- Mercredi 27 mars 2019
- Nomination de rapporteurs
- Proposition de loi tendant à sécuriser l'actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d'économie mixte - Examen du rapport et du texte de la commission
- Projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace - Examen du rapport et du texte de la commission
- Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de la fédération CFE-CGC, organisation professionnelle de la police nationale
- Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de la FSMI-FO
- Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de l'UNSA
- Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie
- Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de GENDXXI, association professionnelle des militaires de la gendarmerie
- Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de la CFDT
- Jeudi 28 mars 2019
- Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de M. Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale
- Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale
Mercredi 27 mars 2019
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 9 h 30.
Nomination de rapporteurs
La commission désigne Mme Marie Mercier rapporteur sur la proposition de loi n° 384 (2018-2019), présentée par M. Jérôme Durain, Mme Nicole Bonnefoy, MM. Marc Daunis, Patrick Kanner et plusieurs de leurs collègues, portant reconnaissance du crime d'écocide.
La commission désigne M. Arnaud de Belenet rapporteur sur la proposition de loi n° 385 (2018-2019) et sur la proposition de loi organique n° 386 (2018-2019), présentées par M. Alain Richard, visant à clarifier diverses dispositions du droit électoral.
La commission désigne M. Philippe Bonnecarrère rapporteur sur la proposition de résolution n° 387 (2018-2019), présentée par MM. Franck Montaugé, Jean-Pierre Sueur, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Marc Daunis, Patrick Kanner et plusieurs de leurs collègues, tendant à modifier le règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôler l'application et d'évaluer les lois.
Proposition de loi tendant à sécuriser l'actionnariat des sociétés publiques locales et des sociétés d'économie mixte - Examen du rapport et du texte de la commission
M. Loïc Hervé, rapporteur. - Nous connaissons tous parfaitement la place prépondérante des entreprises publiques locales, dites EPL, et de l'économie mixte dans nos territoires. Ces sociétés de droit privé dont le capital est totalement ou partiellement public permettent de faire converger les moyens et les énergies pour conduire nombre de projets, concernant aussi bien l'aménagement, l'immobilier que les services publics locaux.
La Caisse des dépôts et consignations nous l'a confirmé lors de son audition, les sociétés publiques locales (SPL), les sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA) et les sociétés d'économie mixte locales (SEML) sont des éléments clés du dynamisme de nos territoires.
Leur succès rend aujourd'hui les EPL incontournables. Il en existe 1 300 en activité, dont plus de 900 SEML, et plus de 350 SPL et SPLA. Ensemble, elles représentent plus de 65 000 emplois, près de 14 milliards d'euros de chiffre d'affaires et fournissent un logement à 1,4 million de personnes en France.
Ces sociétés courent aujourd'hui un grave danger. Par une décision du 14 novembre dernier, le Conseil d'État a imposé que chaque collectivité actionnaire détienne désormais l'ensemble des compétences sur lesquelles porte l'objet social de la société.
D'un trait de plume, le juge a plongé dans l'incertitude la très grande majorité des EPL existantes et bloqué la plupart des projets de création. Cette jurisprudence ne s'appliquait qu'aux SPL, mais on peut penser que les SPLA et les SEML seront également concernées puisqu'elles sont soumises à des dispositions similaires. Or la majorité de ces sociétés sont capitalisées par des collectivités ou des groupements de collectivités ne détenant pas l'ensemble des compétences sur lesquelles porte leur objet.
En l'état, cette jurisprudence sonne donc le glas des EPL « multicouches » et de la coopération inter-collectivités.
Plus grave, une SPL ne peut exercer son activité que pour le compte des collectivités ou des groupements qui en sont actionnaires. Réduire le nombre de collectivités autorisées à participer au capital limite donc le nombre de « clients » de la SPL et porte une atteinte, parfois insurmontable, à sa viabilité économique.
Les territoires attendent une réponse rapide et efficace du législateur pour contrer cette jurisprudence. Je suis sûr que vous avez quasiment tous reçu des demandes en ce sens.
C'est précisément l'objet de la proposition de loi déposée par Hervé Marseille et soutenue par pratiquement tous les groupes de notre assemblée. Ce texte tend à préciser que la possibilité d'être actionnaire d'une SPL ou d'une SEML est ouverte à toute collectivité ou groupement ayant compétence pour, au moins, une activité comprise dans l'objet de cette société. Je remercie son auteur d'avoir avancé cette mesure, que je soutiens totalement.
Les amendements déposés par mes soins, avec l'accord d'Hervé Marseille, sont essentiellement techniques. Ils visent à clarifier les dispositions de la proposition de loi et à en étendre le champ.
Ainsi, pour plus de clarté, j'ai souhaité que seules des dispositions strictement nécessaires à la mise en échec de la jurisprudence du Conseil d'État soient introduites, afin de ne pas bouleverser inutilement le droit applicable.
J'ai également souhaité que la formulation retenue lève toute ambiguïté sur le rôle des entreprises publiques locales, qui sont des prestataires, et non des EPCI. Sociétés commerciales strictement tenues par leur objet social, les EPL n'exercent aucune compétence en lieu et place des collectivités actionnaires ; elles fournissent des prestations, pour leur compte et sous leur contrôle, afin que celles-ci exercent leurs compétences.
S'agissant de l'extension du champ de la proposition de loi, j'ai déposé un amendement pour que celle-ci s'applique aussi aux SPLA et aux SPLA d'intérêt national, afin de protéger ces dernières contre les effets de cette jurisprudence, mais aussi de garder l'homogénéité du droit applicable aux différentes EPL.
Un autre de mes amendements tend à valider l'actionnariat des EPL existantes qui ne respectent pas le nouveau critère fixé par le Conseil d'État.
Enfin, je vous informe qu'un amendement sera déposé, au stade de l'examen en séance, pour prévoir les modalités d'application outre-mer de cette proposition. Le sujet est complexe et il nous faut encore y réfléchir.
M. Philippe Bas, président. - Chacun d'entre nous a pu expérimenter les difficultés engendrées par le caractère trop rigide de la législation sur les sociétés publiques locales et les sociétés d'économie mixte locales. J'imagine donc que cet assouplissement sera bien accueilli au sein de la commission.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je partage totalement les mesures avancées dans cette proposition de loi et l'objectif que l'on cherche à atteindre. Mais où est le problème ? On nous explique que l'un des considérants de la jurisprudence du Conseil d'État exclut la participation d'une collectivité ou d'un groupement n'exerçant pas l'ensemble des compétences : le Conseil d'État a donné raison à la collectivité, et non au préfet ! Je reste donc sur ma faim, mais, après tout, tant mieux si la proposition de loi permet de régler un faux problème !
M. Loïc Hervé, rapporteur. - Dans tout le pays, les préfets envoient des courriers aux EPL en cours de création ou s'intéressent à celles qui sont déjà créées. Plus qu'un émoi, c'est une difficulté qui se pose partout !
M. Pierre-Yves Collombat. - Mais le Conseil d'État a donné raison à la collectivité...
M. Loïc Hervé, rapporteur. - Il a aussi posé un considérant de principe, qui est problématique.
M. Alain Richard. - Le Conseil d'État fixe une règle et considère qu'elle ne s'applique pas en l'espèce.
M. Pierre-Yves Collombat. - Du coup, on n'y comprend rien du tout !
M. Loïc Hervé, rapporteur. Avant de passer à l'examen des amendements, je souhaite formuler deux remarques.
Conformément aux souhaits du président du Sénat, je vous précise que tous les amendements de séance ne portant pas sur le régime juridique des EPL seront susceptibles d'être déclarés irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution.
Par ailleurs, les dispositions de la présente proposition de loi sont attendues de toute urgence dans les territoires. Afin de favoriser une adoption rapide, Hervé Marseille et moi-même tenons à ce que tout amendement éloigné de son objet initial soit écarté. Trop élargir le champ du texte aurait pour conséquence de rompre le consensus qui l'entoure et prolongerait d'autant la navette parlementaire. Nous ne pouvons pas nous le permettre !
M. Loïc Hervé, rapporteur. - Mon amendement COM-6 tend à clarifier la rédaction de l'article 1er et limiter au minimum les modifications apportées au code général des collectivités territoriales.
L'amendement COM-6 est adopté.
M. Loïc Hervé, rapporteur. - L'amendement du Gouvernement COM-4 devient, de ce fait, sans objet. Je précise toutefois que je n'étais pas favorable à cette rédaction. En l'absence d'une signification claire des termes « part significative », celle-ci était susceptible de nous exposer à plusieurs années d'élaboration de jurisprudence et d'insécurité juridique.
M. Jacques Bigot. - Le dépôt de cet amendement confirme la nécessité de la proposition de loi. Derrière les recours et interrogations des préfets, se trouve la volonté de l'administration centrale de freiner le développement des SPL, qui sont des sociétés « in-house », permettant d'éviter la complexité des sociétés d'économie mixte et la mise en concurrence.
M. Loïc Hervé, rapporteur. - Je partage cette analyse. Les services de la Direction générale des collectivités locales affichent une forme de défiance à l'égard de l'économie mixte. C'est regrettable car les outils proposés dans ce cadre sont très opérationnels et adaptés aux réalités de terrain. Effectivement, cela justifie encore plus le dépôt de ce texte, venant, a contrario, confirmer l'intérêt du législateur pour cette économie mixte et pour les SPL.
Mme Brigitte Lherbier. - Je rejoins le rapporteur : pourquoi enrayer un processus qui fonctionne ?
L'amendement COM-4 devient sans objet.
M. Loïc Hervé. - Mon amendement COM-7 vise à appliquer aux SEML les efforts de clarté et de concision que nous avons voulus pour les SPL.
L'amendement COM-7 est adopté.
Les amendements COM-3, COM-5 et COM-2 rectifié quater deviennent sans objet.
Articles additionnels après l'article 2
M. Loïc Hervé, rapporteur. - L'amendement COM-1 tend à prévoir l'assouplissement du régime de cession de parts de SEML par les départements. Comme je l'ai indiqué, je ne souhaite pas étendre le champ de la proposition de loi au-delà de son objet premier. L'avis est défavorable.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
M. Loïc Hervé, rapporteur. - Mon amendement COM-8 vise à étendre la clarification prévue aux articles 1 et 2 aux sociétés publiques locales d'aménagement et aux sociétés publiques locales d'aménagement d'intérêt national.
L'amendement COM-8 est adopté.
M. Loïc Hervé. - La sécurisation de l'actionnariat des EPL existantes constitue un impérieux motif d'intérêt général, justifiant l'application de la présente loi aux sociétés constituées antérieurement à sa publication. C'est l'objet de mon amendement COM-9.
L'amendement COM-9 est adopté.
Intitulé de la proposition de loi
M. Loïc Hervé, rapporteur. - En englobant désormais les sociétés publiques locales, les sociétés publiques locales d'aménagement et les sociétés d'économie mixte locales, la proposition de loi vise la très grande majorité des EPL. Mon amendement COM-10 tend à adapter son intitulé en conséquence.
L'amendement COM-10 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace - Examen du rapport et du texte de la commission
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Ce projet de loi est le fruit d'une intense négociation entre le Gouvernement, les élus des départements alsaciens et ceux de la région Grand Est. Il s'appuie sur l'accord, ciselé à la virgule près, signé à Matignon le 29 octobre dernier et tend à assouvir le « désir d'Alsace » particulièrement exacerbé par le redécoupage des nouvelles régions, qui a totalement dissout l'entité « Alsace » dans la région Grand Est, et ce contre l'avis du Sénat.
L'accord prévoit, au sein de la région Grand Est, le regroupement des deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin au sein d'une Collectivité européenne d'Alsace, dite CEA, qui se voit confier, en plus des compétences départementales, des prérogatives particulières et supplémentaires.
Cette nouvelle collectivité est donc bien un département - un département plus, mais pas plus que cela ! - dont le nom peut paraître nébuleux. Ce sujet reste toutefois anecdotique à mes yeux et l'appellation a été entérinée par le décret en Conseil d'État du 27 février dernier.
Comme tout compromis, ce texte suscite de vives insatisfactions, tant de la part de certains Alsaciens, qui souhaitent la sortie de la région Grand Est, voire la création d'une collectivité à statut particulier en vertu de l'article 72 de la Constitution, que de la part des autres élus de la région - quand ce n'est pas du reste du territoire - qui demandent à disposer des mêmes avantages que la CEA.
De plus, il ne résout en rien les difficultés engendrées par le redécoupage à la serpette des régions et la redéfinition des compétences régionales et départementales, issue de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite loi NOTRe.
Cependant, même insatisfaisant pour certains, ce projet de loi est attendu par de nombreux élus alsaciens car il donne du contenu à cette entité « Alsace » qu'ils appellent de leurs voeux les plus chers.
Par ailleurs, s'il concerne principalement les Alsaciens, ce texte ne peut être déconnecté de la nécessaire évolution des lois de décentralisation ni de l'introduction, dans la Constitution, du futur « droit à la différenciation » qui serait applicable à tous les départements français. La nouvelle CEA doit être considérée comme une expérimentation, dans la perspective de futures réformes en matière de décentralisation.
Je propose donc d'accepter le compromis négocié par les élus alsaciens avec le Gouvernement, que certains vont jusqu'à qualifier de « bretzel arrangé », à trois conditions : que l'on améliore, complète et précise le texte afin de garantir à la CEA qu'elle disposera des moyens juridiques, humains et, surtout, financiers nécessaires pour exercer ses nouvelles compétences ; que l'on expérimente en Alsace des dispositions ayant vocation à nourrir le débat général sur l'organisation territoriale de notre pays ; que l'on sécurise dans la loi certaines dispositions électorales.
Je ne reviendrai pas sur la chronologie du dossier. Elle a abouti, en un temps assez court, à l'accord de Matignon du 29 octobre 2018, suivi du décret du 27 février 2019 portant regroupement des départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, puis du dépôt de ce projet de loi, traitant des compétences nouvelles dévolues à la CEA. Quatre domaines sont concernés : la coopération transfrontalière, le bilinguisme, le tourisme et le transfert des routes nationales et autoroutes non concédées.
Le texte habilite en outre le Gouvernement à prendre par ordonnances des dispositions traitant les conséquences de la réunion de ces deux départements en un seul, ainsi que des dispositions relatives au domaine routier.
Je propose donc d'accepter le compromis négocié, sous réserve de certaines améliorations du texte.
S'agissant de la coopération transfrontalière, il est prévu que la CEA devienne le chef de file dans ce domaine, dans le respect du schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII). Elle élaborerait elle-même un schéma de coopération transfrontalière et, pour sa mise en oeuvre, pourrait se voir déléguer les compétences des autres collectivités.
Pour aller plus loin, il conviendra de faire en sorte que le schéma de coopération transfrontalière de l'eurométropole de Strasbourg soit compatible avec celui de la CEA, lui-même devant l'être avec celui de la région, et de permettre aux EPCI de déléguer tout ou partie de leurs compétences à la CEA, notamment pour qu'elle puisse porter les projets de mobilité.
S'agissant du bilinguisme, le développement des langues régionales et de l'apprentissage de l'allemand est essentiel pour l'attractivité du territoire alsacien. Plusieurs des engagements pris dans l'accord de Matignon se retrouvent dans le projet de loi. Toutefois, la plupart des dispositions concernant le bilinguisme étant d'ores et déjà mises en oeuvre dans le cadre d'une convention quadripartite existante, les mesures contenues dans le texte ont surtout une valeur programmatique.
Je propose également de les enrichir, en acceptant un amendement visant à inclure la formation, l'ouverture des classes bilingues et d'immersion dans les compétences de coordination de la CEA, ainsi qu'un amendement tendant à donner à la collectivité le rôle de chef de file en matière de promotion des langues régionales. Enfin, je vous soumettrai un amendement visant à consolider la compétence des collectivités territoriales pour créer des chaînes de télévision locales destinées à promouvoir les langues régionales.
S'agissant du tourisme, la CEA prendra sa place dans un agencement où les compétences, à l'exception de la gestion des offices de tourisme et des zones d'activités touristiques, sont partagées entre les différents niveaux de collectivités. Je vous proposerai d'enrichir l'article 2, en adoptant un amendement visant à donner compétence à la CEA pour promouvoir l'attractivité de son territoire, en lien avec l'Agence de développement d'Alsace (Adira), dans la droite ligne de la Déclaration commune de Matignon.
Les routes nationales et autoroutes non concédées, couvrant 300 kilomètres, doivent en outre être transférées à la CEA. L'attente est forte dans ce domaine, car les voiries alsaciennes sont saturées par des camions préférant fuir le territoire allemand, sur lequel ils doivent payer une taxe, pour emprunter le réseau français gratuit. Toutefois, un simple transfert de propriété, tel qu'envisagé dans le projet de loi du Gouvernement, ne suffit pas. Je propose que le président de la CEA exerce le pouvoir de police de la circulation sur les routes et autoroutes transférées, après avis du préfet coordonnateur des itinéraires routiers ; que les autoroutes départementales, sous réserve des dispositions qui leur sont propres, soient régies par les règles applicables à toutes les autres routes départementales ; que ces autoroutes puissent être déclassées par décision du conseil départemental, toujours après avis du préfet coordonnateur des itinéraires routiers, déclassement devant être obligatoirement prononcé avant tout transfert à l'eurométropole.
En matière de personnel, nous souhaitons affermir la clause de sauvegarde, en ramenant du 31 décembre 2019 au 31 décembre 2018 la date de référence pour déterminer le nombre minimal d'emplois transférés.
Enfin, s'agissant des moyens financiers, conformément à l'article 72-2 de la Constitution, le transfert de la propriété de la voirie nationale à la CEA doit s'accompagner de l'attribution de ressources équivalentes à celles que l'État consacrait auparavant à leur exploitation et à leur entretien. Il est indispensable de renforcer les garanties offertes à la nouvelle collectivité, au vu du précédent de 2004, quand la compensation financière du transfert des routes nationales aux départements n'avait pas été à la mesure du coût réel de leur entretien, ce qui a entraîné une dégradation de l'état de la voirie. Je proposerai de réintroduire, dans les bases de calcul, certaines dépenses faites par l'État au titre du contrat de plan État-région, notamment celles qui concernent les travaux d'entretien normal de la voirie. En outre, je présenterai un amendement visant à ce que le montant des dépenses d'investissement et de fonctionnement prises en compte ne puisse être inférieur au montant constaté en 2018.
J'émets en outre des réserves sur deux sujets concomitants, essentiels pour les Alsaciens.
La possibilité d'instaurer une nouvelle « écotaxe » est prévue en termes assez vagues dans l'habilitation prévue à l'article 10. Quelle serait la nature de ces « contributions spécifiques » sur les transporteurs routiers ? Qui serait compétent pour les lever ? Quel taux, quelle assiette, quelles exonérations ? Vu l'enjeu pour l'Alsace, je ne proposerai pas de supprimer cette habilitation, mais il faudra être extrêmement vigilant à ce sujet.
Une autre ordonnance est prévue pour assurer la continuité des engagements pris par l'État sur le dossier de l'A 355. À l'occasion de sa concession à une filiale de Vinci, l'État s'est engagé à assurer la déviation du trafic de poids lourds vers cette nouvelle autoroute. À défaut, 10 millions d'euros de concours publics seraient dus au concessionnaire. Nous devons veiller à ce que la CEA n'assume les engagements pris par l'État que si elle est effectivement en mesure de les exécuter.
Je l'ai dit, la création d'une nouvelle collectivité alsacienne doit être l'occasion d'y expérimenter de nouvelles dispositions ayant vocation à nourrir le débat général sur l'organisation territoriale du pays.
Alors que la loi NOTRe a réduit comme peau de chagrin les compétences économiques des départements au profit des régions, nous prévoyons de réintroduire dans le présent projet de loi une disposition adoptée en juin dernier par le Sénat dans le cadre d'une proposition de loi des présidents Philippe Bas et Bruno Retailleau et de notre collègue Mathieu Darnaud, visant à ce que le conseil régional puisse déléguer à la CEA, à titre expérimental et pendant cinq ans, l'octroi de tout ou partie des aides aux entreprises qui relèvent de sa compétence. Tout autre département pourrait s'associer à l'expérimentation.
Enfin, nous souhaitons ajuster certaines dispositions électorales et, surtout, réintroduire dans le corps du projet de loi celles qui ont été intégrées dans l'habilitation à légiférer par ordonnances. Cela concerne la fixation du nombre de cantons à 40, les modalités d'élection des conseillers régionaux et la répartition des conseillers départements et régionaux au sein des deux collèges appelés à élire les sénateurs du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
M. Philippe Bas, président. - Ce texte est, en réalité, très délicat. Notre rapporteur, au-delà du travail approfondi d'examen de ses dispositions, a également cherché à lui donner plus de substance et à apporter des réponses aux interrogations qu'il soulève en Alsace et dans la région Grand Est.
Le traitement que nous en ferons ne sera pas sans incidence sur la réflexion, que nous avons d'ores et déjà entamée, sur un acte III de la décentralisation. Il s'agit ici, non pas de créer le nouveau département d'Alsace, déjà institué par décret, ni de lui transférer des compétences régionales, mais, pour l'essentiel, de transférer des compétences de l'État à ce département. C'est le dispositif retenu par le Gouvernement. Notre rapporteur nous recommande d'aller plus loin, en renforcer les attributions de cette Collectivité européenne d'Alsace et en lui garantissant les moyens humains et financiers d'exercer les compétences que le projet de loi prévoit d'ores et déjà de lui conférer.
Le Sénat, dans son approche des questions territoriales, revendique habituellement la nécessité d'une différenciation. Une telle différenciation, me semble-t-il, ne soulèvera donc pas d'objection de principe. En revanche, la question est : doit-on légiférer pour si peu ?
Voilà comment je comprends la problématique et l'orientation retenue par notre rapporteur : celle-ci cherche à densifier le texte pour qu'il « en vaille la peine » et à éviter toute surprise financière.
M. André Reichardt. - Je remercie notre rapporteur. Bien que normande, et non alsacienne - nul n'est parfait -, Agnès Canayer a réalisé, avec beaucoup d'enthousiasme, un travail approfondi et de grande qualité. J'approuve totalement ses propositions d'amendement.
Pour autant, ce projet de loi est, à mes yeux, une mauvaise réponse à une bonne question !
Que veulent les Alsaciens ? Dans trois sondages successifs, réalisés sur deux ans par des instituts sérieux, 84 % d'entre eux ont déclaré vouloir retrouver une collectivité territoriale dont le périmètre serait alsacien et dont les compétences correspondraient à celles de leur ancienne région. Ils étaient 66 % à appeler de leurs voeux une sortie de la région Grand Est. Ils demandaient que soit attribuée à cette collectivité territoriale la compétence économique, à 89 %, et la compétence en matière de formation professionnelle, à 92 %.
Nous sommes donc très loin, ici, de la volonté des Alsaciens, qui n'ont souhaité ni la création de la CEA, ni même que figure dans son nom une référence européenne. Ce terme « européen » a été proposé par je ne sais qui dans le cadre d'un accord à Matignon, signé le 29 octobre 2018 entre le Gouvernement, le président du conseil régional, satisfait par cet accord car la région ne perd rien, et les présidents des conseils départementaux du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. Il est singulier que la déclaration de Matignon fasse état d'un accord local car les présidents des conseils départementaux signataires sont à l'origine d'amendements, présentés et cosignés par de nombreux sénateurs alsaciens, pour améliorer le présent projet de loi. Pourquoi n'ont-ils pas fait part de leurs demandes plus tôt, notamment en ce qui concerne les compensations financières de l'État ?
Le Conseil d'État a été très clair : dans son avis, il considère que l'expression « Collectivité européenne d'Alsace » n'est qu'une dénomination sans valeur juridique car la collectivité reste un département. Il proposait d'ailleurs de la débaptiser pour l'appeler département d'Alsace. Le Conseil d'État note aussi que le seul transfert de compétences opéré est celui des routes et des autoroutes non concédées. L'autre nouveauté est le chef de filat en matière de coopération internationale. C'est mince...Le reste est superfétatoire, existant déjà dans d'autres textes.
Si le texte reste en l'état, je ne le voterai pas. Je me sens lié par les demandes très claires des Alsaciens qui se sont exprimées dans les trois sondages que j'évoquais. Au minimum, il faudrait compléter ce texte pour prévoir des compétences nouvelles dans l'attente d'un acte III de la décentralisation. J'aurais d'ailleurs préféré que l'on travaille d'abord sur cet acte III pour répondre aux attentes, qui ne sont pas qu'alsaciennes, sur le périmètre des grandes régions, les compétences des collectivités et le renforcement de la proximité. La démarche est d'autant plus regrettable que je crains que nous nous divisions au lieu de nous rassembler, alors qu'au fond, nous voulons tous une véritable décentralisation qui renforcerait les compétences des collectivités territoriales.
Mon vote dépendra du sort réservé à mes amendements. Je remercie notre rapporteur qui semble prête à en reprendre certains. Malgré tout, le compte n'y est pas. Cette collectivité aura les compétences d'un département, même si elle pourra aussi exercer des compétences qui auront été reconnues d'intérêt général et qui répondront à des spécificités locales alsaciennes. Je proposerai de créer une collectivité à statut particulier, au sens de l'article 72 de la Constitution. Je souhaite donc que nous amendions ce projet de loi que nous n'avons pas voulu afin qu'il serve de modèle aux autres régions intéressées par une démarche analogue et qu'il soit pionnier dans la perspective de l'acte III de la décentralisation.
M. Pierre-Yves Collombat. - Je suis loin de partager l'enthousiasme de notre rapporteur. On connaît la rengaine : au nom du droit à la différence, on continue à démembrer la France, à transférer des compétences - les routes, les autoroutes, l'enseignement des langues étrangères - et même une part de fiscalité. En somme, soyez différents mais débrouillez-vous tous seuls ! Si cela préfigure l'acte III de la décentralisation, alors celui-ci n'a rien de réjouissant !
Le référendum sur la fusion des départements alsaciens n'a pu aboutir vu le manque d'enthousiasme qu'il a suscité. On a la fâcheuse manie en France de s'asseoir sur le résultat des référendums, mais ce n'est pas une bonne méthode... L'argument selon lequel la nouvelle collectivité serait enfin compétente en matière de coopération transfrontalière ne tient pas car le droit actuel permet déjà d'agir.
Si on veut aller plus loin en matière de décentralisation, alors modifions la loi NOTRe pour créer des régions qui aient du sens et correspondent à des territoires. On parviendrait alors à régler la question de la différenciation dans un cadre global, conformément à notre tradition administrative. À défaut, on ne fait que du rapiéçage ! Le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) ne votera pas ce texte.
Mme Brigitte Lherbier. - A-t-on besoin de créer une nouvelle collectivité pour développer l'apprentissage des langues étrangères ? Toutes les régions frontalières souhaitent faciliter le développement de l'apprentissage des langues, qu'il s'agisse du flamand, de l'allemand, de l'espagnol, etc.
Il me semble curieux qu'une collectivité se voie autorisée à collecter l'écotaxe alors que ce n'est pas possible dans le reste du pays. Vous avez évoqué la police des routes : s'agit-il uniquement de la gestion des routes ou bien cela inclut-il aussi la sécurité routière ?
M. François Grosdidier. - Ce texte ne satisfait personne. Il répond pour une partie du territoire à une demande qui est générale. Les grandes régions ont été imposées sans consulter les populations. Rien n'interdirait à une partie de région qui le souhaite de reprendre son autonomie sans provoquer de big bang territorial, de même que les communes qui ont fusionné peuvent se séparer. Cela devrait être le fonctionnement normal de l'organisation territoriale. Les grandes régions n'auront un sens que si elles obtiennent délégation des compétences non régaliennes de l'État, ce que l'État ne veut surtout pas.
M. André Reichardt. - Cela suppose de déléguer aussi des moyens !
M. François Grosdidier. - Le budget par habitant d'une région en France n'est que le dixième de ce qu'il est chez nos voisins européens. François Hollande voulait s'inspirer des modèles européens mais il a oublié de transférer les compétences et les moyens. Les régions sont trop grandes au vu de leurs compétences et chacun regrette le conseiller territorial !
L'Alsace parle plus fort que les autres régions et sait se faire entendre. En Moselle, on sait depuis 1918 que ses réclamations trouvent plus d'écho à la capitale que les pâles suppliques des Mosellans. Ce texte qui vise à régler le problème pour deux millions d'Alsaciens aggravera la situation du million de Mosellans. Je ne voterai ce projet de loi que s'il donne aux Mosellans, et plus largement à tous les Français, les mêmes droits qu'aux Alsaciens. Pourquoi un département aurait-il plus de compétences que les autres ? La Constitution ne permet de créer des collectivités à statut particulier qu'en présence d'éléments de différenciation démographiques ou géophysiques, comme c'est le cas à Paris ou à Lyon. S'il devient possible d'en créer sur la base de critères culturels, alors cela signifie qu'il n'y a plus d'égalité des droits dans la République.
Je comprends le président de la région qui refuse de se voir déposséder de compétences. Comment les Mosellans pourraient-ils admettre que l'économie mosellane soit gérée depuis Strasbourg alors que la région ne serait pas compétente pour l'Alsace ? Le problème des routes est criant. À cause des péages en Allemagne et en Suisse et de l'écotaxe en Alsace, le trafic se déportera vers l'axe mosellan. Il y aura un déport de l'A 35 sur l'A 31 qui est déjà saturée. Pour régler le cas alsacien, on crée donc des problèmes et des frustrations ailleurs !
Comme M. Reichardt, je regrette que ce texte ne s'inscrive pas dans un nouvel acte de décentralisation. Je souhaite que la prochaine réforme constitutionnelle permette aux territoires de s'organiser de manière souple, comme le permettait la réforme portant création du conseiller territorial qui autorisait les régions et les départements à se déléguer réciproquement des compétences.
M. Yves Détraigne. - Je suis aussi élu du Grand Est, mais, en tant que Marnais et Rémois, j'aurai une vision quelque peu différente. Je ne me considère pas comme un habitant du Grand Est. Alors que nous sommes situés à 40 minutes en train de Paris, aller à Strasbourg n'est pas naturel. Les habitants de Champagne-Ardenne n'ont pas de tropisme particulier pour l'Alsace - même si c'est une belle région -, et inversement. Nous nous demandons tous ce que nous faisons dans une même région. Pourquoi ne pas rendre à l'Alsace son statut de région ? Cela serait plus cohérent que le découpage qui nous a été imposé il y a quelques années. Ce projet de loi, qui reste au milieu du gué, n'est qu'un bricolage qui calmera le jeu pendant quelque temps mais donnera des idées à d'autres régions. On ouvre la boîte de Pandore.
M. Loïc Hervé. - Je salue le travail sur le fil du rasoir de notre rapporteur, qui a cherché à améliorer le texte tout en écoutant les uns et les autres. La fusion des deux conseils départementaux alsaciens servira de modèle pour d'autres territoires voulant se rapprocher, notamment les départements frontaliers où les problématiques liées à la frontière ou aux transports sont les mêmes. Élu de Haute-Savoie, je me suis prononcé en faveur du rapprochement des conseils départementaux de Savoie et de Haute-Savoie. Le processus n'est pas aussi avancé mais l'idée est sur la table depuis plusieurs années.
J'ai été particulièrement surpris lorsque j'ai constaté que l'organisation administrative de l'État ne serait pas modifiée : alors que les conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin fusionnent, les départements perdureront comme unité de base l'organisation déconcentrée de l'État. Tout cela devient illisible.
M. Alain Richard. - La même dissociation existe dans le Rhône !
M. Loïc Hervé. - La création des grandes régions s'est accompagnée de la mise en place d'un préfet de région unique. Or le président de la Collectivité européenne d'Alsace aura comme interlocuteurs deux préfets de département, deux directeurs départementaux des territoires, deux directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (DASEN), etc. Ce sera difficile... J'ai beaucoup de compassion pour notre rapporteur qui a fait tout ce qu'elle pouvait, car son travail relève de la gageure.
M. Philippe Bas, président. - Je ne suis pas certain que l'État ait fait le bon choix en ce qui concerne l'organisation de son action territoriale dans cette nouvelle collectivité. Il me semble toutefois que la création des préfectures relève du pouvoir réglementaire.
M. Alain Richard. - Tout d'abord, bienvenu dans le monde enchanté de la différenciation ! Ces problèmes vont se multiplier partout. Les plaintes identitaires risquent de devenir toxiques pour ce pays.
Le but d'une partie importante de l'opinion alsacienne et des élus, qui se sentent liés par un mandat impératif - ce qui ne laisse pas de poser quelques difficultés constitutionnelles... - est de défaire la grande région du Grand Est. Ce projet de loi, qui est le fruit d'un compromis avec certains élus locaux, est une réponse du Gouvernement pour tenter de dévier cette réclamation. Nous devrons tôt ou tard reprendre le débat. Faut-il redessiner la carte des régions ? Pourrons-nous faire mieux ? La priorité de l'action publique est-elle de démutualiser ? Je rappelle régulièrement, sans succès, au fil des textes, que le code général des collectivités territoriales (CGCT) contient un article général qui permet à toute collectivité de déléguer toute compétence de son choix à une autre collectivité par le biais d'une simple convention.
Ce qui est sous-jacent dans ce débat, c'est en réalité la volonté de revenir sur l'effort fait pour concentrer la compétence économique au niveau adéquat. Certains veulent la partager entre le département et la région.
Le département est la structure administrative de base de l'État depuis deux siècles. Ce n'est pas parce que deux conseils départementaux concluent un accord que l'État doit s'y conformer. Dans le Rhône, on a créé de fait deux départements à l'occasion de la création de la métropole de Lyon, mais on a conservé un seul préfet. D'ailleurs, pour supprimer un département en tant que circonscription de l'organisation administrative de l'État, il faut une loi. De même, j'ai une réserve sur les dispositifs électoraux préconisés par notre rapporteur car les circonscriptions électorales sont fondées sur les divisions de l'État non sur celles des collectivités territoriales : voyez le Rhône.
M. Philippe Bas, président. - À vous entendre, le législateur serait donc compétent pour modifier les circonscriptions départementales de l'administration de l'État, ce qui nous permettrait de résoudre le problème soulevé par M. Hervé...
M. Jean Louis Masson. - Je ne suis pas d'accord avec le rapport qui nous est présenté. Il esquive le vrai débat qui est de savoir si l'Alsace doit redevenir une région. Notre rapporteur a bricolé pour tenter de satisfaire tout le monde mais les problèmes demeurent. Je partage l'avis de MM. Reichardt et Collombat. On est en train de créer des usines à gaz dans notre organisation territoriale. On fait semblant d'ignorer les vrais problèmes qui sont la taille démesurée de la région Grand Est, véritable aberration administrative, et la volonté très forte des Alsaciens de retrouver leur identité. L'origine du problème est la loi qui a fusionné autoritairement les régions existantes sans demander l'avis des populations. Je ne comprends toujours pas comment on a pu réunir dans une même région l'Alsace et la Champagne : Troyes est à une heure de train de Paris, mais à plus de trois heures de Strasbourg, chef-lieu de la grande région. C'est une aberration ! Le Grand Est n'est rien d'autre qu'une vue de l'esprit. Cette région est deux fois plus grande que la Belgique, plus grande que les trois Länder allemands voisins réunis - le Bade-Wurtemberg, la Sarre et la Rhénanie-Palatinat. Je me suis battu contre cette loi. C'était une folie de la voter. Si l'idée est « plus c'est grand, mieux c'est », alors fusionnons toutes les régions ! La taille n'est pas source d'économies, il existe des tailles optimales pour chaque catégorie de collectivités. Certaines grandes régions sont de taille manifestement démesurée. L'Alsace a sa spécificité. Laissons-la redevenir une région ! Cela satisfera aussi les Champenois et les Lorrains qui ne s'identifient pas à cette région tentaculaire. Ayons le courage d'aborder les difficultés et cessons les bricolages. Le Sénat sortirait grandi en affirmant cette position. En tout cas, je ne voterai pas ce texte qui crée des départements à deux vitesses au sein de la région Grand Est et je ne comprends pas comment on peut présenter un rapport qui entérine une telle folie.
M. Alain Marc. - Il ne faut pas s'en prendre au rapport mais bien au projet de loi qui parvient à nous diviser. Pourtant cette loi n'est qu'une loi d'affichage. Le transfert des routes nationales ? Cela s'est déjà vu ailleurs ! Le transfert de la compétence linguistique ? Le département sera chef de file pour créer des sections bilingues mais cela implique des financements de l'État et le texte est muet à cet égard. Enfin, le texte prévoit la possibilité d'une délégation de la compétence économique : soit, mais encore faut-il que la grande région accepte de déléguer sa compétence ! Ce texte est donc purement cosmétique.
M. Alain Richard. - Mais la cosmétique est une spécialité de la France !
M. Alain Marc. - Je suivrai la position de notre rapporteur, tout en partageant l'avis de M. Reichardt : il est temps de s'engager dans un acte III de la décentralisation.
M. Mathieu Darnaud. - Je rends hommage à notre rapporteur qui a réalisé un travail de fond et s'est efforcée de tenir compte de tous les avis. Je ne suis pas d'accord avec M. Masson sur la taille des régions. Chacun fait les comparaisons qui l'arrangent. On pourrait ainsi comparer nos grandes régions à la Hesse ou à la Bavière, Länder qui fonctionnent très bien. L'essentiel est l'affectio societatis, l'adéquation avec des territoires de vie. Force est de constater que certaines régions sont mieux découpées que d'autres. Si à l'époque on avait réalisé de vraies études d'impact, les choix auraient sans doute été différents.
Nous arrivons au terme du Grand débat. Inévitablement, comme le Président de la République l'a reconnu, se posera la question d'un nouvel acte de décentralisation ou d'un réexamen de notre structure territoriale. Je regrette que l'on aborde chaque cas de manière isolée. Ce texte arrive donc un petit peu trop tôt. Il aurait été opportun d'attendre. Certains territoires aspirent à se transformer en collectivité à statut particulier. Comme M. Richard, je crois que l'essentiel est d'avancer avec méthode, en concertation avec les autres territoires et les départements concernés, autour d'un projet structuré. Dans l'immédiat, il sera difficile d'accorder les points de vue sur ce texte, mais j'espère que l'on parviendra à l'enrichir, dans le prolongement des équilibres trouvés par notre rapporteur.
Mme Laurence Harribey. - Vu notre débat, je me demande si, plutôt que de chercher à enrichir le texte, il n'aurait pas mieux valu le réduire à l'essentiel : reconnaître et tirer les conséquences de la fusion des départements. Selon l'article 34 de la Constitution, en effet, les dispositions relatives au régime électoral, au régime des associations locales, à l'administration des collectivités territoriales relèvent du domaine de la loi. Mais ce n'est pas la faute de notre rapporteur qui a été confrontée à un texte qui allait déjà très au-delà. Aujourd'hui 120 amendements sont déposés. Ce texte devient donc un prétexte pour régler certaines questions pendantes.
La question sous-jacente est celle du statut institutionnel de l'Alsace. Comme M. Richard, je crois que nous devons avancer avec prudence lorsque l'on parle de différenciation car ce mouvement peut aboutir à remettre en cause le sens même de l'action publique au niveau national.
Certains se plaignent que certaines régions sont trop grandes et ne collent pas aux bassins de vie. Mais la région n'a pas tant vocation à représenter un bassin de vie qu'à soutenir le développement économique. Je suis élue de Nouvelle-Aquitaine, une région aussi grande que l'Autriche. Cependant, nos ressources sont très inférieures à celles des Länder allemands et nous n'avons pas les moyens de notre développement régional. Il faut donc raisonner en termes de besoins, de sens de l'action publique, et voir si notre architecture administrative est adaptée. Nous avons déposé un amendement pour revenir à l'appellation « département d'Alsace ». Pour avancer, nous serions prêts à le rectifier pour reprendre l'appellation « département du Haut et du Bas-Rhin, Collectivité européenne d'Alsace », ce qui constitue une reconnaissance tout en restant fidèle au cadre légal.
Il convient aussi d'être prudent sur la compétence économique. La loi offre déjà des possibilités de délégation de compétence. De plus, attention à ne pas affaiblir la région. De même, il est déjà possible pour le département de créer une chaîne de télévision. Quant au tourisme, il s'agit d'une compétence partagée. Pourquoi, dès lors, figer dans la loi les modalités des relations entre collectivités ? C'est le sens de nos amendements. En matière de coopération transfrontalière, nous proposons un accord-cadre, cohérent avec le traité d'Aix-la-Chapelle, ce qui ouvre le champ des possibles pour d'autres territoires.
M. Jacques Bigot. - Notre rapporteur s'efforce de respecter un accord compliqué. Nous étions invités à Matignon le jour où cet accord a été négocié. Nous avons attendu deux heures avant que le Premier ministre, Mme Gourault, les ministres des transports et de l'éducation nationale, les présidents des conseils départementaux et le président du conseil régional sortent et viennent signer devant nous la déclaration commune. Cette déclaration est un compromis. Mais entre qui ? Permettez-moi de citer une chanson alsacienne, le Hans du Schnockeloch, qui dit : « Tout ce qu'il veut, il l'a, / Mais ce qu'il veut, il ne l'a pas, / Et ce qu'il a, il ne l' veut pas ! »
J'ai siégé avec André Reichardt dans l'ancien conseil régional : à l'époque coexistaient une agence de développement économique régionale, une agence de développement économique dans le Haut-Rhin et une autre dans le Bas-Rhin. Ce n'est qu'après la création de la région Grand Est que les départements se sont mis d'accord pour fusionner les leurs, mais le préfet s'y est opposé car les départements avaient, entre-temps, perdu la compétence économique ! En 2013, le président de la région Philippe Richert avait obtenu l'accord des trois collectivités concernées pour créer une collectivité à statut particulier fusionnant la région et les départements. Lors du référendum, le projet a été repoussé. Preuve que les sondages sont une chose, et qu'un référendum en est une autre !
J'en reviens à Hans im Schnokeloch : celui-ci, une fois la région Grand Est créée, dit qu'il regrette sa collectivité unique mais veut quand même garder les deux départements... D'où les discussions que nous avons eues avec la ministre ! En fait, on se borne à fusionner deux départements tout en faisant croire aux Alsaciens qu'ils ont obtenu une collectivité à statut particulier, ce qui n'est pas le cas ! Il n'est pas sain de rester dans l'ambiguïté. Soit on vise une collectivité à statut particulier, et il faut l'obtenir ; soit ce n'est pas le cas, et il faut le dire, ce qui revient à reconnaître que les deux départements ont fusionné. Je suis favorable à cette fusion, qui permettra de mieux travailler avec les intercommunalités - qui se sont regroupées pour créer un pôle métropolitain entre Strasbourg, Mulhouse, Colmar, Haguenau et Saint-Louis -, avec la région Grand Est et avec l'État. Cela permettra de mieux traiter les besoins de la vallée du Rhin.
L'État est-il prêt à transférer de nouvelles compétences ? À cet égard, ce texte n'apporte rien de nouveau, à part le transfert des routes. L'idée est de régler la question de l'écotaxe. Il y a vingt ans, un député alsacien avait déjà proposé un texte instaurant une écotaxe dans la vallée du Rhin. L'État s'y était opposé. Le projet de loi n'apporte aucune précision à ce sujet. Il faudra attendre une ordonnance et je crains que Bercy ne s'y oppose à nouveau.
Il faut donc que nous soyons parfaitement clairs sur ces questions. À Matignon, j'avais dit qu'il fallait faire vivre la déclaration commune qui avait été adoptée, mais il faut rester dans le cadre législatif existant.
Je constate surtout que l'État ne donne rien ! Par exemple sur le bilinguisme, je ne comprends pas très bien ce que le texte ajoute, puisqu'il existe déjà des conventions entre l'État, la région et les départements. Si l'on souhaite donner une compétence particulière à la nouvelle collectivité sur le développement du bilinguisme, nous pourrions ajouter dans le texte un élément sur le recrutement des enseignants. En Allemagne, ce sont les Länder qui recrutent les enseignants. La Collectivité européenne d'Alsace ne pourrait-elle pas négocier des échanges d'enseignants, puisque nous savons bien que l'État ne le fera pas ?
Lorsque nous avons auditionné les personnes qui travaillent sur les questions de coopération territoriale transfrontalière, nous avons identifié un véritable problème : le secteur sanitaire. Notre collègue Patricia Schillinger m'expliquait récemment que, si les habitants de sa ville veulent se rendre dans l'hôpital bâlois qui est à cinq minutes de chez eux, ils doivent d'abord obtenir un accord préalable, puis c'est la caisse primaire d'assurance maladie du Morbihan qui procèdera au remboursement : pour l'assurance maladie, aller en Suisse ou en Allemagne, c'est comme aller en Inde ou en Chine... Voilà la réalité ! Nos concitoyens attendent des réponses concrètes à ce type de problèmes. C'est pourquoi je propose que le schéma transfrontalier concerne aussi le secteur sanitaire.
Il ne faut pas être dans l'ambiguïté à l'égard des Alsaciens. Surtout, mes chers collègues, je voudrais vous dire que les Alsaciens sont très attachés à la France. Lors des cérémonies militaires qui ont lieu dans nos départements, les militaires sont toujours étonnés de la forte participation de la population. En fait, les Alsaciens veulent simplement que les choses fonctionnent, que l'économie tourne de manière efficace et que des solutions soient apportées à leurs problèmes. Ils ne sont pas intéressés par des mécanos institutionnels !
Les départements ont donné leur accord pour fusionner. Restons dans ce cadre minimaliste et ne faisons pas croire aux Alsaciens qu'on leur donne une collectivité à statut particulier ! D'ailleurs, si nous préparons un texte pour créer une collectivité à statut particulier, il n'ira pas plus loin que le Sénat... Je vous rappelle que les députés nous ont imposé la région Grand Est ; pour ma part, j'étais favorable à une région regroupant l'Alsace et la Lorraine, ce qui était le projet initial du gouvernement de l'époque.
M. Philippe Bonnecarrère. - Ce projet de loi a des mérites. Certes, il n'est pas très glorieux d'approuver un texte par défaut, mais nous serons certainement conduits à le faire, notamment en raison du « désir d'Alsace » qui a été mentionné par mes collègues. Les Alsaciens auront sûrement intérêt à acter cette avancée, en attendant mieux. En tout cas, ce texte permet de surmonter le problème soulevé par l'échec de la réforme de 2013 et de prendre acte de la fusion des départements. Il me semble donc qu'il présente plus d'avantages que d'inconvénients.
Par ailleurs, ce projet de loi présente l'intérêt de démontrer qu'il est possible d'adopter une forme de différenciation, sans modifier la Constitution. J'ai évoqué cette question lors d'un colloque récent qui s'est tenu à l'Assemblée nationale, où les présidents des deux départements m'ont confirmé n'avoir jamais rencontré aucune difficulté d'ordre constitutionnel pour faire aboutir leur projet. Sur le plan de la gouvernance, néanmoins, il ne serait pas possible, à droit constitutionnel constant, de confier la compétence de la formation et de l'apprentissage à la nouvelle collectivité, car cela créerait un problème d'égalité entre les régions. De même en ce qui concerne le fond du droit : les auditions organisées sous votre égide, monsieur le président, sur les suites de la décision Somodia du Conseil constitutionnel de 2011 ont montré que l'on se heurtait rapidement à un obstacle constitutionnel.
Plusieurs collègues ont estimé que ce texte revenait en fait à esquiver la question de la carte régionale. Mais si cette question est ouverte pour le Grand Est, il faut être conscient qu'elle le sera aussi pour nombre d'autres régions. Je pense évidemment au Sud-Ouest et aux régions Nouvelle-Aquitaine et Occitanie. Comparaison n'est pas raison, les systèmes allemand et français sont très différents.
Enfin, il me paraît très curieux que la « bonne échelle », notion fréquemment évoquée, soit si différente selon qu'il s'agit des collectivités territoriales ou des circonscriptions administratives de l'État !
M. Philippe Bas, président. - Je veux rappeler l'ambition modeste de ce texte. Certes, il nous renvoie à beaucoup de questions que nous nous posons sur la pertinence du découpage régional, mais son contour est finalement limité. Je le redis : le nouveau département qui résulte de la fusion du Bas-Rhin et du Haut-Rhin se situe dans la région Grand Est, les compétences respectives de la région et du département ne sont pas modifiées, même si notre rapporteur nous proposera des évolutions à la marge, et l'État ne transfère des compétences que de manière cosmétique...
Très sagement, notre rapporteur nous propose d'accepter ce texte, en l'améliorant, mais sans remettre en cause l'accord conclu à Matignon et sans faire exploser les structures territoriales. Si nous sortons de ce cadre, chacun en voit tout de suite les implications ; il suffit pour cela de vous écouter, mes chers collègues. Soyons bien conscients que nous serons profondément divisés, si nous remettons en cause la carte régionale, quand bien même il est clair que certaines nouvelles régions posent un certain nombre de difficultés.
Notre tradition politique et administrative n'est pas la même que celle de l'Allemagne. En France, il peut paraître logique à certains que la délimitation des collectivités soit fixée dans le bureau du Président de la République... Peut-être est-ce l'héritage de Napoléon ? Je n'imagine pas que quelqu'un puisse dire un jour que la Bavière est trop grande et qu'il faut la découper ou que la Sarre est trop petite et qu'il faut la fusionner avec la Rhénanie-Palatinat !
Notre débat est très édifiant et nous voyons bien que nous ne pouvons nous réunir que sur le plus petit commun dénominateur. Or si nous ne trouvons pas de position commune, nous serons évincés de ce sujet, alors même que le Sénat représente les collectivités territoriales de la République. Nous pouvons peut-être densifier, dans certaines limites, les compétences du nouveau département, mais à trop vouloir en faire, nous déboucherions sur un échec, le dernier mot revenant à l'Assemblée nationale.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Il faut replacer ce texte à sa juste place : il porte essentiellement sur les compétences de la nouvelle collectivité, appelée Collectivité européenne d'Alsace. Conformément à la Constitution, le Sénat est saisi en premier lieu de ce texte et il me semble que nous devons trouver un équilibre qui ne bouleverse pas les choses, tout en densifiant certains éléments.
Madame Lherbier, les amendements que je propose sur la coopération transfrontalière sont larges et permettent à d'autres collectivités de s'approprier ces sujets. Quant au pouvoir de police de la circulation, que je propose de transférer au président de la Collectivité européenne d'Alsace, il s'étend bien aux mesures propres à garantir la sécurité des usagers.
Monsieur Hervé, la délimitation des académies relève de l'organisation interne de l'État, donc du pouvoir réglementaire, et pas du pouvoir législatif.
Monsieur Richard, la délégation de compétences d'une collectivité à une autre est autorisée en principe, mais il existe des exceptions, parmi lesquelles l'octroi des aides aux entreprises.
Je rappelle enfin que le terme de Collectivité européenne d'Alsace est un nom propre. Il n'y a pas de contestation sur le fait qu'il s'agit bien, juridiquement, d'un département.
Mme Laurence Harribey. - Une sorte d'IGP, une indication géographique protégée !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les collectivités territoriales peuvent déjà créer des chaînes de télévision pour diffuser des informations sur la vie locale, mais il n'est pas expressément prévu qu'elles puissent le faire pour promouvoir les langues régionales. C'est ce que je proposerai d'ajouter.
L'accord signé à Aix-la-Chapelle n'a pas encore été ratifié.
Par ailleurs, le texte contient déjà de nombreux éléments sur le bilinguisme et beaucoup de choses se font en pratique, notamment pour le recrutement d'enseignants allemands. Pour le reste, l'éducation nationale demeure une compétence de l'État.
M. Philippe Bas, président. - Avant de passer à la discussion des amendements, je voudrais faire un point sur les irrecevabilités.
En ce qui concerne l'article 40, j'ai consulté le président de la commission des finances sur chacun des amendements litigieux et j'ai été conduit à déclarer irrecevables les amendements, quels que soient leurs mérites, ayant pour objet d'attribuer à la Collectivité européenne d'Alsace des compétences non prévues par le projet de loi, dès lors qu'elles auraient un coût pour la nouvelle collectivité, ainsi que les amendements tendant à transférer la voirie nationale à d'autres départements que la Collectivité européenne d'Alsace.
Ont en conséquence été déclarés irrecevables les amendements COM-75, COM-1, COM-103, COM-104, COM-58, COM-88, COM-51, COM-89, COM-56, COM-16, COM-17, COM-61 rect et COM-62 rect.
En revanche, et quoi qu'il faille en penser sur le fond, j'ai considéré que les amendements ayant pour objet d'attribuer à d'autres départements le même rôle de chef de file ou de coordinateur qu'à la Collectivité européenne d'Alsace dans certains domaines étaient recevables, car de telles missions peuvent être exercées sans frais supplémentaires - on dit que ces missions sont absorbables dans les charges de gestion.
De son côté, Mme le rapporteur va mettre en oeuvre une recommandation de la Conférence des présidents, visant à éclairer nos collègues membres d'autres commissions sur le champ d'application de l'article 45 de la Constitution.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - En ce qui concerne l'application de l'article 45 de la Constitution, qui dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », il me semble que nous pouvons considérer comme recevable tout amendement relatif aux conséquences de la création ou aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace, ainsi que tout amendement prévoyant d'attribuer à d'autres collectivités de la même catégorie juridique les compétences prévues pour cette collectivité.
En revanche, les amendements n'entrant pas dans ce champ pourraient être considérés comme des « cavaliers ». Il en va ainsi, par exemple, des amendements relatifs au droit alsacien-mosellan, dès lors que les dispositions concernées n'ont aucun rapport avec les compétences des collectivités territoriales.
M. Philippe Bas, président. - Mes chers collègues, ces précisions constituent une sorte de guide, mais la recevabilité de chaque amendement sera naturellement examinée au cas par cas.
EXAMEN DES ARTICLES
Articles additionnels avant l'article 1er
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les amendements COM-3, COM-5, COM-4 et COM-50 visent à reconstituer les anciennes régions. L'avis est défavorable.
Les amendements COM-3, COM-5, COM-4 et COM-50 ne sont pas adoptés.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-6 vise à supprimer l'article 1er. Avis défavorable.
L'amendement COM-6 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les amendements COM-7, COM-39 et COM-66 entendent remplacer l'appellation Collectivité européenne d'Alsace par celle de département d'Alsace. Le nom inscrit dans le projet de loi est le résultat des négociations qui ont eu lieu et il est clair que la nouvelle collectivité appartient à la catégorie juridique des départements. Dans ces conditions, mon avis est défavorable.
M. Philippe Bas, président. - Votre avis défavorable ne signifie donc pas que la collectivité n'est pas un département.
M. Jacques Bigot. - Moi qui ai beaucoup travaillé sur le droit de la consommation, je ne voudrais pas qu'on induise en erreur les Alsaciens par une publicité mensongère ! Leur laisser croire que cette collectivité a un statut particulier est une forme de tromperie. Le Conseil d'État a soulevé ce point dans son avis. Nous sommes à un moment où nos concitoyens demandent de la transparence et de la clarté et il ne serait pas sain de faire preuve de duplicité !
M. Philippe Bas, président. - Personne ne veut tromper les Alsaciens ! Nous disons clairement que la nouvelle collectivité a un nom - Collectivité européenne d'Alsace - et qu'elle appartient à la catégorie des départements. Il ne doit pas y avoir de confusion sur ce point.
M. André Reichardt. - Je m'associe aux remarques formulées par Jacques Bigot. L'Alsace est-elle de retour ? Non ! Ce n'est pas du tout le cas. Et lorsque les Alsaciens se réveilleront, ils verront qu'ils ont non seulement perdu la région Alsace, mais également les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. Qu'on le veuille ou non, il y aura bien une fusion des deux préfectures - la seule qui restera sera à Strasbourg.
J'ai la « double culture » alsacienne, à la fois bas-rhinoise et haut-rhinoise, et je peux vous dire qu'en procédant comme nous le faisons jusque-là nous faisons le lit des extrêmes pour les élections régionales du Grand Est de mars 2021. Qui a sauvé le Grand Est du Front national lors des dernières élections régionales ? Ce sont les Bas-Rhinois. Au deuxième tour de ces élections, trois départements du Grand Est, qui n'étaient pas les départements alsaciens, ont porté le Front national en tête. Souvenons-nous-en, parce que nous allons provoquer une collusion entre le Front national et les mouvements identitaires. À cause de cela, les partis républicains perdront la région en mars 2021 !
M. Pierre-Yves Collombat. - Bravo !
M. Loïc Hervé. - Je m'interroge surtout sur l'adjectif « européen ». Que signifie-t-il dans ce contexte ? Ne pose-t-il pas un problème constitutionnel ? Surtout, signifie-t-il que les autres collectivités territoriales françaises seraient moins européennes que l'Alsace ? Naturellement, plusieurs institutions - Parlement européen, Cour européenne des droits de l'homme - ont leur siège à Strasbourg, mais quel est le lien entre ces institutions et la nouvelle collectivité ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - « Collectivité européenne d'Alsace » est un nom propre et je peux vous assurer qu'il ne cache rien ! Il s'agit bien d'un département. Ensuite, je vous rappelle que les métropoles de droit commun des agglomérations de Strasbourg et de Lille sont déjà dénommées par la loi « eurométropole de Strasbourg » et « métropole européenne de Lille », sans que l'utilisation de ce terme n'entraîne une compétence particulière. De la même manière, la métropole du Havre s'appelle Le Havre Seine, c'est uniquement une question de proximité avec ce fleuve.
M. Pierre-Yves Collombat. - Monsieur le président, je m'abstiendrai sur ces amendements, car j'estime que le coeur du sujet n'est pas là !
Les amendements COM-7 et COM-39 ne sont pas adoptés.
L'amendement COM-66 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les amendements COM-76 et COM-77 visent à créer une collectivité à statut particulier. En raison des éléments que j'ai déjà évoqués et du vote qui vient d'intervenir, il me semble cohérent de les rejeter. L'avis est donc défavorable.
M. André Reichardt. - Il s'agit de deux amendements différents.
L'amendement COM-76 permet à la collectivité à statut particulier qui serait créée d'exercer les compétences de la région. Il s'agit donc de préfigurer une nouvelle collectivité, tout en renvoyant les conditions de sa mise en oeuvre à une loi ultérieure.
L'amendement COM-77 vise uniquement à créer une collectivité à statut particulier, sans lui donner les compétences de la région et sans préjuger des décisions qui seront prises à l'avenir concernant ses compétences.
Les amendements COM-76 et COM-77 ne sont pas adoptés.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-80 a pour objet d'organiser les modalités selon lesquelles la Collectivité européenne d'Alsace - le département d'Alsace, devrais-je dire à la suite du vote qui vient d'avoir lieu - pourrait présenter des propositions visant à modifier ou à adapter des dispositions législatives ou réglementaires. Il prévoit en outre que le nouveau département d'Alsace serait consulté sur les projets ou propositions de loi ou règlements qui comporteraient des dispositions qui lui sont spécifiques.
Or toute collectivité territoriale dispose déjà de différents moyens pour interpeller le Gouvernement ou le Parlement. C'est pourquoi l'avis est défavorable.
L'amendement COM-80 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-105 que je vous propose vise à rendre le schéma de coopération transfrontalière de l'eurométropole de Strasbourg compatible avec le schéma alsacien de coopération transfrontalière.
M. Jacques Bigot. - Nous devons maintenir le système institutionnel actuel. La loi MAPTAM prévoit que les métropoles concernées doivent adopter un schéma de coopération transfrontalière. Strasbourg est en train de le réaliser et, même si l'idée de compatibilité avec le schéma alsacien de coopération transfrontalière paraît logique, il y a un problème de temporalité : lorsque le nouveau département d'Alsace sera créé en 2021, le schéma de l'eurométropole aura été approuvé. Cet amendement ne me convient pas, d'autant que, avant d'être adopté, le schéma de l'Eurométropole devra de toute façon être soumis pour avis au département actuel. En ce qui me concerne, j'ai proposé dans un autre amendement que le schéma alsacien soit compatible avec le schéma de l'eurométropole qui aura été adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Il me semble que l'amendement COM-105 est plus cohérent, justement... Je ne pense pas que cette articulation posera des problèmes d'application, d'autant plus que les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin sont déjà en train de préfigurer le futur schéma alsacien.
M. Alain Richard. - Je ne comprends pas le besoin de poser une telle règle de compatibilité : les compétences des différentes collectivités ne se recoupant pas, les schémas de coopération transfrontalière portent sur des thèmes différents. Je note d'ailleurs que le spectacle sera assez divertissant pour nos partenaires allemands, qui verront arriver les propositions de coopération à foison... Plus sérieusement, tout cela est plutôt une affaire de contrôle de légalité.
M. Philippe Bas, président. - C'est précisément en raison de ce potentiel spectacle que nous devons rechercher la mise en cohérence...
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Je rappelle que le projet de loi attribue justement le rôle de chef de file en matière de coopération transfrontalière au département d'Alsace. Il aura donc un rôle de coordination dans la mise en place des actions de coopération et son schéma couvrira un champ plus large que celui des seules compétences départementales.
L'amendement COM-105 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-81 prévoit que des actions de coopération en matière scolaire sont intégrées au schéma alsacien de coopération transfrontalière. Entrer dans une logique d'énumération des différents volets de ce schéma ne peut, à mon sens, qu'en limiter le spectre. Je crois au contraire que nous devons laisser aux élus locaux la liberté des coopérations qui entreront dans le champ du schéma. L'avis est donc défavorable.
M. Philippe Bas, président. - Madame la rapporteur, vous êtes donc favorable sur le fond, c'est-à-dire à la possibilité pour le département d'Alsace d'inclure des actions de coopération en matière scolaire dans son schéma, mais vous ne souhaitez pas que nous énumérions les secteurs concernés pour éviter des a contrario qui seraient fâcheux. Est-ce bien cela ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Absolument, monsieur le président !
M. André Reichardt. - Dans ce cas, je ne comprends pas pourquoi cet alinéa de l'article 1er mentionne un volet relatif aux déplacements transfrontaliers. Si le texte parle de ce sujet, pourquoi ne pas citer aussi le secteur scolaire ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - C'est le résultat des négociations entre les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, l'État et la région Grand Est. Je crois que nous devons éviter l'effet liste.
L'amendement COM-81 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - C'est la même logique pour l'amendement COM-70, qui concerne le secteur sanitaire.
M. Jacques Bigot. - Nous touchons là à la véritable question : voulons-nous vraiment répondre aux besoins de nos concitoyens ?
La mise en oeuvre de l'accord-cadre de coopération sanitaire transfrontalière franco-allemand signé le 22 juillet 2005 ne fonctionne pas en Alsace, alors qu'il fonctionne dans les Hauts-de-France. La raison en est simple : elle tient à la volonté de l'agence régionale de santé ! Pour ne prendre qu'un exemple, il faut deux mois pour obtenir un rendez-vous pour une IRM à Strasbourg, alors que c'est beaucoup moins long de l'autre côté du Rhin. Mais pour traverser la frontière, il faut un accord préalable de la caisse primaire d'assurance maladie et le remboursement n'est réalisé qu'au bout d'un an ou deux.
Si nous ne l'écrivons pas dans la loi, je suis certain que l'État nous dira, lorsque nous élaborerons ce schéma de coopération, que ce sujet ne relève pas de la compétence du futur département d'Alsace.
M. Philippe Bas, président. - Comme l'éducation, c'est un sujet très important. Notre rapporteur estime que ces sujets sont déjà compris dans le texte. Je suggère que nous nous en tenions à ce stade à cette interprétation, ce qui ne nous empêche pas d'ouvrir à nouveau ce débat en séance en présence du Gouvernement. Je comprends l'argument, selon lequel l'État pourra dire au département d'Alsace que l'éducation ou le sanitaire n'entrant pas dans les compétences de la collectivité, elle ne peut pas les inclure dans le schéma de coopération transfrontalière. Ce point mérite d'être expertisé.
M. André Reichardt. - Je vais dans le même sens que notre collègue Jacques Bigot. Les relations scolaires transfrontalières méritent vraiment d'être développées. Je rappelle que le schéma de coopération est préparé avec l'ensemble des acteurs concernés, dont l'éducation nationale et les autres services de l'État, et que le nouveau département d'Alsace en serait uniquement le chef de file. L'État peut donc toujours bloquer les choses !
M. Philippe Bas, président. - Il faut justement conjurer ce risque de blocage. C'est pourquoi nous devons avoir un débat avec le Gouvernement. Nous verrons alors quelle sera notre position.
L'amendement COM-70 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-71 est incompatible avec l'amendement COM-105 que nous venons d'adopter.
L'amendement COM-71 devient sans objet.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Le projet de loi prévoit que le futur département d'Alsace sera chef de file de la coopération transfrontalière. L'amendement COM-53 rectifié supprime la mention du respect des compétences des autres collectivités territoriales. Je crois qu'il vaut mieux laisser cette mention dans le texte car elle a une portée pédagogique. L'avis est donc défavorable.
L'amendement COM-53 rectifié n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-106 que je vous propose permet aux EPCI de déléguer leurs compétences au futur département d'Alsace dans le cadre de la mise en oeuvre du schéma alsacien de coopération transfrontalière. Il permettrait une exécution plus souple du schéma, notamment en matière de mobilité.
L'amendement COM-106 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-67 tend à donner au président du département d'Alsace le pouvoir de négocier et de signer, sous certaines conditions, des accords internationaux. Il transpose un dispositif qui existe pour certaines collectivités d'outre-mer. L'avis est défavorable.
M. Philippe Bas, président. - Il est tout de même curieux de vouloir à la fois qualifier la nouvelle collectivité de département et lui donner des compétences internationales à ce point dérogatoires au droit commun.
Mme Laurence Harribey. - Nous déposerons cet amendement pour la séance publique, car il est important de discuter au fond de cette question.
M. Philippe Bas, président. - Peut-être faut-il trouver des modalités de mise en oeuvre de cette mesure qui ne soient pas contraires à la Constitution, qui réserve la négociation des traités au Président de la République.
M. Jacques Bigot. - Le sujet mérite d'être creusé, il entre pleinement dans la logique de différenciation des territoires. Un simple schéma de coopération transfrontalière n'apporterait pas grand-chose en pratique et serait un leurre. Or l'appellation initiale de la nouvelle collectivité entraînait d'elle-même une dimension européenne nécessitant d'aller au-delà des aspects strictement transfrontaliers. En lien avec l'État, le département d'Alsace doit être capable de négocier avec les Länder allemands, par exemple le Bade-Wurtemberg, et de mettre en oeuvre ces accords afin de rendre le dispositif opérationnel. Une telle disposition, qui existe outre-mer, peut d'ailleurs intéresser d'autres régions françaises.
M. Alain Richard. - Les départements d'outre-mer peuvent en effet contribuer à la négociation d'accords de voisinage, mais cela tient au fait qu'ils relèvent de l'article 73 de la Constitution, ce qui n'est évidemment pas le cas de la nouvelle collectivité d'Alsace. À mon avis, un département métropolitain ne peut pas engager lui-même des négociations internationales.
L'amendement COM-67 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - La possibilité d'entente entre le département d'Alsace et la Moselle existe déjà. L'amendement COM-93 est donc satisfait. Mon avis est défavorable.
L'amendement COM-93 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-52 rectifié permet au département d'Alsace d'organiser un enseignement de la langue régionale sur le temps scolaire. Mon avis est défavorable, car ce dispositif s'immiscerait dans une compétence de l'Éducation nationale.
L'amendement COM-52 rectifié n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-82 tend à intégrer la formation des enseignants et la programmation de l'ouverture de classes bilingues ou d'immersion à la convention relative aux langues régionales conclue entre l'État et les collectivités territoriales, parmi lesquelles le département alsacien. Avis favorable.
L'amendement COM-82 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-68 prévoit les règles qui permettront de déterminer le chef-lieu du nouveau département d'Alsace. Actuellement, il n'existe pas de définition légale du chef-lieu de département, qui désigne deux réalités différentes : la commune où est située la préfecture, et une qualité honorifique reconnue à la principale ville du département.
Cet amendement imprécis laisse penser qu'il n'y aurait plus qu'une seule circonscription administrative de l'État, ce qui n'est pas le cas. Avis défavorable.
M. Jacques Bigot. - Nous avons repris telles quelles les règles du code général des collectivités territoriales applicables au département du Rhône, dont le chef-lieu devait être fixé par un décret en Conseil d'État, après avis du conseil départemental et du conseil municipal de la commue intéressée. Il faudra définir le chef-lieu du département d'Alsace. Cet amendement ne se prononce pas sur le lieu mais ne fait que reprendre la procédure de détermination en vigueur sur d'autres territoires.
M. Philippe Bas, président. - Votons sur ce point.
L'amendement COM-68 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-72 donne au département d'Alsace la possibilité de négocier des accords d'échanges d'enseignants avec le Land de Bade-Wurtemberg. La possibilité de contractualiser avec toutes autorités locales étrangères est déjà prévue à l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales. Mon avis est donc défavorable.
L'amendement COM-72 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-83 donne la qualité de chef de file de l'enseignement d'histoire, de culture et de connaissance de l'Alsace au département d'Alsace. Il est difficile de percevoir la portée concrète de ce chef de filat, et de définir quelles seraient les compétences des collectivités territoriales concernées. Avis défavorable.
L'amendement COM-83 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-84 donne au département d'Alsace la qualité de chef de file de la coordination de l'enseignement public, privé et associatif pour l'enseignement de la langue régionale. Mon avis est défavorable, car l'enseignement relève de la compétence de l'État, et il est difficile de percevoir quel type de coordination pourrait effectuer une collectivité territoriale.
L'amendement COM-84 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. -L'amendement COM-85 donne la qualité de chef de file de la promotion des langues régionales au département d'Alsace. Avis favorable.
L'amendement COM-85 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-86 donne la qualité de chef de file de la création artistique et de la culture locales au département d'Alsace. La portée concrète d'un tel chef de filat serait faible ; avis défavorable.
L'amendement COM-86 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-87 donne la qualité de chef de file de la politique de la formation professionnelle et de l'apprentissage au département d'Alsace. Mon avis est défavorable, car cela reviendrait à rendre le département chef de file d'une compétence qui relève de la région.
M. André Reichardt. - N'est-ce pas possible dans le cas d'une collaboration transfrontalière ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - C'est possible lorsque les compétences sont partagées entre plusieurs collectivités, mais pas seulement entre deux collectivités dont seule l'une d'entre elles a la compétence.
L'amendement COM-87 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-91 permet au département d'Alsace de présenter des recommandations au Gouvernement relatives à la promotion de la langue et de la culture régionales, et de conclure des conventions avec France Télévision, Radio France et Arte.
Cet amendement est satisfait par le droit en vigueur : les collectivités peuvent déjà adresser de telles propositions au Gouvernement. Elles disposent en outre de la liberté contractuelle, et France Télévision, Radio France et Arte peuvent conclure avec les collectivités territoriales toute convention utile à l'accomplissement de leurs missions.
M. Philippe Bas, président. - Cela fait partie du cahier des charges de France Télévision.
L'amendement COM-91 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement COM-92 qui prévoit un rapport, même si j'en comprends l'intérêt sur le fond...
L'amendement COM-92 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-95 autorise l'État à déléguer tout ou partie des actions relevant du Fonds social européen (FSE) et au département d'Alsace à déléguer la gestion des prestations d'aide sociale. Cet amendement est satisfait par le droit en vigueur.
M. André Reichardt. - Est-il déjà permis de déléguer les actions du FSE ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Oui, les régions peuvent déléguer au département les compétences qui leur ont été confiées en matière de gestion des fonds européens. Il s'agit de l'article 78 de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (loi MAPTAM).
M. André Reichardt. - Mais la gestion du FSE ne relève-t-elle pas de l'État ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'État peut déléguer aux régions la gestion des fonds européens, et celles-ci peuvent déléguer la gestion du FSE aux départements.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis favorable à l'amendement COM-69 rectifié ter qui crée un conseil de développement auprès du département d'Alsace.
L'amendement COM-69 rectifié ter est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-8 étend l'article 1er aux autres départements de la région Grand Est. Pourquoi une telle extension ? Cela créerait des distorsions avec le reste des départements français. Avis défavorable, de même qu'à l'amendement COM-9 qui étend cet article à la Moselle.
Les amendements COM-8 et COM-9 ne sont pas adoptés.
Articles additionnels après l'article 1er
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Mon amendement COM-107 conforte la possibilité pour les collectivités territoriales d'éditer un service de télévision pour promouvoir les langues régionales.
L'amendement COM-107 est adopté et devient article additionnel.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-57 rectifié prévoit que le département d'Alsace peut conclure des conventions avec des sociétés publiques du secteur audiovisuel. Le département d'Alsace disposera, comme les autres collectivités, de la liberté contractuelle. Mon avis est donc défavorable...
L'amendement COM-57 rectifié n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Avis défavorable à l'amendement de suppression de l'article 2 COM-10.
L'amendement COM-10 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-54 rectifié inscrit au niveau législatif la compétence du département d'Alsace pour animer la destination « Alsace » du schéma régional de tourisme. L'animation de la destination Alsace par le département d'Alsace ne relève pas de la loi, mais d'un arrangement entre les collectivités. Avis défavorable.
L'amendement COM-54 rectifié n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-90 prévoit que le département d'Alsace organise et met en oeuvre la promotion de l'attractivité de son territoire. Je propose à notre collègue André Reichardt de rectifier son amendement afin de ne pas « écraser » les dispositions de l'article 2, de codifier cette disposition dans le code général des collectivités territoriales et de préciser que la compétence de promotion de l'attractivité du territoire ne s'étend pas à l'octroi d'aides directes ou indirectes aux entreprises.
M. André Reichardt. - Quelle serait la rédaction exacte ?
M. Philippe Bas, président. - Je vous laisse le soin de finaliser les détails de la rectification.
L'amendement COM-90, ainsi modifié, est adopté.
Les amendements COM-11 et COM-40 sont satisfaits.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-99 apporte une précision inutile.
L'amendement COM-99 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les amendements COM-12 et COM-13 étendraient l'article 2 aux autres départements du Grand Est, ou à la seule Moselle. Pour les raisons déjà dites, mon avis est défavorable.
Les amendements COM-12 et COM-13 ne sont pas adoptés.
Articles additionnels après l'article 2
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Mon amendement COM-108 autorise à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, la délégation par le conseil régional au département d'Alsace de l'octroi de tout ou partie des aides aux entreprises. Tout département pourrait demander à bénéficier de la même expérimentation. Celle-ci permettra d'apprécier l'opportunité d'assouplir la répartition des compétences économiques entre collectivités territoriales déterminée par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, sans dessaisir les régions.
M. André Reichardt. - Une collectivité territoriale peut déléguer une compétence à une autre. Pourquoi devoir le préciser dans la loi ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Ce principe est général, mais il souffre d'exceptions. C'est le cas pour l'octroi des aides aux entreprises.
M. Philippe Bas, président. - Il faut donc inscrire cette précision dans la loi.
L'amendement COM-108 est adopté et devient article additionnel.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-55 rectifié prévoit le transfert de la marque Alsace au département d'Alsace au plus tard le 1er janvier 2021. Cette marque appartient actuellement à une association, l'Agence d'attractivité de l'Alsace. Exproprier une association au bénéfice d'une collectivité, sans indemnisation, est contraire au droit de propriété. Mon avis est donc défavorable.
L'amendement COM-55 rectifié n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Dans les trois départements alsacien-mosellans s'appliquent des dispositions spéciales du code du travail relatives aux jours fériés et autres jours chômés. L'amendement COM-96 prévoit de transférer la possibilité d'accorder des dérogations au repos dominical au président du département d'Alsace, sur le territoire de celui-ci, alors que cette prérogative appartient aujourd'hui au préfet de département. Avis défavorable.
L'amendement COM-96 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-97 transfère au président du département d'Alsace les compétences du préfet en matière de chasse. Avis défavorable.
L'amendement COM-97 n'est pas adopté.
L'amendement COM-98 est déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.
Article 3
L'amendement de suppression COM-14 n'est pas adopté.
Les amendements COM-15 et COM-41 sont satisfaits.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-73 transfère directement à l'eurométropole de Strasbourg la voirie nationale non concédée située sur son territoire. Préférons plutôt une convention avec le département d'Alsace pour déclasser la route avant transfert ; cela évitera d'avoir des autoroutes communales.
M. Jacques Bigot. - Soyons cohérents ; nous avons rendu obligatoire le transfert de toutes les routes du département aux métropoles après la loi MAPTAM et la loi NOTRe. Il n'y a plus de routes départementales sur le territoire des métropoles, seulement des autoroutes. Si les autoroutes n'appartiennent plus à l'État, pourquoi seraient-elles propriété du département ? On m'avait indiqué qu'une route départementale à deux fois deux voies, faisant la jonction entre deux autoroutes et étant dans le périmètre géographique de la métropole, devait obligatoirement revenir à la métropole et non au département. Pourquoi ne pas faire de même pour une autoroute ? Vous proposez une solution complexe de transfert du département d'Alsace, à l'eurométropole de Strasbourg, mais quelles en seront les conditions financières ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Il n'y a pas de transfert obligatoire des routes départementales aux métropoles.
M. Jacques Bigot. - Si, je vous l'assure.
M. Philippe Bas, président. - Nous en débattrons en séance publique.
L'amendement COM-73 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-109 attribue le pouvoir de police de la circulation sur les autoroutes transférées par l'État au département d'Alsace au président de celui-ci, détermine la procédure de déclassement de ces autoroutes et clarifie leur statut.
L'amendement COM-109 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-100 apporte une précision rédactionnelle inutile. Avis défavorable.
L'amendement COM-100 n'est pas adopté.
Article additionnel après l'article 3
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-94 réintroduit dans la loi le principe de l'« écotaxe poids lourds » alsacienne, système soulevant de grosses difficultés, au lieu de s'en remettre à l'ordonnance. Si je suis dubitative sur l'habilitation demandée par le Gouvernement, le dispositif proposé par notre collègue André Reichardt n'est pas totalement abouti. Il entrerait en conflit avec la révision en cours de la directive « Eurovignette », qui interdira à terme toutes les vignettes. Évitons également un déséquilibre entre les poids lourds alsaciens et les autres, ce qui serait une violation manifeste du principe d'égalité devant les charges publiques. Mon avis est donc défavorable.
M. Philippe Bas, président. - Monsieur Reichardt, vous êtes courageux de reprendre à votre compte une telle taxe...
M. André Reichardt. - Le transfert des routes et des autoroutes non concédées a été accepté par les présidents de département exclusivement pour pouvoir réguler le transit de poids lourds en Alsace. De l'autre côté du Rhin, à deux kilomètres, il y a le LKW-Maut, une taxe que les camions doivent payer. Ce transfert de compétences aux Alsaciens n'est pas totalement compensé et ils ne disposent aujourd'hui pas de dispositif de régulation des poids lourds. Le Gouvernement ne va pas se précipiter pour l'instaurer. Mon amendement remplace donc l'habilitation par ordonnance.
M. Philippe Bas, président. - Nous en débattrons lors de la séance publique.
L'amendement COM-94 n'est pas adopté.
Article 4
L'amendement de suppression COM-18 n'est pas adopté.
Les amendements COM-19 et COM-42 sont satisfaits.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-110 sécurise la reprise des contractuels par le département d'Alsace.
L'amendement COM-110 est adopté.
Article 5
L'amendement de suppression COM-20 n'est pas adopté.
Les amendements COM-21 et COM-43 sont satisfaits.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-111 conforte la « clause de sauvegarde » applicable aux transferts de services de l'État au département d'Alsace, consécutifs au transfert de la voirie nationale non concédée. Le personnel sera comptabilisé au 31 décembre 2018 et non au 31 décembre 2019.
L'amendement COM-111 est adopté.
L'amendement de précision COM-112 est adopté.
Article 6
L'amendement de suppression COM-22 n'est pas adopté.
Les amendements COM-23 et COM-44 sont satisfaits.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-59 rectifié prévoit que le produit éventuel de l'écotaxe ne puisse pas venir en diminution de la compensation financière due par l'État en raison du transfert de la voirie nationale.
Il est difficile de ne pas prendre en compte ce produit, au nom de l'équité devant les charges publiques et vis-à-vis des autres départements. En transférant la propriété des routes, l'État se prive du produit des redevances qu'il aurait pu y instituer. Avis défavorable.
L'amendement COM-59 rectifié n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-113 rétablit dans la base de calcul de la compensation financière due par l'État au département d'Alsace les dépenses d'investissement réalisées par l'État au titre du contrat de plan État-région, à l'exception de celles qui concernent la création de voies ou d'ouvrages nouveaux ou l'élargissement de voies existantes.
L'amendement COM-113 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-114 apporte une garantie supplémentaire au département d'Alsace sur la compensation financière due à l'État en raison du transfert de la voirie nationale. Le montant annuel des dépenses de fonctionnement et d'investissement ouvrant droit à compensation ne pourrait pas être inférieur au montant constaté en 2018.
L'amendement COM-114 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-60 inclut la totalité des dépenses d'investissement faites par l'État au titre du contrat de plan État-région dans la base de calcul de la compensation financière. Il est incompatible avec l'amendement COM-113 que nous venons d'adopter.
L'amendement COM-60 rectifié n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-63 rectifié inscrit dans la loi le principe d'une écotaxe instituée par le département d'Alsace. Je vous propose plutôt de préciser la finalité assignée à l'habilitation à l'article 10. Avis défavorable.
L'amendement COM-63 rectifié n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les amendements COM-24 et COM-25 étendraient l'article aux autres départements de la région Grand Est ou à la seule Moselle. Pour les raisons déjà évoquées, mon avis est défavorable.
Les amendements COM-24 et COM-25 ne sont pas adoptés.
Article 7
L'amendement de suppression COM-26 n'est pas adopté.
Les amendements COM-27 et COM-45 sont satisfaits.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-115 introduit un délai d'harmonisation de la règlementation de six ans.
L'amendement COM-115 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-101 apporte une précision rédactionnelle inopportune : le conseil départemental est l'assemblée délibérante, tandis que le département est la personne morale. Avis défavorable.
L'amendement COM-101 n'est pas adopté.
Article additionnel après l'article 7
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-64 rectifié bis prévoit que le chef-lieu du département d'Alsace est situé à Colmar. Avis défavorable pour les raisons précitées sur le chef-lieu.
L'amendement COM-64 rectifié bis n'est pas adopté.
Article 8
L'amendement de suppression COM-28 n'est pas adopté.
Les amendements COM-29 et COM-46 sont satisfaits.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Par cohérence avec le rejet de l'amendement visant à faire du département alsacien une collectivité à statut particulier, mon avis est défavorable à l'amendement de coordination COM-78.
L'amendement COM-78 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-116 fixe le nombre de cantons à 40 par addition de la somme du nombre des cantons des deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
L'amendement COM-116 est adopté.
M. Philippe Bas, président. - L'amendement COM-30, qui garantit le respect de la jurisprudence constitutionnelle en matière de représentativité démographique dans le cadre du découpage cantonal du département d'Alsace, est satisfait par l'amendement COM-116.
M. Alain Richard. - Souvenez-vous : lorsque nous avons modifié le mode de scrutin départemental, avec l'élection de conseillers par binômes, nous avions prévu que le nombre de cantons par département serait impair.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Tout à fait, pour éviter un blocage par une absence de majorité. Mais là, la somme des cantons précédents fait 40. En outre, le Gouvernement a affirmé son intention de ne pas procéder à un redécoupage.
M. Alain Richard. - Il y a donc un risque de partage du conseil départemental en 20 et 20, à supposer que les binômes soient solidaires...
M. Philippe Bas, président. - Nous devons avoir conscience de ce risque d'absence de majorité, mais la loi peut déroger au principe d'un nombre impair de cantons.
M. Jean-Pierre Sueur. - Si l'on rajoute un canton par département initial, nous obtiendrons toujours un chiffre pair...
M. Alain Richard. - Il faudrait rajouter un canton à l'ensemble...
M. Jean-Pierre Sueur. - .. alors dans un seul des deux départements initiaux.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Il y a 17 cantons dans un département et 23 dans l'autre. Ajouter deux chiffres impairs donne un chiffre pair...
M. Philippe Bas, président. - Monsieur Richard, vous avez raison, mais nous assumons la responsabilité de ce choix.
L'amendement COM-30 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Par cohérence avec le rejet de l'amendement visant à faire du département d'Alsace une collectivité à statut particulier, avis défavorable à l'amendement de coordination COM-79.
L'amendement COM-79 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-117 intègre plusieurs coordinations en matière électorale, rendues nécessaires par la fusion des deux départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Il fusionne les deux sections départementales concernées au sein de la circonscription unique régionale pour l'élection des conseillers régionaux du Grand Est. Il détermine les règles de répartition des conseillers régionaux élus dans la section « Alsace » et des conseillers départementaux entre les collèges appelés à élire les sénateurs du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
M. Alain Richard. - L'ensemble des circonscriptions électorales sont inscrites dans les circonscriptions de l'État. Il restera des parlementaires du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, et ces populations devront être représentées par des sections départementales au sein du Conseil régional. Il n'y a pas d'exception à ce principe.
M. Philippe Bas, président. - Peut-être le département du Rhône ? Il faudrait vérifier.
M. Alain Richard. - Le Rhône ne représente qu'une seule section départementale pour les élections régionales.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Il me semble qu'il y a deux sections départementales : la métropole de Lyon et le département du Rhône sont tous deux représentés au sein du conseil régional. Le département d'Alsace serait certes un cas particulier mais qui reprendrait ce qui a été imaginé pour le Rhône.
M. Philippe Bas, président. - Adoptons cet amendement, tout en donnant mandat au rapporteur de clarifier ce point, afin d'éviter un précédent gênant.
L'amendement COM-117 est adopté.
Article 9
L'amendement de suppression COM-31 n'est pas adopté.
Les amendements COM-32 et COM-47 sont satisfaits.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les amendements identiques COM-102 rectifié et COM-118 suppriment l'habilitation relative aux élections sénatoriales, en cohérence avec la réintroduction des règles de composition de leur collège électoral dans la loi que nous venons d'adopter.
Les amendements COM-102 rectifié et COM-118 sont adoptés.
Article 10
L'amendement de suppression COM-33 n'est pas adopté.
Les amendements COM-34 et COM-48 sont satisfaits.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - En cohérence avec le rejet de l'amendement COM-63 rectifié, je vous propose de rejeter l'amendement de coordination COM-65.
L'amendement de coordination COM-65 rectifié n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - L'amendement COM-74 étend à la voirie de l'eurométropole de Strasbourg le champ de l'habilitation relative à l'écotaxe alsacienne. Avis favorable.
L'amendement COM-74 est adopté, de même que l'amendement de cohérence COM-119.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les amendements COM-35 et COM-36 étendraient aux autres départements du Grand Est ou à la seule Moselle l'article 10. Pour les raisons déjà exposées, mon avis est défavorable.
Les amendements COM-35 et COM-36 ne sont pas adoptés.
Article 11
L'amendement de suppression COM-37 n'est pas adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Mon amendement COM-120 avance l'entrée en vigueur de l'article 1er bis et du II de l'article 2 bis au lendemain de la publication de la loi et non au 1er janvier 2021.
L'amendement COM-120 est adopté.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. - Les amendements COM-38 et COM-49 étendraient aux autres départements de la région Grand Est ou à la seule Moselle l'article 11. Pour les raisons déjà dites, mon avis est défavorable.
Les amendements COM-38 et COM-49 ne sont pas adoptés.
Intitulé du projet de loi
L'amendement COM-2 est satisfait.
M. Jacques Bigot. - Comme le disait Mme Harribey, le groupe socialiste et républicain souhaitait que certains points soient clarifiés, afin de faire de cette nouvelle collectivité un département et ramener ce texte à cela. Le projet de loi issu des travaux de la commission est satisfaisant, nous le voterons en l'état.
M. Yves Détraigne. - Allez-vous nous demander de le voter ? Je ne me prononcerai pas pour les autres membres du groupe. Je suis Champenois. Comme les Lorrains, les Champenois sont spectateurs de cette réforme ; personne ne leur a demandé leur avis. Nous faisons tout pour complaire aux Alsaciens, mais je ferai un effort en ne votant pas contre ce texte, qui cependant le mériterait. Si vous faisiez un sondage auprès des Lorrains et des Champenois, vous verriez qu'ils diraient aux Alsaciens : « Partez, puisque nous ne sommes pas dignes d'être avec vous ! »
M. André Reichardt. - Ce n'est pas l'objectif des Alsaciens...
M. Yves Détraigne. - C'est comme cela que les autres départements le ressentent...
M. André Reichardt. - Ce texte, qui risque de nous diviser, devrait plutôt nous rassembler. La nouvelle région est un non-sens, et ce texte n'en est que le palliatif.
M. Yves Détraigne. - Tout à fait ! Mais vous réglez le problème pour certains, pas pour les autres...
M. André Reichardt. - Je m'abstiendrai sur ce texte tout en rendant hommage au travail du rapporteur.
Le projet de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La réunion, suspendue à 13 heures, est reprise à 14 h 45.
Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de la fédération CFE-CGC, organisation professionnelle de la police nationale
M. Philippe Bas, président. - Après avoir auditionné la semaine dernière le ministre de l'intérieur, son secrétaire d'État ainsi que le ministre de l'économie et des finances, nous avons décidé d'entendre les représentants des forces de l'ordre. Celles-ci sont soumises à rude épreuve. Il faut en tenir compte dans le rétablissement de l'ordre. Nous aimerions donc avoir votre appréciation sur la situation dans laquelle se trouvent vos collègues et discuter avec vous des mesures propres à assurer, autant que faire se peut, la maîtrise de l'ordre public. Le contexte a certes subi de profonds changements : les formes de désordre auxquelles vous faites face sont plus violentes, les manifestations ne sont plus encadrées... Tout cela remet en question vos pratiques professionnelles.
M. Benoît Barret, secrétaire national adjoint Alliance Police nationale. - Merci de votre invitation. Nous sommes très satisfaits de pouvoir exprimer le sentiment des policiers devant vous. Voilà dix-neuf weekends d'affilée que notre démocratie est mise à rude épreuve ; nous le disons en effet : derrière les policiers, c'est la démocratie qui est visée tous les weekends, que les policiers et gendarmes représentent. Nous constatons une nouvelle forme de contestation violente, ultraviolente même. C'est le fait de personnes que nous connaissons - je songe aux black blocs, aux identitaires, aux militants extrémistes -, mais aussi, et c'est plutôt nouveau, de personnes qui arrivent dans les manifestations comme des citoyens normaux et qui s'y radicalisent. Ces personnes lambda se laissent entraîner par l'effet de masse, l'anonymisation que permet la foule, et par l'inaction de la justice. Nous pensons en effet que la chaîne pénale est importante dans un État de droit. La démocratie passe par le policier, le procureur, le juge du siège et l'application de la peine. Il n'y a rien de pire dans un État de droit que des peines qui ne sont pas appliquées. Cela développe chez certains un sentiment d'impunité, qui ne peut plus durer ! Nous avons face à nous, le weekend, des personnes pour lesquelles on peut parler - c'est triste à dire, jamais je n'aurais songé le faire un jour - d'habitude aux troubles à l'ordre public.
Nous n'acceptons plus que la police soit critiquée comme elle l'est depuis des semaines. Nous attendons depuis des mois une prise de position ferme du politique pour dire que les policiers travaillent dans le strict cadre de la loi. De nombreux débats ont crispé les policiers, dont certains doivent s'expliquer devant l'IGPN d'avoir fait leur travail. Le débat sur le LBD a fait très mal aux policiers. Certains ont voulu faire croire à l'opinion publique que les responsables des violences étaient les policiers, et nous ne pouvons plus l'accepter. Nous parlons de gens qui manifestent sans droit, sans déclarer leur manifestation, qui donc bravent une interdiction en restant face aux policiers, même si personne ne peut se réjouir des blessures. Nous remercions les politiques qui ont pris position. Le weekend dernier, enfin, nous avons entendu un vrai message de soutien aux policiers.
M. Johan Cavallero, responsable des CRS, pourra vous en parler plus en détail. M. Yvan Assioma, notre délégué parisien, vous parlera plus particulièrement de ce qui se passe dans la capitale. Je reprendrai ensuite la parole pour évoquer d'autres aspects, dont le matériel : nous réclamons depuis des mois un matériel qui n'arrive pas, ce qui est scandaleux, je vous le dis clairement. Certains de nos collègues de province n'ont toujours pas de casque de protection, de jambières, de protège-cou, n'ont pas assez de munitions, ce qui est intolérable, car cela les empêche de faire leur travail correctement. Nous n'avons pas été préparés à avoir de tels événements tous les weekends ! Aussi demandons-nous à l'administration un vrai plan Marshall du matériel. Certains collègues ont des masques à gaz périmés depuis 2008, donc sans efficacité, des casques à visières rayées, et manquent de boucliers comme de munitions - il y a un vrai problème de munitions dans la police nationale, tout le monde le sait. Je pourrais vous en parler pendant des heures ! Il est important que les parlementaires entendent cela. Si rien ne change, rien ne s'arrangera.
La « loi anticasseurs » doit être promulguée et appliquée. Elle ne va toutefois pas assez loin. Le Gouvernement fait certes de la participation à une manifestation interdite une contravention non plus de première, mais de quatrième classe, passible d'une amende de 135 euros, mais seule l'organisation d'une telle manifestation interdite reste un délit. Pour éviter les attroupements, il faut faire de la participation à une manifestation interdite un délit, car cela autorise la coercition. À défaut, impossible de verbaliser qui que ce soit !
L'exemple allemand est partout vanté, qui est censé remettre en cause le maintien de l'ordre à la française. Mais sachez que la désescalade à l'allemande ne fonctionne plus face aux black blocs. Au dernier congrès du G20 à Hambourg, les black blocs ont conduit nos homologues allemands à revoir leurs méthodes. Malheureusement, ces gens-là ne comprennent rien d'autre que le contact. C'est triste à dire, mais c'est la vérité. La nouvelle arme utilisée contre nous en province, outre les cocktails Molotov, ce sont des pétards de type mammouth enduits de colle néoprène et recouverts de boulons et de morceaux de verre. Cela se passe aujourd'hui, en Vendée comme à Nancy. Et ce ne sont pas forcément des black blocs, ce sont aussi des gilets jaunes radicalisés ! Dans ce contexte, le discours de ces dernières semaines, crispant les policiers et remettant en cause la doctrine de maintien de l'ordre est une erreur.
M. Johan Cavallero, délégué national CRS Alliance Police nationale. - Les CRS sont mis à disposition de l'autorité d'emploi : la préfecture de police ou les directions départementales de la sécurité publique. Ils ne choisissent donc pas leur mission : c'est le préfet qui en décide. À Paris, le 16 mars, les leçons du 1er décembre n'ont pas été tirées, puisque douze compagnies républicaines de sécurité ont été cantonnées à la garde statique de bâtiments ou de rues. Elles sont pourtant spécialisées dans le maintien de l'ordre, suivent 25 jours de formation par an, sont dotées d'équipements ainsi que d'armements qui leur permettent de faire face pendant deux ou trois heures à des guerriers et d'absorber la pression. Mais nous ne sommes pas utilisés comme nous devrions l'être ! Même en province, nous sommes parfois cantonnés à la garde de préfectures, tandis que d'autres collègues, qui ont moins de moyens, sont chargés du maintien de l'ordre. Or le premier rideau doit être constitué par les CRS ou les gendarmes mobiles !
Le débat ne porte pas vraiment, selon moi, sur la doctrine d'emploi. Celle-ci est claire. Les CRS servent au maintien de l'ordre et doivent pour cela pouvoir manoeuvrer. En manoeuvrant, on utilise moins de grenades, moins de LBD, et on déstabilise l'adversaire. En barrage ferme, les CRS reçoivent les projectiles et ne peuvent rien faire ! La doctrine d'emploi et la formation des CRS prévoient pourtant un principe de sécabilité qui leur permet de manoeuvrer. Le problème, c'est que les autorités qui nous emploient ne le connaissent pas.
Nous travaillons certes en complémentarité avec nos collègues des détachements d'action rapide (DAR) ou des brigades anticriminalité (BAC). Mais nous devrions constituer le premier rideau, pouvoir manoeuvrer et faire des charges, pour que nos collègues arrivent ensuite pour interpeller en toute sécurité. En face, nous recevons des boules de pétanque, de l'acide, des bouches d'égout cisaillées, qui provoquent des blessures graves. En fait, nous faisons du maintien de l'ordre à l'envers : les forces les moins destinées à cela sont en première ligne, et celles entraînées et équipées pour absorber les chocs sont derrière.
Les armes que nous utilisons, nous les utilisons sur instruction, tout est cadré. Le problème, je le redis, c'est que nos forces de maintien de l'ordre sont utilisées en deuxième ou troisième rideau. La doctrine d'emploi n'est pas en cause, car il suffirait de l'appliquer.
Là où nous pourrions évoluer, c'est sur l'appréhension des casseurs. Mais pour mettre un terme aux violences, il faut de la volonté, celle de faire manoeuvrer les unités. Nous avons aussi, certes, un problème d'effectifs, puisqu'il manque un millier de personnes dans les CRS. Mais en faisant bouger les unités, on pourrait isoler les groupes. Résultat : des gens lambda se mêlent aux black blocs pour casser à leur tour ou faire des photos, ce qui gêne notre travail.
Lors des manifestations du 1er mai, les black blocs étaient isolés ! Cette fois-ci, on ne reçoit pas d'instructions. On semble leur laisser une échappatoire. Comme si on ne voulait pas que les images montrent des arrestations nombreuses. Or nous pouvons interpeller les fauteurs de trouble, et les techniques d'engagement existent - le Défenseur des droits les a critiquées, mais c'est une erreur, car le droit européen les autorise.
Enfin, jamais les CRS n'ont été associés aux réunions préparatoires organisées par la préfecture de police, ni les gendarmes mobiles. Comment concevoir un dispositif sans recueillir l'avis des techniciens ?
Bref, appliquons d'abord ce qui existe, laissons faire les professionnels, et ensuite nous verrons ce qu'il convient d'adapter.
M. Yvan Assioma, secrétaire régional 75 Alliance Police nationale. - Je suis le responsable du syndicat Alliance à Paris.
Un petit mot pour commencer. J'ai reçu le dimanche 17 mars, de la part d'un collègue d'une compagnie d'intervention implantée rue de Trévise, où se trouve l'immeuble qui a pris feu et qui fait toujours l'objet d'une garde statique, un SMS faisant de la manifestation de la veille le récit suivant : « je suis chef d'un groupe issu de la 32e compagnie équipée en maintien de l'ordre ; nous relevons un adjoint de sécurité et un stagiaire - je m'interroge sur l'efficience de notre mission... Par la suite, une bande de casseurs agit dans ma rue, à une centaine de mètres : voitures et poubelles incendiées. J'en avise le centre d'information de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC). Réponse : laissez-faire et remontez dans vos véhicules. S'ils viennent vers vous, partez. Pourquoi suis-je sur ce point ? Nous étions casqués, les LBD approvisionnés, grenades prêtes à l'emploi. On parle de trente casseurs, pas de cinquante, donc aisément gérables par un groupe. En manoeuvrant bien, nous pouvions les envoyer sur les gendarmes au bout de la rue. J'en ai assez de voir la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) faire mon job pendant que je surveille des portes. J'en ai assez de me former et de m'entraîner depuis dix-sept ans pour en être réduit à fuir, si trente casseurs font route vers moi. Bref, je suis en colère parce qu'hier, on a laissé des collègues en prendre plein la gueule, alors que nous ne faisions rien et que douze compagnies sanctuarisaient l'Élysée ». Voilà le sentiment général de nos collègues parisiens !
Comprenez-moi : les collègues de la DSPAP et de la DOPC s'entendent très bien, mais il y a aujourd'hui un vrai paradoxe sur le maintien de l'ordre. Nos collègues de la DOPC savent faire du maintien de l'ordre et le font bien. Mais il faut leur en donner les moyens, et non les envoyer sur des missions polluantes ! Sur les 780 policiers de la DOPC en compagnie d'intervention, 550 environ sont engagés tous les samedis, c'est-à-dire quasiment la totalité, puisqu'il faut bien donner du repos à certains. Toutes nos compagnies d'intervention - il y en a six de jour, une de nuit - ont travaillé tous les samedis, avec des repos décalés, ce qui entraîne des dérèglements sur le cycle de travail et l'organisation de la vie de famille.
Et paradoxalement, les 800 policiers de la DSPAP sont aussi engagés. C'est un comble : les jours de maintien de l'ordre, ils sont plus nombreux que les collègues de la DOPC. Autre curiosité, le 16 mars, la préfecture de police avait autorisé d'autres manifestations ! On devrait commencer par réguler un peu les demandes, surtout quand il y a des manifestations à risque, quitte à en différer certaines. Cela permettrait de mieux gérer les effectifs. Le 16 mars, 105 collègues de la DOPC étaient affectés à la garde de bâtiments et d'institutions.
Le préfet Delpuech, son directeur de cabinet, le directeur de la DSPAP ont été remplacés ; mais si on ne change pas de méthode, on pourra changer les têtes tous les lundis ! Comme l'a dit mon collègue, le commandement de la préfecture de police les jours de maintien de l'ordre est une hydre. La DOPC est censée diriger et centraliser les conférences radio mises en place pour les différentes divisions sur le terrain, mais la DSPAP fait la même chose de son côté - je songe par exemple aux fréquences radio dédiées aux DAR, devenus des brigades de répression de l'action violente (BRAV) le weekend dernier. Or la communication entre les deux salles de commandement n'est pas directe... Il faudrait travailler à davantage de fluidité ; pourquoi pas un état-major unique les jours de manifestation à risque ?
Cette multitude de têtes se traduit par des situations ubuesques. Je pourrais vous faire lecture d'autres témoignages. Tel celui de cet officier, arrivé à 15 h 30 pour protéger le Fouquet's qui avait déjà été cassé, qui fait face à 16 h 30 à un groupe hostile lui lançant des excréments, des liquides inflammables, des cocktails Molotov, et qui demande du renfort... qui n'arrive qu'à 16 h 45 - un quart d'heure sous les projectiles, c'est long ! « Nous avons fait face à de véritables scènes de guérilla urbaine, le seul but de ces individus étant de porter gravement atteinte à notre intégrité physique », écrit-il, reflétant le sentiment de nombreux collègues.
Des dysfonctionnements, il y en a eu le 16 mars, c'est évident. Tout ne peut certes pas se régler en un jour. Mais les bonnes instructions doivent être données pour permettre à nos collègues de faire des interpellations. Les BRAV sont composées de fonctionnaires des brigades territoriales de contact, telles les BAC : c'est leur métier, ils font cela tous les jours, sont formés et habilités à l'usage du LBD, se soumettent à cette fin à une validation triennale de quatre heures. Certes, nous pouvons toujours faire mieux en matière de formation continue ; nos collègues ne s'entraînent sans doute pas suffisamment à l'usage du LBD.
M. François Grosdidier. - Les forces mobiles sont-elles soumises aux mêmes exigences ?
M. Benoît Barret. - Oui, l'habilitation est obligatoire pour porter l'arme. Aucun policier en France n'est doté d'une arme sans habilitation ni entraînement à son usage.
M. Yvan Assioma. - Le 8 décembre, premier jour de mise en place des DAR, nos collègues ont procédé à 1 082 interpellations, donnant lieu à 974 gardes à vue. Le 16 mars, jour de manifestation à risque d'après les renseignements de la direction du renseignement de la préfecture de police faisant état de la présence de black blocs en nombre, nous avons procédé à 274 interpellations, donnant lieu à 232 gardes à vue. Entre les deux, la méthode n'a pas vraiment changé, mais a surgi la polémique sur le LBD, qui a placé nos collègues dans un carcan. L'obligation de filmer tous les tirs de LBD a diminué par deux le nombre de forces opérationnelles, puisqu'il fallait un filmeur pour un tireur.
Nos collègues ont également eu instruction de n'embarquer que des cartouches légères pour les LBD - dites aussi molles, ou chamallows -, qui ont une trajectoire plus courte et moins précise. Efficaces jusqu'à sept ou dix mètres, contre trente-cinq pour les autres cartouches, elles empêchent de tenir les casseurs à distance. Le 16 mars, les casseurs se sont donc approchés des forces de l'ordre, qui n'ont pu les repousser. Surtout, je le répète, le LBD ne peut être utilisé que sur instruction ! Ce n'est pas normal : il faut laisser l'initiative à nos collègues, qui sont habilités, formés, entraînés pour cela - sans doute pas assez, mais parce que les cartouches sont chères, nous dit-on, et nous reviendrons peut-être ultérieurement sur la situation budgétaire. Nos collègues ont donc été bridés, et aucun n'a envie de se retrouver en cour d'assises pour la perte d'un oeil : faisons-leur confiance !
Mme Audrey Colin, conseiller technique Synergie Officiers. - Nous sommes dans une situation de maintien de l'ordre assez nouvelle : manifestations non déclarées, regroupements interdits organisés grâce aux réseaux sociaux, et des forces qui ne sont sans doute pas utilisées de la façon qui convient - le 16 mars, trop de CRS protégeaient l'Élysée. À cela s'est ajoutée avec le temps l'arrivée de groupes extrêmes, d'extrême droite ou d'extrême gauche, sans parler des gilets jaunes qui se sont laissé entraîner. Il est faux de dire que les gilets jaunes ne sont pas des casseurs : nous en avons mis en garde à vue qui avaient les bras chargés de bouteilles de champagne Ruinart provenant directement de la boutique la plus proche.
M. Philippe Bas, président. - Cela n'en fait que des pilleurs...
Mme Audrey Colin. - Pour piller, il faut casser la vitrine. Nous en avons vu, de même que des gilets jaunes lançant des pavés. Ce ne sont pas des anges. Certains se sont certes laissé entraîner, sont à bout. D'autres sont avinés, que nous avons dû maintenir en garde à vue un certain temps avant de pouvoir les auditionner.
Le 16 mars, nos collègues ont compris dès le départ qu'il y aurait des difficultés, car il y avait moins de LBD, et l'armement n'était pas adapté - les fameuses cartouches de LBD moins puissantes. Les DAR étaient en outre plutôt éloignés des faits en fin de matinée, lorsque les premières dégradations ont été commises. De nombreux chefs de DAR nous ont dit vouloir se déplacer pour se rendre là où ils auraient été utiles, mais la salle de commandement de la DSPAP s'y est opposée.
M. Philippe Bas, président. - Qui donc, à cet instant ?
Mme Audrey Colin. - La SIC 75, la salle de commandement de la DSPAP.
Il a fallu attendre que le DSPAP prenne les rênes en remplacement du commissaire de police, chef de permanence ce jour-là, pour que les choses évoluent. Le mal était déjà fait : de nombreux collègues avaient été mis à mal, la banque avait été incendiée. Certains, interdits d'intervention, se sont malgré tout rapprochés et sont intervenus, et heureusement !
La difficulté essentielle tient dans cette superposition DOPC-DSPAP du commandement parisien. Nos collègues, qui n'ont pas les mêmes ondes radio, ne s'y retrouvaient pas !
M. Philippe Bas, président. - Au surplus, le 16 mars, le directeur de la DSPAP n'était même pas dans la salle de commandement, d'où provenait l'ordre de ne pas bouger. Et le SMS rapporté par M. Assioma révèle que les mêmes instructions de ne pas bouger avaient été données sur les ondes de la DOPC.
M. Audrey Colin. - Oui, et en conséquence, les forces mobiles n'ont pas pu se déplacer.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Vous avez évoqué le sous-équipement des effectifs pour les opérations de maintien de l'ordre. Nous sommes tous convaincus de la nécessité d'y remédier, mais quel serait le coût du « plan Marshall » que vous appelez de vos voeux ?
Quels changements attendez-vous de la nomination d'un nouveau préfet de police de Paris, notamment s'agissant de l'unité de commandement ?
M. Alain Marc. - Des retours d'expérience géographiques me semblent indispensables après une manifestation ayant entraîné des incidents. À cet effet, est-il envisageable, grâce aux drones, de modéliser sur un plan de Paris la position et les mouvements des effectifs policiers, d'une part, et des casseurs, d'autre part ? Un tel outil permettrait de révéler l'adaptation ou l'inadaptation des ordres donnés à la réalité du terrain.
Mme Muriel Jourda. - En décembre dernier, le ministre de l'intérieur a annoncé la mise en place d'un groupe de réflexion sur l'évolution de la doctrine de maintien de l'ordre. Vos organisations y participent-elles ? Comment conviendrait-il de faire évoluer cette doctrine pour l'adapter aux casseurs ?
Mme Brigitte Lherbier. - Le préfet de police est-il, lors des manifestations, présent dans la salle de commandement ? Par ailleurs, de quels renseignements disposent les forces de l'ordre, en amont des manifestations, sur les casseurs appartenant aux mouvances ultras ? Ces informations sont-elles partagées entre les unités concernées ?
Mme Jacky Deromedi. - Vous avez qualifié de pertinent le dispositif des DAR. Les difficultés rencontrées le 16 mars résultent-elles alors d'une mauvaise coordination entre les DAR et les unités de forces mobiles ?
M. François Grosdidier. - En juillet dernier, la commission d'enquête du Sénat sur l'état des forces de sécurité intérieure avait, dans son rapport, déploré l'archaïsme des méthodes de maintien de l'ordre. Les récents événements nous ont - hélas ! - donné raison. Le 16 mars, les CRS sont restés en position statique, tandis que des gendarmes, dont la ville ne constitue pas le terrain habituel, allaient à la confrontation. N'y avait-il pas un défaut de conception dès la mise en place du dispositif ?
M. Philippe Bas, président. - Le 16 mars, douze compagnies ont été attachées à la protection des bâtiments institutionnels. Le 4 décembre dernier, j'avais interrogé le ministre de l'intérieur sur l'action des forces de l'ordre et estimé qu'elles avaient été tenues en échec par les casseurs. M. Castaner m'avait alors contredit, rappelant, selon ses termes, que les barrages avaient été tenus. Quels sont les objectifs poursuivis par les forces de sécurité ? Face à un mouvement jugé insurrectionnel par le Gouvernement, priorité avait alors été donnée à la protection des institutions, au risque de ne pouvoir freiner des débordements dans d'autres zones. Cette analyse est-elle toujours juste ? Le 16 mars, la protection des institutions a-t-elle prévalu sur celle des biens et des personnes ?
M. Benoît Barret. - Il y avait effectivement, le 16 mars, une crispation des policiers face à la campagne médiatique dont ils avaient été l'objet. La mise au point politique intervenue depuis fut donc bienvenue. Nous espérons des changements concrets.
S'agissant du matériel de maintien de l'ordre, madame de la Gontrie, notre administration et notre équipementier connaissent le coût des achats nécessaires. Pensez qu'un collègue doit être CRS ou appartenir à une unité de maintien de l'ordre pour être autorisé à commander un équipement de protection sur la plateforme d'achats de la police nationale ! En d'autres termes, depuis des semaines, des policiers de la sécurité publique sont affectés à la surveillance de manifestations violentes sans être équipés du matériel nécessaire au maintien de l'ordre. C'est un scandale !
Nous serions très favorables, monsieur Marc, à la systématisation des retours d'expérience, malheureusement inexistants dans la police. Depuis les récentes annonces du ministre de l'intérieur, les policiers s'autorisent davantage de contacts avec les casseurs. Nous attendions une telle prise de position. D'ailleurs, le dispositif de maintien de l'ordre fut, le 23 mars, bien plus efficace.
M. Yvan Assioma. - Le nouveau préfet de police de Paris a pris ses fonctions depuis si peu de temps qu'il est délicat d'évoquer encore le moindre changement. Nous aimerions, quoi qu'il en soit, être associés à la définition du dispositif de maintien de l'ordre à l'occasion des grandes manifestations. Nous nous attendons à des changements de doctrine et de méthode.
Monsieur Marc, les retours d'expérience apparaissent nécessaires pour améliorer le système. Pourtant, ils ne sont organisés qu'au sein des unités constituées. Dans ce cadre, les drones pourraient effectivement s'avérer un outil utile. Quatre d'entre eux, dotés d'une autonomie de vol de trente minutes chacun, ont été utilisés le 23 mars.
M. Alain Marc. - Il faudrait collationner leurs images !
M. Yvan Assioma. - Les mouvements des forces de l'ordre s'appuient déjà sur les vidéos. Lors des manifestations, deux centres de commandement, respectivement rattachés à la DSPAP et à la DOPC, sont mobilisés. Il existe une conférence radio par division, c'est-à-dire une par zone, pour le maintien de l'ordre public. À la tête de chaque division se trouve un chef d'état-major. En parallèle, la DOPC met également en place des conférences. Mais le dialogue entre les deux centres de commandement s'avère - hélas ! - insuffisant.
M. Yvan Cavallero. - Les retours d'expérience existent dans les compagnies de CRS. Nous n'avons pas été associés, madame Jourda, aux travaux du groupe de réflexion sur la doctrine installé par M. Castaner. Si elle venait à être réformée, il apparaît nécessaire de permettre aux forces de sécurité d'entrer davantage en contact avec les casseurs, à rebours des positions du Défenseur des droits, afin de s'adapter à leurs méthodes. Nous ne réalisons pas d'exercice en commun avec les DAR, ce qui ne facilite effectivement pas, madame Deromedi, la complémentarité des unités sur le terrain. Selon moi, le 16 mars marque cependant davantage l'échec des décideurs que celui des forces de l'ordre. La protection des institutions, consommatrice d'effectifs, représente effectivement une priorité - en province, nous protégeons ainsi systématiquement les préfectures.
M. Philippe Bas, président. - Il aurait fallu davantage de forces de l'ordre sur les Champs-Élysées le 16 mars.
M. Yvan Cavallero. - Il aurait alors été possible de neutraliser l'avenue.
M. Benoît Barret. - Vous avez évoqué, madame Lherbier, le renseignement. En province, le renseignement territorial ne fonctionne pas : nos collègues rédigent des notes, largement amendées, mais rarement transmises au niveau central. Nous souhaitons donc la création d'une direction coordonnée et autonome du renseignement. L'appartenance du renseignement territorial à la direction de la sécurité publique représente une aberration ! De fait, les uns et les autres ne partagent pas toujours les mêmes objectifs et certains préfèrent éviter de créer des remous pour favoriser leur carrière.
M. Philippe Bas, président. - De tels comportements n'existent pas que dans la police...
M. François Grosdidier. - L'information initialement transmise par vos collègues du renseignement territorial est-elle traçable ?
M. Benoît Barret. - Hélas ! Non, c'est impossible !
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie.
Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de la FSMI-FO
M. Philippe Bas, président. - Nous recevons maintenant les représentants du syndicat Unité SGP Police FO.
Messieurs, dans le cadre de nos travaux sur les moyens mis en place pour faire face aux nouveaux actes de violence et de vandalisme commis à Paris, nous entendons naturellement les autorités politiques et administratives responsables, mais nous souhaitons aussi avoir un retour du terrain pour mieux comprendre ce qui s'est passé. Nous savons que nos forces de l'ordre sont soumises à rude épreuve et elles doivent être soutenues.
M. Yves Lefebvre, secrétaire général du syndicat Unité SGP Police FO et de la FSMI-FO. - Soyons clairs ! Le 16 mars a été une catastrophe. Les collègues policiers et gendarmes n'ont pas failli, mais il y a eu de graves défaillances en ce qui concerne les ordres. Nous avons vécu un nouveau 1er décembre avec des Champs-Élysées mis à feu et à sang. Dès le soir du 1er décembre, nous avions pourtant alerté nos tutelles, jusqu'au ministre de l'intérieur, sur le fait qu'il ne fallait pas revivre une telle chose ; nous avions d'ailleurs été écoutés.
Ainsi, le 8 décembre a été une forme de victoire pour la République, puisque les casseurs ont reculé. Les dégâts matériels ont été conséquents, peut-être davantage que ceux du 1er décembre, mais la police est allée au contact et a été réactive.
Depuis lors, les phénomènes de casse ont été relativement limités et seuls quelques événements spécifiques peuvent être signalés - les médias s'en sont fait l'écho. Nous avions pourtant la crainte que nos donneurs d'ordre pensent que ce qui s'était passé le 1er décembre ne se reproduirait pas. Notre crainte était fondée !
Pour le 16 mars, beaucoup d'indicateurs, notamment sur les réseaux sociaux, montraient que la journée serait difficile. Je note déjà que l'utilisation de moyens de communication cryptés, comme WhatsApp ou Telegram, rend le travail des services de renseignement compliqué. Il faudrait pouvoir faire cesser cela.
Le 16 mars, nous avons constaté un manque de réactivité de nos autorités et des décisions anormales. Par exemple, nous avons été alertés, au milieu de cette journée, que deux unités de brigade anticriminalité départementales étaient certes en alerte, mais cantonnées en région parisienne, à Bobigny et à Créteil. Or pendant ce temps et à quelques kilomètres de là, des collègues étaient passés à tabac. Ces unités ont voulu apporter leur aide, mais on leur a dit de ne pas bouger. La préfecture de police disait que ces unités allaient être employées, mais cela n'a pas été le cas. Il est tout de même affligeant de constater que nous disposions d'une capacité d'action d'environ 70 personnes expérimentées et qu'elle n'a pas été utilisée. Cette décision est honteuse !
M. Philippe Bas, président. - Pourquoi n'ont-ils pas été appelés en renfort ?
M. Yves Lefebvre. - Tout est lié à la mise en place, sur Paris, des DAR, les détachements d'action rapide, qu'on peut rapprocher d'une certaine façon des « voltigeurs » qui existaient du temps de Charles Pasqua. Ces unités, au nombre d'une trentaine environ, avaient pour vocation de procéder à des interpellations. Seules huit ont été effectivement employées, les autres ayant été utilisées pour faire de la gestion de foule, mission qui revient pourtant, selon la doctrine, aux unités de forces mobiles.
Lorsque nous nous sommes interrogés, il nous a été répondu qu'à Paris la seule personne qui donne des ordres, c'est le préfet de police. Et on peut dire qu'il y a une forme de chape de plomb sur l'emploi des forces.
Depuis plusieurs années, nous demandons que les responsables des forces mobiles, CRS ou gendarmes, soient associés à la préparation, à l'élaboration et à l'utilisation effective des forces de maintien de l'ordre à Paris. Nous n'avons jamais obtenu satisfaction, sauf pour le 8 décembre. Qui plus est, ces responsables ne sont informés que très tardivement des modalités d'emploi, ce qui est inacceptable.
Plusieurs exemples, notamment durant les manifestations contre la loi El Khomri, nous ont montré très clairement les signes de la déliquescence du système.
Pour revenir aux DAR, il était clair que ce qui était demandé à nos collègues contribuait plutôt à pourrir la situation qu'à l'assainir. Il n'y a jamais eu d'incident avec les spécialistes du maintien de l'ordre que sont les CRS ou les escadrons de gendarmes mobiles. Il aurait fallu « coller » aux unités de forces mobiles des unités dédiées à l'interpellation, mais le préfet de police et le directeur de la sécurité publique de l'agglomération parisienne ont trop mis l'accent sur les aspects judiciaires. Or le maintien de l'ordre doit se décliner en trois temps : le pré-service ; la gestion de foule ; l'interpellation et la judiciarisation.
Nous avons ainsi abouti à une situation de non-retour le 16 mars au soir. En revanche, nous estimons que, le 23 mars, c'est la République qui a gagné. Tout avait été revu : les responsables des unités de forces mobiles avaient été associés à la préparation de la journée, des brigades de répression de l'action violente, les BRAV, ont été adossées aux unités des forces mobiles, etc.
Je dois dire que ces derniers temps nous avons vraiment été écoutés par notre ministre de tutelle et nous nous en félicitons.
M. Grégory Joron, secrétaire national d'Unité SGP Police FO en charge des CRS. - Il faut d'abord rappeler que le nombre de manifestations encadrées à Paris chaque année est très important et que tout se passe très bien dans la grande majorité des cas. Les difficultés sont apparues depuis quelques années - je pense notamment aux incidents qui ont eu lieu en 2013 au Trocadéro à la suite d'une victoire du PSG - et nous avons bien vu que la préfecture de police ne réussissait pas du tout à anticiper les problèmes lors de ce type de manifestations. La préfecture de police a vraiment eu le plus grand mal à changer son « logiciel », alors qu'il était évidemment nécessaire de l'adapter.
De fait, nous avons assisté à une forme de tétanie de la part de la préfecture de police et les ordres avaient du mal à être pris et à redescendre sur le terrain. Les effets de cette lenteur dans la prise de décision, de cette latence, ont été immédiats et préjudiciables pour tout le monde, les citoyens comme les forces de l'ordre.
M. Philippe Bas, président. - Comment expliquez-vous cette latence ?
M. Grégory Joron. - Par la peur de prendre la mauvaise décision ! Souvent, les décisions de manoeuvre ne sont prises qu'au dernier moment, quand les événements se précipitent et qu'il faut absolument intervenir.
Je me souviens qu'au moment des manifestations contre la loi El Khomri nous demandions les mêmes choses qu'aujourd'hui. La stratégie de l'évitement a longtemps été la règle, mais elle n'est pas toujours suffisante. Il faut donc prévoir d'autres modes d'action, qui sont mis en oeuvre en cas de besoin, mais dans ces situations, les forces utilisées doivent parfaitement maîtriser les techniques.
Mme Brigitte Lherbier. - À la suite de l'attentat au Bataclan, nous avions constaté qu'il avait fallu du temps pour prendre les décisions. Comment ce constat s'est-il ensuite traduit dans les procédures ou l'organisation des services ?
M. Yves Lefebvre. - À l'époque, nous n'avons pas été consultés. Des conséquences ont quand même été tirées en ce qui concerne les unités de première intervention. Comme vous le savez, au moment du Bataclan, le RAID était disponible, mais il ne relève pas de l'autorité de la préfecture de police de Paris. Le seul décideur était le préfet de police, seul habilité à déclencher la BRI, brigade de recherche et d'intervention, seule compétente sur le territoire de l'agglomération parisienne. C'était dramatique et lié en fait à une histoire de pré carré ! Nous avons assisté à la même situation ubuesque au moment de l'Hypercacher, puisque le magasin était situé juste en dehors des limites de Paris.
Ce sont bien des histoires de pré carré, je le répète, qui reflètent aussi une forme de « guerre » entre la direction générale de la police nationale et celle de la gendarmerie nationale. Tout cela manque en tout cas de cohérence.
J'entends dire depuis toujours qu'il faut s'attaquer à la « principauté » de la préfecture de police, car elle est trop déconnectée des autres organisations, mais aucun responsable politique n'a eu le courage de le faire ! J'ose espérer que la feuille de route donnée au nouveau préfet de police permettra d'apporter des réponses adéquates. Il ne s'agit pas de banaliser la préfecture de police, mais de remplir l'objectif essentiel de sécurité des personnes et des biens.
Le 16 mars, nous avons assisté au phénomène de latence, dont parlait Grégory Joron, qui est due à une certaine fébrilité et à un manque de capacité à prendre des décisions.
Au sujet des LBD, nous sommes tout à fait d'accord pour utiliser d'autres outils de maintien de l'ordre, si tant est qu'ils nous soient fournis... Mais je remarque que, le 16 mars, une unité qui disposait habituellement d'une dizaine de LBD n'en avait que trois. Qui plus est, pas moins de quatre instructions étaient nécessaires avant qu'un collègue puisse en faire usage : une pour épauler, une pour viser, une pour déclencher la caméra, une pour tirer !
M. François Grosdidier. - Sauf en cas de légitime défense ?
M. Yves Lefebvre. - Ce n'était pas clairement prévu !
Très peu de tirs ont finalement eu lieu, alors même que, sur le terrain, une horde sanguinaire était là pour détruire et tuer du flic. En fait, les décideurs de la préfecture de police ont eu peur du qu'en-dira-t-on et des polémiques sur le LBD ou sur les DAR. Cela explique que les DAR ont été cachés ce jour-là !
En termes de stratégie, il faut savoir que les manoeuvres employées par les CRS et par les gendarmes mobiles et leurs règles de déplacement sont différentes. Il faut évidemment tenir compte de cet élément, quand on organise le dispositif, ce qui n'a pas été le cas le 1er décembre !
Le 16 mars, les douze compagnies républicaines de sécurité ont tiré, en tout et pour tout, trois grenades de gaz lacrymogène, tout simplement parce que le risque potentiel a été mal apprécié par la préfecture de police.
Les gendarmes mobiles sont spécialistes dans des situations de bloc à bloc, et les CRS le sont sur d'autres aspects du maintien de l'ordre, notamment lorsque les casseurs sont mobiles. Il aurait évidemment fallu que ce type d'élément soit pris en compte dans les décisions de positionnement et de manoeuvre.
La dangerosité du 16 mars a été mal appréciée en amont.
M. Philippe Bas, président. - On nous dit que les services de renseignement sont plus efficaces qu'auparavant. Est-ce vrai ?
M. Yves Lefebvre. - Oui ! D'ailleurs, les services de renseignement ont transmis des éléments et les capacités d'information et d'interpellation existent bien.
M. Philippe Bas, président. - Était-il alors possible d'anticiper sur ces événements ?
M. Yves Lefebvre. - Absolument !
Dans un département de province, un préfet consulte et décline le dispositif après avis des responsables des forces de maintien de l'ordre, mais dans la « principauté » de la préfecture de police de Paris, tout se décide en interne. Peut-être aurait-il aussi fallu que le locataire de la place Beauvau sente que les informations que lui transmettait le préfet de police n'étaient pas bonnes. Je le redis, le schéma d'organisation du maintien de l'ordre ne relève à Paris que du préfet de police.
M. Philippe Bas. - Vous avez relevé que lors des semaines ayant suivi le 1er décembre, les samedis avaient été plus calmes. Est-ce à dire que la pratique du maintien de l'ordre était alors tombée dans une sorte de routine, ne s'attendant plus à de mauvaises surprises ?
M. Yves Lefebvre. - Une forme d'accoutumance avait pu se développer, sans oublier la fatigue et les heures supplémentaires accumulées par nos collègues sur tous les autres dispositifs qui continuent à devoir être assurés dans le cadre de leurs missions traditionnelles. Le renforcement en effectifs des compagnies républicaines de sécurité est une revendication constante - nous l'avons encore récemment réitérée auprès du ministre de l'intérieur - mais nous ne sommes pas entendus. Il manque pourtant aujourd'hui 1 000 fonctionnaires CRS et on ne nous annonce que l'affectation programmée de 200, à peine, pour solde de tout compte... Nous aurions besoin de décisions politiques fermes et courageuses.
Mme Catherine Di Folco. - Je comprends de vos propos que l'arrivée de black blocs, bien qu'annoncée, n'avait pas été suffisamment anticipée dans l'élaboration du dispositif de maintien de l'ordre.
M. Yves Lefebvre. - Je vous le confirme.
M. Philippe Bas. - Et le 23 mars, c'est un peu l'inverse : on anticipe leur venue mais ils ne se déplacent pas... Le nouveau dispositif prévu aurait-il, selon vous, permis d'y faire face ? La décision de ne pas laisser se former d'attroupements - pour ne pas avoir à les disperser - est-elle efficace ?
M. Grégory Joron. - Sans remettre en cause le maintien de l'ordre à la française et notre attachement à une proportionnalité de la réponse, il faut en effet être plus proactif, aller au contact le plus tôt possible, face à des groupes violents qui veulent de toutes façons casser la distance avec les forces de l'ordre et qui sont équipées pour résister aux lacrymogènes. Il faut s'adapter aux nouvelles stratégies de troubles, c'est ce que nous n'avons pas su faire. Attendre que les groupes se forment, sachant qu'on ne pourra les tenir à distance, c'est simplement retarder le moment auquel nos collègues seront exposés aux violences. Autant, donc, traiter le problème à la source.
Mme Marie Mercier. - Face au constat de ces dysfonctionnements majeurs dans la chaîne hiérarchique de commandement, le Premier ministre propose de renforcer l'autonomie des forces de terrain, qu'en pensez-vous ?
M. Henri Leroy. - Il ressort de vos propos que le principal problème vient bien de l'inadéquation des ordres avec la situation du terrain, qui ne permet ni d'être efficace, ni d'éviter la casse. J'en conclus que le Gouvernement a eu raison de demander le départ du préfet de police de Paris...
M. Grégory Joron. - Concernant un renforcement de l'autonomie, il ne peut qu'être utile de réduire la latence entre remontées des problèmes du terrain et décisions en salle de commandement. Il n'y a que des avantages à donner plus de responsabilité et de latitude à des personnels formés et très spécialisés qui devraient pouvoir manoeuvrer à leur guise sans attendre le feu vert tardif de leur hiérarchie.
Concernant le préfet de police de Paris, on a limogé un homme, mais pour résoudre le problème, c'est bien le système de maintien de l'ordre qu'il faut changer. J'espère que nous avons été entendus, mais il s'agit par exemple notamment de cesser de mélanger les forces sans les sectoriser et d'améliorer la coordination.
M. Henri Leroy. - Dans nos départements, un officier des forces de l'ordre est présent pour conseiller le préfet lorsqu'il coordonne ces opérations, est-ce à dire que ce n'est pas le cas à Paris ?
M. Yves Lefebvre. - À Paris, le préfet de police dispose de deux salles de commandement, celle de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) et celle de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), et il est assisté de leurs directeurs respectifs.
M. Philippe Bas. - Il a été fait état de difficultés concrètes dans la communication, notamment par radio entre différentes unités de police. Comment les résoudre ?
M. Grégory Joron. - Là encore, la situation est largement perfectible, nous réclamons de meilleures formations des personnels. Sous la forme d'exercices grandeur nature, elles n'existent actuellement que pour le risque terroriste, mais pas pour le maintien de l'ordre, et elles permettraient d'associer tous les acteurs de la préfecture de police de Paris, pompiers inclus.
M. Philippe Bas. - Merci de votre précieuse contribution à nos réflexions.
Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de l'UNSA
M. Philippe Bas, président. - Nous avons souhaité, par cette audition - et avant de recevoir demain et la semaine prochaine les directeurs généraux et les ministres responsables des opérations de maintien de l'ordre - avoir votre éclairage franc et concret sur les violences des manifestations du 16 mars et sur les conséquences opérationnelles pour le maintien de l'ordre qui en ont été tirées, ou qui devraient l'être.
M. David Michaux, secrétaire national CRS, UNSA Police. - La manifestation du 16 mars a été, de notre point de vue, un fiasco total : manque de préparation, absence de professionnels du maintien de l'ordre sur l'ensemble du dispositif, positionnements aberrants des personnels aux dépens du rétablissement de l'ordre...
Alors même que, dès le matin, étaient rapidement constatés d'importants débordements, la réaction n'a été ni immédiate ni proportionnée, et les moyens ont été utilisés à mauvais escient - je pense aux gaz lacrymogènes alors que les conditions de vent n'étaient pas favorables. Nous aurions eu les moyens de prévenir ces dégradations si les forces de l'ordre avaient été mieux utilisées, et notamment si l'on nous avait laissé procéder à des interpellations - ce que nous savons aussi faire, à côté de notre mission de maintien de l'ordre - au lieu de laisser le terrain aux casseurs.
Nous déplorons ainsi l'impréparation et l'absence de contrôles préventifs suffisants pour détecter les individus dangereux, alors que nous savons mettre en place de tels dispositifs, comme pendant les manifestations liées à la « loi travail ». Jamais un tel échec n'aurait dû se produire.
M. Nicolas Pucheu, délégué départemental adjoint préfecture de police, UNSA Police. - Je partage pleinement cette analyse. J'ajoute que le maintien de l'ordre et la doctrine d'emploi des forces restent en France très politisés, j'en veux pour preuve la décision de sanctuariser certains édifices publics, qui cantonne les forces de l'ordre à certaines missions statiques, aux dépens de la protection des commerces et des particuliers.
En termes d'effectifs, il manque 1 000 CRS en France, nous le dénonçons de façon récurrente. Compte tenu de cette contrainte, la décision de donner la priorité à tel ou tel objectif reste éminemment politique.
N'oublions pas également le contexte : les forces
de l'ordre abordaient le samedi 16 mars en pleine polémique sur la
proportionnalité de la force et sur l'usage des LBD. Cela a
dissuadé un grand nombre de nos collègues de faire usage des
armes de force intermédiaire
- et 228 tirs seulement ont
été recensés ce jour-là sur la capitale, contre des
milliers chaque samedi précédent. Ces outils ont pourtant
précisément pour but, à l'origine, de préserver au
mieux l'intégrité physique tant des forces de l'ordre que des
manifestants : auparavant, c'était à coups de matraque - de
« tonfa » - que nous allions au contact, et les blessures
occasionnées n'étaient pas moins graves. Considérons bien
le tableau d'ensemble pour évaluer la pertinence du recours ces moyens
utiles au maintien de l'ordre : 17 personnes éborgnées,
certes - et même un seul blessé, c'est déjà un
de trop - mais au regard de près de 15 000 tirs de LBD !
Inutile donc de diaboliser les LBD, sauf à paralyser, comme ce samedi
16 mars, l'action des forces de l'ordre.
Concernant la coordination entre police et gendarmerie, nous relevons qu'elles dépendent d'autorités distinctes, et de réseaux radio différents, ce qui rend difficile le commandement à distance par des opérateurs qui ont du mal à évaluer la situation. Nous réclamons, à cet égard, la mise en place de PC de commandement sur le terrain.
Concernant l'absence de filtrage en amont, il est indéniable qu'elle a facilité la venue de manifestants porteurs d'armes par destination, ne revendiquant d'ailleurs rien, si ce n'est de se livrer à des violences et à des dégradations.
M. Claude Fourcaulx, secrétaire national de l'Union des officiers UNSA. - Je vous remercie sincèrement de nous donner l'occasion de nous exprimer. Ces évènements du 16 mars font écho à ce qui s'est produit le 16 mars 2015 à Francfort lors de l'inauguration du siège de la Banque centrale européenne (BCE). Je crois que la doctrine de maintien de l'ordre de la police allemande n'est pas si différente de la nôtre. À l'époque, j'étais référent à l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) et, à ce titre, il nous fallait gérer un flux d'informations venant de nos collègues européens. Les forces de l'ordre allemandes ont concédé un abandon de terrain face à cinq à six mille black blocs arrivés par train de toute l'Europe, car ils manquaient d'armes à létalité réduite. Les individus qui font partie des black blocs viennent de partout. Ont été diffusées en boucle des images de deux commissariats incendiés et de 15 véhicules polizei brûlés. J'en parle car je considère que c'est un symbole : à travers les forces de l'ordre, c'est l'État qui est visé. Quand on incendie des véhicules de police, c'est un peu de l'État qu'on brûle aussi. Même si l'Allemagne est un État fédéral, où on se sent peut-être moins concerné par ce qui se passe ailleurs dans le pays, ces évènements de 2015 ont eu un impact. Ces images sont moins connues en France mais elles ont été largement relayées en Allemagne. À Paris, une même situation d'abandon de terrain a tout de suite eu un retentissement national, voire international. Si on décide de lâcher du terrain, pour ne pas aller au contact, il faut assumer politiquement ces images qui donnent le sentiment de battre en retraite. Je ne pense pas qu'il faille revoir notre doctrine de maintien de l'ordre, qui est reconnue internationalement, en revanche on pourrait la « réhabiller ». Les blacks blocs ne vont pas disparaitre en un mois. On a devant nous des années de guérillas urbaines à l'occasion de mouvements sociaux. L'administration policière connait l'existence de ces groupuscules qui viennent s'exercer sur notre territoire, mais avec lesquels des individus français vont aussi s'aguerrir à l'étranger lorsqu'ils se déplacent. Il faut qu'on soit en ordre de bataille et coordonnés. Je trouve aberrant que nous n'ayons pas un PC opérationnel sur le terrain. C'est sur le terrain qu'on sent la situation, pas dans une salle derrière cinquante écrans. Si vous ne donnez pas les ordres rapidement, la situation vous échappe. Ce n'est pas la qualité technique de notre expertise qui est en cause, car je le répète notre expertise du maintien de l'ordre est reconnue. C'est aussi une facette de la démocratie : nous pouvons manifester dans notre pays, même de manière virulente, sans qu'il y ait beaucoup de blessés.
M. Philippe Bas, président. - Il est indispensable d'avoir ce type d'échanges, directs, et votre remontée du terrain nous permet de bien comprendre la situation. On ne peut pas se contenter du discours officiel des autorités.
Mme Brigitte Lherbier. - On vit une période de lutte intense contre le terrorisme. Le manque de contrôles préventifs et l'absence de fouilles systématiques des manifestants me rendent perplexe. On ne sait pas qui peut se glisser parmi les manifestants. Que se passerait-il si un terroriste se glissait dans cette foule ?
Mme Catherine Di Folco. - Des compagnies sont cantonnées à garder des pierres, alors qu'elles sont opérationnelles pour aller au contact ou être mobiles. Quel regard portez-vous sur la décision prise le week-end dernier d'affecter des militaires à la surveillance de bâtiments ? Cela a-t-il permis de libérer des personnes formées à aller au contact ?
M. Henri Leroy. - Je voudrais apporter une précision essentielle : il y a trop de politiques qui interviennent dans une situation qui devrait être technique. Si le dispositif n'a pas été jugé efficace, c'est parce que vous n'avez pas reçu assez d'ordres et trop de politiques sont intervenus : vous me confirmez que c'est bien ce que vous avez voulu dire ?
M. Alain Marc. - Il y a eu au départ beaucoup de bienveillance de la part des Français pour ce mouvement des « gilets jaunes ». Je disais récemment au ministre de l'intérieur que si la démocratie a un prix, elle peut aussi avoir un coût. La démocratie n'est pas pour autant discutable. La doctrine de contact a malheureusement reculé depuis quelques mois, à la suite de consignes politiques. Le politique a attendu que l'opinion se retourne avant d'agir durement. Pensez-vous que cette doctrine sera stabilisée pour un moment ?
M. Claude Fourcaulx. - La question de Mme Lherbier à propos du risque terroriste est très pertinente. Quand nous parlons de PC opérationnel, on ne vise pas que le maintien de l'ordre mais aussi la sécurité. Dans le cadre de futures manifestations importantes, on pourrait imaginer un bus de commandement présent sur le terrain avec des relais de la direction du renseignement de la préfecture de police et de la DGSI, de même qu'avec des personnes disposant d'un accès aux fichiers pour savoir qui on interpelle ou qui est présent. On peut aujourd'hui transporter ponctuellement ces entités sur le terrain, mais cela pourrait se généraliser. Devant l'Assemblée nationale, j'avais proposé d'aller plus loin en organisant un déport de la chaine pénale sur le terrain : pourquoi pas des magistrats, des procureurs et des avocats sur le terrain ? Pour que nos adversaires sentent la présence de la République, il faut que la chaîne pénale dans sa globalité soit plus présente sur le terrain, tout en respectant bien entendu les libertés individuelles. Une présence complète d'un PC opérationnel sur le terrain serait une première avancée : on y gagnerait collectivement. Derrière des écrans, on ne peut pas sentir les choses de la même manière que sur le terrain ; on dispose certes d'informations nombreuses, mais on ne peut pas percevoir en temps réel comment évolue l'état d'esprit des manifestants.
M. Nicolas Pucheu. - La menace terroriste est d'actualité. C'est un miracle qu'il n'y ait pas eu d'attentat lors de cet épisode des « gilets jaunes ». Quand je parle de coordination, au-delà de la coordination entre les services de police et de gendarmerie, il faut aussi intégrer les services de renseignement aux dispositifs de maintien de l'ordre.
M. Claude Fourcaulx. - D'autant que les services de renseignement disposent de la capacité d'interroger les fichiers spécialisés. Il me semble préférable de prévoir la présence sur le terrain de ceux qui sont habilités à consulter les fichiers spécialisés que de se poser la question d'une extension de l'accès aux fichiers.
M. David Michaux. - Les forces de l'ordre ont conscience du risque terroriste. Les débordements dans le cadre des manifestations ont fait que cet aspect a été mis de côté. On aurait pu sécuriser bien davantage les Champs-Élysées : le dispositif de piétonisation de l'avenue des Champs-Élysées est un dispositif que l'on maîtrise. On se demande vraiment pourquoi il n'a pas été appliqué. On espère que ce dysfonctionnement sur la prise en compte du risque terroriste dans le maintien de l'ordre sera résolu.
Mme Brigitte Lherbier. - Je trouve que c'est très parisien comme raisonnement. Dans le nord, la proximité avec la frontière fait qu'on a vraiment en tête la menace terroriste. Étrangement, lors de nos auditions sur les évènements du 16 mars, personne n'a parlé de cette menace.
M. Claude Fourcaulx. - Pour répondre à Mme Di Folco sur le recours à l'armée, en tant que policier, je suis gêné. Il y a une confusion des genres que ce soit vis-à-vis des citoyens, mais aussi vis-à-vis des intéressés, puisque le chef d'État-major des armées ne semblait pas non plus informé de ce qu'on lui demandait exactement de faire. Je suis un ancien officier de réserve et je peux vous assurer qu'il y a des métiers dans l'armée qu'on ne connait pas. Les militaires ne disposent pas d'armes avec une létalité réduite, ils n'ont pas d'armes avec des balles en caoutchouc. Les militaires ne demandent pas aux policiers de remplir des missions militaires, nous ne demandons pas aux militaires de remplir des missions de police. Il y a d'autres moyens : on peut enlever les CRS, qui sont des forces mobiles, de ce genre de mission. On peut imaginer des systèmes d'astreinte, ou solliciter ponctuellement des policiers de région parisienne. Recourir à des militaires me gêne en revanche beaucoup.
M. David Michaux. - On a la GS75, c'est-à-dire la garde statique parisienne, par laquelle sont gardés des institutions comme l'Élysée, Matignon ou l'Assemblée nationale. Ce dispositif n'a pas été levé le 16 mars : ce sont bien des compagnies républicaines de sécurité qui ont gardé les points statiques stratégiques et pas les hommes de l'opération « Sentinelle ». La sanctuarisation n'a pas été levée. Un dispositif allégé de gendarmes a bien été maintenu.
M. Nicolas Pucheu. - Sur le fait que les missions de maintien de l'ordre sont trop politisées, on se trouve dans un équilibre précaire. On se demande s'il n'y a pas un souhait de l'exécutif de décrédibiliser le mouvement en laissant pourrir la situation, c'est-à-dire en demandant aux forces de l'ordre d'intervenir, mais pas trop. Je tiens à souligner qu'en dix-neuf actes, malgré les violentes attaques subies, il n'y a pas eu un seul mort du fait des forces de l'ordre. Imaginez quelle serait la situation s'il y avait eu un drame. La prudence n'est pas que le fait des consignes politiques, elle est aussi un réflexe des forces de l'ordre elles-mêmes. Mais je partage quand même votre approche de la nécessité d'un rétablissement de l'ordre public. Force doit rester à la loi.
M. François Bonhomme. - Il y a eu des dysfonctionnements dans la chaîne de commandement et sur le recours aux armes de défense qui ont été volontairement minorées. Je me demande si le principal problème ne vient pas du manque d'acceptation par le politique de la prise de risque. On peut comprendre depuis « l'affaire Malik Oussekine » la réticence du pouvoir politique à recourir à la force. Mais il faut bien reconnaitre que la prise de risque est inhérente au maintien de l'ordre.
M. Nicolas Pucheu. - Certains samedis nous étions proches d'une prise de la Bastille et d'une situation insurrectionnelle. Le Gouvernement a peu de marge de manoeuvre, les décisions sont compliquées à prendre mais il n'empêche que ce sont les forces de l'ordre qui sont entre le marteau et l'enclume.
M. Claude Fourcaulx. - Dans les médias, on parle de prudence politique mais c'est de la République française dont il s'agit, et cela on l'entend peu. Nous ne sommes pas dans un pays qui ne respecte pas les droits de l'homme ou la liberté d'expression. La République française doit être respectée et les forces de l'ordre sont là pour cela, comme d'autres acteurs de la société.
M. Philippe Bas, président. - J'apprécie que vous l'exprimiez car c'est bien de cela qu'il s'agit, de notre capacité dans notre société à exprimer un désaccord sans susciter un déferlement de violences. Quand la ligne rouge est franchie, vous devez intervenir car vous êtes la police d'une République attachée à l'État de droit. Vous êtes une police républicaine. Quand nous parlons les uns et les autres de décisions politiques, nous ne contestons pas leur portée car il appartient bien au Gouvernement de décider que les lieux où s'exerce le pouvoir exécutif doivent être protégés. Le maintien de l'ordre doit se faire avec le souci de préserver la vie humaine. Cet équilibre fin et délicat est au coeur de votre métier et des décisions des autorités. Le 16 mars on a subi, sans être capable de réagir faute de décision pertinente, un déferlement de violences sur les Champs-Élysées. S'agissant de la manifestation du 1er décembre dernier, les ministres ont estimé que le dispositif n'avait pas été tenu en échec car les barrages dressés n'avaient pas été pris. Or l'un d'entre eux a été attaqué à six reprises, et à une occasion on a craint qu'il ne bascule. La critique est facile mais l'art est difficile. Nous mesurons tout cela et partageons votre sentiment.
M. David Michaux. - Le 1er décembre 2018, période d'élections professionnelles, j'étais en contact avec les compagnies engagées. Au moyen de la radio j'ai entendu hurler les collègues d'une compagnie qui protégeait l'Élysée car ils étaient en danger. Il aurait fallu leur envoyer des moyens matériels comme des bombes lacrymogènes car il n'y en avait pas sur le terrain. Nos collègues sacrifient leur vie personnelle. Seize compagnies ont été engagées lors de seize des dix-neuf week-ends de manifestations. Il nous faut du personnel, sinon nous ne tiendrons pas.
Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie
Colonel Louis-Mathieu Gaspari. - Le CFMG, conseil de la fonction militaire de la gendarmerie, est composé de représentants du corps social élus par leurs pairs. C'est un groupe de 75 militaires qui représentent les gendarmes dans leur pluralité. Le groupe de liaison est composé de 11 militaires habilités à répondre aux différentes sollicitations.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à une violence inouïe, inédite. Les manifestants n'hésitent plus à venir au contact pour en découdre. J'ai en tête l'exemple des deux gendarmes blessés sous l'Arc de Triomphe. Les images du boxeur s'en prenant à deux gendarmes ont fait le tour du monde. Nous vivons très mal les mises en cause de notre corps qui sont complètement infondées. Notre seul objectif est le respect de notre mission.
Major Franck Borde. - Les gendarmes mobiles sont fournisseurs de moyens sur le secteur de Paris. Paris est une ville difficile à sécuriser au quotidien, encore plus lors de manifestations. Les forces de l'ordre n'ont jamais la volonté de blesser lorsqu'elles partent en mission. Elles sont face à des personnes qui ne sont pas là pour revendiquer mais pour s'en prendre à l'État que nous représentons.
Je n'ai pas de jugement sur la manoeuvre telle qu'elle a été conçue, le 16 mars. Ce qui est certain c'est que lorsqu'on met de la mobilité et qu'on laisse agir les personnes les proches du terrain, cela fonctionne mieux.
M. Philippe Bas, président. - Cela n'est pas le cas aujourd'hui, les informations arrivent dans les salles d'opérations et sont traitées à partir d'écrans, ce qui paraît trop éloigné.
Major Franck Borde. - La conception de manoeuvre est, j'imagine, complexe à partir de caméras. Avec plus de souplesse, grâce à des chefs opérationnels présents sur le terrain, nous aurions peut-être un levier pour limiter les exactions.
M. Philippe Bas, président. - Ce que nous avons compris, c'est que le dispositif, qui compte tenu du nombre de sites à surveiller, nécessite une certaine centralisation, mais pourrait être corrigé par la sectorisation afin que les forces de l'ordre soient plus réactives.
Gendarme Grégory Rivière. - La difficulté a résulté du fait que le 16 mars dernier certains secteurs ont été sanctuarisés, comme le bas et le haut des Champs-Élysées, laissant la place à des exactions au centre de cette artère. Nous revendiquons des effectifs supplémentaires depuis une dizaine d'années. Nous avons perdu quinze escadrons, soit environ 2 000 personnes en deux ans, à l'occasion de la révision générale des politiques publiques. Il en est de même au sein de la police. Or nous devons être là tous les samedis et pas uniquement pour les manifestations de gilets jaunes.
Maréchal des Logis-chef Patrick Beccegato. - La sectorisation entre gendarmes et CRS avec un coordinateur auprès du préfet serait peut-être la solution.
Major Franck Borde. - Nous avons l'exemple de Notre-Dame des Landes, qui se situait en zone gendarmerie avec un commandement gendarmerie, ce qui a facilité les choses. À Paris, sont réunies des forces de l'ordre de nature différente, commandées par la préfecture de Paris avec des chaines de commandement différentes, ce qui engendre une perte de temps. Les gendarmes mobiles et les CRS ont l'habitude de travailler ensemble. En province, c'est souvent plus simple.
Mme Catherine Di Folco. - On savait que des black blocs viendraient le 16 mars. Comment s'y prépare-t-on ?
Gendarme Grégory Rivière. - Les samedis de manifestations ne se ressemblent pas. Certains samedis, les contrôles en amont dans les gares, sur les autoroutes ont bien fonctionné. Les manifestants ont une capacité d'adaptation, sont entrainés. Ils ont apporté du matériel pour nous attaquer sur les lieux des manifestations quelques jours avant le 16 mars. C'est pourquoi les contrôles n'ont pas été efficaces. Les services de renseignement ne s'étaient pas trompés sur le nombre de manifestants mais nous ignorions que ces derniers auraient tout ce matériel.
Mme Catherine Di Folco. - Il est difficile pour les forces de l'ordre de se préparer même lorsqu'elles sont informées ?
Adjudant-chef Erick Verfaillie. - Nous sommes confrontés à une menace nouvelle, les black blocs utilisent nos méthodes lorsque nous « projetons » des forces de l'ordre afin de récupérer un individu. Ils utilisent du matériel pour blesser. Nous rencontrons des problèmes avec les matériels qui arrivent en fin de vie comme nos VBRG, véhicules blindés à roues de la gendarmerie, qui datent des années 70 mais qui coutent 500 000 à 600 000 euros. Nos collègues ne sont pas en sécurité dans leurs véhicules dont la fermeture centralisée ne fonctionne plus.
Maréchal des Logis-chef Patrick Beccegato. - De surcroît le matériel est très utilisé, ce qui ne permet pas de les réparer. Il y a quelques années, on n'aurait pas imaginé que des véhicules seraient attaqués par des manifestants.
Major Franck Borde. - Nous avons également vraiment besoin des lanceurs de balle de défense (LBD) pour le maintien de l'ordre. Ces armes créent de la sécurité, car elles évitent le contact avec les manifestants, et donc les blessés et les blessés graves, de part et d'autre.
M. Philippe Bas, président. - Le Sénat a récemment rejeté une proposition de loi visant à les interdire.
M. Yves Détraigne. - Souvent, vous savez qu'il va y avoir de la casse, et vous savez plus ou moins qui sont les casseurs : ne peut-on pas les neutraliser en amont ?
Major Franck Borde. - Il faut dissocier les unités qui font du maintien de l'ordre, celles qui font de la police judiciaire et celles qui font du renseignement. Il y a des moyens de neutralisation en amont, peut-être que la loi ne nous permet pas aujourd'hui de les exploiter pleinement, et notamment d'éviter la présence des casseurs.
M. Yves Détraigne. - Avez-vous vu apparaître parmi les meneurs des personnes déjà connues des forces de sécurité ?
Adjudant-chef Erick Verfaillie. - La force des black blocs est de ne pas avoir de chef. Ils se donnent un point de rendez-vous, s'y retrouvent, et s'adaptent ensuite à la situation. Quand ils sont en position de force, ils cassent et pillent. Si la stratégie mise en place le 16 mars avait consisté à bloquer les Champs-Élysées, ils seraient allés casser ailleurs. Pour le travail en amont, nous pouvons faire des contrôles sur les véhicules, mais c'est difficile. La force des black blocs est également de se mêler aux autres, de se noyer dans une masse : les gilets jaunes, les zadistes... Ils ne viennent jamais au contact frontalement.
M. Philippe Bas, président. - Il peut paraître curieux d'être capable de prévoir que 1 500 ultra-violents vont venir et de ne pas pouvoir les identifier, et au moins en partie de les stopper en amont... La loi du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public permet de poursuivre des individus qui se préparent à commettre des actions violentes à l'occasion de manifestations... Mais cette loi ne semble pas servir à grand-chose. Il y a également la loi anti-casseurs, en cours d'examen par le Conseil constitutionnel : elle permettra au moins d'empêcher de manifester les individus ayant été identifiés comme participants à des actions violentes lors de manifestations ou donneurs d'ordre dans le cadre de ces actions. Ceux qui seraient interdits de manifestation pourraient également faire l'objet de poursuites judiciaires dans le cadre de la loi de 2010. Mais pouvez-vous nous expliquer comment si peu de personnes peuvent faire l'objet d'une action préventive ?
Gendarme Grégory Rivière. - Rien ne permet de les identifier lors des manifestations, car ils dissimulent leur visage. Pour les personnes identifiées, que peut-on faire : les faire pointer, plusieurs fois par jour pour être certains qu'ils ne montent pas à Paris ou ailleurs ? Ce qui fonctionne le mieux, c'est le bouclage avec contrôle systématique, mais pour cela il faut des effectifs importants, couplés avec des effectifs importants de maintien de l'ordre. Pour l'avenir, la piste de la reconnaissance faciale sur la vidéo est peut-être ce vers quoi nous évoluerons. Aujourd'hui nous sommes un peu démunis.
M. Philippe Bas, président. - Pour résumer, l'interception de messages liés à l'organisation d'actions violentes, l'interpellation de personnes lors des manifestations ou l'identification par des drones ne donnent pas actuellement de résultats suffisants ? À part ce filtrage, très consommateur de moyens humains.
Major Franck Borde. - Ce qui peut être une piste de progrès, c'est de judiciariser notre action en maintien de l'ordre. Il faut que les gens qui commettent des exactions soient sévèrement punis, eu égard à la finalité de ces actes : vouloir blesser gravement, voire tuer un fonctionnaire de police ou un militaire. Aujourd'hui ce n'est malheureusement pas le cas, il s'agit seulement de punitions pour participation à un attroupement illégal.
M. Philippe Bas, président. - Les gens ne sont poursuivis que sur ce dernier motif ?
Major Franck Borde. - Il est très difficile de judiciariser, car il est difficile d'identifier les personnes responsables.
Adjudant-chef Erick Verfaillie. - Dans 95 % des cas, les interpellations ont concerné des gilets jaunes qui ne couraient pas assez vite... Les black blocs sont entraînés pour s'extraire et ne pas se faire attraper. Pour ce qui est du renseignement, nous avons progressé, nous nous sommes adaptés, et nous avons des estimations assez justes. Il faut encore progresser. Mais il faut aussi garder à l'esprit qu'il n'y a pas eu un seul mort dû au maintien de l'ordre.
M. Philippe Bas, président. - Nous avons effectivement constaté que dans les choix stratégiques qui sont faits, la question de la préservation des vies humaines est prépondérante.
Gendarme Grégory Rivière. - N'oublions pas ce qui s'était passé à Gênes lors du G20, où un policier a dû procéder à un tir de sommation pour se protéger. Mais nous avons de moins en moins de moyens permettant de tenir à distance les manifestants. Ce qui nous amène à être en contact direct avec les manifestants, et augmente les risques de blessures dans nos rangs.
M. Philippe Bas, président. - Et quant à l'idée d'être associé en amont aux dispositifs, qui est revendiquée par vos collègues policiers ?
Major Franck Borde. - Oui. Les groupements tactiques de la gendarmerie (GTG) souhaitent effectivement cette association, pour avoir le temps de prendre les renseignements et de connaître le terrain. Ce serait un plus.
M. François Grosdidier. - Y a-t-il en province une association en amont ? À Paris vous cohabitez avec les CRS, qui ont d'autres manières de travailler : avez-vous des échanges, une doctrine partagée ? Pour les policiers, nous avons appris qu'il n'y avait pas d'unité du commandement opérationnel ; comment se passent les choses quand vous êtes sur le terrain ? Enfin au plan national, vous êtes les seuls à avoir des blindés, les policiers ont les lanceurs d'eau ; comment se coordonnent les moyens ?
Major Franck Borde. - La coordination est plus facile en dehors de Paris car elle est unique : il s'agit soit du commandement de police, soit du GTG. Et s'il y a des unités de police et de gendarmerie, elles sont placées sous le commandement opérationnel soit de la direction départementale de la sécurité publique (DDSP), soit du GTG. Mais il est compliqué pour les forces mobiles d'être associées aux réflexions en amont : il y a ici des pistes de progrès.
M. Philippe Bas, président. - C'est compliqué partout et c'est pire à Paris...
Major Franck Borde. - En gendarmerie, on arrive à détacher un colonel de groupement de gendarmerie mobile dans des groupements de gendarmerie départementale, car c'est interne à la gendarmerie.
Concernant la doctrine, les grands principes du maintien de l'ordre sont communs aux CRS et aux gendarmes mobiles. Les modes opératoires ne sont pas forcément les mêmes. Mais l'adaptabilité des forces fait que tout cela finit par fonctionner. Un entraînement commun de temps en temps nous permettrait de mieux connaître tous ces modes opératoires.
Adjudant-chef Erick Verfaillie. - Sur la coordination des moyens, cela ne pose pas nécessairement de problème, il faut seulement qu'ils soient utilisés avec des moyens humains adaptés : un véhicule blindé à roue de la gendarmerie (VBRG), par exemple, doit être accompagné d'un escadron formé. Nous n'utilisons pas les lanceurs d'eau, mais s'il y en a besoin, nous faisons appel à la police.
Major Franck Borde. - Tout le monde n'a pas besoin de tout avoir, ce serait contre-productif, concernant des moyens spécifiques. J'en profite pour signaler une réelle difficulté sur les VBRG : ils sont vieillissants et doivent être renouvelés.
M. Henri Leroy. - L'action à Notre-Dame-des-Landes a été menée par des unités de gendarmerie sous le commandement direct de leur chef. La situation était donc différente de celle de Paris où peu de chefs avaient une expérience en maintien de l'ordre.
Lorsque vous vous trouvez dans une situation préoccupante à Paris face à des black blocks ou à des casseurs vous n'agissez que sur ordre. Que pensez-vous justement de ces ordres ? Il s'agit souvent d'un non-dit de la part des commandants d'escadrons ou de pelotons.
M. Jean-Yves Leconte. - Face à la situation particulière que nous connaissons depuis plusieurs semaines, pensez-vous que les personnes qui sont envoyées sur le terrain sont suffisamment formées au maintien de l'ordre ?
Major Franck Borde. - Nous disposons d'un centre d'entraînement des forces à Saint-Astier où nous apprenons à intervenir d'initiative lorsque nous sommes face à des exactions. Nous savons le faire, nous le faisons en province, mais ne le faisons pas à Paris. Je ne saurais pas vous dire pourquoi.
M. Henri Leroy. - Les équipes légères d'intervention (ELI) n'interviennent pas ?
Major Franck Borde. - Elles n'existent plus. Du fait de la baisse des effectifs, nous disposons désormais de pelotons d'intervention au sein des escadrons. La manoeuvre d'intervention légère est désormais plus difficile à monter qu'elle ne l'était autrefois.
M. Philippe Bas, président. - Combien de gendarmes compte un escadron ?
Major Franck Borde. - Un escadron dispose d'un effectif global d'à peu près 110 personnes. Compte tenu des personnels indisponibles (vacances, formation, maladie...), nous pouvons compter sur 70 personnes en formation « alpha » et 54 personnes en formation « bravo », la plus utilisée en ce moment. L'utilisation des moyens humains sur plusieurs samedis de suite est en train de créer une bulle de jours de repos et de permissions qui doit être gérée dès aujourd'hui pour ne pas nous handicaper sur les missions à venir les mois prochains.
Gendarme Grégory Rivière. - Nous travaillons aujourd'hui en flux tendu, ce qui est préoccupant pour la formation. Les escadrons ne peuvent plus suivre les formations continues comme ils le faisaient régulièrement auparavant à Saint-Astier. La gendarmerie connaît actuellement un « papy-boom » qui l'amène à intégrer beaucoup de jeunes. Or, certains d'entre eux n'ont pas le temps d'être suffisamment formés avant d'être envoyés sur le terrain. C'est un réel problème. Lorsque vous employez 105 escadrons sur 109, comment voulez-vous qu'ils soient en formation en même temps ?
Major Franck Borde. - Nous disposions d'un socle de formation en gendarmerie mobile qui était excellent. L'emploi tendu des forces concourt effectivement à la baisse de son niveau.
M. Philippe Bas, président. - Malheureusement, lorsque la maison brûle, on ne se pose pas la question de la formation du pompier. On le fait intervenir.
Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de GENDXXI, association professionnelle des militaires de la gendarmerie
Mme Catherine Di Folco, présidente. - Monsieur Frédéric Lelouette, vous êtes président de l'association GENDXXI et je souhaiterais, dans un premier temps, avoir votre regard sur les évènements du 16 mars dernier. Quels ont été les dysfonctionnements ? Quels remèdes peut-on trouver face à ce malaise ?
M. Frédéric Lelouette, président de l'association GENDXXI. - L'association professionnelle nationale de militaires que je représente est uniquement composée de militaires d'active. Je suis moi-même gendarme mobile depuis 25 ans.
Le 16 mars dernier est une journée particulièrement noire pour nous, pour trois raisons. La première est que nous avons eu des blessés, comme tous les samedis depuis plusieurs semaines. On n'en parle pas trop mais ces blessés existent. Nous en avons eu presque une quinzaine sur l'escadron d'Auxerre. La deuxième raison est que plusieurs gendarmes ont directement été pris pour cible ce week-end-là. Des casseurs ont voulu les forcer à s'extraire de leur véhicule. La dernière raison est que nous avons le sentiment que nous aurions pu faire mieux en matière de protection des biens et personnes.
Je souligne le peu d'autonomie dont disposent les groupements tactiques de gendarmerie lors des manifestations, notamment à Paris.
M. Philippe Bas, président. - Comment aurait-on pu mieux anticiper ces évènements?
M. Frédéric Lelouette. - Beaucoup de forces sont mobilisées pour la protection de certains sites et monuments. C'est important mais cela accapare des effectifs. Il faut également améliorer la coordination des forces, en particulier à Paris. Nos chefs militaires ont très peu la main. Chaque unité est accompagnée d'un commissaire de police et c'est souvent lui qui se fait le relai des directives données par la préfecture de police. Cela prive le commandement de toute marge d'initiative, à l'échelle d'un escadron voire à celle d'un commandement de groupement qui gère plusieurs unités.
M. Philippe Bas, président. - Que pensez-vous du renseignement et des moyens d'identification des auteurs d'exactions lors des manifestations ?
M. Frédéric Lelouette. - Des progrès ont été faits depuis quelques semaines même si je pense qu'il nous manque encore des effectifs. Identifier les casseurs en amont des manifestations, notamment sur les réseaux sociaux, est bien entendu indispensable. Les contrôles et les interpellations en amont des évènements nous semblent également efficaces et indispensables.
M. Philippe Bas, président. - Ces dix-neuf dernières semaines de mobilisation intensive ont-elles, à votre connaissance, des conséquences sur le moral de vos collègues ?
M. Frédéric Lelouette. - Les gendarmes mobilisés sur le terrain sont assez éprouvés en ce moment compte tenu de leur charge de travail : non seulement ils sont engagés sur le terrain le week-end lors des manifestations de gilets jaunes, mais aussi toute la semaine, pour assurer les missions habituelles de la gendarmerie.
Le format des escadrons qui interviennent lors des manifestations a d'ailleurs dû été adapté en raison de la très grande mobilisation des forces. Ainsi, il s'agit principalement d'escadrons de trois pelotons d'une quinzaine de gendarmes. Ce type de format permet aux différents pelotons de ne pas être mobilisés tous les week-ends et d'intervenir à tour de rôle. En revanche, il ne permet pas de couvrir sur le terrain des zones suffisamment importantes et peut fragiliser en conséquence les unités de gendarmes mobiles. Le nombre de gendarmes mobilisés sur le terrain a toutefois été renforcé le samedi 23 mars avec l'engagement de quatre pelotons au lieu de trois les semaines précédentes.
Mme Catherine Di Folco. - Si les gendarmes étaient mobilisés en plus grand nombre le week-end dernier, en concluez-vous que cette journée de manifestation a été mieux préparée par les pouvoirs publics, ou plutôt qu'un effort supplémentaire a été consenti car vous anticipiez davantage de débordements ?
M. Frédéric Lelouette. - Effectivement je constate que les effectifs de gendarmes mobilisés le week-end dernier étaient plus importants que la semaine précédente, avec quatre pelotons mobilisés au lieu de trois. Cela a eu des conséquences opérationnelles très importantes, notamment sur ce que l'on appelle l'emprise au sol, c'est-à-dire la zone couverte par les gendarmes. Au total, ce sont trente escadrons de gendarmerie qui étaient mobilisés à Paris le samedi 23 mars.
Mme Catherine Di Folco. - Chacun a pu relever le caractère relativement calme dans lequel se sont déroulées les manifestations du 23 mars. Quelles sont les mesures qui ont permis ces améliorations selon vous ?
M. Frédéric Lelouette. - La principale explication réside selon moi dans l'absence d'appel organisé à venir commettre des dégradations dans la capitale. Une préparation plus approfondie en amont de la manifestation est aussi effectivement à mettre au crédit du bon déroulement de celle-ci. Cela a permis davantage d'efficacité et de réactivité des forces mobilisées en cas de difficultés, car les casseurs attendent d'être isolés pour agir, hypothèses qu'il faut prendre en compte dans la stratégie de maintien de l'ordre.
Mme Catherine Di Folco. - Quelles ont été les conséquences de l'interdiction de manifester dans certains périmètres à Paris et dans d'autres villes ? Cela a-t-il été efficace ou avez-vous constaté un phénomène de déport des violences dans d'autres lieux où les manifestations n'avaient pas été interdites ?
M. Frédéric Lelouette. - Je pense que c'était une mesure opportune à prendre. Les périmètres qui ont fait l'objet le samedi 23 mars dernier d'arrêtés d'interdiction de manifester correspondaient à des lieux emblématiques et des configurations géographiques difficiles à sécuriser, comme l'avenue des Champs-Élysées par exemple.
De plus, nous avons pu relever que s'ajoute aux participants habituels aux manifestations, la présence de plus en plus importante de badauds ou de touristes qui peuvent gêner la progression des forces mobiles, et même accroître la difficulté d'appréhender d'éventuels auteurs d'actes de violence, lorsque ceux-ci se dissimulent au milieu de différents types de population dont les intentions ne sont pas toujours aisément identifiables.
M. Philippe Bas, président. - Quel est l'état du matériel dont vous disposez ?
M. Frédéric Lelouette. - Il n'est pas excellent, malheureusement. Compte tenu des besoins accrus de ces derniers mois, à titre d'illustration, les flottes de véhicules sont toutes utilisées en même temps et, de ce fait, le temps consacré à la maintenance très réduit. De plus, les ateliers de réparation sont communs entre la gendarmerie et la police nationales ce qui conduit à leur saturation eu égard au nombre important de véhicules à contrôler ou à réparer. Dans mon unité par exemple, nous nous servons provisoirement de véhicules rendus disponibles ponctuellement par des unités intervenant en outre-mer.
D'autres problèmes plus techniques peuvent aussi se poser en matière d'équipement. Par exemple, à Paris, seules certaines catégories de radios peuvent être utilisées et nous ne les avons pas toujours à notre disposition, ce qui peut gêner la communication entre les unités mobilisées sur le terrain.
Mme Marie Mercier. - Avez-vous par ailleurs pu constater un changement dans le comportement des gilets jaunes lors des manifestations ? Certains de vos collègues ont fait état de la présence de gilets jaunes se munissant, lors des manifestations, d'armes par destination qu'ils auraient apportées ou trouvées sur place.
M. Philippe Bas, président. - N'existe-t-il pas en effet un risque que certains manifestants gilets jaunes se laissent entraîner par les mouvements de violence ?
M. Frédéric Lelouette. - Selon moi ces personnes ne peuvent pas être qualifiées de gilets jaunes ou de manifestants pacifiques, dès lors qu'elles ont pour but de commettre des actes de violence.
M. François-Noël Buffet. - À Paris, la stratégie de maintien de l'ordre a fait l'objet de quelques évolutions au gré des manifestations : au mois de décembre dernier, la préfecture de police a créé les DAR ou « détachement d'action rapide », remplacés depuis le samedi 23 mars par les BRAV, ou « brigades de répression de l'action violente ». Que pensez-vous de l'évolution de ce dispositif, l'estimez-vous pertinent ? Vos collègues ont-ils par ailleurs fait état d'un manque de coordination entre les différentes troupes et unités mobilisées sur le terrain ces derniers mois ou semaines ?
M. Frédéric Lelouette. - Je suis assez sceptique sur ces unités. Le dispositif peut être efficace mais certains points pourraient être améliorés. À titre d'illustration, les membres de ces détachements ne sont pas toujours aisément identifiables pour leurs collègues des forces de l'ordre, ce qui peut poser des problèmes lors des mouvements de foules. Ces équipes spécifiques d'intervention existent depuis peu et leurs membres ont été envoyés sur le terrain sans formation préalable. Ils sont désormais en train d'être progressivement formés au maintien de l'ordre, ce qui était vraiment nécessaire.
M. François-Noël Buffet. - Le contexte que vous décrivez peut certainement expliquer en partie des difficultés de coordination et d'information entre les unités mobilisées.
M. Frédéric Lelouette. - Ce que nous attendons en tant que gendarmes mobiles, c'est de comprendre ce que l'on fait. Ceux d'entre nous qui sont sans radio sur le terrain n'ont pas de vision d'ensemble des évènements. Il arrive aussi à ceux qui sont au-dessus dans la hiérarchie de faire exécuter les ordres qu'ils ont reçus sans pour autant les comprendre. La manoeuvre générale échappe au commandement. Nous voudrions que le commandement récupère l'autonomie nécessaire à la manoeuvre. Quel que soit le nom donné aux forces, l'important est d'avoir une bonne coordination et des ordres précis.
Mme Catherine Di Folco. - Et que pensez-vous du renfort de l'armée ?
M. Frédéric Lelouette. - C'est un très mauvais signal, un aveu de faiblesse. Ce que nous demandons depuis des années, c'est la re-création d'escadrons de gendarmerie mobile, au minimum 5, sachant que 15 de ces escadrons ont été supprimés en 2010-2011. Cela permettrait aux unités de tourner un peu moins outre-mer, ce qui pose des problèmes familiaux : il s'agit tout de même de partir quatre mois tous les neuf ou douze mois. L'augmentation des forces de gendarmerie mobile aura aussi un impact sur la police car nos escadrons, notamment outre-mer, fonctionnent aussi bien en zone police qu'en zone gendarmerie, les CRS ne se déplaçant pas outre-mer.
M. Philippe Bas, président. - Nous vous remercions de votre contribution.
Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de la CFDT
M. Philippe Bas, président. - Nous souhaitons connaître votre regard sur les dysfonctionnements et les défaillances qui ont eu lieu le samedi 16 mars à Paris, et les mettre en rapport avec les évènements du 1er décembre, toujours à Paris. Nous souhaitons connaître également votre appréciation sur la pertinence des mesures prises récemment par le Gouvernement, parmi lesquelles celle d'empêcher la tenue d'une manifestation illicite, afin d'éviter de se retrouver dans la situation de devoir disperser une telle manifestation.
M. Christophe Rouget, secrétaire général adjoint du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI-CFDT). - Il faut rappeler le contexte de l'acte XVIII : on a assisté à une évolution du maintien de l'ordre ces dernières années. Nous sommes passés de manifestations classiques à des manifestations risquant de dégénérer, et enfin à des émeutes et guérillas urbaines. Il y a une certaine radicalisation de personnes qui ont une stratégie précise et qui utilisent les réseaux sociaux et l'émotion suscitée par la couverture médiatique.
Ces paramètres doivent conditionner l'évolution du maintien de l'ordre. Or, nous payons l'absence de réflexion, depuis trente ans, des pouvoirs publics à ce sujet. Les effectifs ont beaucoup diminué avec la révision générale des politiques publiques (RGPP), les missions sont devenues plus génériques, avec une participation davantage à des missions de sécurité publique que de maintien de l'ordre. On a eu un manque d'investissement, notamment sur les véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG) qui ont plus de 45 ans. Plusieurs ministres ont affirmé la nécessité de revoir la doctrine du maintien de l'ordre, mais nous attendons toujours cette nouvelle doctrine. Pour nous, les améliorations s'articulent autour de trois axes.
Tout d'abord la prévention. Il faut développer le travail, en amont des manifestations, avec les services de renseignement territoriaux, mais aussi étrangers. Nous attendons beaucoup de la loi anti-casseurs. Elle devrait nous donner de nouveaux outils, qui nous permettront de sortir les individus les plus dangereux des manifestations. Il faut aussi des contrôles préventifs, qui avaient été très nombreux le 1er décembre, même si cela nous a valu de nombreuses critiques sur le nombre de personnes placées en garde à vue.
Ensuite, les améliorations doivent concerner la stratégie opérationnelle. Après l'affaire de Sivens, nous avons assisté à un retour en arrière s'agissant de la délégation de l'autorité civile, qui a été fortement réduite. Nous avons écrit au ministre pour l'étendre de nouveau. Cette délégation est trop limitée. Il faut que l'autorité civile puisse être sur le terrain, et pas uniquement dans une salle de commandement. Nous nous sommes aperçus, notamment à Paris, que certaines unités sur le terrain ne communiquaient pas. Il faut que le chef sur le secteur puisse parler au commandement, mais également à l'unité qui se trouve à 100 mètres. Les moyens radio doivent par ailleurs être renforcés, afin que toutes les unités mobilisées puissent parler entre elles. Nous avons donc aussi demandé une sectorisation, avec une vraie délégation sur le commandement local, ce qui permet une réactivité immédiate.
La mise en place de nouvelles sommations est aussi nécessaire. Les personnes qui ne sont pas habituées à manifester ne connaissent pas les sommations habituelles et n'y réagissent donc pas : il faudrait des moyens modernes, avec des sommations sonores ou visuelles.
Il serait bon d'avoir un entraînement commun des forces. Quand on sélectionne des joueurs de différentes équipes pour en constituer une nouvelle de haut niveau, cette dernière ne peut pas être performante si ses joueurs ne s'entraînent jamais ensemble !
Enfin, il nous faut progresser sur la judiciarisation. Nous avons de grandes difficultés à faire des procédures bien établies. La question n'est pas de faire ici la critique de la justice, mais nous constatons une grande hétérogénéité des condamnations sur le territoire : il y a de lourdes condamnations en province, c'est moins le cas à Paris. L'essentiel est de savoir comment judiciariser les individus violents, les casseurs. Nous avons fait des propositions visant à mettre des officiers de police judiciaire, voire des magistrats, sur le terrain. On doit favoriser le développement de cellules comme cela a été fait dans certains départements, qui travaillent en amont avec les cellules de renseignement, et après, dans le cadre des enquêtes. Cela s'est fait à Toulouse notamment. Ce sont des équipes habituées aux procédures et qui ont des résultats intéressants. Nous avons aussi demandé le développement des produits de marquage codés, c'est-à-dire des produits transparents constitués d'ADN synthétique, aujourd'hui utilisés notamment pour protéger les banques ou les véhicules de transport de fonds.
M. Philippe Bas, président. - Dire publiquement que vous disposez de ces moyens aurait un effet dissuasif. Le Gouvernement a indiqué qu'il allait faire évoluer les moyens, nous avons surtout retenu l'utilisation des drones. Ce produit de marquage fait-il partie de ces nouveaux moyens ?
M. Christophe Rouget. - Oui, ce sera en expérimentation. Mais il faut encore développer l'outil qui va permettre de viser les personnes afin de les identifier, et également former les effectifs. Nous avions proposé également l'utilisation de drones, pour apporter des images supplémentaires ou pour guider les effectifs.
Pour conclure, une nouvelle doctrine est nécessaire, car nous avons aujourd'hui des doctrines différentes pour les forces de police et de gendarmerie. Et sur ces évènements, qui durent et qui amènent à mobiliser des forces qui ne sont pas aguerries autant que les CRS par exemple, nous avons besoin d'un schéma d'intervention, et de formations à ce schéma. Il faut aussi des investissements. Nous avons déjà parlé de nouveaux VBRG, modernisés, et de lanceurs d'eau : ils ont un effet préventif et permettent de faire moins de blessés. On peut également envisager de mettre des agents lacrymogènes dans l'eau, c'est une possibilité à faire étudier.
Pour conclure, je crois que nous avons besoin d'une nouvelle doctrine d'emploi. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui nous avons un gros problème. Nous avons deux différentes doctrines d'emploi : une dans la police et une dans la gendarmerie. Lorsque sur ces évènements-là, nous avons des compagnies républicaines et des escadrons qui sont aguerris, qui sont habitués au maintien de l'ordre, ça ne pose pas de problème. Mais, lorsque vous êtes dans une situation qui est une situation extraordinaire, comme celle unique à laquelle nous sommes confrontés depuis quatre mois, on est obligé de faire appel à des policiers qui n'ont pas été préalablement formés pour cela. Le policier qui s'occupe de missions de sécurité du quotidien et auquel on dit « demain on te donne un flash ball et tu vas faire faire du maintien de l'ordre », n'est pas préparé et n'a pas la capacité de résilience. Nous avons besoin, comme on l'a fait pour le terrorisme, d'un schéma d'intervention : quelles sont les unités qui interviennent en premier ? À quel endroit du territoire ? Quelles sont celles qui interviennent en deuxième ? Il faut ensuite se demander quelles sont les formations idoines à mettre en place pour éviter de se retrouver dans des situations complexes.
Nous avons également besoin d'investissements. J'ai pris l'exemple auparavant des véhicules blindés. Nous avons fait à plusieurs reprises la proposition, devant le Parlement, d'utiliser de nouveaux véhicules blindés. Pourquoi ceux que l'on a n'avaient pas jusque-là été utilisés ? Parce qu'ils ressemblent à des chars d'assaut et que politiquement, c'est difficile de mettre des chars d'assaut au milieu des manifestants. Et, finalement, lorsqu'on a vu le ministre et qu'on lui a fait cette proposition, ça n'a pas posé de problème. Pourquoi ? Parce que le but des forces de l'ordre est de maintenir l'ordre en faisant le moins de blessés : le déploiement des blindés dans la rue a un effet de prévention et permet de réduire le nombre de blessés ; c'est très intéressant. En revanche, il nous faut des véhicules modernes, éventuellement mixtes aux deux forces pour réduire les coûts, qui soient des camions de type BRI, des 4x4 qui permettent d'aller plus vite et qui ne donnent pas une image de blindés. On a besoin aussi de lanceurs d'eau. Pourquoi ? Parce qu'on s'aperçoit que l'utilisation des lanceurs d'eau est efficace. De nombreux pays européens les utilisent, avec des différences : on comprend bien qu'en Finlande le lanceur d'eau soit plus utilisé qu'en Espagne : là où il fait froid envoyer de l'eau est plus efficace que là où il fait trente degrés. En tous cas, on a intérêt à acquérir des lanceurs d'eau de nouvelle génération et en plus grand nombre. Cet outil doit être plus utilisé sachant qu'on peut aussi peut-être mettre des « lacrymo » dans ces lanceurs d'eau.
Il nous faut donc une nouvelle doctrine et des investissements, sans parler des réformes des structures et de l'organisation des forces de sécurité.
M. Philippe Bas, président. - C'est un exposé très clair, très ordonné et très intéressant. Peut-être mes collègues ont-ils néanmoins des questions supplémentaires à vous poser.
Mme Muriel Jourda. - Oui, j'ai une question sur le groupe de réflexion mis en place par le ministère de l'intérieur afin de modifier la doctrine d'emploi du maintien de l'ordre, annoncé par le ministre en décembre. Vous disiez précédemment avoir échangé avec le ministre le 4 décembre, mais que pour autant vous n'y aviez pas été associés. J'aimerais donc que vous me précisiez à quoi précisément vous avez été associés. Je souhaiterais ensuite que vous nous précisiez ce que vous pensez devoir changer de cette doctrine d'emploi. Précédemment, nous avons en effet entendu un CRS dire que la doctrine d'emploi actuelle lui paraissait tout à fait adéquate, pour peu qu'on la mette en oeuvre.
M. Christophe Rouget. - Nous avons appris par la presse l'existence de ce groupe de réflexion. Nous avons indiqué au ministre qu'il ne nous paraissait pas pertinent de faire uniquement appel à de grands « flics » à l'âge de la retraite, mais qu'il fallait aussi s'appuyer sur des techniciens de terrain parce que le maintien de l'ordre a évolué. Nous avons fait la demande au ministre d'être associés au groupe de travail.
Jusqu'à présent, la doctrine d'emploi consistait à maintenir à distance les manifestants, même si l'on pouvait avoir des dégradations de biens. Le maintien de l'ordre à la française a toujours consisté à privilégier la protection de la personne quitte à ce qu'il y ait des dégradations. On est aujourd'hui dans un schéma nouveau, avec les chaînes d'info en continu. Lorsque l'on a un incendie, et quel que soit le gouvernement au pouvoir, les gens se retrouvent immergés dans ces images, ils ont le sentiment que la ville est détruite. Cela appelle une évolution. Le maintien de l'ordre à la française fonctionne lorsqu'on a des manifestations classiques, tenues par les services d'ordre des organisateurs. En revanche, lorsqu'on a à faire avec de la guérilla, car il s'agit bien d'une guérilla, nous sommes dans un schéma nouveau qui nécessite une doctrine d'emploi nouvelle. Aller au contact est une bonne chose, mais peut entraîner des blessés. Il nous faut professionnaliser les policiers qui interviennent exceptionnellement sur le maintien de l'ordre et les doter d'armes non létales. C'est cela qu'il faut changer : pas le maintien de l'ordre classique dans l'absolu, car dans les situations normales ce dernier a fait ses preuves, mais le maintien de l'ordre face à des situations extraordinaires, avec les black blocs et l'ultragauche.
Mme Catherine Di Folco. - Quel est votre regard sur l'arrivée de l'armée en renfort ?
M. Christophe Rouget. - Je crois que sur cette question on a eu souvent des débats politiciens. Il faut voir ce qui se passe sur le terrain. Il y a quelques semaines, on avait déjà eu un véhicule militaire brûlé sur les Champs-Élysées. Cela prouve bien que la force Sentinelle était déjà présente auparavant au coeur de Paris, lors des manifestations. Nous avons demandé, nous, les syndicats de police, que des militaires puissent nous remplacer sur des points statiques, de sorte à pouvoir dégager des unités pour l'intervention. Il ne s'agit en aucun cas de leur demander de faire du maintien de l'ordre. La force Sentinelle participe depuis longtemps à des missions. On a oublié aussi que les gendarmes aussi sont des militaires et que ça ne pose pas de problème. Certes, ils ont une formation spécialisée mais ils restent des militaires.
M. Philippe Bas, président. - On nous a dit justement que samedi dernier les points statiques qui avaient été protégés par des escadrons de CRS ont continué de l'être. Peut-être y a-t-il eu des soulagements, mais les points stratégiques n'ont pas été abandonnés.
M. Christophe Rouget. - Oui, bien sûr, les points stratégiques comme l'Assemblée, le Sénat, l'Élysée... ont continué à être protégés par nos forces.
M. Philippe Bas, président. - En quoi consistent alors exactement ces soulagements ?
M. Christophe Rouget. - Par exemple, vous avez cinq compagnies qui défendent habituellement l'Élysée. On va peut-être n'en mettre que deux, les militaires remplaçant temporairement les trois qui manquent. C'est juste une stratégie pour créer de la mobilité.
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie de vos explications encore une fois particulièrement claires et intéressantes.
La réunion est close à 19 heures.
Jeudi 28 mars 2019
- Présidence de M. Philippe Bas, président -
La réunion est ouverte à 10 h 55.
Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de M. Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale
M. Philippe Bas, président. - Nos concitoyens sont - comme nous- vivement préoccupés par les événements du 16 mars dernier. Ils résonnent d'autant plus fortement que la situation, après les dévastations du 1er décembre 2018, semblait se calmer un peu : la recrudescence de la violence le 16 mars a donc opéré un choc. Nos auditions du 4 décembre avaient porté sur la manière d'éviter à l'avenir ce que nous avions vécu le 1er décembre. Après le 16 mars, nous nous interrogeons sur la répétition des difficultés rencontrées pour contenir ces hordes de vandales, qui s'en sont pris aux personnes et aux biens sur les Champs-Élysées, et qui ont agressé vos hommes. Nous avons entendu, en commun avec la commission des affaires économiques, le ministre de l'économie et des finances, à propos de l'impact sur le commerce et le tourisme, ainsi que le ministre de l'intérieur et son secrétaire d'État. Après les mesures annoncées le lundi 18 mars par le Premier ministre, nous voulions comprendre la portée de celles-ci, évaluer leur efficacité.
Il a été notamment décidé qu'au lieu de disperser les attroupements, l'action viserait désormais à empêcher leur formation. Samedi dernier, il n'y a pas eu de nouvelles déprédations. Les forces de l'ordre ont eu l'occasion d'essayer la technique « à blanc », puisqu'il n'y a pas eu de déferlement de black blocs, et de tester en grandeur nature les manoeuvres. À Paris, je le rappelle, ce n'est pas la direction générale de la gendarmerie nationale qui conçoit ces dernières, mais elle participe à leur exécution par la mise à disposition de ses escadrons.
Nous souhaitons aussi entendre votre analyse des causes du désordre du 16 mars. Quelles améliorations sont encore possibles dans l'efficacité d'emploi des forces de l'ordre, pour faire face à une éventuelle répétition de tels événements ? Nous avons reçu hier les organisations syndicales de la police et, pour la gendarmerie, le Conseil de la fonction militaire et les associations professionnelles. Ces auditions ont été fort instructives, nos interlocuteurs nous ont fourni beaucoup d'éléments que nous ignorions.
Général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale. - Au-delà de la seule journée du 16 mars, je voudrais revenir sur la cinétique de la crise, et sur l'ambiance générale. À Paris c'est effectivement la police nationale qui est en première ligne, mais le mouvement des gilets jaunes est national et il a un biorythme particulier. En semaine, les mouvements sont constants, mais à présent très limités ; le samedi en revanche, certains acteurs font monter en pression un certain nombre de nos compatriotes. Il y a deux sociologies différentes. Hors de Paris, des personnes ont trouvé, grâce à ce mouvement, un lien social et une nouvelle vie. Les bars de village ont disparu, les ronds-points les ont remplacés. Les gens se sentent bien dans cette communauté, ils ne veulent pas la quitter, et quelles que soient les revendications, ils ont surtout envie de rester ensemble. Cela pose des problèmes dans la durée.
Le samedi, le problème est tout différent. On a observé au fil des semaines l'infiltration et l'ingérence de responsables de l'ultra-gauche et de l'ultra-droite, que l'on parvient maintenant à démasquer d'ailleurs, et dont l'influence fait émerger des « ultra-jaunes », mus initialement par des revendications personnelles, mais qui ont évolué vers une attitude plus active, car ils sont pris par un effet de meute. On vient manifester pacifiquement, puis on filme le spectacle de la casse... ou on y participe. Certains ont dit, devant la justice : « Je ne sais pas ce qui m'est arrivé ». Je les crois ! Ils ont été entraînés et n'avaient plus le discernement nécessaire sur les moyens d'exprimer leurs revendications. Ceux qui approuvent - ou ne désapprouvent pas - les violences sont des citoyens parfaitement insérés dans la société et ne sont pas violents par nature.
Le mouvement social des gilets jaunes se caractérise par l'horizontalité, il est spontané, improvisé, sans hiérarchie - quand une tête dépasse, elle est coupée !
Il s'entretient par les réseaux sociaux, se pérennise grâce à l'accompagnement exceptionnel que lui assurent les médias. Habituellement, une manifestation de 40 000 personnes n'intéresse pas les chaînes... Aujourd'hui elles en parlent 24 heures sur 24.
Autre caractéristique, sa durée : quatre mois, dix-neuf week-ends. Si la mobilisation a diminué, on ne voit pas, aujourd'hui, comment il pourrait refluer en deçà de 35 000 à 40 000 personnes. Le mouvement est dispersé, il touche Paris tous les week-ends, et la province, avec des foyers récurrents, comme à Bordeaux ou Toulouse, pendant un temps Caen et Rouen. Enfin, il est violent : à partir de revendications de fond, les premiers week-ends, on a glissé vers une idéologie anti-système, anti-tout, un combat contre la société. C'est un vrai sujet... Les revendications sont très hétérogènes, il est impossible d'y répondre !
Ce mouvement met à l'épreuve notre modèle de maintien de l'ordre, fondé sur la concentration de l'effort (or les rassemblements et les heurts se sont produits partout, jusqu'à La Réunion), sur la liberté d'action (l'adversaire prend l'initiative de nombreux rassemblements) et sur l'économie des moyens - l'engagement est maximal depuis quatre mois, entre 20 000 et 65 000 militaires engagés chaque semaine, 65 500 le 8 décembre, du jamais vu. La gendarmerie mobile a été engagée en permanence, avec des pointes à 105 ou 106 escadrons sur 108. C'est un changement opérationnel.
Cela nous a conduits à intensifier l'effort de renseignement en amont. Au début, on découvrait le phénomène ; à présent, on parvient à l'anticiper - les renseignements fournis par les services avant le 16 mars se sont d'ailleurs révélés exacts. Nous sommes devenus plus dynamiques, plus offensifs, avec 1 711 interpellations, 1 582 gardes à vue, en flagrant délit ou dans le cours des investigations ultérieures, et 4 193 infractions à la loi pénale. L'objectif est qu'aucun fait de délinquance ne demeure impuni. Car la violence a atteint un niveau extrême, comme lors de l'incendie du peloton d'autoroute de Narbonne : la veille, les auteurs buvaient le café avec les gendarmes ! Dans une bascule irrationnelle - car ce ne sont pas des casseurs natifs, ils sont insérés dans la société -, ils étaient pourtant prêts à brûler nos hommes !
Nous avons engagé la totalité de la palette des moyens. Des véhicules blindés de gendarmerie ont été déployés à Paris début décembre, comme auparavant à Notre-Dame des Landes, mais sous l'autorité civile du préfet de police qui détermine les moyens à employer. Des hélicoptères, depuis la mi-novembre, survolent les lieux de manifestation, retransmettant les images directement dans les postes de commandement, afin que l'autorité civile apprécie la situation et déplace les forces. La semaine dernière, des drones ont aussi été utilisés à Paris.
Cette crise nous a conduit aussi à réfléchir à la protection de nos hommes - car pas moins de 460 militaires ont été blessés, certains sévèrement, comme ce gendarme qui à Auxerre a eu la mâchoire cassée, avec 45 jours d'incapacité totale de travail : il portait pourtant une visière, ce qui donne une idée de la force avec laquelle le pavé a été projeté.
Cet événement et d'autres témoignent de la violence délibérée à l'encontre des forces de l'ordre, que je salue. Le 16 mars, quatre escadrons de gendarmerie étaient positionnés autour de l'Arc de Triomphe : dès 10 h 30 un assaut direct a été donné contre eux, les agresseurs ont même tenté d'emprunter un souterrain menant au monument, avec la volonté de reproduire les images vues en décembre. Il y avait des black blocs mais aussi des ultra-jaunes. N'importe qui peut être saisi par un phénomène de groupe et basculer dans la violence.
La conception de la manoeuvre, le 16 mars, ne relevait pas de ma responsabilité, nos 30 escadrons étaient mis à disposition du préfet de police. Ils avaient reçu leurs ordres la veille. La mobilisation avait été correctement évaluée, on a vu arriver quelques milliers de manifestants et des black blocs, comme annoncé. La gendarmerie mobile a été engagée en différents points de la capitale, car se déroulaient au même moment que la manifestation des gilets jaunes, la marche pour le climat et la marche contre les violences diverses. Ces deux dernières, déclarées, devaient être sécurisées.
On a dispersé les moyens en raison de la crainte de jonction des cortèges : les gilets jaunes voulaient en effet infiltrer la manifestation pour le climat, qui réunissait un nombre de manifestants bien supérieur. Cette contagion a été évitée, la manoeuvre a réussi. Aux Champs-Élysées, les escadrons étaient disposés autour de l'Arc de Triomphe et dans le bas de l'avenue, ces verrous étant destinés à éviter la dispersion des manifestants. Cela a réussi également, mais avec l'effet collatéral que l'on sait, car dans l'espace ainsi cloisonné, les manifestants ont eu une liberté d'action et ont commis des saccages.
La violence a été immédiate le 16 mars, alors que les autres semaines, les matinées étaient bon enfant, elles étaient le moment des retrouvailles à Paris ; puis au milieu de la journée on s'alimentait, en solide et en liquide ; la température montait, les fauteurs de troubles arrivaient, et cela crescendo jusqu'en fin de journée. Le 16 mars, d'emblée sont arrivés des gens venus pour casser. La violence a été immédiate, ce qui a créé la surprise. Les escadrons de l'Arc de Triomphe ont néanmoins rempli leur mission, au prix de 13 blessés, dont celui qui a eu la mâchoire fracturée. Nos hommes ont été très courageux face à ce déchaînement de violence. Songez qu'il a fallu les réapprovisionner en munitions, grenades lacrymogènes, F4, lanceurs de balles de défense (LBD) - pour lesquels nous utilisons partout les mêmes munitions, dites CTS. Il y a quatre LBD par escadron, et des LBD dans les pelotons de surveillance et d'intervention.
Nous avons été conduits à associer aux manoeuvres de maintien de l'ordre les forces de gendarmerie départementales : brigades, pelotons de surveillance et d'intervention mais aussi réservistes, jusqu'à 6 000 le 8 décembre. Je rends hommage à ceux-ci, car c'est grâce à eux que nous parvenons à exécuter nos missions, surtout dans ces circonstances.
M. Philippe Bas, président. - Parmi les casseurs, y a-t-il de purs délinquants, venus uniquement pour piller, ou ont-ils tous un objectif que je n'ose qualifier de politique : s'en prendre à un certain nombre de symboles ?
Général Richard Lizurey. - Des délinquants, fin décembre, venaient en fin de journée uniquement pour faire les magasins, pour piller. C'était bientôt Noël... Ceux-là ne cherchaient pas l'affrontement avec les forces de l'ordre, au contraire. Il y en a encore quelques-uns, mais on voit surtout des combattants anti-institutions, anti-société. Ils veulent casser l'image plus que la vitrine, comme au Fouquet's, qui représente une société de consommation... dans laquelle, au quotidien, ils sont à l'aise.
M. Philippe Bas, président. - Au plan national, le mouvement a fixé dans l'ensemble des territoires des forces qui ont dû être complétées par des réservistes, dites-vous. Le dispositif en a été rigidifié, d'importants moyens ont été absorbés sur tout le territoire ; dès lors, à Paris, il n'était pas possible d'atteindre tous les objectifs à la fois - c'est ce que j'ai compris de vos propos. Le 4 décembre, en audition, nous avions fait remarquer que les forces de l'ordre avaient été tenues en échec : les ministres nous ont répondu que non, qu'elles avaient rempli leurs objectifs. Autrement dit, protéger les pharmacies ou les voitures de luxe, ce n'était pas le premier objectif. Les pouvoirs publics constitutionnels devaient être gardés ; un barrage a été assailli à six reprises, il a failli être pris une fois. Vous dites pareillement que le 16 mars, un objectif était assigné, protéger l'Arc de Triomphe et maintenir des verrous en haut et au bas des Champs-Élysées pour éviter la dispersion. Ce qui se passe sur les Champs-Élysées relève des dommages collatéraux, car vous ne pouvez atteindre tous les objectifs à la fois.
Nos concitoyens ne voient pas les choses comme des professionnels ; pour eux, il y a eu un échec. Une femme et son enfant, après l'incendie de l'agence bancaire, auraient pu mourir... Ces auditions sont précieuses pour nous qui sommes les élus des Français, elles nous font percevoir de façon plus réaliste les difficultés.
Général Richard Lizurey. - Le maintien de l'ordre n'est pas une science exacte. Au vu des moyens, il faut définir une stratégie, des priorités : dispositif durci autour des institutions, avec des barre-ponts et des retenues ; effort sur certains points, comme l'Arc de Triomphe, dont on refusait qu'il puisse être souillé une seconde fois ...
M. Philippe Bas, président. - Que n'aurait-on pas dit si cela s'était produit !
Général Richard Lizurey. - Les objectifs prioritaires ont été remplis, mais il était impossible d'être présent dans toutes les rues de Paris. Si l'on veut éviter absolument que des poubelles ou des voitures soient brûlées, il faut, soit retirer toutes les poubelles et toutes les voitures, soit interdire et décider que l'on ne circule plus sans autorisation ; or, cela s'appelle la dictature... Je le répète, le mouvement des gilets jaunes est particulier : on se promène en famille, et d'un coup l'on revêt son gilet. Chacun a le droit de se promener ! Et sur quel motif arrêter les personnes : port de gilet d'une certaine couleur ? Il n'est pas possible de tout maîtriser en permanence. Mais les principaux objectifs assignés le 16 mars ont été tenus.
M. Philippe Bas, président. - Avec une limite au regard des attentes de nos concitoyens, émus par les violences. Si l'on voulait ajouter un autre objectif, éviter la casse aux Champs-Élysées, comment ferait-on ?
Général Richard Lizurey. - On interdit les attroupements et dès qu'un rassemblement se forme, on indique aux personnes qu'elles n'ont pas le droit d'être là, et l'on emploie la contravention ou l'expulsion.
M. Philippe Bas, président. - La réponse du Gouvernement c'est en substance que lorsque l'attroupement est formé, l'État ne sait plus comment faire, et qu'il faut par conséquent empêcher ces attroupements, donc interdire les manifestations. On interdit le rassemblement et on intervient s'il se forme - on demande donc aux forces de sécurité de prendre le problème à la racine.
Général Richard Lizurey. - Il existe un seuil technique. La situation est gérable pacifiquement si l'on a affaire à un groupe de 50 ou 60 personnes ; on peut encore distinguer entre le noir du black bloc, le jaune des gilets, les journalistes, les touristes (car il y a en a !). En revanche face à 150 ou 200 personnes, le dialogue n'est plus possible, le phénomène de groupe l'emporte.
Mme Brigitte Lherbier. - Vous avez mentionné les hélicoptères au service du renseignement. Il y a cinq ans lors d'émeutes urbaines, ils avaient été employés - ailleurs que dans une zone gendarmerie - et transmettaient de précieuses photographies. Avez-vous des photographies exploitables de casseurs ? Avez-vous sur ce point des échanges avec les services de renseignement, y compris sur les risques de terrorisme ? Dans le Nord, nous sommes attentifs à la question, car avons déjà connu des problèmes - la frontière est proche. Quels retours avez-vous sur les photographies ?
Général Richard Lizurey. - Les hélicoptères sont mis à disposition du préfet de police de Paris, ou des préfets de département. Je ne reçois pas les images, elles sont transmises directement à la préfecture de police, ainsi le préfet a la totalité des images, en temps réel et pour les archives. La préfecture de police a la main à 100% sur les hélicoptères à qui elle transmet ses instructions. Quant aux renseignements dont nous avons connaissance, ils sont immédiatement partagés entre la police et la gendarmerie, puisqu'ils sont ensemble « actionnaires » des services départementaux du renseignement territorial. Ceux-ci incluent d'ailleurs des gendarmes comme des policiers. Il y a bien une communauté du renseignement, avec un partage natif. Dans la partie haute du spectre, nous dialoguons aussi avec la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) - où sont détachés deux gendarmes de haut niveau, grâce à Laurent Nunez, qui a travaillé en ce sens dans ses anciennes fonctions au sein de cette direction. Cette arrivée de la gendarmerie à la DGSI a été une étape importante. Le partage du renseignement s'impose, puisqu'à la base, il s'agit de la même maison.
Mme Jacky Deromedi. - À la suite des événements du 16 mars, plusieurs syndicats de policiers et associations de gendarmes ont déploré une stratégie de maintien de l'ordre trop statique et une mauvaise répartition des ressources humaines à Paris. Le ministre de l'intérieur nous a confirmé que de nombreuses forces mobiles avaient été employées à la sécurisation des lieux de pouvoirs et, hier, on nous a donné le chiffre de 12 compagnies de CRS affectées à la sécurisation du palais de l'Élysée. Comment assurer la sécurité de ces lieux sans affaiblir les dispositifs de maintien de l'ordre ? Le recours aux forces armées constitue-t-il une solution viable à long terme ?
Général Richard Lizurey. - Depuis la mi-novembre, un dispositif statique est déployé pour protéger les bâtiments officiels, et c'est incontournable ! Les 12 unités de forces mobiles chargées de sécuriser l'Élysée sécurisaient en fait d'autres institutions, y compris l'Assemblée nationale et le Sénat. Elles couvraient une zone relativement vaste. Quel serait l'impact psychologique, tant en France qu'à l'international, si, en l'absence de tout dispositif de protection, des manifestants parvenaient jusqu'au palais de l'Élysée ?
Le 16 mars, la difficulté était liée à l'organisation de plusieurs manifestations sur une même journée, ce qui a entraîné une dispersion des moyens mobilisés sur Paris.
L'armée a été sollicitée pour opérer ces gardes statiques, sans contact avec le public. Mais elle avait été mise à contribution lors de l'opération de Notre-Dame-des-Landes et, dans le cadre du mouvement des gilets jaunes, elle a déjà été mobilisée en décembre - pour chacun des actes IV et V, 5 unités de force mobile ont été dégagées. Ce n'est donc pas une nouveauté, dès lors que ces forces armées continuent d'intervenir sur des missions autres que celle de maintien de l'ordre.
Mme Muriel Jourda. - Le Premier ministre a annoncé, la semaine dernière, la transformation des détachements d'action rapide - les DAR - en unités anti-casseurs, transformation qui s'accompagnerait d'un renforcement de leurs moyens. Alors que la doctrine française de maintien de l'ordre repose sur la spécialisation des forces, le fait de doter ces unités non spécialisées et non formées de prérogatives renforcées en matière de maintien de l'ordre ne crée-t-il pas une difficulté ? Le principe de telles unités a-t-il vocation à s'étendre au-delà de l'agglomération parisienne ?
Général Richard Lizurey. - La transformation des DAR en brigades de répression de l'action violente, ou BRAV, représente effectivement une évolution par rapport au principe de spécialisation des forces.
Toutefois, nous ne parlons pas tout à fait des mêmes missions. Ce dispositif a été instauré pour répondre à un besoin de mobilité, car les unités mobiles, dans le cadre de leur mission de maintien de l'ordre, disposent d'outils pour interpeller les individus au plus près. Mais, tenues de rester près de leur base, elles ne peuvent pas forcément intervenir pour un groupe de casseurs actif 300 ou 400 mètres plus loin. Sur Paris, des pelotons d'intervention de la Garde républicaine ont été mis à disposition dans la même perspective.
Se pose donc la question d'une formation adaptée permettant à ces unités de s'insérer dans un dispositif de maintien de l'ordre plus global. Nous ne revenons pas sur le principe de spécialisation, mais, dès lors que nous sommes contraints d'engager des forces qui ne sont pas des unités mobiles, nous devons procéder aux formations adéquates.
Les BRAV interviennent uniquement sur Paris ; ailleurs, on s'appuiera sur les sections de protection et d'intervention de quatrième génération de la police nationale, les SPI 4G, et sur les pelotons d'intervention des escadrons.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Quelle a été l'évolution de la mobilisation de vos forces depuis le 1er décembre ? Nous avons l'impression que les dates du 1er décembre et du 16 mars ont constitué des pics.
On a beaucoup parlé des blessures causées par les tirs de lanceur de balle de défense, les LBD. La gendarmerie est considérablement moins mise en cause que la police. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Les propos du ministre de l'intérieur, le changement de préfet de police de Paris et les remontées des syndicats en audition nous laissent penser qu'une difficulté a pu se poser, au sein de la police nationale, quant à la clarté du commandement. Ce ne semble pas être le cas pour la gendarmerie. Comment s'articule le commandement entre gendarmerie et police sur le terrain ?
Général Richard Lizurey. - Le 16 mars, 92 escadrons étaient à l'emploi, en incluant le socle des missions permanentes et des missions outre-mer. Le 8 décembre et le 23 mars, ils étaient 106, alors que le 17 novembre, nous avions commencé à 64 escadrons mobilisés. Les effectifs fluctuent selon l'analyse que nous faisons de la situation mais aussi parce que l'on ne peut pas durablement mobiliser 106 escadrons, sans s'exposer à des problèmes sociaux ou des difficultés budgétaires. Ma ligne rouge en la matière est fixée à 65 escadrons : en deçà de ce seuil, tout se passe normalement ; au-delà, c'est plus compliqué ! Dans le cadre du mouvement des gilets jaunes, cette ligne a été rapidement et durablement franchie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - En concluez-vous qu'une erreur d'interprétation a été commise le 16 mars ?
Général Richard Lizurey. - Non. Les forces mobilisées étaient suffisantes, au vu des éléments d'information dont nous disposions. À nouveau, c'est la dispersion, liée à la multiplication des manifestations parisiennes et à la nécessité de tenir la province, qui a posé problème.
Au sein de la gendarmerie, les tirs de LBD sont réalisés par un tireur formé, sous l'autorité d'un superviseur, et, si possible, couplés avec une prise vidéo, ce qui implique deux, voire trois intervenants.
On observe en fait que les forces spécialisées en maintien de l'ordre tirent beaucoup moins que celles qui ne le sont pas. La formation est donc un élément capital, permettant au fonctionnaire ou au militaire d'être en phase avec sa mission, d'être robuste et résilient. Or nous enregistrons actuellement de nombreuses annulations de stages au centre national d'entraînement de Saint-Astier en raison de la surmobilisation des forces. Ce pourrait être problématique à terme.
S'agissant de l'articulation du commandement, elle est relativement simple : la décision et la stratégie appartiennent à l'autorité civile, en l'occurrence le préfet ou son représentant ; la mise en oeuvre est du ressort du directeur départemental de la sécurité publique, du commandement de groupement ou du directeur de l'ordre public et de la circulation ; l'exécution est confiée au commandant d'escadron ou de CRS.
M. Philippe Bas, président. - D'après ce que l'on nous a expliqué, le nombre d'escadrons engagés serait plus important, mais les effectifs par escadron plus faibles.
Général Richard Lizurey. - C'est exact. Toutefois, certains de nos militaires n'avaient eu qu'un week-end de libre entre la mi-novembre et le début du mois de janvier. Il y a des récupérations en semaine, mais, depuis le début de l'année, nous avons aussi été très mobilisés pour assurer la sécurité des autorités politiques intervenant dans le cadre du grand débat et, les gendarmes ayant des conjoints qui travaillent en semaine, nous devons pouvoir les libérer le week-end si nous voulons avoir des cellules familiales harmonieuses.
M. Vincent Segouin. - La brasserie Fouquet's a été incendiée le 16 mars. Sauf erreur, seul un couple, qui se vantait sur internet d'avoir dérobé des objets, a été interpellé. Avec les moyens dont nous disposons aujourd'hui, pourquoi ne sommes-nous pas capables d'identifier les incendiaires et de les arrêter ? Sachant le ratio d'un effectif mobilisé pour un manifestant, je suis surpris du volume des dégradations constatées. Enfin, on évoque l'emploi de produits de marquage codés, dits PMC. Cela va-t-il changer la donne ?
M. Yves Détraigne. - Face aux événements des dernières semaines, qui, hélas, ne sont pas totalement terminés, avez-vous le sentiment qu'il vous a manqué quelque chose, sur le plan juridique ou matériel ? Avons-nous tous les outils pour faire face à de telles flambées de violence ? L'expérience vous conduirait-elle à envisager certaines évolutions ?
M. Pierre Frogier. - En décembre dernier, devant cette commission, le ministre de l'intérieur a évoqué la formation d'un groupe de travail conjoint du ministère de l'intérieur et du ministère de la justice pour examiner une possible révision des modalités de maintien de l'ordre. Pouvez-vous nous faire part de ses principales conclusions ? Envisagez-vous de revoir la doctrine française du maintien de l'ordre, consistant principalement à maintenir à distance les assaillants ?
Général Richard Lizurey. - L'enquête sur l'incendie du Fouquet's a été confiée à la police judiciaire de la préfecture de Paris, la PJPP. Un couple a effectivement été interpellé, mais sans débouché sur le plan judiciaire. D'ailleurs - c'est une remarque personnelle -, j'observe une certaine bienveillance, notamment de la part des médias, pour ces personnes qui jugent normal de prendre des choses appartenant à d'autres. Avec une telle asymétrie de l'appréciation portée par une sorte de tribunal médiatique, la situation n'en est que plus dure à gérer.
Peut-on identifier qui a mis le feu ? Le dispositif vidéo de la préfecture de police de Paris compte une centaine de caméras, mais ne couvre pas la totalité du champ. En outre, l'identification des auteurs de faits n'est pas forcément aisée dans un mouvement de foule, d'autant qu'ils sont souvent masqués, grimés ou cagoulés. Mais les services de police judiciaire sont très efficaces et sauront retrouver les auteurs. Dans l'affaire de l'incendie du peloton de Narbonne, il a fallu un mois avant que l'on puisse commencer à tirer un fil, mais par la suite une dizaine de personnes ont pu être identifiées.
Le ratio évoqué d'un effectif mobilisé pour un manifestant valait pour l'ensemble de la place parisienne. Mais, à nouveau, d'autres manifestations étaient organisées en dehors de la concentration sur les Champs-Élysées. Si le rapport de force global était équilibré, il n'en allait pas de même de la répartition des forces.
Les produits marquants codés (PMC) ne changeront peut-être pas la face du monde, mais ce sont des outils complémentaires, qui permettront d'identifier de manière plus précise les fauteurs de trouble, notamment en vue des procédures judiciaires. Au lieu de devoir interpeller immédiatement l'individu, on le filme et on le marque. Ce marquage, sur la peau et les vêtements, dure très longtemps. La bombe étant à usage unique, il permet une identification individuelle. La vaporisation peut se faire jusqu'à 5 ou 7 mètres.
La doctrine de maintien de l'ordre évolue régulièrement. Elle a évolué avec l'expérience de Notre-Dame-des-Landes et nous allons la revoir en nous appuyant sur celle que nous avons acquise avec le phénomène des gilets jaunes.
Cette révision ira-t-elle jusqu'à opter pour le contact avec les manifestants ? Je ne suis pas sûr que la société française soit prête à accepter certaines évolutions. Il faut, me semble-t-il, conserver le principe du maintien à distance, qui permet de limiter le nombre de blessés de part et d'autre.
Nous a-t-il manqué quelque chose ? Au fil des semaines, nous avons pu répondre aux événements. Sur le plan juridique, nous pouvons désormais dresser des contraventions et nous avions les outils juridiques pour pouvoir instaurer le dispositif de contrôle autour de Paris. Quant au matériel, il faut continuer à le faire évoluer, mais nous disposons des outils pour faire face.
M. Philippe Bas, président. - Pouvez-vous revenir un instant sur le problème de coordination entre unités de gendarmerie mobile et unités de CRS ? Aucun canal commun n'existerait en termes de communication...
Général Richard Lizurey. - À nouveau, sur la plaque parisienne, les ordres viennent de la préfecture de police et, sur le terrain, ce sont les commissaires de police qui donnent les directives aux escadrons. Ensuite, ceux-ci n'ont pas vocation à parler entre eux. Ce qui compte, c'est que l'autorité en charge du commandement puisse toucher les unités placées sous ses ordres et, sur la plaque parisienne, comme ailleurs, c'est le cas. S'agissant des moyens de transmission, les trois réseaux existants - Rubis de la gendarmerie nationale, Acropol de la police nationale et Antares des sapeurs-pompiers - disposent de passerelles techniques permettant de se parler, sachant que le ministère de l'intérieur travaille actuellement sur un réseau partagé.
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie. Nous allons désormais entendre le directeur général de la police nationale.
Moyens mis en place pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris - Audition de M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale
M. Philippe Bas, président. - Monsieur le directeur général, en décembre dernier, nous avons auditionné le ministre de l'intérieur, son secrétaire d'État et le préfet de police après les événements du 1er décembre à Paris, mais la gravité des événements du 16 mars nous ont poussés à reprendre une série d'auditions.
Après les événements du 1er décembre, nous espérions que tout était à peu près calé. Mais vous avez affaire à un mouvement extrêmement mobile et évolutif, et nous mesurons à quel point l'art est difficile en matière d'ordre public. Nous voulons donc y voir plus clair et apprécier les décisions récemment prises par le Gouvernement, notamment la mesure d'interdiction de manifester visant à éviter la formation d'attroupements dans certains quartiers.
Comment analysez-vous la situation du 16 mars et les mesures prises pour éviter la répétition de ce genre d'événements ?
M. Éric Morvan, directeur général de la police nationale. - Le rôle du directeur général de la police nationale est important. À la fixation du cadre général de l'action des forces de police en France, s'ajoutent la préparation du cadre juridique, la définition des éléments de doctrine et la gestion des moyens budgétaires et humains, en relation étroite avec le cabinet du ministre et la gendarmerie nationale.
Je précise que j'ai sous ma responsabilité le service central du renseignement territorial, le SCRT. Même si le mouvement des gilets jaunes est un mouvement en mutation, difficile à appréhender, ce service joue un rôle majeur en matière d'anticipation.
Au plan opérationnel, je suis associé à toutes les réunions, autour du ministre, pour préparer les différents événements. J'étais présent à la réunion ayant suivi le 1er décembre, pour tirer les enseignements des actes très graves qui avaient été commis à l'Arc de Triomphe. Il en est de même avant chaque samedi de manifestation.
J'ai aussi un rôle particulier, consistant à assurer la répartition des forces mobiles sur le territoire national, y compris à Paris.
Enfin, j'adresse chaque semaine des consignes générales à l'ensemble des directeurs centraux de la police nationale. En effet, toutes les directions contribuent à l'effort actuel, soit en termes de ressources humaines - les brigades de recherche et d'intervention de la police judiciaire, par exemple, ont été engagées pour prêter main forte aux unités de sécurité publique sur le terrain -, soit en raison de compétences particulières - c'est le cas de la police aux frontières pour l'emploi de drones. Ces consignes prennent en compte ce que nous avons appris des épisodes précédents et les informations remontant des services du renseignement territorial, ce qui nous conduit à réorienter l'allocation des forces ou à donner des instructions en termes de postures tactiques.
Le rôle opérationnel direct revient, à Paris, à la préfecture de police et, en province, aux préfets de zone. Ces derniers jouent au sein de leur zone un rôle d'allocation des forces, notamment pour les forces mobiles. Il me revient de répartir entre les préfets de zone les moyens, à charge pour eux de les allouer à chacun des préfets de département ou de police.
En raison de la viralité des mouvements en cours, nous sommes amenés à concentrer les forces mobiles dans certaines agglomérations, si bien que nombre de villes ne peuvent compter que sur les forces territoriales.
Durant les manifestations elles-mêmes, l'unité de coordination des forces mobiles qui dépend de moi peut aussi être amenée à réallouer les forces déjà mobilisées sur le territoire selon l'évolution de la situation.
Le samedi, nous avons en général trois visioconférences, à 11 h 30, 15 h 30 et 18 h 30 ; elles sont le plus souvent présidées par le ministre. Elles permettent l'échange des informations opérationnelles entre les différentes directions et les préfets de zone ; cet échange peut déboucher sur la réallocation de certaines forces en fonction de la configuration du moment.
Ce type de réallocation peut aussi être décidé à l'occasion de formes particulières du mouvement, comme les manifestations nocturnes qui ont été organisées à certaines dates.
M. Philippe Bas, président. - Nous souhaitons comprendre pourquoi la situation a été si critique le 16 mars sur les Champs-Élysées. La responsabilité en revient-elle à la distribution des moyens ?
M. Éric Morvan. - Il m'est évidemment difficile d'imputer des responsabilités...
Les services de renseignement avaient très correctement anticipé la physionomie des manifestations et la concentration des événements sur Paris. L'allocation des forces a été décidée en fonction de ces informations et environ quarante équipes de forces mobiles ont été mobilisées sur Paris.
Le maintien de l'ordre à Paris présente des difficultés particulières. Les enjeux y sont colossaux : si l'on peut imaginer, voire accepter, qu'une ville de province, même grande, soit bloquée quelques heures, ce serait inimaginable à Paris. Par ailleurs, chacun a perçu dans ce mouvement, notamment dans l'expression publique de certains de ses leaders, une désinhibition vis-à-vis des lieux de pouvoir et des attributs habituels de la République - je vous rappelle que les forces de l'ordre se sont battues aux abords du Sénat et de l'Assemblée nationale pour éviter des intrusions.
À Paris, une part significative des forces employées, entre neuf et douze sur la quarantaine disponible, est destinée à sécuriser le périmètre des institutions, en particulier ce qu'on appelle parfois le « triangle d'or » formé par le ministère de l'intérieur, l'Élysée et les ambassades des États-Unis et du Royaume-Uni. Je rappelle que, au début du mouvement, des manifestants ont pu remonter la rue du Faubourg Saint-Honoré et se sont approchés à environ 150 mètres de l'Élysée. La protection des lieux de pouvoir constitue une contrainte forte du maintien de l'ordre à Paris ; elle cristallise nécessairement des forces.
Les forces de l'opération Sentinelle n'ont d'ailleurs pas été utilisées pour la protection de ces lieux, mais plutôt pour celle de certaines ambassades. Il ne pouvait pas être question d'affecter des militaires à la protection de ce fameux « triangle d'or », car le dispositif dans cette zone est régulièrement « testé » par les manifestants.
En outre, la configuration de Paris est particulière : sécuriser l'avenue des Champs-Élysées requiert un nombre de forces important. J'insiste donc sur les différences qui peuvent exister en termes de maintien de l'ordre entre Paris et la province.
Le 16 mars, la préfecture de police disposait en tout cas du nombre de forces qu'elle avait demandé. Bien sûr, il est tentant de vouloir refaire le film après les événements, mais on peut tout de même penser que l'initiative et la mobilité ont manqué ce jour-là. Dès le début de la matinée, nous avons bien constaté que les personnes qui se regroupaient avaient des intentions hostiles. J'imagine aussi que la stratégie mise en place visait en partie à contenir les casseurs dans un périmètre précis, en l'occurrence les Champs-Élysées, pour éviter une trop grande dispersion dans Paris, comme cela a pu avoir lieu à d'autres occasions.
Je comprends le choix stratégique de concentrer ainsi les casseurs - cependant, on ne pouvait guère imaginer que la casse atteigne un tel niveau -, mais je comprends aussi qu'un tel choix n'est pas évident à appréhender.
M. Philippe Bas, président. - Pour bien comprendre, le choix de poser des verrous en bas et en haut des Champs-Élysées était selon vous rationnel, mais il impliquait une difficulté particulière, si l'on voulait éviter les abcès de fixation et maîtriser le déferlement de la violence.
M. Éric Morvan. - C'est effectivement l'enseignement que nous pouvons tirer de ces événements. C'est d'ailleurs à la suite de ce constat que l'interdiction de manifester sur les Champs-Élysées a été décidée ; c'est une décision qui est bienvenue, car elle permet notamment d'éviter tout début de concentration de groupes hostiles.
De manière générale, nous devons être conscients que l'ordre public n'est pas une science exacte. Il se situe toujours sur un chemin de crête - critiques sur une atteinte aux libertés, d'un côté, nécessités de garantir la sécurité et d'éviter des destructions, de l'autre - et ses modalités ne peuvent que fluctuer selon les circonstances.
Mme Brigitte Lherbier. - Combien de temps une telle pression peut-elle peser sur les forces de l'ordre ? Constatez-vous un phénomène d'usure, notamment psychologique ? Si oui, comment l'enrayer ?
M. Éric Morvan. - Je dirais volontiers que les choses n'ont déjà que trop duré ! La fatigue est évidente - chacun le reconnaît, y compris le ministre - et c'est un sujet de préoccupation, car elle amplifie le risque d'un mauvais geste. Il me semble que personne n'a intérêt à ce que la situation perdure ainsi.
Le mouvement a connu une mutation : nous ne sommes plus face aux personnes qui étaient sur les ronds-points ; des groupes opportunistes sont apparus, ils contestent les institutions, l'ordre républicain ou le capitalisme et s'en prennent à tous leurs symboles.
Mme Brigitte Lherbier. - Le mouvement des gilets jaunes existe quand même encore...
M. Éric Morvan. - Oui, mais une fraction s'est radicalisée. En outre, nous pouvons tous noter la passivité d'un certain nombre de manifestants devant les événements violents : beaucoup préfèrent filmer plutôt que d'aider à éteindre un début d'incendie ! Cette passivité me paraît coupable. Le mouvement n'obéit plus aux mêmes ressorts et on ne peut plus se permettre de distinguer, en cas d'incident, les manifestants actifs et passifs. Évidemment, certains manifestants restent sincères, mais la typologie globale a largement changé.
Pour le 16 mars, les services de renseignement avaient anticipé la concentration des manifestants à Paris, la volonté d'en découdre avec les forces de l'ordre et la montée d'éléments ultras venant de province - d'ailleurs, nous avons constaté très peu de manifestants dans des villes, où la contestation est habituellement forte comme Rennes ou Nantes.
M. Philippe Bas, président. - Ils sont montés à Paris !
M. Éric Morvan. - Pour revenir à la fatigue, oui, elle est réelle, tant pour les forces mobiles, CRS ou gendarmes, que pour les forces territoriales. En effet, les forces mobiles ont été concentrées dans les agglomérations qui sont « abonnées », si vous me permettez cette expression, aux violences - je ne pense pas seulement à Paris. De ce fait, les villes plus petites ne peuvent souvent compter que sur les forces territoriales, alors même que les manifestations se répètent presque toutes les semaines. Quelques symptômes, notamment en termes de nombre d'arrêts maladie, montrent cette fatigue et attirent notre attention, mais ils restent à un niveau bas pour l'instant.
M. Philippe Bas, président. - Vous avez décrit ces essaims de frelons qui se forment, notamment en provenance de l'ultra-gauche, venant de diverses villes de province. Pour le 23 mars, vous n'avez manifestement pas eu de signaux vous alertant d'une telle convergence. Finalement, plusieurs mois se sont écoulés entre les événements très violents du 1er décembre et ceux du 16 mars : pensez-vous que de tels événements peuvent se reproduire dans quelques semaines ou mois ?
Parmi les décisions prises à la suite du 16 mars, il me semble que la plus importante est sans doute celle de ne pas attendre que des abcès de fixation se soient constitués pour intervenir. C'est une décision préventive forte et vous espérez évidemment être plus efficaces en intervenant tôt. Cependant, ce nouveau mode d'action n'a pas encore été confronté à la réalité. Quels risques êtes-vous susceptibles d'assumer, si vous passez immédiatement à l'offensive en cas de convergence d'agresseurs ?
M. Éric Morvan. - Encore une fois, il faut distinguer Paris et la province. À Paris, il y a une culture, historique, de la position, plus que de la mobilité. Cela tient à différents facteurs : le nombre d'intérêts vitaux à protéger, l'habitude des organisateurs de manifestations de les déclarer, la présence de cortèges structurés et encadrés... Finalement, le maintien de l'ordre consistait principalement à délimiter le parcours pour éviter les accidents de circulation, à éviter les dérapages sur les flancs de la manifestation et à contrôler sa dispersion, moment toujours un peu compliqué. Cette posture, assez statique, était permise par le nombre de forces positionnées dans la capitale. Cette culture parisienne a été fragilisée par l'évolution récente des modes d'expression. En province, les schémas tactiques étaient traditionnellement plus dynamiques.
Mme Muriel Jourda. - Le Premier ministre a annoncé que les détachements d'action rapide (DAR) créés au mois de décembre par la préfecture de police allaient être transformés en des brigades de répression contre l'action violente, appelées BRAV, disposant de moyens d'action et d'interpellation renforcés. Or ces forces ne sont pas spécialisées dans le maintien de l'ordre, ce qui pourrait être contraire à la doctrine habituelle en la matière ; cela ne crée-t-il pas une difficulté ? Ce dispositif va-t-il être transposé en province, puisque beaucoup de villes connaissent finalement, vous l'avez dit, des phénomènes similaires à ceux que Paris a connus ?
M. Éric Morvan. - Le concept des DAR est en fait assez ancien, même si les acronymes ont varié... Il existe en province sous la forme des dispositifs mixtes de protection et d'interpellation (dits DMPI), qui sont étroitement articulés avec les forces mobiles. Les dispositifs sont constitués d'agents des compagnies d'intervention, des brigates anti-criminalité, etc. Ces unités participent très fréquemment à des opérations de maintien de l'ordre, même si cela ne constitue pas leur coeur de métier.
De ce point de vue, il existe, il est vrai, une différence entre la gendarmerie et la police. Dans la police, l'ordre public fait partie intégrante des missions des forces territoriales, alors que, dans la gendarmerie, la spécialisation est plus forte. La police n'a pas les moyens d'adopter une telle spécialisation, car elle doit davantage s'adapter aux événements. Nous avons d'ailleurs mis des outils en place pour gérer cette posture tactique, par exemple grâce à la coordination entre les zones de défense. En tout cas, les policiers du quotidien, si je peux les qualifier ainsi, sont régulièrement amenés à gérer des situations de maintien de l'ordre. La question qui se pose alors est celle de la formation : nos agents doivent être formés pour les missions qu'ils sont amenés à remplir.
Début janvier, le Premier ministre a annoncé l'actualisation du schéma national d'ordre public. Certains ont parlé d'une évolution de la doctrine, ce qui ne me semble pas être le cas. À mon sens, le principe de distanciation que nous utilisons est le bon ; d'ailleurs, de nombreuses délégations étrangères viennent en France l'étudier et s'y former. Nous ne devons pas avoir honte de notre doctrine et certains ont trop tendance à oublier les événements, parfois catastrophiques, qui ont eu lieu à l'occasion de certaines grandes réunions internationales - je pense par exemple au G8 de Gênes ou au G20 de Hambourg...
L'idée d'actualiser le schéma national d'ordre public est très intéressante, d'autant plus si cette actualisation permet une articulation avec le schéma national d'intervention des forces de sécurité qui a été adopté à la suite des attentats de 2015 et qui permet de définir le rôle de chacun en cas d'attaque terroriste. L'émergence des réseaux sociaux, la viralité des informations et les capacités de mobilisation qui en découlent ne peuvent que modifier les modèles anciens, qui s'appuyaient sur d'autres principes, notamment l'organisation des manifestations par des syndicats.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Il ne faut donc pas affaiblir les syndicats...
M. Éric Morvan. - Le changement de paradigme est évident : nous pouvons moins anticiper pour positionner les forces et les forces territoriales doivent être en capacité de contenir, dans un premier temps, une manifestation, ce qui a des conséquences sur la spécialisation.
M. Vincent Segouin. - Monsieur le directeur général, vous donnez l'impression que, le 16 mars, la mission a été remplie...
M. Éric Morvan. - Pas du tout ! Le 16 mars comme le 1er décembre, en particulier l'attaque de l'Arc de Triomphe, ont été des échecs.
M. Vincent Segouin. - J'ai compris que la priorité consistait à défendre des lieux stratégiques et à contenir les manifestants à un endroit, ce qui a été plutôt réussi, mais pas à protéger l'avenue des Champs-Élysées. Est-ce bien ce que le cahier des charges prévoyait ?
M. Éric Morvan. - Le cahier des charges ne prévoyait pas de laisser casser les Champs-Élysées !
M. Vincent Segouin. - On nous a expliqué que tout était très organisé, mais que les réseaux sociaux modifiaient la donne. Or il semble que l'organisation prévue correspondait à des manifestations d'un type ancien et que la nature des manifestations actuelles a profondément changé, notamment du fait de l'émergence de la jeunesse anarchiste.
M. Éric Morvan. - Nous assistons en effet à une mutation de l'expression contestataire : nous ne sommes plus face à des syndicats, mais face à des leaders de circonstances, ainsi qu'à une spontanéité et une viralité nouvelles. En outre, les médias, notamment ceux qui diffusent de l'information en continu, jouent un rôle grossissant. C'est pourquoi l'idée d'actualiser le schéma actuel est intéressante afin d'améliorer nos capacités de réaction.
Vous recevrez la semaine prochaine le nouveau préfet de police de Paris, il pourra aussi vous éclairer sur la manière dont les choses se sont passées à Bordeaux et sur les conclusions qu'il en a tirées. Je pense qu'il pourra vous confirmer qu'en tant que préfet il aurait eu besoin de l'ensemble des forces de sécurité disponibles sur le département, mais que le schéma actuel ne lui permettait pas de mobiliser les 1 800 gendarmes positionnés à l'extérieur de la métropole.
Nous devons donc mener une véritable réflexion sur la manière de bien articuler les forces de sécurité. Je ne défends pas une logique du « toujours plus » - je mets un peu à part les CRS, qui ont perdu des effectifs et dont la moyenne d'âge est la plus élevée parmi les directions de la police nationale, ce qui est assez contre-intuitif au regard de leurs missions... Une telle logique n'est sans doute pas utile et ne serait de toute façon soutenable ni budgétairement ni en termes de capacités de formation, mais nous devons mieux utiliser les ressources dont nous disposons.
M. Philippe Bas, président. - Je vous remercie.
La réunion est close à 13 h 20.