Jeudi 14 mars 2019
- Présidence de M. André Reichardt, vice-président -
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Institutions européennes - Réunion conjointe avec une délégation du Sénat des Pays-Bas
M. André Reichardt, président. - Monsieur le président de la commission des affaires européenne du Sénat des Pays-Bas, le président de notre commission, M. Bizet, est malheureusement retenu aujourd'hui en raison de la visite du Premier ministre dans son département. Il vous prie de bien vouloir excuser son absence et m'a confié le soin d'accueillir en son nom votre délégation, ce que je fais avec grand plaisir, d'autant que nous vous recevons dans l'une des plus belles salles du Sénat.
Nous gardons un excellent souvenir de l'accueil que vous avez réservé à plusieurs de nos collègues au Senat néerlandais il y a tout juste un an. Nous en étions revenus avec la conviction qu'il était précieux de poursuivre le dialogue entre nos deux pays par la voie parlementaire.
Nos pays respectifs, tous deux fondateurs de la Communauté européenne, se trouvent en effet confrontés aujourd'hui à un contexte inédit, marqué par les nouveaux défis que doit relever l'Union européenne et par la montée des populismes à la veille des élections européennes, tandis que le Royaume-Uni envisage de quitter l'Union et que les États-Unis s'éloignent du multilatéralisme.
Le départ du Royaume-Uni représenterait naturellement un choc important pour l'Union européenne, et particulièrement pour votre pays dont il est le deuxième partenaire commercial. Il amputerait aussi mécaniquement la capacité budgétaire de l'Union, alors même qu'elle doit se donner les moyens de répondre à la vague migratoire, à la montée du terrorisme ou à l'enjeu climatique, mais aussi préparer son avenir en investissant dans le numérique, la recherche et l'intelligence artificielle. Je ne doute pas que votre pays, comme le nôtre, est particulièrement attentif à ces défis.
Nous partageons ces priorités avec vous, mais elles ne doivent pas nous amener à sacrifier les politiques fondatrices de l'Union, notamment la politique agricole commune (PAC) qui représente un outil d'investissement stratégique : à l'heure où nos grands concurrents agricoles investissent massivement dans leur agriculture, pouvons-nous envisager de déconstruire la PAC ? La souveraineté alimentaire de l'Union européenne est en jeu, ainsi que la qualité de l'agriculture européenne qui lui donne précisément sa plus-value par rapport à ses concurrentes.
Si nous plaidons pour garder une PAC à moyens constants, nous avons parfaitement conscience que nous devons faire plus dans beaucoup d'autres domaines, que je viens d'évoquer et qui sont également décisifs pour l'avenir de l'Union européenne. C'est pourquoi nous voudrions vous convaincre de la nécessité d'élargir la capacité d'action de l'Union et donc d'accroître son budget, ne serait-ce que de 0,1 point de PIB.
Cela ne peut se faire sans ressources nouvelles. Celles-ci peuvent notamment venir de la taxation des géants du numérique, dont la mise en oeuvre au sein de l'OCDE tarde décidément trop à nos yeux, ou des contributions nationales. Nous savons que les habitants de votre pays sont ceux qui contribuent le plus au budget européen. Nous n'ignorons pas qu'il est de la responsabilité de la France de redresser ses finances publiques, à l'image du vôtre, pour dégager de nouvelles marges d'action au profit des politiques européennes qui apportent une réelle plus-value.
Nous avons également la conviction que l'Union européenne a besoin d'asseoir sa puissance économique sur une monnaie solide pour garantir la stabilité et la croissance. À cet égard, le renforcement de la zone euro est un enjeu dont nous sommes prêts à discuter ensemble : comment trouver le moyen de stabiliser les États membres de la zone euro en cas de choc économique ? À nos yeux, la récente proposition franco-allemande de créer un instrument budgétaire pour la zone euro doit pouvoir être conciliée avec votre exigence légitime de voir respectés les critères de Maastricht par tous les États de la zone. La responsabilité doit bien sûr se conjuguer avec la solidarité.
Il est normal que, sur ces sujets, nous ne partagions pas les mêmes points de vue, chacun étant façonné par sa culture, son histoire et sa position géographique. Mais nous savons que vous n'avez pas peur du dialogue et je suis certain que nos échanges seront francs et constructifs et nous permettront de mieux nous comprendre, ce qui est le meilleur moyen de nous rapprocher au sein d'une Union européenne que nous souhaitons aussi efficace que possible.
La présence devant vous de nombre de nos collègues du Sénat français, au début d'une journée entièrement consacrée à l'Europe, puisque nous allons tenir cet après-midi avec la ministre Nathalie Loiseau un débat préalable au prochain Conseil européen, est un gage de notre intérêt. Monsieur le président, nous sommes très heureux de votre présence parmi vous et très désireux d'échanger.
M. Bastiaan van Apeldoorn, président de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-Bas. - C'est un honneur d'être ici avec vous. Je suis convaincu que nos échanges seront fructueux et renforceront nos très bonnes relations.
Les grands défis que vous avez mentionnés sont tout aussi importants aux yeux de notre commission. Aux défis internes que sont le mécontentement de notre population, les tendances populistes, l'immigration, les inégalités sociales, s'ajoutent les défis extérieurs : la montée de la Chine, un allié outre-Atlantique moins fiable qu'auparavant, et un ordre mondial libéral, fondé sur le multilatéralisme, soumis à de fortes pressions.
Le Brexit est naturellement un sujet de préoccupation important pour le Parlement néerlandais. Vous avez relevé, à juste titre, que le Royaume-Uni est un partenaire commercial important pour nous. Les effets du Brexit sont multiples et très difficiles à prévoir, surtout en cas d'absence d'accord. Le retrait du Royaume-Uni aura des conséquences sur notre position au sein de l'Union européenne et renforcera nos relations avec la France, qui a toujours été un pays moteur au sein de l'Union européenne et le sera encore plus à l'avenir. Or l'intensification des relations avec la France passe par la diplomatie parlementaire.
Votre visite aux Pays-Bas, l'an dernier, a été extrêmement appréciée. Nous avons beaucoup appris de nos échanges et j'espère qu'il en ira de même cette fois-ci. Depuis, le Brexit n'a toujours pas eu lieu mais se rapproche, le président Trump est toujours là, et les relations ne sont pas devenues plus faciles... L'état de l'économie européenne s'est amélioré, mais on parle à nouveau de récession ; la France a traversé les troubles que nous connaissons, mais les relations entre nos deux pays restent très bonnes malgré quelques accrocs. La prise de participation de l'État néerlandais dans Air France-KLM a ainsi suscité l'étonnement du Gouvernement français, conduisant le ministre chargé du dossier à se rendre à Paris. Cet épisode ne devrait pas perturber nos relations.
Je tiens à vous remercier de votre invitation et espère des échanges francs et constructifs.
M. Simon Sutour. - Notre déplacement à La Haye voici tout juste un an, avec Jean Bizet, Sylvie Robert et Benoît Huré, a en effet été particulièrement intéressant. Il est intervenu au moment même où votre Premier ministre, Mark Rutte, prenait des positions très fermes sur le budget de la zone euro et le respect des règles budgétaires. Les délégations parlementaires présentent l'avantage de ne pas représenter leur gouvernement, même si certains d'entre nous, d'un côté comme de l'autre, soutiennent nos gouvernements respectifs. Nous nous rencontrons deux fois par an, de manière formelle, dans le cadre de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires (Cosac), mais il est très utile d'avoir également des échanges bilatéraux.
Les Pays-Bas ne sont pas un petit pays, mais un pays de 18 millions d'habitants dont le rôle sera d'autant plus important après le départ du Royaume-Uni. J'ai beaucoup apprécié la formule de Mark Rutte, hier, au sujet du vote du Parlement britannique : « C'est comme si le Titanic votait en faveur d'un déplacement de l'iceberg » !
Il me semble utile que des pays comme les vôtres nous rappellent que les règles doivent être appliquées. La France prône un budget de la zone euro, mais n'est passée que très fugacement, l'an dernier, sous les 3 % de déficit budgétaire, avant de replonger. La Commission européenne a bien voulu tenir compte des circonstances exceptionnelles qu'a connues notre pays, à condition de redresser la barre.
La France aurait néanmoins souhaité un budget de l'Union européenne plus ambitieux, pour tenir compte des nouvelles politiques tout en préservant les anciennes. Il ne fait aucun doute que les Pays-Bas joueront un grand rôle dans l'élaboration du cadre financier pluriannuel : la position exprimée il y a un an par votre Premier ministre et le Brexit semblent vous placer en tête de l'Europe du Nord et des pays baltes sur ces questions. Allez-vous remplacer le Royaume-Uni dans ce rôle ?
M. Joris Backer, membre de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-Bas. - Vous n'ignorez pas que les Pays-Bas sont dirigés par un gouvernement de coalition réunissant quatre partis. Celui que je représente, proche de La République en marche, est un fervent défenseur de l'Union européenne. Il est utile d'évoquer ces nuances dans le cadre de nos rencontres, notre Premier ministre ayant exprimé, dans ses déclarations que vous avez évoquées, la position officielle des Pays-Bas.
Ne surestimons pas l'importance de cette coalition, que l'on pourrait qualifier d'hanséatique, sur les questions budgétaires. Il ne serait pas sain que des coalitions permanentes se forment ; au contraire, elles ont vocation à être mouvantes, suivant les sujets abordés - migrations, climat, numérique, fiscalité.
Je regrette que le cadre financier pluriannuel (CFP) 2014-2020 de l'Union européenne, que les Pays-Bas avaient souhaité faire évoluer lors de leur présidence en 2016, soit resté inchangé. Cela témoigne d'un manque de flexibilité. L'Union européenne est à la recherche, pour le prochain CFP, d'un nouvel équilibre. Aux Pays-Bas, nos partenaires de la coalition estiment que la PAC doit moins mettre l'accent sur le soutien au revenu des agriculteurs et davantage sur les subventions à l'innovation et la défense contre la concurrence.
Aux Pays-Bas, nous avons coutume de dire qu'il faut toujours adapter son train de vie à ses revenus. Le Brexit nous l'imposera, et la solution n'est pas nécessairement une augmentation des contributions nationales, même si j'y suis favorable à titre personnel.
M. Bastiaan van Apeldoorn. - Concernant le cadre financier pluriannuel, le Parlement des Pays-Bas ne souhaite pas d'augmentation du budget de l'Union européenne ; il faut plutôt réfléchir à la bonne utilisation des moyens disponibles. Ainsi, le budget de la PAC pourrait être réduit, notamment pour mieux répondre aux défis du changement climatique et des migrations. La France et les Pays-Bas trouveront facilement des convergences sur les questions climatiques. Quelle est la position du Sénat français ?
M. André Gattolin. - Je partage la position de M. Backer sur le budget européen qui, historiquement, assume une double vocation de réparation, avec la PAC, et de redistribution via les fonds structurels. Il manque un budget d'investissement, indispensable si nos pays ne veulent pas rester à la traîne des États-Unis et de la Chine.
En revanche, et puisque Bastiaan van Apeldoorn nous a invités à la franchise, j'avoue avoir été choqué par les déclarations de M. Rutte l'année dernière. Les leçons d'orthodoxie financière sont malvenues de la part d'un pays qui accapare la valeur produite sur le continent grâce à des rescrits fiscaux. De même, la prospérité du port de Rotterdam, qui alimente l'ensemble de l'Europe, n'est pas seulement le fruit du talent du peuple néerlandais. Le Luxembourg nous donne lui aussi des leçons de rigueur alors qu'il est devenu ce qu'il est par un jeu très subtil avec les règles fiscales.
La France a proposé une taxation des géants de l'internet à laquelle certains pays européens s'opposent. Les États-Unis s'y sont déclarés favorables, avant que le président Trump n'annonce un recours devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) contre l'initiative française. Sur ce plan, tous les pays européens sont dans le même bateau, puisque ces déclarations annoncent une volonté des États-Unis de renationaliser les bénéfices de ces grands groupes - dont le chiffre d'affaires a augmenté de 25 % en cinq ans, mais dont le bénéfice a chuté. Cela nous place en concurrence directe avec les États-Unis pour la captation de ces bénéfices et nous impose une solution commune et unifiée.
Les Pays-Bas, qui bénéficient du rapatriement des bénéfices de Starbucks en Europe dans leur pays, sont tout aussi concernés que les autres États membres. Comment reconstruire une forme d'équité ? L'impôt sur les sociétés est trop élevé en France, trop faible ailleurs, sans compter les rescrits fiscaux. Une harmonisation est nécessaire.
M. André Reichardt, président. - André Gattolin a fait état d'une position personnelle que je partage en grande partie. Sommes-nous capables, en particulier en France, de faire les choix qu'il appelle de ses voeux ? Il existe un large consensus au sein du Sénat en faveur du maintien de la PAC à la hauteur des attentes de nos agriculteurs, dont la situation actuelle est difficile. D'un autre côté, des défis essentiels, sur le numérique, les migrations et l'intelligence artificielle notamment, se présentent à nous. Pour ma part, je suis convaincu que, pour y répondre, nous n'aurons d'autre choix que d'augmenter le montant de nos recettes. Certes, la taxe sur Google, Apple, Facebook et Amazon (Gafam) est bienvenue, mais pour le moment, nous sommes isolés sur cette question.
M. Joris Backer. - Monsieur Gattolin, la fiscalité des Pays-Bas, sur laquelle vos collègues que nous avons reçus l'an dernier avaient déjà attiré notre attention, a évolué depuis deux ans. Les constructions fiscales qui permettent aux grandes entreprises de payer peu d'impôts dans l'Union européenne sont en train d'être revues. Je pense à titre personnel qu'une taxe sur les entreprises du numérique verra le jour dans notre pays.
M. Michel Raison. - Quelles sont les principales inquiétudes de votre pays, historiquement très commerçant, vis-à-vis du Brexit ? Contrairement aux Pays-Bas, la France n'est pas un pays agricole homogène, en raison de la diversité de ses reliefs, de ses climats et de ses cultures. Les positions sur la PAC divergent également. Quelle serait, pour vous, une PAC idéale ? Doit-elle ressembler au farm bill des États-Unis, doit-elle comporter davantage d'incitations environnementales ? Quelle est la situation économique des agriculteurs des Pays-Bas ?
M. Jean-Yves Leconte. - Je représente les Français de l'étranger, dont la moitié vit en Europe. L'Union européenne a vocation à défendre la mobilité des entreprises et des citoyens. C'est une réalité pour les entreprises, qui profitent des décalages fiscaux entre les pays pour optimiser leur taxation ; en revanche, en matière fiscale, les particuliers comme les entreprises de chacun des 27 États membres sont régis par 28 conventions fiscales bilatérales ! L'harmonisation fiscale est une nécessité, au nom de la mobilité. Je suis frappé par les blocages à la mobilité qui existent encore aujourd'hui.
La baisse des ressources propres du budget européen est préoccupante. On ne peut pas faire progresser l'Union européenne si elle est financée toujours plus par les contributions des États, et non par des ressources propres. Comment renforcer celles-ci ?
Le droit de la concurrence provient de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. Il repose sur un refus des monopoles et sur la mise en concurrence. Le droit européen s'impose ; s'il ne convient plus, il faut le faire évoluer. Serait-il opportun de faire des changements pour permettre l'émergence de champions européens ? Il faut affronter une concurrence qui est aujourd'hui mondiale.
Mme Laurence Harribey. - Je veux insister sur l'enjeu territorial. Entendre un représentant des Pays-Bas dresser le constat d'une montée dans la population de l'insatisfaction à l'égard de l'Europe est en quelque sorte un constat d'échec : en effet, ce pays a été très souvent cité en exemple pour son engagement européen, historiquement parlant. Il est contradictoire de dire, dans le même temps, qu'on ne peut pas augmenter le budget européen. Il s'agit non pas d'augmenter les contributions des États, mais de trouver les moyens de développer les ressources propres, ce qui soulève la question de la fiscalité.
Au-delà de la question du budget européen se pose celle de la mutualisation. Si l'on veut un projet commun, il faut se donner des moyens communs. On ne peut pas continuer à avoir des discussions de marchands de tapis à propos des contributions nationales. La mutualisation, c'est le premier pas de la vision commune.
À côté des moyens financiers, il faut agir sur les moyens juridiques, en faisant évoluer le droit de la concurrence et la fiscalité.
S'agissant de la politique agricole commune et de la cohésion territoriale, on ne peut pas se contenter de favoriser l'innovation dans l'agriculture. L'agriculture, c'est le point de départ de nos enjeux communs : la question alimentaire, le modèle de développement économique, la transition écologique. Elle soulève la question de la cohésion territoriale, que nous ne pouvons traiter de la même manière en France que des pays comme les Pays-Bas ou le Luxembourg. Nous ne sommes pas les seuls à être attachés à cette cohésion - je pense aux pays d'Europe centrale et orientale.
M. André Postema, vice-président de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-bas. - Il ne faut pas avoir peur de la méfiance des populations à l'égard de l'Europe, mais au contraire regarder la réalité en face. Cette méfiance existe aussi bien aux Pays-Bas qu'en France. Nous avons une histoire commune, avec les référendums de 2005 sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe. De nombreux Néerlandais regardent avec effroi la situation autour d'eux, dont ils tiennent l'Europe responsable.
Il faut prendre en compte les facteurs émotionnels : le Brexit est une décision irrationnelle, mais c'est une décision qui a été prise. Pour les Pays-Bas, la principale difficulté viendrait d'une sortie sans accord. Nous avons déjà pris de nombreuses mesures : 900 douaniers sont actuellement en formation, nous avons fait des investissements dans la logistique des douanes pour éviter des délais d'attente trop longs... Mardi prochain, le Sénat doit examiner un projet de loi prévoyant des mesures d'urgence pour faire face à cette situation. Le Sénat français a-t-il déjà examiné un projet de loi sur cette question ?
J'ai confiance, notre pays s'est bien préparé au Brexit. Mais nous perdons un partenaire en matière commerciale et dans le domaine de la défense militaire. Quelle sera la future dynamique de l'Union européenne ? À moyen terme, allons-nous réussir à trouver un équilibre à 27, alors même que nous ne parvenons pas à répondre aux peurs de nos concitoyens ?
S'agissant des critères de Maastricht, il ne nous appartient pas de faire la leçon aux autres États. Depuis 2008, les Pays-Bas n'ont pas pu respecter ces critères en raison de la gravité de la crise que nous avons connue, bien plus importante qu'en France. Ce n'est pas à nous de vous dire ce qu'il faut faire, mais il faut viser l'équilibre financier.
M. Frits Lintmeijer, membre de la commission des affaires européennes du Sénat des Pays-Bas. - Aux Pays-Bas, l'agriculture est dominée par une politique quantitative : nous produisons de grosses quantités à bas prix. La plupart des agriculteurs ont tiré leur épingle du jeu. Néanmoins, l'intensification de la production ne peut pas continuer à l'infini. Comment l'agriculture peut-elle continuer à faire des profits tout en nourrissant la population européenne et sans épuiser les ressources ? Ce secteur représente peu d'emplois dans notre pays, mais il est très important en termes de valeur ajoutée.
S'agissant de la fiscalité, mon parti ne soutient pas la coalition gouvernementale. Nous voulons être souverains sur cette question. Nous craignons un alignement par le bas, c'est-à-dire la concurrence fiscale entre États membres. Le Royaume-Uni va essayer d'attirer les entreprises et les particuliers avec une fiscalité basse. Il faudrait se mettre d'accord sur des seuils, pour fixer un minimum de charge fiscale. Cette discussion ne sera pas facile, mais nous devons la mener.
M. Baastian van Apeldoorn. - La question de la légitimité démocratique est l'enjeu principal de l'Union européenne. Le Royaume-Uni avait l'impression d'avoir perdu le contrôle, l'intégration européenne était, selon lui, devenue trop forte après le traité de Maastricht. C'est la raison pour laquelle les Britanniques ont voulu reprendre le contrôle, « take back control », et c'est pourquoi ils ont voté en faveur du Brexit.
Il faut avoir non seulement des moyens communs, mais aussi des objectifs communs. Des propositions légitimes sont exprimées, mais quelle est la base démocratique d'un budget européen ? Peut-on renforcer la démocratie européenne ? La légitimité réside dans les parlements nationaux. Que sommes-nous prêts à transférer ? Les Néerlandais sont économes : nous voulons éviter de transférer notre argent aux pays du Sud qui ne savent pas gérer leurs finances. Mais la question de la légitimité démocratique est encore plus importante.
M. André Reichardt, président. - Pour répondre à votre question sur le traitement par le Sénat du Brexit, je laisse la parole à Simon Sutour, qui est membre du groupe de suivi sur ce sujet.
M. Simon Sutour. - Le Parlement français a voté, de manière consensuelle, il y a plusieurs mois un projet de loi destiné à préparer notre pays en cas d'absence d'accord de retrait. Ce texte permet au Gouvernement de légiférer par ordonnance, c'est-à-dire de prendre les mesures nécessaires sans passer par les assemblées. Nous avons un point commun : nous sommes juste en face du Royaume-Uni. Nous serons la nouvelle frontière de l'Europe, avec des flux à gérer dans nos nombreux ports.
Depuis le référendum sur le Brexit, le Sénat a constitué un groupe de travail comprenant pour moitié des membres de la commission des affaires européennes - le Royaume-Uni est membre de l'Union -, et pour moitié de la commission des affaires étrangères - il peut en effet devenir demain un pays tiers. Nous avons mené des auditions, fait des visites sur le terrain, à Londres, en Irlande... Nous réfléchissons aux perspectives d'avenir. À titre personnel, je regrette le « paquet Cameron » accepté par la Commission européenne. On rêverait aujourd'hui que de telles mesures soient mises en oeuvre ! Lors de la dernière Cosac, il était pathétique de voir nos collègues William Cash et Lord Boswell nous demander de trouver des solutions. M. Cash, membre du parti de Theresa May, tirait à boulets rouges sur cette dernière...
La situation est dramatique : le Royaume-Uni va beaucoup perdre, mais nous également, alors que nous n'y sommes pour rien.
Je voudrais vous faire part d'un sentiment personnel. Nous ne voulons bien sûr pas de frontière entre l'Ulster et l'Irlande. On a voulu lier ce sujet à la question budgétaire, et de ce fait on risque de se retrouver sans accord. On aurait pu, d'un côté, traiter le problème budgétaire, et de l'autre, s'occuper de celui de la frontière. En l'absence d'accord à cause du filet de sécurité - back stop -, la frontière reviendra, et de manière brutale ! Ce n'est pas le Royaume-Uni qui la créera ; c'est l'Union européenne qui dira à l'Irlande de l'instaurer. L'Irlande ne pourra que demander à l'Union de payer, ce qu'elle fera...
M. André Reichardt, président. - Nous pouvons transmettre à la délégation néerlandaise l'ordonnance qui a déjà été prise sur la base de la loi d'habilitation et le compte rendu des travaux que nous menons. Nous suivons presque au jour le jour le Brexit, notamment par le biais d'une lettre d'information envoyée aux sénateurs intéressés. C'est une préoccupation forte tant de la commission des affaires européennes que de celle des affaires étrangères.
Le sujet de la démocratie est assurément crucial. Il est au coeur d'une réflexion plus globale sur la dichotomie entre démocratie représentative et démocratie participative en France. Le mouvement des « gilets jaunes » relaie la demande d'une démocratie participative, avec le référendum d'initiative citoyenne pour régler les grandes questions internes à notre pays.
La question du scepticisme à l'égard de l'Europe pourrait être réglée par un raffermissement de la démocratie au sein de l'Union européenne. Mais une fois cela dit, nous n'avons pas trouvé la solution. Nous partageons le même constat que vous. En France, ce scepticisme vise même les autorités nationales. Le Président de la République a lancé un Grand débat national, auquel 2 à 3 millions de personnes auraient participé ; mais notre pays compte près de 70 millions d'habitants... Nous verrons les conclusions que le Président de la République et le Gouvernement tireront de ce débat, qui prend fin très prochainement.
M. Joris Backer. - L'initiative prise par le président Macron de lancer le Grand débat national est remarquable. Nous nous battons aussi, dans notre pays, avec les questions de démocratie directe ou indirecte. Nous avions introduit la possibilité de recourir à un référendum consultatif, que nous avons supprimée par la suite après de longues discussions.
Sur la question de l'harmonisation fiscale, nous devrions accepter la proposition de la Commission de passer à la majorité qualifiée sur ce sujet. Cela représenterait un énorme pas en avant ! Pour l'instant, les Pays-Bas ne soutiennent pas cette proposition.
S'agissant de la politique de concurrence au sein de l'Union européenne, de quel marché parlons-nous ? S'agit-il du marché européen ou du marché mondial ? Est-il possible de prévoir une législation pour la concurrence mondiale ? Il ne faut pas oublier d'évoquer le pilier social : par exemple, est-il sain d'aborder les questions de santé par une approche de marché ?
Juste un dernier mot pour confirmer l'impression que Simon Sutour a pu avoir à la COSAC : en semant la méfiance, les parlementaires britanniques ont fini par la récolter. Le Royaume-Uni est-il encore uni après le Brexit ?
M. Frits Lintmeijer. - Nous nous inquiétons tous de la méfiance des populations à l'égard de l'Europe. Pourtant, nos enfants sont bien plus européens que nous ne l'étions à leur âge. Les jeunes apprécient de pouvoir passer les frontières librement, de bénéficier de tarifs d'itinérance intéressants.... On ne souligne pas assez tous les avantages de l'Europe auprès de nos concitoyens.
Notre Premier ministre a évoqué à Davos nos valeurs communes : la démocratie, l'état de droit, les droits humains. Nous devons insister sur ces points.
M. Bastiaan van Apeldoorn. - Face aux tensions qui existent, notamment en Pologne ou au Royaume-Uni, l'Union européenne doit défendre ses valeurs communes, comme l'état de droit et la démocratie.
M. André Reichardt, président. - Nous allons être confrontés à une échéance importante, celle des élections européennes, qui sera l'heure de vérité. Nous sommes un certain nombre à regretter vivement l'absence de communication positive sur l'Union européenne. Il faut montrer le rôle important que peut jouer l'Union pour relever les challenges qui nous attendent : numérique, intelligence artificielle.
Je suis originaire d'Alsace, une région frontalière qui, après avoir connu une époque sinistre, a bénéficié d'énormes avantages grâce à la construction de l'Europe. Les jeunes considèrent que la paix est normale, tout comme la mobilité. Nous ne savons pas suffisamment communiquer sur l'intérêt d'une Union européenne efficace, qui réussit. À force de dire que c'est la faute de l'Europe, nos populations se désintéressent, se méfient, voire rejettent l'Union européenne.
Nous espérons que nous passerons le cap des élections européennes pour continuer notre chemin ensemble vers une intégration réfléchie de l'Union, car les valeurs communes que nous partageons sont aujourd'hui en danger.
M. Bastiaan van Apeldoorn. - Nous vous remercions pour cette réunion intéressante.
La réunion est close à 11 heures.
- Présidence de M. Jean Bizet, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Institutions européennes - Débat préalable au Conseil européen en présence de Mme Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes
M. Jean Bizet, président. - Nous sommes réunis aujourd'hui pour débattre en présence du Gouvernement, avant le prochain Conseil européen des 21 et 22 mars 2019. Merci, Madame la Ministre, de vous être rendue disponible pour ce débat.
Nous expérimentons aujourd'hui pour ce débat préalable une nouvelle organisation, qui doit permettre une pleine expression des groupes politiques : il s'agit d'une réunion de la commission des affaires européennes, ouverte à l'ensemble des sénateurs et retransmise en direct sur le site du Sénat.
Comme l'a décidé la Conférence des présidents, son déroulé sera le suivant : après une introduction par la ministre, il est prévu l'expression d'un orateur par groupe politique. Chacun des groupes nous a fait connaître le nom de son porte-parole et je les en remercie. Ces orateurs interviendront, pour huit minutes maximum, dans l'ordre où ils se sont fait connaître à notre commission.
La ministre leur fera ensuite une première réponse, puis s'engagera un échange de questions-réponses entre la ministre et les sénateurs. Pour cette séquence, je remercie chacun de bien vouloir s'en tenir aux deux minutes usuelles afin de garantir l'interactivité du débat.
À ce stade, nous ne disposons que du projet d'ordre du jour du Conseil européen, qui sera définitivement adopté par le Conseil « affaires générales » du 19 mars. Il est prévu que le Conseil européen débatte principalement de sujets économiques - développement futur du marché unique, avec ou sans le Royaume-Uni, union des marchés des capitaux, politique industrielle et politique européenne du numérique dans la perspective du prochain programme stratégique - et qu'il examine les priorités pour le Semestre européen 2019 et la politique économique de la zone euro. Concernant le changement climatique, le Conseil européen fournira des orientations sur une stratégie à long terme que l'Union européenne pourrait présenter d'ici 2020, dans le droit fil de l'accord de Paris. À cet égard, le fait que des associations envisagent de porter plainte contre la France me paraît scandaleux, car nul ne peut contester que notre Gouvernement - dont je n'ai pas vocation à me faire le défenseur - a été premier de cordée en la matière. Enfin, le Conseil examinera les progrès accomplis dans la lutte contre la désinformation, au regard de la nécessité de protéger l'intégrité démocratique des élections européennes et nationales dans l'ensemble de l'Union européenne. Voici donc les sujets de notre réunion, même si leur liste pourrait être amenée à évoluer. Les votes intervenus cette semaine au Royaume-Uni risquent notamment d'ajouter le sujet du Brexit à l'ordre du jour du prochain Conseil européen.
C'est précisément dans la perspective des échanges au Conseil européen sur la politique européenne du numérique que je me permets, Madame la Ministre, d'attirer particulièrement l'attention du Gouvernement sur un sujet majeur pour notre économie et nos démocraties : la cybersécurité. Ne sous-estimons pas le risque de déstabilisation pour les entreprises européennes victimes d'attaques en ligne, mais aussi le risque d'espionnage à travers les équipements, notamment dans la perspective du déploiement du prochain réseau 5G. Sur ce dernier point, le Gouvernement entend-il préconiser une action européenne afin d'adopter des normes communes et de garantir que les données européennes ne soient pas transférées à des autorités étrangères ? L'Union européenne semble devenir moins naïve que par le passé. Il était temps ! Voilà cinq ans que le Sénat tire la sonnette d'alarme...
Notre réunion associe les commissions permanentes les plus concernées par l'ordre du jour du Conseil européen. Je passe donc la parole à M. Vincent Éblé, président de la commission des finances, puis à M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, que je remercie pour leur présence.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. - L'ordre du jour du prochain Conseil européen prévoit plusieurs points économiques et financiers qui intéressent la commission des finances.
Tout d'abord, le Conseil européen devra approuver les recommandations de politique économique pour la zone euro dans le cadre du semestre européen. Outre l'approfondissement du marché unique et de l'Union économique et monétaire, le Conseil Ecofin recommande aux pays de la zone euro de soutenir l'investissement public et privé, tout en assainissant les finances publiques dans les pays connaissant un taux d'endettement public élevé, et d'alléger le coût du travail. Cette équation budgétaire apparaît d'autant plus délicate à résoudre que la Commission européenne a revu à la baisse, en février dernier, ses prévisions de croissance pour la zone euro. Si celle-ci s'est montrée, pour l'instant, plus clémente à l'égard de la France que de l'Italie, notons tout de même qu'elle a mené un bilan approfondi de nos déséquilibres macroéconomiques, en raison du niveau élevé de notre dette publique et de nos difficultés structurelles persistantes.
À ce titre, je voudrais faire observer que la commission des finances devrait examiner en avril le programme de stabilité et le programme national de réformes de la France. Nous serons particulièrement attentifs à la façon dont le Gouvernement entend répondre aux orientations fixées pour la zone euro, car il en va de sa crédibilité face à ses partenaires européens.
Outre le semestre européen, le Brexit est parvenu à s'immiscer dans l'ordre du jour du Conseil européen. Alors que, depuis plusieurs mois, le risque d'une sortie sans accord du Royaume-Uni devenait de plus en plus crédible, le Parlement britannique a rejeté hier la possibilité d'une sortie sans accord. Le scénario du pire est temporairement suspendu, mais sans garantie qu'un éventuel report permette de trouver un accord. En novembre dernier, le ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin, s'est dit très inquiet de l'impact du Brexit sur les entreprises françaises. En deux ans de négociations, le coût d'un no deal sur l'économie française a nécessairement fait l'objet d'une évaluation par vos services, Madame la Ministre. Pourriez-vous nous en fournir une estimation précise ?
Par ailleurs, les banques françaises emploieraient près de 12 000 personnes à Londres et y généreraient près de 6 % de leurs bénéfices. En l'absence d'accord, pouvez-vous nous préciser les dispositions opérationnelles qui seraient mises en oeuvre pour assurer la continuité de l'activité de nos établissements bancaires au Royaume-Uni ?
Enfin, il est impossible de ne pas mentionner les conclusions de la dernière réunion de l'Ecofin qui s'est tenue mardi, et qui a acté l'absence d'accord sur le projet de taxe européenne sur les entreprises du secteur numérique. La recherche d'un consensus dans le cadre de l'OCDE resterait d'actualité, ce qui renvoie vraisemblablement aux calendes grecques la perspective d'une taxation effective. Madame la Ministre, je ne doute pas que vous partagiez notre déception, alors même que nos concitoyens formulent des attentes précises en termes d'équité fiscale. Je note toutefois que le Conseil a étoffé la liste des juridictions non coopératives en matière fiscale, ce qui constitue une avancée, même si nous nous interrogeons sur les modalités de classification de certaines juridictions.
M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères. - Je vous remercie d'excuser l'absence du président Christian Cambon, qui participe cette semaine au déplacement du Président de la République sur le continent africain.
Madame la Ministre, nous vous écouterons très attentivement au sujet du Brexit. J'aurais aimé vous interroger sur ce point mais je suis sûr que d'autres le feront. Je m'en tiendrai donc à deux questions, que je qualifierais de géostratégiques car elles portent sur la capacité de l'Europe à préserver son unité et à jouer un rôle, à l'avenir, au sein du concert des grandes puissances. L'Europe se divise, alors que le centre de gravité des relations internationales se déplace vers le Pacifique. Cela m'inspire une double interrogation.
En premier lieu, un sommet entre l'Union européenne et la Chine aura lieu à Bruxelles le 9 avril prochain. Le prochain Conseil européen doit débattre d'une position commune, alors que l'Italie serait sur le point de signer un accord bilatéral avec Pékin pour s'associer au projet de Belt And Road Initiative ! Où est l'unité dont se prévaut l'Union européenne vis-à-vis de la Chine, alors que plusieurs États membres ont déjà adhéré à l'initiative chinoise, notamment seize pays d'Europe centrale et orientale avec lesquels la Chine a instauré une coopération approfondie dans le cadre du format dit « 16+1 » ?
La Chine a déjà, entre autres, acheté le port du Pirée ; elle projette d'investir demain dans celui de Trieste. Mais l'Europe ne risque-t-elle pas de regarder passer les trains des routes de la soie ? L'initiative chinoise progresse très rapidement sur tous les continents, dessinant les contours d'un multilatéralisme que je qualifierais de bilatéralisme de masse. La politique chinoise comporte des risques à maîtriser, mais aussi des opportunités à côté desquelles l'Union européenne risque de passer. Face à ces évolutions, quelle voix l'Europe entend-elle porter ?
Le second volet de ma question porte sur la place future du Royaume-Uni dans l'architecture de sécurité et de défense européenne. Là encore, il s'agit d'éviter la diffraction de l'Europe, malgré le Brexit et les nombreuses tentations de division. Après avoir parlé d'armée européenne, le Président de la République a récemment proposé un traité de défense et de sécurité. De quoi s'agit-il ? La France participe activement au renforcement de la défense européenne. Elle défend le concept d'autonomie stratégique et a lancé l'initiative européenne d'intervention, à laquelle neuf autres pays européens ont adhéré.
Toutefois, nos partenaires européens ne comprennent pas toujours bien le sens de notre activisme, et chaque nouvelle proposition vient, semble-t-il, accroître leur trouble... Pourriez-vous nous éclairer sur le sens de ce nouveau traité ? S'agit-il d'avancer en dehors de l'Union européenne ? Les Britanniques sont les seuls en Europe à disposer de capacités et d'une doctrine opérationnelle comparables aux nôtres. Notre coopération bilatérale perdurera mais comment seront-ils associés plus largement, à l'avenir, à notre architecture de défense et de sécurité ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Merci de votre accueil. Si vous le voulez bien, je répondrai à vos questions en même temps qu'à celles des orateurs de chaque groupe politique, et m'en tiendrai dans un premier temps à un propos introductif.
Je suis heureuse de vous retrouver dans ce nouveau format de débat préalable au Conseil européen, qui prouve que, comme nous le savons, le Sénat innove en permanence.
M. Jean Bizet, président. - Merci de le souligner !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - J'espère que ce format permettra des échanges riches, à quelques jours d'un Conseil européen qui sera particulièrement observé.
Ce Conseil se tiendra les 21 et 22 mars, une semaine avant la date prévue pour le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, et quelques jours après un nouveau vote du Parlement britannique. Il ne fait aucun doute que la question du Brexit occupera une grande partie des esprits, et probablement des échanges.
Notre objectif, je l'ai déjà dit et je le répète, est la ratification de l'accord de retrait, afin d'assurer une sortie ordonnée du Royaume-Uni, offrant autant de clarté et de sécurité juridique que possible aux citoyens, aux entreprises et à l'ensemble des parties prenantes. Depuis le vote négatif du 29 janvier sur la ratification de l'accord de retrait aux Communes, les échanges se sont poursuivis entre les hauts responsables européens et les autorités britanniques pour trouver des réponses acceptables aux préoccupations exprimées par une majorité de députés britanniques. Plusieurs réunions se sont tenues entre Michel Barnier, notre négociateur, le ministre en charge du Brexit Stephen Barclay et l'avocat général britannique Geoffrey Cox.
Le gouvernement britannique a présenté une proposition autorisant le Royaume-Uni à sortir de manière unilatérale du backstop. Cette proposition avait déjà été faite en 2018, et a déjà été rejetée. Elle n'était donc pas nouvelle. L'Union européenne a indiqué à plusieurs reprises que l'accord de retrait ne sera pas rouvert et que seules des clarifications pourraient y être apportées. C'est ce que le président Juncker et Michel Barnier ont fait le 11 mars au soir en négociant avec Mme May un instrument sur l'accord de retrait et en faisant une déclaration conjointe complétant la déclaration politique.
Je précise bien devant vous que l'accord de retrait n'a été modifié en rien, et que l'Union européenne est restée dans le cadre défini par le Conseil européen dans ses orientations du 23 mars 2018. L'ensemble, composé de l'accord de retrait, de ces deux textes et d'une déclaration unilatérale britannique, a été soumis par la Première ministre à la Chambre des Communes le 12 mars. Celle-ci a perdu largement ce vote : 242 voix pour, 391 voix contre. Je ne peux que le regretter. Je prends note de la volonté exprimée hier par la Chambre des Communes d'éviter un retrait sans accord.
Notre position est claire : l'Union européenne a fourni des assurances au Royaume-Uni en décembre, en janvier, en mars ; nous sommes arrivés au bout de la négociation sur les conditions du retrait, et l'accord de retrait n'est pas renégociable, y compris le backstop, qui vise à garantir l'absence de frontière physique en Irlande tout en préservant l'intégrité du marché unique. La solution ne peut être trouvée qu'à Londres : à eux de sortir de l'impasse où ils se sont placés ! C'est aux Britanniques de choisir, mais ce choix porte plus que jamais entre l'accord de retrait ou la sortie sans accord. On ne peut pas nous dire qu'on ne veut pas de l'accord et qu'on ne veut pas non plus d'une absence d'accord.
L'hypothèse d'une extension courte et limitée de la période de négociations de deux ans prévue par l'article 50 du traité sur l'Union européenne, que Mme May propose aujourd'hui aux Communes, n'a de sens que si elle s'inscrit dans une stratégie alternative crédible. Qui peut croire que quelques semaines de plus, en elles-mêmes, permettraient de trouver une solution, alors que nous négocions depuis deux ans ? Enfin, la durée de l'extension qui serait demandée est cruciale : quel sens cela aurait-il pour le Royaume-Uni d'organiser des élections européennes juste avant son départ ?
Les chances d'une sortie sans accord sont donc désormais très élevées. Dans tous les cas, nous serons prêts. L'État a fait tout ce qu'il avait à faire, sur la base de la loi d'habilitation que vous avez bien voulu voter à cet effet. Je me suis rendue jeudi dernier à Londres avec le sénateur Olivier Cadic pour rencontrer à nouveau la communauté française. Nous demandons que ses membres bénéficient du maintien de leurs conditions actuelles de séjour. Je suis aussi allée à Cherbourg avec vous, monsieur le président Bizet, il y a une quinzaine de jours, pour écouter les marins-pêcheurs. Nous travaillons de façon déterminée avec la Commission européenne, comme sur le plan national, pour leur venir en aide en cas de sortie sans accord.
Je tiens enfin à souligner devant vous que, s'il est normal que le budget de la politique agricole commune (PAC) soit, comme l'ensemble du budget, affecté par la perte de la contribution du Royaume-Uni, nous veillerons à maintenir les financements de la PAC. Ceux-ci ne peuvent servir de variable d'ajustement au Brexit. De ce point de vue, la position présentée par la Commission n'est pas acceptable : nous l'avons dit et nous le répétons, nous ne l'accepterons pas.
Ces discussions sur le retrait du Royaume-Uni ne doivent pas nous faire perdre de vue notre objectif central de relance du projet européen. L'ordre du jour du Conseil européen nous permettra de présenter certaines des idées exposées par le Président de la République dans sa tribune pour une renaissance européenne, qui s'articule autour de trois grands principes : défendre notre liberté, protéger notre continent et retrouver l'esprit de progrès.
Conformément à ses conclusions de décembre dernier, le prochain Conseil européen tiendra en effet un débat approfondi sur l'avenir du marché unique, dans la perspective du prochain programme stratégique. Les chefs d'État et de gouvernement discuteront des sujets liés au marché intérieur comme l'innovation, la protection des données ou encore les transformations que l'intelligence artificielle va entraîner.
Au-delà, nous souhaitons que ce Conseil européen engage le débat sur la nécessité d'une réelle politique industrielle européenne. Pour rester maîtresse de son destin, et capable de mener de front les combats contre le changement climatique et pour l'innovation, l'Europe a besoin d'une industrie forte. Face à des concurrents souvent protégés et subventionnés par les États, nous avons besoin d'acteurs européens de premier plan. Nous voulons que le Conseil européen demande à la Commission de présenter d'ici à mars 2020 une vision stratégique de long terme du futur industriel de l'Union, assortie de mesures concrètes.
La France et l'Allemagne ont présenté des propositions. Il s'agit de permettre à l'Union de financer massivement les nouvelles technologies, afin de rendre nos entreprises plus concurrentielles, y compris en révisant les lignes directrices en matière de concentration d'entreprises en Europe pour tenir compte de la concurrence au niveau mondial. Nous proposons aussi que le Conseil puisse avoir un droit de recours après une décision de la Commission. Il s'agit aussi de mieux défendre nos technologies, nos entreprises et nos marchés, en tirant pleinement profit du nouveau cadre de filtrage des investissements, en exigeant une plus grande réciprocité dans les marchés publics avec les pays tiers et en défendant le multilatéralisme tout en le modernisant, chaque fois que c'est nécessaire - je pense notamment à l'OMC.
En outre, les chefs d'État et de gouvernement discuteront des orientations politiques à prendre pour que l'Union européenne soit en mesure de préparer d'ici à 2020 une stratégie de long terme concernant la lutte contre le changement climatique, dans la continuité de l'accord de Paris. Notre objectif commun doit être que l'Union fasse une annonce ambitieuse lors du sommet sur le climat de décembre 2019, si possible en annonçant la neutralité carbone en 2050, comme l'a proposé le Président de la République.
Renouer avec l'esprit de progrès qui caractérise le projet européen, c'est en effet prendre la tête du combat écologique. Cela suppose de prendre des décisions au plus tard en juin. C'est aussi le sens de la proposition, faite par le Président de la République, de créer une banque européenne du climat, qui financera la transition énergétique. C'est aussi pour cela que nous avons une position ambitieuse sur le futur cadre financier pluriannuel, dont l'objectif de dépenses en faveur du climat doit être revu à la hausse par rapport à la proposition de la Commission.
Nous avons obtenu que le Conseil européen de mars soit aussi l'occasion de procéder à un point d'étape sur le projet d'instrument budgétaire pour la zone Euro, sur lequel l'Eurogroupe travaille en vue d'aboutir à des conclusions en juin. Nous progressons sur le financement des investissements nécessaires pour que les économies de la zone Euro convergent. Nous allons revenir en avril sur la gouvernance de ce budget, qui doit relever des 19 membres de la zone Euro. Le Conseil européen de mars pourra donner une impulsion politique utile : il reste beaucoup de travail, y compris sur le volume de ce budget et sur ses modalités de financement : budget communautaire, contribution des États-membres, recettes propres...
Le Conseil européen de mars examinera les progrès accomplis dans la lutte contre la désinformation et rappellera la nécessité de protéger l'intégrité démocratique des élections européennes et nationales dans l'ensemble de l'Union. Ce sont des enjeux essentiels pour la liberté démocratique. Le Président de la République a ainsi proposé que des experts européens soient déployés immédiatement en cas de cyberattaque ou de campagne de désinformation.
Nous sommes également déterminés à oeuvrer pour renforcer la convergence économique et sociale au sein de l'Union européenne, qui est au coeur du projet européen, pour nous doter de ce que le Président de la République appelle un bouclier social. C'est le sens de l'action que nous avons menée, avec la création d'une Autorité européenne du travail, et avec nos efforts pour lier solidarité financière et convergence sociale au sein du prochain budget européen. Les chefs d'État et de gouvernement reviendront sur l'ensemble de ces sujets lors du sommet informel de Sibiu, le 9 mai, puis à l'occasion de l'adoption en juin prochain du programme stratégique pour la période 2019-2024, qui fixera les orientations et les priorités politiques pour le prochain cycle institutionnel.
Nous voulons nous appuyer, pour définir les priorités de l'Union, sur les principales préoccupations et attentes des citoyens telles qu'elles ont été exprimées en France et au-delà, dans les consultations citoyennes sur l'Europe qui se sont tenues d'avril à octobre 2018, et sur une conférence sur l'Europe qui se tiendra avant la fin de l'année. Nous pourrons ainsi définir les changements nécessaires pour mettre en oeuvre les priorités politiques portées par les citoyens, notamment lors des élections de mai.
Enfin, le Conseil européen fera le point sur quelques situations internationales. Il travaillera notamment à la préparation du sommet entre l'Union européenne et la Chine puis, fin avril, du Forum sur les routes de la soie. L'Union européenne doit mieux se coordonner pour obtenir une meilleure réciprocité commerciale, ou encore des exigences sociales et environnementales rehaussées pour les investissements de la route de la soie. Vous le voyez, les enjeux sont très importants pour ce Conseil européen de mars, qui se saisira de sujets majeurs.
M. Jean Bizet, président. - Merci, Madame la Ministre. Nous en venons au deuxième temps de notre débat dans lequel les différents groupes politiques pourront s'exprimer.
M. Jean-Claude Requier. - Nouveau format et nouveau lieu pour ce débat qui se tenait auparavant dans l'hémicycle, mais l'Europe, symboliquement, n'est en rien reléguée. Même si elle n'est pas à l'ordre du jour du prochain Conseil européen, la question du Brexit est incontournable. La sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne a pris cette semaine les allures d'une tragédie en trois actes qui relève plutôt de Kafka que de Shakespeare. En effet, mardi, les députés britanniques ont rejeté l'accord de retrait pour la deuxième fois ; hier soir, ils ont voté contre un retrait sans accord ; et ce soir, ils doivent se prononcer sur une demande de report du Brexit. Comme le rappelait le négociateur en chef, Michel Barnier, il faut que nos amis anglais sachent ce qu'ils veulent : rester ou sortir. Un retrait négocié sera toujours préférable à une sortie sèche. À ce stade et compte tenu de la tournure des événements, il faut surtout espérer que l'Union européenne et chacun des États membres soient techniquement prêts à cette nouvelle donne.
Madame la Ministre, nous avons récemment adopté la loi habilitant le Gouvernement à prendre des ordonnances sur les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni. Où en est-on de l'application de cette loi, et plus particulièrement de la préparation des infrastructures aux frontières ? Qu'en est-il des moyens humains dans un contexte de surcroît agité par la grève des douaniers français ? Quoi qu'il advienne, le projet européen doit poursuivre sa route vers plus d'intégration. Il reste de nombreux chantiers à mener pour renforcer la cohésion européenne.
Le groupe du RDSE partage les conclusions du Conseil de décembre dernier, lesquelles rappellent que l'on doit faire progresser le marché unique dans toutes ses dimensions. Cependant, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, si le marché unique est indispensable pour permettre à l'Union européenne de s'imposer dans un contexte mondial de plus en plus difficile, il n'a de sens que si l'ensemble des États membres profitent de sa consolidation, et celle-ci passe par un minimum d'harmonisation des règles fiscales et sociales. Il faut parfois aimer jouer cavalier seul dans un combat qui aurait tout à gagner à être commun : hier, sur la taxe sur les transactions financières, ou aujourd'hui sur la taxation des GAFA, la France est la seule à avancer concrètement. C'est d'autant plus regrettable que 23 États membres soutiennent l'idée de réformer le numérique.
Le RDSE approuve l'idée d'un bouclier social que le président de la République a défendue dans sa tribune du 4 mars dernier, mais là aussi, c'est loin d'être gagné, comme l'atteste la réaction allemande de la présidente de la CDU, qui rejette notamment le principe d'un salaire minimum, tout en approuvant l'Union bancaire. Faut-il donc rappeler que derrière les instruments économiques, il y a aussi des hommes et des femmes qui ont besoin de protection ?
L'Europe puissante que promet le président de la République ne semble avoir d'intérêt que sur le plan de la sécurité, lorsqu'il s'agit de réclamer pour l'Union européenne un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU. Mais avant cela, l'Europe devra formuler une véritable politique extérieure commune, ce qu'elle n'est pas encore parvenue à faire. En outre, si l'Europe de la défense avance à travers l'accord de coopération structurée permanente, le fonds européen de défense et l'initiative européenne d'intervention, nous sommes loin d'avoir une armée européenne qui servirait de fondement à une politique extérieure commune. Ces décalages, pour ne pas dire ces désaccords, entre Paris et Berlin nous conduisent à constater que le couple franco-allemand reste bien fragile, à l'heure où il faudrait au contraire concentrer nos forces pour achever les nombreux défis qui s'offrent à l'Europe.
Quant à la Chine, sujet qui est à l'ordre du jour du Conseil européen, les enjeux de notre relation sont en grande partie centrés sur les échanges commerciaux. Le RDSE approuve la posture de plus en plus ferme de la Commission européenne qui exige de Pékin plus de transparence sur les aides d'État, et plus de réciprocité sur les appels d'offres publics, et l'encourage à adopter une attitude moins prédatrice. Trop souvent, la Chine franchit la ligne rouge, au point que la Commission mentionne un « rival systémique ». Nous ne pouvons pas être naïf et réclamer une relation équilibrée reposant sur un socle de valeurs communes. Il faudra également faire jouer la solidarité européenne pour avoir une démarche unifiée. Concernant la 5G, mon groupe salue l'adoption mardi dernier par le Parlement d'une résolution sur la menace chinoise en matière de sécurité dans les domaines technologiques.
Je souhaite que le prochain Conseil européen apporte des réponses pour une Europe plus forte, plus unie et plus solidaire.
M. Jean-Yves Leconte. - Hier, l'Assemblée nationale a voté une résolution portant création d'une assemblée franco-allemande, composée de membres de l'Assemblée nationale et du Bundestag. Pourtant, les travaux que nous avons menés au Sénat au cours des derniers mois ont montré l'importance d'une coopération globale entre les quatre chambres de nos deux parlements, compte tenu de nos compétences respectives. Le Sénat se trouve, d'une certaine manière, sorti du jeu en ce qui concerne les travaux sur la convergence législative entre nos deux pays.
Nos travaux préalables au Conseil européen se déroulent en commission plutôt qu'en séance publique, ce qui restreint la solennité de ce que nous pourrions souhaiter communiquer au Gouvernement, à la veille d'un sommet européen.
Nous avons suivi avec inquiétude les débats à la Chambre des communes. Personne ne sortira gagnant de la situation actuelle devenue pour ainsi dire « out of control ». Compte tenu de nos interdépendances économiques, nous sommes tous inquiets. L'enjeu est aussi celui de la paix, qui était à la source du projet européen, paix entre la France et l'Allemagne, paix dans les Balkans ou paix en Irlande. Le fait que le no deal n'ait été évité que de quelques voix, hier, donne froid dans le dos.
La tribune d'Emmanuel Macron aux citoyens européens, avec un message proche du « l'Europe c'est moi », tenant un peu de Louis XIV et un peu de Bonaparte, n'a pas forcément été appréciée de la CDU ni de Westminster. L'effet est contre-productif. Au moment où il faudrait redoubler d'ambition sur les ressources propres de l'Union européenne, aucune proposition concrète sur un budget spécifique de la zone Euro, comme si le président avait déjà perdu toutes ses ambitions et toutes ses illusions. Au moment où il faudrait définir des outils démocratiques permettant aux citoyens de mieux contrôler les politiques européennes, les citoyens sont invités à rester des citoyens et des sujets des États membres. Au moment où l'Europe fait face à une défiance des peuples, il aurait fallu rappeler l'union bancaire, le sauvetage de la Grèce, la lutte contre la fraude fiscale, la réponse à la crise migratoire de 2015, le renforcement de la zone Schengen et du mandat Frontex qui a permis la division par plus de dix du nombre d'entrées irrégulières. Madame la Ministre, renoncer à dire ce que l'Europe apporte, c'est favoriser ceux qui veulent la remettre en cause.
Enfin, comment entendre la proposition de créer un office européen de protection des réfugiés et apatrides, quand la dernière actualité nous inquiète sur la pérennité du principe de l'indépendance de notre office français ? Mieux vaut commencer par nous occuper de la France. Mieux vaudrait aussi mettre en place une cour européenne du droit d'asile, statuant en appel, plutôt que des institutions chargées de l'instruction des premières demandes. Sans parler du manque de solidarité dont nous avons fait preuve envers l'Italie en utilisant les procédures de Dublin, de la manière la plus restrictive possible.
Je note avec intérêt la proposition d'interdire le financement des partis politiques européens par des puissances étrangères. Pour ce qui concerne la France, nous avions inscrit cette proposition à l'initiative du groupe socialiste du Sénat dans la loi pour la confiance dans la vie politique, à l'été 2017.
Depuis la COP21 de 2015, nous avons pu constater que le dérèglement climatique exigera plus d'efforts que ce que nous pensions. En outre, rien ne garantit que nous parvenions au résultat que nous nous étions fixé en 2015 au niveau mondial. Dans ce contexte, l'Europe ne doit pas fléchir sur ses engagements. Elle doit utiliser sa position de première puissance commerciale pour placer cette exigence au centre des échanges avec ses partenaires.
Il est déplorable que la France soit à nouveau perçue comme un frein à l'intégration européenne des pays candidats dans les Balkans. Cela reflète un manque de confiance dans l'idéal européen. En agissant ainsi, nous livrons progressivement cette partie de l'Europe à d'autres puissances habiles à tirer parti de nos doutes. Les élections présidentielles en Ukraine, à la fin du mois, se déroulent dans un pays désorienté et désillusionné, où la population paie depuis cinq ans le fait d'affirmer sa perspective européenne. Ce pays aura besoin d'attention et de solidarité dans les mois à venir.
Quant à la Turquie, la question des droits ne doit pas nous conduire à abandonner les démocrates, les journalistes, les avocats, ou les universitaires qui comptent sur le dialogue entre la Turquie et l'Union européenne pour les défendre. Saluons aussi la volonté de liberté et de dignité du peuple algérien depuis ces dernières semaines. L'Union européenne doit pouvoir accompagner ce mouvement positivement, sans avoir peur. C'est essentiel pour l'avenir de nos relations.
La conférence de Varsovie a montré combien les Européens étaient divisés sur l'autonomie politique dont l'Europe pouvait se prévaloir pour affirmer sa position sur l'accord nucléaire avec l'Iran. Nous ne pouvons pas subir ces atteintes à notre crédibilité que représentent les menaces de sanction que les États-Unis ont adressées aux entreprises européennes. Au-delà de notre relation avec l'Iran, c'est toute la stratégie de lutte contre la prolifération nucléaire qui est remise en cause.
Enfin, nous sommes le premier partenaire commercial de la Chine, et la Chine est notre second partenaire commercial. La présence croissante de la Chine en Afrique est une question que nous ne pouvons pas éluder, car les enjeux sont de sécurité, de protection de l'environnement et des ressources halieutiques, ou encore de gouvernance et d'engagement financier. Nous ne pouvons pas laisser prospérer des affrontements entre la Chine et l'Union européenne sur ce continent.
Madame la Ministre, le refus de la fusion entre Alstom et Siemens pourrait convaincre un fervent européen de retourner sa veste. Pourtant, la Commission n'a fait que dire le droit, un droit issu de l'après-guerre, de la CECA et de la volonté de lutter contre les monopoles. La situation a évolué, mais pas le droit européen. C'est à la Commission européenne ou bien au Conseil de prendre l'initiative de le changer. Il faut le faire. Lorsque l'Europe était de loin le premier marché mondial, lorsqu'elle disposait d'une avance technologique dans la plupart des secteurs, elle pouvait penser que la concurrence interne était productive. Ce n'est plus le cas, car les marchés les plus gros et les plus porteurs sont souvent hors d'Europe, tandis que des acteurs forts émergent ailleurs qu'aux États-Unis ou en Europe. Droits sociaux, contraintes environnementales, tous ces points doivent être intégrés au droit de la concurrence. Veillons-y dans les accords que l'Europe signe avec le reste du monde. La désindustrialisation n'est pas une fatalité. Il n'y a pas aujourd'hui moins d'usines dans le monde qu'auparavant, mais elles doivent être correctement réparties.
Enfin, Madame la Ministre, je voudrais connaître les intentions du Gouvernement sur la candidature du magistrat français Jean-François Bonnet à la tête du parquet européen. Cette nouvelle coopération renforcée ayant pour objet principal la lutte contre la fraude aux fonds européens et à la TVA, la personnalité choisie sera essentielle pour garantir la crédibilité de cette nouvelle structure, mais aussi pour inciter les pays de l'Union qui ne sont pas encore intégrés à ce dispositif à le rejoindre. C'est important, au moment où l'on introduit dans les négociations du prochain cadre financier pluriannuel de l'Union un principe de conditionnalité des fonds alloués aux États membres. Le Gouvernement fera-t-il le choix du symbole un peu provocateur en suivant les recommandations du Parlement européen, ou bien suivra-t-il la voie de la consolidation de cette coopération renforcée, afin qu'elle puisse être acceptée par ceux qui sont encore réticents ?
M. André Reichardt. - L'ordre du jour du prochain Conseil européen sera une nouvelle fois très dense et devrait encore s'alourdir, au vu des derniers développements sur le dossier du Brexit. Les chefs d'État et de gouvernement se pencheront sur l'approfondissement du marché unique, question récurrente, car malgré ses 25 ans d'existence, ce pilier fondamental de la construction européenne reste encore largement fragmenté. De nombreux obstacles non tarifaires subsistent dans certains domaines clés, de sorte que les échanges sont en moyenne quatre fois plus faibles entre deux États européens qu'entre deux États américains.
Or, dans un contexte économique international qui se fait à la fois de plus en plus concurrentiel mais aussi de plus en plus incertain, l'approfondissement du marché unique est plus que jamais d'une importance stratégique. Pour rester compétitives et innovantes face à la concurrence, il est essentiel que nos entreprises puissent disposer dans tous les secteurs d'un marché intérieur d'une profondeur suffisante, notamment pour stimuler leurs investissements.
La Commission Juncker avait fait de cette question l'une de ses priorités. À la lecture de sa communication du 22 novembre dernier, force est de constater que son ambition pour le marché unique se heurte encore à nombre de réticences nationales. La majorité des textes qu'elle a présentés restent bloqués au Conseil. De même, la transposition et la mise en oeuvre de la législation relative au marché unique demeure largement imparfaite, tandis que les règles nationales contraires à son bon fonctionnement semblent foisonner et se multiplier. Il est donc fondamental que les dirigeants européens prennent un engagement fort en faveur du marché unique et qu'ils fassent de son achèvement une priorité du Conseil pour les cinq années à venir. Je pense bien sûr au numérique, mais également à l'union bancaire et à l'union des marchés de capitaux sur lesquels je souhaiterais insister en raison de leur lien avec les discussions en cours sur l'avenir de la zone Euro.
En effet, la monnaie unique circule aujourd'hui sur vingt-huit marchés bancaires et financiers. Cette fragmentation a des inconvénients majeurs, dont certains sont au coeur des débats sur le fonctionnement de l'Union économique et monétaire. Elle polarise l'activité, ce qui entrave la convergence des économies. Elle freine le recyclage de l'épargne en investissements, notamment du nord vers le sud. Elle atténue la transmission de la politique monétaire à l'économie réelle. Elle alimente le cercle vicieux de la contagion entre risque bancaire et risque souverain. Enfin, elle empêche la diversification des risques, qui joue un rôle essentiel dans l'absorption de ce qu'on appelle les chocs asymétriques. Aux États-Unis, on estime que les chocs asymétriques sont amortis aux trois quarts par le crédit bancaire et les marchés de capitaux, ce qui diminue d'autant la nécessité de transferts budgétaires fédéraux en cas de crise. En Europe, ce canal est largement inopérant.
Nous avons tendance, dans les débats sur l'Union économique et monétaire, à concentrer notre attention sur les questions institutionnelles et le partage des risques publics. Il suffit de citer les discussions sans fin sur la gouvernance de la zone Euro et les propositions concernant la mutualisation des dettes publiques ou, plus récemment, la création d'une assurance chômage communautaire. Cette focalisation soumet toute avancée à des consensus politiques toujours très difficiles à obtenir. Les propositions du président de la République en la matière sont imparfaites. Il souhaitait créer un Parlement, un ministre des Finances et un budget de la zone Euro de plusieurs points de PIB. Les deux premiers points sont presque enterrés, tandis que la concrétisation du troisième s'éloigne considérablement de l'ambition initiale. En effet, si le principe d'un instrument budgétaire spécifique à la zone Euro a été acté par le Conseil européen de décembre dernier, son montant sera sans doute dérisoire par rapport à celui qui était envisagé au départ. En outre, malgré les circonvolutions de la récente position franco-allemande, son rôle devrait être assez restreint et se concentrer sur la convergence et la compétitivité, en excluant une réelle fonction de stabilisation. Qu'on s'en félicite ou qu'on le déplore, la voix du fédéralisme budgétaire semble s'apparenter à une impasse politique.
Bien sûr, nous partageons tous l'objectif de renforcer la résilience de la zone Euro et la convergence économique en son sein. Pour l'atteindre, la soutenabilité des finances publiques, qui se rétablit partout ailleurs en Europe, doit demeurer une priorité. Sans doute faut-il également consacrer davantage d'énergie à l'intégration bancaire et financière qui ne progresse que difficilement. L'accord de décembre dernier, sur la création d'un filet de sécurité pour le fonds de résolution unique va indéniablement dans le bon sens. Quant aux discussions menées sur la supervision financière et la mise en place d'une garantie européenne des dépôts, il est important qu'elles puissent trouver une conclusion rapide. Il restera encore à mener un lourd travail d'harmonisation réglementaire pour progresser vers un marché unique des capitaux.
Les clivages de doctrines sont ici bien moins importants que ceux qui concernent un budget fédéral ou la mutualisation des dettes publiques. La tâche sera nécessairement difficile, car il s'agit d'un secteur stratégique qui touche à des caractéristiques structurelles des États membres. En novembre, la Commission rappelait que les mesures les plus aisées pour l'intégration du marché unique, avaient déjà été prises et que sa poursuite demandait davantage de courage politique qu'il y a 25 ans. Elle a sans doute raison. Soulignons toutefois que les dirigeants européens feront d'autant plus facilement preuve de courage que les citoyens européens verront à nouveau, dans le marché unique, une source d'opportunités et non de menaces. Pour cela, des évolutions majeures devront être réalisées dans d'autres politiques de l'Union. La politique de concurrence devra notamment être adaptée aux nouvelles réalités économiques. La politique commerciale devra se montrer à la fois plus exigeante et plus réaliste.
Ces évolutions conditionnent l'émergence d'une politique industrielle européenne forte. Le président de la République a affiché ses ambitions en la matière dans sa récente tribune sur l'Europe et le manifeste franco-allemand pour la politique industrielle a indéniablement éveillé l'intérêt. Madame la Ministre, pouvez-vous nous indiquer si certains de nos partenaires vous ont d'ores et déjà fait part de leur soutien sur ces propositions ?
Enfin, l'harmonisation fiscale et sociale devra impérativement progresser pour faire refluer les politiques de dumping parfois érigées en modèle économique. Les difficultés des discussions sur la taxe sur les transactions financières et la taxe sur les GAFA, ou encore sur les travailleurs détachés, montrent à quel point il est difficile d'avancer à 27 sur ces sujets. La Commission a proposé récemment d'activer la clause passerelle du traité sur ces politiques, mais cette activation suppose elle-même l'unanimité.
Or il existe un espace pour avancer sur les sujets fiscaux et sociaux, comme d'ailleurs sur ceux liés à l'intégration financière, avec un groupe restreint d'États membres, que ce soit dans le cadre de la coopération renforcée, ou dans celui de la coopération intergouvernementale. Le traité d'Aix-la-Chapelle a esquissé la volonté de Paris et Berlin de progresser vers une zone économique franco-allemande dotée de règles communes, en particulier pour le droit des affaires. Madame la Ministre, pouvez-vous nous indiquer si les questions fiscales et sociales pourraient également faire partie des domaines où cette harmonisation bilatérale sera recherchée, et le cas échéant, si la France et l'Allemagne prévoient d'y associer d'autres partenaires ?
Enfin, Madame la Ministre, en tant que sénateur alsacien, je ne peux clore cette intervention sans m'émouvoir devant vous, une nouvelle fois, de la récente déclaration de la présidente de la CDU sur le siège de Strasbourg du Parlement européen. Je vous remercie de bien vouloir à nouveau vous exprimer clairement au nom de la France à cet égard.
M. Pierre Ouzoulias. - Ouvrant officiellement, en quelque sorte, la campagne de l'élection européenne prochaine, le président de la République vient de publier une adresse à destination des peuples des États de l'Union dans laquelle il déclare : « Nous sommes à un moment décisif pour notre continent ; un moment où, collectivement, nous devons réinventer politiquement, culturellement, les formes de notre civilisation dans un monde qui se transforme. C'est le moment de la Renaissance européenne ». Il ajoute : « Le modèle européen repose sur la liberté de l'homme, la diversité des opinions, de la création. Notre liberté première est la liberté démocratique, celle de choisir nos gouvernants ». Et pour défendre cette liberté démocratique, le président de la République propose la création d'une Agence européenne de protection des démocraties.
J'y suis personnellement très favorable et je pense que sa tâche serait considérable tant les atteintes aux libertés sont nombreuses dans une Union dont le projet était de se donner une base démocratique inaliénable. Pour la première fois de son histoire, le Parlement européen a adopté, le 17 mai 2017, une résolution pour dénoncer une « grave détérioration de l'État de droit, de la démocratie et des droits fondamentaux » en Hongrie. Il a demandé, le 12 septembre 2018, contre ce pays, l'engagement des procédures prévues par l'article 7 du Traité sur l'Union européenne, de la même façon qu'il avait requis l'ouverture de cette procédure contre la Pologne le 26 juillet 2017.
Quand il s'agit de dénoncer les manquements graves aux valeurs démocratiques de l'Union, nos regards se portent facilement vers l'est de l'Europe, peut-être parce que nous pensons, avec parfois un peu de condescendance, que l'exercice de la démocratie dans ces pays n'est peut-être pas encore totalement abouti. Nous avons beaucoup plus de réticences à dénoncer ces transgressions quand elles se manifestent plus près de nous et, en ce moment, de l'autre côté des Pyrénées.
Depuis le 12 février dernier se tient à Madrid, devant le Tribunal suprême, le procès de douze personnes, dont plusieurs d'entre elles ont été élues démocratiquement et certains sont des collègues parlementaires ou des ministres d'un gouvernement légitime. Ils et elles sont poursuivis pour rébellion, sédition, désobéissance, malversation et risquent de sept à vingt-cinq ans de prison.
Le chef d'inculpation de rébellion n'avait plus été retenu par un tribunal espagnol depuis la tentative de coup d'État perpétrée par le lieutenant-colonel Tejero le 23 février 1981. Nous avons toutes et tous en tête ces images terribles de militaires de la garde civile pénétrant dans le Congrès des députés pour y interrompre un vote, par les armes.
Aux douze inculpés du procès de Madrid, il est reproché d'avoir organisé le référendum du 1er octobre 2017. J'ai aussi en mémoire ces images de gardes civils s'emparant d'urnes par la force et ma conscience, peut-être naïve, de démocrate, m'oblige à me demander comment il est possible que ceux qui ont organisé pacifiquement un scrutin puissent être accusés des mêmes délits que ceux qui ont combattu la démocratie.
En aucun cas, je ne me prononcerai sur la question de l'indépendance de la Catalogne, car je pense qu'il appartient aux Catalans et aux Espagnols de trouver une solution politique à ce problème politique. Mon intervention ne porte que sur le respect des droits de la défense et sur la conformité des procédures pénales aux valeurs démocratiques européennes rappelées en préambule. Sachez, chers collègues, que les décisions du tribunal suprême sont définitives et sans recours, que sa composition n'obéit pas à des règles d'indépendance puisque ses membres ont été nommés par le pouvoir de la précédente majorité et enfin que l'accusation publique est secondée, au titre de l'accusation populaire, par un membre du parti d'extrême-droite Vox dont l'objectif politique revendiqué est de « suspendre l'autonomie de la Catalogne jusqu'à la défaite des putschistes ». Cette déclaration d'un parti ouvertement nostalgique de la dictature du général Franco marque bien le caractère éminemment politique du procès en cours.
J'ai déjà évoqué, à plusieurs reprises, devant vous Madame la Ministre et mes chers collègues, le dossier de la Catalogne. Vous m'aviez opposé le principe de non-ingérence. Par prolepse, j'aimerais vous montrer que le procès en cours ne concerne plus seulement la Catalogne et l'Espagne, mais l'Europe dans son ensemble.
En demandant l'extradition de Carles Puigdemont, le gouvernement espagnol a obligé la juridiction d'un autre État membre de l'Union européenne à se prononcer sur les procédures judiciaires en cours. Ainsi, le tribunal régional supérieur du Schleswig-Holstein, répondant à cette demande d'extradition, a considéré que l'infraction pénale de « rébellion » n'était pas recevable, conformément au droit allemand.
L'expérience tragique de l'Allemagne lui inspire une grande méfiance des lois d'exception et de l'usage qu'il peut en être fait contre la démocratie. Son code pénal fait une distinction essentielle entre la vis absoluta, qui consiste en une contrainte corporelle directe, et la vis compulsiva, qui est une action exercée sur la volonté. Ce principe juridique est inconnu du droit espagnol. Dans son jugement, le tribunal régional supérieur du Schleswig-Holstein a estimé que les faits qualifiés par les tribunaux espagnols d'infraction de rébellion ne pouvaient l'être de la même façon sur le territoire allemand, conformément au droit pénal allemand.
L'espace juridique européen est fondé sur la reconnaissance mutuelle de principes juridiques communs : la protection des droits fondamentaux, l'indépendance et l'impartialité du pouvoir judiciaire. En l'occurrence, le procès politique en cours à Madrid devrait nous inciter à prendre conscience du fait que l'harmonisation de cet espace juridique est bien imparfaite. Au nom de nos valeurs communes, nous devons intervenir pour que les droits de nos collègues parlementaires jugés à Madrid soient respectés selon les principes dont nous nous réclamons.
Le Président de la République nous demande de « réinventer politiquement, culturellement, les formes de notre civilisation ». Posons alors ensemble les bases d'une citoyenneté européenne qui garantisse les mêmes droits dans tous les pays de l'Union, et à Madrid, en ce moment, le respect d'un procès impartial et équitable.
M. André Gattolin. - Il est impossible, dans le cadre de ce débat préalable, de faire l'impasse sur l'incroyable, voire l'hallucinant, spectacle offert par le gouvernement et le parlement britanniques à quelques jours de l'échéance fatale du 29 mars.
Ce spectacle pathétique reflète ce que l'écrivain britannique Arthur Koestler qualifiait en 1964 de « suicide d'une nation » ; il parlait à l'époque des tergiversations britanniques sur l'adhésion au marché commun. Ces votes successifs sont tragi-comiques, un jour en faveur du rejet de l'accord de sortie, le lendemain pour le refus d'une sortie sans accord, et ce soir vraisemblablement pour le report de l'échéance finale. En toile de fond, le gouvernement cherche à éviter un retour immédiat vers les urnes. Or, s'il obtenait un délai supplémentaire de trois mois, jusqu'au 30 juin, il serait obligé de procéder à des élections européennes. Benny Hill a pris le dessus sur William Shakespeare !
Lors des débats parlementaires, les trois quarts des propos sont hors sujet par rapport à la procédure de l'article 50. Cela traduit le terrible déclin politico-télévisuel d'une démocratie ancestrale. Ce n'est plus d'une armada de négociateurs chevronnés dont nous avons besoin, mais plutôt d'un régiment de psychiatres et de psychanalystes pour comprendre comment cette grande nation, et surtout sa classe politique, a sombré tout entière dans un déni de réalité, ce que le génial poète anglais Samuel Coleridge appelait, au début du XIXe siècle, « une suspension consentie d'incrédulité » : la volonté de croire en une fiction en lieu et place de la réalité. En psychiatrie, cela s'appelle le syndrome confusionnel onirique, et, dans les pays anglo-saxons, une encéphalopathie métabolique ou delirium. Outre l'apparition de productions délirantes et hallucinatoires chez le patient, ce syndrome se traduit par une désorganisation de la pensée à travers des propos décousus, inappropriés ou incohérents.
Dans un tel contexte et avec un tel interlocuteur, il faudrait être fou soi-même pour accepter de rouvrir un nouveau chapitre de négociation. Il faut louer le talent et la patience de Michel Barnier, négociateur en chef de l'Union européenne ainsi que de la coalition des Vingt-sept, dont beaucoup doutaient. L'attitude irrationnelle des Britanniques nous a davantage soudés et a beaucoup contribué à cette cohésion.
On pourrait s'amuser de cette situation si nous ne connaissions pas les incidences lourdes d'un Brexit sans accord, pour le Royaume-Uni mais aussi pour le reste de l'Europe. L'une des conséquences immédiates serait la révision drastique des moyens alloués au prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027. Lors d'auditions récentes menées avec mon collègue Jean-François Rapin au sujet de la nouvelle politique spatiale européenne, des coupes possibles ont été évoquées, de l'ordre de 16 % sur les budgets d'investissements. Madame la Ministre, pourriez-vous nous éclairer sur les conséquences budgétaires d'un éventuel retrait sans accord du Royaume-Uni dans ce domaine ?
Qu'adviendrait-il des plus de 40 milliards d'euros, prévus dans le projet initial d'accord, que les Britanniques étaient supposés verser en compensation de leur sortie ? Cette question est essentielle pour le financement de la recherche et de l'innovation dans la prochaine décennie, ainsi qu'en termes d'investissements industriels et de nouvelles technologies. Plus de 100 milliards d'euros ont ainsi été programmés pour la réalisation du projet « Horizon Europe » de la Commission, qui pourrait être le plus ambitieux programme de recherche publique du monde. Si cette ambition n'était pas soutenue, l'avenir de notre continent serait compromis face à la concurrence américaine et chinoise.
Le Conseil européen prépare le prochain sommet entre l'Union européenne et la Chine du 9 avril. L'enjeu est de taille. Le président Xi Jinping procédera en amont à une visite officielle à Rome, du 21 au 23 mars, et passera par Monaco le 24 - on peut se demander pourquoi -, avant de venir à Paris.
Si le récent mémorandum de la Commission sur ce sujet, ainsi que la communication du Service européen pour l'action extérieure (SEAE) et la résolution adoptée la semaine dernière par le Parlement européen témoignent d'une position relativement ferme de l'Union à l'endroit de la Chine quant à l'exigence de réciprocité en matière d'échanges économiques, la politique de chaque État membre est loin d'être totalement harmonisée.
Le cas de l'entreprise Huawei, dans le domaine de la 5G, pose question. Les États-Unis font pression sur certains États, notamment l'Allemagne, pour qu'ils prévoient des accords de sécurité. De nombreux pays sont ouverts, d'autres sont fermés. Il importe d'harmoniser les positions. La résolution du Parlement européen prévoit dans son point 12 que la Commission confie à l'European Union Agency for Network and Information Security (ENISA) une étude sur les risques de cybersécurité ici encourus.
S'agissant des « nouvelles routes de la soie », j'ai été surpris par la déclaration dans le Financial Times du sous-secrétaire d'État italien au commerce, Michele Geraci, annonçant la signature d'un accord avec la Chine. Il est positif que les instances européennes affichent une position ferme face à ce pays, mais on peut s'inquiéter du manque de cohérence des politiques des États membres.
M. Olivier Cadic. - J'aborderai trois points : le Brexit, les Balkans et les relations avec la Chine.
Le Brexit doit intervenir dans 15 jours. Or, 994 jours après le référendum britannique de 2016, nous ne savons ni ce qu'il signifiera ni s'il aura lieu. Theresa May n'est pas encore « K-O », mais son pays est au bord du chaos.
Madame la Ministre, ce fut un honneur et un plaisir d'avoir pu vous accompagner la semaine dernière dans le cadre de votre déplacement à Londres. J'ai apprécié la rigueur et la clarté avec lesquelles vous avez défendu les intérêts de l'Union européenne et de notre pays.
Compte tenu du vote qui aura lieu ce soir à la Chambre des communes, si le Royaume-Uni demandait un report de la date de sortie, quelles raisons pourraient motiver l'accord de la France ?
En point d'orgue de votre visite, vous avez rencontré les représentants de la communauté française du Royaume-Uni. Ils ont apprécié la volonté du Gouvernement de faciliter le retour de ceux qui le souhaiteraient. Quant à ceux qui vont rester outre-Manche, dans l'éventualité d'une sortie, ils ont été rassurés par votre approche de la situation et votre détermination à défendre leurs droits. Je vous remercie sincèrement d'avoir pris la mesure de l'inquiétude de nos ressortissants.
Aussi, je vous pose cette question portée par les associations de défense de ces citoyens européens qui vivent dans l'angoisse, notamment the 3 million et British in Europe : la France soutiendra-t-elle la demande de sanctuarisation du chapitre II de l'accord de retrait en cas d'absence d'accord, afin de protéger les droits de 5 millions de citoyens européens ? Il ne s'agit pas de rouvrir l'accord, mais le Conseil européen doit mandater la Commission pour préparer un accord séparé sur les droits des citoyens, qui s'appuierait sur le chapitre II et qui puisse être ratifié avant la date de sortie du Royaume-Uni de l'Union.
Cette question du Brexit mobilise, voire accapare, les ressources de l'Union européenne depuis près de trois ans. Or, au même moment, plusieurs pays des Balkans -l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, le Monténégro, la Macédoine du Nord, le Kosovo - cherchent quant à eux à se rapprocher de l'Union européenne et travaillent ardemment en ce sens comme vous avez pu l'observer, Madame la Ministre, lors de votre récent déplacement à Belgrade et à Skopje.
N'oublions donc pas que l'Union européenne constitue encore pour de nombreux peuples une espérance, une garantie d'avenir, un idéal. La Commission européenne a adopté l'année dernière une stratégie pour une coopération renforcée avec les Balkans occidentaux, structurée autour de six initiatives thématiques. Celle-ci recouvre les principaux sujets sur lesquels nous pourrons avoir une action bénéfique, et vont dans le bon sens. Malgré ces intentions louables, les pays des Balkans occidentaux font face à des risques majeurs aux conséquences néfastes pour eux-mêmes et pour l'Europe dans son ensemble.
Au niveau démographique et économique, les Balkans souffrent de la fuite de leur jeunesse et de leur population la mieux formée vers l'Union européenne. Comment peuvent-ils, dès lors, se développer durablement ? Lorsque j'étais en Albanie, en septembre dernier, il était proposé aux médecins des cours d'allemand pour leur permettre d'exercer en Allemagne. Comment peut-on se soigner en Albanie si tous les médecins sont attirés vers l'Union européenne ? Ce problème vaut pour toute la zone des Balkans. L'Europe doit tout faire, dans la mise en oeuvre de sa stratégie de coopération, pour mettre fin à ce double jeu, et la France doit l'y encourager.
Au niveau géographique et géopolitique, les Balkans font partie de l'Europe, bien qu'ils ne fassent pas partie de l'Union européenne. Même si la guerre est terminée depuis plus de vingt ans, les tensions sont toujours latentes dans la région ; on le voit, par exemple, entre la Serbie et le Kosovo. Or seule l'Union européenne, en tant que force de paix, est en mesure d'assurer la stabilité et un avenir commun entre ces peuples.
Mettre les Balkans de côté, c'est également courir le risque de laisser cette région sous l'influence grandissante de la Russie, de la Turquie et surtout de la Chine. L'établissement de relations étroites et pérennes entre les Balkans occidentaux et l'Union européenne est donc un enjeu de valeurs, mais également de sécurité collective. Que comptez-vous faire, Madame la Ministre, pour rassurer ces pays sur la perspective d'accession des Balkans à l'Union européenne ?
La Chine fera l'objet de discussions lors du Conseil dans la perspective du prochain sommet entre l'Union européenne et la Chine, lequel devrait être centré sur les questions économiques et commerciales. Or il est un sujet dont les enjeux stratégiques ne se retrouvent pas dans son traitement diplomatique : la République populaire de Chine exerce une surveillance de plus en plus étroite de sa population et elle a développé pour cela une technologie des plus efficaces, sans s'embarrasser de considérations sur les libertés publiques. Malgré la volonté d'universalité des valeurs qu'elle défend, l'Europe n'a pas été en mesure de conditionner son partenariat économique au respect par la Chine des principes démocratiques ou liés au respect de la vie privée. Nous sommes avant tout inquiets de la stratégie d'influence de Pékin, qui promeut un système opposé aux valeurs démocratiques au moment où nous assistons à un recul des démocraties dans le monde.
La Chine a commencé à exporter ses technologies en matière de contrôle et de surveillance. Elle livre gratuitement à Djibouti, en ce moment même, un système de 600 caméras de surveillance avec reconnaissance faciale destiné à surveiller toute la population. Ce système sera contrôlé par le siège des services de sécurité djiboutiens. Orwell l'avait cauchemardé dans son roman 1984 ; la Chine va bien au-delà, c'est devenu l'ère du totalitarisme 2.0 ! Pouvons-nous continuer comme si de rien n'était ? Mon collègue André Gattolin se demandait pourquoi le président chinois allait se rendre à Monaco : il suffit pour le savoir de demander à l'entreprise Huawei ce qu'elle offre dans la principauté...
Il est frappant de constater le contraste entre l'attitude de l'Union face à la Chine et sa politique à l'égard du Cambodge. Alors que les produits cambodgiens sont aujourd'hui exemptés de taxes douanières sur le marché unique dans le cadre de l'accord « tout sauf les armes », ces taxes pourraient être rétablies dès 2020 pour cause de violation systématique des droits de l'homme et du travail. L'esprit qui anime cette décision honore l'Union, mais il y a là deux poids deux mesures.
En s'en prenant aux petits pays, qui n'auront pas d'autre issue que de s'abandonner à la Chine, l'Union européenne se décrédibilise. Dans le même temps, des Chinois achètent des terres agricoles en France, bénéficient des aides de la PAC puis expédient leur production vers la Chine. Où est la cohérence ?
L'Europe a la capacité de faire face aux défis auxquels elle est confrontée, et même de les transformer en opportunités pour se renforcer. Je sais, Madame la Ministre, que vous en êtes convaincue.
Mme Colette Mélot. - Le Conseil européen des 21 et 22 mars sera hautement symbolique puisqu'il se déroulera à quelques jours de la sortie présumée du Royaume-Uni de l'Union européenne, alors que nous sommes toujours dans l'incertitude la plus complète quant à la forme qu'elle prendra. Nous devrons veiller à ce que toutes les mesures soient prises pour que nos concitoyens et les citoyens britanniques ne soient pas les premières victimes de cette séparation. Certains tirent déjà la sonnette d'alarme : les douaniers français dans les Hauts-de-France face au manque de moyens pour gérer les nouvelles frontières, les agriculteurs britanniques face au risque d'importation de produits agricoles OGM provenant des États-Unis, les pêcheurs bretons ou normands face au problème potentiel d'accès aux eaux territoriales britanniques.
J'évoquerai deux sujets transversaux, qui dépassent les frontières des États.
Le premier concerne l'influence des puissances étrangères en Europe. La cybersécurité est un enjeu stratégique essentiel pour l'Union européenne. Nous ne pouvons qu'être inquiets face aux menaces grandissantes en provenance de Chine et de Russie. Il n'est pas acceptable que des équipementiers de pays tiers intègrent des portes dérobées dans leurs matériaux informatiques, que des infrastructures stratégiques européennes soient rachetées ou développées par des puissances étrangères, que certains États membres, comme l'Italie ou la Grèce, souhaitent collaborer avec la Chine dans le cadre des « nouvelles routes de la soie », et que des attaques menacent l'intégrité de nos élections.
L'Union européenne doit réagir vite, fort, fermement, en adoptant des mesures claires et coordonnées pour sécuriser et protéger son territoire, ses industries, ses citoyens. Elle doit être en tête dans le domaine des technologies de la cybersécurité et réduire sa dépendance à l'égard des technologies étrangères. Je me félicite des avancées dans ce domaine. Le Parlement européen a adopté cette semaine plusieurs textes importants, dont le règlement sur la cybersécurité et une résolution traduisant l'inquiétude face à la menace technologique chinoise. La Commission a présenté dix mesures à mettre en oeuvre dans le cadre des relations de l'Union européenne avec la Chine, notamment la sécurisation des réseaux 5G et la détection des risques d'investissements étrangers dans des actifs ou infrastructures sensibles. C'est un début, mais il appartient désormais aux États membres d'agir en adoptant ces textes législatifs et en faisant appliquer rapidement ces recommandations.
Madame la Ministre, pouvez-vous nous assurer que les États membres sauront s'entendre lors du Conseil, pour que l'Europe parle d'une voix forte et coordonnée lors du sommet entre l'Union européenne et la Chine ? Ces États sont-ils prêts à rester unis pour faire comprendre à la Chine que l'Union défendra ses intérêts avant tout ? Quelle sera la stratégie européenne pour défendre nos intérêts de façon coordonnée et éviter tout risque de fragmentation entre les États membres face à la Chine ? Comment l'Europe va-t-elle protéger les prochaines élections européennes face à des attaques extérieures ?
Le deuxième sujet que je souhaite aborder est la politique migratoire européenne et sa refonte. Ce point n'est pas à l'ordre du jour du Conseil, alors qu'il est prioritaire et qu'il occupera une place essentielle lors de la campagne des élections européennes ; il est aussi le terreau de fantasmes, de fausses informations et de mauvaises réponses...
Selon une étude Eurobaromètre, environ 40 % des Européens considèrent l'immigration comme l'un des deux problèmes les plus importants auxquels l'Union est confrontée. Il convient donc d'y apporter des solutions concrètes. Après la proposition d'un paquet législatif visant à réformer le système d'asile européen, cinq des sept textes ont été adoptés. Mais les États membres, dont le groupe de Visegrád, bloquent depuis plus d'un an sur la révision de cette politique, notamment sur l'harmonisation des procédures d'asile et les quotas de relocalisation des réfugiés. Il est regrettable que les chefs d'État et de gouvernement n'aient pas l'occasion d'aborder ce sujet ensemble. Ne faudrait-il pas l'ajouter à l'ordre du jour du Conseil, afin d'éviter tout risque de récupération par les extrêmes ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Selon une étude du FMI, un Brexit sans accord n'aurait qu'un effet très faible, voire nul, sur l'économie française - une perte entre 0 et 1 demi-point de PIB. Toutefois, le secteur de la pêche serait particulièrement impacté. Le Gouvernement a donc instauré un dialogue avec les représentants de cette profession et il veillera, ainsi que la Commission, à ce que des aides soient mises en place en attendant la conclusion d'un nouvel accord de pêche avec le Royaume-Uni. Michel Barnier sait que ce sujet est prioritaire, en particulier pour la France.
Nous veillons également à assurer la continuité de l'activité des établissements bancaires au travers du projet de loi d'habilitation que vous avez voté. Les six ordonnances ont été adoptées en conseil des ministres et les décrets d'application sont pratiquement tous pris. L'État sera donc prêt si un Brexit sans accord devait survenir le 29 mars.
Le Brexit sans accord faisant partie des probabilités, je souhaite faire passer un message aux opérateurs économiques. Il est important que les entreprises, notamment les PME, en particulier lorsqu'elles n'ont commercé qu'avec des États membres de l'Union européenne, s'informent auprès des directions départementales des douanes, lesquelles se sont organisées pour pouvoir leur répondre et les conseiller.
Qu'il y ait ou non ratification de l'accord de retrait, il y a une constante : le gouvernement de Mme May impose au secteur financier britannique la perte du passeport européen, que le Brexit ait lieu le 30 mars, donc en cas d'absence d'accord, ou à l'issue de la période de transition. Des établissements financiers britanniques souhaitant continuer à travailler au sein de l'Union européenne ont pris des dispositions depuis de longs mois pour se redéployer en direction de Dublin, Paris et Francfort. J'ai récemment signé l'accord de siège permettant l'installation très prochaine, dans des conditions quelque peu inédites, de l'Autorité bancaire européenne à Paris. Il est en effet rare qu'un tel accord soit prêt et signé avant même l'arrivée de l'organisation concernée ; je compte sur vous pour qu'il soit ratifié avant l'été. Les conditions matérielles et l'accompagnement du personnel de l'Autorité ont été pensés par l'État, la ville et la région.
Monsieur Requier, vous m'interrogez sur les infrastructures et les recrutements nécessaires pour d'éventuels contrôles douaniers consécutifs au Brexit. Nous prenons pour le moment des mesures unilatérales et provisoires. Des bâtiments et des aires de stationnement seront prêts le 29 mars ; les douaniers et les vétérinaires sont recrutés et en cours de formation. Nos douaniers font du zèle ; ils ont l'opportunité d'obtenir des conditions financières et de travail plus avantageuses et Gérald Darmanin travaille sur cette question avec leurs organisations syndicales. Cela dit, malgré tous nos efforts, le Brexit aura des conséquences, en particulier en l'absence d'accord.
M. Gattolin me demandait quelles seraient les conséquences d'un Brexit sans accord sur le budget de l'Union européenne. L'accord de retrait contient, non des sanctions, mais simplement le calcul des sommes dues par le Royaume-Uni, en tant qu'État membre. Il ne peut donc pas s'en départir, quoi qu'en disent certains hommes politiques britanniques ; c'est imparable juridiquement.
Monsieur Cadic, vous me demandez ce qui pourrait, selon nous, justifier un report du Brexit. Nous n'avons pas besoin d'un report, mais d'une décision britannique. Depuis deux ans, avec patience et bonne foi, nous avons mis en oeuvre la décision prise démocratiquement - même si des questions demeurent quant à l'ingérence de puissances étrangères dans les processus électoraux - par le peuple britannique. C'est à lui de choisir si une porte doit être ouverte ou fermée, s'il veut sortir avec ou sans accord. Il faudrait une initiative nouvelle et crédible, c'est-à-dire soutenue par une majorité à la Chambre des communes, pour qu'un report soit déclenché. Le Parlement sait nous dire ce qu'il ne veut pas ; pour le moment, on ne l'a pas entendu nous dire ce qu'il veut. Mme May a elle-même averti les parlementaires britanniques sur ce point ; elle plaide pour un report de courte durée, car elle se voit mal organiser des élections européennes.
Je connais les revendications exprimées quant à la sanctuarisation, en cas de sortie sans accord, du chapitre de l'accord relatif aux citoyens ; il s'agirait de négocier un accord séparé sur ce point avec les autorités britanniques avant la date de sortie. Cela est impossible avant le 29 mars ; les droits des citoyens sont défendus dans l'accord de retrait, qui peut toujours être adopté, en particulier si l'on accorde au Royaume-Uni quelques semaines supplémentaires. J'ai en tout cas demandé au gouvernement britannique que les droits de nos citoyens y résidant soient préservés en cas de sortie sans accord ; grâce à la loi que vous avez adoptée, s'ils devaient revenir en France, leurs diplômes, leurs qualifications et leurs années de cotisations seraient pris en compte.
J'en viens au sujet des relations entre l'Union européenne et la Chine. Des signaux parfois perturbants sont envoyés par certains États membres. Il faut saisir les opportunités de dialogue avec la Chine, notamment en matière de lutte contre le changement climatique, mais il faut avancer les yeux ouverts : réciprocité et transparence dans les aides d'État sont importantes. La Commission est sortie de sa naïveté antérieure. Les initiatives chinoises de « nouvelles routes de la soie » peuvent avoir de l'intérêt, mais les pays intéressés doivent se poser la question des normes sociales et environnementales respectées par la Chine avant de recevoir des investissements. Je me réjouis que l'Europe ait adopté la position défendue par la France sur l'importance du filtrage des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques ; c'est une vraie nouveauté. En revanche, des propos récents d'un membre du gouvernement italien laissent à penser que ce pays est aujourd'hui moins regardant quant à son ouverture aux aspects les moins protecteurs de la mondialisation.
Quant à la taxation des GAFA, nous regrettons évidemment l'absence d'accord à l'échelon européen, d'autant que 23 États membres étaient prêts à s'engager dans cette voie et que le temps presse. Nous mettrons en place une telle taxe au niveau national, de même que le Royaume-Uni, l'Autriche, l'Italie et l'Espagne. Ces mesures transitoires prendront fin quand l'OCDE aura mis en place un instrument mondial.
Monsieur Allizard, vous m'avez interrogée sur la place du Royaume-Uni dans l'architecture de défense et de sécurité européenne. Nous prenons des initiatives pour remettre la France au coeur de l'Europe et faire entendre notre voix. Le Royaume-Uni reste notre grand partenaire en matière de défense et de sécurité ; il faudra trouver moyen de continuer à travailler avec lui bilatéralement et sous d'autres formats. C'est pourquoi le Président de la République a proposé la réunion, au sein d'un Conseil européen de sécurité, des pays européens au sens géographique, avant que l'Union européenne ne prenne elle-même les décisions qui s'imposent. Ne pas écouter les Britanniques dans ce domaine serait une faute.
Quant aux réactions allemandes à la tribune du Président de la République, la situation actuelle de précampagne pour les élections européennes se traduit par des tensions au sein même de la coalition au pouvoir. Le SPD souhaite que l'on se souvienne que les propositions françaises avaient largement inspiré le contrat de coalition, que la nouvelle patronne de la CDU ne semble pas avoir lu dans le détail, puisqu'elle s'est montrée - quelle surprise ! - hostile à la création d'un bouclier social. Il y a en Europe ceux qui veulent la détruire, ceux qui pensent qu'il ne faut rien changer - dont fait manifestement partie Mme Kramp-Karrenbauer - et ceux qui, comme nous, estiment que l'Europe doit traiter les mécontentements, les inquiétudes et les inégalités.
Quant à la position défendue par Mme Kramp-Karrenbauer concernant un siège européen au Conseil de sécurité des Nations unies, elle est politiquement irréaliste et juridiquement irréalisable ; nous n'y sommes en outre pas favorables, comme en témoigne le traité d'Aix-la-Chapelle. Cette position affaiblirait la voix de l'Europe, dont cinq États sont membres cette année du Conseil de sécurité. Pourquoi, demain, n'y en aurait-il qu'un seul ?
M. Reichardt a eu raison de souligner l'importance du maintien du Parlement européen à Strasbourg, qui est son siège aux termes des traités. Strasbourg est la capitale de la démocratie et des droits de l'homme en Europe. C'est l'honneur de cette ville ; c'est la fierté de la France. Nous ne transigerons donc pas sur cette question.
M. Leconte craint que la tribune du Président de la République soit contre-productive ; je l'invite à la relire, ainsi qu'à noter le soutien que lui ont apporté les chefs de gouvernement espagnol, portugais, finlandais, suédois, néerlandais, belge ou encore luxembourgeois, ainsi que ses alliés allemands du SPD. Elle contient nombre de propositions concrètes, telles que la remise à plat de Schengen, et susceptibles de permettre des avancées.
Monsieur Ouzoulias, vous avez salué la proposition de création d'une agence européenne de protection de la démocratie ; elle est plus utile que jamais alors que l'État de droit recule et que des influences extérieures sont régulièrement relevées dans les processus électoraux. Nous avons mis en place un processus d'alerte rapide qui permettra de défendre chaque État contre des cyberattaques et de signaler aux autres États membres la diffusion de publicités politiques ou de fake news en provenance d'États extérieurs. Il faut aller plus loin : nous proposons que des experts nationaux puissent être détachés chaque fois qu'un pays se heurte à de telles attaques. En moyenne, un média comme Sputnik diffuse 18 fake news chaque jour ! L'interdiction du financement de partis politiques depuis des pays tiers est, elle aussi, importante.
Les Balkans sont en Europe, par leur géographie, par leur histoire, parfois tragique, et par leur civilisation. Ni l'Europe ni les Balkans ne sont en revanche prêts à un nouvel élargissement. Nous devons nous interroger sur ce qui a fait partir le Royaume-Uni : pourquoi n'avons-nous pas su convaincre le peuple britannique de rester dans l'Union européenne ? J'ai récemment été en Serbie et en Macédoine du Nord ; j'ai salué les efforts de réconciliations entrepris avec leurs voisins, mais j'ai aussi pu mesurer les difficultés et la hauteur de la marche qu'il leur reste à monter. Ces pays préfèrent notre franchise amicale à la bienveillance indifférente que d'autres États membres leur servent. Certes, la Russie, la Chine et les pays du Golfe s'intéressent à cette région ; c'est pourquoi nous devons y être présents et renforcer nos partenariats. Le Président de la République ira en Serbie en juillet prochain. L'Union européenne doit faire beaucoup plus, notamment au bénéfice de la jeunesse et des mobilités circulaires. En revanche, je le dis sans démagogie, l'élargissement n'est pas pour demain.
Sur la fusion entre Alstom et Siemens, la Commission n'a fait que dire le droit. Je ne le lui reprocherai pas, mais ce droit ne correspond plus à la réalité économique de la mondialisation. Le droit de la concurrence européen doit nous permettre de prendre en compte les aides d'État qui existent dans d'autres parties du monde et de construire des champions de taille critique dans les secteurs où c'est nécessaire. Il ne s'agit pas de porter atteinte aux droits du consommateur.
Vous m'avez aussi interrogée, monsieur Leconte, sur le parquet européen : la coopération renforcée a enfin su trouver un aboutissement. Il faut à présent désigner qui sera le procureur général européen. Deux excellentes candidatures ont été déposées : un magistrat français de très grande qualité, d'une part, et l'ancienne procureure anticorruption de Roumanie, d'autre part. Cette dernière n'est pas défendue par son pays ; c'est une magistrate de grand courage, compte tenu des difficultés que lui oppose le gouvernement roumain actuel. Il revient au Conseil et au Parlement de trouver un accord ; il est trop tôt pour vous indiquer notre position, mais il est impératif que ce parquet européen voie le jour rapidement.
Je suis d'accord avec M. Reichardt : il est nécessaire de finaliser l'union bancaire et d'aller plus loin dans l'union des marchés de capitaux. Quant au budget de la zone euro, on est en effet encore loin d'une gouvernance satisfaisante : qu'il le dise à ses amis politiques au Parlement européen, à la Commission et au Conseil !
Quant à la Hongrie et à la Pologne, monsieur Ouzoulias, je ne dirai pas que ces pays sont loin de la démocratie parce qu'ils seraient arrivés plus tard. Je me souviens pourquoi ils sont entrés dans l'Union européenne : ils sont tombés amoureux, non d'un marché, mais de la liberté, de la démocratie et de la fin de l'oppression.
S'agissant de la Catalogne, si l'État de droit est important à l'Est, il l'est aussi au Sud. Cela implique de ne pas organiser une consultation opaque et contraire à la Constitution de son pays. Le président du gouvernement espagnol a tendu la main aux séparatistes catalans et n'a reçu que des rebuffades ; il a même payé un prix élevé, puisqu'il a perdu la majorité et a dû convoquer de nouvelles élections législatives. Il y a chez les séparatistes catalans comme chez certains extrémistes de droite espagnols des gens qui ne veulent pas de solution à la crise catalane.
Enfin, la dimension extérieure de l'action de la Chine, en particulier en Afrique, n'a pas échappé au Président de la République, qui était à Djibouti avant-hier. Il a pu dire à nos partenaires africains, non pas que nous menons une politique néocoloniale, comme l'affirment certains membres du gouvernement italien, mais que nous avons pour ambition d'être des partenaires respectueux. Nous n'imposons pas des clauses léonines.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Le Conseil européen doit juger des progrès accomplis dans la lutte contre la désinformation et réaffirmer la nécessité de protéger l'intégrité démocratique des élections. Au vu de la révélation de nombreuses pratiques des plateformes de réseaux sociaux, pratiques que nos voisins britanniques n'hésitent pas à qualifier de mafieuses, espérons que le Conseil saura prendre la mesure du scandale. Les plateformes se mettent au service de puissances étrangères, qui se servent des réseaux sociaux pour influencer les opinions et les votes ; ces acteurs ne veulent pas que du bien à l'Union européenne ! Nous sommes entrés dans une guerre froide de l'information ; la mener nécessite une bonne compréhension des enjeux et l'élaboration d'une stratégie européenne. L'Europe continue, hélas, d'avancer en ordre dispersé. En France, nous adoptons des textes de circonstance, telle la récente loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information, manifestement inefficace, ou la proposition de loi annoncée sur les contenus haineux en ligne. Tout cela n'est pas à la hauteur : il faut des réponses structurelles ! Le coeur du problème est dans le régime d'irresponsabilité des plateformes.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Vous avez raison, madame la sénatrice, il faut continuer à réguler et à responsabiliser les plateformes. C'est notre ligne. Les lois que vous avez appelées lois de circonstances sont utiles, notamment dans la perspective des élections à venir, car nous voyons chaque jour mieux à quel point les tentations d'intervenir dans les processus électoraux sont fortes. Je suis d'ailleurs frappée que ce sujet fasse consensus au Conseil des ministres où je siège : les 28 États membres ont une conscience aigüe de la nécessité d'agir. La pratique électorale de certains les conduit à envisager une forme de censure ; nous ne pouvons aller dans cette direction et préférons réguler et responsabiliser.
Je vous invite à ce propos à convaincre les parlementaires européens que vous connaissez de la nécessité de faire adopter avant la fin de la législature le texte relatif au retrait automatique et immédiat des contenus terroristes en ligne. La commission libertés civiles, justice et affaires intérieures a en effet tendance à considérer que les libertés publiques comptent plus que la lutte contre le terrorisme, alors que la première des libertés est la sécurité ! Je le dis également à l'attention des membres d'un parti qui n'est pas représenté parmi vous mais dont je rencontre une représentante ce soir, et qui a l'habitude de voter contre tout ce que propose le Parlement européen en matière de lutte contre le terrorisme.
Une parlementaire française travaille également sur une proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur Internet. Elle s'est rendue dans les institutions européennes pour les convaincre d'être moins timides et de dépasser l'idée d'une simple autorégulation des plateformes. Cette approche, nous l'avons testée ; elle n'a pas donné grand-chose. Je dirais même que l'autorégulation me met mal à l'aise, puisqu'elle consiste à laisser la plateforme décider d'elle-même des critères selon lesquels un contenu est retiré. C'est le rôle et la fierté de l'Europe d'être un espace intermédiaire entre la loi de la jungle américaine et la censure complète chinoise.
M. Jean Bizet, président. - J'ai souvent dit qu'en la matière, nous avions un retard technologique, mais une avance éthique... Et il faut aller plus loin encore !
M. René Danesi. - Le prochain Conseil européen abordera, entre autres sujets, l'union des marchés de capitaux. L'intérêt d'une union monétaire est de faciliter la circulation des capitaux, permettant à l'épargne de financer les projets les plus intéressants à l'intérieur de cette union, et par conséquent de contribuer à sa croissance globale. La circulation des capitaux a longtemps été un résultat très positif de la zone euro, mais leur mobilité a fortement diminué depuis la crise, il y a une décennie. D'après une étude de la banque Natixis, cela provient du fait que les balances courantes de l'Allemagne et des Pays-Bas sont restées constamment excédentaires ces dernières années, à hauteur de 6 % à 8 % du PIB, alors que celles des autres pays de la zone euro sont carrément négatives ! Les économies allemande et batave ont préféré investir hors de la zone euro, si bien que leurs exportations à l'intérieur de la zone euro baissent régulièrement, et celles en dehors de cette zone augmentent inexorablement.
Par ailleurs, l'affaissement de la mobilité des capitaux pose un problème dans la sphère financière. Rappelons que la banque italienne Monte dei Paschi di Siena a été sauvée en 2017 grâce au rachat de 68 % de son capital par l'État italien. Rappelons également que le gouvernement allemand est actuellement à la manoeuvre pour essayer de fusionner les deux colosses aux pieds d'argile que sont la Deutsche Bank et la Commerzbank.
La France fera-t-elle des propositions précises au Conseil européen pour dynamiser le marché européen des capitaux et prévenir la crise bancaire qui menace ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Vous avez très bien décrit la situation, monsieur le sénateur. Depuis la crise, la circulation des capitaux dans l'Union européenne est moins fluide, il y a davantage de barrières. Il est vrai aussi que l'Allemagne a une économie solide mais un système bancaire un peu plus archaïque que le nôtre ou, disons, qui pose davantage de questions.
Nous souhaitons lever les barrières à la commercialisation des fonds d'investissement en Europe. Nous souhaitons travailler sur les conflits de lois en matière de créances, avancer sur un régime européen d'obligations sécurisées - la France et l'Allemagne avaient commencé à discuter, l'Allemagne est désormais plus timide. Nous voulons également développer la finance durable et les investissements verts. Nous avions d'ailleurs organisé une réunion à Bruxelles au printemps dernier, à laquelle le Président de la République avait participé, visant à permettre la création et le développement d'instruments financiers européens facilitant les investissements verts. Nous aimerions aussi pousser l'Union européenne sur le créneau des fintechs ; la seule initiative législative en cours est pour l'heure un règlement européen sur le financement participatif. Ce chantier, vous avez raison, n'a pas suffisamment avancé jusqu'à présent ; nous devons aller plus loin.
M. Jacques Le Nay. - Les événements climatiques exceptionnels se multiplient : tsunamis, typhons, vagues de pluie intenses... S'ils ne touchent pour l'heure que 5 % des Européens, ils pourraient, selon le climatologue Jean Jouzel, devenir la norme pour le continent d'ici la fin du siècle, ce qui aurait des conséquences environnementales, sanitaires et sécuritaires dramatiques. Le continent européen n'est pas le plus exposé, mais il n'est pas épargné : hausse de la température moyenne de deux à trois degrés en France dans plus de 70 villes, vagues de pluies diluviennes en France et en Allemagne à l'été 2016, vagues d'incendies en Grèce, en Laponie et en Suède en juillet 2018... La COP 24 de décembre dernier s'est donné pour objectif de finaliser les règles de mise en oeuvre de l'accord de Paris, qui limite la hausse de la température moyenne mondiale à moins de 2 degrés. Le GIEC prévoit dans le meilleur des cas une hausse entre 0,3 et 0,8 degrés... La Banque mondiale prévoit quant à elle que 143 millions de personnes quitteront leur pays d'ici 2050 en raison des changements climatiques. À l'heure où le président Trump se retire de l'accord de Paris, accord historique, et où le Brésil de Bolsonaro menace de faire de même, quelle influence l'Union européenne peut-elle avoir en matière de lutte contre le changement climatique ? Quelles sont ses capacités et quelle est sa vision stratégique ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Merci pour cette question essentielle, monsieur le sénateur. Comment être à la hauteur du défi climatique qui, les événements que vous avez décrits le montrent, nous concerne tous ? Voyageant beaucoup en France, j'ai rencontré de nombreux agriculteurs qui y sont directement exposés. Le changement climatique n'est pas une menace lointaine ! J'ai aussi, dans le cadre du grand débat, entendu de nombreux Français conscients de l'enjeu et motivés pour lutter contre le changement climatique.
Lutter contre le changement climatique, le Président de la République l'a précisé dans sa tribune, cela passe par la neutralité carbone en France et dans l'Union européenne en 2050. Ce n'est pas, comme j'ai pu le lire sous la plume de certains journalistes ou certaines ONG, un abaissement, mais un renforcement de nos objectifs. Cela nécessite d'agir sur trois volets. D'abord, la lutte contre les gaz à effet de serre, en augmentant le prix du carbone et en travaillant sans doute à une taxe carbone à l'importation dans l'Union européenne. Ensuite, l'encouragement des énergies renouvelables, ce qui nécessite à l'évidence une banque européenne du climat, car les investissements nécessaires peinent pour l'heure à trouver leurs financements. Enfin, le budget européen pour la période 2021-2027 devra compter au moins 40 % de mesures destinées à protéger l'environnement ; la Commission européenne n'en propose que 20 % ou 25 %, ce qui est beaucoup trop timide. En 1989, lorsque le rideau de fer est tombé, nous avons su relever le défi qui se posait à nous, à savoir aider les pays de l'Est à remonter la pente, en inventant la BERD. Cela a marché ! Le défi à relever est peut-être d'une ampleur plus grande encore aujourd'hui ; une banque européenne du climat s'impose. Elle pourra par exemple financer l'amélioration de notre efficacité énergétique. Certains projets du plan Juncker sont déjà financés par la Banque européenne d'investissement ; j'en ai visité un tout récemment dans le Val-d'Oise, qui vise à améliorer l'isolation thermique de logements sociaux. Les fonds Feder servent aussi à cela. Cela doit devenir la priorité des financements européens ! C'est réaliste et faisable, ne manque qu'une volonté politique, que je sais encouragée par la demande de nos concitoyens.
M. Simon Sutour. - C'est une triste journée et une triste période que celle que traverse l'Europe. Je lis dans la presse aujourd'hui que le président du Parlement européen, sans doute soucieux de sa réélection, vient d'indiquer que Benito Mussolini avait fait des choses très positives...
Un mot sur ce débat préalable au Conseil européen. Les forces qui se démènent depuis dix ans pour sortir ce débat de la séance publique ont fini par gagner. Très franchement, ce débat très intéressant aurait eu toute sa place dans l'hémicycle, où il ne se passe plus rien à l'heure qu'il est !
Vous avez parlé, Madame la Ministre, de la question de l'État de droit en Pologne et en Hongrie, et indiqué que les honnêtes citoyens de ces pays ne devaient pas être confondus avec leurs dirigeants. Je vous rejoins, mais c'est un peu contradictoire avec votre position sur la conditionnalité des aides dans le cadre du prochain exercice budgétaire. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Je ne vous ai pas trouvée très convaincante sur la situation espagnole. Nous ne pouvons, si nous voulons être crédibles, avoir une position à géométrie variable sur l'État de droit. Nous ne pouvons critiquer la Pologne, la Hongrie et la Roumanie, et simultanément nous taire sur le cas espagnol. Le procès qui a lieu en ce moment ne vise pas n'importe qui, mais l'ancienne présidente du parlement catalan, les anciens membres du gouvernement catalan, bref des personnes choisies par la population catalane ! Ils risquent 35 ans de prison pour avoir simplement essayé de faire passer dans les faits ce pour quoi les citoyens les avaient élus. Et cela sans possibilité d'appel, ce que jamais nous n'accepterions en France ! Le procureur porte l'accusation au nom de la société, et c'est normal, mais est-il normal que l'accusation soit portée à ses côtés par le parti d'extrême-droite Vox ? Est-ce conforme aux principes généraux du droit européen ? Je sais, Madame la Ministre, que ce que je dis ne vous plaît pas mais, parlementaire libre et indépendant, j'irai au bout de ma question !
Nous sommes quelques dizaines, au Sénat, à prendre position pour la liberté et la démocratie en Catalogne, et les signatures affluent encore. Je vous informe d'ailleurs, monsieur le président, que cinq de vos vice-présidents, tous groupes politiques confondus, ont signé nos propositions. Nous continuerons à nous battre dans ce sens.
Quand, au niveau du Gouvernement français et des institutions européennes, cessera-t-on de se boucher le nez et de se fermer les yeux ? Quand donnera-t-on une solution politique à un problème politique qui concerne tous les citoyens européens que nous sommes ?
Mme Nathalie Loiseau, ministre. - Monsieur le sénateur, que vos propos me plaisent ou non n'a aucune importance, vous avez naturellement le droit de tout dire.
J'ai déjà répondu à M. Ouzoulias sur Vox et le combat qu'il m'inspire.
Nous ne défendons pas une conception de l'État de droit à géométrie variable. Lorsqu'une consultation contraire au droit d'un pays démocratique de l'Union européenne est organisée, il n'y a aucune raison de la soutenir. Nous soutenons en revanche le dialogue politique engagé par le président du gouvernement espagnol, qui s'est heurté à un mur de la part des séparatistes catalans.
Je déplore profondément, tout comme vous, les propos du président du Parlement européen. Il s'en est excusé. Il aurait surtout pu éviter de les tenir... Cela rappellera à ceux qui s'en étaient émus à l'époque les propos du Président de la République, mettant en garde contre le retour en Europe d'une forme de lèpre nationaliste ; d'aucuns avaient alors fait mine de ne pas comprendre... Je remercie pour ma part le Président de la République d'avoir alerté sur le risque d'oubli, par certains, de la barbarie du XXe siècle !
Le but de la conditionnalité des aides au respect de l'État de droit n'est certainement pas de pénaliser les citoyens des pays qui s'en écarteraient. La Commission européenne propose justement de suspendre le versement des fonds européens à ces États tout en les contraignant à verser les sommes correspondantes, sur leurs propres budgets, à leurs bénéficiaires. C'est la meilleure manière de répondre sans céder sur nos valeurs. Les électeurs des pays qui s'éloignent de l'État de droit peuvent aussi s'interroger sur les raisons pour lesquelles leurs gouvernants s'éloignent des valeurs pour lesquelles ils sont entrés dans l'Union européenne et ont toute latitude pour y remédier dans les urnes.
Pardonnez-moi de ne pouvoir répondre plus longuement à vos questions. Je vous remercie, monsieur le président Bizet, pour l'organisation de ce débat, et vous tous pour vos questions.
M. Jean Bizet, président. - Nous vous remercions, Madame la Ministre, pour le temps que vous nous avez consacré et la qualité de vos réponses. Je donne à tous rendez-vous le 2 avril à 16 h 15 en séance publique pour le débat postérieur à la réunion du Conseil européen. Nous serons très attentifs aux positions prises par la France à cette occasion.
La réunion est close à 18 h 50.