Jeudi 7 février 2019
- Présidence de M. Gérard Longuet, président -
La réunion est ouverte à 9 h 15.
Stockage de l'électricité - Examen d'une note scientifique
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Après la présentation d'une note scientifique sur le stockage de l'électricité et une communication sur l'intégrité scientifique, nous évoquerons le bilan, dix ans après sa parution, du rapport de Roland Courteau au nom de l'Office sur la prévention et l'alerte du risque de tsunami sur les côtes françaises. Celles-ci, grâce aux outre-mer, sont très étendues. La France est d'ailleurs le deuxième espace océanique mondial, après les États-Unis.
Le stockage de l'électricité est une sorte de pierre philosophale. L'Union européenne veut absolument voir émerger un marché où s'équilibrent une offre et une demande dans une transparence parfaite. Or l'électricité a la particularité de ne pas se stocker et de se transporter assez mal.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - On dit depuis longtemps que, le jour où l'on parviendra à stocker l'électricité de façon efficace et réactive, bien des maux de l'humanité seront résolus. Où en sommes-nous ?
Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. - Le stockage de l'électricité constitue un sujet très important. Le Président de la République l'a d'ailleurs évoqué lors de son déplacement d'il y a quelques jours à Souillac.
À l'échelon mondial, le stockage de l'électricité est appelé à se développer dans un contexte de fort essor des énergies renouvelables variables. Les simulations montrent toutefois que les besoins de stockage stationnaire resteront limités dans le cas de la France, du fait de la flexibilité très importante de notre système électrique et de son interconnexion au système européen. C'est seulement après 2035, si devait se mettre en place un mix électrique composé quasi exclusivement de moyens de production renouvelables, que des besoins de stockage significatifs, notamment intersaisonniers, pourraient apparaître.
Par ailleurs, le stockage de l'électricité se trouve au coeur de l'essor de formes de mobilité durable, dès maintenant pour la mobilité électrique, à plus long terme pour ce qui concerne une mobilité de masse à l'hydrogène.
Stocker l'électricité, c'est convertir l'énergie électrique en une autre forme d'énergie, puis transformer cette dernière en électricité.
Il existe de nombreux modes de stockage, qui peuvent être classés en fonction du vecteur énergétique utilisé, de paramètres comme l'énergie, la puissance, le temps de réponse, le rendement énergétique ou encore la durée de vie. Les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), les batteries et l'hydrogène composent les modes de stockage stratégiques.
Les STEP permettent un stockage de masse de l'énergie électrique, offrent une puissance élevée et un très bon rendement, de l'ordre de 70 % à 85 %. Elles constituent le principal mode de stockage de l'électricité dans le monde. Leur principe de fonctionnement est d'utiliser de l'électricité quand celle-ci est peu chère pour pomper de l'eau qui se trouve dans un bassin inférieur pour la remonter dans un bassin supérieur. Du fait de sa position en hauteur, l'eau présente dans le bassin supérieur possède une énergie mécanique potentielle. Quand la demande d'électricité est forte, on libère l'eau du bassin supérieur. Dans sa chute, elle produit de l'électricité en actionnant un groupe turbo-alternateur. La France compte six STEP de forte puissance, principalement en moyenne montagne ou en montagne. Le Japon en a installé en bord de mer, près de falaises.
Dans le cadre du développement des énergies renouvelables et de la programmation pluriannuelle de l'énergie, un besoin de 2 gigawatts de STEP supplémentaires est identifié. Il s'agit d'ouvrages d'art robustes, qui ne posent pas d'autres difficultés que des problèmes d'environnement et d'acceptabilité, dans la mesure où cela met en cause les paysages. À l'avenir, il faudrait installer davantage de STEP en France.
Les batteries constituent un autre moyen de stockage qui se développe fortement. Elles convertissent l'énergie électrique en énergie chimique et réciproquement. On en distingue plusieurs familles, mais toutes fonctionnent sur des couples d'oxydoréduction. Les batteries Lithium-ion ont constitué à partir des années 1990 une rupture technologique permettant d'envisager des applications allant du stockage stationnaire à l'alimentation des appareils électroniques, en passant par la mobilité. Ces batteries offrent des performances croissantes en termes de densité énergétique, ainsi qu'un très bon rendement (de 90 % à 95 %), des coûts de revient en baisse et un niveau de sécurité qui s'améliore. Les axes de recherche portent à la fois sur la sécurité, l'augmentation de la densité énergétique, la cyclabilité et la diminution de la consommation en métaux critiques. On attend, à partir de 2022 ou de 2023, l'arrivée sur le marché des batteries « tout solide », qui permettront de nouveaux gains de sécurité et de densité.
L'hydrogène est le troisième vecteur stratégique de stockage de l'électricité. Il s'agit de convertir l'électricité en hydrogène, par électrolyse de l'eau. Ce procédé est scientifiquement bien connu, mais il faut en améliorer le rendement. Les voies de progrès concernent principalement les techniques d'électrolyseurs, avec l'objectif de faire baisser fortement le coût de l'hydrogène électrolytique.
Quel rôle ces différents modes de stockage de l'électricité peuvent-ils jouer dans la transition énergétique ? Le développement des énergies renouvelables variables entraînera une hausse forte des besoins de flexibilité du système électrique. Le stockage de l'électricité, parce qu'il permet de décorréler dans le temps la production et la consommation d'électricité, constitue donc un levier de flexibilité qu'il pourrait être pertinent de mobiliser. En même temps, le stockage de l'électricité n'est jamais qu'un levier de flexibilité parmi d'autres. Ceci est particulièrement vrai dans le cas de la France, qui possède déjà un système électrique très flexible. Notre pays dispose en effet d'un réseau de transport et de distribution d'électricité de grande qualité, interconnecté à l'échelle européenne. Reliant l'ensemble des zones de production et de consommation continentales, il offre des possibilités de foisonnement qui permettent de réduire la demande résiduelle européenne. La flexibilité du système électrique français repose également sur le pilotage de la consommation par effacement des pointes ou déplacement dans le temps de la consommation. On peut évoquer ici les 11 millions de ballons d'eau chaude domestiques, d'une capacité totale de 9 gigawatts, qui permettent de déplacer près de 20 gigawatts-heure de consommation par jour vers les heures de faible consommation. Cet outil de lissage, éprouvé, simple, peu coûteux et efficace, pourrait, grâce à un pilotage plus dynamique, jouer un rôle majeur dans l'exploitation des pics de production renouvelables. Enfin, le stockage hydraulique est particulièrement développé en France et offre des solutions de flexibilité à tous les horizons temporels. Les autres techniques de stockage, notamment les batteries, occupent en revanche aujourd'hui une place marginale dans le mix de flexibilité.
Pour déterminer le rôle exact que pourrait jouer le stockage de l'électricité dans la gestion du système électrique, il faut tenter de quantifier précisément les besoins de flexibilité et de stockage. Des travaux sont conduits par RTE, Réseau de transport d'électricité, et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), pour définir les adaptations à apporter au mix de flexibilité actuel dans un contexte de transition énergétique. Ces simulations prospectives extrêmement complexes prennent en compte des paramètres techniques et économiques à la fois nombreux et encore incertains à ce stade, concernant notamment le niveau futur de la consommation d'électricité, l'ampleur de la diversification du mix de production, le prix du carbone ou encore les progrès et la baisse de coût du stockage. En raison du grand nombre d'inconnues, ces études définissent de multiples scénarios d'évolution, eux-mêmes déclinés en de nombreuses variantes, le tout finissant par dresser une carte des avenirs probables qui permet de dégager quelques prévisions robustes en matière de besoins de flexibilité et de stockage.
En 2017, RTE a élaboré quatre scénarios à l'horizon 2035. Ces simulations confirment que les besoins de flexibilité augmenteront fortement dans tous les cas de figure, mais sans pour autant induire un développement significatif des besoins de stockage. Ainsi, dans le scénario Ampère, pourtant ambitieux pour les énergies renouvelables, l'essentiel des besoins de flexibilité serait satisfait à moindre coût par l'hydraulique, les interconnexions et, dans une moindre mesure, la mobilisation des gisements d'effacement. C'est seulement dans le scénario Watt, scénario de rupture basé sur un déclassement rapide du parc nucléaire et des énergies renouvelables atteignant 70 % du mix de production, que pourrait apparaître un espace marchand pour le stockage de l'électricité en 2035. Le fort développement de l'éolien et du solaire conduirait en effet à des périodes d'abondance de production à bas coûts, propices à la rentabilité des activités de stockage. Par ailleurs, le maintien de la sécurité d'approvisionnement appellerait alors une mobilisation forte de tous les leviers de flexibilité en sus d'un développement des centrales au gaz. Toutefois, et c'est la conclusion importante, même dans un tel scénario, les besoins en matière de stockage de l'électricité resteraient limités.
Cette conclusion, qui nuance fortement le potentiel de développement du stockage stationnaire en France d'ici à quinze ans, fait l'objet d'un consensus des experts consultés. La diversification du mix électrique français n'implique ni changement d'échelle ni rupture technologique dans le domaine du stockage jusqu'au milieu des années 2030. Le maintien d'une part non négligeable de moyens de production pilotables à cet horizon de temps, accompagné d'un accroissement modéré des capacités d'effacement et de stockage par STEP, ainsi que d'investissements sur le réseau pour le rendre plus agile et plus robuste, seront suffisants pour équilibrer l'offre et la demande à tous les horizons de temps.
L'Ademe a exploré des scénarios encore plus ambitieux pour le développement des énergies renouvelables à l'horizon 2050-2060, avec des taux de pénétration de ces énergies allant de 80 % à 100 % du mix de production. Le bouclage technico-économique de ces scénarios confirme que le renforcement significatif des capacités de stockage devient indispensable pour équilibrer l'offre et la demande d'électricité à chaque heure de l'année seulement quand on atteint ces taux considérables. Le stockage de court terme se développe dès le scénario à 80 % d'énergies renouvelables, tandis que des besoins de stockage intersaisonnier mobilisant les technologies Power to gas et Gas to power apparaissent à partir d'un mix à 90 ou 95 % d'énergies renouvelables.
Dans ces scénarios, la possibilité de boucler le modèle repose donc sur le postulat de disponibilité de certaines ruptures technologiques. Les progrès techniques nécessaires devraient concerner deux problématiques.
D'une part, il faudrait apporter une réponse à la perte d'inertie du système électrique. La stabilité du système actuel repose en effet, dans les premiers instants d'un aléa, sur l'inertie des masses tournantes raccordées au réseau. Ces masses sont celles des turbines des centrales de production, dont la vitesse de rotation est synchronisée avec la fréquence du courant électrique. En cas de chute de cette fréquence, le premier correctif est aujourd'hui celui qu'exerce spontanément cette inertie. À l'avenir, si les énergies renouvelables variables devaient représenter une part très élevée, garantir la stabilité du réseau obligerait à compenser la disparation de cette inertie. Des solutions se dessinent cependant déjà, par exemple les projets européens Migrate et Osmose, dont l'idée directrice est de donner à certaines centrales de production photovoltaïque ou éolienne le rôle de chef d'orchestre du réseau.
D'autre part, il faudrait aussi développer des moyens de stockage adaptés à la régulation saisonnière du système électrique. En cas de très forte pénétration des énergies renouvelables, le passage de l'hiver implique en effet le transfert de l'énergie solaire produite en été pour l'utiliser à la saison froide. Les besoins annuels de stockage intersaisonnier sont évalués par l'Ademe à une quarantaine de térawatts-heure. Cette solution implique l'arrivée à maturité des technologies Power to gas to power. En été, par le photovoltaïque, on fait du Power to gas ; en hiver, on utilise ce gaz pour refaire de l'électricité. Là encore cependant, le problème de l'urgence ne se pose pas, puisque la question du stockage intersaisonnier n'interviendra pas avant 2035.
Après avoir présenté les liens entre stockage stationnaire de l'électricité et transition énergétique, j'en viens maintenant au second grand enjeu du stockage : celui de la mobilité. Les batteries et l'hydrogène sont en effet au coeur de formes émergentes de mobilité.
En raison des gains d'autonomie des batteries Lithium-ion et de la chute de leur coût de fabrication, l'industrie s'est engagée dans un développement massif du marché de la voiture électrique. Cette évolution s'inscrit par ailleurs pleinement dans les politiques publiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cela pose cependant plusieurs enjeux pour les pouvoirs publics.
Sont d'abord visées les conditions d'extraction des métaux critiques dans les pays producteurs et leurs impacts humains et environnementaux. Il est indispensable d'imposer aux fabricants de batteries des critères exigeants de RSE - responsabilité sociale des entreprises - et de traçabilité des matériaux. Il faut également se pencher sur la question de la sécurité d'approvisionnement des métaux critiques, singulièrement du cobalt et dans une moindre mesure du lithium ou du nickel. Enfin, se pose l'enjeu de la valorisation des batteries tout au long de leur cycle de vie et de leur recyclage.
Sur le plan économique, le sujet stratégique est celui de la place des industriels français et européens dans le secteur des batteries. Aujourd'hui, les dix premiers fabricants de cellules de batteries Lithium-ion sont asiatiques. L'alliance entre SAFT, entreprise française, Siemens, Manz et Solvay offre cependant l'opportunité d'un retour des Européens sur le marché, notamment avec l'arrivée des batteries « tout solide » dans les années à venir.
Enfin, il faut relever deux défis : celui de la mise en place d'un réseau de recharge électrique capable d'irriguer tout le territoire avec des bornes non propriétaires et celui de la gestion intelligente des impacts d'une mobilité électrique de masse sur le fonctionnement du système électrique pour transformer une contrainte potentielle en un levier de flexibilité.
L'hydrogène pourrait également jouer un rôle clef dans les mobilités futures. Le bilan carbone de la mobilité à l'hydrogène peut être excellent si l'on utilise une électricité décarbonée pour l'électrolyse de l'eau. Techniquement possible, l'essor de la mobilité à l'hydrogène se heurte cependant à des obstacles économiques dans un avenir proche.
Le premier est le coût de l'hydrogène électrolytique. Pour que la mobilité à l'hydrogène soit compétitive par rapport à la mobilité électrique ou hybride, deux conditions doivent être réunies. D'une part, il faut disposer d'une électricité à bas coût pour alimenter des électrolyseurs pendant des durées relativement longues. Cela suppose qu'un très fort taux de pénétration de l'éolien et du photovoltaïque génère de longues périodes de production électrique abondante. D'autre part, il faut augmenter le rendement et la durée de vie des électrolyseurs.
Même si l'on parvient demain à produire un hydrogène électrolytique bon marché, un second obstacle se dresse, celui des investissements nécessaires au déploiement et à l'entretien d'infrastructures de stockage et de distribution de l'hydrogène. Il faut créer un réseau énergétique supplémentaire, en plus des réseaux existants ou en cours de déploiement. Si les recherches doivent se poursuivre pour préparer l'émergence possible d'une mobilité de masse à base d'hydrogène dans la seconde moitié du siècle, à plus court terme, il faut sans doute plutôt encourager des solutions de mobilité à l'hydrogène plus ciblées, par exemple la mobilité des poids-lourds, des flottes de transport des collectivités ou encore des trains.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Ce travail a l'immense mérite de dresser un état de la situation à ce jour.
Il est important en effet de bien distinguer le réseau et la mobilité, qui sont deux problèmes assez différents. Il faut également distinguer électricité et chaleur.
Les grands acteurs de l'effacement, qui sont les électro-intensifs qui utilisent l'électricité notamment pour la métallurgie ou la chimie, peuvent déplacer leurs activités avec souplesse sur les 8 400 heures annuelles de travail.
La question du stockage de l'électricité pose des problèmes de sécurité et de prix. Ces derniers peuvent se révéler totalement aberrants pour des moments extrêmement courts dans l'année. Il serait d'ailleurs intéressant que tout le monde sache combien le mégawatt coûte en fonction de ces différents moments. En cas de surproduction de l'éolien allemand, il ne coûte rien, alors que, pendant des périodes extrêmement courtes, il peut dépasser les 400 euros. Le marché de l'électricité présente cette singularité que l'intermédiaire, qui a une fonction de stockage, a aussi une fonction de régulation du marché. En cette matière, l'aspect économique est important.
Il faut évoquer la flexibilité du nucléaire. J'ai vécu avec l'idée que le nucléaire était une économie de ruban, qui se caractérisait par la stabilité de la production continue d'une puissance constante toute l'année. Apparemment, le nucléaire connaît aujourd'hui, pour des raisons qui m'échappent, une flexibilité.
Les énergies renouvelables sont toutes intermittentes, mais certaines sont aléatoires. Ainsi, le photovoltaïque est intermittent, alors que l'éolien est intermittent et aléatoire.
Je poserai une question de béotien : pourquoi l'électricité ne se stocke-t-elle pas ?
Par ailleurs, il n'a pas été question du stockage par l'énergie cinétique, alors que cela constitue une réponse intermédiaire et de transition. En effet, le stockage par inertie permet de restituer immédiatement un courant d'une certaine fréquence.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Sur les différentes formes de stockage de l'électricité, peut-on dresser un bilan des différentes marges de progression dans le parc français ? En ce qui concerne les STEP, toutes les opportunités géographiques ont-elles été saisies ? Qu'en est-il dans le reste de l'Europe et dans le reste du monde ?
L'alliance industrielle SAFT, Siemens, Manz et Solvay permettrait un retour de l'Union européenne sur le marché, alors que le barycentre se trouve aujourd'hui en Asie. Quelles actions politiques pourraient être menées à cette fin, au lendemain de la déconvenue de la fusion Alstom-Siemens, refusée par la Commission européenne ?
La rentabilité de l'hydrogène soulève des enjeux économiques importants. Se déclinent-ils à l'échelon européen ou uniquement à l'échelon français ?
En matière de politiques de pilotage, comment aider le secteur et à quelle échelle pertinente ?
M. Stéphane Piednoir, sénateur. - Ce travail rejoint la mission que je mène avec ma collègue Huguette Tiegna au nom de l'Office sur la fin de la commercialisation des véhicules émettant des gaz à effet de serre à l'horizon 2040. La mobilité électrique fait partie de nos questionnements.
Le stockage de l'électricité par batterie permet le rendement le plus élevé, de l'ordre de 90 %. Avec l'entrée en masse des voitures électriques sur le marché de l'automobile, dans quelques années, les batteries seront utilisables. Dans la mesure où elles ne pourront plus charger au-delà de 80 % de leur capacité, elles pourraient avoir une seconde vie pour du stockage. De ce point de vue, le stockage par batteries assemblées est un secteur émergent.
Par ailleurs, décharger sa batterie sur les bornes de recharge pendant les heures de pointe soulève aujourd'hui des problèmes réglementaires. Le législateur a un rôle à jouer en la matière. On pourrait ainsi envisager des avantages fiscaux pour les propriétaires de véhicules électriques acceptant de décharger tout ou partie de leurs batteries durant la nuit.
Mme Anne Genetet, députée. - Quelle étendue géographique faut-il pour installer une STEP ? Il a été question d'impact sur l'environnement et d'acceptabilité par les populations. Un tel ouvrage a-t-il la dimension d'un barrage ? Y a-t-il une retenue hydraulique ?
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - C'est en quelque sorte la question du barrage de Sivens !
Mme Anne Genetet, députée. - Trois solutions ont été exposées. Quelle est leur empreinte carbone sur leur durée de vie totale ?
La fabrication de batteries nécessite le recours à des métaux critiques. Or un récent ouvrage fait référence à notre dépendance à ces métaux. Dans ces conditions, est-il raisonnable de pousser dans cette voie ?
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente. - L'Office a rendu un rapport sur les terres rares.
Mme Huguette Tiegna, députée. - La question du stockage par inertie ayant été évoquée, je précise que, dans le Lot, une entreprise fabrique des volants d'inertie.
La mobilité électrique ne sera possible que par l'évolution des moyens de stockage, puisque cela concerne les sources d'énergie propre qui sont intermittentes. Cela concerne également l'hydraulique. Or, à l'échelon européen, les concessions ne sont pas si simples à obtenir, car la question de la concurrence se pose. Ne risque-t-on pas de rencontrer le même problème avec les STEP ?
Des préconisations seraient bienvenues à la fin de cette note, pour savoir comment améliorer les trois types de stockage mentionnés.
M. Jean-Luc Fugit, député. - Comme scientifique et comme citoyen engagé dans la transition écologique, je crois beaucoup à l'hydrogène, qui est, non pas une énergie, mais un vecteur énergétique, à condition de le produire avec une électricité propre et de ne surtout pas le réutiliser avec du CO2 pour produire du méthane. En effet, dans sa phase de combustion, le méthane générera du CO2.
Je souhaite insister sur les aspects économiques de ce sujet. Sur les énergies renouvelables, comme l'éolien ou le photovoltaïque, la France, l'Europe en général, a raté un investissement économique majeur et n'a pas réussi à créer un champion européen dans ce secteur sur le modèle d'Airbus. Nous avons peut-être l'opportunité de le faire avec l'hydrogène, il ne faudrait pas manquer cette occasion.
Une filiale de Michelin, Imeca, travaille sur ces sujets dans le sud de Lyon. Or il n'existe pas de fabricant français de piles à combustible, alors qu'elles sont nécessaires pour réutiliser l'hydrogène dans les véhicules. L'Union européenne balbutie, pendant que les Asiatiques investissent massivement dans le secteur. Ne devrait-on pas envisager d'avoir un champion européen autour de l'hydrogène ? Une telle filière permettrait de lutter non seulement contre les problèmes de CO2, qui ont un impact sur le climat, mais aussi contre la pollution de proximité, à savoir les oxydes d'azote et les particules fines, qui ont un impact sanitaire direct.
Des facteurs de progression extrêmement importants sont possibles grâce aux véhicules électriques, qui ne sont pas des véhicules propres, mais qui sont les moins mauvais.
Ne faudrait-il pas envisager une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) européenne ?
Enfin, une fois de plus, je voudrais insister sur la nécessité de mieux faire connaître nos travaux, en particulier au sein de nos assemblées.
M. Jérôme Bignon, sénateur. - Voilà quinze jours, France Stratégie a organisé un après-midi passionnant sur le thème des métaux critiques. Y ont été évoquées des questions complexes : marché, secret défense...
Le CEA développe un procédé au potentiel fantastique d'électrolyse de l'eau à très haute température pour produire de l'hydrogène. Cela paraît très prometteur. Une échéance est-elle prévue ?
Je suis étonné que la France ne compte que six STEP, compte tenu de son relief et de ses capacités en hydroélectricité. Il n'est qu'à voir les conduites forcées en Isère. La France occupe d'ailleurs une place majeure en courantologie, grâce au CNRS.
Je pense au barrage de Tignes. Pourquoi ce réservoir ne peut-il pas servir à des allers et retours ? J'ai bien compris qu'on envisageait une surélévation des barrages, mais, compte tenu des besoins, pourquoi n'explore-t-on pas d'autres ressources ? Je trouve que l'on devrait développer davantage l'hydroélectricité en France. Je m'occupe du canal Seine-Nord Europe. Voies navigables de France (VNF) a évoqué la capacité des canaux à produire de l'électricité. Ce pourrait être une richesse complémentaire stockée dans différents endroits du territoire.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - VNF a concédé la reconstruction des écluses de la Meuse, dans les départements de la Meuse et des Ardennes, à un exploitant qui les rénove en contrepartie de leur production électrique.
La première grande STEP est en Lorraine. C'est celle du lac Noir et du lac Blanc. Exploitée à partir des années 1930, l'hydroélectricité du Rhin est produite au fil de l'eau et disponible quand elle n'est pas nécessaire. Aussi, nos anciens l'utilisaient pour pomper l'eau du lac Noir vers le lac Blanc. Cette infrastructure a été abandonnée par EDF qui la juge inutile. Si quelqu'un veut l'acheter, elle est à vendre.
Mme Annie Delmont-Koropoulis, sénatrice. - Je voudrais citer les usines marémotrices. Celle de la Rance, qui a cinquante ans, subit les dommages de la vase mais il en existe d'autres en Ecosse. Elles ne demandent pas d'énergie de pompage.
Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. - La technologie des batteries est en forte évolution, afin de réduire le besoin de métaux dont l'approvisionnement pose problème, tel le cobalt. À plus long terme, on travaille sur des technologies de batteries qui ne posent pas de problème de dépendance dans les matériaux critiques, par exemple la technologie zinc-air.
Le fabricant français SAFT est en attente de contractualisation avec les constructeurs automobiles français.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - SAFT appartient à Total, ce qui est rassurant quant à ses capacités financières.
Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. - Mon interlocuteur chez SAFT a insisté sur le nécessaire respect des conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) dans les pays asiatiques. On pourrait s'appuyer sur ce levier pour que les batteries françaises soient prioritaires. Les critères environnementaux peuvent aussi constituer un moyen légal de soutenir l'industrie des batteries européennes. La fabrication des batteries est en effet très énergivore, et à ce titre elle induit plus d'émissions de CO2 en Asie qu'en Europe, car le mix électrique asiatique est beaucoup plus carboné.
Outre le cobalt, extrait notamment en République démocratique du Congo, le lithium fait l'objet de tensions. Les nouvelles technologies s'orientent vers une moindre utilisation de ces métaux.
Avec les futures bornes de recharge bidirectionnelles, il sera possible de gérer très finement la participation des batteries électriques des voitures au fonctionnement du système électrique. Non seulement on pourra limiter les appels de puissance et donc l'effet déstabilisateur d'une recharge massive au moment où le réseau fait face à un pic de demande, mais on pourra aussi utiliser en partie l'énergie stockée dans les batteries des voitures pour répondre à la consommation d'électricité ou pour assurer certains services système. C'est ce qu'on appelle les applications Vehicle-To-Grid. C'est en plein développement.
On a certainement la possibilité de construire de nouveaux barrages en France. Nous pouvons défendre ce dossier au niveau législatif en exonérant de taxation les nouvelles constructions de STEP. Je l'ai fait lors de l'examen du projet de loi de finances.
En effet, produire du méthane à partir de dihydrogène n'est pas forcément la meilleure solution.
Il n'existe pas de fabricant français de pile à combustible. Il faudrait envisager de créer un champion européen. J'ai rencontré des membres du CEA-Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (Liten) de Grenoble qui travaillent sur l'hydrogène. Ils ont évoqué Air Liquide comme l'un des acteurs historiques du secteur.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Air Liquide produit son hydrogène à partir de pétrole.
Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. - Le Liten espère une industrialisation de son procédé d'électrolyse à haute température d'ici cinq ans, avec l'aide du plan hydrogène.
Pourquoi pas une PPE européenne, puisque nous sommes en réseau ? Elle serait nécessaire pour répondre au grand foisonnement européen. Les possibilités de partage sont énormes et favorisent l'entrée sans heurt des énergies renouvelables dans le réseau. Il est vrai que la production électrique française est jusqu'à présent issue à 75 % du nucléaire, qui est pilotable. Le changement qui se produira est important mais même si le taux d'énergie renouvelable progresse, la France conservera le nucléaire, c'est-à-dire la capacité de piloter la production.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - L'économie du stockage de l'électricité est une question majeure. De très grands acteurs industriels aux intérêts matériels évidents s'y intéressent. SAFT, qui appartient à Total, n'est pour l'instant pas présent sur le marché des batteries d'automobiles mais est plutôt spécialisé dans celles de l'aéronautique. Le soutien de Total est important.
Jean-Luc Fugit a évoqué Michelin, qui s'investit beaucoup dans la chaîne de motricité du véhicule. Il reste de grands progrès technologiques à faire sur les piles à combustible.
Nous n'avons pas réussi l'industrialisation du photovoltaïque et de l'éolien en Europe parce qu'on a fait le choix de soutenir la consommation. Les grands opérateurs dont EDF se sont assez peu impliqués, estimant qu'ils avaient déjà des capacités considérables. En tant que libéral, je ne peux pas condamner le comportement des installateurs d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques mais en tant que Français, je rappelle qu'il faut en accepter les conséquences. Ceux qui ont investi tirent profit d'une rente garantie par l'État. Ils ont été les complices objectifs de l'importation de produits, sans compter le probable dumping de la part des producteurs chinois.
Quant aux producteurs français d'éoliennes, s'ils sont bons dans la construction de moteurs, ils délaissent les pâles, dont la technologie est pourtant assez simple, et les fûts en acier, alors que si un pays sait faire de l'acier, c'est bien la France. Cette économie a été tirée par une rente de situation. La vraie bataille n'était pas sur la technologie mais sur les autorisations administratives.
Assurer la notoriété des travaux de l'Office est le rôle du président et du premier vice-président. Nous traitons les sujets avec beaucoup de courage ; citons l'exemple de l'huile de palme. En n'étant pas dans l'actualité, nous sommes protégés et les idées justes s'insinuent peu à peu. Il serait très facile d'acquérir de la notoriété : il suffirait de dire ce que l'on pense et de créer la polémique en critiquant ceux qui ne sont pas d'accord. L'intérêt de l'Office est plutôt de publier des notes scientifiques et que ses membres, dans leurs commissions respectives, les mettent en avant en donnant l'état de l'art. N'agaçons pas les présidents de commission. Nous avons la liberté de dire ce que nous pensons, ce qui doit s'accompagner d'une certaine modestie. En revanche, quand nous avons adopté un rapport, nous devons vraiment en défendre les conclusions.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Je suis d'accord avec Jean-Luc Fugit et Gérard Longuet. Nous devons gagner en visibilité tout en évitant d'être perçus comme empiétant sur le domaine des commissions ou des missions d'information. Nous pouvons en revanche faire savoir que nous sommes prêts à éclairer leurs travaux, par exemple pour la discussion du projet de loi d'orientation des mobilités.
Je propose, sous le contrôle du président, que nous réalisions un recueil de nos notes, lorsque nous en aurons une douzaine, et que nous le distribuions à nos collègues, en disant que nous sommes à leur disposition. Ce serait un moyen de faire connaître notre activité tout en conservant un profil modeste.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - C'est une bonne idée.
L'aspect technique de la note de Mme Préville est clair. Si l'on veut intéresser davantage nos collègues, il faut aller plus loin en dégageant une problématique politique sur les terres et les métaux rares ou sur l'empreinte durable de la mobilité électrique. Ces questions de société donnent à l'analyse scientifique son importance politique.
Le sujet de l'hydrogène est un peu différent parce qu'il y a plutôt un problème de calendrier. Toutefois, on peut se demander si ce n'est pas l'occasion pour l'Europe de regagner du terrain. Les questions de la PPE et du mix énergétique européen sont profondément sociétales, liées à des convictions.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Je propose de vous faire prochainement une présentation de thèses et ouvrages académiques anglo-saxons sur le statut du conseil scientifique en politique, en particulier le livre de Roger Pielke, The Honest Broker: Making Sense of Science in Policy and Politics. Il explique qu'il existe quatre positionnements pour un scientifique qui veut contribuer à la politique : soit il répond à une commande du politique ; soit il pose de grands principes vers lesquels il faut tendre ; soit il émet une recommandation sur un sujet précis ; soit il propose un éventail de possibilités cohérentes. Le choix entre ces quatre attitudes dépend du contexte et du niveau d'incertitude et de consensus. Cette présentation pourra éclairer l'attitude de l'Office.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - À l'occasion de la présentation de la douzième note courte, nous pourrions organiser une audition ouverte à tous pour savoir quelle est la pente naturelle des Français, parmi ces quatre positionnements. Ce sujet est absolument passionnant. Je suis terrifié par l'éloignement croissant des populations vis-à-vis des scientifiques alors qu'ils n'ont jamais été aussi nombreux, compétents, raisonnables, responsables. On a suivi des générations de savants fous comme des moutons bêlants et maintenant, alors que les scientifiques appartiennent à un système transparent et dialectique, on écoute les vaticinations d'ahuris qui réinventent l'eau tiède. On pourrait poser la question de ce qu'attend la France de ses scientifiques.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - La réflexion du monde anglo-saxon est plus avancée. Je pourrais aussi citer Sir Peter Gluckman, scientifique néo-zélandais, reconnu comme un expert des dispositifs de conseil scientifique au politique. Nous pourrions poser le débat en termes internationaux.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Ne parlons pas de l'Office comme outil mais plutôt de la science et de la politique.
Autorisons-nous la publication de la note ?
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Il est peut-être temps d'ajouter M. Bernard Salha, qui supervise la recherche-développement chez EDF, à la liste déjà bien fournie des personnes consultées, afin d'établir avec lui un contact plus avancé.
Mme Angèle Préville, sénatrice, rapporteure. - J'ai interrogé Mmes Louise Vilain et Véronique Loy d'EDF.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Il est bon de disposer de divers relais dans cette grande maison. Je connais M. Salha, ayant été membre du conseil scientifique d'EDF ; en outre, le grand centre de Saclay est dans ma circonscription. Ce serait l'occasion de renforcer les liens avec des personnes précieuses pour l'avenir.
L'Office autorise la publication de la note scientifique n° 11 sur le stockage de l'électricité.
L'Intégrité scientifique - Communication de Mme Anne Genetet, députée
Mme Anne Genetet, députée, rapporteure. - Je commencerai ce point d'étape de ma réflexion sur l'intégrité scientifique par quelques exemples de méconduite. En 1998, le chirurgien britannique Andrew Wakefield a publié dans la revue The Lancet une étude établissant un lien entre le vaccin contre la rougeole et la rubéole et l'autisme, qui s'est révélée ensuite être une tromperie. En septembre 2014, le Français Olivier Voinnet a fait l'objet d'un signalement sur le site PubPeer par une structure extérieure. En septembre 2017, Catherine Jessus, directrice de l'Institut des sciences biologiques du CNRS a fait l'objet d'allégations de tromperie qui ont eu des conséquences sur sa vie professionnelle et personnelle, même si elle a été blanchie. En novembre 2017, Anne Peyroche, chercheuse du Commissariat à l'énergie atomique, a été mise en cause. L'affaire, relatée dans la presse, n'est toujours pas tranchée.
On estime que les publications prédatrices, c'est-à-dire douteuses, sont environ 8 000 dans le monde et que le nombre d'articles suspects a été multiplié par huit en quatre ans, pour atteindre un total de 400 000, sur un flux annuel d'un million environ. La proportion de fraudeurs serait de 2 %, soit 140 000 chercheurs. Les sciences de la vie sont les plus affectées par le phénomène.
Il est nécessaire d'établir une distinction très claire entre éthique, intégrité scientifique et déontologie. Je vous livre les définitions de l'Office français de l'intégrité scientifique (OFIS). L'éthique assure à chaque citoyen que la science et les technologies n'empruntent pas des voies humainement ou sociétalement hasardeuses. L'intégrité scientifique garantit la fiabilité des résultats de la recherche et assure que chaque production scientifique est établie selon les meilleurs standards. La déontologie, elle, assure que les travaux des chercheurs ne font pas l'objet de conflit d'intérêts.
Les manquements sont de plusieurs sortes. Ce peut-être une erreur qui n'a rien de volontaire, une faute, qui est faite sciemment, ou une fraude, qui est intentionnelle. Aucune nomenclature internationale n'existe en la matière. Il est important de les distinguer et de répondre à la question : comment répondre à des manquements non intentionnels ? L'erreur est humaine et un proverbe chinois dit bien que c'est en tombant que l'on apprend à se relever. En recherche, l'erreur ou l'absence de résultats peuvent être une source de progrès. Or ce n'est pas du tout valorisé.
L'une des personnes que j'ai interrogées m'a raconté qu'en 2007, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) était très réticente sur ce sujet, en raison du principe qui veut que « quand on construit un thermomètre, alors on va mesurer la température ».
En 2009, l'Agence nationale de la recherche a publié une charte de déontologie et d'intégrité scientifique.
En 2010, le professeur Jean-Pierre Alix, chercheur au CNRS, a publié un rapport intitulé Renforcer l'intégrité de la recherche en France qui formulait huit recommandations auxquelles il n'a pas été donné suite.
En juillet 2010, la déclaration de Singapour a défini l'intégrité scientifique. En 2014, l'Agence nationale de la recherche a supprimé ses comités d'intégrité scientifique. Seul l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a pris le problème à bras le corps. En janvier 2015, une charte de déontologie des métiers de la recherche a été publiée, mais tous les établissements n'en sont pas signataires.
En juin 2016, Pierre Corvol a signé un rapport intitulé Bilan et propositions de mise en oeuvre de la charte nationale d'intégrité scientifique dans lequel il note que la fraude est difficile à déceler et que les décisions et sanctions pour fraude sont très rares. Il souligne l'importance de former à l'intégrité scientifique dans les écoles doctorales. Il propose que la responsabilité du chef d'établissement soit engagée et pas seulement celle de l'auteur de l'étude. Il déplore l'absence de cadre juridique pour traiter les manquements. Il souligne la nécessité de mener des recherches sur l'éthique et l'intégrité et recommande la création d'une structure dédiée. La même année, le CNRS a publié un guide sur la pratique d'une recherche intègre et responsable. En 2017, le professeur Corvol a publié un vade-mecum de l'intégrité scientifique. Enfin, en mars 2017, le Gouvernement s'est emparé du sujet et le secrétaire d'État à la recherche a publié une lettre circulaire.
Des postes de référents à l'intégrité scientifique ont été créés, qui évaluent à 11 % le taux de falsification des publications.
Aujourd'hui, 36 établissements de recherche sont signataires de la charte de déontologie des métiers de la recherche et l'on dénombre 83 référents à l'intégrité scientifique, au sein de ces établissements mais pas seulement.
Le président-directeur général du CNRS, Antoine Petit, a commandé un rapport à Olivier Le Gall, président de l'OFIS, sur ce que devrait être un référent à l'intégrité scientifique au CNRS.
L'OFIS a été créé en mars 2017 en tant que département du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres). Il bénéficie de conditions propres à garantir son indépendance dans l'exercice de ses missions. Il est composé d'une équipe opérationnelle et d'un conseil de douze experts. Ses missions sont l'expertise, l'observation et l'animation. Il ne s'agit pour l'OFIS ni d'instruire ni de sanctionner. Ses moyens humains sont limités puisque l'équipe permanente est constituée d'une directrice, d'un chargé de mission à temps plein et d'un conseiller scientifique. Deux autres postes pourraient être pourvus à l'avenir. L'OFIS dispose de 50 mètres carrés de locaux au sein du Hcéres. Il n'a pas de budget propre ; ses frais sont pris en charge par le Hcéres. Il n'a pas de site mais une page sur le site du Hcéres.
On nous a indiqué que le Hcéres effectuait une démarche pour acquérir le statut de personnalité morale afin de jouir d'une autonomie accrue.
J'en viens aux actions de l'OFIS : l'édition d'un guide, sous l'impulsion du référent intégrité scientifique du CEA, pour le recueil et le traitement des signalements ; l'élaboration d'une feuille de route pour 2020 qui détaille 18 actions inspirées du rapport Corvol pour harmoniser les procédures de signalement, d'instruction et d'appel, mutualiser les retours d'expérience, former, promouvoir et mieux intégrer les enjeux ; la mise en place de cycles de séminaires ; des actions de pédagogie et d'information ; un rapprochement avec les instances européennes.
Quelle est la situation à l'étranger ? Aux États-Unis, il existe l'Office of Research Integrity (ORI), qui traite exclusivement des cas de fraude dans le cadre des organismes recevant des fonds publics, qu'il s'attache à prévenir, identifier et sanctionner. En Allemagne, le médiateur de la recherche ne dispose pas de cadre légal et n'impose pas de sanctions. Les cas de fraude sont instruits directement par les universités et les instituts de recherche. Au Royaume-Uni, l'Office d'intégrité de la recherche est un organe sans but lucratif qui propose un soutien au public, aux chercheurs et aux organisations pour promouvoir les bonnes pratiques, sans aucun pouvoir légal.
L'OFIS demande un budget individualisé et indépendant ; une mission explicitement intégrée dans celles du Hcéres ; davantage de moyens que les 100 000 euros de 2017 et les 50 000 euros de 2018 ; peut également se poser la question de ce qu'il adviendra en cas de changement de présidence du Hcéres, dont le premier mandat s'achève cette année.
Je n'ai pas eu de réponse du ministère de la recherche, bien que j'aie parlé du sujet à la ministre, Mme Vidal.
Il n'existe aucune harmonisation ni structure en charge de suivre l'ensemble des cas d'allégations de méconduite. La plateforme américaine PubPeer publie des commentaires anonymes sur des dizaines de milliers d'articles scientifiques. La plateforme reçoit 25 000 visites individuelles et un millier de nouveaux commentaires par mois. L'information apportée par le commentaire doit être factuelle et vérifiée, publiée par une tierce personne. Mais quelle en est la fiabilité ? Des accusations retentissantes de méconduite ont d'abord été publiées sur PubPeer, mais moins de 10 % des commentaires critiques donnent lieu à une commission d'enquête. C'est à la limite de la diffamation, puisqu'aucune structure n'aide le chercheur visé, qui ne peut se défendre.
Quelle articulation entre l'OFIS et le collège de déontologie ? L'intégrité scientifique est un enjeu capital et urgent. Face au développement des fake news et à la défiance du grand public vis-à-vis des sciences, il n'y a pas de temps à perdre. Tout retard à traiter une allégation de manquement nuit à l'image de la science.
L'existence, en France, de trois acteurs - l'OFIS, le Hcéres et l'Agence nationale de la recherche - est source de confusion, de chevauchement et d'inefficacité. En quoi ces acteurs peuvent-ils constituer des autorités morales ? Quel est leur poids réel sur la communauté de la recherche ? Il n'existe aucun cadre ni aucune structure procédurale nationale. Le chercheur accusé est dans une solitude totale.
Comment permettre le droit à l'erreur ? Celle-ci peut être une source d'enrichissement. Selon la circulaire Mandon, « la responsabilité individuelle du chercheur est pleinement engagée mais le garant intégrité scientifique est le responsable exécutif de l'opérateur de recherche ».
Les situations sont toujours complexes. En outre, comment garantir l'indépendance du référent de l'intégrité scientifique, qui appartient à la même structure que le chercheur dont il est saisi ? La question du recours à une instance extérieure se pose. En outre, la recherche privée doit elle aussi répondre à des standards.
Je pense que la formation à l'intégrité scientifique doit être très précoce, dès le secondaire.
Que doit faire le législateur ? Certaines personnes que j'ai interrogées lors de mes auditions ne souhaitent surtout pas son intervention. La responsabilité peut-elle être laissée aux établissements, la loi définissant le cadre de responsabilité de ces établissements ? On pourrait dresser une analogie avec la lutte antidopage, dont chaque fédération sportive est chargée pour ses ressortissants, mais sous le contrôle d'une agence publique indépendante.
Un problème sémantique se pose : délégué à la déontologie, délégué à la déontologie scientifique, lanceur d'alerte à la santé et à l'environnement, référent sur les données personnelles, référent intégrité scientifique... Ce n'est pas lisible.
Notons aussi l'absence de coordination européenne en la matière. Pourtant, l'adoption du Règlement général sur la protection des données (RGPD) montre que l'Union européenne peut imposer ses standards lorsqu'elle est unie.
Enfin, je vous soumets cette question philosophique, posée par une personne que j'ai interrogée : « Définir le manquement, c'est entraver la liberté de chercher. Si le législateur s'en mêle, la liberté de chercher risque d'être entravée. »
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je suis très impressionné par ce travail. J'ai une foi naïve dans la science. Je souscris aussi complètement au droit à l'erreur.
Le problème me semble celui de la société de l'hyper-information, du numérique absolu et de la prise à partie déstructurée, sans aucune mesure, réserve ni pudeur. Je ne voudrais pas que les scientifiques en soient victimes. Soyons vigilants à ne pas entraver la liberté de la recherche au motif qu'il existe des fraudeurs.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Il s'agit effectivement d'un sujet multiforme et vital, présentant des difficultés culturelles importantes. J'y ai moi-même travaillé à plusieurs reprises, et Claude Huriet, auteur d'une loi à ce sujet, était au coeur d'un groupe de scientifiques intéressés par ce thème qui se réunissait à l'Institut Poincaré. L'OFIS a d'ailleurs été créé sur ses recommandations, même si sa forme n'est pas, selon lui, à la hauteur des enjeux.
J'ai discuté de cette question avec plusieurs personnalités, en particulier avec le journaliste Sylvestre Huet, réputé pour sa forte intégrité, son intransigeance, sur ces questions ; c'est un observateur intéressant et extérieur de ce sujet.
Les méconduites scientifiques peuvent relever de l'éthique - les questionnements que peut avoir un chercheur sur des pratiques légales mais discutables - ou de la loi - les comportements condamnables, comme la falsification ayant des conséquences néfastes pour la société ou entraînant un mauvais usage de fonds publics.
Il y a quelques ouvrages sur le sujet, surtout issus du monde anglo-saxon. On observe une grande variété de méconduites. Il peut s'agir de plagiats plus ou moins avérés et importants - de l'emprunt à moitié inconscient à la reproduction systématique -, d'implications de découvertes scientifiques dans certaines situations - Michel Rocard parlait de crime contre l'humanité pour qualifier les travaux des chercheurs en mathématiques financières dont les formules se sont retrouvées impliquées dans la crise financière de 2008 -, d'affaires tragiques - je pense à celle qui a mené au suicide d'un grand scientifique japonais à propos d'une affaire où c'était une personne de son équipe et non lui qui était en faute -, d'affaires grossières, voire cocasses, comme celle du chercheur ayant dessiné des pois sur une souris pour faire croire à sa mutation - « la souris truquée » -, ou de cas - comme, d'après ce que j'en comprends, avec l'affaire Peyroche - dans lesquels il y a clairement eu falsification mais dont les conclusions ne sont pas mauvaises et font avancer la recherche dans le bon sens.
La question de l'intégrité scientifique n'était pas absente de l'affaire Dreyfus, avec l'analyse graphologique menée par Bertillon, lequel expliquait qu'il s'agissait d'un autoplagiat, Dreyfus ayant fait semblant, selon lui, d'imiter sa propre écriture.
Dans certains cas, les problèmes posés par l'expertise scientifique sont plus subtils. On peut ainsi penser aux scientifiques de bonne foi invités à des conférences sur le changement climatique aux États-Unis et qui font part, par honnêteté, de leurs incertitudes, sans se rendre compte que cette honnêteté est instrumentalisée pour discréditer la thèse du réchauffement climatique ; bien entendu, toute recherche a sa part d'incertitude et la notion de consensus est très délicate en sciences.
Parmi quelques autres affaires célèbres, il y a eu la fraude subtile au referee, démasquée par Springer Publishing, dans laquelle des auteurs avaient mis sur pied un anneau permettant à chacun d'être le referee examinant les conclusions de son complice, de sorte que tous jugeaient positivement les recherches de leurs collègues. Dans un monde où la recherche en biologie est devenue très compliquée et où les éditeurs, ne sachant plus qui solliciter, suivent les recommandations de l'auteur lui-même, c'était difficile à détecter.
Il y a aussi de nouvelles méconduites provenant des transformations économiques du monde de la publication scientifique, avec le modèle auteur-payeur. Cela a parfois conduit à des situations incroyables, comme cet article écrit par un algorithme aléatoire et soumis avec succès à une revue à auteur-payeur. Un chercheur a même fait publier la phrase « Get me off this fucking mailing liste », que je vous cite telle quelle, répétée d'un bout à l'autre de son article. Dès lors que l'on paie, on peut faire publier n'importe quoi dans certaines revues. Les scientifiques connaissent la gradation des revues, mais un oeil non expert peur être impressionné par le curriculum de quelqu'un qui aura publié de nombreux articles, alors qu'il suffit de payer pour être publié.
Une étude menée en 2010 auprès des chercheurs estime qu'environ un tiers des chercheurs avaient commis, à un moment ou à un autre de leur carrière, des actes qu'ils estimaient non conformes à la déontologie et à l'intégrité. Ce n'est donc pas du tout marginal, et, dans un contexte où les tensions économiques, politiques s'accentuent et où l'incitation à la publication est de plus en plus forte, ce phénomène s'accroît.
Le milieu scientifique a du mal à s'emparer de ce sujet. Le réflexe a longtemps été : « pas de vague ! » ; si l'on règle ces problèmes publiquement, cela aura des répercussions négatives sur toute la recherche. Je pense au contraire que, dans le monde actuel, où rien ne peut être durablement caché, le fait de traiter ces cas avec le bon niveau de réponse permettra de maintenir la confiance du public à l'égard de la science.
Un premier colloque a été organisé, en 2012, par Claude Huriet et Claudie Haigneré. On y a échangé des statistiques et des recommandations, et l'on a évoqué diverses initiatives - la déclaration de Singapour, une tentative de charte ou de serment, la nécessité d'instruire les jeunes docteurs en la matière.
La mise en place institutionnelle est difficile. Le ministère de la recherche a du mal à se saisir de ce sujet, d'autant qu'il n'est pas l'acteur qui bénéficie le plus de la confiance du monde scientifique. Il faut aller, me semble-t-il, vers un système de référents opérationnels au sein des institutions - les universités, les laboratoires de recherche, les agences -, avec un organisme indépendant pouvant édicter des règles et des mécanismes.
Il faudrait aussi un mécanisme d'appel, qui connaisse des cas dans lesquels l'institution n'a pas répondu à la frustration. J'ai été saisi, informellement, de plusieurs cas de plagiat de thèse au cours des dernières années. En général, un morceau plus ou moins important de thèse a été intégralement repris par un autre doctorant, le directeur de thèse ne voulant pas voir sa réputation entachée et le président de l'université ne souhaitant pas ébruiter l'affaire ; bref, rien n'est réglé, même lorsque le plagiat est évident. Il faut donc travailler à ce mécanisme d'appel auprès d'autorités ayant un poids moral et une certaine indépendance.
En outre, certaines institutions ont du mal à conduire l'instruction. Dans les affaires Voinnet et Peyroche, l'instruction s'est chaque fois mal passée : soit l'affaire a été instruite trop rapidement et trop durement, sans que le scientifique mis en cause puisse se défendre, soit elle l'a été trop lentement et en n'étant pas à la hauteur, et c'est la presse qui a, in fine, levé le lièvre. On le voit, l'institution ne sait pas encore se saisir de ces cas, et ce n'est pas à l'OFIS de les instruire.
M. Pierre Ouzoulias, sénateur. - Merci de ce travail complet et intéressant. Les sciences humaines et sociales ne sont pas exemptes de ces travers. Je vous en donnerai deux exemples.
D'abord, j'ai un jour confié un travail à un étudiant, qui m'a rendu un plagiat à 80 % de l'un de mes articles sur la bière en Gaule. Mon travail avait été traduit en anglais sur un site chinois, sans aucune référence, mon étudiant l'a trouvé sur Google et l'a traduit...
Ensuite, j'ai assisté à un séminaire sur l'intégrité scientifique, au cours duquel un collègue, ayant repris toutes les données de l'expérience de Stanford, qui montre que le comportement d'un individu est lié à son milieu, a montré que les conclusions étaient préalables à la réalisation et ne découlaient pas de l'expérience. Ainsi, cette expérience fondatrice de toute une école de sociologie est remise en cause, quarante ans plus tard.
On le sait, de plus en plus de travaux universitaires en sociologie sont aujourd'hui réalisés sur des cohortes purement fictives.
Il y a donc une très grande souffrance, celle des scientifiques accusés à tort, et celle des personnes qui éprouvent des difficultés à dénoncer des faits d'inconduite, à faire valoir leur point de vue. La représentation nationale doit apporter une réponse. Contrairement à ce qui a pu être dit tout à l'heure, je crois que nombre de scientifiques attendent une intervention du politique.
La commission de la culture du Sénat travaille depuis longtemps sur des sujets connexes - fausses nouvelles, libertés individuelles, identité numérique - et sa présidente souhaitait confier à ma collègue Colette Mélot et à moi-même un travail portant sur l'intégrité scientifique. Cela ne doit pas entrer en concurrence avec votre travail, madame la députée, ce doit être complémentaire. Ce sujet peut montrer que l'Office peut travailler de façon intéressante et complémentaire avec une commission permanente. L'approche juridique ne doit pas être négligée et relève plutôt, selon moi, d'une commission parlementaire que de l'Office. En outre, la commission parlementaire peut convoquer des personnes à huis clos, de façon anonyme.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous devons en discuter. La commission homologue de la vôtre à l'Assemblée nationale pourrait être intéressée également. Trouvons le moyen de faire travailler ensemble l'Office et les commissions permanentes, discutons-en entre nous ; je suis ouvert à toutes les solutions. Un tel thème aura beaucoup d'écho, je pense.
Je suis d'accord avec vous, monsieur Ouzoulias, le phénomène est également important en sciences humaines et sociales, en particulier avec le plagiat, qui peut être plus ou moins évident.
Il y a aussi une histoire savoureuse en mathématiques. Un scientifique italien s'était fait une spécialité de traduire des articles de mathématiques publiés en anglais dans des revues internationales et de les publier dans des revues locales. Un jour, l'un de ces articles a atterri sur le bureau de son auteur d'origine, à qui l'on demandait une évaluation pour les Mathematical Reviews. Le plagiaire ne s'est pas démonté, il a fait le tour des universités italiennes pour arracher la page correspondante dans les revues. Cela a été révélé quand un scientifique s'est demandé pourquoi cette page manquait dans plusieurs universités...
Mme Catherine Procaccia, sénateur, vice-présidente. - Dans quelle catégorie faut-il intégrer la recherche de Gilles-Éric Séralini ?
Je ne suis pas spécialiste du sujet, mais j'ai tendance à penser que, s'il ne passionne pas les parlementaires, il intéressera au moins les scientifiques.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Dans le cas de Gilles-Éric Séralini, sans me prononcer sur le fond, la forme du débat n'a pas été respectée. Par exemple, quand il a refusé de communiquer ses données, cela a provoqué des réactions de l'autre camp qui n'étaient pas non plus raisonnables, et qui l'attaquaient sur ses convictions personnelles. Il y a donc eu une perte d'intégrité dans l'ensemble du processus.
Je veux croire qu'il était de bonne foi et je pense que la rétractation de son article fut une erreur. Des articles faux, il s'en publie beaucoup, et le taux de reproductibilité en sciences humaines et sociales ou en biologie est très faible, cela a été démontré. Il faut donc être prudent ; des erreurs méthodologiques, avérées dans ce cas, ne justifient pas l'infamie de la rétractation. Du reste, l'affaire n'est sans doute pas terminée...
J'ai travaillé à une autre affaire, celle de la mémoire de l'eau. Ce cas, plus complexe qu'on ne le dit souvent, est fascinant à bien des égards. Il mêle la question de la reproductibilité, celle de l'expertise indépendante, le rapport à la presse, le rôle des statistiques, les conflits de chapelle, la déontologie des revues - quand le rédacteur en chef d'une revue parmi les plus prestigieuses du monde affirme quasiment « j'étais sûr que c'était faux, donc j'ai décidé de publier », on peut s'inquiéter... J'ai rédigé une note de synthèse sur ce thème, je vous la communiquerai. Pour en avoir discuté avec des collaborateurs du Dr Benveniste, je pense que l'on n'a pas encore tout éclairci.
On a peu parlé de l'indépendance des experts et de nos institutions. La France a traité durement les questions de conflits d'intérêts, et on a maintenant des alertes selon lesquelles cela aboutit à des pertes d'expertise, dans le domaine des médicaments, par exemple, où le poids des industries est très fort. Un laboratoire pharmaceutique m'a saisi récemment pour me demander pourquoi la France était le seul pays, avec la Corée du Nord, à refuser d'accorder un agrément à son médicament, et j'ai réalisé, après enquête, que l'on avait perdu beaucoup d'expertise dans le domaine considéré en raison de règles trop strictes sur les conflits d'intérêts. Il faut examiner cela avec beaucoup de doigté.
Mme Anne Genetet, députée. - Et il ne faut pas confondre le conflit d'intérêts avec le lien d'intérêt, qui peut être enrichissant.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Merci. Votre communication sera publiée dans le compte rendu de notre réunion. Ces travaux démontrent une fois encore les apports du Parlement au monde scientifique.
Notre collègue sénatrice Mme Annie Delmont-Koropoulis m'a fait savoir qu'elle souhaiterait préparer une note scientifique sur les perspectives des réseaux locaux des smart-cities.
Il en est ainsi décidé.
Audition publique sur le bilan, dix ans après, des recommandations du rapport de l'Office sur la prévention et l'alerte du risque de tsunami sur les côtes françaises
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - L'audition à laquelle nous procédons est l'occasion d'examiner, dix ans après le rapport de notre collègue Roland Courteau, le sujet de l'état de la prévention et de l'alerte du risque de tsunami sur les côtes françaises.
M. Roland Courteau, sénateur, vice-président, rapporteur. - Je remercie les intervenants de leur présence.
Le rapport que j'ai présenté en 2007 portait sur l'évaluation de la prévention du risque de tsunami sur les côtes françaises, en métropole et outre-mer. La diminution de la vulnérabilité des sociétés au risque de tsunami dépendait de l'instauration d'un système perfectionné d'alerte.
Les événements qui ont eu lieu en Grèce et en Turquie, en 2017, nous rappellent que des tsunamis frappent cette région du monde. Dans le Pacifique, au Chili et au Japon en 2011, et en Indonésie en 2018, des tsunamis ont provoqué des milliers de morts.
Des catastrophes graves peuvent aussi survenir plus près de nous. Pour s'en rendre compte, il faut remonter un peu plus loin dans le temps. En Méditerranée, en 1908, le séisme de Messine a provoqué un tsunami qui a fait plus de 10 000 victimes. Précédemment, en 1755, le séisme de Lisbonne a occasionné un tsunami meurtrier, qui a affecté les Antilles et l'Irlande. En 1887, un tsunami a déferlé sur la Côte d'Azur. Il n'avait fait que quelques centaines de victimes, mais à cette époque-là, il y avait peu de touristes ou de plaisanciers ; la même catastrophe emporterait, aujourd'hui, des milliers de personnes.
Par ailleurs, l'effondrement du Krakatoa en décembre dernier nous rappelle que les éruptions volcaniques risquent d'induire des tsunamis meurtriers. Or nous connaissons des éruptions près de nos côtes : en Italie, avec le Stromboli, en Grèce sur l'archipel de Santorin, ainsi qu'à Montserrat à la fin des années 1990 et dans les années 2000. Là où il y a eu des tsunamis consécutifs à des séismes, à des glissements de terrain sous-marins ou à des éruptions volcaniques, il y en aura d'autres, demain.
Voilà pourquoi, au lendemain du tsunami de Sumatra, l'Office m'a chargé de réaliser un rapport sur ce risque en Méditerranée et sur les bassins où la France est présente, au travers de ses départements et territoires d'outre-mer. J'y soulignais que l'opinion publique n'acceptait plus que les populations ne soient pas protégées lorsqu'un dispositif d'alerte peut être instauré et sauver des vies humaines.
J'ai donc fait des propositions globales, ainsi que des recommandations spécifiques par bassin, afin que la France instaure rapidement un centre national d'alerte aux tsunamis en Méditerranée et Atlantique Nord-Est, ainsi que dans trois autres Bassins : les Caraïbes, le Pacifique et l'océan Indien.
Nos 10 millions de kilomètres carrés de zone économique exclusive (ZEE) répartis dans tous les océans soulignent notre vulnérabilité face au risque de tsunami. Le risque zéro n'existe pas, mais un système d'alerte peut réduire considérablement le nombre de pertes de vies humaines, à condition que la chaîne d'information et de décisions fonctionne avec rapidité, de bout en bout et arrive jusqu'aux populations.
Le Centre national d'alerte aux tsunamis (Cenalt), qui couvre la Méditerranée occidentale et l'Atlantique Nord-Est, est pleinement opérationnel depuis juillet 2012. Nous pouvons nous en féliciter ; il s'agit là d'une avancée majeure. J'avais suggéré qu'il soit géré par le CEA ; c'est le cas.
L'alerte montante fonctionne bien : j'ai pu le vérifier, lors d'une visite du Cenalt. Je m'interroge toutefois sur l'articulation entre celle-ci et l'alerte descendante. En d'autres termes, comment s'assurer que les populations sont alertées après le lancement d'une alerte au tsunami par le Cenalt ? La chaîne fonctionne-t-elle de bout en bout ? Quel est le rôle du Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic) ? Où se situe la limite de l'alerte montante ?
Si l'on considère la gestion de cette alerte au niveau national, est-ce qu'un comité de pilotage est en place ? Dans le cas contraire, il serait intéressant de savoir qui gère les systèmes d'alerte pour la métropole, les Antilles, Wallis-et-Futuna, La Réunion ou, encore, Mayotte.
À partir du moment où l'alerte fait état de l'arrivée d'un tsunami, dans quelles conditions et dans quels délais cette information parvient-elle aux populations via l'alerte descendante ? Il ne faudrait pas que la vague arrive avant l'alerte. Un tsunami provenant du large des côtes d'Afrique du Nord mettrait moins d'une heure pour arriver, sans parler des tsunamis locaux, qui peuvent survenir en quelques minutes.
Quels résultats les modélisations et les exercices de simulation ont-ils donné ? Quelles difficultés ont-ils soulevé ? Y a-t-il eu des problèmes dans les transmissions entre le Cenalt et le Cogic ? Quelles pistes d'amélioration ont été retenues ? Les délais de réaction étant très courts, aucune place ne peut être laissée à l'improvisation ou à la perte de temps.
Quels moyens sont mis en oeuvre localement pour alerter les populations ? A-t-on évalué la nécessité d'installer des sirènes ? Les populations sont-elles sensibilisées à ce type d'évènements ? Savent-elles ce qu'il y a lieu de faire et de ne pas faire en cas d'alerte ? Les acteurs locaux - préfectures, élus, autorités portuaires - sont-ils impliqués dans la mise en place des campagnes de sensibilisation ? Ne faudrait-il pas multiplier, dans les zones exposées, conférences, expositions, reportages, émissions scientifiques ? Où en est-on des cartes d'inondation et d'évacuation dans les zones les plus exposées ? Y a-t-il des exercices d'entraînement d'un bout à l'autre de la chaîne de décision, pour tester l'efficacité du dispositif d'alerte ? Faut-il intégrer le risque tsunami dans une logique multirisque ?
Concernant l'outre-mer, y a-t-il des centres d'alerte opérationnels aux Antilles et à la Réunion ? Je n'ai rien vu lors de mon déplacement en Martinique. Certes, Météo France avait été désigné comme point focal pour les Antilles et La Réunion, en attendant que le Cenalt soit opérationnel, mais Météo-France n'a pas l'expertise du Cenalt en matière de tsunami. Ne faudrait-il donc pas demander à ce centre de couvrir ces deux zones ?
J'ai noté que les critères d'alerte pour La Réunion et pour Wallis-et-Futuna ou la Polynésie française sont différents de ceux qui sont utilisés à l'échelon international, donc les décisions risqueraient d'être très peu adaptées à la menace.
Le CEA a mis en place au Cenalt des outils logiciels et un opérateur expert, disponible vingt-quatre heures par jour et sept jours par semaine, mais la connexion aux données des stations de l'océan Indien et des Caraïbes n'est pas en place. Peut-on envisager que cette responsabilité soit donnée au CEA et que le Cenalt puisse gérer les alertes dans ces régions ?
Autant de questions qui font suite à mes recommandations d'il y a dix ans et qui justifient notre audition publique ce matin.
M. François Schindelé, coordonnateur du Centre national d'alerte aux tsunamis (Cenalt). - Le Cenalt est piloté par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et la direction générale de la prévention des risques (DGPR). Il est coordonné scientifiquement par le CEA. J'ajoute que le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) et le CNRS y contribuent.
Ce centre a été conçu conformément au calendrier défini par l'État en 2009, et comprend toutes les composantes prévues. Il est devenu opérationnel le 1er juillet 2012 et il a fonctionné vingt-quatre heures par jour et sept jours par semaine depuis lors. Pour assurer la permanence, sept analystes des données sismologiques et de mesure du niveau de la mer se relaient en trois-huit.
Le séisme de magnitude 9,2 du
26 décembre 2004, au nord de Sumatra
- inattendu dans
cette région -, provoqua un tsunami puissant qui toucha tout
l'océan Indien, provoquant plus de 230 000 victimes.
Auparavant, seul le Pacifique était surveillé, car cet océan avait été frappé par des tsunamis catastrophiques entre 1946 et 1964. Le CEA assure l'alerte pour la Polynésie française depuis les années 1960 par l'intermédiaire du Centre polynésien de prévention des tsunamis.
En janvier 2005, l'Unesco a été mandatée par les Nations unies pour coordonner la mise en place d'un tel système dans l'océan Indien. Les États membres ont établi trois groupes de coordination, pour l'océan Indien, pour l'Atlantique Nord-Est et la Méditerranée, et pour les Caraïbes, afin de limiter toute nouvelle catastrophe. En 2009, le gouvernement français a créé le Cenalt, qui a une vocation internationale, pour surveiller et alerter sur deux zones : la Méditerranée occidentale et l'Atlantique Nord-Est.
Le risque de tsunami dans cette région est conséquent. Les derniers événements majeurs datent de 1755 à Lisbonne, avec plus de 10 000 victimes, de 1908 à Messine en Italie, où séisme et tsunami ont causé autant de victimes, et de 2003, avec le séisme de Boumerdès, qui avait déclenché un tsunami en Méditerranée occidentale, ce qui a causé de nombreux dégâts à plus de 200 embarcations aux Baléares - certaines ont coulé, d'autres ont été détruites - et quelques-uns dans huit ports français, avec de très forts courants qui ont duré plusieurs heures. Le tsunami s'était propagé très rapidement et a atteint les Baléares en 40 minutes et les côtes françaises en 70 à 75 minutes. Comme les ondes sismiques sont encore beaucoup plus rapides et parcourent cette distance en moins de trois minutes, cela permet d'élaborer une détection précoce des tsunamis.
Le mandat du Cenalt est d'assurer l'alerte montante, qui consiste à envoyer en moins de quinze minutes après l'occurrence du séisme le premier message aux autorités nationales de sécurité civile et aux points focaux et centres d'alerte étrangers. Le CEA a conçu et mis en place ce centre, les systèmes de transmission en temps réel des données, les logiciels de traitement automatique et interactif de dissémination des messages d'alerte via le système mondial de télécommunication de l'organisation météorologique mondiale.
Deux réseaux de surveillance sont utilisés : le réseau sismique français, pour détecter les tremblements de terre, et les réseaux étrangers de la région Atlantique Nord-Est et Méditerranée. On utilise aussi les réseaux de mesure du niveau de la mer. Le réseau sismique français comprend des stations du CEA, ainsi que celles du CNRS que le CEA a équipées de transmissions par satellite.
La France est équipée de 41 stations de mesure en temps réel du niveau de la mer. Ces stations permettent de mesurer tout phénomène qui modifie le niveau de la mer, de la houle à la marée en passant par les tsunamis et les zones de tempêtes qui peuvent déclencher différents types de submersion marine.
Les pays voisins ont également développé un réseau de mesure du niveau de la mer, avec une trentaine de stations aux Baléares et en Espagne, autant en Italie et une quinzaine au Portugal. Les données de plus d'une centaine de stations sismiques sont disponibles pour surveiller la Méditerranée occidentale et l'Atlantique Nord-Est. Une quarantaine sont celles d'instituts de sismologie voisins - Espagne, Italie, Portugal, Allemagne et Tunisie - et une trentaine, celles du système de surveillance international de l'Organisation du traité d'interdiction complète des essais nucléaires.
Ce même système de télécommunication robuste permet d'envoyer des messages d'alerte via un terminal à Météo-France. Ainsi, la France finance des moyens de télécommunication qui permettent de recueillir les données continues sismiques et marégraphiques en temps réel. Les critères d'alerte sont essentiellement basés sur la position de l'épicentre du séisme - en mer ou proche de la côte - ainsi que sur la magnitude de l'événement. Un outil, appelé matrice de décision, a été établi par le Groupe intergouvernemental de coordination de l'Unesco. Le CEA et le service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) participent très activement aux travaux de ce groupe depuis son établissement en 2005, du fait de l'occurrence fréquente de tsunamis en Méditerranée orientale, avec cinq événements depuis 2014, dont un qui a dépassé 1 m 50 de hauteur et qui a impacté les côtes de la Grèce et de la Turquie en juillet 2017.
Le CEA a étudié dès 2015 quel pouvait être l'impact de tels événements sur les côtes méditerranéennes françaises. À partir des résultats obtenus, des critères d'alerte spécifiques ont été établis pour les côtes françaises. L'évacuation des plages de la Côte d'Azur et de Corse a déjà été évitée à trois occasions.
Les messages d'alerte comprennent, pour chaque département, le niveau d'alerte attendu, qui a un niveau de couleur choisi par la sécurité civile, et l'heure d'arrivée estimée de la première vague de tsunami, ainsi que les instructions correspondant au niveau d'alerte de l'événement.
Depuis sa mise en service, le Cenalt a émis 44 messages à destination du Cogic, dont un orange au niveau international pour un séisme de magnitude 6,2 ayant induit un tsunami observé en mer d'Alboran, entre le Maroc et l'Espagne, et trois messages de niveau jaune en Méditerranée orientale, pour des événements qui ont induit des tsunamis observés en Grèce, en Italie et en Turquie.
Le 25 janvier 2016, un séisme a eu lieu à 4 h 22 GMT, 5 h 22 à l'heure française. Le message a été envoyé par le Cenalt à 4 h 30, soit huit minutes après le séisme : les ondes sismiques ont été détectées en une minute par une dizaine de stations ; l'opérateur a reçu dans la foulée une alerte sur son ordinateur ; en cinq minutes, il a visualisé les signaux, validé les mesures et les paramètres du séisme, lancé les calculs de propagation du tsunami et du niveau d'alerte puis le logiciel de rédaction des messages ; finalement, deux minutes supplémentaires ont suffi pour visualiser ces messages, les valider et les envoyer aux terminaux du Cogic et au système mondial de télécommunications. Cinq minutes plus tard, l'opérateur a téléphoné au Cogic pour vérifier que le message était bien réceptionné et confirmer oralement la localisation et le niveau d'alerte.
Dans les quatre heures qui ont suivi, il a vérifié sur l'ensemble des signaux marégraphiques disponibles en Méditerranée qu'un tsunami a bien été induit. Il a envoyé un message avec des mesures : une élévation du niveau de la mer de quelques centimètres avait été notée. Il a alors précisé au Cogic que cet événement ne serait pas menaçant pour les côtes françaises.
La rapidité et la robustesse du signal sont basées sur quatre éléments opérationnels indispensables : la permanence d'une équipe d'opérateurs formés pendant six mois à la sismologie et aux tsunamis, des logiciels automatiques interactifs, un système de transmission de messages robuste et fiable et des procédures validées régulièrement.
Depuis 2012, plus de 2 100 événements ont été traités pour la région Atlantique Nord-Est et la Méditerranée, et plus de 19 000 au niveau mondial. De 2012 à 2016, le Cenalt a organisé tous les mois un test de communication avec le Cogic. À partir d'octobre 2016, ces tests ont été remplacés par des exercices tsunami mensuels basés sur un scénario sismique et de tsunami dans l'un des trois bassins de surveillance, afin que les opérateurs du Cogic se familiarisent avec les vrais messages d'alerte au tsunami.
Le Cenalt a également participé à trois exercices internationaux organisés dans le cadre de l'Unesco. Il a envoyé des messages d'alerte, à chaque exercice, et une dizaine de pays ont utilisé le scénario qu'il avait préparé. Le Cenalt est reconnu par l'Unesco comme centre de service d'alerte au tsunami. En 2016, il fut l'un des premiers centres à être accrédité.
Il a participé à des actions concernant l'alerte descendante, notamment, ces deux dernières années, avec la commune de Cannes, la préfecture des Bouches-du-Rhône et la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Il a fourni des éléments scientifiques pour le plan Orsec tsunami et le plan communal de sauvegarde. Lors de tous les exercices auxquels a participé le Cenalt, le message d'alerte a été transmis aux Cogic entre six et huit minutes après le séisme.
Depuis l'entrée en service du centre d'alerte le 1er juillet 2012, le fonctionnement opérationnel est conforme à la mission confiée au CEA et au Cenalt, ainsi qu'aux objectifs et performances attendus. Le Cenalt est un des centres de service d'alerte au tsunami reconnus internationalement, comme en témoigne son accréditation par l'Unesco en 2016. Avec lui, la France s'est dotée d'une capacité opérationnelle et d'expertise au meilleur niveau mondial.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Je vous remercie. Nous avons compris que l'origine historique des dispositifs d'alerte aux tsunamis est à chercher du côté des îles du Pacifique.
M. Jean-Bernard Bobin, chef du service de la planification et de la gestion des crises au ministère de l'intérieur. - Le Cogic est un centre opérationnel du ministère de l'intérieur qui fonctionne 24 heures sur 24 et 365 jours par an.
M. Gérard Longuet, sénateur, président de l'Office. - Où êtes-vous installés ?
M. Jean-Bernard Bobin. - Sur le site de Beauvau, rue de Miromesnil. Nous étions à Asnières auparavant. Nous nous sommes rapprochés du bureau du ministre.
Le Cogic a une fonction de veille en matière d'événements de sécurité civile, mais plus largement d'événements qui peuvent intéresser la sécurité de nos concitoyens. Il met également en oeuvre, si besoin, un certain nombre de moyens. Il a à connaître aussi des phénomènes météorologiques de tempête, d'inondation, de feux de forêt, de pluies cévenoles ou de cyclones aux Antilles - et donc parfois de tsunamis.
La création du Cenalt face à ce risque constitue un apport essentiel, et les marges de progression sont plutôt du côté de la partie alerte descendante. Notre liaison avec le Cenalt est exemplaire. Le Cogic prend le relais dès que les messages nous sont parvenus, sur un ordinateur dédié au risque tsunami. Immédiatement, un signal sonore très puissant se déclenche. Cela n'existe que pour ce phénomène, pas pour le risque nucléaire, industriel ou chimique, parce qu'on est face à un phénomène cinétique extrêmement rapide ; l'objectif est donc le gain de temps.
Le message d'alerte parvient à une équipe composée d'un officier, d'un opérateur et d'un transmetteur. Ceux-ci prennent en compte le message, vérifient le niveau d'alerte (jaune, orange ou rouge) et la zone concernée. Puis, l'opérateur copie le message sur une clé USB et branche immédiatement celle-ci sur l'ordinateur qui nous relie au système de communication interne au ministère de l'Intérieur. Ces manipulations peuvent se faire très rapidement.
Qui sont ensuite les contacts informés ? Les préfectures des départements concernés, les préfectures maritimes, les préfectures de zone de défense et de sécurité, les services départementaux d'incendie et de secours et les autres centres opérationnels d'autres ministères qui ont à connaître de l'événement. Cette information part simultanément vers tous ces destinataires à partir du moment où l'opérateur a branché sa clé USB sur notre dispositif.
La priorité est donnée à l'information des préfectures de département. Il incombe à celles-ci de relayer l'information vers leurs services, les communes concernées et des automates d'appel. Les préfectures maritimes diffusent l'alerte auprès des navires qui sont en mer afin de leur demander de rester au large.
Notre officier de permanence contrôle la bonne exécution du déclenchement de l'alerte et il informe par téléphone le centre opérationnel zonal rattaché au préfet de zone. C'est le seul coup de fil téléphonique de sécurité qu'il doit passer. En fonction de l'intensité de l'événement, il transmet l'information à la chaîne hiérarchique du ministère de l'Intérieur, jusqu'au cabinet du ministre.
En cas d'alerte orange ou rouge, l'officier de permanence propose le déclenchement de la convention avec Radio France, que l'on utilise pour diffuser des messages d'alerte, et organise immédiatement une visioconférence avec son correspondant du Cenalt pour affiner l'analyse scientifique du phénomène.
Depuis deux ans, suite à un séminaire qui s'est tenu en zone sud, nous avons accéléré cet entraînement réciproque. On essaye de le faire une fois par mois, même si c'est assez lourd. En octobre 2017, la ville de Cannes et la préfecture des Alpes-Maritimes ont participé à un exercice. Les trois messages envoyés par le Cenalt ont été relayés en trois à huit minutes par le Cogic. Le premier message relayé par la préfecture des Alpes-Maritimes en 17 minutes a été réceptionné par la ville de Cannes 50 minutes après l'alerte initiale du Cenalt. Pour une vague arrivant en 1 h 10, on reste dans les temps, mais de justesse.
- Présidence de M. Cédric Villani, député, premier vice-président -
M. Jean-Bernard Bobin. - La préfecture des Bouches-du-Rhône nous a sollicités pour participer le 30 mars 2018 à un comité de pilotage dans le cadre de l'élaboration de son dispositif Orsec. Nous l'avons associée à un exercice le 24 avril 2018, au cours duquel nous sommes restés sous un temps de transmission de cinq à six minutes entre la réception de l'alerte du Cenalt et la transmission à notre liste de diffusion.
Le 5 novembre 2018, à l'occasion de la journée mondiale de sensibilisation au tsunami, un exercice a été organisé en lien avec la préfecture des Alpes-Maritimes et la ville de Cannes. Nous n'avons pas été bons, puisque le message est arrivé à la préfecture des Alpes-Maritimes 34 minutes après l'alerte initiale par le Cenalt.
M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur. - Combien de temps ?
M. Jean-Bernard Bobin. - Après 34 minutes, au lieu des cinq à huit minutes habituelles. Les communes l'ont reçu plus de 45 minutes après l'alerte initiale. Que s'est-il passé ? L'officier de permanence de quart venait de rejoindre le Cogic, et il n'a pas suivi la procédure. Il a voulu réécrire les messages transmis par le Cenalt, et le transmetteur n'a pas renvoyé les messages vers les destinataires. Le retour d'expérience interne au Cogic a été fait, car cette carence ne doit pas se renouveler.
C'est dans l'alerte descendante qu'on peut gagner du temps. Si c'est un phénomène qui part des côtes algériennes, on a entre 45 minutes et une heure. Si cela vient des côtes italiennes, nous n'avons que dix à quinze minutes et il faut dans ce cas miser sur la sensibilisation des populations à ce risque et à la détection de signaux.
Dans le premier cas, il faut raccourcir le délai de la chaîne descendante. Nous sommes en phase de réflexion sur ce point ; aucune décision n'a encore été prise. J'ai proposé que ce sujet figure à l'ordre du jour du prochain comité de pilotage, en mars. Les obstacles sont d'ordre juridique et réglementaire. C'est un problème de partage de responsabilités entre le Cenalt et l'appareil d'État. Plus prosaïquement, il y a sans doute aussi des questions budgétaires.
Pour alerter les populations au plus près, dans la logique du dernier kilomètre, nous disposons d'un certain nombre de dispositifs, qui doivent être améliorés. Outre le système assez classique de sirènes, héritier de la défense civile et de la défense passive contre les bombardements, nous rénovons en profondeur notre dispositif avec Airbus Defense and Space (ADS). Nous avons un plan de déploiement de 5 000 sirènes en deux vagues. Ces sirènes concernent l'ensemble des risques naturels et industriels auxquels nous pourrions être confrontés.
Les départements nous ont proposé un plan d'implantation des sirènes. Viennent évidemment en concurrence les risques nucléaires, ceux de sites Seveso, de barrages, de différents phénomènes naturels comme les pluies cévenoles....
M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur. - Les masses d'eau sont arrivées avant l'alerte en octobre dernier...
M. Jean-Bernard Bobin. - Certaines zones de la côte méditerranéenne concernée par le risque de tsunami vont être couvertes par des sirènes. Il s'agit notamment des communes de Nice, Cannes, Antibes, Cagnes-sur-mer, Toulon et la Seyne-sur-mer. Cela ne couvre pas la totalité des plages.
Il y a d'autres moyens d'informer la population. Nous avions mis en place en 2016 un système qui passait par la téléphonie mobile, dans le cadre de l'alerte attentat. Le dispositif a connu un certain nombre de dysfonctionnements et nous y avons mis fin. Nous utilisons les réseaux sociaux, notamment avec des comptes Twitter et Facebook. Le recours aux opérateurs de téléphonie mobile est un sujet qui vient d'être relancé par une directive européenne du 11 décembre 2018, qui prescrit la transmission par les opérateurs de téléphonie mobile, pour l'ensemble de l'Union européenne, de messages gouvernementaux d'alerte. Pour les acteurs de proximité que sont les communes, tous les moyens dont ils peuvent disposer au plus près des populations sont bons pour informer du risque.
En somme, il reste à réduire le délai entre le moment où nous nous sommes emparés de l'alerte du Cenalt et le moment où l'information arrive à la population.
M. Christian Sabanis, chargé de mission « défense et sécurité civile » à la préfecture des Bouches-du-Rhône. - Les Bouches-du-Rhône sont le premier département de France métropolitaine à s'être doté d'une procédure Orsec-tsunami. La raison en est que nous avons connu deux alertes, le 16 avril 2015 et le 30 octobre 2016. Par chance, cette dernière avait lieu un dimanche matin d'automne, ce qui a réduit les enjeux d'évacuation des populations.
Ces deux alertes de niveau jaune nous ont conduits à mieux définir les phénomènes qui y sont associés. Le département des Bouches-du-Rhône et son littoral sont soumis au risque de tsunami. L'autorité préfectorale a donc décidé d'inscrire une procédure Orsec-tsunami dans le cadre de la planification Orsec. Ces travaux ont débuté l'année dernière, au début du mois de février. Un deuxième comité de pilotage a eu lieu le 30 mars. Les travaux se sont poursuivis et ce plan d'ordre départemental opérationnel tsunami a été approuvé par le préfet de département le 6 août dernier.
Le littoral des Bouches-du-Rhône est un ensemble de treize communes - dont la ville de Marseille - avec des enjeux de population, des enjeux industriels et économiques, et nombre d'établissements industriels Seveso situés en bordure immédiate du littoral. Il faut tenir compte aussi du parc national des Calanques et du parc naturel régional de Camargue, qui est également une zone Natura 2000.
Lors du comité de pilotage du 30 mars 2018, l'architecture du cheminement de l'alerte, dans sa partie nationale, avant qu'elle n'arrive aux échelons locaux, a été expliquée. Nous avons alors décidé d'organiser le 24 avril 2018 un test d'alerte pour éprouver les délais. Ce test a débuté à 14 h 08. Entre le moment où l'exercice a débuté et le moment où la préfecture des Bouches-du-Rhône a eu connaissance du fait qu'une alerte tsunami avait été émise, vingt minutes se sont écoulées.
M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur. - Combien de minutes ?
M. Christian Sabanis. - Vingt minutes, jusqu'à 14 h 29. De plus, les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers n'avaient pas reçu le message, et nous avons dû les contacter pour leur indiquer que l'alerte était parvenue à la préfecture et qu'ils devaient la relayer aux communes, aux services de l'État et aux exploitants industriels.
Les premiers acquittements des collectivités ont eu lieu à 14 h 40 et, pour le premier exploitant industriel, à 14 h 57. L'arrivée fictive de la première vague était censée avoir lieu à 15 h 11... Il n'y aurait eu que vingt à trente minutes pour que chaque acteur mette en oeuvre les mesures relevant de son plan d'urgence.
Ces enseignements nous ont amenés à adapter notre procédure et à mettre en oeuvre une procédure réflexe. On part du principe que dès lors que l'autorité préfectorale a connaissance d'une alerte au tsunami, elle doit la relayer immédiatement, conformément au schéma général d'alerte, aux communes et exploitants industriels potentiellement concernés. Ce n'est qu'ensuite que l'autorité préfectorale formalise la partie État de ce dispositif en décidant du degré d'activation d'Orsec. Notre ordre départemental opérationnel tsunami a été approuvé le 6 août.
Le 12 octobre, il y a eu une alerte tsunami de niveau jaune à 1 h 12 du matin. Il n'y a eu aucune conséquence. Néanmoins, nous aurions dû relayer par des messages d'alerte cette information aux communes du littoral et aux exploitants. Mais ce message a été diffusé uniquement par courrier électronique et, à une heure du matin, il n'y avait personne pour veiller sur la messagerie de la préfecture. Les sapeurs-pompiers et marins-pompiers ont bien eu connaissance de ce message, mais l'ont passé par pertes et profits. Nous avons donc proposé deux pistes d'amélioration : avertir par téléphone, et faire en sorte que les départements et les services de secours soient également prévenus en amont qu'un message e-mail d'alerte au tsunami va leur parvenir.
Il y a des contraintes réglementaires ou budgétaires, mais il faudrait que, dès que le Cenalt émet son alerte, tous les niveaux soient dans la boucle : le Cogic, les centres opérationnels de zone (Coz), les préfectures de départements, la préfecture maritime, les centres opérationnels des services d'incendie et de secours... Un groupe de travail, auquel la commune de Cannes a été associée, a réfléchi aux manières d'associer les territoires à la prise en compte du risque de tsunami. Parmi les pistes dégagées, figure la diffusion de fiches d'information à l'attention des populations.
Mme Claire-Anne Reix, conseillère municipale de la ville de Cannes en charge de la prévention des risques. - Cannes compte 70 000 habitants mais ce nombre monte à plus de 100 000 habitants plusieurs fois par an, pour le Festival du film, l'été, ou lors d'autres grands événements comme le festival pyrotechnique. C'est donc une ville qui doit faire de son plan de prévention des risques un vrai outil au quotidien. Elle doit assurer une gestion optimisée des risques naturels majeurs et des risques terroristes. Pour nous, la sécurité va avec l'attractivité du territoire, et c'est une des priorités du maire de Cannes, David Lisnard.
Celui-ci a mis en place une réflexion globale pour une démarche coordonnée multirisques, avec une cellule organisée autour de deux comités de pilotage, dont je suis l'élue de référence, et des groupes de projets sur les différentes thématiques couvrant les divers risques qui peuvent nous affecter. Il faut penser à l'anticipation et donc à l'aménagement, à la formation des populations, à l'alerte et à la gestion de crise.
Nous avons donc mis en place une gouvernance de l'ensemble des risques avec des procédures, des documentations, des outils et une plateforme numérique 3D de géo-information, sur laquelle nous proposons des services à valeur ajoutée. Sur nos infrastructures, qu'il faut entretenir, nous réalisons des audits réguliers, une fois par an, et des exercices.
Il y a deux risques principaux de séisme : soit dans la mer Ligure, avec une submersion prévue entre 15 et 30 minutes après le séisme, soit un tsunami qui viendrait de la marge algérienne, qui laisse un temps compris entre 40 et 70 minutes après le séisme. Nous avons aussi connu un micro-tsunami en 1979, lié à un effondrement local, et un phénomène dynamique en 2003, que la population n'a guère perçu, mais qui a fait des dégâts dans le port de Théoule-sur-mer.
L'anticipation est nécessaire, avec des procédures écrites intégrant tous les niveaux hiérarchiques de l'administration. Nous en avons donc construit, et nous avons conduit des tests lors de deux exercices, ce qui nous permet d'améliorer ces procédures, en concertation avec les autorités locales.
Le premier exercice a eu lieu le 31 octobre 2017. C'était un exercice d'État-major avancé, avec des procédures établies pour chaque service présent sur le littoral. Au sein de la cellule de crise que nous avions organisée, il y avait la police municipale, les services de la voirie, les services de l'État, la police nationale, la gendarmerie et la sous-préfecture ainsi que l'autorité portuaire et le service maritime de la ville, dont la vedette permet d'aller en mer dire aux vacanciers de s'éloigner des côtes. L'exercice était basé sur une cartographie des zones de répartition des missions, pour la police municipale, la police nationale, l'autorité portuaire, les pompiers, avec les personnels de l'aérodrome et les maîtres de port ainsi qu'avec les agents communaux. Cette répartition des responsabilités aboutit à une intervention plus efficace et plus rapide.
Le deuxième exercice, le 5 novembre 2018, était un exercice de terrain, qui est allé jusqu'à l'évacuation du Vieux Port et d'une école située en plein centre de la pointe de la Croisette. Nous avons diffusé une information aux populations pour l'exercice. Nous avons eu recours au dispositif « Cannes alerte », qui est en cours de déploiement. Nous utilisons aussi des panneaux d'information lumineux, des haut-parleurs et nous avons recours au bon sens paysan : quand nous recevons l'information, nous envoyons sur le terrain des personnes munies de mégaphones pour prévenir de s'éloigner des côtes.
Nous avons bloqué les accès au rivage et déployé des services municipaux dans les bâtiments refuge que sont le palais des festivals et l'hôtel Radisson Blu sur la Croisette. Nous sommes en train de déployer une signalétique internationale, la signalétique ISO 20 712, qui correspond à l'alerte tsunami.
Les procédures sont donc testées, efficaces et en train d'être finalisées et validées par l'ensemble des acteurs concernés. Nous comptons organiser prochainement un exercice d'évacuation pour l'ensemble du littoral de la ville. Nous voulons investir davantage dans des haut-parleurs. Le problème, ce sont les plages, qui requièrent une formation à la gestion des mouvements de foule pour les agents communaux. Tous les personnels qui travaillent sur le littoral doivent être formés au risque de tsunami.
L'amélioration majeure serait de diminuer les délais de l'alerte descendante au niveau étatique, car nous ne recevons l'information qu'après 50 minutes. Et je précise que pour l'exercice, nous étions prévenus. En conditions réelles, nous risquons encore davantage d'arriver trop tard. Il faut, en outre, continuer d'informer la population sur le risque et aller plus loin. Nous avons, par exemple, commencé à distribuer des fiches.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Merci à tous. Roland Courteau se félicitait de l'efficacité de l'alerte montante. De fait, la structure semble opérationnelle. Pour l'alerte descendante, ce panel a bien montré les difficultés de l'exercice et combien le contrôle de son efficience était pris à coeur. Il est important de former la population, mais sur les plages il y a aussi beaucoup d'étrangers et de plaisanciers, ce qui complique les politiques de prévention. Il importe avant tout de former les responsables. Mais la transmission d'alertes horizontales peut aussi fonctionner entre personnes informées et personnes non informées. Qu'est-ce qui a manqué pour prévenir un cas comme celui de la catastrophe de 2004 ?
M. Roland Courteau, sénateur, rapporteur. - Concernant l'alerte montante, j'ai le sentiment que tout fonctionne bien. Pour l'alerte descendante, nous commençons à avancer, même si d'importants progrès restent à réaliser. Il y a du bon travail sur le terrain, notamment dans les Bouches-du-Rhône et à Cannes, qui fait référence, avec une signalétique pertinente, des zones refuges, des haut-parleurs, la formation des personnels... Je souhaiterais que toutes les communes de la Côte d'Azur et du Golfe du Lion, et même de l'Atlantique, fassent les mêmes efforts !
Pour les tsunamis locaux, qui surviendraient en 10 minutes, l'alerte ne sert guère. Il faut lui préférer la sensibilisation des populations, qui doivent savoir ce qu'il faut faire et surtout ce qu'il ne faut pas faire. Pour les tsunamis qui viennent du nord de l'Algérie, avec une heure de délai environ, l'alerte prend tout son sens - mais n'exclut pas la formation des populations.
En Martinique, j'avais été choqué d'être pris dans des embouteillages avec la mer à 1,50 mètre seulement en contrebas : si un tsunami était survenu, cela aurait fait un carnage. Aux Antilles, et notamment en Martinique, il y a encore beaucoup à faire. Vous avez évoqué 5 000 sirènes en deux vagues. C'est un excellent moyen d'alerter, mais comment la population va-t-elle faire la différence entre un tsunami, un incendie, une inondation ou une autre catastrophe ? Il faudrait un code spécial.
Vous avez évoqué les questions budgétaires. Quels montants seraient nécessaires pour améliorer les délais ? Qui doit financer ? Pourquoi le Cenalt ne couvre-t-il pas les Antilles et la Réunion ? Cet outil fonctionne parfaitement bien, et il suffirait de quelques milliers d'euros pour qu'il couvre ces deux zones particulièrement exposées. L'effondrement d'un volcan, un glissement de terrain sous-marin ou un séisme y sont toujours imaginables. Et rien n'est prévu pour alerter les populations concernées.
M. Stéphane Le Garrec, responsable du département « analyse, surveillance, environnement » au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives. - Le fonctionnement et l'exploitation du Cenalt sont régis par une convention qui couvre la Méditerranée occidentale et l'Atlantique Nord-Est. Pour élargir le périmètre d'action, ce que prévoit cette convention qui nous lie au ministère de tutelle, il convient d'aborder la question au travers de comités stratégiques. Cela n'a pas été fait jusqu'à présent. À un niveau inférieur de responsabilité, au sein des comités de pilotage, nous avons réfléchi à la possibilité de fournir une alerte aux Antilles et à la Réunion et nous avons fait des propositions chiffrées.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - À qui ?
M. Stéphane Le Garrec. - Aux deux directions des ministères dont le Cenalt dépend : la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l'intérieur et la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la transition écologique et solidaire. Mais le problème ne se pose pas de la même manière à la Réunion et aux Antilles.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - La représentation parlementaire vous incite à ne pas hésiter à relancer les ministères, voire, sur ces questions de sécurité, à prendre des initiatives en supplément de ce qui est proposé par le Gouvernement, si la machine met trop de temps à répondre.
M. François Schindelé. - À la Réunion, nous sommes en champ lointain, c'est-à-dire loin des sources qui peuvent générer des tsunamis majeurs. Cela laisse donc au moins six ou sept heures au tsunami pour arriver après le séisme.
Lorsque nous avons proposé, suite à la demande des ministères, de gérer cette alerte, il s'agissait de créer un système robuste, d'avoir accès à des données en temps réel par des moyens de télécommunications fiables, comme ce qui a été mis en place pour le Cenalt, et d'instaurer une configuration spécifique pour l'île de la Réunion, qu'on avait étudiée après l'événement de Sumatra en 2004, qui y a impacté plusieurs ports. Plusieurs des matrices de décision que j'ai présentées ont été retenues.
Il est possible, avec l'équipe de permanence actuelle, de mener de front une alerte tsunami en Méditerranée et Atlantique et une alerte au tsunami pour l'île de la Réunion, car celle-ci est située loin des sources sismiques. C'est un sujet très important parce qu'il n'y a qu'un seul permanent !
Aux Antilles, il y a plusieurs îles à surveiller : Martinique, Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Chacune peut être impactée par un tsunami très local. Le CEA a proposé une étude de faisabilité pour montrer quelles étaient les possibilités d'alerte avec l'équipe actuelle - une personne qui doit réagir en moins de 15 minutes - et proposer de construire avec la sécurité civile l'ensemble des éléments pour répondre à une alerte aux Antilles.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Je comprends de votre réponse que la question est aussi de savoir s'il faut une personne de permanence en plus ou non. C'est bien une question de milliers, pas de millions, d'euros, comme l'a indiqué Roland Courteau.
M. Jean-Bernard Bobin. - Notre doctrine en matière de sirènes, c'est qu'il doit y avoir : une sirène pour un risque donné et un seul comportement préconisé. Les sirènes ne doivent pas couvrir plusieurs risques. D'où une implantation très fine du réseau des sirènes. À côté d'un site Seveso, la consigne aux populations est de rester chez soi, d'écouter les médias et de se confiner. En Nouvelle-Calédonie, on avait commencé à travailler à l'implantation de sirènes le long du littoral. Pour la population, il était clair que le risque était le tsunami.
Ce risque souffre de sa périodicité. La zone sud, par exemple, connaît à peu près toute la palette des risques possibles : les feux de forêt tous les ans, la pluie méditerranéenne, le risque industriel, le risque portuaire... Ces risques récurrents occasionnent des décès.
Le faible rythme d'occurrence des tsunamis fait que ce risque n'est pas ancré dans la mémoire des populations, ni en métropole ni outre-mer, contrairement au risque cyclonique, par exemple, qui revient régulièrement. De même, à cause du phénomène de pluies méditerranéennes, nous avons tous les ans des compatriotes qui meurent, parce qu'ils vont chercher leur véhicule dans un parking souterrain ou l'utilisent malgré les consignes. Lorsqu'il y a des arbitrages budgétaires, on privilégie la réponse à des risques récurrents.
J'indique, en outre, que nous travaillons, d'une part, à la rédaction d'un guide pour sensibiliser les populations au risque de tsunami et aux conduites à adopter, d'autre part, à l'organisation aux Antilles, par les préfets de Martinique et de Guadeloupe, d'une « journée japonaise », dédiée en priorité à la sensibilisation des habitants à la culture du risque et à leur information, à travers des exercices et des démonstrations, y compris dans les écoles. Le tsunami sera ajouté à la liste des risques retenus, parmi d'autres, comme les inondations ou les cyclones. Cette journée pourrait peut-être se tenir au mois de juin.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Nous n'avons pas eu de réponse à la question sur les aspects budgétaires. Qui finance ? Comment ? Est-ce nécessaire d'augmenter les crédits et dans quelles proportions ?
M. Jean-Bernard Bobin. - Le responsable de service que je suis vous répondra qu'il a toujours besoin d'augmenter les moyens de son action, sans pour autant dépenser l'argent public inconsidérément. C'est vrai que nous sommes en face de risques dont les dispositifs de prévention et d'alerte méritent toujours des améliorations, sachant qu'en l'espèce, et on l'a bien compris avec les interventions ce matin, la difficulté réside dans la transmission de l'alerte descendante au plus près des populations, en tout cas déjà au plus près des mairies.
Si toutes les communes faisaient un effort significatif à leur niveau, à l'image du travail de la ville de Cannes, ce serait très utile mais il resterait le sujet de l'information entre Paris et les mairies via les préfectures. Actuellement, il n'y a pas de ligne dédiée du Cenalt vers le Cogic et ses différents interlocuteurs. On ne peut pas appuyer sur un bouton pour diffuser le message d'alerte du Cenalt sans passer par les réseaux classiques de transmission du ministère de l'intérieur, ça n'existe pas, ou pas encore. Il faudrait peut-être mettre en place un dispositif particulier de transmission de l'alerte avec des lignes dédiées pour les destinataires concernés. Il serait même possible de passer au-dessus de tous les échelons, le message du Cenalt pouvant, dans ce cas, être à l'attention de listes de destinataires transmises par les maires et recensant les habitants.
Un tel dispositif n'existe pas à l'heure actuelle, il aurait donc un coût et nous allons progressivement travailler à l'identifier. Vous avez pu relever une accélération de la prise en compte du phénomène tsunami ces dernières années.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Et sur la question budgétaire pour gérer les Antilles ?
M. Jean-Bernard Bobin. - Pour les Antilles, ça rentrerait dans la convention entre le Cenalt et les deux ministères - ministère de l'intérieur et ministère de la transition écologique et solidaire -, sachant que je ne serais pas opposé à la participation, s'il le souhaite, du ministère des Outre-mer, puisqu'il est directement concerné. Il est vrai que ce ne sont pas des sommes astronomiques, toutefois nous sommes tenus à une gestion très stricte de nos budgets. Pour vous donner un exemple, cette année, je n'ai pas suffisamment de crédits de paiement pour déployer notre système de sirènes au plan national, tel qu'il avait été envisagé.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - À combien s'élève le budget du Cenalt ?
M. Stéphane Le Garrec. - Le Cenalt reçoit une subvention d'un million d'euros par an pour son exploitation et son maintien en condition opérationnelle. Cette subvention est versée au titre de son service au public et provient de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) du ministère de l'intérieur et de la direction générale de la prévention des risques (DGPR) du ministère de la transition écologique et solidaire.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - On conçoit bien que sur un budget d'un million d'euros, 100 000 euros de nouvelles dépenses peuvent être significatifs mais 30 000 euros le sont beaucoup moins. Avant d'en arriver à la conclusion, je me tourne vers Monsieur Christos Sabanis et Madame Claire-Anne Reix, avez-vous des choses à ajouter pour répondre aux questions de notre collègue Roland Courteau ?
Mme Claire-Anne Reix. - À la suite de ce qui vient de se dire, je veux ajouter que la ville de Cannes souhaiterait être directement contactée en cas de risque de tsunami. Aujourd'hui on attend que l'alerte passe par la préfecture, qui ne dispose pas d'une salle de crise vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui pose déjà un problème, alors que la mairie est dotée d'une salle de crise active vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Si nous recevions une notification de l'alerte en parallèle avec celle que reçoit la préfecture, nous pourrions adresser rapidement un message à toutes les personnes responsables de zone qui peuvent réagir tout de suite.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Dans ce cas chaque préfet devrait recenser les communes pouvant faire directement l'objet d'un envoi de message d'alerte et il y aurait donc suite à l'alerte montante, une alerte horizontale et puis un mécanisme descendant.
Mme Claire-Anne Reix. - Dans le dispositif actuel, l'alerte descend depuis le Cogic vers l'ensemble des préfectures concernées et les villes, mais en raison des procédures, faire évoluer ce système pourrait poser des problèmes, notamment de responsabilité ; il reste encore beaucoup de choses à voir.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Monsieur Bobin, qu'en pensez-vous ?
M. Jean-Bernard Bobin. - On pourrait définir la procédure ensemble mais la responsabilité, elle, est clairement partagée entre l'État et les maires s'agissant du secours aux populations. En fait, le sujet est beaucoup plus technique que juridique. Nous n'avons pas, à l'heure actuelle, de dispositif qui permettrait d'informer de l'alerte de façon rapide et fiable depuis Paris.
Je pense qu'on peut améliorer l'existant avec les moyens dont on dispose actuellement. Le risque est défini par le Cenalt qui nous précise, par exemple, quel est le risque potentiel sur la façade méditerranéenne, si les plages seront touchées, et si le tsunami peut aller au-delà de ces dernières. Il paraît donc possible d'envisager collectivement un système d'alerte modulé, selon les périodes de l'année et les heures où les plages sont fréquentées.
Un tel système me semble plus adapté qu'un dispositif qui voudrait être complètement exhaustif et nous obligerait à être en veille permanente, y compris la nuit ou au mois de novembre, dans des moments où les plages sont peu ou pas fréquentées.
Il faudrait donc peut-être, dans un premier temps, travailler avec les préfectures de zone, les préfectures de département et les communes, pour savoir quels sont les territoires et les moments de la journée, de la semaine ou de l'année où l'on est, véritablement, face à un risque et, ensuite, réfléchir sur les procédures.
Aujourd'hui, quand le Cogic reçoit l'alerte, hors montée en puissance du centre opérationnel en cas de crise, il n'y a que trois personnes et si elles doivent, au même moment, gérer un autre phénomène de sécurité civile, on ne peut pas leur demander d'appeler toutes les communes concernées et de vérifier que les responsables locaux sont informés.
Nous devons donc réfléchir à un système à la fois fiable, plus automatique et plus ciblé, sans viser l'exhaustivité. Il faut un dispositif dont les procédures sont définies ensemble et affinées par rapport aux risques, comme on le fait pour d'autres phénomènes, je pense par exemple aux feux de forêt. Sur la base des exercices conduits et d'évaluations techniques et budgétaires, nous pourrons construire un système fiable et ciblé d'alerte aux populations. Je ne peux pas vous donner son coût à ce stade. Nous nous tournerons le moment venu vers nos autorités pour demander les crédits nécessaires, avec l'appui des parlementaires.
Mme Claire-Anne Reix. -Nous avons 52 événements par an à Cannes, le palais des festivals est occupé 307 jours par an et des événements se tiennent sur les plages, en soirée, que ce soit au mois de mars, de septembre ou de novembre. Lors d'événements sur les plages, au cours desquels des soirées sont organisées, le public reste souvent jusqu'à minuit et l'été, c'est permanent. La ville de Cannes est assez spécifique et c'est pour cette raison que nous sommes mobilisés sur le risque tsunami.
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Vous avez raison de faire ce petit rappel Madame Reix.
M. Christian Sabanis. - J'apporte un complément sur l'une des questions soulevées par le sénateur Roland Courteau. S'agissant de la situation des sirènes dans les Bouches-du-Rhône, il me semble que nous disposons à ce jour de 29 sirènes raccordées au SAIP mais, sur ce total, très peu sont configurées ou localisées pour avertir les populations en cas de risque de tsunami.
Une deuxième difficulté se pose : qu'est-ce que les populations doivent faire lorsque les sirènes se déclenchent ? De ce point de vue, je voudrais partager avec vous une anecdote qui vient d'une commune, exemplaire s'agissant de la prise en compte des risques, qui nous a communiqué pour information une lettre d'un de ses administrés. Celui-ci constatant que des travaux étaient effectués pour implanter des sirènes, se plaignait du fait qu'elles risquaient de sonner et de le déranger et demandait donc, par conséquent, que son maire lui fournisse un casque antibruit pour éviter d'être gêné. Il avait même indiqué un modèle précis que la commune pourrait acheter...
M. Cédric Villani, député, premier vice-président de l'Office. - Cet administré aurait aussi pu suggérer qu'on mette un silencieux sur les sirènes ! Je remercie chacun des intervenants pour leurs réponses. Je vais tenter de récapituler. On a bien compris, en particulier avec l'intervention de Madame Reix, combien il fallait être attentif à ce qui se passe sur le terrain, mais aussi avec l'exemple de Monsieur Sabanis, aux questions d'information du public. L'information est cruciale et de deux manières différentes : elle doit renseigner sur les conduites à tenir, ainsi que sur la façon dont l'alerte parvient aux populations.
Monsieur Bobin est convaincant quand il explique que le Cogic ne peut pas, de manière centralisée, contacter par téléphone toutes les communes susceptibles d'être touchées. Cependant, il me semble possible de réfléchir à d'autres solutions dans lesquelles on s'assure moins d'atteindre directement les personnes concernées que d'informer les communes par des automates électroniques, en particulier celles dans lesquelles il y a des systèmes d'alerte qui fonctionnent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Un tel système leur permettrait de se tenir prêtes et pourrait se superposer à la procédure actuelle, avec un coût négligeable, je suis d'accord sur le fait qu'il faut être attentif à la dépense publique. Sur les questions de sécurité, il faut prendre en compte la proportionnalité des résultats par rapport aux moyens et quand il y a des possibilités d'agir à bas coût, on doit parvenir aux évolutions qui conviennent.
L'ensemble de vos exposés ont montré à quel point ces questions de sécurité sont prises au sérieux et il est réjouissant pour l'Office de voir combien le rapport de Roland Courteau a été influent sur ce sujet et que nous sommes au rendez-vous en matière de suivi, une douzaine d'années après. Nous apprécions le travail qui a été fait sans négliger celui qui reste à faire : la situation s'est considérablement améliorée depuis 2007 mais il reste encore un bout de chemin à faire aussi bien avec les institutions qu'avec les acteurs locaux. Nous vous faisons confiance pour continuer ce chemin, ce qui ne nous empêchera pas de rester très vigilants et attentifs. Je suis sûr que mon collègue Roland Courteau s'emploiera à suivre les futures améliorations. Je vous remercie toutes et tous pour votre implication sur ce sujet capital et j'ai le plaisir de clore la séance sur cette note de rigueur et d'espoir.
La réunion est close à 13 h 15.