pourraient prendre leur retraite au cours des 5 prochaines années ; la capacité de transmission des savoirs est donc faible.
J'ai parfois entendu que j'étais devenu le porte-parole d'ArcelorMittal ! Le constat que je fais est simplement pragmatique : sur certains points, il a fallu exercer des pressions pour qu'ArcelorMittal respecte ses engagements ; aujourd'hui, force est de constater que le bilan est positif.
J'ai réuni à une trentaine de reprises un comité de suivi, dans lequel siégeaient les parlementaires locaux, les élus des intercommunalités concernées, l'État et les organisations syndicales qui l'ont souhaité. Il a permis, tout au long des conflits, de mener un réel dialogue social dans la plus grande transparence. Pour moi, il était en effet très important d'obtenir l'appui des organisations syndicales dans le suivi des engagements, tout autant que d'écouter leurs besoins. Lors des discussions, la CGT a d'ailleurs demandé l'ouverture d'une aciérie électrique, afin d'obtenir rapidement la réduction des nuisances des hauts-fourneaux tout en assurant la production d'un acier de qualité. À Gandrange, elle n'avait pas fonctionné longtemps. Je me suis déplacé au Creusot, où j'ai pu constater qu'elle créait certaines nuisances. De plus, pour fonctionner, ces aciéries nécessitent de grandes quantités de ferraille, qu'il faut acheminer et qui proviennent pour une large part de marchés privés. À ce titre, le « parc aux ferrailles » du Creusot est très impressionnant - il en existe un également à Woippy - : la ferraille y est choisie en fonction du produit fini attendu. ArcelorMittal a réalisé des études et conclu que l'aciérie électrique n'était pas une solution adaptée au site de Florange.
M. Franck Menonville, président. - Lors de notre déplacement à Dunkerque, nous avons pu apprécier la complémentarité des deux sites : la montée en performance de Florange dépend largement de la fourniture en acier par Dunkerque. L'arrivée de combustibles et minerais par la mer et leur acheminement sont à intégrer dans le modèle sidérurgique français.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Dans une logique de filière, la proximité d'un port pour acheminer le minerai et la production d'acier vers les sites de transformation semble une bonne stratégie. Peut-être, monsieur Marzorati, pourrez-vous développer la complémentarité entre les hauts-fourneaux et les aciéries électro-intensives, comme il en existe dans certaines régions ?
Au niveau européen, on est encouragé à s'engager dans la production électro-intensive pour s'éloigner des hauts-fourneaux - même si à l'heure actuelle nous en avons toujours besoin - et aller vers plus de recyclage. On nous a dit qu'environ 4 millions de tonnes de ferraille française étaient aujourd'hui recyclés à l'étranger ! Pour vous, certains sites sont trop importants pour fonctionner sur ce modèle : doit-on distinguer les sites par leur nature ? Pouvez-vous approfondir cette question ?
M. François Marzorati. - Aujourd'hui, on fait de l'acier avec du fer et du charbon. Une cockerie est toujours en activité à Florange, ce qui n'était pas si évident dès lors que les hauts-fourneaux étaient arrêtés. Mais son site est admirablement placé, puisqu'il est desservi par une voie fluviale, une voie ferroviaire, et une voie autoroutière. Cela en fait une véritable plateforme multimodale, très utile à l'acheminement des matériaux et des produits commercialisables. C'est donc un équipement maintenu pour des raisons logistiques, conforté par l'analyse d'ArcelorMittal, mais qui pose beaucoup de difficultés sur le plan environnemental - pollution de la Fensch ou affectant le personnel, notamment.
À Florange, certaines organisations syndicales avaient évoqué une reconversion en aciérie électrique, alors même qu'à Gondrange, cette reconversion avait échoué. Je me suis donc rendu au Creusot, où sont créées de grosses pièces pour le nucléaire. J'ai constaté que ce mode de production créait aussi des nuisances sonores pour le voisinage et nécessitait un tri sélectif de ferrailles, lesquelles sont sélectionnées en fonction de la qualité de l'acier que l'on veut produire. Pour écarter ce projet pour Florange, la direction d'ArcelorMittal a mis en avant le manque de ferraille de qualité au vu des produits qui doivent être réalisés. En outre, le site ne s'y prête pas et nécessiterait de démonter les hauts-fourneaux actuels.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Je vous remercie, monsieur Marzorati, pour l'action qui a été la vôtre durant toutes ces années.
Selon vous, quelles leçons l'État a-t-il tiré de la crise de Florange ? Est-il suffisamment armé et équipé pour traiter de lourds dossiers industriels ? Votre cas, votre désignation pour suivre l'accord entre l'État et un groupe industriel semble singulière : existe-t-il actuellement d'autres cas semblables ? Vous semblerait-il opportun que des personnels soient dédiés à de telles situations ? Pensez-vous que les directions générales des ministères sont suffisamment dotées pour anticiper ce type de risques, appréhender les mutations du secteur et accompagner les projets de restructuration dans l'industrie ? La question environnementale, avec les quotas carbone, et la nécessité de produire un acier propre sont aujourd'hui au coeur des préoccupations ; elles doivent accompagner l'évolution de notre filière sidérurgique.
En Lorraine, à Maizières-Lès-Metz, nous visiterons dans ce but le premier centre mondial de recherche du groupe ArcelorMittal, qui compte 800 des 1300 personnes chargées de la recherche de ce groupe dans le monde. Cette entreprise croit donc à l'avenir de la filière. Savez-vous combien de crédit d'impôt recherche (CIR) ce groupe reçoit chaque année ? Loin de moi l'idée de supprimer les financements, mais c'est au final une recherche privée financée par des fonds publics, nationaux comme européens... Cela pose la question de la sécurisation du retour sur investissement : où les découvertes seront-elles appliquées ? Comment s'assurer que la France et l'Union européenne en bénéficieront ?
Enfin, que représente concrètement l'abandon d'Ulcos au profit du projet LIS ? À quel terme voyez-vous les choses s'améliorer ? Comment aider notre sidérurgie à se décarboner, dans un contexte mondial de surproduction ?
M. Jean-Pierre Vial. - Je tiens tout d'abord à vous féliciter, monsieur le Préfet, pour votre longévité administrative ! Il y a tout juste une semaine, deux fonctionnaires d'un ministère ont présenté un rapport qui, de toute évidence, devrait faire l'objet d'une mission de suivi ; les deux ont décliné la proposition du ministre de mener cette mission, en raison d'un proche départ à la retraite !
M. François Marzorati. - Je suis certes à la retraite, mais toujours partant lorsqu'il s'agit d'être au service de la République ! Cela fait, à mon sens, partie de l'engagement civique des fonctionnaires.
M. Jean-Pierre Vial. - Dans le domaine sidérurgique, les groupes ne sont ni nationaux, ni européens : ils sont mondiaux. Dans l'écosystème économique, il y a à la fois l'industrie et la recherche. Un groupe bien connu qui a quitté depuis longtemps la France et l'Europe, y arrêtant tous ses sites de production, a maintenu son centre de recherche à Grenoble, tirant avantage d'un CIR extrêmement profitable, sans pour autant que les applications de ces recherches profitent à la France. Il n'y a plus d'équilibre.
M. François Marzorati. - Si j'avais pu être accompagné d'experts, cela aurait été utile. La mission était ainsi construite : le Premier ministre m'apportait les éléments dont j'avais besoin, mais je n'avais pas beaucoup d'autres moyens. Les différents rapports d'experts et le rapport de l'Assemblée nationale avaient exploré plusieurs pistes, ils n'avaient d'ailleurs par fermé la porte à la possibilité d'une nationalisation. Dans la lutte contre le dumping chinois, qui était une véritable menace, le député européen Édouard Martin a mené une campagne d'information essentielle sur la filière sidérurgique.
Dans le cadre des réflexions sur l'organisation globale, des questions devront être posées sur l'avenir de certains sites, comme celui de Saint-Chély-d'Apcher, qui connaît des difficultés de desserte ferroviaire. ArcelorMittal est la plus importante entreprise sidérurgique au niveau mondial ; en tant qu'entreprise, elle cherche la rentabilité de la production, elle ne peut se permettre d'être philanthrope. Jusqu'ici, en respectant ses engagements, elle a montré sa volonté d'ancrage dans notre pays. Mais anticiper les choix futurs est compliqué.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Avez-vous senti une volonté d'inscrire cet ancrage dans la durée ?
M. François Marzorati. - Ils ont beaucoup investi en France. S'agissant de l'économie circulaire, c'est, aux termes d'un récent communiqué de presse, déjà « une réalité dans [leurs] usines ». Un sous-produit d'ArcelorMittal - le laitier- devient du ciment vert, les déchets de bois chauffent les bureaux, le CO2 est traité par microalgues pour produire du biocarburant... Cela est vrai pour les différents sites, et ce sont d'ailleurs les syndicats qui, lors de mes déplacements, m'ont sensibilisé à ces démarches. Il y a donc des avancées considérables en termes d'économie circulaire.
Par ailleurs, le « retour sur investissement » en matière de recherche n'est pas garanti...
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Mes interlocuteurs à Bruxelles étaient frileux sur le sujet. Ils s'interrogeaient à la fois sur la nécessité et le risque de financer ces recherches : l'envie de les accompagner est bien présente, mais l'enjeu financier est considérable.
M. François Marzorati. - Il faut absolument qu'ils investissent.
Par exemple, l'usine de Basse-Indre, dans la Loire, fait face à des problèmes de rejet de chrome. Or aujourd'hui, dès qu'un site crée une pollution au niveau local, c'est toute la France qui est informée. Les directions régionales de l'eau, de l'aménagement et du logement, les DREAL, sont très performantes, et sensibilisent les préfets aux procédures à suivre dans de tels cas. Ceux-ci peuvent alors négocier des délais, des investissements, pour résoudre les problèmes. Souvent, les directeurs des sites concernés sont de bonne volonté ; on pourrait souhaiter qu'ils aient davantage de moyens.
La recherche fondamentale est essentielle. Peut-être verra-t-on un jour des hauts-fourneaux fonctionner sans charbon ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Nous avons entendu l'association World Steel, ils nous ont dit qu'on s'orientait vers une spécialisation géographique des sites à l'échelle mondiale : des hauts-fourneaux dans certaines parties du monde - les pays en développement, comme l'Inde -, plutôt du recyclage dans d'autres. La Chine, elle, continuera à construire des hauts-fourneaux émettant moins de CO2 et, parallèlement, à transformer ses centrales électriques fonctionnant au charbon pour aller vers beaucoup plus d'électro-intensif. Un élément du discours de World Steel ne m'a pas du tout rassurée : en Chine, les hauts-fourneaux européens sont montrés en exemple... de la taille qu'il ne faut plus construire ! Nos vieux hauts-fourneaux, avec de petites cuves, ne seraient plus adaptés. En revanche, le recyclage de l'acier se ferait plutôt en Europe et aux États-Unis.
M. François Marzorati. - Ce sont des sujets que je n'ai malheureusement pas pu aborder. Grâce à ma mission, j'ai eu la chance de pouvoir me rendre sur l'ensemble des sites français d'ArcelorMittal, sans rester cantonné en Lorraine. Ce n'était pas forcément évident, et ma grande expérience préfectorale m'a permis de ne pas heurter les représentants de l'État au niveau local, qui disposent d'une compétence juridique pleine et entière sur les sites de leur territoire. Tous ont parfaitement joué le jeu de la transparence et respecté ma mission, et je les en remercie.
M. Franck Menonville, président. - Je vous remercie, monsieur Marzorati.
La réunion est close à 16 h 15.