Mardi 19 février 2019
- Présidence de M. Jean-Pierre Vial, vice-président -
La réunion est ouverte à 17 h 50
Audition de M. Marcel Genet, Président-Directeur général de Laplace Conseil
M. Jean-Pierre Vial, président. - Mes chers collègues, je préside aujourd'hui cette réunion, en l'absence de notre président, M. Franck Menonville.
Nous recevons aujourd'hui M. Marcel Genet, président-directeur général de Laplace Conseil. Cette audition sera l'occasion de recueillir son analyse de la situation actuelle de la filière, ainsi que ses commentaires sur les stratégies des principales entreprises sidérurgiques implantées en France et, surtout, sur l'évolution de l'action des pouvoirs publics.
En effet, M. Genet a suivi de très près l'évolution de la sidérurgie européenne depuis les années quatre-vingt, en acceptant des missions de conseil auprès de la Commission européenne, en examinant la stratégie française de restructuration de la sidérurgie française à la demande du Gouvernement ou encore en s'impliquant, au sein même des entreprises, dans leurs plans d'amélioration de la compétitivité. Plus récemment, il a par exemple travaillé sur la situation des sites de Florange ou d'ArcelorMittal.
M. Marcel Genet, président-directeur général de Laplace Conseil. - La sidérurgie est un sujet important sur lequel je travaille depuis plus de quarante ans. Un peu comme Obélix, je suis tombé dedans lorsque j'étais petit ! Je m'intéresse beaucoup au devenir de cette industrie.
En sidérurgie, il faut regarder loin dans le temps. Les décisions prises il y a longtemps continuent de produire leurs effets. La sidérurgie européenne a été reconstruite après la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre du traité CECA, précurseur de tous les traités européens.
On peut distinguer deux périodes. Pendant les Trente Glorieuses, la demande d'acier a augmenté de 6 % par an. Depuis 1974, la consommation d'acier est restée globalement stable et dépend fortement de la conjoncture économique.
L'emploi sidérurgique a drastiquement diminué dans tous les pays d'Europe de l'Ouest : aujourd'hui, l'emploi direct représente 20 % du niveau de 1974, avec de profonds effets induits sur les emplois indirects et de grands bouleversements dans les bassins traditionnels.
Deux causes principales expliquent ce déclin : l'automatisation de presque toutes les tâches manuelles pénibles et l'accroissement de la capacité de production des outils. C'est principalement la modernisation de l'outil qui a entraîné la baisse des emplois et les restructurations. Les importations des pays tiers ont eu des effets limités.
En particulier, depuis cette période, la plupart des usines intégrées traditionnelles produisant des produits longs à partir de minerai de fer et de charbon ont été fermées et remplacées pour partie par des mini-usines plus performantes, qui produisent ces mêmes produits en recyclant les vieilles ferrailles dans des fours électriques, ce qui représente 40 % de la production d'acier en Europe comme en France. Le recyclage est devenu le principal contributeur de la réduction des gaz à effet de serre dans la sidérurgie.
En France, la consommation d'acier est restée assez stable, mais pas la production qui a chuté de 15 % à 11 % entre 1974 aujourd'hui.
Comme les autres pays européens, la France a payé un lourd tribut à la restructuration de son industrie, en particulier dans les bassins des Hauts-de-France et du Grand Est où se concentrait l'essentiel de la production.
Reste que cette restructuration s'est plutôt moins mal passée en France que dans d'autres pays européens. Certes, l'Allemagne a très bien maintenu ses positions, compte tenu de la solidité de son industrie aval, mais la France a mieux résisté à cette crise européenne que l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne et l'ensemble des pays d'Europe centrale. Certains pays s'en sont mieux sortis : l'Autriche, les Pays-Bas et la Finlande ont ainsi gagné des parts de marché significatives. Deux facteurs expliquent ce phénomène : la résilience de leurs clients aval et le consensus social, technologique et financier pour remplacer à temps les outils industriels obsolètes.
Il faut distinguer les aciers plats minces et les aciers longs.
Pour les produits plats minces - par exemple l'automobile -, l'impulsion stratégique de l'État à la fin des années soixante pour construire les deux grands sites intégrés de Dunkerque et de Fos s'est révélée décisive et ces initiatives industrielles majeures permettent aujourd'hui à la France de maintenir son rang. Cela impliquait dès la fin des années soixante la fermeture des usines de l'est de la Lorraine ; on le savait à cette époque. Malheureusement, ces fermetures n'ont pas été bien gérées, ce qui a entraîné confusions et contestations.
En revanche, pour les aciers longs, ce n'est pas la même vision qui a prévalu : de très nombreuses contraintes sociales, des concurrences locales entre les vallées en Lorraine et une préférence technocratique en faveur des hauts-fourneaux des aciers dits haut de gamme - or la majeure partie de l'acier est faite d'acier courant, indispensable à l'économie - n'ont pas permis de bien restructurer les aciers longs courants et de réussir la transition du recyclage.
En résumé, la France a très bien réussi la restructuration de 60 % de son industrie pour les produits plats minces, mais aurait pu mieux faire pour les 40 % restants, les produits longs et les tôles fortes ayant été cédés à des industriels étrangers.
Aujourd'hui, la France ne produit plus d'acier pour ses rails et ses roues de TGV. Seule la production de fer à béton s'est maintenue en Île-de-France, troisième région sidérurgique, grâce à la discrète famille italienne Riva.
Aujourd'hui, la production des rails a été vendue à une société britannique et sont fabriqués dans une usine obsolète. À la veille du Brexit, cela risque de poser des problèmes. Il faut y faire attention.
De même, la fabrication de roues de TGV a été vendue au chinois Ma Steel, qui a du mal à importer les blooms (barres d'acier destinées à être laminées pour obtenir des produits longs) nécessaires. Pour l'instant, la France vit sur ses stocks.
Depuis la fermeture des derniers laminoirs de Valenciennes, Longwy et Gandrange, la totalité des poutrelles et autres est importée des pays voisins. En conséquence, la construction métallique française a beaucoup régressé.
Vallourec a récemment décidé de regrouper sa production de tubes pétrole hors de France, à la suite de décisions et d'investissements disproportionnés.
Le déclin d'Ascométal, autrefois leader des aciers spéciaux en Europe, mais qui ne produit plus aujourd'hui que 25 % de sa production d'il y a vingt ans, résulte de choix malheureux. Les repreneurs se sont succédé, tout comme les faillites. Aucun repreneur à capitaux français ne s'est présenté lors des cinq transactions successives pour reprendre cette entreprise et la faire prospérer.
Enfin, le sauvetage in extremis d'Ascoval illustre la méconnaissance des enjeux industriels et environnementaux de nombreux décideurs. Mis à part les pouvoirs publics, aucune institution française privée n'apportait les financements nécessaires.
On note à la fois une absence de stratégie et une absence d'appétit pour cette industrie de la part de tous les investisseurs privés. L'État est bien souvent intervenu tard et avec des moyens limités.
Quid des défis du XXIe siècle ?
Pour les produits plats, il convient à court terme qu'ArcelorMittal assure l'entretien et la modernisation continue de tous ses outils. Les incidents récents de Fos, source d'une pollution potentiellement dangereuse, vraisemblablement attribuable à des défauts de maintenance, sont un signal à ne pas négliger. Il convient d'être attentif à ce que les outils français de produits plats (Fos et Dunkerque) soient entretenus, modernisés et que l'on réalise les investissements nécessaires pour réduire l'empreinte carbone : 9 % du CO2 émis en France est produit par les deux usines de Fos et de Dunkerque. Il faut que les investissements soient réalisés à temps.
Les éventuelles taxes européennes sur les émissions de CO2 émises par l'industrie sidérurgique sont à envisager avec précaution, car elles favoriseraient les importations extracommunautaires, qui n'y seraient pas soumises. En plus, si la France veut investir dans les énergies renouvelables, elle doit disposer des filières industrielles et produire l'acier nécessaire. Il n'y a pas de menace immédiate, mais il faut veiller à ce que la modernisation soit continue.
Pour les produits longs, il faudra remédier à l'incohérence actuelle : nous exportons quatre à cinq millions de tonnes de ferrailles vers nos voisins, ce qui correspond à peu près à la moitié de notre collecte, et nous importons un tonnage équivalent d'acier demi-produit, d'acier laminé et surtout de pièces et d'équipements, le tout fabriqué à partir d'énergies nettement plus carbonées. On pourrait envisager de reconstruire des aciéries électriques pour valoriser davantage notre excédent de ferrailles domestiques. Cela créerait des emplois, renforcerait les filières de transformation en aval et améliorerait fortement le bilan carbone français. La filière dispose de tous les atouts nécessaires : l'électricité décarbonée est compétitive et les ferrailles locales sont moins chères que la concurrence. Mais il faudra envoyer des signaux forts sur la volonté collective d'y parvenir dans le cadre de la transition énergétique, laquelle augmentera la demande d'acier de 20 % et pourrait offrir les débouchés nécessaires.
En définitive, l'acier français a encore un avenir. Cet avenir sera celui du recyclage accru et de l'économie circulaire ainsi que de la participation active à la transformation énergétique. Pour réussir, il faudra une meilleure coordination entre les pouvoirs publics, les entrepreneurs et les investisseurs privés, les fournisseurs de ferrailles, les producteurs d'électricité décarbonée, et les clients de toutes les filières aval de transformation.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Merci pour cet éclairage, très bienvenu en cette phase de démarrage de notre mission. Il est aussi essentiel de recueillir le point de vue des institutions, celui du ministère et celui des acteurs de la filière mines et métallurgie. Vous nous faites bénéficier de votre longue expérience en dressant un panorama global et en formulant des préconisations. L'articulation des stratégies des différents acteurs est-elle satisfaisante ? Pour Ascoval, l'intervention publique a été déterminante. Cela révèle-t-il un défaut de communication et d'articulation ? Si l'État doit être stratège, les régions prennent une part significative dans le développement économique. Quant aux acteurs économiques, l'existence de comités de filières n'empêche pas le cloisonnement et la juxtaposition entre leurs stratégies. Comment relever ces défis et promouvoir une action cohérente de long terme ? Beaucoup d'efforts sont faits, mais ils ne sont pas coordonnés.
M. Jean-Pierre Vial, président. - Certes. Comme vous l'avez fait observer, pour les produits plats, il y a eu une stratégie, et une réussite. Pour les produits longs, nous n'avons eu ni l'une, ni l'autre.
M. Marcel Genet. - Le verre est un peu plus plein que vide - à 60 %, environ.
M. Jean-Pierre Vial, président. - Vous avez ouvert un espoir en insistant sur le recyclage électrique. Nous allons y consacrer un déplacement. Pouvez-vous préciser votre propos ?
M. Marcel Genet. - L'industrie des produits plats est européenne, voire mondiale, et les décisions doivent être prises au moins au niveau national. En France, elles ont été bien prises, dans les années 1960, à l'époque des plans quinquennaux. Cela nous distingue notamment de l'Angleterre, dont l'industrie est dans une situation catastrophique, mais aussi de l'Italie et de l'Espagne - et, pour d'autres raisons, des pays d'Europe centrale.
L'industrie des produits longs, elle, est régionale. C'est l'affaire de grosses PME, fabriquant par exemple 500 000 tonnes par an avec 500 employés. Une grande stratégie nationale n'est pas nécessaire mais il faut des initiatives régionales, impliquant notamment les collecteurs de ferraille. Ceux-ci n'ont d'ailleurs plus rien à voir avec leur image, dégradée, du passé : ils constituent désormais une véritable industrie, compétitive et respectable, à l'image de la société Derichebourg, que je vous encourage à visiter, et qui est l'une des plus performantes en Europe. Il faut aussi impliquer EDF, car une aciérie, qui consomme beaucoup d'électricité, peut absorber utilement la production de basse conjoncture, l'été ou à la sortie de l'hiver, et discuter avec les clients, qui importent actuellement leur acier depuis l'étranger. Ces petites usines disposant de four électrique, fonctionnent dans une relative indifférence, alors qu'elles sont rentables. Qui sait qu'il y en a trois en Ile-de-France, par exemple ?
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Où sont-elles situées ?
M. Marcel Genet. - À Bonnières-sur-Seine, Montereau-Fault-Yonne et Gargenville. Toutes trois sont profitables, mais les médias n'en parlent jamais, pas même L'Usine nouvelle, qui est pourtant un magazine spécialisé dans l'industrie. Ces trois usines ont maintenu depuis vingt ans leur niveau d'emploi. Ce sont des réussites régionales. Il est vrai qu'on trouve beaucoup de ferrailles en Île-de-France, vu le volume d'activité. Il est vrai aussi qu'on a longtemps considéré leur production comme de l'acier à ferrer les ânes...
Mme Christine Lavarde. - Avec ces trois aciéries en Île-de-France, je me sens plus légitime pour participer à cette mission d'information ! Vous avez évoqué les émissions considérables de CO2 des hauts-fourneaux de Fos-sur-Mer et de Dunkerque. On dit souvent que c'est une industrie électro-intensive. Les émissions proviennent-elles du processus de transformation lui-même, ou de la fabrication de l'énergie qui lui est nécessaire ? Il semble difficile de transformer en industrie verte une activité aussi émettrice de carbone...
M. Marcel Genet. - Les deux usines que vous évoquez sont très modernes, mais elles utilisent des hauts-fourneaux, où le minerai de fer importé est réduit à partir de charbon. Elles ne sont donc pas, à proprement parler, électro-intensives. C'est le seul procédé existant pour produire de grandes quantités d'acier de haute qualité. Ce sont les fours électriques qui sont électro-intensifs ; on y fabrique les produits longs : poutrelles, rails, aciers spéciaux et inoxydables... Là, l'économie circulaire fonctionne bien. D'ailleurs, on sait peu que le produit le plus recyclé au monde est la ferraille : 400 à 500 millions de tonnes par an, à comparer aux 15 millions de tonnes d'acier que nous produisons en France, où la ferraille constitue 80 % de la valeur des produits recyclés.
M. Martial Bourquin. - Pourquoi l'Autriche et la Finlande ont-elles mieux réussi ?
M. Gérard Longuet. - L'hydroélectricité !
M. Martial Bourquin. - La modernisation de l'outil a dû aussi compter. Les sites français ont plus de vingt-cinq ans. Il y a donc un gros travail de modernisation. Votre plaidoyer m'a impressionné. Existe-t-il des projets de rénovation de nos sites ? La filière hydrogène est-elle une vraie perspective à moyen terme ? Cela fournirait une électricité moins chère. Vous avez peu parlé des importations chinoises, démesurées et incontrôlées même si nous avons, tardivement, imposé des taxes de 25 %, à comparer aux 225 % américains.
M. Gérard Longuet. - Vous avez évoqué les hauts-fourneaux - ceux qui nous restent. Que pensez-vous de la captation du CO2 ? Le projet Ulcos aurait-il pu aboutir ?
M. Marcel Genet. - L'Autriche, la Finlande et les Pays-Bas sont trois petits pays, dans lesquels il est plus facile d'obtenir un consensus social. C'est très vrai en Autriche, qui jouit d'une longue tradition industrielle et se trouve loin de la mer, ce qui complique l'importation du minerai et du charbon. Les Autrichiens ont choisi de ne pas s'allier à d'autres et de rester indépendants. Pour cela, ils ont fait collaborer les pouvoirs publics, les banques, et les organisations syndicales, qui ont compris l'intérêt de sauver leurs usines et accepté les réductions d'effectifs nécessaires. Les outils ont été rendus plus productifs, même si le plus gros de leurs trois hauts-fourneaux est plus petit que le plus petit de Dunkerque... Et les Autrichiens ont mélangé des matières locales pour accroître les rendements. Ils ont même construit une usine au Texas pour fabriquer du minerai de fer pré-réduit, afin d'augmenter la productivité de leurs hauts-fourneaux ! Ils ont aussi beaucoup travaillé avec leurs clients. Ils ne livrent plus des bobines ou des tôles, mais des sous-ensembles et des pièces. Résultat : ils sont considérés comme meilleurs que les Allemands et livrent des aciers à Mercedes ou BMW et fabriquent même la caisse en blanc pour les Ferrari ! Bref, c'est l'intégration qui a bien fonctionné. Il en va de même de la Finlande et des Pays-Bas, qui comptent l'une des meilleures usines d'Europe, malgré leur alliance avec les très mauvaises usines britanniques !
Il faut faire la même chose en France pour les produits longs. Pour les deux usines implantées là où il y a de la ferraille et de l'électricité, il faut trouver des solutions régionales. Comment la France peut-elle ne pas contrôler la fabrication des roues et des rails de ses TGV ? C'est une usine obsolète d'Angleterre qui fabrique les demi-produits. Si le Brexit complique leur circulation, nous n'aurons pas la capacité d'en produire en France...
M. Jean-Pierre Vial, président. - Pouvez-vous nous détailler les volumes ?
M. Marcel Genet. - La France produit 15 millions de tonnes d'acier - un peu plus en 2018, qui fut une très bonne année. Environ 60 %, soit 11 millions de tonnes, sont des produits plats, dont nous sommes exportateurs nets. Les 4 millions de tonnes restantes sont des produits longs, auxquels s'ajoutent 4 millions de tonnes supplémentaires que nous importons.
Les usines ne meurent pas de vieillesse. Elles meurent faute de client, et à condition qu'on les modernise. Il faut y veiller à Dunkerque et à Fos-sur-Mer - où 115 millions d'euros ont été récemment investis, mais où des portes ne sont plus étanches et laissent filtrer du benzène... Il serait indispensable de les remplacer pour régler ce problème.
Cette modernisation est nécessaire surtout pour les deux grandes usines de produits plats, car c'est là où les investissements sont les plus lourds. En Italie, l'usine de Tarente s'est laissé dépasser et cela coûterait une fortune de la remettre à niveau.
L'hydrogène est une excellente solution, mais à moyen terme. Les Suédois ont créé un consortium entre la mine de fer de Kiruna, le sidérurgiste SSAB et l'électricien Vattenfall pour mettre en place des démonstrateurs à hydrogène. Mais produire de l'hydrogène coûte cher, surtout de l'hydrogène vert. Avant de fabriquer de l'acier avec de l'hydrogène, mieux vaut l'utiliser pour les voitures. D'ailleurs, la Suède n'envisage pas l'équilibre carbone de sa sidérurgie avant 2050.
En revanche, ce pays a recours à la technologie hybrit, qui a pour objectif de remplacer le charbon à coke traditionnellement utilisé dans la fabrication de l'acier à partir de minerai de fer par de l'hydrogène. Comme les Suédois, nous devrions faire travailler ensemble les électriciens, les sidérurgistes et les mineurs.
La Chine exporte surtout en Asie du Sud-Est, en Afrique et en Amérique latine, c'est-à-dire partout où le besoin d'acier se fait sentir et où les industries ne sont pas protégées. Les produits chinois ne nous ont donc pas envahis mais se sont substitués à une partie des exportations européennes qui a perdu les marchés des pays en voie de développement. Les prix mondiaux - et donc européens - ont en outre baissé. Les exportations chinoises n'ont pas eu un impact significatif sur les volumes mais sur les prix, d'où les difficultés du secteur.
L'Europe a taxé les importations d'acier électrique chinois : la conséquence en a été que les fabricants de transformateurs et de moteurs européens n'ont plus pu vendre en Chine ni ailleurs. Nous avons donc sauvé quelques centaines d'emplois en empêchant la Chine de nous vendre des produits que nous ne fabriquions plus en quantité suffisante et nous avons perdu plus de 10 000 emplois en Hollande et en Allemagne. N'oublions pas que si la sidérurgie n'emploie pas beaucoup de salariés, ses clients en emploient bien davantage.
La séquestration du CO2 a de l'avenir : divers projets dans la mer du Nord à hauteur de la Hollande permettraient d'en capter une partie importante. Des projets de méthanisation sont également en cours, dont trop peu à Dunkerque. Ce sont des projets réalistes à moyen terme, c'est à dire avant que la solution à l'hydrogène ne s'impose.
M. Gérard Longuet. - Il s'agirait de réinjecter du CO2 ?
M. Marcel Genet. - Depuis des décennies, tous les pétroliers stimulent la production de leurs puits en injectant du CO2 au moment du forage. La séquestration en elle-même ne pose pas de problème majeur.
M. Gérard Longuet. - Et la captation ?
M. Marcel Genet. - Il s'agit là de séparer le CO2 du ballast d'azote, ce qui est très coûteux. Il faudrait que le prix du CO2 soit nettement plus élevé qu'aujourd'hui pour que le recours à cette méthode soit envisagé.
Ulcos est un projet de long terme. Les Pays-Bas développent une technologie assez semblable. La réduction du CO2 dans les hauts fourneaux ne se fera qu'à long terme. Les différents sites d'ArcelorMittal sont en concurrence pour développer ces projets, mais la France n'est pas en bonne position.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Ces projets sont-ils développés à l'échelle européenne ?
M. Marcel Genet. - Tout à fait. ArcelorMittal choisit les sites européens où il veut implanter ses démonstrateurs.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Nous avons fixé l'objectif de réduction de 80 % de CO2 d'ici à 2050. Le prix du carbone va augmenter à partir de 2020 pour ces entreprises fortement émettrices de CO2 qui doivent donc se moderniser pour se décarboner avant que cette augmentation n'opère. Les hauts-fourneaux européens ne vont-ils pas se trouver en difficulté face à la concurrence chinoise qui, elle, ne connaît pas les quotas carbone ?
M. Marcel Genet. - L'industrie sidérurgique européenne négocie pour éviter d'être pénalisée dans les années à venir. En outre, même si elle émet beaucoup de CO2, elle le fait de façon très efficace. De nouvelles réductions d'émissions seraient extrêmement coûteuses. Mieux vaudrait demander au BTP et à l'industrie automobile de réduire leurs émissions de CO2, car cela coûterait bien moins cher. Le coût de l'hydrogène pourrait se rapprocher de celui du pétrole, mais pas du charbon.
Mme Nadia Sollogoub. - Vous souhaitez ramener le traitement des métaux de récupération en France pour créer des emplois. Élue de la Nièvre, j'ai visité hier l'usine Apéram. Ses dirigeants m'ont fait part de leur difficulté de recrutement. Cette problématique est-elle nationale ? Faudrait-il définir une stratégie de formation dans notre pays ? En outre, alors que sur le même site se trouvent les usines Apéram, Aubert & Duval et Ugitech, aucune stratégie concertée de formation qualifiée n'est envisagée.
M. Marcel Genet. - L'image de marque de la sidérurgie est assez dégradée : du marketing serait indispensable. Pour l'heure, les jeunes ne souhaitent pas se lancer dans cette filière. Des formations spécifiques sont nécessaires ainsi que le développement de l'apprentissage.
Nombre d'entreprises ont disparu parce qu'elles refusaient de collaborer, même au sein d'un même groupe ! Souvenez-vous des rivalités en Lorraine entre la vallée de la Fensch et la vallée de l'Orne. Mais face à la Lorraine, il y a la Sarre. Les derniers hauts-fourneaux dans la région de la Wallonie, du Luxembourg, de la Lorraine et de la Sarre se trouvent en Sarre, alors que cette région était gouvernée par la France et tous les patrons des usines sarroises étaient français. Mais les Sarrois ont su travailler ensemble, ils ont regroupé leurs hauts-fourneaux sur leur meilleur site alors que la France n'a jamais réussi à y parvenir.
M. Gérard Longuet. - C'est un peu plus compliqué. Le Grand-Duché a mené une politique de reconversion très active. En outre, ArcelorMittal a fermé Florange car il était plus facile de fermer en France qu'en Allemagne pour des raisons sociales, ce que les patrons français qui se plaignent du droit social dans notre pays oublient trop souvent.
M. Marcel Genet. - C'est effectivement le cas. Pendant quelque temps, Florange a produit les blooms pour les rails destinés à l'usine de Hayange. Rapidement, Florange a refusé de poursuivre cette production et ce sont les Anglais qui ont récupéré ce marché. Avec plus de coopération, les choses auraient sans doute été différentes.
Mme Élisabeth Lamure. - La France exporte des produits bruts et importe des produits finis : il y a donc un manque de valorisation, comme dans la filière bois, d'ailleurs. Vous nous avez également dit que par le passé, il y a avait eu une tentative de montée en gamme de la qualité des aciers qui n'avait pas abouti. Notre industrie doit-elle améliorer la qualité de ses aciers ou diversifier ses productions ?
M. Marcel Genet. - L'acier entre dans la composition de produits extrêmement diversifiés : cela va des vis de lunettes aux grosses poutrelles. La majeure partie de l'acier produit est de l'acier courant. Les aciers à haute valeur ajoutée coûtent cher à produire et ils ne sont pas nécessairement rentables. Très peu d'aciéries électriques produisant de l'acier courant se sont retrouvées en faillite alors que toutes les aciéries intégrées ont connu au moins une fois des déboires financiers.
Le nord de l'Italie s'est spécialisé à partir des années 1970 dans les aciers bas de gamme et cela lui a réussi.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Quelle est la situation de notre tissu industriel français ? Des entreprises sont-elles en difficulté ? Faudrait-il accompagner différemment ces entreprises ?
M. Marcel Genet. - Aujourd'hui, toutes les entreprises appartiennent à des industriels étrangers. Nous ne disposons pas de réels moyens pour les accompagner. Si une entreprise décide de rapatrier sa production dans son pays d'origine, la France dispose de peu de moyens pour l'en dissuader. Il convient donc que le marché soit porteur pour qu'elle n'ait pas envie de rapatrier sa production. On note une forte corrélation entre la santé industrielle d'un pays et la santé de sa sidérurgie. L'Allemagne a les meilleurs clients au monde...
M. Gérard Longuet. - Et la meilleure mécanique !
M. Marcel Genet. - La moitié des grues qui fonctionnent en Chine sont allemandes. La France fabrique, quant à elle, une bonne partie des contrepoids.
De bons clients valent toutes les stratégies ! C'est pourquoi il faut se préoccuper des entreprises, souvent moyennes, qui assurent les débouchés. Il faut le faire notamment au niveau régional et local.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'action au niveau régional est-elle suffisamment bien organisée ?
M. Marcel Genet. - Ascoval prouve que les choses ne sont pas simples...
Mme Valérie Létard, rapporteure. - Ce n'est d'ailleurs pas terminé !
M. Marcel Genet. - Pourquoi a-t-il été si difficile de relancer une des meilleures aciéries électriques d'Europe ? Parce que beaucoup pensaient que l'idée était mauvaise, parfois pour de bonnes raisons, mais surtout par méconnaissance de la situation. Quand les journalistes parlent de menace sur un « fleuron », c'est mauvais signe... Les mieux informés sont encore les syndicats, qui savent ce qui se passe réellement dans les usines, même s'il faut parfois décoder leur discours. Même avec les plus politisés, on apprend beaucoup.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - C'est très juste !
M. Marcel Genet. - Dans le cas d'Ascométal à Hagondange, le principal client n'avait pas les moyens de déposer une offre de reprise crédible. S'il avait été aidé, par exemple via un fonds régional d'investissement, le tribunal aurait peut-être pris une décision différente. Nous avons un problème d'information sur des industries qui ont une image obsolète.
Mme Valérie Létard, rapporteure. - L'État a-t-il aujourd'hui des leviers financiers pour accompagner de tels projets de reprise ?
M. Marcel Genet. - Dans le cas d'une entreprise moyenne, le problème n'est pas national ; il faut agir à plus petite échelle. Il y a de l'argent, mais il faudrait pouvoir le mobiliser.
Un point encore : alors que la transition énergétique va accroître de 20 % au moins la demande d'acier en Europe, la France n'en profitera pas, parce qu'elle n'a aucune entreprise capable de fabriquer des éoliennes ou des panneaux solaires !
Mme Anne-Catherine Loisier. - Je suis d'accord avec vous, mais nous avons des acteurs dans les domaines de l'hydroélectricité et des chaufferies bois.
M. Marcel Genet. - Il faut investir dans l'industrie de la pompe à chaleur, car c'est le meilleur moyen de chauffage dans les zones non denses.
Mme Anne-Catherine Loisier. - Quel est l'état de notre balance commerciale dans le domaine de la sidérurgie, pour les produits plats et pour les longs ? Par ailleurs, nous avons une solide culture du recyclage des ferrailles : connaissez-vous les volumes concernés, et pourrions-nous recycler encore plus ?
M. Marcel Genet. - Nous collectons en effet beaucoup de ferraille : entre 8 et 9 millions de tonnes. La moitié seulement est consommée en France : l'autre est exportée pour transformation, souvent dans des pays très proches, parce que nous manquons de fours électriques. Résultat : nous importons du carbone et nous exportons des crédits CO2...
En ce qui concerne notre balance commerciale, pour les produits plats, elle présente un déficit de 4 millions de tonnes, surtout sous forme de pièces et d'objets semi-finis et finis. Sur les 50 milliards d'euros du déficit commercial français, 30 milliards environ viennent de l'industrie, notamment des biens de consommation durable et des biens d'équipement, qui comportent de l'acier que nous importons ainsi indirectement.
M. Jean-Pierre Vial, président. - Monsieur Genet, nous vous remercions pour ces informations précises et riches.
La réunion est close à 19 h 10