Mardi 12 février 2019
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Audition des représentants de la Conférence des évêques de France : Mgr Olivier Ribadeau Dumas, secrétaire général et porte-parole, Mgr Luc Crépy, évêque du Puy-en-Velay, président de la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie, et Mme Ségolaine Moog, déléguée pour la lutte contre la pédophilie
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous recevons plusieurs représentants de la Conférence des Évêques de France : Mgr Olivier Ribadeau Dumas, secrétaire général et porte-parole de la Conférence ; Mgr Luc Crépy, évêque du Puy-en-Velay, qui préside la cellule permanente de lutte contre la pédophilie (CPLP) ; Mme Ségolaine Moog, déléguée de la Conférence de Évêques de France pour la lutte contre la pédophilie.
Votre audition revêt une grande importance pour notre mission, qui trouve son origine dans une demande de commission d'enquête portant spécifiquement sur le problème de la pédophilie dans l'Église catholique. Cette demande de commission d'enquête avait fait suite à l'appel lancé par le journal Témoignage chrétien. Notre mission porte sur les abus sexuels sur mineurs commis dans le cadre d'institutions, ce qui exclut la sphère familiale.
En Irlande, en Allemagne, aux États-Unis, des rapports ont critiqué la manière dont l'Église avait géré ces affaires d'agressions sexuelles sur mineurs. Dans notre pays, deux évêques ont été très récemment amenés à répondre de leurs actes devant les tribunaux : Mgr Fort, ancien évêque d'Orléans, qui a été condamné et Mgr Barbarin, archevêque de Lyon, qui est toujours en attente de son jugement.
Nous avons auditionné des victimes mais aussi des ecclésiastiques et des laïcs investis au sein de l'Église. Ils nous ont dit que l'Église avait, parfois, eu plus à coeur de préserver son image, en évitant le scandale, que d'accompagner les victimes et de veiller à la sanction des coupables. Vous nous direz comment vous réagissez à ces mises en cause.
Vous nous parlerez aussi des initiatives que vous avez prises au cours de ces derniers mois et années, afin de lutter plus efficacement contre les abus sexuels sur mineurs. C'était une préconisation du pape François. Pouvez-vous en dresser un premier bilan ? Ont-elles favorisé un changement d'état d'esprit au sein de votre institution propice à une meilleure protection des enfants et des adolescents qui vous sont confiés ? Vous nous direz également comment vous envisagez le travail de la commission présidée par M. Jean-Marc Sauvé et ce que vous en attendez.
Mgr Olivier Ribadeau Dumas, secrétaire général et porte-parole de la Conférence des Évêques de France. - Je vous remercie de nous donner l'occasion de nous exprimer. Je fais cette intervention avec humilité et un profond respect ; je voudrais redire ma compassion et ma proximité avec les victimes, qui n'est pas feinte. Je la fais également avec la détermination qui marque l'action de la Conférence des Évêques de France ces dernières années en n'oubliant pas la spécificité de l'organisation de l'Église catholique, qui n'est pas une holding avec autant de filiales que de diocèses. Un principe clé de cette organisation est l'autonomie d'un évêque dans son diocèse.
Cette audition est positive pour l'Église de France, dans le cadre de son action de lutte contre la pédocriminalité. Le fait que des institutions se saisissent de ce sujet est une aide pour avancer et améliorer nos pratiques. Nous avons appris de l'ensemble des auditions que vous avez menées que toutes les institutions sont confrontées au même type de difficultés pour établir une juste approche de ce sujet.
Il n'est pas besoin de redire le scandale que représentent tous les abus sexuels sur mineurs et personnes vulnérables commis par des clercs. Un seul acte est inadmissible et intolérable. Leur multiplicité ne fait que renforcer cet état de scandale que ressentent légitimement nos concitoyens dont les catholiques. L'actualité, depuis plusieurs années, en porte la trace. Ce qui arrive en Autriche, aux États-Unis, en Irlande, en Allemagne ou en Belgique a un retentissement dans l'opinion publique française. Pour reprendre l'expression de Mme Pedotti, directrice de la publication de Témoignage chrétien, devant vous : le nuage de Tchernobyl ne s'est pas arrêté à nos frontières.
Je veux redire à toutes les personnes victimes ma profonde honte et celle de tous les évêques pour ce qui est advenu ainsi que ma tristesse et ma douleur que nous n'ayons pas pu agir plus tôt, mieux et avec plus de rigueur. Les évêques de France ont, il y a près de vingt ans, abordé à frais nouveaux la question de la pédocriminalité avec l'affaire de l'abbé Bissey qui est rapidement devenue pour l'opinion publique l'affaire Pican. Leur souci, au début des années 2000, a été de traiter les affaires en cours, c'est-à-dire de gérer le présent et de mettre en place une politique efficace de prévention, notamment par la publication du guide Lutter contre la pédophilie. À cette époque, ils ont regardé vers l'avant et non, il faut bien le reconnaître, dans le rétroviseur. Comment expliquer qu'ils n'aient pas eu conscience des centaines de victimes qui avaient été abusées dans les années 1950, qui s'étaient tues depuis cette époque faute de pouvoir parler ou de porter plainte, dont l'entourage n'avait rien dit et dont les agresseurs n'avaient pas été sanctionnés si ce n'est parfois par un transfert dans un autre lieu ? Sans doute justement parce qu'ils n'avaient pas rencontré de victimes et qu'ils ne s'étaient pas rendu compte que leur souffrance, qu'elle date de quinze, vingt-cinq, trente ou quarante ans, ne se prescrirait jamais. En effet, l'agression subie laisse une trace indélébile dans le corps, dans l'âme et aussi dans la relation à Dieu. Sans doute également, même si c'était inconsciemment, parce qu'une logique a prévalu sur une autre : celle de la protection d'une institution dont on ne pouvait imaginer qu'elle puisse, même de façon extrêmement minoritaire, receler en son sein des criminels, sur celle de l'accueil, de l'écoute, de l'accompagnement et du soin à apporter aux victimes.
Permettez-moi en revanche de réfuter le mot « omerta » pour parler de l'attitude des responsables de l'Église dans le traitement de ces affaires. Il n'y a pas eu de système généralisé ni organisé d'omerta et ce, en raison même de l'organisation de l'Église selon laquelle chaque évêque est le responsable de ce qui se passe dans son diocèse. Il y a cependant eu, dans une première phase, une surdité, un aveuglement devant la souffrance parfois inexprimée des victimes, ainsi qu'un déni, l'impossibilité d'admettre que de tels faits puissent se produire au sein du clergé. C'était si incroyable et impensable qu'il y a eu une sidération, une pétrification. Cette culture de surdité et d'aveuglement a petit à petit changé. Je puis en témoigner. Un élément important a été la révélation des faits reprochés à l'abbé Preynat à Lyon par l'action courageuse, tenace, difficile pour nous aussi, des victimes réunies au sein de l'association La Parole Libérée. Le travail des journalistes et des enquêteurs a heureusement contribué à faire cesser cette attitude.
Après l'assemblée des évêques à Lourdes en mars 2016, où le cardinal Barbarin a été au centre de l'attention des médias, le conseil permanent de la Conférence des Évêques, qui en est l'organe exécutif, a décidé de mesures fortes. La priorité a été donnée à l'écoute et à l'accueil des personnes victimes avec la mise en place de dispositifs dans les diocèses afin que toute victime puisse s'adresser à quelqu'un. Il existe aujourd'hui soixante-dix cellules de ce type, parfois inter-diocèses. Ce peut aussi être l'évêque qui accueille directement les victimes en présence d'un témoin. Entre 2010 et 2016, 222 personnes s'étaient adressées aux évêques. Entre 2017 et 2018, elles étaient 211, signe que la parole se délie.
Nous avons affirmé notre désir d'une coopération pleine et entière avec la justice de notre pays. Un évêque qui a connaissance d'un acte pédocriminel a l'obligation de vérifier que la justice est saisie soit par la victime ou sa famille, soit par l'auteur qui se dénonce, soit par un signalement qu'il effectue lui-même au procureur de la République. Dans la pratique, aujourd'hui, l'évêque effectue de plus en plus lui-même un signalement qui peut venir en complément des démarches entreprises par la victime ou sa famille ou l'auteur présumé. Entre 2010 et 2016, 137 signalements ont été effectués, contre 75 entre 2017 et 2018. La différence entre le nombre de victimes et le nombre de signalements s'explique par le fait que certains auteurs sont décédés, que plusieurs témoignages peuvent se rapporter à un unique auteur ou que certains signalements ne sont pas justifiés. Selon les normes votées par les évêques en 2012, l'ouverture du procès canonique par l'évêque, lorsqu'il a connaissance de faits vraisemblables, est suspendue tant que la justice pénale n'a pas rendu sa décision, afin d'en tenir compte.
Nous avons aussi décidé d'intensifier la prévention vis-à-vis de tous les acteurs en lien avec des enfants ou des jeunes : réédition du guide Lutter contre la pédophilie ; renforcement de la formation affective, relationnelle et sexuelle des séminaristes ; formation des clercs, des laïcs en responsabilité et du grand public. Depuis 2017, entre 7 000 et 9 000 personnes en responsabilité actuelle ou future ont pu bénéficier d'une sensibilisation ou d'une formation. Il faut enfin mentionner que lorsque des cas sont portés à la connaissance d'un évêque, celui-ci prend des mesures prudentielles à effet immédiat vis-à-vis de l'auteur présumé pour protéger de possibles victimes.
D'autres outils ont été mis en place plus récemment. Depuis le 12 avril 2016, une adresse e-mail, parolesdevictimes@cef.fr, recueille les témoignages de tous ceux qui le désirent. En juin 2016, nous avons créé la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie, présidée par Mgr Crépy et composée d'évêques, d'un juriste, d'un psychologue, d'un représentant de la Conférence des religieux et religieuses de France (Corref) et de Mme Moog, déléguée de la CEF pour la lutte contre la pédophilie. Elle porte ce sujet dans la durée en traitant au fur et à mesure les questions et situations qui apparaissent. Nous avons également mis en place la Commission nationale d'expertise confiée à M. Alain Christnacht et composée de juristes, de pédopsychiatres, de psychiatres et de spécialistes de l'enfance. Elle est chargée de conseiller les évêques sur la justesse d'une mission confiée à un prêtre après sa condamnation, ou sa non-condamnation en raison de la prescription des faits.
Nous avons aussi créé un site internet intitulé « Lutter contre la pédophilie » qui rappelle les procédures à suivre par un responsable religieux averti d'un cas de pédophilie et qui oriente les victimes vers l'évêque du diocèse concerné. Enfin, Mme Moog a été embauchée à plein temps en tant que déléguée de la Conférence pour la lutte contre la pédophilie. Elle ne ménage ni son énergie ni ses actions.
Parallèlement, au cours de l'année et de façon régulière, des réunions d'échanges de bonnes pratiques sont organisées pour les référents diocésains ou pour les membres des cellules d'écoute et de formation, avec un programme établi par le Centre de protection des mineurs de l'Université grégorienne à Rome, très alerté sur ce sujet.
La détermination des évêques à lutter contre ce fléau et assainir le passé en guérissant au mieux les blessures n'a cessé de s'accroître et est aujourd'hui une réalité quotidienne. Cette conviction liée à l'action a été renforcée par le témoignage, à Lourdes en novembre dernier, de sept victimes devant les évêques. Elles ont exprimé leur traumatisme mais aussi échangé sur les mesures à prendre et les réflexions à mener. Les évêques qui n'avaient pas encore eu l'occasion de rencontrer de victimes ont ainsi pu mesurer ce que pouvait être leur vie après de tels abus. Au cours de cette dernière assemblée, de nouvelles mesures ont été décidées telles que la création d'une commission indépendante chargée de faire la lumière sur les abus sexuels commis sur les mineurs et personnes vulnérables depuis les années 1950, d'étudier le traitement de ces affaires dans le contexte des époques concernées mais aussi d'évaluer les mesures prises par la CEF et la Corref, depuis les années 2000 afin d'émettre des préconisations. La présidence en a été confiée à M. Jean-Marc Sauvé, vice-président honoraire du Conseil d'État. Il doit rendre un rapport public.
Par ailleurs, quatre dimensions d'un même processus de réparation font l'objet de différents groupes de travail associant des évêques, des juristes, des psychologues et psychiatres en lien avec des victimes : la prise en compte de l'aspect mémoriel, pour que l'on n'oublie jamais le drame vécu par les victimes en recueillant leurs témoignages et en étudiant l'opportunité de désigner un lieu particulier pour les conserver et un jour particulier dans l'année pour en faire mémoire ; l'étude d'un geste financier pour aider à la restauration des personnes victimes - la dimension financière a une part symbolique importante dans la reconnaissance de l'état de victime et la réparation des personnes ; l'intensification de la politique de prévention par la création éventuelle de nouveaux outils ; le suivi et l'accompagnement des auteurs ou personnes mises en cause, au besoin au sein de structures adaptées. Toutes ces mesures sont nécessaires. Nous savons que le chantier est encore devant nous.
Nous devons également tenir compte de la nécessité d'éviter une dénonciation abusive ou calomnieuse et de respecter la présomption d'innocence et les droits de la défense afin d'éviter des abus inverses qui conduisent aussi à des situations dramatiques. À titre d'exemple, une procédure pour dénonciation calomnieuse vis-à-vis d'un clerc a été déclenchée par le parquet.
La lutte contre la pédocriminalité est l'affaire de l'ensemble des fidèles et pas seulement des évêques. Le pape François nous y incite dans la lettre au peuple de Dieu qu'il a écrite le 20 août dernier. Il y évoque le cléricalisme comme source de ces abus, c'est-à-dire un usage tordu de l'autorité qui fait qu'on acquiert un pouvoir toxique, une emprise sur l'autre. C'est dans une juste articulation entre les responsabilités confiées aux laïcs et celles confiées aux clercs et dans une confiance renforcée que nous pourrons continuer d'avancer.
Vous nous avez également interrogés sur le secret de la confession. Le secret de la confession est un secret professionnel, au même titre que le secret médical ou que la relation entre un avocat et son client. Il obéit d'ailleurs aux mêmes règles juridiques. L'image d'un prêtre, ayant abusé d'enfants, allant confesser ses crimes à son évêque est un fantasme qui ne correspond pas à la réalité. Un évêque, en effet, n'a pas le droit de confesser ses prêtres. Enfin, je voudrais souligner que, paradoxalement, ce secret de la confession est une chance parce qu'il permet à des personnes, des victimes ou des proches, et quasiment jamais des auteurs d'abus sexuels comme je viens de le souligner, de s'exprimer en toute sécurité et sérénité. Bien souvent, nous sommes en présence de victimes qui ne veulent pas porter plainte. La confession permet d'entamer un dialogue, un chemin avec la personne, en l'incitant à aller parler à d'autres personnes, en dehors du secret de la confession. Je pense notamment à des enfants qui peuvent exprimer certaines choses en confession, et à qui on peut demander de reparler de ce sujet, en dehors de la confession, pour ouvrir d'autres possibilités d'action. La confession est parfois le seul lieu possible de révélations de faits de violences sexuelles et le confesseur qui reçoit ce secret ne reste pas sans rien faire.
Mme Ségolaine MOOG, déléguée pour la lutte contre la pédophilie. - La Conférence des Évêques de France m'a nommée, en septembre 2016, déléguée pour la lutte contre la pédophilie. Auparavant, j'avais été responsable pendant sept ans des aumôneries de l'enseignement public. Je suis chargée d'animer le travail de la Conférence des Évêques sur cette question, en lien avec les diocèses, les mouvements de jeunes, la Conférence des religieux et religieuses de France, des associations. Une part importante de ma mission consiste à accompagner, au quotidien, les évêques, de façon individuelle, dans les démarches et actions que suscite la réception de témoignages de personnes victimes ou d'éléments préoccupants.
Je distinguerai deux types de situations en fonction de l'âge de la personne victime au moment où l'information nous parvient. Dans la grande majorité des cas, il s'agit de personnes qui étaient mineures au moment des faits dénoncés mais qui sont devenues adultes au moment où l'information nous parvient. Souvent les faits révélés sont très anciens, ce qui ne retire rien à la gravité de l'acte commis. Les autres situations concernent des victimes encore mineures au moment de la transmission de l'information. Ces cas sont très rares, mais imposent une réaction immédiate.
Concrètement, les faits peuvent être portés à la connaissance d'un évêque de façon directe, par la victime elle-même devenue adulte, ou par l'entourage de la victime, des parents ou des proches, lorsque la victime est mineure. L'information peut aussi être transmise à l'évêque par le biais de relais locaux : des paroissiens, des enseignants, des animateurs de jeunes, d'un curé de paroisse ou d'un vicaire. Les faits peuvent aussi être signalés sur la plateforme de dépôt de témoignages que nous avons ouverte. Il arrive aussi, comme ce fut le cas dans quelques affaires récentes, que l'évêque soit informé par les autorités judiciaires au moment de la convocation d'une personne mise en cause ou de sa garde à vue.
Les règles d'action et les normes, dont se sont dotés les évêques, insistent sur l'importance de recevoir rapidement la personne qui témoigne, selon des modalités qui doivent convenir à cette personne. Il s'agit de lui manifester toute l'attention que l'on doit à celle ou à celui qui souffre. L'évêque doit accorder du crédit aux propos qui seront livrés afin de prendre des décisions ajustées et prudentes. Cet échange, lorsqu'il est possible ou souhaité par la personne victime, constitue un moment très important. Lorsque la victime est un mineur au moment de la révélation des faits, l'évêque ne reçoit pas l'enfant directement, mais peut recevoir parfois ses parents à sa demande. Il oriente toujours la famille vers des lieux ad hoc où la parole de l'enfant sera recueillie avec compétence. Dès lors que l'enquête a commencé, le procureur demande de cesser toute relation avec la famille d'une personne victime, ce qui se comprend très bien du point de vue de la justice, mais qui peut provoquer des incompréhensions et des reproches d'abandon de la part des familles qui attendent de l'Église un soutien dans leur démarche.
Si la justice n'a pas été saisie, l'évêque établit, autant que faire se peut, la vraisemblance des faits. Il invite la victime, ou ses parents lorsqu'il s'agit d'un enfant, à porter plainte, et invite l'auteur à se dénoncer. À défaut, il informe lui-même les autorités judiciaires des faits vraisemblables d'abus sexuels sur mineurs dont il a connaissance.
Les mesures prudentielles immédiates de l'évêque font très souvent l'objet d'un échange entre l'évêque et le procureur afin de s'assurer que ces mesures n'entravent pas les investigations. Dans certains cas, le procureur demande expressément à l'évêque de ne pas intervenir et d'attendre l'enquête, ce qui n'est pas sans poser problème pendant cette période intermédiaire qui peut durer plusieurs mois. Dans tous les cas, l'évêque assure le procureur de sa pleine coopération pour la manifestation de la vérité. À partir de ce moment, le contact avec la personne victime est fréquemment interdit. À la suite de ses premières démarches, l'évêque mène des rencontres avec les communautés d'où sont issues les personnes concernées, avec les confrères de l'homme mis en cause. Il lui faut expliquer, apaiser, sans en dire trop, faire taire les rumeurs éventuelles ou infondées, permettre à ceux qui le souhaitent d'exprimer leur colère, leur incompréhension ou d'apporter leur témoignage. Lorsque la personne mise en cause est morte sans qu'un procès ait eu lieu, l'évêque reçoit la personne victime, pour essayer d'apporter des réponses à ses demandes, en consignant le témoignage reçu ou en engageant une relation d'accompagnement si cela est voulu. Enfin l'évêque constitue le dossier canonique pour la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui est, à Rome, l'instance compétente pour juger et sanctionner canoniquement ces faits très graves. Cette instance suspend le cours de ses travaux le temps que la justice du pays se prononce.
Il arrive enfin que des personnes manifestent leur indignation en voyant des hommes, condamnés pour avoir commis des agressions sexuelles sur des mineurs, il y a vingt ou trente ans, ou qui n'ont pas pu faire l'objet d'une condamnation faute de procès en raison de la prescription, demeurer en fonction. Cette indignation est légitime. La commission présidée par Monsieur Christnacht doit conseiller les évêques sur les décisions à prendre à leur égard. Un évêque peut se trouver désemparé face à ces situations particulières, souvent nouvelles pour lui. Mon rôle consiste alors à l'informer davantage, à l'accompagner afin que les mesures de précaution soient prises et que l'ensemble des procédures soient appliquées, tant à l'égard des victimes que des autorités judiciaires ou de la personne mise en cause. Nous aidons aussi l'évêque à trouver la juste communication, respectueuse des droits des personnes, des personnes victimes comme des personnes mises en cause, et des besoins légitimes de la communauté. Nous assurons aussi une astreinte de réception des témoignages.
Une autre partie de ma mission consiste à animer, dans les différents diocèses, des sessions de sensibilisation ou de formation sur les maltraitances sexuelles faites aux personnes mineures ou aux personnes fragiles, et sur les protocoles d'action et de réaction, afin de mobiliser tous les acteurs au sein de l'Église et les rendre plus vigilants pour la sécurité des enfants et des jeunes, en les aidant à adopter les bons réflexes, les bonnes pratiques. La Conférence des Évêques de France et les diocèses ont déjà mené de nombreuses actions, mais force est de constater qu'il nous reste beaucoup à faire : de la prévention à la juste prise en considération de la situation des personnes victimes, en lien avec d'autres institutions.
Mgr Luc Crépy, évêque du Puy-en-Velay, président de la Cellule permanente de lutte contre la pédophilie. - Je reviendrai sur trois questions posées par les rapporteures. Tout d'abord, la place que tient la prévention des violences sexuelles dans le recrutement et la formation des prêtres. Dans l'Église universelle, le recrutement et la formation des futurs prêtres font l'objet de normes précises. Parmi celles-ci, les dimensions affective et sexuelle des candidats constituent un élément important, étant donné les responsabilités qu'exercent les prêtres auprès de communautés, d'enfants et de jeunes. Ainsi les dernières orientations, promulguées en 2016, soulignent l'importance chez les candidats au sacerdoce d'une personnalité structurée et équilibrée. Ce document mentionne de manière spécifique la prévention de la pédophilie. Ces normes sont intégrées dans les directives de formation des prêtres de chaque pays.
Dans les séminaires français, la formation des prêtres dure sept années au minimum. Elle comporte des parcours de formation traitant de la structuration psycho-sexuelle de la personne, de la construction de la personne, de la dimension relationnelle et affective dans l'exercice du sacerdoce, de la connaissance de soi et de la morale sexuelle. La prévention des violences sexuelles s'intègre donc dans l'ensemble de ce parcours. Par ailleurs, lorsque les formateurs décèlent des fragilités, des inaptitudes voire des déviances, tant au quotidien que dans les stages sur le terrain avec des enfants et des jeunes, la formation des candidats est interrompue définitivement. En outre, depuis 2017, des interventions plus spécifiques concernant les abus sexuels sur mineurs sont aussi organisées dans les séminaires. Ces formations, assurées par des personnes expertes, s'appuient sur l'actualité, des films, des reportages, la confrontation avec des témoignages de personnes victimes. Il s'agit de faire prendre conscience de la gravité des actes commis. Ces formations prennent aussi en compte l'aspect juridique avec l'articulation entre le droit civil et pénal français et le droit canonique. Sont également analysés les rapports nouveaux, provoqués par cette crise très grave, entre les familles, les paroissiens les prêtres et l'évêque. Ainsi, loin d'être un sujet tabou, la prise en compte des diverses dimensions de la sexualité dans la personnalité humaine et de toutes les violences qu'elle peut engendrer, par cléricalisme ou abus d'autorité, fait aujourd'hui partie intégrante des mesures de prévention de l'Église dans la formation des futurs prêtres pour lutter contre les abus sexuels.
L'expérience de certaines Églises étrangères peut-elle inspirer l'Église de France en ce qui concerne la prévention et le traitement des violences sexuelles ? Au niveau de l'ensemble de l'Église, plusieurs instances, à Rome, travaillent sur les actions menées dans différents pays. Ce travail permet un partage d'expériences. La prochaine rencontre à Rome des évêques du monde entier, convoquée par le pape, aura lieu dans quelques jours et s'inscrit dans cette perspective. Il ne s'agit pas d'en rester à des actions locales mais d'oeuvrer à tous les niveaux de l'Église, en collaboration avec les épiscopats de tous les pays. En France, nous sommes intéressés par l'expérience des Églises belge, allemande, suisse et autrichienne, qui ont une expérience plus ancienne que la nôtre sur le sujet. Ce dialogue est utile pour envisager les solutions les plus adaptées au contexte français. Nous réfléchissons ainsi à un soutien financier des personnes victimes. En ce qui concerne l'accompagnement des prêtres auteurs de délits et de crimes sexuels, nous avons pris des contacts récemment avec le Canada qui a mis en place des structures d'accueil et de suivi. Ainsi cette collaboration entre Églises permet de partager les meilleures pratiques et facilite la diffusion d'une véritable culture de protection des mineurs dans l'Église.
Enfin, le pape François organise à Rome, du 21 au 24 février 2019, un sommet sur la protection des mineurs auquel seront convoqués les présidents de Conférences épiscopales et supérieurs d'ordre religieux. Comment la Conférence des Évêques de France compte-t-elle contribuer à cette réflexion ? La dimension universelle de l'Église catholique et le retentissement international du scandale des agressions et des violences sexuelles commises par des clercs à l'encontre d'enfants et de jeunes rendent nécessaire, indispensable, la collaboration entre les Églises locales. C'est dans cet esprit que le pape François réunit tous les présidents des Conférences épiscopales du monde. Ainsi Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des Évêques de France, se rendra à Rome à cette occasion. Préalablement, les organisateurs ont envoyé aux participants un questionnaire afin de collecter des informations pour permettre une étude plus approfondie de la situation au niveau mondial et pour imaginer de nouvelles mesures. Nous avons déjà adressé à Rome un dossier comportant l'ensemble des mesures prises en France pour lutter contre les abus sexuels, notamment les mesures de prévention. L'annonce de cette session suscite une vive attente de la part des victimes. Mgr Pontier les rencontre en ce moment-même. Elles lui ont remis un rapport pour contribuer au débat, par des témoignages sur les drames vécus, des propositions sur les pratiques, le droit pénal, le droit canonique, la réparation, la prévention, la formation initiale et permanente des prêtres et des religieux, ainsi que sur la dimension spirituelle.
Cette rencontre est inédite, c'est une étape cruciale dans la lutte contre toutes les violences sexuelles, par des clercs, à l'égard de personnes vulnérables et d'enfants. Pour que l'Église soit cette « maison sûre » voulue par le pape François, il faut un profond changement de culture, afin de garantir une tolérance zéro. La Lettre au peuple de Dieu, en août dernier, traitait des usages et pratiques, y compris dans le registre canonique et pastoral. Les mesures qui seront décidées constitueront une étape importante.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Quelles sont les victimes actuellement entendues ? Appartiennent-elles aux associations que nous avons entendues, comme Notre Parole aussi libérée ou La Parole libérée ?
Mgr Olivier Ribadeau Dumas. - Ce sont les sept victimes que nous avons reçues à Lourdes, parmi lesquelles Olivier Savignac. Il n'y a pas à ma connaissance de membre de La Parole libérée, mais la plupart des victimes sont en lien avec cette association.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Un élu me demandait ce matin : « Pourquoi le Sénat n'a-t-il pas créé une commission d'enquête spécifique à l'Église catholique ? » Je lui ai expliqué la genèse de notre mission d'information. Mais pensez-vous que votre institution est à l'origine de ce travail ?
Cet élu ajoutait : « Si encore ils ne donnaient pas en permanence des leçons sur notre vie sexuelle, peut-être serions-nous moins tentés de nous pencher sur la leur. » Les extrémistes qui se sont exprimés, par exemple, sur le mariage pour tous, l'ont fait d'une façon vive, voire choquante...
Comment gère-t-on les prêtres, en particulier ceux qui ont commis ce que l'on nommerait, dans une entreprise, une « faute lourde » ? Dans quel cas sont-ils révoqués ? Lorsque des prêtres restent en place alors qu'ils ont abusé d'un enfant, et ainsi trahi leur engagement par rapport à l'Église, cela suscite l'indignation...
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Parle-t-on aujourd'hui sans ambages de la sexualité ? Y a-t-il eu une évolution à cet égard ? Monseigneur Ribadeau Dumas, monseigneur Crépy, lorsque vous vous êtes engagés dans l'Église, parlait-on déjà aux futurs prêtres de prévention, de repérage, de sexualité ?
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Vous avez parlé d'humilité, de compassion, de détermination : je salue cette prise de conscience, quoique un peu tardive... Chez les Apprentis d'Auteuil, après l'affaire Daheron, dès 2001, des protocoles ont été mis en place afin d'éviter que se reproduisent des abus et pour prendre en charge les victimes - qui sont victimes à perpétuité... Pensez-vous que l'Église, comme structure, favorise le développement de comportements pédocriminels ? Dans votre intime conviction, le crime sexuel est-il d'abord un crime ou d'abord un péché ? La loi doit-elle toujours passer avant la foi ?
Mgr Olivier Ribadeau Dumas. - Un crime sexuel est d'abord un crime et c'est avant tout devant la justice que l'auteur doit répondre de ses actes. Le lien avec Dieu est une question intime. De plus en plus nettement, nous parlons de pédocriminalité ; la dimension pénale est très forte.
J'en conviens, la prise de conscience est tardive et elle ne sera jamais achevée puisque les évêques se renouvellent : ceux qui rejoignent l'épiscopat doivent entrer dans une juste attitude. Mais tout le travail accompli par l'Église comme par la société bénéficiera à toute l'Église et toute la société. Lorsque je dis que les évêques n'ont pas regardé dans le rétroviseur, cela signifie qu'ils n'ont pas fait tout ce qu'ils devaient faire. Ils ne le faisaient pas dans le passé. J'ai en revanche la conviction profonde que quelque chose d'inexorable s'est produit. Un effet de cliquet nous empêchera de retourner en arrière.
En mars 2016, à la conférence de presse qui avait suivi l'assemblée plénière, des journalistes ont souligné que des mesures de lutte avaient été présentées en 2001, dans le même cadre. « Nous vous avions cru en 2001, disaient-ils, et nous en sommes là en 2016 : comment vous croire aujourd'hui ? »
Aujourd'hui, les victimes ont parlé, et je les en remercie, comme je remercie les journalistes, les enquêteurs, qui nous poussent à aller plus loin. L'Église est sur un chemin fort, déterminé : libération de la parole, rencontre avec les victimes, mesures déjà prises, impulsion donnée par le pape François depuis six ans - ses orientations sont fermes. Nous allons de l'avant et souhaitons que la société entière aille de l'avant.
Oui, Mme la rapporteure Vérien, l'Église paie d'avoir voulu s'immiscer dans la vie des fidèles et régenter leur activité sexuelle. Puisqu'elle s'est exprimée sur ces questions, on peut à bon droit lui reprocher des incohérences. Et tant mieux si l'ensemble de la société en bénéficie. Le pape François au demeurant invite les prêtres, les évêques, à ne pas trop s'attacher à ces questions, il est plus enclin à parler de justice sociale que de morale sexuelle et familiale...
Je comprends l'indignation de voir rester en fonctions des prêtres qui ont commis des actes graves. L'abus sexuel est également un abus spirituel grave. Pour l'opinion publique, voir un prêtre continuer à tenir le corps du Christ alors qu'il a eu des gestes incroyables et irresponsables à l'égard d'un enfant, cela est inacceptable. Des sanctions existent, le droit canon en donne l'échelle. Faut-il renvoyer de l'état clérical tout prêtre convaincu de violence sexuelle sur des enfants ? Je ne sais pas si je détiens la réponse exacte, tant les situations sont diverses. Le renvoi est l'ultime sanction ; or dans le droit civil, on ne condamne pas à la réclusion criminelle à perpétuité toute personne jugée pour crime. Il est possible aussi d'interdire à l'auteur tout contact avec des mineurs, ou tout ministère public ; on peut lui demander également de se retirer dans une vie de prière et de pénitence. Il y a toute une gamme de sanctions. Tout évêque doit communiquer les dossiers des prêtres concernés à la Congrégation pour la doctrine de la foi, qui prend en lien avec l'évêque les sanctions canoniques à l'encontre de ceux qui ont déjà reçu une sanction pénale.
J'ai été formé au séminaire français à Rome pendant six ans : tous les deux ans, une session de deux ou trois jours était consacrée aux relations affectives et sexuelles, mais je n'ai pas souvenir qu'aient été abordées les questions de pédophilie. Nous n'étions alors qu'au début des années quatre-vingt.
Mgr Luc Crépy. - Quant à moi j'ai suivi ma formation à l'Institut catholique de Paris, où j'ai reçu l'enseignement de moralistes comme Xavier Thévenot, qui a beaucoup travaillé sur la morale sexuelle. Au sein de ma congrégation, nous avions également des sessions sur le célibat, question sans tabou mais difficile. Dans notre parcours, la question de la pédophilie était vaguement évoquée, mais non traitée. Mais comme de nombreux futurs prêtres, pour encadrer des camps de jeunes, j'ai passé les brevets d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA) et de directeur (BAFD) : la juste distance dans la relation avec les enfants et les jeunes était abordée.
Les choses ont-elles évolué ? J'ai été responsable de séminaire, à Orléans. Depuis les années quatre-vingt, les questions de sexualité sont abordées, de façon plus libre et en prenant en compte les sciences humaines. À l'Institut catholique, la sexualité était abordée sous les angles psychanalytique, sociologique,...
Dans l'Église, aujourd'hui, on travaille sur ces questions, en particulier lorsqu'est abordée l'éducation des enfants. Dans les paroisses, lors de la préparation au mariage, les couples qui assurent ces sessions abordent le sujet de la sexualité très clairement. Il y a cependant encore beaucoup à faire, dans l'Église et dans la société, car ces questions demeurent taboues. Il y a des questions lourdes, difficiles, comme la pornographie, auxquelles nous réfléchissons... Il ne s'agit pas pour nous de donner des leçons ! Chacun est libre d'accueillir ces réflexions de l'Église - qui certes ne concernent pas directement les abus sexuels.
M. Bernard Bonne. - Vous avez mentionné la prise de conscience de l'Église catholique sur les faits qui se sont passés : c'est important que vous le disiez, c'est important de le faire savoir.
Outre la responsabilité des évêques, qu'en est-il de la responsabilité des curés de paroisse, dans un diocèse, lorsqu'ils ont connaissance de faits criminels ? Les dénoncent-ils ou non à leur hiérarchie ?
Ma deuxième question porte sur la confession, que vous avez comparée au secret professionnel des médecins et des avocats. Or les médecins doivent dénoncer les faits rapportés par une victime ; c'est indispensable. Vous dites que vous essayez de pousser la personne à discuter en dehors de la confession, mais certains faits ne sont-ils pas si graves qu'il faudrait s'affranchir du secret de la confession pour pouvoir en parler ?
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Je souhaite revenir sur le secret de la confession, sujet complexe qui nous intéresse énormément. Le régime s'appliquant aux ministres du culte n'est pas exactement le même que celui des médecins ou des avocats. Une disposition spécifique du code pénal les autorise à la révélation, sans le leur imposer. Doit-on comprendre qu'ils ne s'y autorisaient jamais ? Quel est votre point de vue ?
Vous avez indiqué mesurer l'importance symbolique de la question financière. Pourriez-vous préciser les intentions de la Conférence des évêques sur ce point ?
Enfin, vous avez contesté l'emploi du terme « omerta », préférant parler de surdité, de déni, voire de sidération. Pourtant, des faits connus d'un certain nombre de personnes n'ont pas été révélés. Comment analysez-vous cette situation ?
Mgr Olivier Ribadeau Dumas. - La responsabilité des prêtres dans un diocèse est celle des citoyens, qui sont tenus de dénoncer les faits dont ils ont connaissance aux autorités judiciaires. Les prêtres ne sont pas au-dessus de la loi. Je voudrais souligner qu'il n'y a pas de hiérarchie toute puissante au sein de l'Église. J'appartiens à la Conférence des Évêques depuis huit ans, mais j'ai été le curé d'une paroisse parisienne pendant dix-sept ans, et le cardinal Lustiger, le cardinal Vingt-Trois n'étaient pas de faibles personnalités. Toutefois, le prêtre a une liberté d'action dans son ministère sans en référer à l'évêque. Il doit signaler les faits aux instances judiciaires, sauf secret, sur lequel je voudrais revenir maintenant.
Le secret de la confession est un secret professionnel. Dans le principe de dénonciation, il y a une exception, celle du secret professionnel, dans laquelle s'applique une nouvelle exception, la faculté de révélation, permettant de ne pas être poursuivi pour violation du secret professionnel. Il faut donc différencier ce qui relève du secret de la confession et ce que le prêtre a appris par ailleurs, où il dispose de l'option de conscience de dire ou de ne pas dire ce qu'il a appris.
Lorsque des faits sont dénoncés dans le cadre de la confession, il nous revient d'accompagner la personne en dehors du secret de la confession pour sortir du secret et faire jouer l'option de conscience. Nous devons accompagner les victimes pour qu'elles puissent porter plainte ou pour que nous soyons libérés du secret et en mesure de dénoncer les faits.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - La personne qui reçoit en confession a-t-elle l'autorisation de révéler sans se voir opposer une violation du secret professionnel ? Je crois comprendre que, de votre point de vue, elle n'a pas à révéler les faits dont elle a eu connaissance dans le cadre de la confession, alors même que, s'agissant de mineurs de moins de quinze ans, la loi pénale lui impose de les signaler.
Mgr Olivier Ribadeau Dumas. - Oui, dans le droit canon, le secret professionnel, ou for sacramentel, est inviolable. Nous devons réaliser un travail de pédagogie pour sortir du secret de la confession, puisqu'il s'agit d'une faculté.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. - Le droit canon primerait-il le droit français ?
Mgr Olivier Ribadeau Dumas. - Je n'ai jamais dit cela. Je dis simplement que, puisque c'est un secret, il y a une option de conscience, qu'il faut respecter. Tout notre travail de pédagogie consiste donc à sortir de cette confession pour avoir l'autorisation de dénoncer les faits et d'accompagner la victime.
S'agissant de la question financière, nous avons beaucoup travaillé avec les pays voisins, notamment avec les conférences épiscopales étrangères. Nous avons aussi écouté des victimes ; il en ressort que la souffrance n'a pas de prix. Néanmoins, les psychiatres et les psychologues soulignent tous que le versement d'une somme, même symbolique, est un geste fort de reconnaissance de l'état de victime qui aide à la réparation. Nous travaillons en ce sens.
Pour ce qui est de l'omerta, les choses ont évolué dans le temps. Ce n'est pas seulement le silence des clercs, c'est celui de l'ensemble d'une communauté, y compris des laïques, n'osant pas remettre en cause la figure du prêtre, qui est avant tout un homme.
Mgr Luc Crépy. - Plusieurs facteurs ont contribué à ce silence coupable : la volonté de préserver l'institution, l'homme du sacré, mais aussi le manque de perception de la gravité d'un abus sexuel sur un enfant ou un jeune, y compris dans la société et de la part des parents. Dans le passé, on ne parlait pas de ces questions, dans l'Église comme dans les familles et les autres institutions. Ces facteurs ont conduit au silence, caché et permis tous ces abus sexuels dans l'Église et dans la société.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Si le prêtre a une autonomie d'action par rapport à l'évêque, nos auditions ont toutefois fait ressortir une forme de relation filiale qui a pu expliquer une surprotection des prêtres mis en cause.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Je citerai à cet égard le courrier du cardinal Dario Castrillon Hoyos félicitant Mgr Pican d'avoir préféré la prison plutôt que de dénoncer son fils prêtre. Qu'en pensez-vous ?
Mgr Olivier Ribadeau Dumas. - Les choses ont changé depuis 2001 et, aujourd'hui, les cardinaux ne diraient pas cela. Il naît un lien spirituel fort entre le prêtre et l'évêque à qui il promet l'obéissance. L'évêque est l'évêque du prêtre, mais il est surtout celui de ceux qui souffrent, aux côtés de la victime.
Mme Laurence Rossignol. - Je formulerai une remarque préliminaire. Si l'Église a voulu régenter la vie sexuelle de ses fidèles, vous l'avez évoqué, ce qui pose problème, c'est qu'elle ambitionne également de régenter celle des autres.
Pouvez-vous nous citer des exemples de renvois de l'état clérical ?
Dans de nombreux cas, les victimes n'ont pas été soutenues par leurs parents. Comment expliquez-vous une telle défaillance des parents ? Quel regard portez-vous sur l'emprise exercée par l'Église ? Comment comptez-vous la traiter pour l'avenir ?
Mme Catherine Deroche, présidente. - La semaine dernière, M. Christnacht nous indiquait qu'une seule procédure de retour à l'état laïque avait été engagée et mettait en avant la volonté de l'Église de garder la responsabilité du prêtre condamné.
Mgr Olivier Ribadeau Dumas. - C'est la Congrégation pour la doctrine de la foi, à Rome, qui prononce le renvoi de l'état clérical. Il est d'ailleurs question de donner plus de pouvoir aux conférences épiscopales pour mieux appliquer la sanction canonique à la situation du pays. Il est certain que le renvoi de l'état clérical doit être prononcé pour les cas les plus graves.
En ce qui concerne les parents, je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'une emprise exercée par les prêtres. Je pense qu'il s'agit de l'impossibilité pour les parents de reconnaître qu'ils ont failli, qu'ils n'ont pas vu. La culpabilité les empêche de reconnaître la vérité.
Par ailleurs, l'emprise est une vraie question. Lorsque le pape évoque, dans sa « lettre au peuple de Dieu », les abus spirituels, les abus de conscience, les abus sexuels, il est clair que si tout abus de conscience ne débouche pas sur un abus sexuel, tout abus sexuel est un abus de conscience et un abus spirituel. Nous devons être extrêmement vigilants sur la question de l'emprise, le cléricalisme, le côté « gourou » de certains prêtres et clercs.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Ce que vous dites sur les parents nous a été confirmé, dans le milieu sportif, pour des abus provenant d'entraîneurs par exemple.
Mme Maryvonne Blondin. - Quand l'enfant met en cause un prêtre, cela excède la compréhension des parents. C'était aussi le cas autrefois pour les instituteurs ; désormais, les parents écoutent et soutiennent leur enfant s'il fait des révélations qui mettent en cause l'Éducation nationale. Pourquoi l'évolution n'a-t-elle pas été la même concernant l'Église ? L'emprise est-elle si forte que les parents se diront toujours qu'il est impossible qu'un prêtre commette de tels actes, puisqu'il a consacré toute sa vie à Dieu et à un célibat rigide où la sexualité n'a pas de place ?
Mgr Olivier Ribadeau Dumas. - Il y va du caractère sacré du prêtre. Il faudrait purifier ce sujet de tout aspect malsain. Le pape nous y invite. Ne nous leurrons pas. Nous ne sommes plus dans une France chrétienne. Le visage du prêtre disparaît progressivement de l'espace public. La moyenne d'âge du clergé n'est plus celle d'il y a cinquante ans. L'image du prêtre change. Il a perdu son statut d'autrefois, celui d'un prêtre qui oeuvrait de génération en génération.
Mgr Luc Crépy. - Le prêtre curé qui régente tout dans sa paroisse n'existe plus. Les prêtres travaillent désormais avec des laïcs alors que le curé d'antan faisait tout, depuis le patronage jusqu'au catéchisme et aux animations. Les prêtres ont désormais plusieurs paroisses à gérer. Ils s'occupent très peu du catéchisme, confié à des hommes et des femmes formés pour cela. Autrefois, les affaires économiques de la paroisse dépendaient de M. le curé ; désormais, il y a des conseils économiques. Dans l'Église d'aujourd'hui, le pouvoir des clercs a pratiquement disparu et les responsabilités qu'on y exerce sont de l'ordre du service. Les abus sexuels relèvent de l'exercice d'un pouvoir qui s'apparente à une toute puissance, le sacré induisant la défense de l'institution et une emprise d'autorité sur les enfants. L'évolution du statut du prêtre va à l'encontre de cela. Parmi les critères de discernement, il y a sa capacité à collaborer avec les fidèles. Un prêtre qui n'en serait pas capable risquerait de se réfugier dans la sphère du pouvoir avec tout ce que cela comporte, à savoir l'argent et le sexe.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Vous intéressez-vous à ce qui se passe dans les mouvements scouts et dans l'enseignement catholique ? Pourriez-vous nous donner des précisions sur les moyens dont disposera la commission Sauvé ? Aura-t-elle accès aux archives ?
Mme Ségolaine Moog. - L'enseignement catholique s'est doté d'ouvrages de référence, offrant des repères et des protocoles d'action et de réaction, dans une édition qui date de l'été dernier. Les intervenants sont formés à partir de ces outils. Des rencontres sont organisées entre les chefs d'établissements catholiques, dans les départements. Ceux qui exercent dans le premier degré sont très au clair quant aux maltraitances faites aux enfants et collaborent avec les services de la protection de l'enfance. La situation est plus complexe dans les collèges et les lycées. Nous travaillons à partir de mises en situation et de cas concrets, afin de revoir les protocoles avec l'aide de psychologues scolaires notamment.
Pour ce qui est des mouvements de jeunes, scoutisme et autres, les chefs participent tous aux rencontres de formation et de sensibilisation dédiées aux laïcs qui sont en contact direct avec les jeunes. Les interlocuteurs sont variés, magistrats, anciens magistrats, psychologues, médecins, éducateurs... Les formations au brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (BAFA) et au brevet d'aptitude aux fonctions de directeur (BAFD) intègrent aussi la protection des mineurs.
Mgr Olivier Ribadeau Dumas. - M. Sauvé pourra demander tous les moyens matériels dont il aura besoin et nous les lui donnerons, même si l'Église de France n'est pas tellement riche. Il aura accès aux archives dans tous les diocèses, même si elles sont plus ou moins bien tenues selon les endroits.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous vous remercions pour toutes ces explications.
La réunion est close à 18 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
Jeudi 14 février 2019
- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -
La réunion est ouverte à 11 h 05.
Audition de représentants de la Fédération protestante de France : M. François Clavairoly, président et Mme Nadine Marchand, présidente de la commission « jeunesse », et secrétaire générale des Éclaireuses et Éclaireurs unionistes de France
Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous poursuivons ce matin notre cycle d'auditions consacrées aux infractions sexuelles sur mineurs commises dans un contexte religieux en recevant deux représentants de la Fédération protestante de France.
Je rappelle que notre mission d'information s'intéresse aux infractions commises par des adultes dans le cadre de leur métier ou de leurs fonctions, à l'exclusion des infractions intrafamiliales. Parmi ces infractions sexuelles, certaines peuvent être commises dans un contexte religieux par des laïcs ou des ministres du culte.
Nous avons entendu mardi des représentants de la Conférence des Évêques de France, qui ont dressé un tableau de la situation au sein de l'Église catholique. Nous avons jugé utile d'entendre les représentants des autres grandes religions présentes dans notre pays. Il est en effet raisonnable de penser que les problématiques auxquelles fait face l'Église catholique sont communes aux autres religions, je pense notamment aux activités de scoutisme dont Mme Marchand pourra nous parler plus en détail.
M. François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France. - La Fédération protestante de France est une institution ancienne, créée en 1905 au moment de la promulgation de la loi concernant la séparation des Églises et de l'État. Son objet est de représenter le protestantisme français auprès des autorités, d'en défendre les intérêts, et de renforcer les liens entre ses membres.
À sa création, elle ne regroupait que quelques églises et était présidée par un pasteur évangélique. Au fur et à mesure, elle s'est élargie à d'autres églises, puis dans les années 1960 aux oeuvres et aux mouvements travaillant dans les domaines de l'action sociale, de la lutte contre l'exclusion et la pauvreté ou du handicap. Dans les années 1980, enfin, la Fédération protestante de France s'est ouverte aux églises évangéliques pentecôtistes. Aujourd'hui, elle réunit une trentaine d'unions d'églises, manifestant une véritable diversité ecclésiale.
Notre fédération est un espace de réflexion, d'action et de témoignage, notamment autour de tout ce qui concerne la jeunesse, chacune des églises et chacun des mouvements de jeunesse protestants étant évidemment très attentifs à la question qui nous occupe aujourd'hui.
En tant qu'institution représentative du protestantisme, nous sommes très soucieux de la lecture de la Bible. C'est une sorte de marque de fabrique du protestantisme français, et du protestantisme en général. La Bible est l'un des textes fondateurs qui dénonce le plus explicitement la violence et l'injustice, en particulier à l'égard des plus vulnérables. La lecture attentive de ce texte heurte de plein fouet la difficulté que tout un chacun éprouve à dénoncer l'injustice, la violence, la malveillance et la maltraitance, et à assumer cette dénonciation. L'actualité permanente de ce texte doit nous interpeler.
Du fait de cette attention toute particulière, nos églises ont essayé de répondre à ces problèmes en élaborant un certain nombre de documents et de procédures, en engageant des réflexions et en incitant à être proactifs sur le sujet. Si je rappelle cet enracinement biblique, ce n'est pas par coquetterie intellectuelle mais parce que, dans le christianisme, cette dénonciation de l'injustice est programmatique.
Aucune institution n'est à l'abri de la maltraitance. C'est la raison pour laquelle, dans tous les lieux où les adultes sont au contact d'enfants, que ce soit dans les mouvements de jeunesse ou à la catéchèse, nous sommes très attentifs au discernement de la vocation des cadres, qu'ils soient laïcs ou ministres, au moment de leur recrutement, puis au cours de leur formation. Cette vigilance est devenue constante au cours des années.
Nous sommes évidemment très touchés par les révélations sur les infractions commises dans l'Église. Elles bouleversent les consciences depuis de nombreuses années maintenant et nous rendent encore plus attentifs à ce sujet. Elles nous alertent également pour l'avenir. L'actualité montre que ces faits surviennent sans que l'on ait été en mesure de les repérer ou de les anticiper. La question des blessures faites aux mineurs et de leur maltraitance est loin d'être réglée et touche malheureusement toutes les sociétés.
Pour conclure sur une note positive, je dirai que l'appel incessant de la Fédération protestante de France à la dénonciation, à la prévention et à la justice nous permet d'être auditionnés aujourd'hui par votre mission d'information et de contribuer à vos travaux.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Confrontée aux scandales, l'Église catholique s'est parfois réfugiée dans une forme de déni en refusant de dénoncer des actes passés. Je souhaiterais savoir si la Fédération protestante de France a connaissance de cas similaires de non-dénonciation d'infractions sexuelles en son sein ? Votre fédération a-t-elle été « secouée » par des événements identiques à ceux que vivent l'Église catholique ou l'Éducation nationale, par exemple ?
M. François Clavairoly. - Il y a eu ici et là quelques cas dont la presse s'est fait l'écho. À l'évidence, la question de la maltraitance n'épargne aucune institution. Toutefois, cette réalité n'a pas la même consistance dans le protestantisme français que dans l'Église catholique, et ce pour des raisons sur lesquelles on pourra revenir s'il le faut. Depuis de longues années, les institutions protestantes ont développé une pratique consistant à prendre en compte la parole de la victime, à la mettre en débat avec celle de l'agresseur supposé, et à alerter les autorités, celles de l'église, d'abord, l'autorité judiciaire, ensuite.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - En déclarant que les scandales n'avaient peut-être pas la même consistance dans le monde protestant, cherchez-vous à nous faire entendre qu'un abus spirituel dans l'Église catholique ne serait pas tout à fait similaire à un abus spirituel dans la religion protestante ?
La féminisation du corps pastoral peut-elle expliquer le moins grand nombre d'infractions sexuelles recensées au sein des églises protestantes, étant entendu que le nombre de fidèles est moins élevé que dans l'Église catholique ?
M. François Clavairoly. - Le protestantisme propose un cadre institutionnel différent de celui de l'Église catholique et s'inscrit dans une culture du rapport à l'autre qui est, à mes yeux, spécifique. Son particularisme n'empêche évidemment pas les abus sexuels ou les agressions sur mineurs, mais les rend sans doute beaucoup plus repérables.
Je m'explique : un contexte où prédominent le secret et l'obéissance à l'autorité favorise les agressions. Dans la tradition protestante, la gestion de l'autorité est collégiale à tous les niveaux. Beaucoup de décisions se prennent de façon concertée, dans un esprit de responsabilité partagée, ce qui atténue la possibilité de zones de secret. Dans le monde protestant, il existe une forme de « transparence » qui oblige chacun à parler, créant ainsi un cadre peu propice à la manifestation d'actes répréhensibles.
Les prédateurs sexuels ou les pédophiles qui cherchent à passer à l'acte auront moins tendance à vouloir entrer dans des structures où le risque d'être découvert est plus élevé qu'ailleurs. En d'autres termes, ce n'est pas parce que l'on est catholique que l'on commet des abus, et ce n'est parce que l'on est protestant que l'on n'en commet pas. C'est là où les perversions et les agressions sont plus difficilement repérées que l'on trouve les pédophiles.
Pour autant, cela n'exonère en rien les personnes qui commettent des infractions sexuelles dans les églises protestantes, et il y en a régulièrement.
S'agissant de la féminisation du pastorat, nous nous sommes également interrogés sur son impact. Vous le savez, cette féminisation est théologiquement possible depuis le XVIe siècle, le protestantisme ayant défini le ministère pastoral selon deux caractéristiques non sexuées, l'aptitude à prêcher l'Évangile et l'aptitude à célébrer le sacrement. Malgré tout, il faut attendre le XIXe siècle pour voir apparaître les premières femmes pasteurs, à l'Armée du salut, d'abord, dans un certain nombre d'églises réformées et luthériennes, ensuite.
Cette féminisation du ministère est-elle un atout pour lutter contre les abus ? Oui, sans doute, dans la mesure où les femmes sont beaucoup plus attentives à ces sujets, du fait même qu'elles ont une responsabilité familiale et qu'elles savent mieux que les hommes - c'est incontestable - ce que c'est que d'éduquer les enfants. Cela étant, le protestantisme a toujours milité pour l'égalité entre l'homme et la femme. Au nom de cette égalité, la femme est-elle davantage un atout qu'un homme bien éduqué ? Ce n'est pas certain.
Ce que l'on peut dire, en revanche, c'est que la féminisation du corps pastoral et celle des instances de décision rend les délibérations et l'attention à la gestion de la structure ecclésiale beaucoup plus humaines. À cet égard, la féminisation représente un atout.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Vous venez d'indiquer que la collégialité des institutions pouvait expliquer le moins grand nombre d'infractions sexuelles recensées dans le monde protestant. Il existe néanmoins beaucoup de scandales dans les églises protestantes, aux États-Unis notamment. À quoi cela tient-il ?
M. François Clavairoly. - En effet, l'Église protestante a fait face à toute une série de révélations d'abus sexuels, de scandales, de viols sur mineurs, parfois anciens. Récemment, la presse a dévoilé un certain nombre de faits délictueux commis à grande échelle, aux États-Unis, par exemple, au sein de la Convention baptiste du Sud, ou dans l'Église d'Angleterre.
Je crois malgré tout à la justesse de mon analyse : ce type de méfaits n'est possible que lorsque deux critères sont réunis : le secret et l'autorité « au carré », si je peux m'exprimer ainsi. C'est le cas dans les institutions fermées comme les lycées, les internats ou les orphelinats, ainsi que dans un certain nombre d'églises évangéliques reposant sur des structures extrêmement normées, où l'autorité du pasteur est nettement surévaluée par rapport à celle qui prévaut dans la tradition protestante au sens large. C'est le cas des églises de la Convention baptiste du Sud, et de certaines églises issues de l'immigration.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Un pasteur évangélique a récemment été accusé et condamné pour des viols commis sur une paroissienne entre 2013 et 2015. Quelles sont les procédures mises en oeuvre au sein de l'Église protestante de France, afin de faire remonter ce type d'abus ?
M. François Clavairoly. - Ce viol, qui concernait une jeune adulte, relève d'une problématique un peu différente, même s'il s'agit d'une réalité tragique, largement répandue.
En cas d'abus sexuels sur mineurs, les procédures en vigueur dans les églises de la Fédération protestante de France et, par capillarité, dans les autres églises protestantes, sont assez transparentes. Ainsi, dès qu'un conseiller presbytéral ou le responsable d'un mouvement de jeunesse est informé d'agressions sur des mineurs, il alerte l'ensemble de ses responsables. Soit les faits concernent un laïc, et la procédure suit assez naturellement son cours ; soit ils concernent un ministre du culte, et le responsable de ce ministre, autrement dit le secrétaire général de l'église ou, dans la tradition luthérienne, l'inspecteur ecclésiastique, en est alors informé. Celui-ci alerte ensuite les autorités judiciaires dans l'hypothèse où les faits sont avérés.
Pour leur inculquer les précautions à prendre au contact des enfants, il est fortement recommandé aux futurs ministres du culte de passer le BAFA, le brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur, ou le BAFD, le brevet d'aptitude aux fonctions de directeur de centres de vacances et de loisirs. Il s'agit pour eux d'être en mesure d'animer des camps et des séjours où des enfants seront accueillis. Ces formations comprennent un volet relatif à ces sujets, tout comme la formation pastorale pratique et la formation continue des ministres.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Un ministre du culte suspecté d'agression sexuelle peut-il être suspendu temporairement le temps que la justice se prononce ? Après condamnation, lui retire-t-on automatiquement son ministère ? Que devient-il après avoir purgé sa peine ?
M. François Clavairoly. - Tout ministre des cultes suspecté est en effet suspendu de ses fonctions. S'il est condamné, il perd évidemment son ministère. Une fois sa peine purgée, il s'engage dans un processus de réinsertion, comme tout individu dans la même situation. Un nouveau départ est possible pour lui, mais pas dans son ministère en tout cas.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Comment vous assurez-vous qu'un membre du culte protestant, condamné pour des infractions sexuelles sur mineurs, ne puisse plus être au contact d'enfants ? Existe-t-il un suivi de ces personnes à l'échelon national ? Portez-vous une attention particulière à l'embauche des personnes appelées à travailler dans certains lieux d'hébergement ou à l'Armée du salut, notamment les bénévoles ?
M. François Clavairoly. - Les ministres du culte, une fois condamnés, n'exercent plus au sein de nos églises. Leur réinsertion dans la société se fait par un autre biais professionnel, que nous ne contrôlons en revanche pas.
Nous faisons preuve d'une grande vigilance à l'égard des encadrants, tant au moment de leur recrutement que de leur formation, notamment pour ceux qui travaillent dans des lieux d'accueil. C'est particulièrement vrai pour l'Armée du salut et l'église adventiste.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Le sacrement de réconciliation existe-t-il dans la religion protestante ? Si tel est le cas, pouvez-vous nous dire, en votre âme et conscience, si une agression sexuelle sur mineur est d'abord un crime ou un péché ?
M. François Clavairoly. - On peut répondre de manière simple à une question complexe : pour moi, il s'agit à la fois d'un crime et d'un pêché. C'est un crime, du ressort de l'autorité judiciaire, mais un tel acte relève aussi, en vertu d'une interprétation qui n'est absolument pas exclusive ou contradictoire, de l'ordre du péché. Une agression est un acte qui rate sa cible, la mauvaise orientation d'une volonté, d'un geste ou d'une parole.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Madame Marchand, quelles sont les procédures d'alerte mises en oeuvre au sein de votre organisation ? Quelles mesures prenez-vous pour prévenir l'embauche d'auteurs d'infractions sexuelles sur mineurs ? Comment la parole des victimes est-elle prise en compte au sein du scoutisme protestant ?
Mme Nadine Marchand, présidente de la commission « jeunesse » et secrétaire générale des Éclaireuses et Éclaireurs unionistes de France. - Pour prévenir d'éventuels problèmes, tous nos animateurs sont déclarés auprès du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse ou du ministère des sports, selon la nature des activités qu'ils encadrent. Ainsi, leur identité est vérifiée par les services de l'État, qui peuvent facilement nous alerter sur la présence d'un individu qui serait déjà impliqué dans une procédure ou qui aurait déjà fait l'objet d'un signalement. Il s'agit de notre premier garde-fou.
Le second garde-fou repose sur notre système de formation et d'accompagnement. Les activités du scoutisme durent toute l'année, si bien que les encadrants font l'objet d'un suivi régulier, au long cours, et qu'ils bénéficient de diverses formations, notamment des formations relatives à la maltraitance des mineurs. Nos animateurs sont ainsi capables d'identifier les problèmes, de recueillir les témoignages, et connaissent les procédures en vigueur au sein du mouvement pour l'accompagnement des victimes et de leurs familles.
Lorsqu'une agression sexuelle a lieu dans le cadre d'une activité, on fait en sorte d'écarter l'adulte et de signaler son comportement aux autorités compétentes, ainsi qu'à la famille de la victime. Cela étant, en dix ans d'activité au sein des Éclaireuses et Éclaireurs unionistes de France, je n'ai jamais eu connaissance de cas de pédophilie. En revanche, nous observons une hausse du nombre des agressions sexuelles entre mineurs. Les agressions et abus commis sur des mineurs sont de plus en plus souvent le fait d'autres mineurs. Il est difficile de savoir si cette réalité est nouvelle ou si l'on vient seulement d'ouvrir les yeux. Le fait est, en tout cas, que le scoutisme a mis au jour ce type de violences.
Pour prendre en compte la parole des victimes, on agit essentiellement sur deux leviers. Le premier est pédagogique : il passe par la mise en place de dispositifs d'écoute auprès des jeunes, qui valorisent l'estime de soi et permettent de distinguer ce qui est normal de ce qui ne l'est pas. L'enjeu est d'amener les enfants à se confier et à en parler. Dans le monde protestant, en général, il existe nombre d'activités, outils et revues pour accompagner la parole des jeunes et leur faire clairement prendre conscience de l'importance du consentement, notion qui pose question aujourd'hui.
Le second levier a trait à nos procédures : nous avons des procédures d'alerte très précises, qui font intervenir des acteurs clairement identifiés, et qui aboutissent in fine à une déclaration auprès des autorités compétentes, à savoir la direction de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, la Djepva, et les préfectures du lieu de recueil des témoignages. Ces procédures engagent les personnes déclarant nos activités aux autorités c'est-à-dire, pour ce qui nous concerne, les responsables régionaux de notre mouvement.
Pour garantir un accompagnement efficace et de qualité, ces informations remontent automatiquement à l'échelon national : notre commission « mixité » peut apporter de l'aide aux responsables locaux du mouvement en leur prodiguant des conseils juridiques ; les faits signalés sont, quant à eux, systématiquement examinés par le secrétariat général et le bureau de l'association, ce qui n'est possible que parce que notre association est petite.
Enfin, nous nous sommes dotés d'une hotline interne, accessible 24 heures sur 24, comparable au numéro national d'urgence 119, dont le rôle consiste à aider les encadrants ou les enfants, à recueillir leur parole et à répondre à leurs questions. Cette ligne permet d'identifier les acteurs de terrain susceptibles de prêter main forte aux victimes supposées et, éventuellement, de discuter avec les familles.
Notre rôle consiste à protéger les mineurs, à leur dispenser un accompagnement pédagogique, et absolument pas à mener l'enquête. En cas de suspicion, nous suspendons l'auteur présumé d'une agression de manière préventive pour éviter qu'il ne demeure au contact des mineurs.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Combien y-a-t-il d'animateurs et de jeunes adhérents au sein de votre mouvement ?
Mme Nadine Marchand. - Notre mouvement compte 6 000 adhérents : 1 500 adultes, animateurs ou cadres bénévoles, et 4 500 enfants.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Comment informez-vous les jeunes de l'existence de votre hotline ? Comment s'articule-t-elle avec le 119 ?
Mme Nadine Marchand. - Le 119 est un numéro plutôt destiné aux enfants. La hotline est plutôt à destination des encadrants et des animateurs.
Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Avant de recruter vos encadrants et de les laisser au contact des jeunes, vérifiez-vous leur casier judiciaire ou le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, le FIJAISV ?
Mme Nadine Marchand. - Aujourd'hui, c'est la Djepva qui, sur le fondement des déclarations obligatoires qu'on leur transmet, vérifie automatiquement l'identité de nos animateurs, leur casier judiciaire et leur éventuelle inscription au fichier des personnes interdites d'encadrement.
Mme Michelle Meunier, rapporteure. - Comment les autorités vous signalent-elles la présence d'une personne posant problème parmi vos bénévoles ? Et sous quel délai ?
Mme Nadine Marchand. - Nous transmettons les déclarations des activités et des encadrants sur l'application en ligne « Téléprocédure d'accueil de mineurs » (TAM). Ces informations sont visées par le département de la déclaration et le département où l'activité se déroule, s'il est différent. Le délai de signalement est variable, mais reste relativement rapide, car le traitement est automatisé.
Mme Marie Mercier, rapporteur. - Vous nous dites ne jamais avoir été confrontée à des cas de pédophilie au sein de votre mouvement. Toutes les associations en charge de la protection de mineurs que nous avons auditionnées s'accordent pourtant sur le fait que 20 % d'une classe d'âge aurait subi une agression sexuelle. Sur vos 4 500 jeunes adhérents, cela représenterait environ 900 personnes. Comment expliquer l'écart entre ce chiffre et la réalité que vous décrivez ?
Mme Nadine Marchand. - En dix ans, je n'ai jamais eu à écarter un accompagnant, parce qu'il aurait commis une infraction sexuelle sur un mineur. En revanche, on m'a signalé des abus sexuels sur des mineurs à l'extérieur du mouvement, ou entre mineurs au sein du mouvement.
M. François Clavairoly. - Les enquêtes montrent en effet qu'un taux assez élevé de mineurs déclare avoir subi des agressions sexuelles. Cela ne signifie pas pour autant que le risque est le même partout. La statistique est générale. En tout cas, on sait qu'une proportion importante des agressions subies a lieu au sein des familles.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Quelles procédures mettez-vous en oeuvre quand vous constatez des violences entre mineurs au sein de votre mouvement ? Existe-t-il un profil-type des mineurs auteurs de violences ?
Mme Nadine Marchand. - Nous n'avons pas d'étude précise sur ce point. On comptabilise quatre à cinq cas de violences sexuelles entre mineurs chaque année. Nous traitons ces dossiers selon les mêmes procédures que celles que j'ai décrites pour nos encadrants. La seule différence est qu'il faut aussi tenir compte de la famille de l'enfant agresseur. Je n'ai malheureusement aucun élément concret à vous fournir sur le profil de ces enfants ; il n'existe a priori pas de profil-type.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Combien la France compte-t-elle d'écoles confessionnelles protestantes ?
M. François Clavairoly. - Le protestantisme a largement contribué à la rédaction de la loi de 1905. Par cohérence, il a considéré que l'éducation ne relevait pas de la conviction religieuse, mais de la responsabilité de la République. Les 2 500 établissements privés protestants de l'époque ont été confiés à la République, si bien que le protestantisme français ne compte plus aujourd'hui que cinq établissements privés sous contrat : il s'agit donc d'un micro-enseignement confessionnel. Le protestantisme a joué le jeu citoyen, le jeu d'une religion qui se sent à l'aise avec la laïcité.
Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions.
La réunion est close à 12 h 05.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.