- Jeudi 28 mars 2019
- Économie, finances et fiscalité - Réforme du cadre européen applicable aux entreprises d'investissement : avis politique de MM. Claude Raynal et Jean-François Rapin
- Économie, finances et fiscalité - Enjeux de la réforme du système européen de surveillance financière : avis politique de MM. Claude Raynal et Jean-François Rapin
- Questions diverses
Jeudi 28 mars 2019
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 8 h 35.
Économie, finances et fiscalité - Réforme du cadre européen applicable aux entreprises d'investissement : avis politique de MM. Claude Raynal et Jean-François Rapin
M. Jean Bizet, président. - Je tiens tout d'abord à saluer les auditeurs de l'Institut du Sénat qui assistent à notre réunion.
Notre réunion sera aujourd'hui consacrée aux sujets bancaires et financiers. Il s'agit pour nous de tirer le bilan du processus de réforme engagé il y a un an et demi par la Commission européenne en ce domaine. D'une part, la Commission a proposé de revoir le cadre d'activité des entreprises d'investissement. La directive et le règlement proposés sont en voie d'être adoptés au Parlement européen le mois prochain. D'autre part, la Commission a proposé une refonte plus large du système européen de surveillance financière. Là aussi, la négociation touche à son terme puisqu'un compromis vient d'être trouvé en trilogue la semaine dernière.
Je regrette le manque d'information dont nous avons pâti tout au long de ces négociations : les notes diplomatiques de la Représentation permanente sur ces dossiers ne nous sont plus transmises comme elles l'étaient précédemment. J'en ai déjà saisi notre Représentant permanent fin 2018, sans effet à ce jour. Cette situation complique notre tâche de contrôle, sur ce dossier comme sur d'autres d'ailleurs, et il faut trouver comment y remédier.
C'est en effet un sujet important pour le fonctionnement des marchés de capitaux dans l'Union : il s'agit à la fois d'assurer l'efficacité et la stabilité de ces marchés mais aussi la loyauté des conditions dans lesquelles les opérateurs, européens comme étrangers, interviennent sur le marché européen. Cet objectif est particulièrement crucial à l'heure où le Royaume-Uni pourrait bien devenir un pays tiers pour l'Union européenne. Nous connaissons le poids du Royaume-Uni dans le secteur financier européen et nous savons aussi que sortir de l'Union signifie, pour les opérateurs financiers britanniques, la perte du passeport européen qui leur donne aujourd'hui accès au marché intérieur. L'enjeu est considérable et il ne faudrait pas que le Brexit occasionne une concurrence vers le bas entre les autorités nationales de surveillance financière des différents États membres, ni qu'il représente une opportunité pour contourner les règles européennes.
De ce point de vue, je ne peux manquer de rappeler que les Britanniques ne cachent pas leurs ambitions : en conclusion du séminaire de Chequers en juillet 2018, le gouvernement britannique a ouvertement plaidé pour trouver de nouveaux arrangements en matière de services et de numérique, qui permettent au Royaume-Uni d'appliquer ses propres règles et d'accroître ainsi sa compétitivité.
Je vais laisser la parole à nos deux rapporteurs, MM. Claude Raynal et Jean-François Rapin : les réformes qui se profilent sont-elles à la hauteur des enjeux dans le contexte du futur Brexit ? La souveraineté financière de l'Union sera-t-elle assurée ?
M. Claude Raynal, rapporteur. - On aurait pu s'attendre à ce que la période précédant les élections européennes soit calme. Il n'en est rien. Le Brexit n'y est évidemment pas étranger... Et la Commission européenne comme le Parlement ont la volonté d'avancer sur certains dossiers en discussion depuis longtemps.
Les entreprises d'investissement regroupent un ensemble d'acteurs non bancaires qui interviennent sur le marché du conseil et de la gestion de l'épargne et de l'investissement pour le compte de clients, entreprises et particuliers, ainsi que pour compte propre. Elles sont souvent en concurrence avec les banques pour la fourniture de leurs services et sont, avec ces dernières, des acteurs significatifs des marchés de capitaux. Il est donc important d'en assurer une régulation adaptée pour garantir un développement harmonieux des marchés financiers entre les différents acteurs.
Dans ce contexte, la Commission européenne a proposé en décembre 2017 une révision des règles prudentielles et de supervision applicables aux entreprises d'investissement. Son adoption est inscrite à la plénière d'avril prochain du Parlement européen. Cette révision, qui intervient dans le contexte du Brexit, emporte potentiellement de fortes conséquences pour le secteur financier européen. Les enjeux clés portent sur les conditions de simplification de la réglementation et, particulièrement, sur le traitement du régime de pays tiers.
Les entreprises d'investissement britanniques occupent une place prépondérante en Europe. Parmi les 6 000 entreprises d'investissement recensées par l'Autorité bancaire européenne (ABE), plus de 55 % sont situées au Royaume-Uni. Parmi les 2 780 entreprises d'investissement qui bénéficient du passeport européen, 75 % sont britanniques. Huit entreprises d'investissements basées au Royaume-Uni, pour la plupart des filiales de sociétés américaines, suisses ou japonaises, concentrent 80 % des actifs totaux du secteur européen. Dès lors que le Royaume-Uni devient un pays tiers pour l'Union européenne, les établissements qui y sont installés perdent le bénéfice du passeport européen. Il convient donc d'éviter une situation où les entreprises d'investissement basées dans un pays tiers bénéficieraient d'un accès au marché européen avec des exigences allégées par rapport aux entreprises d'investissement dont la maison mère est située au sein de l'Union.
Les entreprises d'investissement européennes sont actuellement soumises à un double régime. D'une part, leur cadre opérationnel est précisé par la directive sur les marchés d'instruments financiers MiFID et le règlement MiFIR. Ces textes recensent les neuf services et activités qui définissent une entreprise d'investissement au sein de l'Union européenne. Ces dernières constituent en conséquence un ensemble très hétérogène d'intermédiaires financiers allant du simple conseiller en investissement, au gestionnaire d'actifs en passant par le courtier... Le règlement MiFIR précise aussi le cadre du régime d'équivalence accordé aux régulateurs de pays tiers, les règles de bonne conduite applicables ainsi que les conditions d'octroi du passeport européen qui permet à une entreprise d'investissement autorisée dans un État membre de proposer les mêmes services dans tout autre État membre.
Les entreprises d'investissement sont, d'autre part, soumises aux mêmes règles prudentielles que les établissements de crédit. Au regard de la diversité du secteur, le cadre prudentiel est envisagé de façon différenciée et progressive pour onze catégories d'entreprises d'investissement. Conçues pour s'appliquer aux banques et fondées largement sur la taille des bilans, certaines de ces exigences ne sont pas adaptées aux entreprises d'investissement de petite taille ou ne fournissant que certains types de services. De plus, les exigences prudentielles ne sont pas appliquées de la même manière par les États membres aux mêmes services d'investissement.
Le régime actuel applicable aux pays tiers, pour les professionnels et les particuliers, relève d'une organisation atomisée peu propice au développement d'un marché européen harmonisé.
En principe, un établissement d'un pays tiers qui souhaite proposer des services d'investissement au sein de l'Union européenne doit établir une filiale dans un des pays de l'Union. À partir de cette filiale, il peut opérer en libre prestation de services au sein de l'Union. Plusieurs voies sont théoriquement possibles pour éviter cette contrainte de localisation.
Les entreprises de pays tiers sont autorisées à fournir des services d'investissement à une clientèle de détail selon la transposition de la directive MiFID dans chacun des pays de l'Union. Chaque autorité nationale peut optionnellement imposer l'établissement d'une succursale. En tout état de cause, il s'agit d'une autorisation nationale, une succursale d'un établissement de pays tiers ne pouvant bénéficier d'un passeport européen. Aucune obligation spécifique de reporting aux autorités de supervision n'est exigée par les textes européens. Du fait de son absence d'harmonisation, le régime applicable apparaît singulièrement peu protecteur pour la clientèle de détail.
La fourniture de services d'investissement à des clients professionnels, sans établissement d'une filiale, suit une logique différente. Théoriquement, elle nécessite au préalable, de la part de la Commission, une décision d'équivalence. Une fois celle-ci obtenue, l'établissement de pays tiers peut, après enregistrement auprès de l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), accéder à l'ensemble du marché européen et y fournir des services d'investissement sans aucune obligation d'implantation locale.
En pratique, en l'absence actuelle de régime d'équivalence pour les entreprises d'investissement, les solutions s'apprécient pays par pays. L'établissement de pays tiers ne peut pas bénéficier d'un passeport et doit généralement installer une succursale dans chacun des pays où il souhaite proposer des services d'investissement (c'est ainsi en France en vertu de l'article 23 du projet de loi Pacte). Les approches varient selon les pays, certains n'exigeant pas de présence physique ce qui contribue à leur attractivité relative au sein de l'Union européenne.
Une dernière option permettant de conserver l'accès à la clientèle de l'Union européenne est la commercialisation passive (reverse sollicitation). Il s'agit d'une exemption de l'obligation d'agrément dans le cas où des clients européens professionnels sollicitent les services d'une entreprise d'investissement de pays tiers. Cette solution présente de forts risques de contournements de la réglementation. Sa pratique est donc limitée et encadrée, notamment par l'AEMF dans ses questions /réponses qui ne sont toutefois pas contraignantes.
L'importance de l'industrie des services d'investissement britannique va, dans la perspective du Brexit, mettre concrètement à l'épreuve le régime applicable aux pays tiers.
Dans ce contexte, il convient de soutenir la démarche de la Commission visant à promouvoir un cadre plus pertinent et, partant, plus efficace pour les entreprises d'investissement même si la proposition initiale manque d'ambition. Le gouvernement britannique l'avait d'ailleurs accueillie avec intérêt estimant qu'elle offrait une base prudentielle favorable pour les entreprises implantées au Royaume-Uni. Quels éléments méritent d'être soulignés ?
Tout d'abord, la proposition de la Commission s'exonère d'analyse d'impact. La Commission a précisé que la révision du cadre réglementaire applicable aux entreprises d'investissement était imposée notamment par l'article 508, paragraphe 3, du règlement sur les exigences prudentielles applicables aux banques. Sur ce fondement et au regard des consultations menées auprès des autorités européennes mandatées à cet effet (ABE et AEMF) et des intervenants du secteur, la Commission a considéré qu'il n'était pas nécessaire d'entreprendre une analyse d'impact spécifique. Elle s'est appuyée pour justifier cette option sur la « boîte à outils pour une meilleure réglementation ».
Pourtant, compte tenu de la part de marché des entreprises d'investissement britanniques et de l'incertitude qui persiste sur les négociations autour du Brexit, une étude d'impact approfondie aurait dû être menée pour éclairer la prise de décision.
Ensuite, le cadre prudentiel est simplifié avec désormais trois classes d'entreprises d'investissement en remplacement des onze catégories actuelles. Les grandes entreprises d'investissement d'importance systémique sont considérées de classe 1. Elles sont définies comme des établissements dont l'actif dépasse 30 milliards d'euros sur base individuelle ou consolidée et qui fournissent deux des services d'investissement listés, à savoir la négociation pour compte propre et la prise ferme d'instruments financiers. Ces entreprises, dont les activités sont similaires à celles des activités de marché des grandes banques, resteraient soumises au régime prudentiel « bancaire » et seraient, le cas échéant, supervisées par la Banque centrale européenne.
Pour ce faire, la Commission aurait pu proposer de modifier le périmètre de compétence de la BCE afin d'y inclure les entreprises d'investissement de classe 1. Elle a choisi de modifier directement le règlement CRR IV portant définition des établissements de crédit. Cette solution ne requiert pas l'unanimité mais emporte de nombreuses conséquences qui justifieraient une analyse d'impact. En effet, les entreprises d'investissement de classe 1 qui se relocaliseront en zone euro bénéficieront du fonds de résolution unique des banques (FRU), alors même qu'elles n'y ont pas contribué les premières années. Elles seront aussi considérées comme contreparties éligibles de l'Eurosystème.
En pratique toutefois, la catégorie 1 concernerait presque exclusivement les huit plus grosses entreprises d'investissement actuellement basées au Royaume-Uni d'où elles proposent des services d'investissement dans toute l'Union européenne et qui, une fois le Royaume-Uni devenu pays tiers, échapperaient de fait à cette réglementation et donc aussi au bénéfice du fonds de résolution unique notamment.
La classe 2 regrouperait environ les deux tiers des entreprises d'investissement avec, entre autres critères, un total de bilan entre 100 millions et 30 milliards d'euros et des actifs sous gestion supérieurs à 1,2 milliard d'euros. Ces entreprises se verraient appliquer un régime prudentiel adapté, fondé sur l'analyse des risques et le volume d'activité.
La classe 3 regrouperait les petites entreprises purement locales et serait largement exonérée des exigences prudentielles. La surveillance des classes 2 et 3 ne relèverait pas du superviseur européen mais des superviseurs nationaux.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Je traiterai la question du régime vis-à-vis des pays tiers. Celui-ci est modifié a minima. La Commission n'a proposé que des modifications ciblées du régime pays. C'est pourtant l'un des aspects les plus stratégiques de cette réforme. Les conditions actuelles d'attribution de l'équivalence prévue par le règlement MIFIR sont considérées comme trop favorables aux institutions qui en bénéficieraient : les critères sont flous, l'évaluation est à la seule main de la Commission, les modalités de contrôle dans la durée sont faibles ou inexistantes... Ces conditions devaient donc être revues. La Commission propose de rendre l'analyse d'octroi de l'équivalence plus « détaillée et granulaire », pour les entreprises de pays tiers susceptibles d'être d'importance systémique dans l'Union. Elle prévoit également d'y intégrer une analyse de la convergence des pratiques de supervision entre le pays tiers et l'Union. L'AEMF sera chargée d'établir un rapport annuel pour s'assurer que la décision d'équivalence demeure justifiée. Les éléments de doctrine développés en la matière par l'AEMF à travers la publication des questions/réponses pourraient utilement être intégrés en amont dans le processus d'analyse de l'équivalence. Ce n'est toutefois pas prévu par la Commission qui garde la main sur ce processus.
L'ABE et l'AEMF ont formulé des inquiétudes quant au risque de voir des entreprises d'investissement de pays tiers établir des entités européennes « boîte aux lettres », qui auraient recours de façon excessive à la délégation ou à la sous-traitance d'activités hors de l'Union afin de compenser la perte du passeport européen. Pour mesurer ce risque, il est proposé que les entités de pays tiers soient tenues d'effectuer un reporting annuel auprès de l'AEMF sur l'échelle et l'étendue des services qu'elles fournissent dans l'Union. Restera ensuite à agir, ce qui relèvera de la bonne volonté du superviseur national. Là encore la Commission ne prévoit pas un renforcement de l'autorité de l'AEMF en la matière.
En amont de la négociation, le Parlement européen avait fixé des objectifs plus ambitieux que la proposition initiale de la Commission, notamment en ce qui concerne le régime des pays tiers. Le Parlement européen souhaitait en particulier une analyse exhaustive de l'ensemble des règles européennes de marché - notamment en matière de gestion des conflits d'intérêt ou de protection des avoirs des clients -, l'application directe de certaines d'entre elles par les superviseurs des pays tiers afin d'éviter des divergences d'interprétation et l'exclusion de certaines activités de services d'investissement du bénéfice de l'équivalence.
Le Parlement européen proposait également la création obligatoire d'une succursale au sein de l'Union pour offrir certains services d'investissement particulièrement critiques pour la stabilité financière, afin notamment d'assujettir directement l'entreprise d'investissement de pays tiers aux règles de conduite européennes.
L'ambition modeste de la proposition initiale de la Commission s'est finalement trouvée encore restreinte par l'accord auquel sont récemment parvenus le Parlement européen et le Conseil. Les propositions du Parlement européen, soutenues en partie par la France singulièrement isolée dans la négociation, n'ont pas été retenues. La seule amélioration significative apportée concerne le cadre prudentiel. L'approche de la Commission en la matière se fondait sur l'hypothèse d'une importante relocalisation au sein de la zone euro des entreprises d'investissement britanniques. Pour autant, il est difficile d'éliminer l'hypothèse où un groupe financier d'un pays tiers créerait une entité « boîte aux lettres » et déléguerait des opérations, pour rester sous le seuil de 30 milliards d'euros et bénéficier d'un régime plus favorable et d'exigences allégées par rapport aux entreprises d'investissement de l'Union. Il importe donc de prévenir ces éventuels contournements du régime prudentiel. L'accord propose, dans cet objectif, de retenir des seuils plus bas. Une ou deux classes supplémentaires seront ainsi créées pour les entreprises d'investissement dont les actifs consolidés dépassent 5 milliards d'euros. Celles dont les actifs dépasseraient 15 milliards d'euros relèveront automatiquement du cadre prudentiel bancaire. Celles dont les actifs consolidés sont compris entre 5 et 15 milliards d'euros pourront, sur option du superviseur national, être aussi soumises au cadre prudentiel bancaire.
L'accord final, qui sera inscrit pour adoption à l'ordre du jour du Parlement européen en avril prochain conduit toutefois à douter de l'impact de la réforme qui paraît mal calibrée, au regard de la nécessité de prendre en compte les conséquences du Brexit et d'assurer le renforcement de la souveraineté financière de l'Union européenne. Alors que le processus législatif d'adoption est proche de son dénouement, il apparaît nécessaire d'affirmer nos préoccupations dans le cadre du dialogue politique avec la Commission. Tel est l'objet de l'avis politique que nous vous soumettons.
M. Pierre Ouzoulias. - Merci pour cette synthèse sur un sujet complexe. Je partage vos réserves et vos regrets que le texte ne soit pas plus complet. On sent bien qu'il s'agit d'un texte de circonstance, dans le cadre du Brexit, pour essayer de remédier à une situation sur laquelle on ne dispose pas d'étude d'impact. On aurait aimé que la Commission nous explique ce se passera après le Brexit, avec ou sans accord, et dans quelle mesure le texte permet d'éviter les comportements d'évitement que vous avez évoqués. La réforme manque d'ambition et ne propose aucune réflexion d'ensemble. Les passages sur la gouvernance des entreprises sont lacunaires, notamment sur les pratiques des employés. Finalement, on reste au milieu du gué et je n'ai pas l'impression que ce texte permettra d'affronter les chamboulements majeurs qui sont devant nous.
M. René Danesi. - Le système européen de surveillance financière progresse à pas lents et comptés. Mme Loiseau a indiqué au Sénat, lors de sa dernière intervention, tout ce qu'il restait à faire et a constaté que la France était bien seule pour demander que ces mesures soient mises en oeuvre. Tout le monde trouve toujours une bonne raison pour ne pas avancer, alors même que le risque systémique est bien réel. Cette surveillance financière continuera à s'inscrire dans un cadre intergouvernemental. C'est regrettable.
Je m'inquiète aussi de l'attitude de la Banque centrale européenne (BCE) qui prête des liquidités, avec une grande prodigalité, à taux zéro. D'après son dernier communiqué, elle indique ne pas compter augmenter ses taux directeurs aussi longtemps que cela sera nécessaire, c'est-à-dire sans doute pas avant la fin de l'année au plus tôt. Elle s'apprête aussi à lancer une troisième vague d'opérations de refinancement à plus long terme ciblées (targeted longer-term refinancing operations, ou TLTRO). La deuxième vague avait bénéficié à 55 % aux banques espagnoles et italiennes, preuve de leur fragilité. Tout cela se fait en dehors de tout contrôle politique, conformément à la volonté allemande, lors de la signature des traités, de garantir l'indépendance totale de la BCE. Je crains que nous ne nous acheminions vers de sérieuses difficultés. Les États, comme la BCE, ont l'idée que chacun ne doit s'occuper que de ses affaires, sans vue d'ensemble, et sans prendre en compte les risques systémiques qui existent car nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle crise financière venue d'outre-Atlantique. Je soutiens l'avis politique et regrette la timidité des avancées dans un système qui reste, à l'évidence, fragile.
M. Olivier Henno. - Derrière cette question technique, se cachent des intérêts économiques et financiers considérables. J'ai le sentiment que l'on fait comme si la crise de 2008 avait été oubliée. On ne cherche pas à se protéger contre les risques de bulles. Mais on ne peut pas compter sur les acteurs financiers pour s'autoréguler car la spéculation financière produit spontanément des bulles qui sont inhérentes à l'activité financière. Il est aussi difficile de s'en remettre aux autorités nationales car chaque État sera tenté de tirer son épingle du jeu, avec le risque d'une régulation a minima. La question de l'harmonisation et de l'intégration du marché intérieur reste une question essentielle pour ceux qui veulent aller plus loin dans la construction européenne. Le paradoxe est que l'on s'interroge sur ce sujet à l'occasion du Brexit. On avance à tout petits pas.
M. Jean Bizet, président. - Je rappelle que nous avons à examiner deux avis politiques, le premier sur le cadre européen applicable aux entreprises d'investissement et l'autre sur le système de surveillance financière.
M. André Reichardt. - Je veux à mon tour remercier nos rapporteurs d'avoir éclairé notre lanterne sur ces sujets complexes. Je ne peux que souscrire à vos préconisations. Je note vos regrets. Mais ne vaut-il pas mieux une bouteille à moitié pleine qu'une bouteille presque vide ? On met un peu d'ordre dans le cadre applicable aux entreprises d'investissement. On traitait les huit plus grands acteurs comme les plus petits. La sectorisation accrue permettra de différencier les niveaux de surveillance. C'est un petit progrès. Il est aussi rassurant de constater, à la veille d'élections européennes qui seront sans doute placées sous le signe du populisme, que l'on avance sur ces sujets, avec des chances d'aboutir avant la fin de la mandature. C'est déjà ça !
M. Claude Raynal, rapporteur. - Merci pour votre soutien. Je note la gradation de vos quatre interventions : on est passé de la bouteille vide à la bouteille à moitié pleine ! La vérité est sans doute entre les deux.
Les dossiers financiers ont toujours du mal à aboutir. Profitant du Brexit, on a pu faire un demi-pas. C'est la bouteille à demi pleine. Mais le débat a eu lieu et toute avancée est à saluer.
Nous étions nombreux à trouver un peu biscornue la solution consistant à modifier la définition des établissements de crédit pour y inclure les entreprises d'investissement plutôt que de modifier le périmètre de compétence de la BCE ; on nous a répondu, avec justesse sans doute, que l'important, pour ces entreprises, qui sont pour l'essentiel des filiales d'établissements japonais ou américains, était de conserver les contraintes prudentielles adaptées. Du point de vue des autorités européennes, l'important est que les termes du passeport européen restent la valeur d'usage dans l'activité européenne.
L'idée de créer des seuils - à 15 et 30 milliards d'euros - pour l'intervention du régulateur national est venue de la discussion entre le Conseil et le Parlement. Elle a toutefois des faiblesses, car les pouvoirs des superviseurs nationaux sont assez variables. C'est la raison pour laquelle nous, Français, sommes convaincus de la nécessité de renforcer l'autorité européenne des marchés financiers.
La phase d'observation prévue nous permettra de modifier le système, en fonction des résultats des deux premières années.
Politiquement, il faut dire les choses : nous l'avons fait. Il faut aussi savoir prendre acte de l'étape qui a été franchie grâce au Brexit - sans lequel nous ne savons pas quand elle l'aurait été...
La commission adopte l'avis politique suivant, qui sera adressé à la Commission européenne :
Projet d'avis politique Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les exigences applicables aux entreprises d'investissement et modifiant les règlements (UE) n° 575/2013, (UE) n° 600/2014 et (UE) n° 1093/2010, COM(2017) 790 final, Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant la surveillance prudentielle des entreprises d'investissement et modifiant les directives 2013/36/UE et 2014/65/UE, COM(2017) 791 final, Vu le rapport du Sénat n° 456 (2017-2018) du 20 avril 2018 Repenser l'action de l'Union : la plus-value européenne - contribution du Sénat au groupe de travail « Subsidiarité et proportionnalité » de la Commission européenne, Vu le rapport de l'Autorité bancaire européenne EBA/Op/2015/20 sur les entreprises d'investissement, Vu l'accord interinstitutionnel du 13 avril 2016 entre le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne et la Commission européenne « Mieux légiférer », La commission des affaires européennes du Sénat, Soutient la démarche de la Commission européenne de promouvoir un cadre réglementaire mieux adapté pour les entreprises d'investissement visant notamment à concourir à la stabilité et l'efficacité financière des marchés de capitaux ; Souligne que cette réforme intervient au moment où les perspectives de sortie du Royaume-Uni rendent indispensable la préservation de la souveraineté de l'Union européenne en ce qui concerne ses marchés de capitaux ; Regrette la faiblesse de l'ambition portée par les propositions initiales, potentiellement amplifiée par le compromis en cours d'adoption par le Conseil ; Sur le cadre prudentiel européen : Rappelle que la pertinence du cadre prudentiel applicable détermine les conditions d'une concurrence équitable et, partant, le bon fonctionnement et la compétitivité du secteur ; Soutient en conséquence la proposition du Conseil de soumettre au cadre prudentiel bancaire un périmètre élargi au-delà des seules entreprises considérées comme d'importance systémique ; Constate par ailleurs que la Commission européenne a choisi de soumettre les plus grandes entreprises d'investissement au cadre prudentiel bancaire en modifiant la définition des établissements de crédit afin d'y inclure ces entreprises d'investissement ; Regrette que les multiples conséquences de ce choix n'aient pas fait l'objet d'analyses approfondies et juge dès lors nécessaire qu'une analyse exhaustive des impacts de cette mesure soit initiée par la Commission européenne ; Sur le régime vis à vis des pays tiers : Prend acte de la nécessaire prise en compte des contraintes liées au fonctionnement efficace des marchés financiers ; Considère néanmoins qu'une politique exigeante vis-à-vis des entreprises de pays tiers est un élément central du maintien de l'autonomie financière de l'Union européenne ; Soutient le renforcement des exigences du régime d'équivalence vis-à-vis des pays tiers ; Insiste sur la surveillance des pratiques susceptibles de faciliter le contournement des exigences européennes et la nécessité d'y réagir promptement ; Estime, à ce sujet, nécessaire d'accorder une attention et des moyens de supervision particuliers afin de limiter le développement d'entreprises qui auraient recours de façon excessive à la délégation ou à la sous-traitance d'activités hors de l'Union ; Regrette que n'ait pas été retenue l'obligation pour une entreprise d'investissement de pays tiers de créer une succursale au sein de l'Union européenne, dès lors qu'elle envisage d'y offrir certains services d'investissement ; Estime indispensable la prise en compte exhaustive des règles européennes ainsi que des éléments de doctrine développés par l'Autorité européenne des marchés financiers dans ses questions/réponses, dans le processus d'instruction de l'octroi de l'équivalence à un pays tiers ; Sur l'absence d'analyse d'impact : Relève que la Commission a justifié sa décision de ne pas entreprendre une analyse d'impact par, entre autres raisons, les consultations et travaux menés par l'Autorité bancaire européenne en la matière ; Estime toutefois que, en l'état, ces travaux ne permettent pas d'apprécier les conséquences de ces propositions dont certaines emportent potentiellement de très profondes conséquences sur la configuration future des marchés de capitaux de l'Union. Demande en conséquence que la Commission européenne mène une analyse d'impact sur la base des observations recueillies par les autorités de surveillance sur les relocalisations. |
Économie, finances et fiscalité - Enjeux de la réforme du système européen de surveillance financière : avis politique de MM. Claude Raynal et Jean-François Rapin
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Le second thème que nous abordons aujourd'hui concerne la refonte du système européen de surveillance financière. C'est en quelque sorte la suite logique du premier avis politique que nous venons d'examiner. Le développement d'une surveillance financière européenne autonome est en effet la réponse institutionnelle nécessaire afin de remédier aux préoccupations que nous venons d'identifier dans le cas particulier des entreprises d'investissement.
La Commission européenne a proposé cinq textes distincts. La proposition relative aux procédures d'agrément et à la supervision des chambres de compensation a été récemment adoptée. Un texte apporte des modifications ciblées au fonctionnement du Comité européen du risque systémique, l'autre propose d'attribuer à l'Autorité bancaire européenne (ABE) un mandat spécifique de lutte contre le blanchiment. Enfin, les deux textes principaux qui nous intéressent aujourd'hui révisent les trois règlements fondateurs des autorités européennes de supervision à savoir l'Autorité bancaire européenne (ABE), l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP). Les négociations se sont rapidement focalisées sur le renforcement des pouvoirs de l'AEMF. C'est l'aspect central de la réforme et en conséquence l'objet principal de notre propos.
Un mot sur les enjeux de la réforme d'abord. Une supervision unique des marchés financiers est un outil essentiel pour les marchés de capitaux. La crise bancaire et financière et, plus spécifiquement, la crise de la dette souveraine ont donné l'impulsion politique qui a conduit à la mise en place d'une supervision unique des plus grandes banques de la zone euro. La défense des intérêts de l'Union impose qu'elle se dote d'un tel instrument en ce qui concerne les marchés financiers. C'est la condition nécessaire au développement de l'Union des marchés de capitaux, qui demeure, aujourd'hui encore, largement imparfaite. Elle constitue un enjeu majeur pour le développement économique de l'Union, mais aussi pour sa stabilité financière et la protection des intérêts des investisseurs et de l'épargne des citoyens européens. Cette union est aussi la base indispensable pour donner à l'euro sa vraie dimension dans les échanges internationaux.
Cette réforme est encore indispensable à la prise en compte des conséquences du Brexit. La perspective du retrait du Royaume-Uni modifie considérablement la configuration des marchés financiers européens. En dépit des relocalisations déjà amorcées, la place financière de Londres devrait maintenir durablement son importance. Faute d'une relocalisation au sein de l'Union, condition indispensable au passeport européen, les acteurs financiers implantés seulement au Royaume-Uni verront leur accès aux pays de l'Union conditionné à des accords d'équivalence. Dans ce contexte, la gestion des relations avec les pays tiers et la surveillance des éventuels recours excessifs à des délégations d'activité ou des accords d'externalisation revêtent une importance stratégique pour l'Union européenne.
Ces relocalisations préfigurent aussi le renforcement d'une organisation multipolaire des activités financières autour de différentes places européennes. Celles-ci se trouvent dans un état de concurrence accrue et sont donc incitées à arbitrer entre les réglementations. Face aux divergences nationales, il est indispensable de mettre en place des autorités européennes capables de favoriser, dans les faits, une convergence intra-européenne de la supervision.
En février 2018, la Commission des affaires européennes a adopté un avis politique soulignant le caractère stratégique de cette réforme et appelant à un renforcement ambitieux des moyens, des attributions et des pouvoirs de sanctions de l'Autorité européenne des marchés financiers. Nous alertions en outre sur la nécessité d'adopter la réforme avant la fin de l'actuelle législature du Parlement européen. C'est désormais chose faite, mais l'accord n'a finalement été trouvé qu'en toute dernière limite, le 21 mars dernier, après de nombreux trilogues infructueux. La voie est donc ouverte à une adoption en plénière au Parlement européen en avril prochain.
J'en viens aux grandes lignes de l'accord. Il ressortait des auditions menées à Bruxelles il y a quelques semaines que les négociations menaçaient de vider la réforme de sa substance. Le Conseil avait en effet retenu une orientation générale très réductrice, en contradiction avec la position du Parlement européen. Ce dernier se montrait très favorable à une européanisation de la supervision. La France défendait une approche similaire. Le Luxembourg, le Royaume-Uni, l'Allemagne, la République tchèque et l'Irlande se sont, eux, opposés au renforcement de la gouvernance et des moyens des trois autorités. De fait, le compromis finalement adopté est assez décevant. Il reflète ce que nos interlocuteurs qualifient de « débat douloureux » où la France s'est retrouvée, une nouvelle fois, isolée face à la fronde des pays attachés à une supervision nationale.
Les dispositions essentielles des propositions de la Commission concernaient l'amélioration de la gouvernance, l'octroi de compétences directes de supervision à l'Autorité européenne des marchés financiers, ainsi que l'évolution de son cadre de financement. Qu'en est-il de ces trois aspects dans l'accord qui vient d'être adopté ?
Le mode de gouvernance retenu reste résolument intergouvernemental. La mise en place d'une structure de gouvernance plus indépendante et plus efficace était un objectif majeur. Il n'a pas été atteint. Pour rappel, l'infrastructure de surveillance européenne rassemble des intervenants répartis sur deux niveaux : l'un, national, avec les autorités sectorielles compétentes de chaque État membre, et l'autre, européen avec l'Autorité européenne des marchés financiers. La gouvernance actuelle repose sur le conseil des autorités de surveillance qui en est le principal organe décisionnel. Y participent notamment le président de l'Autorité européenne des marchés financiers et les représentants des superviseurs de chaque État membre. Cette gouvernance, de nature intergouvernementale, fait la part belle aux superviseurs nationaux. Elle ne favorise ni la défense d'un modèle européen de marché intégré et harmonisé, ni l'efficacité du processus de prise de décision.
Pour y remédier, la Commission proposait la création d'un comité exécutif indépendant composé du président de l'AEMF et de cinq membres indépendants permanents. Ce comité exécutif aurait été chargé de préparer et de valider les décisions pour adoption par le conseil des autorités de surveillance et aurait disposé de certains pouvoirs discrétionnaires à l'égard des particuliers et des autorités nationales de supervision. L'accord adopté ne revoit finalement que très modestement la structure de gouvernance. Il maintient le principe selon lequel les décisions doivent être prises par le conseil des autorités de surveillance, l'organe de décision ultime de l'AEMF, et ne retient pas la proposition de création du comité exécutif indépendant. Le renforcement ciblé des pouvoirs du président qui pourra désormais fixer l'ordre du jour du conseil des autorités de surveillance ne modifie en rien l'équilibre retenu qui consacre le rôle essentiel des autorités nationales.
Des compétences de supervision directe sont accordées aux pays tiers mais refusées au sein du marché unique. Depuis sa création, l'AEMF s'est vue confier progressivement des missions de supervision directe sur certains segments ou acteurs de marché. Elle dispose par exemple d'une compétence exclusive et directe sur les agences de notation de crédit. Elle verra désormais sa compétence élargie à la reconnaissance des chambres de compensation implantées dans un pays tiers. Le compromis lui octroie des compétences sur les indices de référence d'importance critique et sur les indices de pays tiers, ainsi que sur certains services de communication de données. Il abandonne en revanche le transfert de compétence pour l'approbation des prospectus d'émission de titres provenant d'émetteurs européens et ceux établis selon les règles de l'Union par des émetteurs de pays tiers. Le principe même de transfert de compétences directes sur des activités ou des acteurs européens s'est globalement heurté à une très forte opposition au sein du Conseil. Cela a d'ailleurs aussi été le cas pour le transfert à l'AEMF de compétences en matière de contrôle sur les chambres de compensation européennes. Il n'a pas été retenu par le Conseil, qui n'a concédé qu'un comité de convergence qui ne portera qu'un regard ex post sur les éventuelles divergences et manquements de supervision. L'accord n'a pas non plus retenu les propositions du Parlement européen tendant à donner aux autorités européennes le pouvoir de restreindre temporairement la commercialisation de certains produits susceptibles de causer un préjudice aux clients.
Le mode de financement reste inchangé et ne permet pas d'adapter les moyens aux enjeux. En ce qui concerne le financement des autorités européennes, le système actuel de contributions qui proviennent en partie du budget de l'Union européenne, et en partie des autorités nationales compétentes, est maintenu. La proposition de la Commission de faire participer l'industrie au budget des trois autorités n'a pas été retenue. Elle aurait pourtant permis à la Commission de se désengager budgétairement et d'ajuster les ressources des autorités européennes au périmètre de leurs tâches en faisant reposer sur l'industrie financière le financement de leurs budgets respectifs, actuellement notoirement insuffisants - nous l'avions dénoncé l'an dernier en faisant la comparaison avec le régulateur américain...
Le renforcement des compétences et des moyens de l'AEMF revêt une importance considérable. Il est la condition nécessaire du développement de marchés financiers européens stables et intégrés. Le contexte actuel le rend d'autant plus indispensable qu'il faut éviter les arbitrages de la réglementation au sein de l'Union et de la part d'entités de pays tiers. Il est également indispensable que l'AEMF joue un rôle central dans la préparation des décisions d'équivalence des régimes de pays tiers, en appui de la Commission européenne, et dans le suivi de ces décisions dans le temps. La réforme qui sera prochainement adoptée risque fort de ne pas atteindre ces objectifs. C'est pourquoi je vous propose d'adresser à la Commission un avis politique afin de saluer le compromis obtenu, tout en exprimant la déception et les attentes du Sénat.
M. Jean Bizet, président. - On ne peut que regretter que nous en restions à un dispositif intergouvernemental, et que l'on ne puisse toujours pas faire appel à l'industrie pour le financement des autorités ; nous aurions fait des économies... Composer avec l'industrie est certes dans l'ADN européen. Comme l'a dit Claude Raynal, tant que nous en resterons à une organisation intergouvernementale, nous serons tenus à une politique des petits pas. J'espère que la prochaine Commission européenne changera les choses.
M. Pierre Ouzoulias. - Je partage l'essentiel de vos réserves.
Je rejoins René Danesi sur la critique de l'action de la BCE. Au moment de la crise financière, il y avait un consensus politique pour que la BCE lâche des liquidités en très grandes quantités pour éviter la banqueroute. Mais nous eussions souhaité que fût dressé un bilan politique de l'usage de ces liquidités, notamment par les institutions bancaires. Je me demande si cet afflux de liquidités n'est pas à présent en train d'alimenter une bulle susceptible de déclencher une crise financière aussi importante que celle de 2008. Lisant la presse économique comme moi, chers collègues, vous savez l'inquiétude que suscite le niveau d'endettement des banques et des ménages. Les dettes publiques - sur lesquelles les appréciations peuvent varier - ne présentent pas les mêmes risques que l'endettement privé.
L'injection de liquidités dans l'économie aurait aussi bien pu prendre la forme de programmes d'investissement massifs, qui auraient en outre permis à nos concitoyens de comprendre l'utilité de l'Europe. Bref, un programme keynésien d'investissement à partir de tous ces fonds aurait été une meilleure façon de mettre un terme à la crise de 2008.
Mme Gisèle Jourda. - Où les accords commerciaux que passe l'Union européenne avec des pays tiers trouvent-ils leur place dans tous ces mécanismes de surveillance ? Les mécanismes de compensation financière, nous l'avons vu en nous penchant sur les accords conclus sur la filière sucre, ne sont jamais activés. Ces accords mettent en péril certaines filières, comme celle du sucre ou de la banane. Mais c'est peut-être périphérique au sujet du jour...
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - La surveillance des marchés financiers est un sujet très spécifique. Il n'y a pas de lien direct avec la politique monétaire ou la politique commerciale.
En matière de surveillance des marchés financiers, nous partons de très loin. L'an dernier, nous avions commis un rapport quasiment vide car il y avait d'un côté la France, qui voulait faire avancer la régulation, et de l'autre les autres États membres, qui s'y opposaient. L'effet déclencheur a été le Brexit, qui a provoqué une forme d'affolement, car personne n'y croyait. Le devoir de la France, maintenant que les discussions ont commencé, est d'exploiter cette faille en martelant sa conviction qu'une supervision plus stratégique, c'est-à-dire moins dépendante des intérêts des États membres à l'économie très spécialisée, est nécessaire.
Sur des sujets aussi complexes, il serait utile d'organiser une journée de sensibilisation de nos collègues.
M. Jean Bizet, président. - J'y souscris pleinement. Nous avions passé une journée extrêmement intéressante à Francfort il y a quelques années et ainsi rencontré nos compatriotes M. Benoit Coeuré et Mme Danièle Nouy.
M. Olivier Henno. - C'est un sujet spécifique et technique en effet. Mais, au fond, les fondamentaux restent toujours un peu les mêmes : nous butons sur la question de la défense des intérêts nationaux. C'est paradoxal, du reste, car pendant des années, nous avons estimé que l'obstacle au passage à la majorité qualifiée était britannique... Le Royaume-Uni n'est plus là, et nous découvrons qu'ils n'étaient pas les seuls à bloquer ! Regardant le monde, constatant la puissance de frappe de la Chine, des pays d'Asie du Sud-Est et des États-Unis, nous ne pouvons ignorer qu'il y a urgence.
Sur la politique monétaire, je vois pour ma part le verre à moitié plein. On a longtemps reproché à la BCE sa rigidité et son excès de rigueur, et on lui fait à présent le procès du contraire... Après la crise, il faut reconnaître qu'elle a fait preuve d'une certaine capacité d'adaptation. Sans les taux bas que nous avons aujourd'hui, notre taux de croissance serait moins élevé. L'argent pas cher provoque certes des effets secondaires, mais cela permet à de nombreux projets de trouver un financement.
M. André Reichardt. - Nous regrettons que sur de trop nombreux sujets, la France soit seule à demander telle ou telle chose.
Nous regrettons que les autorités nationales priment toujours en matière de surveillance financière. C'est que les pays dont la finance constitue une part très importante du PIB ont, naturellement, un attachement féroce au système actuel ; nous ferions de même à leur place... Un compromis est proposé : ce n'est déjà pas si mal. L'important à mes yeux est que la voie soit ouverte à un accord avant la fin du mandat en cours.
M. Jean-François Rapin, rapporteur. - Certes, nous pouvons comprendre l'attitude de tel ou tel pays, mais l'attachement à l'intégration européenne joue aussi : nous avons les plus grosses banques d'Europe, et nous avons accepté la BCE et la supervision bancaire ! La France veut plus d'Europe, d'autres pays en veulent moins, c'est un fait. Mais nous venons de si loin que je garde l'espoir que nous arrivions à quelque chose de cohérent avant la fin du mandat actuel.
M. Claude Raynal, rapporteur. - Sur la surveillance européenne, la Commission a eu l'habileté de lier le dossier de l'ABE et celui du système européen de surveillance, et de mettre dans le premier la question sensible du blanchiment. Les députés européens se sont ainsi trouvés dans la position du tout ou rien. Le refus de se prononcer sur le blanchiment étant moralement impossible, un accord d'ensemble a été obtenu. C'est de bonne guerre, voire une technique connue de certains d'entre nous au niveau local...
Monsieur Ouzoulias, la BCE ne crée pas à proprement parler de la monnaie, elle donne de la liquidité aux banques avec des contreparties, ce qui est assez différent. Il faut certes surveiller la dette privée, ce qui est fait.
Les taux d'intérêt faibles ont aussi permis le refinancement des États : c'est une douceur qu'il ne faut pas s'interdire d'utiliser - mais dont il faut aussi savoir se passer. Ils ont également diminué la rentabilité des banques, ce qui n'est pas nécessairement chagrinant. Leur remontée mettrait les assureurs en difficulté... Bref, il faut manier tout cela avec doigté mais, pour l'instant, ce sont plutôt les banques qui s'inquiètent du maintien des taux bas.
Madame Jourda, le sujet que vous soulevez n'est pas totalement distinct de celui de la surveillance financière. Les accords commerciaux jouent un rôle secondaire dans l'analyse des marchés, mais peuvent certes avoir un effet sur l'offre et la demande, ou donner lieu à des escroqueries, qu'il appartient aux superviseurs nationaux de surveiller.
La politique budgétaire relève enfin des États, et non de la BCE. Celle-ci a la main sur la politique monétaire - elle en a usé et abusé - mais relancer l'investissement est du ressort des États, en tout cas tant que nous n'aurons pas avancé sur une politique budgétaire européenne, au-delà du plan Juncker.
M. Jean Bizet, président. - Avant de passer au vote, j'aurais souhaité que soit ajoutée une phrase à notre avis politique, précisant l'importance que nous accordons à l'euro comme monnaie des échanges commerciaux internationaux. Tant que nous n'aurons pas une véritable union des marchés de capitaux, l'euro, qui ne représente que 25 % ou 27 % de ces échanges, ne pourra asseoir la puissance de l'Europe. C'est ce qui permet aux Américains de nous maintenir sous une forme de tutelle - c'est bien le sens de l'extraterritorialité du droit américain.
Il en est ainsi décidé.
La commission adopte l'avis politique suivant, qui sera adressé à la Commission européenne :
Questions diverses
M. Jean Bizet, président. - La récente décision de la Commission européenne de refuser la fusion Alstom-Siemens a ranimé la réflexion sur la politique de concurrence européenne. Il faut reconnaître que la Commission européenne ne fait qu'appliquer les règles en vigueur en ce domaine. Mais la mondialisation des marchés et la montée en puissance des concurrents, notamment chinois, font évoluer les esprits, et il devient évident que l'Union européenne a besoin de laisser émerger des champions européens en matière industrielle. Je vous invite à ce propos à lire l'interview qu'a donnée le ministre de l'économie à un grand journal du matin : l'Europe se réveille...
M. André Reichardt. - Il serait temps !
M. Jean Bizet, président. - Le règlement sur les investissements directs étrangers est ainsi sorti en dix-huit mois, ce qui n'était pas évident !
Désormais, il devient donc possible d'interroger le bien-fondé des règles européennes de concurrence, lesquelles trouvent leur fondement dans l'origine de la construction européenne puisqu'elles répondaient à l'objectif d'éviter des ententes ou monopoles sur le charbon et l'acier.
Aujourd'hui, il importe de creuser cette réflexion sur l'adaptation des règles de concurrence à la stratégie industrielle européenne, et il me semble que le groupe de suivi que nous avons constitué en commun avec la commission des affaires économiques sur la stratégie industrielle serait le lieu naturel de cette réflexion.
Je vous propose de nommer notre collègue Olivier Henno président et rapporteur de ce groupe de travail, en binôme avec un de nos collègues du groupe de travail qui serait nommé parallèlement à ces mêmes fonctions par la commission des affaires économiques.
Il en est ainsi décidé.
La réunion est close à 10 heures.